Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté le non-renouvellement de son contrat d’emploi pour une période déterminée - l’arbitre de grief a jugé que l’emploi s’était terminé du seul fait de la fin du contrat - l’arbitre de grief a rejeté le grief faute de compétence. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-12-20
  • Dossier:  566-02-3334
  • Référence:  2010 CRTFP 133

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MICHEL CHOUINARD

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère de la Défense nationale)

défendeur

Répertorié
Chouinard c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
France St-Laurent, avocate

Pour le défendeur:
Nadia Hudon, avocate

Affaire entendue à Montréal (Québec),
le 22 novembre 2010.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le fonctionnaire s'estimant lésé, Michel Chouinard (le « fonctionnaire »), était un employé du ministère de la Défense nationale (le « ministère » ou l’ « employeur », selon le contexte). Au moment de son licenciement, il occupait un poste de technologue en électronique au niveau EL-04. Il est membre de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 (le « syndicat »). 

2 Le 28 février 2008, le fonctionnaire a reçu une lettre lui indiquant que sa période d’emploi pour une durée déterminée prenait fin le 31 mars 2008 et que son contrat n’était pas renouvelé. Le 2 avril 2008, le fonctionnaire a déposé un grief alléguant un congédiement déguisé et un grief concernant son évaluation de rendement. 

3 Le 3 juillet 2008, sans audition, le superviseur du fonctionnaire, Mario Lechasseur, a répondu au grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs et l’a accueilli en partie. M. Lechasseur a conclu que l’évaluation du fonctionnaire était justifiée et que la décision de ne pas renouveler son contrat était en raison de ses relations interpersonnelles difficiles avec ses collègues de travail et l'équipe de soutien. Dans le cadre d’une réorganisation du travail, les fonctions du fonctionnaire avaient été réassignées au sein de l’équipe. Par contre, M. Lechasseur soumettait au fonctionnaire une lettre de référence élogieuse pour les périodes du 16 janvier 2007 au 24 mai 2007 et du 20 juillet 2007 au 31 mars 2008.

4 Le 15 septembre 2008, le commandant, Colonel N. Eldaoud, après audition, a répondu au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs et a dit accueillir le grief contestant l’évaluation du fonctionnaire. Il a admis que l’évaluation du rendement ne reflétait pas toutes les compétences du fonctionnaire et a ordonné qu’elle soit retirée de son dossier personnel et remplacée par la lettre de référence émise par M. Lechasseur. Le Colonel Eldaoud a toutefois décidé qu’il ne s’agissait pas d’un congédiement déguisé, mais plutôt d’un non-renouvellement d’un contrat d’emploi déterminé pour un motif d’ordre financier, soit la décision de récupérer le budget en ne renouvelant pas certains contrats d’emploi pour une durée déterminée et en réaffectant les tâches au sein des équipes.

5 Le 10 décembre 2008, Susan Harrison, directrice générale intérimaire – Relations de travail et rémunération, a répondu pour le sous-ministre au grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Mme Harrison a rejeté le grief et a réitéré que la raison du non-renouvellement du contrat du fonctionnaire résultait d’une décision d’ordre financier, et non de son comportement. 

6 Le 21 décembre 2008, le fonctionnaire a renvoyé lui-même son grief de licenciement à l’arbitrage. Le 26 janvier 2009, le syndicat s’est chargé du dossier. 

7 Le 12 janvier 2010, l’employeur a avisé le greffe de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission), qu’il s’opposait à la compétence d’un arbitre de grief pour entendre le grief puisque le fonctionnaire avait été embauché selon une offre d’emploi pour une durée déterminée et que l’article 25 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) prévoit qu’à l’expiration de la période déterminée, le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire. (Il convient de souligner que la nouvelle Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13, entrée en vigueur en 2005, comporte l’article cité, mais il  s’agit du paragraphe 58(1). Les références subséquentes à la LEFP sont à la nouvelle Loi.) L’employeur a soutenu que le non-renouvellement du contrat d’une personne nommée pour une durée déterminée ne constitue pas un licenciement au sens de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP).

8 Le 11 février 2010, le syndicat a répondu à l’objection de l’employeur et a soutenu que son examen du dossier révélait les faits suivants. À la demande du lieutenant colonel St-Pierre en date du 26 février 2008, le poste du fonctionnaire a été modifié en poste pour une période indéterminée le 28 février 2008, soit avant que n’expire le contrat du fonctionnaire le 31 mars 2008. De plus, le 18 avril 2008, à la demande de Patricia Ledoux, le poste aurait été reconverti en date du 21 avril 2008 en un poste de durée déterminée. Le syndicat a demandé que l’arbitre de grief se saisisse non seulement de l’objection de l’employeur, mais aussi du bien-fondé du grief pour éviter de scinder la compétence de l’arbitre.  Le syndicat a fait valoir que si l’arbitre se prononce sur l’objection sans avoir entendu la preuve pertinente, il risquerait de rendre une décision sur la base d’une preuve très fragmentaire.

II. Audience du grief

9 En début d’audience, les représentantes des parties ont demandé que je statue uniquement sur le moyen préliminaire soulevé par l’employeur, soit ma compétence pour trancher le grief en vertu de l’article 209 de la LRTFP avant de décider du bien-fondé du grief. Les représentantes ont présenté un énoncé conjoint des faits, sous réserve de sa pertinence et de leurs représentations, ainsi que 13 pièces à l’appui. Elles ont soutenu que les admissions comportaient l’essentiel des faits qui seraient rapportés par les témoignages et qu’ils étaient suffisants pour décider du moyen préliminaire. Voici l’énoncé conjoint des faits  : 

[…]

Admissions des parties

LES PARTIES PROCEDENT AUX ADMISSIONS SUIVANTES ET CE, SOUS RÉSERVE DE LEUR PERTINENCE AU STADE DES MOYENS PRÉLIMINAIRES :

  1. Le fonctionnaire s’estimant lésé, Michel Chouinard, a été nommé pour un contrat à durée déterminée : du 20 juillet 2007 au 31 janvier 2008 sur le poste 296230. tel que l’atteste la lettre d’offre produit sous la pièce S-3;

  2. Ce contrat a été prolongée jusqu’au 31 mars 2008 tel que l’atteste la prolongation produite sous la pièce S-4;

  3. Si le fonctionnaire s’estimant lésé venait témoigner, il affirmerait qu’a la mi-février 2008, son supérieur immédiat, monsieur Bolduc, l’a informe qu’il sera renouvelé et qu’il deviendrait bientôt permanent. Il ajouterait également que monsieur Bolduc lui a précisé  qu’il y aurait bientôt des ouvertures de poste EL-05 et qu’il le recommanderait;

    De son côté, si monsieur Bolduc, le supérieur immédiat du fonctionnaire s’estimant lésé venait témoigner, il affirmerait lui avoir mentionné, à la mi-février 2008, qu’il ferait tout en son possible pour que son contrat soit renouvelé mais qu’il n’avait pas le pouvoir de le nommer. Il ajouterait également lui avoir mentionné qu’il y aurait des ouvertures de postes et qu’il le recommanderait sous réserve de la tenue des concours;

  4. Si le fonctionnaire s’estimant lésé venait témoigner, il affirmerait que son supérieur immédiat, monsieur Bolduc, lui a dit lors d’une rencontre tenue le 26 février 2008, qu’il n’était pas renouvelé ajoutant que «les gens aux ressources humaines en haut ont eu vent que tu ne t’entendais pas bien avec tes collègues»;

    De son coté, si monsieur Bolduc, le supérieur immédiat du fonctionnaire s’estimant lésé venait témoigner, il affirmerait lui avoir mentionné, lors d’une rencontre tenue le 26 février 2008, qu’il devrait corriger ses problèmes de communication;

  5. Le 26 février 2008, une lettre prévient le fonctionnaire s’estimant lésé que sa période d’emploi ne sera pas prolongée, le tout tel qu’il appert de la pièce S-5. Cette lettre lui est remise le 28 février;

  6. Le 26 février 2008, le It-colonel transmet une demande écrite aux ressources humaines afin que le statut de certains postes, dont celui occupé par le fonctionnaire s’estimant lésé, soit changé de poste temporaire à poste indéterminé, le tout tel qu’il appert de la correspondance produite sous la pièce S-6;

  7. Le 26 février 2008, le changement de statut du poste 296230 du fonctionnaire s’estimant lésé est fait, tel qu’il appert d’un tel changement daté du 7 mars 2008 et produit sous la pièce S-7;

  8. Le 31 mars 2008, lors de la dernière journée de travail du fonctionnaire s’estimant lésé, une évaluation de rendement lui est remise, le tout tel qu’il appert d’une telle évaluation produite sous la pièce S-8;

  9. Le 1er avril 2008, le fonctionnaire s’estimant lésé dépose 2 griefs, un premier (08-7A-B-MNTL-01985-0207) conteste l’évaluation du 31 mars 2008 et le second (08-7A-B-MNTL-01985-0208) conteste le «congédiement déguisé» intervenu en date du 31 mars 2008, ce dernier grief étant déposé sous la pièce S-2;

  10. Le 18 avril 2008, des démarches sont entreprises au sein des ressources humaines afin de modifier le statut de certains postes, dont le poste 296230, afin qu’ils passent d’un statut indéterminé à celui de temporaire, le tout tel qu’il appert d’un courriel produit sous la pièce S-9;

  11. Le 3 juillet 2008, l’employer remet sa réponse au 1er palier de la procédure de griefs, le tout tel qu’il appert d’une telle réponse produite sous la pièce S-10;

  12. Le 15 septembre 2008, l’employeur remet sa réponse au 2ieme palier, le tout tel qu’il appert d’une telle réponse produite sous la pièce S-11;

  13. Le 10 décembre 2009, l’employeur remet sa réponse au 3ieme palier de la procédure de griefs, le tout tel qu’il appert d’une telle réponse produite sous la pièce S-12;

  14. Quoique le fonctionnaire s’estimant lésé ne soit pas le seul fonctionnaire détenant un contrat a durée déterminée qui n’a pas vu, à la période contemporaine, son contrat transformé en contrat à durée indéterminée, les fonctionnaires dont le nom suit et qui travaillaient au dépôt 202 ont vu leur contrat a durée déterminée transformé en contrat  à durée indéterminée :

  • Pierre Arcand;
  • Frank Eber;
  • Yannick Gauthier;
  • Jean Lacombe;
  • Raymond Lacoursière;
  • Benoit Marcoux;
  • Pier-Luc Ouimet;
  • Alain Roberge;
  • Carl Scott

    le tout tel qu’il appert des actes de nomination produits en liasse sous la pièce S-13

    Malgré ce qui précède, le bien fonde de telles nominations n’est pas remis en question;
  1. Le poste 296230 détenu par le fonctionnaire s’estimant lésé jusqu’au 31 mars 2008 est toujours vacant depuis pareille date.

    […]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

10 L’employeur invoque deux moyens au soutien de sa prétention qu’un arbitre de grief n’a pas compétence pour décider du grief. Le premier est que le fonctionnaire était un employé nommé pour une période déterminée dont le contrat a pris fin. Le deuxième est qu’un arbitre de grief n’aurait pas la compétence pour le réintégrer, puisque le pouvoir de nomination appartient strictement à la Commission de la fonction publique (CFP) en raison de l’article 29 de la LEFP.

11 L’employeur soutient qu’il n’avait aucune obligation d’offrir au fonctionnaire un nouveau contrat, même si le fonctionnaire était compétent ou s’il restait du travail à faire. L’employeur peut affecter ses ressources comme il l’entend et n’a aucune obligation de renouveler un contrat qui est venu à terme. 

12 Le fonctionnaire a été nommé pour une période déterminée et il a travaillé pendant toute cette période. Le terme s’est écoulé et le contrat n’a pas été renouvelé. Le fonctionnaire ne travaille plus pour l’employeur en raison de l’écoulement du terme et non de la volonté de l’employeur de mettre fin prématurément à son contrat. L’article 58 de la LEFP prévoit qu’un fonctionnaire nommé pour une période déterminée perd sa qualité de fonctionnaire à la fin de la période fixée.

13 L’employeur concède que si le fonctionnaire avait été licencié avant l’échéance du contrat, l’arbitre de grief pourrait avoir compétence pour décider de sa mauvaise foi. Toutefois, une allégation de mauvaise foi n’est pas pertinente à la fin du terme, malgré le fait que le fonctionnaire pouvait croire que son contrat serait renouvelé. Le fait d’avertir le fonctionnaire par écrit du non-renouvellement du contrat était un préavis suffisant qui dégage l’employeur de toute responsabilité.

14 Il n’est pas pertinent non plus que certains postes aient été changés en postes pour une période indéterminée, dont celui du fonctionnaire, alors qu’il était en fonction.  Un employé peut occuper un poste à durée indéterminée sans pour autant y être nommé. Ce n’est pas le fait d’occuper un poste qui  rend un employé titulaire du poste. En d’autres termes, la nature du poste n’a aucun rapport avec la personne qui l’occupe. Par exemple, un employé nommé pour une période déterminée peut occuper un poste permanent rendu vacant temporairement pendant un congé de maternité. Ou encore, un employé qui occupe un autre poste pour une période indéterminée peut décider d’accepter un poste pour une période déterminée pour relever un nouveau défi. L’employeur soutient que le fait d’avoir nommé d’autres employés pour une période indéterminée n’est aucunement pertinent à la situation dans laquelle se retrouve le fonctionnaire. Si le fonctionnaire était insatisfait, il avait le droit de porter plainte à la CFP en vertu de l’article 77 de la LEFP.

15 Comme la fin d’emploi du fonctionnaire est intervenue par le seul écoulement du temps, il ne s’agit pas d’un licenciement en vertu de l’article 209 de la LRTFP.  Aucune jurisprudence n’appuie le principe qu’à la fin du terme, un employé a le droit de se faire offrir un nouveau contrat parce qu’il est à même de continuer le travail. La compétence sur les mesures correctives demandées se limite à la durée du contrat. Comme le fonctionnaire s’est rendu jusqu’à la fin de son terme, un arbitre de grief n’a aucun pouvoir d’accorder des dommages-intérêts.

16 L’employeur conclut que je n’ai pas compétence et que le grief ne peut faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage.

17 À l’appui de sa position, l’employeur cite les décisions suivantes : Dansereau c. Office national du film et al. [1979] 1 C.F. 100; Hanna c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-2-26983 (19960624); Pieters c. Conseil du Trésor (Cour fédérale du Canada), 2001 CRTFP 100; Eskasoni School Board/Eskasoni Band Council v. MacIsaac [1986] F.C.J. 263 (QL); Monteiro c. Conseil du Trésor (Agence spatiale canadienne), 2005 CRTFP 27; Rabah c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 83.

B. Pour le fonctionnaire

18 Le fonctionnaire plaide que deux situations d’exception donnent compétence à un arbitre de grief pour décider du bien-fondé du licenciement d’un employé nommé pour une période déterminée, soit une atteinte à un droit protégé par la Charte canadienne des droits et libertés Charte »), soit une décision prise de mauvaise foi par l’employeur de mettre fin au contrat du fonctionnaire. Aux fins de la présente instance, c’est la deuxième situation d’exception qui nous occupe.  Même si l’arbitre de grief n’a pas le pouvoir d’ordonner la réintégration d’un fonctionnaire, il a le pouvoir de prolonger un contrat. 

19 Le fonctionnaire soutient que l’employeur a fait preuve de mauvaise foi par la contradiction entre les motifs qu’il a invoqués pour ne pas renouveler son contrat, l’évaluation du rendement qu’il a donnée avant son départ, les réponses qu’il a données à chaque palier de la procédure de règlement des griefs, ainsi que la lettre de référence donnée simultanément avec sa réponse au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Selon le syndicat, les admissions constituent la preuve de la mauvaise foi de l’employeur envers le fonctionnaire.

20 Le fonctionnaire conteste la position de l’employeur voulant qu’on ne peut soulever la mauvaise foi s’il s’agit d’une fin de contrat. Au contraire, la question de la bonne ou de la mauvaise foi doit se décider au regard de toutes les circonstances. En l’espèce, les circonstances donnant lieu à la mauvaise foi se sont produites le 31 mars 2008, à l’expiration du contrat du fonctionnaire, de là l’allégation de congédiement déguisé. Le fonctionnaire plaide que l’exercice de la bonne foi par l’employeur est une question sérieuse que l’arbitre de grief doit examiner. En l’espèce, la question en litige concerne la présence ou non de la mauvaise foi.

21 Les faits énoncés dans les admissions et les pièces documentaires soulèvent un doute certain. Le fonctionnaire allègue qu’on a dit que son contrat serait reconduit, tandis que le supérieur allègue avoir dit qu’il ferait tout en son possible pour que le contrat soit renouvelé. Deux semaines plus tard, le supérieur a refusé de renouveler le contrat au motif que le fonctionnaire a des problèmes de communication, équivalant à des reproches disciplinaires. Cette position est confirmée par la décision au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Le superviseur a donné par la suite une lettre de référence qui est fort différente de l’évaluation du rendement donnée comme motif de non-renouvellement. Entre-temps, des collègues du fonctionnaire sont nommés pour une période indéterminée. Dans la réponse au deuxième et troisième paliers de la procédure de règlement des griefs, l’employeur dit que la raison fondamentale pour avoir mis fin au terme n’est pas le comportement du fonctionnaire mais bien la situation financière. 

22 Juste avant que ne se termine le contrat du fonctionnaire, il y a eu des demandes de transformation de postes à durée déterminée en postes à durée indéterminée, dont le poste du fonctionnaire. Des avis de nomination ont été envoyés aux autres employés de la même section en mai et en juin 2008. Bien que le fonctionnaire ne plaide pas que la transformation d’un poste à un autre soit le fait pertinent, il soutient que cette preuve fait partie des faits entourant la décision de ne pas renouveler le contrat ni le prolonger. À la lumière de ces faits, on est porté à croire qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire plutôt que d’une mesure administrative.

23 Bien qu’on puisse présumer la bonne foi, les faits soulèvent un questionnement concernant la bonne foi de l’employeur par rapport à la décision de ne pas renouveler le contrat du fonctionnaire. Le fonctionnaire admet qu’en vertu de l’article 29 de la LEFP, c’est la CFP qui nomme les fonctionnaires. Néanmoins, la jurisprudence des dernières années a clairement interprété de façon large et libérale les pouvoirs de l’arbitre de grief d’octroyer le redressement adéquat. Si je décidais que l’employeur était de mauvaise foi, j’aurais la compétence pour décider des redressements appropriés. 

24 Le fonctionnaire s’oppose vigoureusement à la thèse de l’employeur voulant qu’un arbitre de grief n’ait pas compétence pour juger de la mauvaise foi à la fin du contrat sauf s’il y a atteinte à la Charte. Au contraire, la bonne foi constitue une exigence fondamentale de notre régime de droit et un principe tout aussi important que les garanties de la Charte. Même s’il ne l’a pas expressément demandé, le fonctionnaire a droit à un redressement en fonction de ce qui sera décidé sur le bien-fondé du grief.

25 Au soutien de sa position, le fonctionnaire cite les décisions suivantes : Procureur général du Canada c. Penner [1989] 3 C.F. 429; Jacmain c. Procureur général du Canada [1978] 2 R.C.S. 15; Laird c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP no 166-2-19981 (19901207); Chénier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service Correctionnel), 2003 CRTFP 27; Lâm c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada), 2008 CRTFP 61; Tipple c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2010 CRTFP 83; CEGEP de Valleyfield c. Gauthier-Cashman [1984] C.A. 633 (C.A.Q.); Syndicat des professeurs du collège de Lévis-Lauzon et al. c. CEGEP (Lévis-Lauzon) et al.[1985] 1 R.C.S. 596.

C. Réplique de l’employeur

26 L’employeur réplique que lorsqu’il s’agit d’un contrat pour une période déterminée, on doit analyser la mauvaise foi selon le contexte. La jurisprudence citée par le fonctionnaire traite d’un licenciement en milieu de terme et non à la fin du terme. Ce sont deux situations distinctes. Les redressements accordés à des fonctionnaires mis en disponibilité avant la fin du terme sont fonction de la période du contrat de travail qui n’est pas écoulée. Le fonctionnaire n’a subi aucun préjudice parce qu’il n’avait pas droit à un poste pour une période indéterminée ou à une prolongation de son contrat de travail.

27 Lorsqu’un fonctionnaire est licencié avant la fin du contrat de travail, la jurisprudence permet à l’arbitre de grief d’examiner les motifs de l’employeur pour établir s’il s’agit d’un camouflage. Il est de la nature même d’un contrat qu’il n’y a aucune obligation de le renouveler une fois qu’il arrive à terme. Le seul élément qui relève de la compétence de l’arbitre de grief est une question de discrimination, qui est absente en l’espèce. Décider autrement renverserait un cadre législatif bien établi. La fin du terme met fin à la relation et éteint toutes les obligations de l’employeur.

IV. Motifs

A. Le cadre législatif

28 Le présent grief est régi par deux lois: la LEFP et la LRTFP. La LEFP traite du pouvoir de nomination de la CFP comme suit :

[…]

11.  La Commission a pour mission :

d) de nommer ou faire nommer à la fonction publique, conformément à  la présente loi, des personnes appartenant ou non à  celle-ci;

[…]

29.(1)  Sauf disposition contraire de la présente loi, la Commission a compétence exclusive pour nommer à la fonction publique des personnes, y appartenant ou non, dont la nomination n’est régie par aucune autre loi fédérale.

[…]

58.(1) Sous réserve de l’article 59, le fonctionnaire nommé ou muté pour une durée déterminée perd sa qualité de fonctionnaire à l’expiration de la période fixée ou de toute période de prolongation fixée en verte du paragraphe (2).

29 La LRTFP traite de la compétence de l’arbitre de grief par rapport au licenciement comme suit :

209.(1) Après avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire.

B. Le cadre jurisprudentiel

30 Dans Jacmain, il était question de savoir si l’arbitre de grief avait la compétence pour annuler la décision de l’employeur, de licencier un fonctionnaire en période de stage, que celui-ci alléguait n’avait pas été prise de bonne foi. La Cour suprême du Canada a décidé que selon la LEFP, dès que l’employeur a une raison liée à l’emploi, l’arbitre de grief est privé de compétence. Le manque d’adaptation à son milieu de travail était une raison valable de ne pas accorder au fonctionnaire un emploi pour une période indéterminée dans la fonction publique et l’arbitre de grief n’avait pas la compétence pour en décider autrement.

31 Dans Penner, la Cour fédérale s’est penchée sur la question de savoir si un licenciement en période de stage était fondé sur des motifs disciplinaires. Dans cette affaire, l’arbitre s’était déclaré compétent pour décider du grief et avait substitué au licenciement une suspension de 15 jours. En contrôle judiciaire, la Cour a entériné le principe décidé dans Jacmain, à savoir qu’un arbitre de grief saisi d’un grief de licenciement en période de stage peut examiner les circonstances, en application du principe selon lequel la forme ne devrait pas l’emporter sur le fond.  Toutefois, la Cour a déclaré l’arbitre de grief sans compétence à l’égard d’un renvoi en cours de stage lorsque la preuve présentée le convainc de la bonne foi de l’employeur.

32 Dans Laird, la question en litige était la bonne foi de l’employeur à l’égard du licenciement d’un fonctionnaire avant la fin de son contrat. L’arbitre de grief a décidé qu’il avait compétence pour décider de l’affaire parce que les faits établissaient que l’employeur avait agi de mauvaise foi. Toutefois, il a limité le redressement au plein traitement et autres avantages jusqu’à la fin du contrat.

33 Dans Chénier, la question d’intérêt était de savoir si un arbitre de grief avait compétence pour accorder des dommages-intérêts. Celui-ci a conclu qu’il avait de larges pouvoirs de redressement découlant de la violation de la convention collective ou d’un licenciement, mais en l’absence de justification de la part du fonctionnaire, il a décidé de ne pas les exercer.

34 Dans Lâm, l’arbitre de grief a traité du large pouvoir de réparation dont elle disposait dans le cas d’un licenciement injustifié, tandis que dans Tipple, l’arbitre de grief a octroyé des redressements importants à la suite d’une mise à pied injustifiée pendant la période du contrat.

35 Par contre, dans Dansereau, la Cour fédérale a traité précisément de la question du non-renouvellement d’un contrat pour une période déterminée et a conclu que la non-reconduction d’un contrat n’était pas en l’instance une violation de la convention collective. Faisant la distinction entre la mise à pied (un licenciement en cours de contrat) et les effets de l’expiration d’un contrat, le juge Pratte s’exprime ainsi :

[…]

L’employé engagé pour un temps déterminé n’est pas mis à pied lorsque le terme de son engagement arrive à expiration, car si son emploi cesse à ce moment-là ce n’est pas en raison du manque de travail mais en vertu de l’article 13.03 [de la convention collective] lorsque le temps pour lequel on l’a employé arrive à sa fin.   En d’autres mots, on ne peut dire que le contrat d’engagement pour un terme spécifié contrevienne à l’article 13.03 de la convention.

[…]

36 Le juge Pratte a également écarté l’argument de la fonctionnaire que l’employeur avait engagé d’autres pigistes comme suit :

[…]

Il est clair que, dans ce cas, on n’a pas engagé de pigistes pour « contourner les dispositions de la convention » puisque rien dans la convention n’accordait à la requérante le droit à un renouvellement ou une prolongation de son emploi.

[…]

À l’arbitrage, l’arbitre de grief n’avait trouvé aucune relation de cause à effet entre l’engagement de pigistes et la cessation de l’emploi de la fonctionnaire.

37 Dans Hanna, l’arbitre de grief a soutenu que l’échéance d’un contrat n’équivaut pas à un licenciement et qu’un contrat prenant fin à la suite de son exécution n’est pas une décision de l’employeur prise à l’égard des conditions du contrat.

38 Dans Pieters, l’arbitre de grief a conclu que depuis Dansereau, il est maintenant bien établi que les arbitres de grief sont sans compétence pour trancher un grief contestant le défaut de l’employeur de reconduire un contrat d’emploi. Par ailleurs, si le fonctionnaire est mis en disponibilité avant la fin de son contrat, le seul redressement consiste à le dédommager pour le reste de la période visée par sa nomination pour une période déterminée.

39 Dans Eskasoni, cette fois en vertu du Code canadien du travail, la Cour fédérale a étudié la notion de ce que constitue un « congédiement ».  En l’absence d’une définition dans le Code, le juge Pratte a soutenu ce qui suit :

[…]

Le Code du travail ne renferme pas de définition des mots anglais « to dismiss » et « dismissal » […] Cependant, la signification de ces mots et de leurs équivalents français « congédier » et « congédiement » est raisonnablement claire : ils renvoient à un acte ou à une décision de l’employeur qui a pour effet de mettre fin à un contrat d’emploi. En l’absence d’une disposition législative élargissant le sens courant de ces expressions, je ne puis conclure qu’elles concernent la décision de l’employeur de ne pas renouveler un contrat pour une période d’emploi déterminée.

Cette interprétation peut avoir des conséquences regrettables en ce qu’elle ne reconnaît pas à tous les employés la sécurité d’emploi dont ils peuvent jouir à bon droit. J’estime néanmoins que cela ne contrevient pas au paragraphe 28(1) […]

[…]

Et d’ajouter le juge Urie :

[…]

Le sens des mots anglais « dismiss » et « dismissal » est si bien compris, en ce qui concerne la relation employeur-employé, qu’il n’est pas nécessaire de consulter les dictionnaires ou la jurisprudence pour le confirmer. J’estime que ce sens bien connu renvoie à la résiliation unilatérale du contrat d’emploi d’un employé par l’employeur pour une raison quelconque. À mon avis, on ne peut reconnaître à ce sens la moindre connotation qu’il englobe l’entente bilatérale entre l’employeur et l’employé en vue de mettre fin à la relation d’emploi à l’expiration du contrat d’emploi pour une période déterminée ou autrement.

[…]

40 Dans Monteiro, l’arbitre de grief s’est penché encore une fois sur la notion de non-renouvellement de contrat. Sur la base de Dansereau et Eskasoni, il a soutenu que la personne dont le contrat n’est pas renouvelé n’est pas mise à pied; son emploi ne fait que cesser conformément aux conditions du contrat.

41 Dans Rabah, l’arbitre de grief a précisé qu’il n’avait pas le pouvoir de réintégrer un employé dont le contrat était venu à échéance puisque cela équivalait à une nouvelle nomination, une compétence réservée à la CFP.

42 J’estime que les décisions CEGEP de Valleyfield et Syndicat des professeurs du collège de Lévis-Lauzon et al. citées par le fonctionnaire sont sans intérêt en raison des principes énoncés par la Cour fédérale qui s’appliquent au présent cas. Je n’en fais donc pas le résumé.

C. L’application des principes législatifs et jurisprudentiels à cette affaire

43 Le fonctionnaire a soutenu que j’ai compétence pour me saisir du grief car il est en mesure de démontrer que l’employeur a agi de mauvaise foi. Il s’est opposé à la thèse de l’employeur voulant que la notion de mauvaise foi soit sans objet, une fois que le contrat venu à échéance n’est pas reconduit.

44 J’observe que l’emploi du fonctionnaire s’est terminé conformément aux dispositions du contrat qu’il a signé et sans garantie d’emploi pour une période indéterminée ou d’un droit de renouvellement, tel que mentionne l’offre d’emploi comme suit :

[…]

La présente offre ne doit pas être considérée ni comme une offre de nomination pour une période indéterminée, ni comme une garantie d’emploi dans la fonction publique. Vos services pourraient être nécessaires pour une période plus courte que prévu selon la charge de travail et le besoin de continuer à accomplir les tâches qui vous seront confiées.

[…]

45 En application de Dansereau et Eskasoni, je suis d’avis que la Cour fédérale a décidé une fois pour toutes que le défaut de l’employeur de reconduire le contrat d’emploi du fonctionnaire n’est pas un congédiement ou une mise à pied.

46 L’arbitre de grief n’est investi que des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi. Ces pouvoirs ne peuvent être élargis, même avec le consentement des parties. Or, l’article 58 de la LEFP est sans ambiguïté : le fonctionnaire nommé pour une période déterminée perd sa qualité de fonctionnaire à l’expiration de cette période.  L’expiration de la période d’un contrat pour une période déterminée n’étant pas une mesure disciplinaire aux termes du paragraphe 209(1) de la LRTFP, l’arbitre de grief n’a pas la compétence pour traiter d’un tel grief. 

47 J’estime que la question de la bonne foi de l’employeur est sans pertinence lorsqu’il s’agit de l’expiration d’un emploi. Comme l’employeur n’intervient pas autrement que de laisser s’écouler les conditions du contrat, son état d’esprit n’est d’aucune conséquence. J’estime également que le fait d’avoir converti le poste du fonctionnaire en poste pour une période indéterminée avant l’échéance du contrat d’emploi n’a aucune incidence aux fins de décider de la bonne foi de l’employeur. Le recours du fonctionnaire concernant une nomination ne relève pas d’un arbitre de grief nommé en vertu de la LRTFP. Par ailleurs, les réponses contradictoires de l’employeur à chaque palier de la procédure de règlement des griefs ne peuvent servir à donner autrement compétence à l’arbitre de grief, car la procédure devant l’arbitre de grief est une procédure de novo.

48 Les décisions citées par le fonctionnaire à l’appui de sa position démontrent qu’un arbitre aurait compétence pour trancher le grief et accorder un redressement dans l’unique circonstance où l’employeur aurait mis fin au contrat prématurément. Il serait alors possible de remettre en question les motifs de l’employeur pour avoir agi de la sorte. Les faits en l’espèce diffèrent vraisemblablement de ceux des décisions citées.

49 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

50 Le grief est rejeté faute de compétence.

Le 20 décembre 2010.

Michele A. Pineau,
arbitre de grief

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