Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) avait déclaré dans une décision antérieure que l’organisation syndicale avait agi de façon arbitraire en retirant le grief de la plaignante - la Commission a ordonné à l’organisation syndicale, aux termes de l’alinéa 192(1)d) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, d’exercer le recours de grief prévu à la convention collective. Mesure de redressement ordonnée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-11-23
  • Dossier:  561-02-452
  • Référence:  2010 CRTFP 124

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

MONIKA MÉNARD

plaignante

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, commissaire

Pour la plaignante:
Chantal Beaupré, avocate

Pour la défenderesse:
Patricia Harewood, Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 10 novembre 2010.

I. Plainte devant la Commission

1 Le 26 avril 2010, Monika Ménard (la « plaignante ») a déposé une plainte contre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « défenderesse » ou l’ « AFPC ») alléguant que cette dernière s’était livrée à une pratique déloyale au sens de l’article 185 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Dans Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 95, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a conclu que la plainte de Mme Ménard était fondée et que la défenderesse avait enfreint l’article 187 de la Loi. La Commission a alors décidé de convoquer les parties pour une nouvelle audience qui s’est tenue le 10 novembre 2010 afin de déterminer les mesures de réparation qui devraient être accordées.

2 La plainte du 26 avril 2010 faisait suite au retrait par la défenderesse d’un grief qu’elle avait déposé le 4 novembre 2009 au nom de la plaignante. L’énoncé de ce grief et des mesures correctives demandées se lisaient comme suit :

Énoncé du grief :

Je conteste les actions de l’employeur puisque je n’ai pas bénéficier d’un milieu de travail harmonieux et avantageux.

Mesures correctives demandées :

Que je bénéficie d’un milieu de travail harmonieux et avantageux, et; qu’aucun préjudice soit émis envers moi pour avoir soumis ce grief, et; que je sois sujet à un dédommagement salariale, et; que je sois sujet à un redressement complet.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

3 Peu de temps après le dépôt du grief, la plaignante a obtenu un autre emploi dans la fonction publique fédérale et a quitté le ministère qui était visé par le grief du 4 novembre 2009. Ce ministère a informé Raymond Brossard, un représentant de la défenderesse, du départ de la plaignante. M. Brossard a alors communiqué avec la plaignante pour qu’elle confirme qu’elle occupait un nouvel emploi. Cette dernière n’a pas répondu. M. Brossard a de nouveau communiqué avec la plaignante et lui a demandé de lui confirmer avant le 27 novembre 2009 si elle avait ou non accepté un autre emploi. Si c’était le cas, il ne pourrait donner suite à son grief « […] car il ne serait plus applicable ». Le 26 novembre 2009, la plaignante a répondu à M. Brossard mais elle a omis de traiter de la question relative à son acceptation d’un nouvel emploi. Le 27 novembre 2009, M. Brossard a de nouveau demandé à la plaignante si elle occupait un nouvel emploi. Le 7 décembre 2009, la plaignante a répondu mais elle a omis de traiter de la question du nouvel emploi. À la suite de cette réponse de la plaignante, M. Brossard a demandé de nouveau à la plaignante si elle occupait un nouvel emploi. Le 13 décembre 2009, la plaignante a répondu qu’elle occupait un autre emploi à la fonction publique fédérale et qu’elle payait toujours des cotisations syndicales à l’AFPC.

4 Le 26 janvier 2010, M. Brossard a écrit à la plaignante pour l’informer qu’il fermait son dossier car elle ne lui avait pas fourni l’information au sujet de son nouvel emploi avant le 27 novembre 2009. Il ajouté que puisqu’elle occupait maintenant un nouvel emploi, son ancien employeur ne pouvait plus lui accorder le redressement demandé dans son grief. M. Brossard a aussi informé la plaignante qu’il allait aviser son ancien employeur qu’il considérait le dossier comme clos.

5 À la suite de l’analyse de la preuve et de la jurisprudence, la Commission a conclu dans la décision 2010 CRTFP 95 que la défenderesse n’avait pas agi de mauvaise foi ou de façon discriminatoire mais que sa décision de retirer le grief de la plaignante était arbitraire. Les paragraphes suivants de la décision motivent la conclusion de la Commission :

[25]    En me reportant à la définition et à la jurisprudence relative à la notion d’arbitraire, j’en arrive à la conclusion que la défenderesse, plus particulièrement M. Brossard, a agi de façon arbitraire lorsqu’elle a décidé de fermer ou de ne pas poursuivre le dossier de grief de la plaignante. Ce qui est arbitraire ici n’est pas le refus de la défenderesse de donner suite au grief, mais plutôt les motifs de ce refus.

[26] Quand M. Brossard a informé la plaignante et l’employeur le 26 janvier 2010, qu’il ne poursuivait plus le traitement du grief, il avait déjà été informé par cette dernière depuis le 13 décembre 2009, qu’elle occupait un emploi ailleurs dans la fonction publique fédérale. Il était arbitraire pour lui de ne pas donner suite au grief au motif que la plaignante aurait dû, comme il l’avait demandé, l’en informer avant le 27 novembre, soit deux semaines plus tôt. Rien ne m’a été soumis pour me convaincre que, dans les circonstances, ces deux semaines changeaient quoi que ce soit. Certes, la plaignante aurait pu agir de façon plus diligente en informant M. Brossard dès le 17 novembre 2009 qu’elle occupait un nouvel emploi. Même si elle ne l’a pas fait, cela n’excuse pas la décision de la défenderesse. Quand elle a indiqué à la plaignante qu’elle fermait le dossier de grief, la défenderesse avait été informée six semaines plus tôt par la plaignante que cette dernière occupait un nouvel emploi. La défenderesse semble avoir décidé de « punir » la plaignante car elle n’avait pas respecté le délai que la défenderesse avait établi. La défenderesse ne m’a fourni aucune explication sur l’importance de ce délai du 27 novembre 2009. J’en arrive à la conclusion qu’il a été imposé de façon arbitraire.

[27]    L’autre motif à l’appui de la décision de M. Brossard de ne pas poursuivre le traitement du grief était que le redressement demandé dans le grief était devenu inapplicable puisque l’ancien employeur de la plaignante ne pouvait plus le lui accorder. Dans son grief, la plaignante demandait d’une part, un milieu de travail sain et à ne pas subir de préjudice pour avoir soumis son grief. Sur ce point, la conclusion de M. Brossard va de soi étant donné que la plaignante ne travaillait plus pour son ancien employeur. D’autre part, la plaignante demandait un dédommagement salarial. Rien ne m’a été soumis par la défenderesse pour me convaincre que, dans les circonstances, un tel dédommagement ne pouvait être revendiqué au nom de la plaignante même si celle-ci ne travaillait plus pour son ancien employeur. La défenderesse ne m’a pas davantage démontré que la conclusion à laquelle elle est arrivée reposait sur une étude sérieuse du dossier, de la nature des pertes salariales en question et des probabilités d’obtenir la réparation demandée. La décision de ne pas poursuivre le grief était peut-être la bonne mais le motif ici invoqué relève manifestement de l’arbitraire.

II. Résumé de la preuve

6 La plaignante a témoigné et elle a présenté divers documents à l’appui des pertes et des dommages qu’elle prétend avoir subis à la suite des agissements de la défenderesse. La défenderesse n’a pas appelé de témoin, ni déposé de documents.

7 La plaignante travaillait au Bureau de la traduction jusqu’à la mi-novembre 2009. Elle a alors obtenu une mutation au ministère de la Justice. Elle a témoigné qu’elle a quitté le Bureau de la traduction parce qu’elle ne pouvait plus y travailler à cause du harcèlement qu’elle y subissait depuis sept années, mais de façon plus importante à partir de 2008. Son médecin, comme en font foi les certificats médicaux présentés à l’audience, lui avait recommandé de changer d’emploi. 

8 En raison de ce que la plaignante vivait au travail, son état de santé a été sérieusement affecté. Elle a dû prendre un congé de maladie prolongé, puis demander des prestations d’invalidité de longue durée. En tout, elle a été en congé de maladie payé pendant 13 semaines et elle a reçu des prestations d’invalidité équivalant à 70 % de son salaire pendant 4 mois. La valeur monétaire des 13 semaines de congé de maladie est de 13 000 $. La différence entre les prestations d’invalidité et le salaire que la plaignante aurait reçu est de 8 625 $.

9 Entre juillet 2008 et novembre 2009, la plaignante a dû faire appel aux services d’une psychologue pour l’aider à faire face à ce qu’elle vivait ou avait vécu au travail. La plaignante a déboursé 859 $ pour ces services. Après novembre 2009, la plaignante n’a pas fait appel aux services de la psychologue.   

10 En 2008, le salaire de la plaignante était de 83 547 $. Elle a alors payé 1 099 $ en cotisations syndicales. Ses cotisations syndicales en 2009 ont été moindres puisqu’elle a été en congé d’invalidité pour une partie de l’année.

11 La plaignante a déclaré dans son témoignage qu’elle se sentait dépressive à l’automne 2009. En novembre et décembre 2009, M. Brossard lui a demandé à plusieurs reprises si elle avait changé d’emploi. La plaignante s’est alors sentie harcelée en raison de l’insistance de M. Brossard. Puis, la plaignante s’est sentie abandonnée en janvier 2010 par le retrait de son grief par M. Brossard. La plaignante est alors devenue anxieuse. Cela a eu un impact sur son travail car elle se remettait continuellement en question.

12 La plaignante a déclaré d’emblée qu’elle ne veut pas réactiver son grief de novembre 2009. Elle ne veut plus avoir à faire face à son ancien employeur, avoir à s’absenter de son travail actuel pour le faire et avoir à confronter ces problèmes qui sont maintenant derrière elle. En contre-interrogatoire, la plaignante a tempéré ses propos en déclarant plutôt qu’elle ne savait pas si elle était disposée à le faire. 

13 La plaignante a déposé un mémoire de dépens au titre des honoraires et débours faits par ses avocats pour se préparer et participer à la présente audience. Ce mémoire fait état d’honoraires et de débours totalisant 6 398,63 $. 

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

14 Selon la plaignante, elle a droit à une réparation adéquate à la suite des préjudices qui lui ont été occasionnés par le retrait arbitraire de son grief par la défenderesse. Même si l’alinéa 192(1)d) de la Loi propose une mesure de réparation spécifique, le paragraphe 192(1) de la Loi confère à la Commission le pouvoir d’ordonner la réparation qu’elle estime indiquée. 

15 Si la Commission ordonne à la défenderesse de demander au président de la Commission de proroger le délai pour soumettre un nouveau grief, il est possible que la prorogation de délai soit refusée. Dans un tel cas, la plaignante n’aurait rien obtenu. Elle se retrouverait sans aucun recours pour faire valoir les droits que son employeur, puis la défenderesse, n’ont pas respectés. Qui plus est, la plaignante n’a plus confiance en la défenderesse. La Commission devrait donc écarter cette option qui risque de ne rien réparer.

16 Pendant sept années, la plaignante a vécu une situation très difficile au travail ce qui l’a rendue malade. Elle a alors subi des pertes monétaires importantes qu’elle espérait réclamer à son employeur dans son grief de novembre 2009. Elle a aussi payé pour les services d’une psychologue. Puisque la défenderesse a décidé arbitrairement de retirer le grief, elle est imputable de ces pertes et dépenses. Selon la plaignante, elle doit apprendre une leçon de ses manquements et la compenser adéquatement.

17 La plaignante a vécu du stress, de l’angoisse et une perte de jouissance de la vie à la suite du retrait de son grief par la défenderesse. Cette dernière savait bien tous les problèmes que vivait la plaignante au travail. La défenderesse a laissé tomber la plaignante contrairement aux engagements pris lors du dépôt du grief en novembre 2009. Dans de telles circonstances, le droit commun prévoit des dommages qui se situent entre 7 500 $ et 15 000 $. La Commission devrait ordonner à la défenderesse les dommages maximaux prévus par le droit commun.

18 La plaignante demande que la défenderesse lui fasse parvenir une lettre d’excuses. Elle demande aussi le remboursement de ses cotisations syndicales pour la période pendant laquelle elle n’a pas reçu la représentation à laquelle elle avait droit. Enfin, la plaignante demande à la Commission d’ordonner à la défenderesse de lui rembourser les frais juridiques qu’elle a encourus pour se préparer et participer à cette audience.

19 La plaignante m’a renvoyé aux décisions suivantes : Lauscher v. Berryere, [1999] S.J. No. 115 (Q.L.) Saskatchewan Court of Appeal et Mundell v. Wesbild Holdings Ltd., 2007 BCSC 1326.

B. Pour la défenderesse

20 La défenderesse a accepté la décision 2010 CRTFP 95 et n’en a pas demandé le contrôle judicaire par la Cour d’appel fédérale. Elle est donc disposée à accepter une mesure de réparation adéquate qui est reliée à l’infraction qu’elle a commise.

21 La défenderesse est d’avis que la mesure de réparation adéquate est d’obtenir du président de la Commission une prorogation de délai afin de permettre à la plaignante de déposer un grief qui aurait comme effet de rouvrir le grief qui a été retiré en janvier 2010. La défenderesse assurerait la représentation entière de la plaignante dans cette demande de prorogation de délai. Cependant, la défenderesse note que la plaignante n’est peut-être pas disposée à présenter cette demande qui ne peut être déposée sans son accord.

22 La plaignante demande à la Commission d’ordonner à la défenderesse de lui rembourser les pertes financières qu’elle a encourues en 2009. Rien dans la preuve présentée n’appuie la proposition que ces pertes ont été causées par la défenderesse. Dans les faits, les pertes de la plaignante ont plutôt été causées par son employeur dont les agissements ont affecté sa santé. La preuve n’appuie pas non plus l’octroi de dommages punitifs à la plaignante. Qui plus est, la Commission n’a jamais accordé de tels dommages comme mesure de réparation à la suite d’une plainte sur le manquement au devoir de représentation équitable.

IV. Motifs

23 Dans la décision 2010 CRTFP 95, la Commission a déclaré que la décision de la défenderesse de retirer le grief de la plaignante en janvier 2010 était arbitraire. La Commission a alors conclu que la défenderesse avait enfreint l’article 187 de la Loi qui se lit comme suit :

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

24 Le paragraphe 192(1) de la Loi porte sur les mesures de réparation que la Commission peut ordonner lorsqu’elle décide qu’une plainte est fondée. Les parties du paragraphe 192(1) qui sont pertinentes dans la présente affaire se lisent comme suit :

192. (1) Si elle décide que la plainte présentée au titre du paragraphe 190(1) est fondée, la Commission peut, par ordonnance, rendre à l’égard de la partie visée par la plainte toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances et, notamment :

[…]

d) en cas de contravention par une organisation syndicale de l’article 187, lui enjoindre d’exercer, au nom du fonctionnaire, les droits et recours que, selon elle, il aurait dû exercer ou d’aider le fonctionnaire à les exercer lui-même dans les cas où il aurait dû le faire;

[…]

25 Le paragraphe 192(1) de la Loi stipule que la Commission peut rendre toute ordonnance qu’elle estime indiquée en cas de contravention de la Loi en référant plus particulièrement à l’alinéa d) dans le cas d’une contravention de l’article 187 de la Loi. Se pose dès lors la question de savoir si l’ordonnance de la Commission dans la présente affaire doit se limiter aux mesures prévues à l’alinéa d) ou si l’ordonnance peut comporter d’autres mesures de réparation. La réponse à cette question dépend du sens qu’on donne au mot « notamment » du paragraphe 192(1).

26 À moins que le législateur n’ait défini un terme, on s’en remet habituellement à son sens commun. Sur ce point, Pierre-André Côté dans Interprétation des Lois, 3e édition écrit ce qui suit :

[…]

Comme on présume que l’auteur de la loi entend être compris des justiciables, c’est-à-dire de l’ensemble de la population régie par le texte législatif, la loi est réputée être rédigée selon les règles de la langue en usage dans la population.

[…]

Le juge est censé connaître le sens courant des mots. Il est néanmoins pratique courante de se référer aux dictionnaires de langue qui ont pour fonction de rendre compte des usages linguistiques d’une communauté à un moment donné.

27 Selon le dictionnaire Le Petit Robert, les synonymes de « notamment » sont « particulièrement », « singulièrement » ou « spécialement ». Le Petit Robert définit le mot « notamment » comme suit :

NOTAMMENT : D’une manière qui mérite d’être notée (pour attirer l’attention sur un ou plusieurs objets particuliers faisant partie d’un ensemble précédemment désigné ou sous-entendu).

28 Les alinéas192(1)a) à f) de la Loi renvoient aux ordonnances particulières en lien avec les diverses contraventions de la Loi qui peuvent faire l’objet d’une plainte selon le paragraphe 190(1). Une analyse sommaire des alinéas 192(1)a) à f) de la Loi révèle que l’intention du législateur est de prévoir des ordonnances spécifiquement adaptées aux différentes contraventions de la Loi. De façon générale, l’ordonnance vise à rendre au plaignant ou à la plaignante ce qui a été perdu ou non reçu à la suite de la contravention de la Loi. Dans le cas particulier d’un manquement au devoir de représentation, l’alinéa192(1)d) de la Loi stipule que la Commission peut enjoindre le syndicat à exercer, au nom du plaignant ou de la plaignante, les droits et recours qu’il aurait dû exercer ou de l’aider à les exercer lui-même. Il est clair que la mesure de réparation vise directement la contravention commise.

29 Dans ce cadre juridique, le mot « notamment » du paragraphe192(1) de la Loisert à introduire ou à « noter » les mesures particulières adaptées à diverses contraventions de la Loi. Il ne doit cependant pas être compris comme limitant les pouvoirs de la Commission d’ordonner d’autres mesures en autant que ces mesures aient un lien logique avec la contravention commise.

30 Le paragraphe 99(1) du Code canadien du travail (le « Code ») comprend des dispositions en bonne partie comparables à celles prévues au paragraphe192(1) de la Loi. Eu égard aux limites du pouvoir de réparation du Conseil canadien des relations industrielles, la Cour suprême du Canada, dans Royal Oak Mines Inc. c. Canada (C.R.T.), [1996] 1 R.C.S. 369, a écrit ce qui suit :

[…]

La réparation imposée par le Conseil n'était pas manifestement déraisonnable, mais au contraire était très judicieuse et convenait parfaitement aux données du cas. Une ordonnance réparatrice est tenue pour manifestement déraisonnable: (1) lorsque la réparation est de nature punitive; (2) lorsque la réparation accordée porte atteinte à la Charte; (3) lorsqu'il n'y a pas de lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation; (4) lorsque la réparation va à l'encontre des objectifs du Code. En l'espèce, il y avait un lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation, et la réparation réaffirmait les objectifs du Code.

[…]

31 À la lumière du libellé du paragraphe 192(1) de la Loi et de la règle dans Royal Oak Mines, les mesures de réparation que je peux ordonner dans la présente affaire ne sont pas limitées aux mesures stipulées à l’alinéa 192(1)d) de la Loi mais elles doivent avoir un lien rationnel avec la contravention de la Loi et ses conséquences. Ces mesures ne doivent pas être de nature punitive, ni porter atteinte à la Charte canadienne de droits et libertés ou aller à l’encontre des objectifs de la Loi.

32 La plaignante demande que la Commission ordonne à la défenderesse qu’elle lui verse ce qui suit : plus de 20 000 $ à titre de pertes financières subies en 2009, 859$ pour les honoraires d’une psychologue, les cotisations syndicales payées à la défenderesse, une somme de 15 000$ à titre de dommages et un paiement de 6 398 $ pour les frais juridiques encourus. La plaignante demande aussi que la défenderesse lui envoie une lettre d’excuse.

33 Il n’est pas à propos d’ordonner que la défenderesse indemnise la plaignante pour les pertes financières qu’elle a subis en 2009 lorsqu’elle a été malade. De l’aveu même de la plaignante, sa maladie résultait du traitement que son employeur lui avait fait subir. Qui plus est, les pertes en question sont survenues bien avant que la défenderesse enfreigne la Loi. N’ayant aucunement contribué aux pertes, la défenderesse ne peut en être tenue responsable. Il en est de même pour les honoraires de la psychologue dont les consultations ont précédé l’infraction à la Loi par la défenderesse. Il est clair que la plaignante n’a pas consulté sa psychologue pour des traumatismes ou des enjeux découlant des actions ou décisions de la défenderesse.

34 La plaignante réclame toutes les cotisations syndicales qu’elle a versées pendant la période en question. Elle n’a pas précisé cette période, mais elle ne peut couvrir, à la limite, que de janvier à novembre 2010. Certes, la plaignante n’a pas bénéficié de la représentation syndicale à l’égard de son grief de novembre 2009 car la défenderesse a retiré son grief. Par contre, la plaignante a bénéficié de tous les avantages et de toutes les protections de la convention collective. Elle aurait pu avoir recours aux services syndicaux si elle avait vécu d’autres problèmes au travail. En somme, elle a tiré bénéfice de son statut de membre de l’unité de négociation. Je ne suis donc pas prêt à accepter sa demande de remboursement des cotisations qu’elle a versées.

35 La plaignante réclame des dommages de 15 000 $. La Cour suprême du Canada dans Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39 a établi que les dommages punitifs ne sont appropriés que dans les situations d’actes fautifs malicieux. Dans Lauscher, décision qui m’a été soumise par la plaignante, la Cour d’appel de la Saskatchewan écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Des dommages punitifs peuvent être accordés dans les situations où l’inconduite du défendeur est tellement malicieuse, oppressive et despotique que le sens de décence de la Cour en est offensé […]

[…]

36 Rien dans ce qui m’a été soumis pourrait m’amener à conclure que la défenderesse a agi de façon malicieuse, oppressive ou despotique, voire même de façon discriminatoire ou de mauvaise foi. La défenderesse a plutôt pris une décision arbitraire. De plus, aucune jurisprudence ne m’a été soumise dans laquelle un tribunal administratif ou judiciaire avait accordé des dommages punitifs à la suite d’un manquement au devoir de représentation. Je ne suis donc pas disposé à ordonner le paiement de tels dommages.

37 La plaignante demande le remboursement de ses frais juridiques ou de ses dépens. Je n’ai pas le droit d’ordonner le paiement de dépens. Dans Canada (Procureur général) c. Mowat et Commission canadienne des droits de la personne, 2009 CAF 309, la Cour d’appel fédérale considère que le mot « dépens » est un terme technique juridique et que la loi constitutive d’un tribunal administratif doit explicitement lui accorder le pouvoir d’accorder des dépens pour qu’il puisse le faire. Se prononçant sur le droit du Tribunal canadien des droits de la personne d’accorder des dépens en l’absence d’une disposition législative explicite le prévoyant, la Cour d’appel fédérale, dans Mowat, a écrit ce qui suit :

[95]    Je reviens au point de départ. La recherche vise à déterminer si le législateur voulait investir le Tribunal du pouvoir d’accorder des dépens au plaignant ayant gain de cause. Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que le législateur n’avait pas l’intention d’investir, et n’a pas investi, le Tribunal du pouvoir d’accorder des dépens. Conclure que le Tribunal peut accorder des dépens au titre des « dépenses entraînées par l’acte » aurait pour effet d’introduire indirectement dans la Loi un pouvoir qui ne correspondait pas à l’intention du législateur.

38 La plaignante demande aussi que la défenderesse lui fasse parvenir une lettre d’excuses. Je ne peux ordonner à la défenderesse d’écrire une telle lettre car cela est contraire à ce qui a été établi dans la jurisprudence (Banque nationale du Canada c. Syndicat international des employés de commerce, [1984] 1 R.C.S. 269). D’une part, l’ordonnance pourrait être perçue comme une atteinte à la liberté d’opinion. D’autre part, elle serait vide de sens car les excuses, pour être vraies, ne peuvent être forcées. Je ne suis donc pas disposé à ordonner une telle mesure de réparation. En rendant la décision 2010 CRTFP 95, la Commission a déjà établi que la défenderesse avait enfreint la Loi. Cette reconnaissance me semble suffire.

39 La défenderesse a pour sa part indiqué que la mesure de réparation appropriée serait qu’elle aide la plaignante à présenter une demande au président de la Commission afin qu’il consente à proroger le délai de grief pour permettre à la plaignante d’en déposer un nouveau. Même si cette mesure de réparation est reliée à la faute commise par la défenderesse, j’estime qu’il s’agit là d’un détour inutile et pas nécessairement efficace pour redonner à la plaignante l’opportunité de faire valoir ses droits auprès de son ancien employeur. En effet, rien ne garantit, comme l’a fait valoir la plaignante, que le président de la commission accordera la prorogation de délai. En cas de refus du président, la plaignante se retrouverait sans aucun recours.

40 La meilleure mesure de réparation directement reliée au retrait arbitraire du grief par la défenderesse est de réactiver le grief et d’ordonner à la défenderesse d’en assurer la représentation pleine et entière. Cette mesure remet les parties dans l’état où elles se seraient trouvées n’eut été de l’acte fautif de la défenderesse. Qui plus est, une telle mesure cadre bien avec celle prévue à l’alinéa 192(1)d) de la Loi.

41 Dans Riley et al. c. Syndicat uni du transport, section locale 1374, 2008 CCRI 419, le Conseil canadien des relations industrielles a conclu que le syndicat avait manqué à son devoir de représentation en retirant arbitrairement le grief des plaignants. Le Conseil a ordonné, invoquant ses pouvoirs réparateurs qui sont comparables à ceux de la Commission, que le syndicat renvoie à l’arbitrage le grief qui avait été retiré et qu’il prenne en charge les honoraires de l’avocat qui assurerait la représentation à l’arbitrage. La décision du Conseil a été entérinée par la Cour d’appel fédérale dans Amalgamated Transit Union, section locale 1374 c. Riley, 2010 CAF 11.

42 Comme dans Riley, le retrait du grief de la plaignante par la défenderesse était illégal car il a été fait en contravention de la Loi. La Commission peut donc ordonner à la défenderesse de le poursuivre. Le grief sera traité comme s’il n’avait jamais été retiré.

43 La présente affaire se distingue de Canada (Procureur général) c. Lebreux (C.A.F.),[1994] A.C.F. no 1711 (QL). Dans Lebreux, la Cour fédérale d’appel a annulé la décision de la Commission d’ordonner la réouverture de deux griefs et leur renvoi à l’arbitrage après que les griefs aient été retirés par le syndicat à la suite d’une entente entre les parties. Peu de temps après la conclusion de l’entente, le syndicat avait constaté qu’elle n’était pas satisfaisante pour l’employé. Le syndicat avait alors demandé à la Commission de fixer une nouvelle date d’audience pour entendre les deux griefs. La Commission ordonna la réouverture du dossier et accepta le renvoi à l’arbitrage. L’essentiel des motifs de la Cour d’appel fédérale d’annuler la décision se lit comme suit :

12. À partir du moment où l’intimé s’est désisté de ses griefs, la Commission et l’arbitre désigné sont devenus functus officio puisqu’ils ont été alors déssaisis du litige. La Commission n’avait ni à s’enquérir du mérite et de l’opportunité d’un tel désistement ni à décider de l’accepter ou de le refuser. L’acte de désistement a mis, immédiatement et sans plus, un terme aux procédures à l’égard desquelles il fut produit. En conséquence, aucune ordonnance ou décision ne pouvait être et n’a été rendue au sens de la Loi qui puisse faire l’objet d’une annulation ou d’une révision sous l’article 27.      

44 À la différence de Lebreux, le désistement du grief dans la présente affaire a été fait en contravention de la Loi. Dans Lebreux, le syndicat a voulu réactivé les griefs parce que l’employé n’était pas satisfait de l’entente négociée entre les parties. Il s’agissait là d’un désistement tout à fait légitime permis par la Loi. Pour la Cour, l’acte de désistement mettait fin au grief. La règle établie dans Lebreux ne s’applique cependant pas dans une affaire où le désistement était illégal.

45 Dans un tel cas, la Commission a la pouvoir d’annuler le désistement et de réactiver le grief, sans quoi elle ne pourrait directement rétablir le recours qui a été illégalement enlevé à un fonctionnaire. Qui plus est, les mesures de réparation prévues à l’alinéa 192(1)d) de la Loi deviendraient futiles et inapplicables dans le cas d’un manquement au devoir de représentation juste impliquant un grief portant sur l’application ou l’interprétation de la convention collective. En vertu du paragraphe 208(4) de la Loi, le fonctionnaire ne peut poursuivre un tel grief sans l’appui du syndicat. Compte tenu qu’une plainte à la Commission contre la décision du syndicat de retirer un tel grief ne peut évidemment être entendue avant le retrait du grief, les mesures de réparation de l’alinéa 192(1)d) de la Loi deviennent inapplicables si la Commission n’a pas le pouvoir d’annuler le désistement et de réactiver le grief. La Commission doit nécessairement d’abord être en présence d’un grief actif pour pouvoir ordonner, comme le prévoit l’alinéa 192(1)d), à l’organisation syndicale d’exercer les droits et recours qui auraient du être exercés n’eut été de la violation de la Loi.

46  Ma décision d’annuler le retrait du grief et de le réactiver a un impact certain sur l’employeur pour qui le dossier de grief avait été fermé. La Commission a envoyé une copie de la plainte à l’employeur lors de son dépôt en avril 2010. Dans sa plainte, la plaignante demandait que la défenderesse « dépose son grief et y donne suite ». La Commission a par la suite envoyé à l’employeur une copie des soumissions écrites des parties et une copie de la décision 2010 CRTFP 95 où la Commission a conclu que la plainte était fondée. Puis, la Commission a informé l’employeur de l’audience du 10 novembre 2010 qui portait uniquement sur les mesures de réparation. Même s’il a eu plusieurs occasions d’intervenir dans la présente affaire, l’employeur a choisi de ne pas le faire. À mon avis, le préjudice causé à l’employeur par la réactivation du grief est considérablement moindre que celui qui serait causé à la plaignante dans le cas contraire. Ma décision implique simplement, qu’en novembre 2010, l’employeur devient de nouveau saisi d’un grief qui était devant lui en janvier 2010 avant qu’il soit illégalement retiré par la défenderesse.

47 Lors de son témoignage, la plaignante a déclaré qu’elle ne savait pas si elle était disposée à « réactiver » son grief car elle ne voulait plus faire face à son ancien employeur et s’absenter de son travail pour le faire. Même si je comprends les appréhensions de la plaignante, il n’en demeure pas moins que son grief ne peut être réglé que par l’employeur, et que par conséquent, la réparation ordonnée est la seule possible.

48 Puisque le lien de confiance entre la plaignante et la défenderesse a été pour le moins ébranlé par le retrait arbitraire par la défenderesse du grief de la plaignante, je suggère fortement que la défenderesse consulte la plaignante dans le choix de la personne qui la représentera aux différents paliers de la procédure de griefs et lors du renvoi à l’arbitrage au besoin. Je ne suggère pas ici à la défenderesse de payer un avocat à la plaignante mais plutôt de la consulter avant de choisir la personne qui représentera le grief.  

49 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

50 J’annule le retrait du grief de la plaignante par la défenderesse.

51 J’ordonne à la défenderesse d’assurer une représentation pleine et entière du grief de la plaignante.

Le 23 novembre 2010.

Renaud Paquet,
commissaire

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