Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Dans une décision antérieure (2007 CRTFP 70), l’arbitre de grief avait conclu que la décision administrative initiale de suspendre le fonctionnaire s’estimant lésé sans traitement pour une période indéterminée en attendant les résultats d’une enquête était devenue une mesure disciplinaire compte tenu de la longue période qui s’était écoulée avant que l’administrateur général mène une enquête adéquate - l’arbitre de grief avait assumé compétence pour entendre le grief et avait ordonné la réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé avec remboursement rétroactif de tous ses avantages sociaux, plus les intérêts, à un mois suivant la suspension initiale - l’administrateur général a demandé le contrôle judiciaire de cette décision - la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont statué que l’arbitre de grief avait erré dans le traitement qu’il a réservé à la preuve par ouï-dire - la Cour d’appel fédérale a également conclu que la décision initiale n’aurait pas dû être fondée sur les facteurs énoncés dans Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2002 CRTFP 9, afin d’évaluer le caractère approprié d’une suspension pour une période indéterminée en attendant l’issue d’une poursuite criminelle, mais plutôt sur les principes généraux en matière disciplinaire qui sont énoncés dans Wm. Scott & Co. Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 C.L.R.B.R. 1 - la Cour d’appel fédérale a renvoyé l’affaire au même arbitre de grief pour qu’elle soit jugée de nouveau [traduction] <<[...] en fonction du dossier actuel ou de toute autre preuve que l’arbitre de grief peut décider d’admettre [...]>> - l’administrateur général a demandé la tenue d’une nouvelle audience complète sur le fond du grief - l’arbitre de grief a déterminé que l’objectif de la nouvelle décision ordonnée par la Cour d’appel fédérale n’était pas de repartir à zéro comme si l’audience initiale n’avait jamais eu lieu, mais de corriger les erreurs qu’elle a relevées dans la décision initiale. Demande rejetée. Arguments écrits ordonnés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-12-16
  • Dossier:  566-02-417
  • Référence:  2010 CRTFP 131

Devant un arbitre de grieft


ENTRE

BALKAR SINGH BASRA

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Paul Love, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour le défendeur:
Richard Fader, avocat

Décision rendue à la suite d’une conférence de gestion des cas
tenue le 29 juin 2010.
(Traduction de la CRTFP)

Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Dans Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 70, j’ai statué que la décision initiale de suspendre Balkar Singh Basra, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), en attendant l’issue d’une enquête est devenue une mesure disciplinaire compte tenu de la longue période s’étant écoulée avant que l’administrateur général du Service correctionnel du Canada (l’« administrateur général ») ne mène une enquête adéquate. J’ai ordonné la réintégration du fonctionnaire à compter du 3 mai 2006. L’administrateur général a demandé le contrôle judiciaire de cette décision. La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire dans Canada (Procureur général) c. Basra, 2008 CF 606. Dans Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, la Cour d’appel fédérale m’a renvoyé l’affaire pour que je statue de nouveau en tenant compte des directives suivantes :

[…]

[31]    Par conséquent, l’appel sera rejeté, mais l’ordonnance du juge de la Cour fédérale sera modifiée de façon à ce qu’elle prévoit que l’affaire soit renvoyée à l’arbitre initial, ou à un autre arbitre s’il n’est pas disponible, pour être jugée de nouveau conformément aux présents motifs, en fonction du dossier actuel ou de toute autre preuve que l’arbitre peut décider d’admettre. […]

2 Le 12 avril 2010, j’ai proposé aux parties de fonder la nouvelle décision ordonnée par la Cour d’appel fédérale sur des arguments écrits. Le 26 avril 2010, les parties m’ont transmis leurs points de vue. Le fonctionnaire a souscrit à l’approche proposée. L’administrateur général a demandé la tenue d’une nouvelle audience complète sur le fond du grief. Sur mes instructions, les Opérations du greffe ont envoyé une lettre, le 13 mai 2010, afin de fixer l’échéancier pour les arguments écrits. Le 17 mai 2010, l’administrateur général a écrit aux Opérations du greffe pour faire valoir qu’une procédure fondée sur des arguments écrits basés sur le dossier existant constituerait un déni d’équité procédurale et pour demander la tenue d’une conférence de gestion des cas.

Résumé de l’argumentation

3      Une conférence de gestion des cas s’est tenue le 29 juin 2010, au cours de laquelle j’ai entendu les arguments de l’administrateur général et du fonctionnaire.

4      L’administrateur général a fait valoir qu’à l’audience initiale, s’étant tenue du 25 au 27 octobre 2006, il n’a pas considéré le présent grief à travers le prisme d’une suspension disciplinaire, ce qu’il devait maintenant faire à la suite de la décision de la Cour d’appel fédérale, et que pour traiter de la suspension d’un point de vue disciplinaire, il devait s’appuyer sur des éléments de preuve différents. Selon l’administrateur général, deux ou trois jours d’audience supplémentaires sont nécessaires pour traiter de ces questions. De l’avis de l’administrateur général, les faits maintenant connus au sujet du cas, ainsi que le fait que le fonctionnaire a été reconnu coupable au criminel d’agression sexuelle et qu’il a menti à la police, sont déterminants en l’espèce.

5      Le fonctionnaire a argué que les représentants de l’administrateur général étaient présents à l’audience et qu’ils ont été clairement avisés que le cas concernait une suspension disciplinaire. L’administrateur général veut plaider à nouveau son cas et produire de nouveaux éléments de preuve. Il serait injuste pour le fonctionnaire de lui permettre de soumettre une preuve après les faits.

6      En réponse, l’administrateur général a soutenu vouloir produire de nouveaux éléments de preuve pour traiter des questions soulevées dans la décision de la Cour d’appel fédérale qui sont fondamentalement différentes de celles sur lesquelles l’audience initiale a porté. Lorsqu’un administrateur général présente la preuve ayant trait à une mesure administrative, il produit juste assez de preuve pour traiter de cette mesure. L’administrateur général souhaite présenter la preuve qui, comme il le sait maintenant, justifie sa décision de suspendre le fonctionnaire en 2006. L’administrateur général a soutenu que cette affaire a été renvoyée à l’arbitre de grief en ouvrant la porte toute grande pour entendre de nouveaux éléments de preuve. Du point de vue de l’équité procédurale, il faut permettre à l’administrateur général de produire de nouveaux éléments de preuve à l’appui de sa décision de 2006, ce qu’il n’a pas fait à l’audience initiale. S’il existe une preuve qui fait la lumière sur sa décision initiale, l’administrateur général devrait être libre de produire cette preuve, sous réserve de l’approche élaborée par la Cour suprême du Canada dans Cie minière Québec Cartier c. Québec (arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095. Il n’y a pas d’iniquité pour le fonctionnaire puisqu’il aura l’occasion de s’exprimer sur la nouvelle preuve présentée.

Motifs

7      L’audience initiale concernait le grief suivant, tel que cité au premier paragraphe de 2007 CRTFP 70 :

[…]

Le 3 avril 2006, Randie Scott, directeur par intérim de l’établissement de Matsqui, m’a suspendu indéfiniment sans traitement en attendant les résultats d’une enquête. Je conteste cette sanction disciplinaire injustifiée, excessive et non fondée en fait et en droit.

[…]

La question soulevée dans le grief est que l’administrateur général n’aurait pas dû suspendre le fonctionnaire indéfiniment, en attendant l’issue d’une enquête, parce que cela constituait une mesure disciplinaire. L’administrateur général ne pouvait pas avoir mal compris la position du fonctionnaire.

8      L’administrateur général a soutenu qu’il n’a pas été en mesure de produire certains éléments de preuve à l’audience initiale sans contredire sa position selon laquelle la suspension avait été une décision administrative. La Cour d’appel fédérale a renvoyé à cet argument au paragraphe 27 de 2010 CAF 24.

9      Lorsqu’elles produisent leur preuve à une audience en arbitrage, les parties prennent des décisions stratégiques sur la manière de présenter la preuve et les arguments. À moins d’une décision de l’arbitre de grief de séparer les questions soulevées dans une procédure, les parties sont tenues de traiter de l’ensemble des questions du grief lors de l’audience d’arbitrage. Il est fréquent qu’à l’audience les parties soulèvent des arguments subsidiaires et produisent des éléments de preuve à l’appui de ces arguments. Les deux parties en l’espèce ont pris des décisions stratégiques lorsqu’elles ont présenté leur preuve à l’audience initiale — par exemple, l’administrateur général a décidé de faire entendre un témoin et le fonctionnaire a choisi de ne pas témoigner. Le fait que, pour des raisons stratégiques, l’administrateur général a opté pour une certaine façon de procéder à l’audience initiale ne justifie pas, à mon avis, la tenue d’une nouvelle audience complète sur la preuve pour rendre une nouvelle décision, en conformité avec les directives de la Cour d’appel fédérale, comme si l’audience initiale n’avait jamais eu lieu et les décisions stratégiques initiales n’avaient jamais été prises. On ne peut pas dire que l’administrateur général a été induit en erreur par le grief, qui contestait clairement la nature disciplinaire de la suspension.

10 Je remarque également que je n’ai pas rendu de décision, à l’audience initiale, qui aurait empêché l’administrateur général de produire une preuve qu’il avait prévu de présenter pour appuyer sa thèse. Il est banal de l’affirmer mais, en règle générale, les parties n’ont droit qu’à une seule chance lorsqu’elles défendent leur cause dans le cadre d’un grief. On s’attend à ce que les parties avancent la totalité de leur preuve et de leurs arguments lors d’une audience d’arbitrage. À mon avis, la nouvelle décision qu’a ordonnée la Cour d’appel fédérale ne vise pas à permettre à l’administrateur général de recommencer à neuf sans tenir compte d’une audience ayant déjà eu lieu. La Cour d’appel fédérale envisageait clairement que la preuve dont je disposais déjà pouvait être suffisante lorsqu’elle m’a ordonné de juger de nouveau l’affaire « […] en fonction du dossier actuel ou de toute autre preuve que l’arbitre peut décider d’admettre ».

11 Cette nouvelle décision a pour but de corriger des erreurs que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont relevé dans le processus décisionnel ayant mené à la décision 2007 CRTFP 70. Les deux cours ont jugé que la preuve par ouï-dire (aux paragraphes 120 et 129 de 2007 CRTFP 70) a été tenue en compte par erreur. La Cour d’appel fédérale a également conclu que le mauvais critère a été appliqué dans la décision initiale et que le cas n’aurait pas dû être tranché en conformité avec les facteursénoncés dans Larson (Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 9), mais plutôt avec l’approche habituelle dans les griefs disciplinaires, étant énoncée dans Wm. Scott & Co Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 C.L.R.B.R. 1. Compte tenu du but de cette nouvelle décision, j’estime pouvoir appliquer les facteurs établis dans Wm. Scott & Co Ltd.,auxquels renvoie la décision de la Cour d’appel fédérale, à la preuve produite à l’audience initiale, en m’appuyant sur les arguments des parties. Ces facteurs sont :

  • L’administrateur général a-t-il démontré qu’il y a eu infraction au Code de discipline et aux Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada?
  • Si l’administrateur général a démontré qu’il y a eu infraction au Code de discipline et aux Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada, la mesure disciplinaire imposée était-elle excessive?
  • Si la mesure disciplinaire imposée était excessive, quelle mesure aurait été appropriée dans les circonstances?

12 Après avoir entendu les parties à la conférence de gestion des cas, je demeure convaincu que je peux instruire la présente affaire à partir des arguments écrits des parties sur l’application des facteurs énoncés dans Wm. Scott & Co. Ltd. à la preuve versée au dossier existant dont je dispose.

13 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

14 La demande de l’administrateur général relativement à la tenue d’une nouvelle audience complète sur le fond du grief est rejetée.

15 J’ordonne à l’administrateur général de transmettre aux Opérations du greffe, avec copie au fonctionnaire, avant la fermeture des bureaux le 31 janvier 2011, ses arguments écrits sur l’application des facteurs énoncés dans Wm. Scott & Co Ltd. à la preuve en l’espèce.

16 Par ailleurs, j’ordonne au fonctionnaire de transmettre aux Opérations du greffe, avec copie à l’administrateur général, avant la fermeture des bureaux le 28 février 2011, ses arguments écrits sur l’application des facteurs énoncés dans Wm. Scott & Co Ltd. à la preuve en l’espèce.

17 En dernier lieu, j’ordonne à l’administrateur général de transmettre aux Opérations du greffe ses arguments en réfutation, avec copie au fonctionnaire, avant la fermeture des bureaux le 18 mars 2011.

Le 16 décembre 2010.

Traduction de la CRTFP

Paul Love,
arbitre de grief

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