Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était un agent des services frontaliers à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’<<ASFC>>) et président de sa section locale - il assumait ses responsabilités syndicales à temps plein dans un bureau fourni par l’ASFC à son lieu de travail - le fonctionnaire s’estimant lésé avait un dossier disciplinaire antérieur, mais ses suspensions avaient été réduites ou annulées à la suite d’un arbitrage ou d’un règlement - l’ASFC et le syndicat du fonctionnaire s’estimant lésé étaient engagés dans une négociation - les aménagements d’horaires de postes variables étaient en litige à la section locale du fonctionnaire s’estimant lésé, et il faisait pression pour régler la question à la table de négociation - le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu pendant 30jours en raison d’un message affiché sur le site Web du syndicat - il y avisait les membres qu’il faisait pression pour que le syndicat [traduction]<<appuie l’arrêt de travail>> et indiquait que, si la direction n’offrait rien à la table de négociation, elle devrait [traduction]<<être prête à appuyer d’éventuelles activités syndicales>> - l’administrateur général a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait conseiller ou susciter la déclaration ou l’autorisation d’une grève illégale - il a été licencié pour avoir affiché de nouveau le message sur le même site Web, après avoir été frappé d’une suspension de 30jours - il a contesté la suspension et le licenciement - le fonctionnaire s’estimant lésé a nié avoir eu l’intention de conseiller ou susciter une grève - il a soutenu qu’il cherchait simplement à clarifier si une grève serait légale dans les circonstances et qu’il avait affiché de nouveau son message seulement pour informer les membres des mesures disciplinaires prises à son endroit et de leur motif - l’arbitre de grief a jugé que l’ASFC était autorisée à imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé - l’imposition d’une mesure disciplinaire à un dirigeant syndical pour une conduite hors de ses responsabilités et obligations syndicales légitimes n’est pas discriminatoire et ne transgresse pas les interdictions des pratiques déloyales de travail - les dirigeants syndicaux sont protégés en ce qui concerne les activités menées en conformité avec les lois pertinentes - la liberté d’association régit les activités légitimes des dirigeants syndicaux, mais non les activités illégales ou contraires à la loi - selon la prépondérance des probabilités, le fonctionnaire s’estimant lésé cherchait à obtenir l’autorisation et l’appui d’un arrêt de travail illégal, ce qui a toujours été considéré comme une inconduite grave - des facteurs aggravants justifiant une longue suspension étaient en cause - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas reconnu le caractère répréhensible de son message et ne s’en est pas excusé, même s’il savait que le milieu de travail était instable - le retard à lui imposer une mesure disciplinaire n’était pas excessif - compte tenu des facteurs aggravants et du dossier disciplinaire antérieur du fonctionnaire s’estimant lésé, la suspension de 30jours était d’une durée appropriée dans les circonstances - en affichant de nouveau son message, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas simplement informé les membres, mais a défendu son message et essayait de nouveau à conseiller ou susciter un débrayage illégal - les facteurs aggravants s’appliquaient à la fois à la suspension et au licenciement - le licenciement constituait une mesure disciplinaire de degré acceptable - le lien de confiance entre le fonctionnaire s’estimant lésé et son employeur avait été rompu. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-11-29
  • Dossier:  566-02-1917 et 1918
  • Référence:  2010 CRTFP 125

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JOHN KING

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence des services frontaliers du Canada)

défendeur

Répertorié
King c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Andrew Raven, avocat

Pour le défendeur:
Richard Fader, avocat

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
du 11 au 14 mai et les 7 et 8 juin 2010;
arguments écrits déposés le 16 septembre, le 4 octobre et les 3 et 16 novembre 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 John King, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), était agent des services frontaliers à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC ou l’« administrateur général ») à l’Aéroport international Pearson (AIP) ainsi que président d’une section locale de la Customs Excise Union Douanes Accise (CEUDA), un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC).

2 Il a contesté par grief une suspension de 30 jours, qu’on lui a imposée le 2 novembre 2007, et son licenciement subséquent, survenu le 20 novembre 2007. Dans le grief contestant la suspension de 30 jours, le fonctionnaire a aussi allégué une violation de l’article de la convention collective (la convention conclue entre le Conseil du Trésor et l’AFPC pour le groupe Services des programmes et de l’administration venant à expiration le 20 juin 2007, pièce G-2) (la « convention collective ») interdisant la discrimination. Les griefs contestant la suspension et le licenciement ont été tenus en suspens en attendant l’issue d’autres instances concernant le fonctionnaire (une plainte et d’autres griefs) qui avaient été introduites auparavant.

3 La position de l’administrateur général était que, si le grief pour licenciement était accueilli, le redressement approprié ne devrait pas être la réintégration mais plutôt un paiement en remplacement de la réintégration. Les parties ont convenu que la preuve sur cet aspect du redressement serait entendue en même temps que celle sur le fond des griefs. Les parties ont également déposé des arguments écrits sur le paiement tenant lieu de réintégration à la lumière de la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans Lam c. Procureur général du Canada, 2010 CAF 222. Fort des conclusions que j’ai tirées sur le bien-fondé du grief pour licenciement du fonctionnaire, j’estime ne pas avoir à examiner cette preuve ni les arguments des parties sur le pouvoir d’un arbitre de grief d’ordonner un dédommagement en guise de réintégration.

4 L’avocat du fonctionnaire a produit comme pièce une opinion juridique après avoir confirmé que le destinataire avait renoncé au privilège qui se rattachait au document (pièce G-6S). L’une des conditions de la renonciation était que le document ne serait divulgué qu’à l’arbitre de grief, l’avocat de l’administrateur général et un représentant de l’administrateur général. L’administrateur général ne s’est pas opposé à ces conditions. J’ai donc ordonné que le document en question soit scellé. L’audition des témoignages et arguments sur l’opinion juridique s’est déroulée à huis clos.

5 L’administrateur général s’est opposé à l’introduction d’un document que Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) avait préparé sur la demande de prestations d’assurance-emploi du fonctionnaire. Il s’y est opposé au motif que le document n’était pas pertinent, vu qu’il s’agissait d’une décision à laquelle je n’étais pas lié. L’avocat du fonctionnaire a argué que ce document était recevable et que je devrais lui accorder le poids que je juge approprié. J’ai autorisé le dépôt de ce document et ai réservé mon jugement tant sur la pertinence du document que sur le poids à lui accorder. Ayant pris connaissance de ce document, j’en conclus que la conclusion à un licenciement non justifié à laquelle en était arrivé RHDCC était une décision prise aux fins de la détermination des prestations d’assurance-emploi. Par conséquent, il n’est pas pertinent à la présente audience de novo sur le licenciement du fonctionnaire.

6 Le fonctionnaire s’est opposé à l’introduction de documents se rapportant à des mesures disciplinaires internes que le syndicat avait prises à son endroit. L’administrateur général a fait valoir que le but du dépôt de ces documents était de démontrer qu’une réintégration du fonctionnaire dans ses fonctions n’était pas appropriée. L’avocat du fonctionnaire a déclaré que le fait que le fonctionnaire ne reprendrait pas son poste syndical mais serait tenu de retourner à son poste d’attache ferait partie de la preuve produite. Pour cette raison, j’ai accepté l’objection soulevée. À mon avis, les affaires syndicales internes ne sont pas pertinentes à la relation d’emploi dans les circonstances de l’espèce.

7 Une ordonnance d’exclusion des témoins a été prononcée. Cinq témoins ont livré témoignage pour l’administrateur général. Trois témoins sont intervenus pour le fonctionnaire et ce dernier a également témoigné.

II. Résumé de la preuve

8 Le fonctionnaire était inspecteur des douanes aux Opérations passagers à l’AIP. Au moment de sa suspension et de son licenciement, il était aussi président de la section locale 24 de la succursale du district de la CEUDA (la « section locale 24 de la CEUDA »).

9 Le fonctionnaire a commencé son emploi comme inspecteur des douanes en 1989. Ce poste est aujourd’hui l’équivalent d’agent des services frontaliers (ASF). À l’été 1990, il est devenu délégué syndical de la section locale 24 de la CEUDA. En 1993, il a été élu vice-président de la section locale 24 de la CEUDA et a occupé ce poste pendant trois ans. En 1996, on l’a élu président de la section locale 24 de la CEUDA. À partir de 1996, le fonctionnaire a commencé à assumer à temps plein ses responsabilités syndicales. De 1996 à 1999, il a travaillé comme inspecteur des douanes pendant quelques congés fériés.

10 En 1999, le fonctionnaire a été élu à l’exécutif national de l’organisation nationale de la CEUDA (le « bureau national de la CEUDA ») et y est demeuré jusqu’en mars 2005. Cette année-là, il a décidé de briguer son précédent poste de président de la section locale 24 de la CEUDA et y est parvenu en remportant l’élection. Tandis qu’il était représentant syndical à temps plein, le fonctionnaire était rétribué par l’ASFC (jusqu’à la date de son licenciement). Le fonctionnaire fournissait régulièrement des feuilles de temps à l’ASFC (pièce E-2). L’administrateur général avait également fourni un poste de travail à la section locale 24 de la CEUDA à l’AIP, et le fonctionnaire a été en poste à cet endroit pendant toute la période. Le fonctionnaire a assumé les fonctions de président de la section locale 24 de la CEUDA jusqu’en juin 2008.

A. Dossier disciplinaire antérieur

11 Dans les années qui ont précédé les sanctions disciplinaires faisant l’objet des griefs dont je suis saisi, le fonctionnaire s’est vu imposer des mesures disciplinaires à trois reprises. Le dossier disciplinaire antérieur est pertinent en ce que l’administrateur général s’appuie, en partie, sur le principe des mesures disciplinaires progressives pour étayer sa détermination des sanctions disciplinaires appropriées dans les griefs en instance.

12 Le 26 juillet 2004, le fonctionnaire a été suspendu pendant 30 jours à la suite d’une lettre qu’il avait adressée à Tom Ridge, le secrétaire du département de la Sécurité intérieure des États-Unis. À l’arbitrage, cette mesure disciplinaire a été annulée (King c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada),2008 CRTFP 64, « King no 1 »). La décision correspondante a été rendue le 8 août 2008, après le licenciement du fonctionnaire.

13 Une deuxième suspension de 30 jours, imposée le 19 juin 2006, a été réduite à 5 jours dans le cadre d’un protocole de règlement d’une plainte déposée par le fonctionnaire (pièce G-3). Ce règlement de l’affaire est intervenu le 23 avril 2009.

14 Le 2 novembre 2006, le fonctionnaire a écopé d’une autre suspension de 20 jours pour avoir envoyé au ministre de la Sécurité publique, avec copie aux médias, un courriel qui renfermait des allégations contre l’administrateur général. À l’arbitrage, la suspension de 20 jours a été réduite à 10 jours (King c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CRTFP 31, « King no 2 »). La décision correspondante a été rendue le 23 février 2010.

B. Sanction disciplinaire imposée

15 Le fonctionnaire a été suspendu 30 jours pour une déclaration qu’il avait faite dans un message affiché sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA. Après l’imposition de cette suspension de 30 jours, il a de nouveau affiché la déclaration sur ce même site Web, ce qui lui a valu d’être licencié. Dans les paragraphes qui suivent, j’exposerai en détail ces sanctions disciplinaires, puis je résumerai la preuve qui a donné lieu à la déclaration faite par le fonctionnaire, preuve qui est commune aux deux griefs.

16 Le 2 novembre 2007, le fonctionnaire a écopé d’une suspension de 30 jours (pièce E-1, onglet 21). Cette mesure disciplinaire a été prise à son endroit après qu’il eut affiché, sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA, le 11 septembre 2007, un courriel qui comprenait les deux paragraphes suivants (pièce E-1, onglet 13) :

[Traduction]

[…]

En attendant, je presse l’agent négociateur et le bureau national de la CEUDA de fournir leur appui à un débrayage maintenant […].

Si la direction se présente à la rencontre et ne propose rien de plus que ce qu’elle a proposé en février dernier, préparez-vous à soutenir de futures activités syndicales.

17 En imposant la suspension de 30 jours, l’administrateur général a conclu que, par sa déclaration, le fonctionnaire conseillait ou suscitait un arrêt de travail illégal. L’administrateur général a considéré cette déclaration comme [traduction] « […] une sérieuse inconduite et une violation de la LRTFP ». La disposition de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) sur laquelle s’est appuyé l’administrateur général était le paragraphe 194(1), qui se lit en partie comme suit :

194.(1) Il est interdit à toute organisation syndicale de déclarer ou d’autoriser une grève à l’égard d’une unité de négociation donnée, et à tout dirigeant ou représentant de l’organisation de conseiller ou susciter la déclaration ou l’autorisation d’une telle grève, ou encore la participation de fonctionnaires à une telle grève :

[…]

b) si une convention collective est en vigueur pour l’unité de négociation;

[…]

18 L’administrateur général a déclaré, dans la lettre de discipline, qu’il avait tenu compte du dossier disciplinaire antérieur du fonctionnaire, lequel [traduction] « […] dénote une propension manifeste à l’inconduite qui est caractérisée par un mépris pour les intérêts de l’ASFC et un manque de respect à l’égard de son autorité ». Le fonctionnaire a été averti que toute autre inconduite de sa part pourrait lui valoir de plus lourdes sanctions disciplinaires, pouvant aller jusqu’au licenciement.

19 Le fonctionnaire a été licencié le 20 novembre 2007 (pièce E-1, onglet 32) après qu’il eut réaffiché, sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA, les déclarations pour lesquelles il avait déjà fait l’objet de sanctions disciplinaires. Dans la lettre de licenciement, il est dit que le réaffichage des deux phrases qui lui avaient déjà valu des sanctions disciplinaires représentait une [traduction] « sérieuse inconduite » que l’on a considéré comme l’incident déterminant dans la décision d’ordonner le licenciement.

C. Événements ayant donné lieu à l’action disciplinaire

20 Pendant la période durant laquelle le fonctionnaire était dirigeant syndical, quelques changements organisationnels avaient été opérés dans le milieu de travail à l’AIP. Jusqu’en novembre 1999, les inspecteurs des douanes étaient employés par Revenu Canada, un ministère de la fonction publique. En novembre 1999, les inspecteurs des douanes se sont retrouvés sous la bannière d’une organisation nouvellement créée, l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC). En décembre 2003, les inspecteurs des douanes ont été transférés dans une nouvelle agence, l’ASFC. Ont également été transférés à cette nouvelle organisation les inspecteurs agricoles, anciennement de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, ainsi que les agents de l’ancien ministère de l’Immigration. Ces trois groupes d’employés, la direction et le syndicat y ont souvent fait allusion en parlant des [traduction] « anciens groupes ».

21 Chaque ancien groupe avait des horaires de travail différents, définis selon des ententes sur les postes à horaires variables (EPHV), lesquelles ont fait l’objet de discussions et de négociations entre la direction à l’AIP et la section locale 24 de la CEUDA pendant un certain nombre d’années. Le groupe d’employés de l’immigration travaillait selon un horaire « continental » de deux jours de travail, deux jours de congé, puis trois jours de travail, trois jours de congé (l’« horaire 2/2 »). Le groupe d’employés de l’agriculture avait un horaire de quatre jours de travail, quatre jours de congé (l’« horaire 4/4 »). Le groupe d’inspecteurs des douanes avait un horaire de cinq jours de travail, trois jours de congés (l’« horaire 5/3 »). Les horaires 2/2 et 4/4 donnaient lieu à davantage de jours de congés pour les employés, et les inspecteurs des douanes souhaitaient un horaire plus favorable que l’horaire 5/3.

22 En février 2006, le fonctionnaire a présenté la position de l’AFPC aux négociations d’EPHV concernant les Opérations passagers dans un courriel adressé au directeur régional général pour la Région du Grand Toronto (pièce G-1, onglet 1). Il a fait valoir la préférence de l’AFPC pour le statu quo quant aux régimes préexistants de postes à horaires variables et présenté la proposition de l’AFPC relative à un horaire 5/4.

23 En novembre 2006, l’AFPC a de nouveau proposé l’instauration d’un horaire 5/4, mais la direction a rejeté cette proposition.

24 Fin novembre ou début décembre 2006, la section locale 24 de la CEUDA a tenu un vote parmi ses membres sur les EPHV existantes. Dans un courriel adressé à Barbara Hébert en date du 6 décembre 2006, le fonctionnaire a transmis les résultats de ce vote (pièce E-1, onglet 1). Tous les employés, hormis les agents des services frontaliers aux Opérations passagers, ont voté pour le maintien de leurs EPHV existantes. Le fonctionnaire a donné avis que les EPHV des employés en poste aux Opérations passagers étaient annulées.

25 Lors d’une réunion de consultation tenue le 12 janvier 2007, Norm Sheridan, directeur de district aux Opérations passagers à l’AIP, a annoncé une proposition d’horaire « 6/2 » (6 jours de travail, 2 jours de congé) avec une dizaine d’heures de début de quart. Le 18 janvier 2007 (pièce G-1, onglet 2), le fonctionnaire a transmis que la position de la section locale 24 de la CEUDA était que, en l’absence d’une entente sur un nouveau régime de postes à horaires variables (clause 25.23 de la convention collective), l’administrateur général était dans l’obligation de suivre les heures de travail établies comme suit aux clauses 25.13 et 25.17 de la convention collective : 

25.13 Lorsque, en raison des nécessités du service, la durée du travail des employé-e-s est répartie par roulement ou de façon irrégulière, elle doit être fixée de façon que les employé-e-s, au cours d'une période maximale de cinquante-six (56) jours civils :

a) sur une base hebdomadaire, travaillent en moyenne trente-sept virgule cinq (37,5) heures et en moyenne cinq (5) jours;

b) travaillent sept virgule cinq (7,5) heures consécutives par jour, sans compter la pause-repas d'une demi-heure (1/2);

c) bénéficient en moyenne de deux (2) jours de repos par semaine;

d) bénéficient d'au moins deux (2) jours de repos consécutifs en un moment donné, sauf quand un jour férié désigné payé qui est un jour chômé sépare les jours de repos; les jours de repos consécutifs peuvent faire partie de semaines civiles séparées.

[…]

25.17 Sauf indication contraire aux paragraphes 25.22 et 25.23, l'horaire normal des postes est le suivant :

a) de minuit à 8 h; de 8 h à 16 h; de 16 h à minuit;

ou

b) de 23 h à 7 h; de 7 h à 15h; de 15 h à 23 h.

26 Dans son message, le fonctionnaire a expliqué que, sans EPHV valides, les employés ne pouvaient accepter de nouvelles heures de début autres que celles prévues à la clause 25.17. Il a également déclaré que la section locale 24 de la CEUDA était [traduction] « prête et disposée » à mener des consultations sur une nouvelle EPHV ne comportant pas d’horaire 5/3 pour les employés d’« anciens groupes » faisant partie de l’unité de négociation de la CEUDA aux Opérations passagers.

27 Le fonctionnaire a témoigné que la section locale 24 de la CEUDA croyait comprendre que l’administrateur général ne pouvait instaurer de nouveaux horaires hors norme sur la base des discussions menées à la réunion du comité de santé et de sécurité et selon l’interprétation que la section locale 24 de la CEUDA faisait de la convention collective. Selon certaines interprétations, l’administrateur général ne pouvait instaurer d’horaires différents de la norme que s’il pouvait prouver que les nécessités du service l’exigeaient. La section locale 24 de la CEUDA était d’avis que l’administrateur général n’avait pas prouvé cela.

28 M. Sheridan a témoigné que, après l’annulation de l’EPHV, la direction devait discuter d’horaires de travail normaux supplémentaires en application de la clause 25.22b) de la convention collective. Cela nécessitait une consultation de l’AFPC, et non une entente. Il a déclaré que des quarts de travail supplémentaires étaient nécessaires pour satisfaire aux exigences des heures de début et de fin des quarts. Il a témoigné que, même si la direction ne voulait pas d’un horaire 6/2, en l’absence d’une EPHV, un tel horaire était requis. 

29 Le 25 janvier 2007, M. Sheridan a envoyé un courriel adressé à tous les employés pour les aviser du passage à un horaire de travail normal, également appelé « 6 et 2 » (6/2) (pièce E-1, onglet 4). Il y précisait que cet horaire n’avait pas la préférence de la direction, mais que :

[Traduction]

[…] Étant donné que les EPHV des trois anciens groupes ont été annulées […], la direction devait, soit recourir à un régime d’horaires de durée normale pour les employés, soit tenter, avec le syndicat, de s’entendre sur une nouvelle EPHV qui serait soumise au vote des membres.

Dans son courriel, il disait espérer qu’une entente interviendrait sur une nouvelle EPHV, mais que, dans l’intervalle, un nouvel horaire 6/2 prenant effet le 12 février 2007 serait affiché.

30 Le 27 février 2007, l’AFPC a déposé un grief de principe pour contester l’instauration du nouvel horaire (pièce E-1, onglet 5). Ce grief a fini par être renvoyé à l’arbitrage (le 13 juin 2007), puis a été entendu à partir de février 2008. Une décision a été rendue à cet égard le 29 mai 2009 dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada),2009 CRTFP 66.

31 Décrivant l’humeur des employés au moment où l’administrateur général a imposé les nouveaux horaires de travail normaux, le fonctionnaire a déclaré qu’ils étaient [traduction] « très mécontents ». L’effet de cette mesure sur la qualité de vie des employés a été marqué. Le fonctionnaire a témoigné que la majorité des employés y ont vu une mesure punitive et une tactique visant à briser les syndicats afin d’exhorter la section locale 24 de la CEUDA à acquiescer à la proposition d’EPHV de l’administrateur général. M. Sheridan a témoigné que les employés ont détesté le nouvel horaire. Il a déclaré que, pendant les premiers mois d’instauration du nouvel horaire, il y a eu quelques perturbations au travail, comme les aires secondaires submergées d’appels ou de renvois en provenance des services de première ligne, des employés appelant pour dire qu’ils étaient malades et des grèves du zèle. Il en a résulté que quelques employés ont reçu des conseils ou ont été réprimandés verbalement. Il a déclaré que la situation s’était apaisée dans les mois qui ont suivi, quoique le nombre de congés de maladie pris avait continué de croître.

32 Brian O’Farrell, un délégué de la section locale 24 de la CEUDA, a envoyé, le 22 juin 2007, un courriel (pièce G-1, onglet 8) au fonctionnaire et à Ron Moran, président national de la CEUDA, leur expliquant que six membres du syndicat avaient individuellement communiqué avec lui pour [traduction] « […] s’enquérir de l’opportunité d’un retrait de services ». Il y a également écrit que la mise en application de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, avait [traduction] « fait beaucoup de vagues ». Il a conclu son courriel ainsi :

[Traduction]

Pourriez-vous, s’il-vous-plaît […] expliquer à quel moment précis les membres seraient en mesure de retirer des services sans craindre de récriminations? Je considérerais cette affaire comme urgente, étant donné qu’un plus grand nombre de têtes fortes, parmi les syndiqués, pourraient ne pas être disposés à attendre calmement qu’on vérifie cette question.

33 Le 24 juin 2007, M. Moran a répondu (avec copie envoyée au fonctionnaire) qu’il fallait que des ententes sur les services essentiels soient en place avant qu’une unité de négociation soit légalement en droit de préconiser la grève (pièce G-1, onglet 8). Il a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…] Comme c’est toujours le cas, les membres qui retirent leurs services lorsque leur unité de négociation n’est pas en position de grève légale s’exposent aux mesures disciplinaires applicables, lesquelles comprennent des amendes croissantes imposées tant aux membres qui retiennent leurs services qu’aux représentants régionaux et nationaux du syndicat. Le syndicat ne recommande d’aucune façon le retrait illégal de services pour le moment.

Brian, je ne doute pas que le camarade King connaissait la réponse à cette question. Afin de ne pas nuire à la structure établie du syndicat, je vous demanderais d’arrêter de soulever vos questions et/ou vos points de vue directement au niveau national et de les porter plutôt à l’attention du camarade King, qui est tout à fait capable de déterminer ce qui a besoin d’être soulevé à l’échelon suivant.

34 Le 25 juin 2007, le fonctionnaire a fait la réponse suivante à M. Moran, avec copie envoyée à John Gordon, président de l’AFPC :

[Traduction]

Ce que le camarade Gordon et vous-même refusez de faire, c’est de clarifier les recours légaux qui s’offrent actuellement à nos membres pour contrer la constante prérogative de notre employeur de contourner et/ou de violer la loi, en attendant que les plaintes de notre syndicat soient entendues par une tierce partie indépendante.

Nous n’insinuons pas d’arrêts de travail illégaux, mais recherchons la clarification et le soutien national que seuls vos bureaux peuvent fournir au sujet des options LÉGALES dont NOUS DISPOSONS EFFECTIVEMENT pour contrer les abus de l’employeur et protéger les droits contractuels et légaux de nos membres.

Je me permets de vous rappeler mon précédent courriel demandant au camarade Gordon de fournir à notre section locale un engagement écrit quant au soutien éventuel que l’AFPC est prête à fournir à ceux de nos membres qui sont touchés par l’actuelle imposition de l’horaire de travail 6/2 […] Malheureusement, nous n’avons jamais reçu un tel engagement ou réponse […]

Comme vous le savez, les représentants bénévoles de section locale/succursale que nous sommes ne sont pas en position de prendre pareil engagement ou une décision de cette envergure. Contrairement à vous et au camarade Gordon, les représentants de section locale comme moi sont passibles de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement pour ce que l’ASFC considérera sûrement comme une incitation à la grève illégale. C’est là l’une des principales raisons pour lesquelles nos membres sollicitent ET DEMANDENT semblable direction/leadership de la part de vos bureaux.

35 Dans un courriel envoyé le même jour, M. Moran a écrit qu’il obtiendrait une opinion juridique sur les recours légaux disponibles. Dans une réponse datée du 27 juin 2007 (pièce G-1, onglet 8), le fonctionnaire a écrit qu’il aimerait que l’on réponde à la question de savoir si les employés peuvent se présenter au travail en suivant les horaires normaux précisés à la clause 25.17 de la convention collective. Il a poursuivi ainsi dans ce courriel :

[Traduction]

Je ne crois pas que ce plan d’action devrait être considéré comme une mesure de grève illégale, puisque nous ne faisons que suivre l’entente ainsi que nous la comprenons, ce qui n’est pas différent de la justification invoquée par l’employeur pour imposer à nos membres les horaires de travail qu’il leur impose actuellement.

Manifestement, nous ne sommes pas des partenaires égaux dans cette entente; or, nous devrions l’être. Qui plus est, dans la mesure où l’AFPC convient que l’employeur n’applique pas correctement le contrat, cela devrait nous donner une certaine latitude/justification pour respecter l’entente de la façon dont l’AFPC le juge approprié.

Quant à l’autre retrait de service, veuillez examiner cette question aussi.

[…]

36 Le fonctionnaire a témoigné qu’il a toujours eu l’intention de prémunir les membres du syndicat contre de possibles sanctions disciplinaires. Il a déclaré qu’il s’agissait d’une demande de conseils faite de bonne foi au bureau national. Il voulait obtenir une opinion juridique sur la question de savoir si les employés étaient tenus de se présenter au travail suivant les nouveaux horaires. Il a témoigné qu’aucun des dirigeants de la section locale 24 de la CEUDA ne [traduction] « comprenait vraiment » le fonctionnement de la nouvelle LRTFP.

37 Le 11 juillet 2007, M. Moran a transmis au fonctionnaire un état du dossier (pièce E-1, onglet 8), et le fonctionnaire y a répondu en demandant quelles seraient les prochaines mesures prises par l’AFPC pour mettre un terme à la violation de la convention collective. M. Moran a fait la réponse suivante :

[Traduction]

[…]

Eu égard aux prochaines étapes, vous n’êtes pas sans savoir que j’ai maintenant présenté une demande officielle d’opinion juridique […] Pour sa part, l’agent négociateur défend le grief de principe qui franchit actuellement les différentes étapes du processus. Je suis entièrement d’accord avec le fait que cette marche à suivre ne constitue pas le correctif rapide que les membres touchés aimeraient obtenir, mais elle n’en constitue pas moins la seule procédure établie qui soit actuellement à notre disposition […]

À mon avis, la prochaine étape devrait clairement consister à informer les membres touchés que, à moins d’une action individuelle de leur part, nous ne sommes pas sur le point de voir cette question résolue à brève échéance. Leur rappeler qu’aider l’employeur à faire fonctionner les horaires 6/2 en acceptant, par exemple, des heures supplémentaires, représente, à n’en pas douter, un excellent point de départ (bien que l’on ne devrait pas s’arrêter là). Sachant fort bien comment fonctionnent le Bureau du ministre et les médias, je peux vous assurer que, à moins qu’il n’y ait des perturbations au travail, ni l’un ni l’autre n’y penseront à deux fois.

38 Le 13 juillet 2007, le fonctionnaire a fait la réponse suivante :

[Traduction]

[…]

Nos membres ont besoin de recevoir, de la part d’un président national, une directive nous disant de nous présenter au travail en ne suivant aucun autre horaire que celui qui est stipulé à l’article 25.17, à moins que l’ASFC n’invoque les nécessités du service, comme elle est censée le faire, et ainsi que nous interprétons la convention cadre.

Une fois que John ou vous aurez donné l’instruction de suivre l’entente à la lettre, nous ferons le reste. Une telle action entraînera sûrement un règlement accéléré.

[…]

Tout ce qu’il nous faut, c’est le soutien et la bénédiction de ce syndicat pour suivre notre convention collective ainsi que nous la comprenons. Si notre syndicat ne peut même pas faire cela, c’est qu’il est temps d’en changer.

39 Le 14 juillet 2007, M. O’Farrell a fait suivre la correspondance ci-dessus (pièce E-1, onglet 8) au ministre de la Sécurité publique, Stockwell Day, au premier ministre, Stephen Harper, au président du Conseil du Trésor, Vic Toews, et à l’administrateur général de l’ASFC, Stephen Rigby.

40 Le 20 juillet 2007, le fonctionnaire a adressé le courriel suivant à Steve Pellerin-Fowlie et Gerry Halabecki (représentants syndicaux) avec copie envoyée à MM. Moran et Gordon ainsi qu’à d’autres représentants de la CEUDA (pièce G-1, onglet 10) :

[Traduction]

Bien des membres de la CEUDA à la succursale du district de  Toronto soulèvent maintenant la possibilité de faire des grèves sauvages tournantes à notre succursale.

Je me suis donc engagé à m’enquérir de la légalité de grèves sauvages ou tournantes auprès de vous, en cherchant à obtenir une opinion sur ce qui constituerait ou pourrait constituer une action de grève illégale.

Étant donné que notre convention cadre est arrivée à échéance et que l’employeur n’a pas procédé, comme il le devait, à une négociation d’ententes sur les services essentiels […] et compte tenu du fait que l’ASFC ne respecte pas la convention cadre expirée de la façon dont nous l’interprétons […], pourrions-nous raisonnablement affirmer que cela donne aux syndiqués la légitimité nécessaire pour exercer leur droit de grève, puisque nous estimons que l’employeur négocie de mauvaise foi, quelles que soient les revendications qu’ont échangées l’AFPC et le Conseil du Trésor?

Nous recherchons un redressement légal différent des traditionnels moyens inefficaces actuellement disponibles. Nous devons trouver un autre processus […]

Si l’agent négociateur n’est pas disposé à aider nos membres en leur instruisant d’appliquer la convention à la lettre, plus précisément l’article 25.17, nous sommes prêts à mener des grèves sauvages pour protéger le peu de droits contractuels que l’employeur daignera concéder.

Nous sollicitons votre soutien immédiat pour trouver les moyens légaux d’entamer dès à présent un débrayage.

Pour finir, veuillez expliquer ce que constitue une grève illégale et indiquer si l’un ou l’autre des commentaires formulés au début peut justifier aujourd’hui un débrayage, maintenant que la convention est échue et compte tenu du fait que l’employeur refuse de négocier des ententes sur les services essentiels, etc.

41 Le 26 juillet 2007, le fonctionnaire a adressé un courriel à un certain nombre de dirigeants de l’ASFC (y compris M. Gillan) et de représentants de la CEUDA (pièce E-1, onglet 9). Il a déclaré que, compte tenu de l’expiration de la convention collective, le fait que l’employeur ait refusé de respecter la convention échue et de rencontrer la partie syndicale pour négocier des ententes sur les services essentiels [traduction] « porte à croire que nous sommes dans une position légale de débrayage ». Le fonctionnaire a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

À la lumière de ce qui précède, je demande à ce que la direction régionale fournisse des dates provisoires auxquelles le syndicat et la direction pourront mener officiellement des consultations sur toute préoccupation de l’employeur ou argument juridique se rapportant à une action de grèves tournantes dans la RGT.

[…]

42 M. Gillan a répondu le même jour (pièce E-1, onglet 9) en disant que la convention collective demeurait en vigueur et que [traduction] « […] vous n’êtes pas en position de grève légale ». Le fonctionnaire a répondu le même jour que le refus de l’ASFC d’[traduction] « […] honorer et respecter l’ancienne convention dans son intégralité dégage les employés d’une telle obligation ». M. Gillan a répondu le 27 juillet 2007 et a déclaré que la convention collective demeurait en vigueur et que l’unité de négociation n’était pas en position de grève légale. Il a conclu sa réponse en disant que [traduction] « la direction adhère complètement aux dispositions de la convention collective et attend la même chose de la part de tous les employés ».

43 Le 9 août 2007, le fonctionnaire a envoyé un autre courriel à M. Gillan pour réitérer son affirmation au sujet de la convention collective et dire que, selon lui, [traduction] « […] le refus de l’employeur de pleinement respecter les dispositions de la convention collective libère les employés d’une obligation semblable ou d’une obligation plus grande, comme on l’a précédemment fait valoir » (pièce E-1, onglet 10). M. Gillan a répondu à ce courriel le 23 août 2007 en rappelant au fonctionnaire que la convention collective était toujours en vigueur et que l’unité de négociation n’était pas en situation de grève légale.

44 Le 15 août 2007, le fonctionnaire s’est adressé par écrit à MM. Gordon et Moran (pièce G-1, onglet 27) pour leur demander à partir de quelle date la CEUDA serait en position de grève légale. Au sujet de l’opinion juridique que l’agent négociateur avait reçue le 2 août 2007, ou vers cette date (pièce G-6S), le fonctionnaire a écrit qu’il était dit, dans cette opinion, qu’il y avait une exception à la règle du « obéir d’abord et se plaindre ensuite » lorsque la violation de la convention collective par l’employeur était [traduction] « caractérisée ». Estimant que tel était le cas, le fonctionnaire a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Pourquoi devrions-nous respecter la convention collective dans son intégralité, alors que l’employeur ne le fait pas?

[…] les droits de nos membres à des consultations sur les griefs relatifs aux EPHV (par exemple) ont été suspendus unilatéralement par l’employeur. Ce n’est là qu’un exemple de plus du non-respect de toutes les dispositions de la convention collective par l’employeur, mais vous escomptez quand même de la part de nos membres qu’ils encaissent cet affront et que, à l’inverse, ils suivent toutes les dispositions de la convention comme de bons petits employés dociles. Pourquoi ne donnez-vous pas l’instruction à nos membres de se présenter au travail suivant les horaires normaux prévus par l’article 25.17, ainsi que l’AFPC interprète la convention collective, ou n’informez-vous pas l’ASFC que vous nous demanderez de respecter la convention de la façon dont nous l’interprétons, en attendant le règlement de ce litige?

45 Il a conclu son courriel comme suit :

[…]

Si le degré de l’assistance que vous ou l’agent négociateur nous prêtez se limite à laisser le grief de principe suivre son cours, alors dites-le franchement. Nos membres méritent au moins cette clarification de la part de leurs représentants embauchés.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

46 Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait jugé l’opinion juridique comme n’étant pas concluante et que la section locale 24 de la CEUDA ne possédait pas toute l’information dont elle avait besoin pour comprendre les droits de ses membres.

47 Le 24 août 2007, M. Gordon a répondu comme suit à ce courriel du fonctionnaire :

[Traduction]

[…] Je ne spéculerai pas sur le moment auquel le syndicat pourrait être en situation de grève légale pour le groupe FB.

En ce qui concerne les questions liées aux EPHV, l’information que l’AFPC ainsi que M. Raven vous ont transmise confirme que le principe de base des relations de travail consiste à « obéird’abord et se plaindre ensuite ». Je ne vois rien dans votre courriel ou dans l’opinion de M. Raven qui porterait à croire que ce principe ne s’appliquerait pas ici. Par conséquent, le grief de principe constitue le mécanisme de règlement de cette question. Je rejette l’implication selon laquelle, suivant ce principe de base, la poursuite de ce grief équivaut à ne pas protéger les droits de nos membres ou à obtempérer aux actions de l’employeur.

Nous sommes conscients de l’importance de cette question et avons l’intention de rester solidaires de nos membres dans cet affrontement.

48 Le même jour, le fonctionnaire a répondu à M. Gordon de la façon suivante (pièce G-1, onglet 27) :

[Traduction]

[…]

Si l’AFPC croit que l’employeur négocie de mauvaise foi, qu’il n’adhère pas à la convention collective eu égard à notre grief de principe sur les questions d’EPHV à Toronto et qu’il fait fi de ses obligations de négocier des ententes sur les services essentiels, puisque nous ne sommes pas des employés désignés et que nous sommes sans contrat de travail, etc., alors c’est que nous sommes en position de grève légale.

Encore une fois, nous demandons à ce que l’AFPC soutienne ce que nous croyons être notre droit légal de débrayer. À Toronto, nous en avons assez et nous sommes prêts.

C’est maintenant qu’il faut agir et tous les membres sollicitent votre soutien et vos instructions.

[…]

49 La réponse du fonctionnaire à un courriel émanant d’un syndiqué a été affichée sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA le 11 septembre 2007 (pièce E-1, onglet 13). Ce courriel faisait le point sur certaines des activités que la section locale menait au sujet des négociations d’EPHV. Dans son témoignage, le fonctionnaire a déclaré qu’il avait fait afficher la réponse sur le site Web, car il était inondé de questions semblables de la part de syndiqués en colère et frustrés. Les deux derniers paragraphes de ce message se lisent comme suit :

[Traduction]

En attendant, je presse l’agent négociateur et le bureau national de la CEUDA de fournir leur appui à un débrayage maintenant. Nous faisons pressions auprès de la direction pour l’inciter à revenir à la table et négocier de bonne foi. Nous espérons y parvenir grâce à l’invitation de M. Gillan à une rencontre lundi prochain. J’espère que cela s’avérera davantage qu’une simple rencontre visant à déterminer si nous sommes prêts à céder.

Si la direction se présente à la rencontre et ne propose rien de plus que ce qu’elle a proposé en février dernier, préparez-vous à soutenir de futures activités syndicales.

50 On a confié à Julie Burke, agente des relations de travail à l’ASFC, la tâche de surveiller le site Web de la section locale 24 de la CEUDA. Mme Burke a témoigné que la direction avait été informée du courriel affiché le 14 septembre 2007.

51 Le 17 septembre 2007, des représentants de la section locale 24 de la CEUDA et de la direction de l’ASFC à l’AIP se sont rencontrés pour discuter des EPHV (pièce E-1, onglet 12). Le 22 septembre 2007, le fonctionnaire a affiché, sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA, un message traitant de cette rencontre (pièce G-1, onglet 17). M. Gillan a envoyé un courriel au fonctionnaire pour se plaindre du contenu de ce message (pièce G-1, onglet 17).

52 Le 29 octobre 2007, le négociateur en chef pour le Conseil du Trésor a écrit au négociateur en chef de l’AFPC pour attirer son attention sur l’avis du 11 septembre 2007 et demandait que le fonctionnaire retire, avant le 31 octobre 2007, la partie du message qui parlait d’un débrayage (pièce E-1, onglet 15). Dans cette lettre, il était aussi mentionné que l’employeur déposerait une plainte fondée sur la LRTFP  si ce message n’était pas supprimé.

53 Le même jour, M. Gillan a écrit au fonctionnaire pour l’aviser que, s’il ne retirait pas le message affiché d’ici le 31 octobre 2007, il s’exposerait à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement (pièce E-1, onglet 16). Il a également déclaré qu’il avait fixé la date d’une audience disciplinaire au 31 octobre 2007. M. Gillan a fait allusion à la déclaration suivante incluse dans l’affichage : [traduction] « En attendant, je presse l’agent négociateur et le bureau national de la CEUDA de fournir leur appui à un débrayage maintenant. » Il a poursuivi comme suit :

[Traduction]

Je suis fort préoccupé par le contenu de votre message, étant donné que vous n’êtes pas en position de grève légale et qu’on vous a rappelé cela à plusieurs reprises. Vous devriez savoir que le paragraphe 194.(1) […] de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique vous interdit, en votre qualité de représentant d’une organisation syndicale de conseiller ou susciter la déclaration ou l’autorisation d’une grève, ou encore la participation de fonctionnaires à une telle grève.

[…]

54 Le 30 octobre 2007, le fonctionnaire a envoyé un courriel au webmestre pour lui demander de retirer le courriel du site Web (pièce G-1, onglet 25). L’affichage a été retiré du site Web de la section locale 24 de la CEUDA avant la date limite fixée par l’employeur.

55 Avant la tenue de l’audience disciplinaire fixée au 31 octobre 2007, le fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Gillan et à d’autres pour déclarer qu’il n’avait pas donné aux membres de la CEUDA l’instruction de participer à quelque activité que ce soit ou de s’abstenir d’accomplir l’une ou l’autre de leurs tâches (pièce E-1, onglet 17). Il a également déclaré qu’il n’y avait aucune intention de conseiller ou de susciter une activité illégale. Il a mentionné qu’il avait sollicité une opinion juridique sur la question depuis l’imposition de l’horaire de travail 6/2.

56 C’est M. Moran qui a représenté le fonctionnaire à l’audience disciplinaire. Mme Burke a pris des notes sur la rencontre (pièce E-1, onglet 18). Elle a témoigné que ses notes constituaient un résumé précis de la rencontre. M. Gillan a déclaré que les deux phrases qui préoccupaient l’ASFC étaient celles que contenaient les deux derniers paragraphes de l’affichage du 11 septembre 2007. Le fonctionnaire a dit qu’il n’avait rien affiché personnellement, mais que la mise à jour avait été confiée au webmestre, qui avait affiché le message automatiquement. Il a déclaré qu’il s’agissait là d’une mise à jour régulière qui était affichée automatiquement et que [traduction] « des problèmes peuvent survenir et des choses peuvent passer à travers les mailles du filet ». Le fonctionnaire a déclaré que le message avait été retiré dès que les préoccupations de la direction avaient été portées à son attention. Il a déclaré qu’il l’avait fait retirer non pas parce que le contenu du message était erroné, mais [traduction] « en gage de paix ». Il a témoigné que l’information avait fait son temps et qu’il ne voulait pas s’engager dans un [traduction] « match de qui pisserait le plus loin ».

57  À l’audience disciplinaire, on a demandé au fonctionnaire d’expliquer ce qu’il entendait par le passage [traduction] « débrayage maintenant ». M. Moran a déclaré que les termes employés dans le courriel n’étaient pas les « bons » mots. Le fonctionnaire a témoigné qu’il ne se souvenait pas que M. Moran avait dit ces mots, mais il n’a pas contesté qu’il les avait lui-même dits. Il a dit croire qu’il avait bel et bien utilisé les bons termes et que ces mots avaient été [traduction] « soigneusement choisis ». À l’audience disciplinaire, le fonctionnaire a déclaré qu’il attendait toujours des instructions de la part de l’AFPC. M. Gillan lui a demandé s’il prétendait que de savoir si la CEUDA était en position de grève légale était une question ouverte. Le fonctionnaire a répondu par l’affirmative et a déclaré que la section locale 24 de la CEUDA sollicitait une orientation de la part de l’AFPC. Il a dit que [traduction] « […]  nous avons toutes les raisons de croire […] » que l’horaire de travail imposé était illégal, que [traduction] « nous ne sommes pas désignés » et que la convention collective était venue à échéance. Il a déclaré que M. Gordon [traduction] « donnerait l’instruction ». Il a déclaré qu’il n’« incitait » pas à la grève.

58 Le fonctionnaire a témoigné que, durant l’audience disciplinaire, on ne le lui avait pas posé de question au sujet de la deuxième phrase (l’allusion aux « futures activités syndicales »). Il a précisé que le genre d’activités syndicales qui étaient envisagées comprenait des campagnes de rédaction de lettres, la formation de piquets pour information et la mobilisation des familles des membres concernés de l’unité de négociation.

59 Après l’audience disciplinaire, le fonctionnaire a envoyé, le 2 novembre 2007, un courriel (pièce E-1, onglet 22) adressé à M. Gillan, à d’autres représentants de la direction de l’ASFC et au ministre de la Sécurité publique. Il y déclarait qu’il considérait les actions de l’ASFC comme une violation de ses droits reconnus par la Charte canadienne des droits et libertés (Charte). Il a également déclaré que cela était [traduction] « […] perçu comme une atteinte à notre droit fondamental de communiquer avec nos membres portée au moyen de ce que l’on ne peut décrire que comme une mesure illégale de censure de la part du gouvernement ». M. Gillan a répondu en citant les parties du message du fonctionnaire affiché sur le site Web qui suscitaient des préoccupations. Le fonctionnaire a répondu en ces termes :

[Traduction]

Le syndicat a parfaitement le droit de mobiliser ses membres en vue d’activités futures.

L’ASFC ne saurait s’ingérer dans la façon dont un syndicat se prépare à de telles activités futures, activités que le syndicat a le droit de déterminer et de gérer. Nous sommes en droit de garder le contrôle de l’administration de notre syndicat.

[…]

J’ai clairement indiqué que nous n’avions aucune intention d’aller de l’avant tant que nous n’aurions pas reçu d’opinion juridique ou demandé l’appui de l’agent négociateur.

Vous et vos supérieurs êtes manifestement obnubilés par le projet de nous cibler, de faire fermer cette section locale et de nuire à la capacité de ce syndicat de communiquer efficacement avec nos membres […]

Vos actions ne feront qu’envenimer l’actuel conflit de travail qui sévit dans cette région.

Tant et aussi longtemps que nous n’aurons pas émis d’instruction, ce que, à l’évidence, nous n’avons pas fait, nous serons parfaitement en droit de faire savoir à nos membres si nous sollicitons un soutien, de qui nous le sollicitons et à quel sujet.

[…]

60 Dans la lettre de suspension (pièceE-1, onglet 21) envoyée plus tard ce jour-là (le 2 novembre 2007), M. Gillan reconnaissait que le fonctionnaire s’était conformé à l’ordre de retirer le message du site Web. Il y déclarait aussi que le contenu du message l’avait grandement préoccupé. Il y précisait que l’AFPC n’était pas en situation de grève légale et que l’administrateur général l’avait informé à trois reprises que la convention collective demeurait en vigueur et que l’unité de négociation n’était pas en position de grève légale. M. Gillan y mentionnait aussi que le fonctionnaire avait continué d’affirmer que le message était approprié. La lettre continuait comme suit :

[Traduction]

[…] Malgré votre rôle de représentant syndical défendant les intérêts des employés que vous présentez, vos déclarations déplacées et imprudentes dépassent largement l’étendue appropriée des responsabilités se rattachant à ce rôle et constituent une violation des interdictions énoncées au paragraphe 194(1) de la LRTFP.

Par conséquent, je trouve que la façon dont vous conseillez ou suscitez un arrêt de travail illégal constitue une sérieuse inconduite ainsi qu’une violation de la LRTFP. Au moment de déterminer la mesure disciplinaire, j’ai tenu compte de votre dossier disciplinaire, lequel dénote une propension manifeste à l’inconduite qui est caractérisée par un mépris pour les intérêts de l’ASFC et un manque de respect à l’égard de son autorité.

[…]

À l’avenir, nous nous attendrons à ce que vos communications et vos actions respectent les dispositions du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, du Code de conduite de l’ASFC ainsi que des lois, politiques et directives qui les sous-tendent. Sachez que tout défaut de votre part de satisfaire à cette attente peut entraîner des sanctions disciplinaires plus sévères pouvant aller jusqu’à votre licenciement.

61 M. Gillan a témoigné que, lorsqu’il a imposé la sanction disciplinaire, il s’était fié au message affiché, à l’audience disciplinaire, aux commentaires reçus de professionnels des relations de travail au sujet de l’article 194 de la LRTFP et au dossier disciplinaire antérieur du fonctionnaire. Il a déclaré que les circonstances aggravantes qu’il avait fait entrer en ligne de compte dans l’imposition d’une suspension de 30 jours étaient les antécédents disciplinaires du fonctionnaire, le fait que les parties négociaient alors un nouveau contrat de travail, la gravité de l’inconduite et le fait que le fonctionnaire conseillait une grève illégale. Il a témoigné que le fonctionnaire n’avait exprimé aucun regret ni manifesté de compréhension du point de vue de la direction. Au chapitre des circonstances atténuantes, il a déclaré avoir gardé à l’esprit le caractère sérieux de la prise de mesures disciplinaires à l’endroit d’un dirigeant syndical, en particulier pendant le déroulement de négociations collectives. Il a témoigné qu’une suspension de 30 jours lui avait semblée appropriée compte tenu des antécédents d’inconduite du fonctionnaire et de la gravité de l’inconduite. Il a également déclaré qu’il ne considérait pas le licenciement comme une mesure disciplinaire indiquée dans les circonstances.

62 Le fonctionnaire a témoigné que, dans son message, il ne s’intéressait seulement qu’aux moyens légaux et qu’il n’avait jamais eu l’intention de susciter ou de conseiller une grève illégale. Il a déclaré qu’il avait alors une compréhension limitée du processus de grève. Une nouvelle loi était en vigueur et les dispositions touchant les ententes sur les services essentiels étaient nouvelles. Au regard de tous les problèmes avec lesquels les employés étaient aux prises, il voulait obtenir des options légales dans le but de [traduction] « catapulter » les employés dans une situation de grève légale. Il a déclaré que tout le monde avait interprété son message comme la sollicitation d’une orientation et d’instructions et non comme un appel à la grève illégale.

63 Mme Burke et M. Gillan ont témoigné que le délai qui s’était écoulé avant que la sanction disciplinaire soit imposée (du 14 septembre au 29 octobre 2007) était dû aux nombreuses consultations que l’ASFC avait menées à l’administration centrale et auprès du Conseil du Trésor.

64 Le 3 novembre 2007, le fonctionnaire a écrit, à l’attention des membres de la section locale 24 de la CEUDA, un message qui a été affiché sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA (pièce E-1, onglet 23). Il a joint à son message les échanges de courriel qu’il a eus avec M. Gillan en date du 30 octobre 2007 et du 2 novembre 2007 (pièce E-1, onglets 22 et 17; courriels qui ont été discutés plus haut dans la présente décision). Dans son message, le fonctionnaire a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

À présent, nombre d’entre vous avez sans doute appris qu’on vient de m’imposer une autre suspension de 30 jours sans salaire. En conséquence, mon accès aux locaux de l’ASFC a été restreint jusqu’au 14 décembre 2007.

Ce qui est significatif dans cette mesure disciplinaire, c’est le moment où cette suspension m’a été imposée, les motifs pour lesquels j’ai été suspendu et le fait qu’il s’agit de la troisième sanction disciplinaire dont j’écope depuis que John Gillan est devenu le directeur régional pour la RGT, au printemps 2006.

Le bon côté de la chose, c’est que pendant le déroulement des négociations régionales sur les EPHV, des hauts dirigeants (pas tous) de cette région et de celle d’Ottawa ont finalement été exposés.

Chacun d’entre vous avez maintenant été témoin des tromperies, mensonges et abus de la direction qui continuent de gangréner cette organisation, d’entraver les négociations sur les EPHV et de nuire au règlement de tant d’autres différends régionaux en matière de relations de travail.

C’est la vérité qui nous lie à une cause commune, celle d’être traités avec dignité et respect et de ne pas permettre à cet employeur de porter atteinte à l’un ou l’autre de nos droits garantis par la convention et/ou la loi.

J’espère que vous serez rassurés de savoir que je vais bien et que je m’affaire, plus déterminé que jamais, à protéger nos droits.

[…]

La correspondance que j’ai jointe explique les motifs de ma plus récente sanction disciplinaire, lesquels reposent sur deux phrases écrites dans un point sur les EPHV qui a été affiché dans notre site Web local. Ces phrases sont les suivantes : « En attendant, je presse l’agent négociateur et le bureau national de la CEUDA de fournir leur appui à un débrayage maintenant. » et « Si la direction se présente à la rencontre et ne propose rien de plus que ce qu’elle a proposé en février dernier, préparez-vous à soutenir de futures activités syndicales. »

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

65 Le fonctionnaire a témoigné qu’il s’était trouvé dans l’obligation d’informer les membres de la section locale 24 de la CEUDA de la sanction disciplinaire qu’on lui avait imposée. Il devait aviser les membres qu’il ne serait pas disponible pour les représenter pendant 30 jours, car il n’aurait pas accès à ses courriels au travail ni aux locaux du lieu de travail. Il a déclaré que, du fait qu’il était un représentant élu, les syndiqués avaient le droit de savoir. Il a également affiché l’avis afin de dissiper les rumeurs et spéculations qui [traduction] « […] pouvaient amener les gens à croire que je méritais la sanction disciplinaire ». Il a aussi témoigné que cet avis avait servi d’avertissement aux délégués syndicaux, afin qu’ils fassent attention à ce qu’ils disent, pour ne pas que la direction interprète leurs propos comme un appel à la grève illégale. Il a déclaré qu’il faisait [traduction] « […] simplement preuve de transparence. Je suis le président. » Il a témoigné que son intention était d’informer ou conseiller les membres et non de les inciter à une quelconque action illégale. Il a aussi fait valoir que la Charte lui reconnaissait le droit à la liberté d’expression.

66 Le 5 novembre 2007, le fonctionnaire a écrit à M. Moran et a inclus la correspondance qu’il avait envoyée à MM. Moran et Gordon en août 2007 au sujet du droit légal de ses membres de ne pas se présenter au travail (pièce G-1, onglet 27). Dans son courriel, il déclarait que l’opinion juridique n’était pas concluante et poursuivait en ces termes :

[Traduction]

Ron, vous avez simplement laissé tomber après avoir reçu la première opinion juridique, qui n’était pas définitive. J’ai même soulevé cette question au CNA [Conseil national d’administration] et vous n’avez fourni aucune raison pour expliquer pourquoi vous ne chercheriez pas à en savoir plus sur la question. Qui plus est, même si nous n’étions pas en mesure de débrayer, ni vous ni l’AFPC ne nous avez donné ne serait-ce que l’instruction de suivre la convention de la façon dont nous l’interprétions. Sur ces points, nous n’avons obtenu l’assistance d’aucun des bureaux du syndicat national.

Où est la position officielle et/ou définitive de l’AFPC au sujet de notre droit de déclencher un débrayage sur la base des points que j’ai soulevés dans le courriel du 24 août? Nous ne l’avons pas reçue. […]

67 Le 13 novembre 2007, M. Gillan a convoqué le fonctionnaire à une audience disciplinaire au sujet de l’affichage du 3 novembre 2007 (pièce E-1, onglet 24). Dans le courriel, M. Gillan déclarait que le réaffichage des déclarations qui avaient déjà valu au fonctionnaire des mesures disciplinaires [traduction] « continuait de susciter des préoccupations ». Dans sa réponse à ce courriel (pièce E-1, onglet 25), le fonctionnaire a déclaré qu’il avait cité les deux phrases [traduction] « […] uniquement pour mieux expliquer la sanction disciplinaire que je purge actuellement ». Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’était pas disponible pour se présenter à l’audience disciplinaire, vu qu’il purgeait alors une période de suspension. En réponse à une nouvelle tentative de tenir une autre audience disciplinaire, il a rédigé un courriel adressé au ministre de la Sécurité publique, à la haute direction de l’ASFC, à M. Gillan et à plusieurs représentants de la CEUDA (pièce E-1, onglet 27) le 14 novembre 2007. Il y disait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Sachez que vous m’avez, à tort et sans autorisation légitime, obligé à m’abstenir de communiquer avec les membres de la CEUDA alors que j’ai légalement le droit de le faire. L’intimidation à laquelle vous vous êtes livré au moyen de menaces continues et de sanctions s’est maintenant étendue à mon domicile, dans une période où je n’ai pas l’obligation de me présenter à mon employeur. Je considère les actions de John Gillan, que vous continuez de cautionner, comme un abus de l’autorité découlant de son poste et comme un affront à moi-même et à ma famille.

On a permis à John Gillan de m’imposer une sanction disciplinaire en tant que fonctionnaire pour une inconduite alléguée qui n’existe ni dans la LRTFP ni dans la convention collective. Je n’aurais jamais dû faire l’objet de mesures disciplinaires en tant qu’employé pour une infraction perçue qui s’est produite hors du milieu de travail et qui ne peut être commise que par un représentant syndical. À présent, on permet à John Gillan de continuer son offensive contre moi, ce qui constitue une violation flagrante de mes droits en tant qu’employé en vertu de la convention collective

Si vous croyez que j’ai commis une infraction en tant que représentant syndical, vous êtes dans l’obligation de faire intervenir les redressements applicables que prévoit la LRTFP, aux termes de laquelle pareille contravention existe. John Gillan aurait dû déposer une plainte devant la CRTFP, comme le Conseil du Trésor a menacé de le faire, relativement à toute contravention qu’il m’aurait imputée pendant l’exercice de mes fonctions officielles de représentant syndical.

[…]

68 Le 16 novembre 2007, le fonctionnaire a écrit un courriel qu’il a adressé à M. Gillan, au ministre de la Sécurité publique et à d’autres personnes (pièce G-1, onglet 28). Dans ce courriel, il pose la question suivante à M. Gillan [traduction]« [q]ui vous a dit que j’avais demandé à ce qu’on affiche quoi que ce soit? » Il demande aussi pourquoi l’administrateur général ne recourt pas à la procédure applicable en vertu de la LRTFP, [traduction] « […] puisque votre plainte est à l’encontre d’un représentant syndical et non d’un fonctionnaire ».

69 Le fonctionnaire ne s’est pas présenté à l’audience disciplinaire. Il a fait l’objet d’un licenciement motivé le 20 novembre 2007 (pièce E-1, onglet 32). Dans la lettre de licenciement, M. Gillan a déclaré qu’il considérait le réaffichage, par le fonctionnaire, des phrases qui lui avaient valu la précédente sanction disciplinaire comme une [traduction] « sérieuse inconduite ». Il a déclaré que, au moment de déterminer la mesure disciplinaire à prendre, il avait tenu compte du dossier disciplinaire du fonctionnaire qui, a-t-il dit, dénotait, de la part de ce dernier, son [traduction] « […] mépris pour les intérêts de l’ASFC […] » et son [traduction] « manque de respect à l’égard de son autorité ». Il a considéré cette inconduite comme un incident déterminant qui justifiait le licenciement du fonctionnaire.

70 M. Gillan a témoigné que, selon lui, lorsque le fonctionnaire a affiché le message, il voulait [traduction] « nous narguer ». À l’audience, on lui a demandé, en interrogatoire principal, quelle avait été sa réaction face à l’affichage. Il a déclaré que les gestes posés par le fonctionnaire étaient conformes à son habitude de [traduction] « faire ce qu’il veut, puis donner une explication pour s’en sortir indemne ». Il a estimé que le fonctionnaire aurait pu expliquer sa sanction disciplinaire dans un discours plus général. M. Gillan a témoigné que l’un des facteurs aggravants dont il avait tenu compte lorsqu’il avait imposé le licenciement était le fait que cette inconduite était exactement la même que celle qui avait déjà valu au fonctionnaire une sanction disciplinaire. M. Gillan  a déclaré que les attentes de l’administrateur général étaient assurément limpides pour le fonctionnaire. Ce dernier avait eu amplement la possibilité de corriger son comportement. M. Gillan a interprété le réaffichage comme étant l’incident déterminant. Il a considéré que le réaffichage du message représentait une tentative, de la part du fonctionnaire, d’obtenir des appuis chez les syndiqués et d’exhorter la direction nationale du syndicat à prendre des mesures illégales. M. Gillan a également dit qu’il avait tenu compte du fait que le fonctionnaire n’avait exprimé aucun regret ni manifesté de compréhension à l’égard des préoccupations de la direction. Au chapitre des circonstances atténuantes, M. Gillan a déclaré avoir pris en considération le caractère sérieux du licenciement d’un délégué syndical, ce qui était sans précédent à l’ASFC. Il a déclaré ne pas avoir considéré le retrait rapide de l’affichage comme une circonstance atténuante.

D. Griefs déposés

71 Dans son grief contestant la suspension de 30 jours, le fonctionnaire a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Non seulement je réfute l’allégation de M. Gillan selon laquelle je conseillais ou suscitais la déclaration ou l’autorisation d’une grève, mais je rappelle à la direction de l’ASFC qu’il n’y a rien dans la convention collective ou la LRTFP qui interdit à un employé de conseiller ou de susciter un arrêt de travail illégal.

La convention collective interdit seulement aux employés de participer à une grève illégale. Pour cette raison, je considère que l’employeur n’a pas l’autorité nécessaire pour prendre des mesures disciplinaires à l’endroit de fonctionnaires en l’absence d’une quelconque inconduite vérifiable imputée à un employé, si bien que je n’aurais pas dû faire l’objet d’une sanction disciplinaire en tant que fonctionnaire pour une interdiction alléguée en vertu de la LRTFP qui ne s’applique qu’aux représentants syndicaux.

[…]

L’article 194 […] ne permet pas à un employeur de déterminer si une telle infraction a été commise ou non, n’autorise pas l’employeur à imposer des sanctions qui vont au-delà de ce qui a été prévu par la loi et ne permet à un employeur de prendre des mesures disciplinaires contre un représentant syndical pour une contravention perçue à la LRTFP.

[…]

Je maintiens que les commentaires que j’ai faits dans ma réponse à un membre de la CEUDA qui a été affichée sur le site Web de la CEUDA hors du milieu de travail ne peuvent être considérés comme de l’incitation à une activité de grève illégale, car il ne fait aucun doute que je ne faisais rien d’autre qu’informer les membres de la CEUDA de ce que le syndicat faisait en leur nom lorsque j’ai déclaré que je pressais l’agent négociateur d’appuyer un débrayage. À aucun moment n’ai-je demandé, encouragé ou exhorté les membres de la CEUDA à appuyer telle ou telle activité à un moment précis. En fait, j’ai mentionné des activités futures qui englobent toutes les activités syndicales licites.

[…]

Pour conclure, j’assimile cette dernière sanction disciplinaire imposée par l’ASFC comme un autre exemple flagrant d’abus, de harcèlement, d’intimidation et d’ingérence dans l’administration du syndicat et, en particulier, à l’égard du droit du syndicat de communiquer avec ses membres.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

72 Le fonctionnaire a contesté par grief son licenciement le 14 décembre 2007. Il a présenté les détails de son grief ainsi que de la mesure corrective demandée le 20 décembre 2007. Dans les détails de son grief, le fonctionnaire a expliqué en ces termes l’objet de son affichage du 3 novembre 2007 :

[Traduction]

[…]

[…] Je ne faisais que clarifier le motif de ma suspension de trente (30) jours à cause des rumeurs et des fausses accusations qu’on faisait circuler à mon sujet au travail.

III. Résumé de l’argumentation

73 Les parties ont présenté des arguments par écrit et oralement. J’ai résumé ces arguments de la façon suivante.

A. Pour l’administrateur général

74 Conclure que la conduite du fonctionnaire ne justifie pas de licenciement serait tout à fait incompatible avec les interdits prévus à l’article 194 de la LRTFP. Dans Peter Engelmann et al., Trade Union Law in Canada (Canada Law Book, Toronto, 2009.), il est fait l’observation suivante à la page 6-31 : [traduction] « Arbitres, conseils des relations de travail et tribunaux ont tous statué qu’en raison des postes de direction qu’occupent les dirigeant syndicaux et de l’influence qu’ils exercent, leur participation active à une grève illégale accentue la gravité de l’infraction. » Ce principe a été appliqué à la fonction publique fédérale dans des cas où il n’y avait pas de grève illégale, mais une violation de l’article 103 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne LRTFP »), qui correspond aujourd’hui à l’article 194 de la LRTFP : voir King c. Conseil du Trésor, 2003 CRTFP 48, aux paragraphes 125 à 127.

75 À son dossier disciplinaire, le fonctionnaire a une suspension de 5 jours et une autre de 10 jours qui viennent étayer l’imposition d’une mesure disciplinaire de 30 jours et, en bout de ligne, d’un licenciement. En fait, au sujet de la suspension de 10 jours (King no 2), l’arbitre de grief s’est exprimé en ces termes :

[273][…] J’ai de la difficulté à croire, au vu de la nature des allégations et de la manière dont elles ont été formulées, qu’une personne raisonnable ne se poserait pas de sérieuses questions sur l’aptitude du fonctionnaire à accomplir ses fonctions comme fonctionnaire.

Le fonctionnaire n’a pas demandé de contrôle judiciaire de la décision rendue.

76 Au chapitre du fardeau de la preuve, c’est à l’administrateur général qu’il incombe de prouver ses allégations et d’établir que ces allégations justifient la mesure disciplinaire prise. On a exprimé le mieux la norme de preuve requise pour s’acquitter de ce fardeau dans Faryna v. Chorny, [1951] 2 D.L.R. 354 (B.C.C.A.), au paragr. 11 :

[Traduction]

[…] Pour résumer, le véritable critère de la véracité du récit d’un témoin en pareil cas doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable en pareille situation et de telles circonstances.

[…]

77 Plus récemment, on a confirmé que la prépondérance des probabilités était la seule norme de preuve dans les cas civils (F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, paragr. 46) : « […] la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. »

1. Suspension de 30 jours

a) L’administrateur général a-t-il prouvé ses allégations?

78 Pendant le déroulement de l’enquête disciplinaire, le fonctionnaire a admis qu’il était l’auteur du courriel du 11 septembre 2007, lequel avait été ultérieurement affiché sur le site Web. Il s’agissait, à l’évidence, d’une communication aux membres de l’agent négociateur. Bien qu’il ait nié, pendant l’enquête disciplinaire, avoir demandé à ce qu’on affiche le courriel sur le site Web, le fonctionnaire admet maintenant que ce document a été affiché à sa demande. Le déni initial du fonctionnaire devrait donner une idée générale de sa crédibilité.

79 Le courriel en question enfreint le paragraphe 194(1) de la LRTFP de deux façons. En premier lieu, il est clair, de par le contenu du courriel du 11 septembre 2007, que le fonctionnaire conseillait et suscitait la déclaration et l’autorisation d’une grève. Le fonctionnaire y dit explicitement qu’il [traduction] « presse l’agent négociateur et le bureau national de la CEUDA de fournir leur appui à un débrayage maintenant ». La preuve que l’unité de négociation n’était pas en situation de grève légale n’est pas contestée; le fonctionnaire était un dirigeant et un représentant d’une organisation syndicale et, dans son courriel, il emploie l’expression [traduction] « débrayage maintenant », ce que, raisonnablement, on ne peut interpréter que comme signifiant une « grève », puisque le terme est défini dans la LRTFP. Le fonctionnaire a lui-même admis qu’il sollicitait un « appui » de la CEUDA et de l’AFPC en vue d’un [traduction] « débrayage maintenant ». À l’évidence, le fonctionnaire conseillait et suscitait la déclaration et l’autorisation d’une grève par la CEUDA et l’AFPC.

80 En adressant le courriel aux membres de l’unité de négociation et en le faisant afficher sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA, le fonctionnaire conseillait et suscitait aussi une grève illégale chez les employés en les incitant à s’engager dans une activité de grève de la façon dont ce terme est défini dans la LRTFP. S’il est important d’examiner la preuve pour mettre en contexte le courriel du 11 septembre 2007, un point de départ de cette analyse consisterait à définir les termes « conseiller » et « susciter » :

[Traduction]

Conseiller : 1) a) donner un conseil […] b) une politique, un plan d’action ou un comportement.

Susciter : Entamer une procédure; faire faire une chose; instiguer; combiner, causer, provoquer ou occasionner. Persuader, inciter, amener ou entraîner une personne à faire quelque chose [je souligne].

[Les passages en évidence le sont dans l’original, aucune source citée]

81 En matière d’interprétation des lois, présumer que le législateur a soigneusement choisi les mots qu’il emploie est un principe bien établi (Pelletier c. Canada (P.G.), 2008 CAF 1, aux paragraphes 27 à 29). Par l’emploi du verbe « susciter », l’intention du législateur était d’englober les actons par lesquelles on tente de faire indirectement ce qui est interdit directement. En d’autres termes, des verbes tels qu’« instiguer », « combiner » et « induire » invitent au bon sens et à une plus solide interprétation des actions d’un fonctionnaire s’estimant lésé dans leur plein contexte. Il ne suffit pas à un fonctionnaire s’estimant lésé de dire qu’il n’a pas directement dit aux employés de faire grève; ce qu’il faut, c’est évaluer objectivement la preuve afin de déterminer si tel, en fait, était le but de la communication. Pour reprendre les termes employés par l’arbitre de grief dans King (2003 CRTPF 48, au paragraphe 126), le fonctionnaire « savait ou aurait dû savoir ».

82 L’allégation incluse dans la lettre de discipline est établie au seul vu du courriel. Qui plus est, le contexte ayant donné lieu à ce courriel est édifiant et étaye davantage les allégations que renferme la lettre disciplinaire. Dans son courriel adressé au fonctionnaire (pièce E-1, onglet 8), M. Moran dit clairement au fonctionnaire que l’unité de négociation n’est pas en position de grève légale, mais que le fonctionnaire devrait encourager chaque syndiqué à exercer des moyens de pression illégaux, que les simples menaces ne suffisent plus et qu’une action plus concrète est nécessaire. Le fonctionnaire y répond en poussant M. Moran et en cherchant à obtenir du bureau national de la CEUDA un appui à une activité de grève. Il fait cela en sollicitant l’autorisation, pour les employés, de ne pas se présenter à tout quart de travail qui n’est pas prévu par la clause 25.17 de la convention collective. Ce que le fonctionnaire préconisait, c’était un boycott de la majorité des quarts que l’employeur avait instaurés et pour lesquels le syndicat avait déposé un grief de principe dont le traitement suivait son cours. Ce qui était recherché était une activité de grève illégale à très grande échelle.

83 Il importe de se pencher sur la décision rendue dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2009 CRTFP 66. La demande de l’agent négociateur de faire annuler ces horaires de travail a été rejetée, et il en est résulté que les horaires normaux supplémentaires sont devenus des quarts réglementaires que les employés étaient tenus d’effectuer. Ainsi donc, lorsque le fonctionnaire a tenté d’obtenir, pour les employés, la permission de boycotter ces quarts de travail, cela équivalait de sa part à susciter une grève illégale.

84 Manifestement, le fonctionnaire conseillait et suscitait l’autorisation d’une grève illégale. Son message était adressé à l’ensemble des membres. Le fonctionnaire ne dit pas simplement qu’il sollicite un soutien, il dit qu’il cherche à obtenir un appui à [traduction] « un débrayage maintenant ». À l’évidence, il parle d’une grève illégale et dit aux syndiqués qu’il y a urgence à cet égard. Le fonctionnaire dit aussi : [traduction] « Si la direction se présente à la rencontre et ne propose rien de plus [le lundi suivant] que ce qu’elle avait proposé en février dernier, préparez-vous à soutenir de futures activités syndicales. » Il est clair que le fonctionnaire incite, amène et induit les membres à participer à une grève. À peine quatre jours auparavant, il envoyait un courriel aux membres dans lequel il indiquait ce qui suit : [traduction] « […] nous devons aller de l’avant sans nous attendre à ce que l’employeur veuille sincèrement résoudre ce litige et en présumant qu’il ne pourrait s’agir là que d’une tentative de l’employeur de gagner du temps en vue d’empêcher de futures activités syndicales » (pièce G-1, onglet 12).

85 Dans un courriel ne servant que ses intérêts personnels, qu’il a envoyé après avoir fait l’objet de mesures disciplinaires et pour tenter de prendre ses distances par rapport à ses propres actions, le fonctionnaire a admis qu’il conseillait l’autorisation d’une grève illégale (pièce E-1, onglet 22) : [traduction] « […] J’ai clairement indiqué que nous n’avions aucune intention d’aller de l’avant tant que nous n’aurions pas reçu d’opinion juridique ou demandé le soutien de l’agent négociateur. » Sa demande de soutien était manifestement distincte de sa demande d’opinion juridique. Sa tentative, à la présente audience, de faire croire qu’il ne faisait que chercher à obtenir des clarifications ne cadre pas avec a) l’affichage du 11 septembre 2007; b) les courriels; c) le dernier courriel, dans lequel il distingue entre sa demande d’opinion juridique et sa demande, à l’agent négociateur, d’un appui à un débrayage.

b. La conduite du fonctionnaire s’estimant lésé justifie-t-elle l’imposition d’une mesure disciplinaire?

86 Il est bien établi qu’une violation de l’article 194 de la LRTFP constitue une affaire grave qui justifie une sérieuse réponse disciplinaire. Dans Parashchyniak c. Conseil du Trésor (ministère des Postes),dossier de laCRTFP 166-02-1184 (19740723), l’arbitre de grief a fait valoir qu’un délégué syndical avait le devoir spécial de s’abstenir de prendre part à une grève illégale ainsi que le devoir spécial de s’abstenir d’inciter ou d’encourager pareille grève. Dans King no 1 (au paragraphe 174), l’arbitre de grief a écrit ceci : « Je souligne que la jurisprudence est essentiellement unanime à conclure que les représentants syndicaux ne bénéficient pas d’une plus grande protection contre des sanctions disciplinaires quand on peut prouver que leurs actions étaient illégales. » Il ressort de la jurisprudence que la violation de l’article 194 de la LRTFP  justifie une réponse disciplinaire (voir aussi Latouf et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Postes),dossiers de la CRTFP 166-02-3500 à 3504 (19780620), aux pages 40 et 45, et Goyette c. Conseil du Trésor (Commission d’assurance-chômage), dossier de la CRTFP 166-02-3057 (19771027), à la page 27). En conséquence, la conduite du fonctionnaire justifiait, en l’espèce, une réponse disciplinaire.

c. La conduite du fonctionnaire s’estimant lésé justifie-t-elle la sanction disciplinaire imposée?

87 L’objet d’une mesure disciplinaire, hormis le licenciement, est de corriger un comportement, étant entendu que le degré de sévérité de la sanction doit être suffisant pour faire dûment comprendre à l’employé que ses actions sont inappropriées. Au moment d’évaluer la convenance de la sanction, il importe de souligner la gravité des actions du fonctionnaire. L’administrateur général estime que toute violation de l’article 194 de la LRTFP justifie une sérieuse réponse disciplinaire. C’est particulièrement vrai dans le cas des agents des services frontaliers, qui se trouvent au premier rang des fonctions douanières, d’immigration et d’inspection des aliments à l’AIP. Il était possible que le comportement du fonctionnaire entraîne une importante  perturbation des opérations au plus gros aéroport du pays. Solliciter un appui à un [traduction] « débrayage maintenant » et porter cela à l’attention d’employés ne se trouvant pas en situation de grève légale est un comportement qui, à lui seul, devrait justifier une suspension de 30 jours, étant donné l’absence totale de remords ou de compréhension de la part du fonctionnaire. Comme on l’a fait valoir dans Petersen et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Postes), dossiers de la CRTFP 166-02-3482 à 3486 (19781102), à la page 61 :

De l’avis de la Commission, la participation à une grève illégale (mis à part l’incitation et l’encouragement à faire la grève) par des employés dont toutes les fonctions exigent qu’ils fournissent un service important au public doit être traitée avec plus d’attention.

88 Le cas Parashchyniak traite d’un employé qui a été congédié à la suite d’une première infraction pour avoir participé à un arrêt de travail et avoir encouragé d’autres employés à faire de même. L’arbitre de grief a fait valoir qu’un tel comportement « […] était si grave qu’il commandait une lourde sanction disciplinaire, et je ne crois pas qu’un arbitre de différend ou un arbitre de grief pourrait penser autrement ». Après avoir qualifié de [traduction] « grave inconduite » l’arrêt de travail de deux heures dans cette affaire, l’arbitre a conclu, comme il s’agissait d’une première infraction, qu’une suspension de neuf mois était appropriée. Dans la même veine, l’administration générale était en droit, en l’espèce, d’envoyer le message approprié au fonctionnaire pour s’assurer qu’il avait compris qu’un tel comportement n’était pas acceptable. S’il se trouve que ce message n’a pas eu l’effet désiré et que le fonctionnaire a fini par être licencié, il demeure que la question, à ce stade-ci, est centrée sur le caractère raisonnable de la sanction au moment où elle a été imposée. Couper la poire en deux quant à la mesure disciplinaire imposée équivaudrait à envoyer un message contradictoire qui serait porteur d’une victoire partielle et n’aurait pas le résultat disciplinaire désiré (lorsqu’il n’y a pas congédiement), à savoir de corriger le comportement.

89 Il est bien établi que c’est au fonctionnaire qu’il incombe d’établir d’éventuelles circonstances atténuantes (voir Wilson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel),dossierde la CRTFP 166-02-25841 (19950301), à la page 4). Il est aussi bien établi que le facteur le plus important en ce qui concerne les circonstances atténuantes est de déterminer si l’employé en cause a manifesté de la compréhension et exprimé des regrets au moment où les préoccupations ont été portées à son attention la première fois (voir Naidu c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 CRTFP 124, au paragraphe 93; voir aussi Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62,aux paragraphes 180, 184 et 191 et Way c. Agence du revenu du Canada,2008 CRTFP 39, aux paragraphes 102 et 109). Pendant toute la durée de cette affaire, le fonctionnaire n’a manifesté aucune compréhension ni exprimé le moindre regret. En fait, peu après l’imposition de la sanction disciplinaire, le fonctionnaire l’a qualifiée de (pièce E-1, onglet 22) : [traduction] « […] rien de plus que du harcèlement continu et de l’ingérence de votre part qui ont déjà donné lieu à de multiples plaintes portées contre vous et vos collègues ».

90 Si l’on tient compte du fait que le fonctionnaire avait déjà à son actif une suspension de 5 jours et une suspension de 10 jours, on constate que cette affaire fait intervenir le principe de la discipline progressive. Qui plus est, rien n’empêche l’administrateur général de tenir compte du dossier disciplinaire antérieur d’un employé, quand bien même les actes subséquents d’inconduite seraient sans doute de nature différente (voir Northwest Territories Power Corp. and Union of Northern Workers (Melanson) (2004), 132 L.A.C. (4e) 275, au paragraphe 25, et Weyerhaeuser Co. (Drayton Valley Operations) v. United Steelworks Local 1-207, 159 L.A.C. (4e) 56).

91 Au surplus, les événements en cause dans l’affaire en instance ne sont pas complètement isolés des précédentes mesures disciplinaires figurant au dossier. Les actes pour lesquels une sanction disciplinaire a été imposée dénotent une propension au mépris pour les intérêts de l’ASFC et au manque de respect à l’égard de son autorité.

92 Une application rigide du principe de discipline progressive, sans prise en compte des facteurs aggravants et en l’absence de circonstances atténuantes, donnerait certes à penser qu’une mesure disciplinaire adéquate pourrait être fixée à 20 jours, mais une telle sanction n’est pas appropriée en l’espèce. Compte tenu de la gravité de l’inconduite et du fait que le fonctionnaire ne manifeste aucun regret, c’est une suspension de 30 jours qui convient et, de surcroît, on devrait appliquer le principe qui est discuté dans Wilson, à la page 5 :

[…]

En l’absence d’éléments démontrant l’existence de circonstances atténuantes, je ne pense pas que l’arbitre doive modifier une mesure disciplinaire, dès qu’elle fait partie de celles que l’employeur a le droit d’imposer. Le seul fait que l’arbitre, s’il avait été gestionnaire, aurait imposé une sanction moindre n’est pas une raison suffisante pour réduire cette peine.

[…]

93 Il importe aussi de rappeler le témoignage de M. Gillan selon lequel la conduite du fonctionnaire justifiait en soi une suspension de 30 jours, étant donné sa gravité et l’absence complète de compréhension et de remords de la part du fonctionnaire. Toutefois, le fonctionnaire avait une suspension de 5 jours et une autre de 10 jours à son actif. Cela vient donc justifier l’imposition d’une suspension de 30 jours. La mesure disciplinaire imposée par l’administrateur général revêt un caractère raisonnable lorsque l’on tient compte du comportement en cause.

2. Licenciement

94 Il est clair que les motifs invoqués dans la lettre de licenciement reposaient sur les allégations contenues dans la lettre de discipline de la suspension de 30 jours, et c’est la raison pour laquelle la suspension de 30 jours a été expressément mentionnée dans la lettre de licenciement. Répétons-le, le fonctionnaire conseillait et incitait ses membres à se livrer à une activité de grève illégale en plus de conseiller et d’inciter la CEUDA et le bureau national de l’AFPC à autoriser une participation à une grève illégale.

95 Le courriel du fonctionnaire du 3 novembre 2007 (pièce E-1, onglet 23) s’adresse aux membres de la section locale 24 de la CEUDA et a été affiché sur le site Web de la section locale le lendemain de l’imposition de la suspension de 30 jours au fonctionnaire. Le fonctionnaire y révèle aux syndiqués qu’on vient de le suspendre pour 30 jours, et il y dit aussi : [traduction] « […]chacun d’entre vous avez maintenant été témoin des tromperies, mensonges et abus de la direction qui continuent de gangréner cette organisation, d’entraver les négociations relatives aux EPHV et de nuire au règlement de tant d’autres conflits régionaux de relations de travail ». Manifestement, le fonctionnaire établit un climat très antagoniste dans le contexte d’un milieu de travail où l’on pourrait mettre le feu aux poudres à tout moment. Le fonctionnaire a réaffiché la partie du courriel qui lui avait valu la suspension de 30 jours en la mettant en caractères gras et italiques. Pendant la rencontre de l’enquête disciplinaire relative à la suspension de 30 jours, le fonctionnaire a déclaré que tout ce qu’il essayait de dire, c’était qu’il cherchait à obtenir des clarifications pour savoir s’ils étaient en position de grève légale et que, d’après son représentant qui parlait en son nom, [traduction] « […] les termes employés dans le courriel n’étaient pas les « bons » mots ». Toutefois, le fonctionnaire avait été avisé du fait que l’administrateur général considérait cela comme une violation de l’article 194 de la LRTFP et, en réaffichant les commentaires reprochés, il ne saisissait manifestement pas l’occasion de clarifier sa communication aux employés. En fait, le fonctionnaire a continué d’employer les mêmes mots, lesquels, avait-il admis plus tôt (par l’entremise de son représentant) n’étaient pas les bons mots. Comme on le fait remarquer dans Beaupré et Oldale c. Conseil du Trésor (ministère des Postes), dossiers de la CRTFP 166-02-9606 et 9607 (19810703), aux pages 20 et 24 :

[…]

[…] Les raisons invoquées à la décharge des employés s’estimant lésés, à savoir qu’ils ont tout simplement transmis  des renseignements et n’ont pas encouragé ni influencé les membres de leurs sections, doivent être rejetées.

[…]

[…] Comme je dois le souligner, la transmission de certaines informations doit être considérée comme ayant une influence aussi marquée sur les comportements que la sollicitation active directe ou les menaces. À titre de présidents, les employés s’estimant lésés étaient en mesure d’influencer les membres de l’UFC pour qu’ils respectent les lignes de piquetage du SPC […]

96 L’explication avancée par le fonctionnaire lorsqu’il a dit qu’il n’était pas sûr qu’ils étaient en position de grève légale, car, il a estimé, l’employeur violait la convention collective, est tout simplement absurde. Le fonctionnaire est le président de la section locale d’un syndicat. Comme on l’a fait observer dans Allard et al. c. Conseil du Trésor (Commission de l’emploi et de l’Immigration du Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-6012 à 6039 (19791115), à la page 86, ignorer la loi n’est pas une excuse.

97 C’est un « appel aux armes » à peine voilé que fait le fonctionnaire dans son courriel lorsqu’il conseille et suscite une activité de grève illégale. La Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a dit que toute personne qui charge, pousse, exhorte, engage, excite, encourage ou incite peut être réputée [traduction] « conseiller ou susciter » (J. Finkelman et S. Goldenberg, Collective Bargaining in the Public Service (Volume 2)), Institut de recherches politiques, Montréal, 1983, à la page 638, citant Canada (Conseil du Trésor) c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228, dossiers de la CRTFP 194-02-15 et 16 (19720914), au paragraphe 24). Il est évident que le fonctionnaire est en train de dresser un plan d’action. Il dit rechercher un appui à un [traduction] « débrayage maintenant » et demande aux membres de se préparer [traduction] « à soutenir de futures activités syndicales ». C’est ce qui s’appelle conseiller et susciter une grève illégale; il incite, pousse et encourage les syndiqués. Cette action est très légèrement voilée, car le fonctionnaire savait (ayant déjà écopé de sanctions disciplinaires pour cela auparavant) qu’il ne pouvait être explicite. Le fonctionnaire était le principal porte-parole du syndicat au lieu de travail.

98 La LRTFP ne dit pas qu’il est interdit à un dirigeant ou un représentant syndical « de déclarer ou d’autoriser » une grève ou encore « d’ordonner la participation de fonctionnaires à une telle grève ». La loi emploie les termes « conseiller » et « susciter ». La portée de l’interdit est vaste et vise à prévenir ce que le fonctionnaire a fait dans l’affaire en instance. Si le législateur avait eu l’intention que l’on fasse une interprétation étroite de cette interdiction, il n’aurait pas employé les termes « conseiller » et « susciter ». Ce que le fonctionnaire suggère, c’est que ce tribunal applique une interprétation étroite et restrictive de l’interdit énoncé à l’article 194 de la LRTFP. Il importe, toutefois, de rappeler que cette interdiction traite du « crime capital » dans le domaine du droit du travail. L’objectif était de réglementer les arrêts et les ralentissements de travail. Tous les organes législatifs ont adopté cette approche axée sur l’atteinte d’un équilibre entre : a) un contrat de travail exécutoire et liant les parties; b) l’absence de moyens de pression illégaux au travail. Ce principe est une pierre angulaire de toute loi régissant des relations de travail, y compris la LRTFP. L’importance de ce principe souligne l’intention du législateur dans le choix des mots qu’il a fait à l’article 194 de la LRTFP. De conseiller ou susciter a) la déclaration ou l’autorisation d’une grève illégale et b) la participation de fonctionnaires à une grève illégale, le législateur a fait une infraction à la Loi. Si le législateur avait eu cette intention dans le seul but d’adhérer au genre de déclarations explicites que le fonctionnaire suggère, la LRTFP aurait employé le même langage que celui de l’article 89 du Code canadien du travail, L.R.C., ch. L-2 (CCT), aux termes duquel il est « interdit […] au syndicat de déclarer ou d’autoriser une grève si […] ».

99 Dans son courriel du 2 novembre 2007 adressé à M. Gillan et à d’autres personnes, dont MM. Moran et Gordon (pièce E-1, onglet 23), le fonctionnaire dit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le syndicat a parfaitement le droit de mobiliser ses membres en vue d’activités futures.

[…]

J’ai clairement indiqué que nous n’avions aucune intention d’aller de l’avant tant que nous n’aurions pas reçu d’opinion juridique ou demandé l’appui de l’agent négociateur.

[…]

Tant et aussi longtemps que nous n’aurons pas émis d’instruction, ce que, à l’évidence, nous n’avons pas fait, nous serons parfaitement en droit de faire savoir à nos membres si nous sollicitons un soutien, de qui nous le sollicitons et à quel sujet.

[…]

[Je souligne]

100 Le fonctionnaire essayait de couvrir ses traces lorsqu’il a prétendu que son courriel du 11 septembre 2007 n’était pas une instruction ou une autorisation donnée aux membres. Toutefois, cela dénote le fait que le fonctionnaire continue de croire qu’il est en droit de conseiller ou de susciter l’autorisation d’une grève illégale dès lors qu’il ne déclare pas semblable grève. Le fait qu’une copie de ce courriel ait été envoyée au président de la CEUDA et au président de l’AFPC démontre qu’il s’agissait d’une pomme de discorde avec le fonctionnaire et que ce dernier continuait de conseiller et de susciter une telle autorisation. À nouveau, le fonctionnaire a affiché le fait suivant : [traduction] « En attendant, je presse l’agent négociateur et le bureau national de la CEUDA de fournir leur appui à un débrayage maintenant. »

101 L’échange du fonctionnaire avec M. Moran en date du 5 novembre 2007 montre que le fonctionnaire a continué de conseiller et susciter l’autorisation ou la déclaration d’une grève illégale (pièce G-1, onglet 27; extrait cité au paragraphe 66 de la présente décision). Le fonctionnaire y a joint le courriel du 24 août 2007 (pièce G-1, onglet 27) dans une tentative évidente d’inciter le bureau national de la CEUDA à déclarer ou à autoriser des moyens de pression illégaux au travail (extrait cité au paragraphe 48 de la présente décision). Le fonctionnaire a continué de conseiller et de susciter, auprès de l’agent négociateur, l’autorisation d’une grève illégale. Le fonctionnaire est un dirigeant et un représentant d’organisation syndicale, et l’unité de négociation n’était pas dans une situation de grève légale, de sorte que les actions du fonctionnaire constituent une violation de l’article 194 de la LRTFP.

102 La conduite adoptée par le fonctionnaire lorsqu’il a réaffiché l’information en question justifie un licenciement en guise de mesure disciplinaire unique. À la différence de cas où l’incident déterminant est plus banal ou courant, les faits du présent cas révèlent l’une des plus graves infractions en matière de droit du travail et une infraction qui venait de valoir au fonctionnaire une très sérieuse sanction disciplinaire.

103 Cela dit, et subsidiairement, comme le précisait la lettre de licenciement, l’administrateur général s’appuie aussi sur le principe de l’incident déterminant. La doctrine de l’incident déterminant lui permet de tenir compte du mauvais dossier d’emploi d’un fonctionnaire pour justifier la prise de mesures plus sévères que les sanctions qui auraient autrement été justifiées (voir Canadian Labour Arbitration, de Brown et Beatty, au paragraphe 7:4310). Le réaffichage, par le fonctionnaire, de l’avis reproché constituait une sérieuse inconduite. À la différence de nombre de cas traitant de la doctrine de l’incident déterminant, cette inconduite justifie à elle seule le licenciement. Dans le contexte du dossier disciplinaire du fonctionnaire, en particulier du fait que la même inconduite lui avait valu une suspension de 30 jours, le licenciement est ici une mesure appropriée. Qui plus est, le dossier révèle que le fonctionnaire n’exprime aucun regret à l’égard de ses actions.

B. Arguments présentés pour le fonctionnaire s’estimant lésé

104 Le fonctionnaire a fait le résumé suivant de son argumentation :

[Traduction]

[…]

  • En premier lieu, le fonctionnaire affirme que sa conduite ne correspondait pas au sens de « conseiller » ou « susciter » une grève illégale, aux fins de la LRTFP.

  • En deuxième lieu, il n’appartient pas à l’employeur de réguler les activités de dirigeants syndicaux, à moins que ceux-ci ne se livrent à une inconduite d’employé. Les pouvoirs de l’employeur à l’égard des violations alléguées du paragraphe 194(1) de la LRTFP consistent, soit à entamer une poursuite contre un « dirigeant syndical », en application des articles 198, 203 et 205 de la LRTFP, soit d’imposer des mesures disciplinaires à des fonctionnaires pour s’être livrés à une inconduite passible de sanctions disciplinaires. Lorsque des mesures disciplinaires sont prises contre des « fonctionnaires », les dispositions de la convention collective sont pertinentes. Dans le présent cas, la convention collective ne sanctionne que la participation à une activité de grève illégale et accorde aux dirigeants syndicaux une protection contre la discrimination en vertu de l’article 19.

  • En troisième lieu, imposer une sanction disciplinaire à un dirigeant syndical pour avoir pris part à des discussions internes sur les options juridiques afférentes à une activité syndicale et avoir fait rapport sur ce dossier intéressant directement les membres des syndicats équivaut à une ingérence injustifiable dans les droits tant de M. King que, plus généralement, du syndicat, et fait intervenir tout à la fois les dispositions de la LRTFP en matière de pratiques de travail déloyales ainsi que les droits de liberté d’association et d’expression que la Charte garantit aux membres et aux dirigeants d’un syndicat.

Pour ce qui est du licenciement de M. King pour avoir affiché une deuxième fois un avis sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA, le fonctionnaire soutient, en outre, qu’il n’y a aucune raison de considérer comme une inconduite la notification, aux membres, de la suspension du président de la section locale et du motif allégué par la direction pour imposer cette sanction disciplinaire. Qui plus est, les déclarations faites dans cette notification ressortissent franchement à la liberté d’expression protégée des dirigeants syndicaux.

5.       Même si l’on concluait à l’inconduite eu égard à l’un ou l’autre de ces incidents, ou aux deux, le fonctionnaire affirme que la sévérité de la sanction imposée par l’employeur n’est pas appropriée, compte tenu de la réduction significative des antécédents disciplinaires de M. King (suspension 80 jours passée à 15 jours) dans le cadre de protocoles de règlement, et à la suite de procédures antérieures devant la Commission. […]

105 Il ressort clairement de la preuve que, tout au long de la période au terme de laquelle il a été suspendu, et même après, le fonctionnaire cherchait activement à obtenir des clarifications et une orientation de la part du bureau national de la CEUDA et de l’AFPC quant aux options qui s’offraient légalement aux membres de la section locale 24 de la CEUDA. Plus précisément, le fonctionnaire avait cherché à obtenir — et continuait de solliciter — une opinion juridique quant à savoir si les membres de la section locale 24 de la CEUDA pouvaient débrayer en regard de toutes les circonstances entourant le différend relatif aux EPHV. Dans son témoignage, le fonctionnaire a catégoriquement affirmé que, à aucun moment, il n’était intéressé à obtenir, de l’agent négociateur, une instruction de se livrer à une activité de grève illégale. De fait, la preuve confirme que le fonctionnaire ne suscitait pas l’autorisation d’une grève illégale, mais cherchait plutôt à obtenir des clarifications sur l’éventuelle légalité d’une grève dans ces circonstances.

106 La preuve fait clairement ressortir que l’administrateur général ne considérait alors pas l’affichage du message du fonctionnaire sur le site Web comme suffisamment problématique pour justifier une intervention d’urgence. Incidemment, l’administrateur général n’a même pas pris la mesure initiale de demander le retrait du message du site Web de la section locale 24 de la CEUDA pendant six semaines après que la direction eut été mise au courant une première fois dudit affichage. Au surplus, et par contraste avec le traitement qu’il a réservé à l’affichage du 11 septembre 2007, l’administrateur général avait promptement avisé le fonctionnaire des objectifs de la direction à d’autres affichages sur le site Web durant cette période (pièce G-1, onglet 17).

107 M. Gillan a confirmé, en contre-interrogatoire, que, lorsqu’il a imposé la suspension de 30 jours, il ne s’était fié qu’à l’affichage en tant que tel sur le site Web et qu’il n’avait que mentionné les commentaires du service des relations de travail de l’ASFC, les notes prises par Mme Burke à l’issue de la réunion d’établissement des faits et le dossier disciplinaire antérieur du fonctionnaire. Fait notable, le témoignage de M. Gillan a confirmé qu’il ne s’était fié à aucun des courriels connexes qui ont été produits en preuve à cette audience.

108 Dans son témoignage, M. Gillan a très clairement dit que l’administrateur général n’avait nullement envisagé de licencier le fonctionnaire pour ce premier affichage sur le site Web, nonobstant le fait que, à cette date, le fonctionnaire avait un total de 80 jours de suspension à son actif. Lorsqu’on lui a demandé comment il avait déterminé qu’une suspension de 30 jours était une mesure disciplinaire appropriée pour cet incident, M. Gillan a répondu qu’une suspension de 30 jours représentait une mesure appropriée de discipline progressive, compte tenu de la précédente suspension de 20 jours. Comme circonstances aggravantes, M. Gillan a parlé du dossier disciplinaire antérieur du fonctionnaire, du fait que les parties étaient en pleine négociation d’une nouvelle convention collective et de la gravité de l’affaire en tant que telle. En contre-interrogatoire, M. Gillan a déclaré qu’il n’avait pas considéré le fait que le fonctionnaire avait immédiatement retiré l’affichage du site Web lorsqu’on le lui avait demandé comme une circonstance atténuante au moment d’imposer la sanction disciplinaire.

109 Aucune action de grève illégale ne s’est produite à l’AIP au cours de la période du 11 septembre 2007 à la date de licenciement du fonctionnaire, ni à aucun moment par la suite. Dans son témoignage, le fonctionnaire a déclaré que, même durant la période allant de la date de son congédiement à la date à laquelle il a renoncé à la présidence de la section locale 24 de la CEUDA, en juin 2008, il n’a rient fait pour orchestrer ou tenter d’orchestrer une grève illégale ou un arrêt de travail à l’AIP.

110 L’administrateur général n’avait aucune raison d’imposer une suspension de 30 jours au fonctionnaire pour son affichage du 11 septembre 2007 sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA. Le fonctionnaire affirme tout d’abord que sa conduite ne correspondait pas au sens de « conseiller » ou « susciter » une grève illégale, aux fins de la LRTFP. En deuxième lieu, l’administrateur général ne peut imposer de sanction disciplinaire pour la conduite d’un dirigeant syndical en contravention du paragraphe 194(1) de la LRTFP lorsque a) il n’a pas engagé les poursuites quasi-criminelles prévues par la Loi pour traiter les infractions à la LRTFP; b) la convention collective ne prévoit de sanctions disciplinaires que pour la participation à une grève illégale; c) l’application d’une norme différente aux dirigeants syndicaux contreviendrait aux dispositions d’« élimination de la discrimination » de la convention collective. En dernier lieu, imposer une sanction disciplinaire à un dirigeant syndical pour avoir pris part à des discussions internes sur les options juridiques afférentes à une activité syndicale et avoir fait rapport sur ce dossier intéressant directement les membres des syndicats équivaut à une ingérence injustifiable dans les droits tant du fonctionnaire que, plus généralement, de l’agent négociateur, et fait intervenir tout à la fois les dispositions de la LRTFP en matière de pratiques de travail déloyales et les droits de liberté d’association et d’expression que la Charte garantit aux membres et aux dirigeants d’un syndicat.

111 En affichant une réponse à la question d’un membre sur le site Web, le fonctionnaire n’annonçait pas ni n’incitait les membres de la section locale à s’engager dans une grève illégale, pas plus qu’il ne sollicitait l’autorisation de déclencher une grève illégale, que ce soit de la part des membres de la section locale, de l’AFPC ou du bureau national de la CEUDA. Plutôt, il ressort clairement de la preuve que le fonctionnaire participait à des discussions en cours avec les dirigeants de la CEUDA et de l’AFPC (et avec l’administrateur général) sur la question de savoir si le syndicat était en position de grève légale par suite de l’expiration de l’EPHV, ainsi qu’au sujet des mesures qui pouvaient être légalement prises pour faire progresser les intérêts des syndiqués dans le dossier du différend sur les EPHV. Le fonctionnaire avait sollicité une opinion juridique de l’AFPC sur ce dossier, et la question des mesures que le syndicat pouvait prendre est demeurée le sujet d’un débat continu entre dirigeants syndicaux. C’est dans ce contexte que le fonctionnaire a donné au webmestre l’instruction d’afficher sa réponse à une demande de renseignements émanant d’un membre. Le message affiché sur le site Web ne conseillait aucune grève illégale ni ne suscitait l’autorisation d’une telle action. Le fonctionnaire affirme que le message avait plutôt pour objet de tenir les membres de la section locale 24 de la CEUDA informés des discussions continues que le fonctionnaire avait avec les dirigeants de la CEUDA et de l’AFPC au sujet de la façon dont le syndicat pouvait répondre à la situation touchant les EPHV, ainsi que d’assurer les membres que le syndicat déployait des efforts soutenus à cet égard.

112 Il ressort clairement de la lettre de suspension et du témoignage des témoins de l’administrateur général que le fonctionnaire a fait l’objet de sanctions disciplinaires pour son infraction alléguée au paragraphe 194(1) de la LRTFP. Ce paragraphe porte sur ce qui suit :

Il est interdit à toute organisation syndicale de déclarer ou d’autoriser une grève à l’égard d’une unité de négociation donnée, et à tout dirigeant ou représentant de l’organisation de conseiller ou susciter la déclaration ou l’autorisation d’une telle grève, ou encore la participation de fonctionnaires à une telle grève.

[Je souligne]

113 L’administrateur général affirme que, par l’emploi de l’expression « conseiller ou susciter », le législateur a donné à l’interdit portant sur les grèves illégales une portée beaucoup plus large dans la LRTFP que dans le CCT, qui utilise les termes « de déclarer ou d’autoriser ». Le fonctionnaire est plutôt d’avis que le libellé de la LRTFP ne commande pas, en fait, une interprétation aussi large. Tout d’abord, les mots « conseiller ou susciter » sont aussi employés dans d’autres régimes de relations de travail, où ces termes n’ont pas reçu une interprétation aussi large que celle que préconise l’administrateur général. D’autre part, le cadre de la LRTFP fait de la contravention au paragraphe 194(1) une infraction quasi-criminelle, et il ressort clairement de la jurisprudence que ces termes doivent être interprétés de façon plus restrictive dans ce contexte. Alors que l’administrateur général s’appuie sur l’emploi de « de déclarer ou d’autoriser » dans le CCT plutôt que des mots « conseiller ou susciter » pour suggérer que le législateur avait l’intention d’instaurer une interdiction de portée particulièrement large eu égard aux grèves illégales aux termes de la LRTFP, il vaut de mentionner que le langage utilisé dans la LRTFP n’est pas dissemblable de celui qui est employé dans d’autres lois régissant des relations de travail. Par exemple, l’article 81 (anciennement l’article 74) de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario (la « LRTO ») se lit comme suit :

81. Le syndicat et le conseil de syndicats ne déclarent pas ni n’autorisent une grève illicite ni ne menacent d’en faire une. Le dirigeant et l’agent syndical ne recommandent, ne provoquent, n’appuient ni n’encouragent une grève illicite ni ne menacent d’en faire une.

114 Le libellé de la LRTO semble de portée plus large que celui de la LRTFP  en ce qu’il comprend expressément le terme « menacent » en plus des verbes « ne recommandent, ne provoquent, n’appuient ni d’encouragent ». Dans Plaza Fiber Glas Ltd. and U.S.W. (1988), 33 L.A.C. (3e) 193, un arbitre de différend s’est penché sur la signification d’une menace de grève illégale dans une situation où un dirigeant syndical avait dit à la direction de l’employeur que les syndiqués allaient faire grève, pendant que d’autres membres du syndicat pouvaient entendre ces propos, et ce, dans un climat de discorde entre le syndicat et l’employeur. L’arbitre de différend a clairement statué qu’un dirigeant syndical devait avoir fait davantage que simplement évoquer une grève illégale pour que l’on conclue à une violation des dispositions de la LRTO. Au paragraphe 79 de cette décision, l’arbitre de différend s’est ainsi exprimé à ce propos :

[Traduction]

[…] Je ne peux concevoir qu’en rédigeant l’article 74, il entrait dans l’intention du législateur d’interdire aux employés de prononcer le mot « grève » pendant la période de validité de la convention collective. Ce serait grandement desservir les intérêts de l’employeur, tout comme les relations syndicales-patronales en général, que d’interdire aux dirigeants syndicaux de communiquer à leurs employeurs la frustration des employés qui pourrait donner lieu à un arrêt de travail. À mon sens, les dirigeants syndicaux ont non seulement le droit mais aussi l’obligation de discuter ouvertement et franchement de telles questions avec l’employeur, de mettre celui-ci au courant de la situation et de l’aider à la désamorcer.

115 En outre, l’arbitre de différend a reconnu le critère objectif élevé auquel il fallait satisfaire pour établir que les commentaires et actions d’un dirigeant syndical contreviennent aux dispositions d’interdiction de grève illégale de la LRTO, au paragraphe 80 :

[Traduction]

[…] Le terme “menacent” signifie une détermination ou une intention présente avouée de faire du tort maintenant ou à l’avenir. Une déclaration peut constituer une menace même si elle renvoie à une éventualité dans le futur. Une déclaration peut constituer une menace même si elle renvoie à une éventualité sur laquelle son auteur exerce un contrôle.  La poursuite doit établir l’existence d’une « véritable menace », autrement dit une menace sérieuse, par opposition à des paroles prononcées comme simple argument politique, en l’air ou à la blague.

116 Le cas Plaza Fiber Glas démontre que, s’il n’est pas nécessaire que les actions ou les propos d’un dirigeant syndical donnent lieu à un arrêt de travail pour qu’intervienne l’application des interdits prévus par la Loi au chapitre des grèves illégales, on constate que des dispositions comme l’article 81 de la LRTO et le paragraphe 194(1) de la LRTPF exigent clairement de l’administrateur général qu’il produise la preuve tangible et objective que le dirigeant syndical, de par ses propos ou actions, avait bel et bien l’intention de faire en sorte que ses actions donnent lieu à une activité de grève illégale. De telles dispositions ont pour objet d’empêcher ou de dissuader l’exercice de moyens de pression illégaux au travail sans aller jusqu’à limiter la portée du dialogue entre les représentants syndicaux et l’administrateur général ou l’employeur, ou limiter la discussion interne, au syndicat, de ce que constitue une action de grève légale ou illégale dans le contexte d’un différend précis avec l’employeur au sujet de dispositions de la convention collective en vigueur. Dans le présent cas, rien n’indique que le fonctionnaire ait eu l’intention de faire en sorte que son affichage du 11 septembre 2007 sur le site Web déclenche une activité de grève illégale. La preuve ainsi que le témoignage du fonctionnaire font plutôt clairement ressortir que l’intention de ce dernier était de recenser et de mettre en œuvre des moyens légaux de pression sur l’employeur pour résoudre le différend au sujet des EPHV.

117 Pour légion que soient les synonymes de « conseiller » et de « susciter », il demeure que la dimension quasi-criminelle qui se dégage des dispositions législatives en cause appelle une interprétation plus restrictive de ce libellé. En application de l’article 203 de la LRTFP, la contravention au paragraphe 194(1) constitue une infraction quasi-criminelle qui est punissable, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’une amende maximale de 10 000 $. En conséquence, le fonctionnaire soutient que, aux fins de l’application du paragraphe 194(1), l’expression « conseiller ou susciter » doit être interprétée d’une manière conforme à l’interprétation qui est donnée à ces termes dans un contexte judiciaire. Dans le contexte criminel, « conseiller » doit signifier davantage que simplement suggérer, insinuer, opiner ou décrire. La Cour suprême du Canada a plutôt retenu un sens plus restrictif pour le verbe « conseiller » du point de vue de l’action de conseiller la perpétration d’une infraction selon le Code criminel. Dans R. c. Sharpe, [2001] 1R.C.S. 45, au paragraphe 56, la cour a fait valoir que « conseiller » peut simplement vouloir dire recommander dans un contexte ordinaire, mais que, en droit pénal, on lui donne le sens plus fort d’encourager activement. En ce qui concerne d’autres infractions criminelles et conformément à ce qui a été statué dans Plaza Fiber Glas, la simple discussion d’un arrêt de travail n’est pas censée être visée par les interdits législatifs. L’interdiction s’applique plutôt à des énoncés qui, interprétés de façon objective, amènent ou incitent les employés à se livrer à une activité de grève illégale. La preuve, lorsqu’on l’analyse objectivement, ne répond tout simplement pas à ce critère. Incidemment, l’absence d’une preuve claire et tangible d’incitation active à une activité illégale peut expliquer pourquoi il a fallu six semaines à l’administrateur général pour décider de la façon dont il allait répondre à l’affichage du 11 septembre 2007 sur le site Web.

118 Pour établir qu’un dirigeant syndical a conseillé ou suscité l’autorisation d’une grève illégale en contravention du paragraphe 194(1) de la LRTFP, l’employeur doit démontrer que le dirigeant syndical n’a pas simplement conseillé une activité de grève illégale, mais a activement induit l’activité prohibée avec la claire intention que cette activité soit mise en œuvre et que, par suite des actions du dirigeant syndical, quelque tort ou préjudice a été causé à l’employeur. Les déclarations incluses dans l’affichage du 11 septembre 2007 sur le site Web ne constituent tout simplement pas une incitation active à des activités illégales telle que l’envisage l’interdit de dimension quasi-criminelle contre l’action de « conseiller ou susciter » une grève illégale dans la LRTFP. La preuve fait plutôt clairement ressortir que le fonctionnaire a seulement pris part à un vigoureux débat interne avec d’autres dirigeants syndicaux au sujet des prochaines mesures que le syndicat devait prendre pour traiter du différend entourant les EPHV, y compris à une discussion sur la question de savoir si le syndicat était en fait en position de grève légale, et qu’il transmettait et discutait les opinions exprimées par certains membres de la section locale de la CEUDA au sujet d’une « grève sauvage ». Compte tenu de cela, on ne saurait dire qu’une telle conduite équivalait à « conseiller ou susciter » une grève illégale au sens du paragraphe 194(1) de la LRTFP.

119 Enfin, il importe de noter que, s’il existe, dans la jurisprudence arbitrale, des décisions qui ont confirmé les mesures disciplinaires prises à l’endroit de dirigeants syndicaux ayant participé à une activité de grève illégale ou l’ayant conseillée, la grande majorité de ces cas portaient sur une conduite ayant effectivement abouti à des arrêts de travail, et non pas sur de simples discussions sur des arrêts de travail qui ne se sont jamais en fait produits. Le fonctionnaire soutient que rien, dans la loi, n’interdit aux dirigeants syndicaux d’évoquer simplement la possibilité ou les motifs d’une future grève légale — activité qui s’inscrit assurément dans le cadre de leur rôle légitime de représentants syndicaux élus. Quoi qu’il en soit, le fait même qu’aucune activité de grève illégale ne soit survenue corrobore la conclusion que l’affichage du fonctionnaire daté du 11 septembre 2007 sur le site Web n’équivaut pas à une incitation active à une activité de grève illégale.

120 Il ressort clairement de la lettre disciplinaire du 2 novembre 2007 que le fonctionnaire a été suspendu en raison de sa violation alléguée du paragraphe 194(1) de la LRTFP, lequel interdit de « conseiller ou susciter » une grève. Fait important, le paragraphe 194(1) est rédigé en sorte de s’appliquer aux dirigeants ou représentants syndicaux qu’ils soient ou non membres de l’unité de négociation, d’autres personnes employées ou des personnes dont le syndicat a retenu les services à titre de dirigeants ou de représentants. C’est pour cette raison que les articles 198, 203 et 205 de la LRTFP établissent un mécanisme de traitement, hors de la relation d’emploi, des contraventions alléguées au paragraphe 194(1). Plus précisément, les articles 198, 203 et 205 de la LRTFP font de la contravention au paragraphe 194(1) une infraction quasi-criminelle punissable sur déclaration de culpabilité par voie sommaire et applicable à toute personne assumant les fonctions de dirigeant syndical, que cette personne soit ou non un employé faisant partie de l’unité de négociation. La LRTFP prévoit le seul mécanisme approprié de traitement des contraventions alléguées au paragraphe 194(1) de la part de dirigeants syndicaux.

121 La Commission a depuis longtemps reconnu qu’il y avait une distinction législative entre les dirigeants syndicaux et les syndiqués de la base faisant partie de l’unité de négociation eu égard aux dispositions concernant l’activité de grève illégale en vertu de la LRTFP et de l’ancienne LRTFP. L’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne CRTFP ») a statué ce qui suit, dans Conseil du Trésor c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228, au paragraphe 3 :

[…] Il est interdit à l’employé de participer à une grève, soit à certain temps soit en tout temps, s’il est un employé désigné. Ce dernier est coupable d’infraction seulement si une grève a lieu et s’il y participe. Le fait qu’il préconise une grève qui n’a pas lieu ou, si elle a lieu, à laquelle il ne participe pas, peut entraîner pour lui d’autres conséquences, mais il n’est pas de ce fait coupable d’une infraction selon la Loi. Une association d’employés, cependant, ne doit ni déclarer ni autoriser une grève des employés qui a ou aurait pour effet d’entraîner la participation d’un employé à une grève en contravention de l’article 101 de la Loi. Un dirigeant ou un représentant d’une association d’employés ne doit ni recommander ni provoquer la déclaration ou l’autorisation d’une grève d’employés, ni leur participation à une telle grève, qui a ou aurait pour effet d’entraîner la participation d’un employé à une grève en contravention de l’article 101.

122 Cette conclusion de l’ancienne CRTFP démontre clairement que si des syndiqués de la base peuvent être poursuivis en vertu de la Loi pour avoir participé à une grève illégale, la Loi réserve aux dirigeants syndicaux un traitement différent en leur interdisant formellement de conseiller ou de susciter une activité de grève illégale. En conséquence, le fonctionnaire estime qu’entamer une poursuite contre lui était le seul mécanisme approprié de traitement de son infraction alléguée au paragraphe 194(1) de la part d’un dirigeant syndical. Si les syndiqués de la base s’exposent à d’autres conséquences pour semblable conduite, c’est un autre mécanisme que prévoit la Loi pour traiter pareille conduite de la part de dirigeants syndicaux.

123 Dans King (2003 CRTFP 48),il n’a jamais été demandé à l’arbitre de grief de déterminer s’il était approprié d’imposer une sanction disciplinaire pour l’infraction à une disposition de la Loi alors qu’il existait déjà un mécanisme prévu par la loi pour traiter ces infractions. Cette décision ne s’avère donc pas utile pour déterminer si la sanction disciplinaire du présent cas était appropriée, alors que ces questions ont été carrément soumises à un arbitre de grief.

124 En l’espèce, la preuve est claire en ce que l’administrateur général n’a pris aucune mesure pour intenter des poursuites relativement à ce qu’il allègue avoir été une violation du paragraphe 194(1) de la LRTFP. N’ayant pas entamé les procédures prévues aux articles 198, 203 et 205 de la LRTFP, l’administrateur général ne peut tenter de régler la contravention alléguée au paragraphe 194(1) au moyen de l’imposition d’une sanction disciplinaire.

125 La convention collective précise quelle conduite relative à des grèves illégales peut valoir des sanctions disciplinaires à son auteur. La clause 16.01 (pièce G-2) prévoit ce qui suit :

La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique prévoit des peines à l'endroit de ceux et celles qui participent à des grèves illégales. Des mesures disciplinaires peuvent aussi être prises jusques et y compris le licenciement aux termes de l'alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour toute participation à une grève illégale, au sens où l'entend la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

126 Dans Canada (Conseil du Trésor) c. Clark, dossier de la CRTFP 194-02-13 (19711103), au paragraphe 5, l’ancienne CRTFP a établi une distinction entre « participer » et « recommander ou provoquer » :

[…] [I]l faut interpréter le mot "participer" qui figure à l’article 101 et le mot "participation" qui figure aux articles 102 et 103 en tenant compte du fait qu’il y a distinction entre les interdictions qui s’appliquent à un agent et à un représentant d’une association d’employés en vertu de l’article 102 et celles qui visent les employés à l’article 101. "Participer" n’est pas "recommander" ni "provoquer".

127 L’article 16 de la convention collective établit clairement la norme de discipline relative à l’activité de grève illégale, et les fonctionnaires ne s’exposent à une sanction disciplinaire que s’ils « participent » à ou « s’engagent » dans une activité de grève illégale. Les parties se sont penchées sur la question de l’activité de grève illégale et ont établi une norme de discipline à laquelle l’administrateur général doit se conformer. En interprétant le texte explicite des conventions collectives, les arbitres de différend ont adopté le principe de expressio unius est exclusio alterius, autrement dit du principe voulant que la mention expresse d’une affaire implique l’exclusion des autres affaires connexes : Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. (Markham: LexisNexis, 2008), aux pages 243 à 252.

128 Toutefois, même si la convention collective fait expressément allusion aux dispositions de la LRTFP touchant les grèves illégales, elle ne fait aucune mention de l’action de conseiller ou de susciter la déclaration ou l’autorisation d’une grève illégale. Par conséquent, en vertu de la règle du principe expressio unius, l’administrateur général ne peut imposer de sanction disciplinaire à un fonctionnaire — y compris à un employé qui s’avère être aussi un représentant syndical — pour avoir proposé ou discuté la possibilité d’une grève illégale. Plutôt, des sanctions disciplinaires ne peuvent être imposées qu’à des employés qui participent à une grève illégale — un événement qui ne s’est pas produit en l’espèce.

129 Les circonstances de l’espèce sont clairement différentes de celles de cas tels que Heffernan and White v. Treasury Board (Post Office Department), (1981) 3 L.A.C. (3e) 125, aux paragraphes 39 à 42, où l’ancienne CRTFP a confirmé les suspensions de deux dirigeants syndicaux dont ont a établi qu’ils avaient conseillé aux membres de participer à une grève de sympathie. Dans ce cas, les actions des dirigeants syndicaux contrevenaient non seulement à l’article 102 de l’ancienne LRTFP (le prédécesseur du paragraphe 194(1) de la LRTFP), mais aussi, et de façon directe, aux dispositions de la convention collective qui interdisaient la distribution de documents syndicaux au lieu de travail sans la permission préalable de l’administrateur général. À l’inverse, la convention collective applicable au présent cas ne renferme aucune disposition que pourrait faire intervenir la conduite du fonctionnaire, pas plus qu’elle n’aborde les questions liées à l’activité de grève illégale (à l’article 16) en faisant la moindre allusion à l’action de conseiller ou de susciter la déclaration ou l’autorisation d’une grève illégale. Du fait que, lorsqu’elles ont rédigé la convention collective, les parties se sont penchées sur la question des mesures disciplinaires applicables à l’activité de grève illégale, il est clair, d’après le texte de la convention, que les fonctionnaires ne peuvent faire face à des mesures disciplinaires aux termes de la convention collective pour quelque activité syndicale que ce soit hormis celle de participer à une grève illégale. En conséquence, le seul recours qui s’offrait à l’administrateur général eu égard à des dirigeants syndicaux qui auraient conseillé ou suscité une grève illégale résidait dans l’application des articles 198, 203 et 205 de la LRTFP.

130 En outre, il vaut de remarquer que le libellé de l’article 16 de la convention collective fait écho à la réalité industrielle du droit de l’employeur d’imposer des sanctions disciplinaires aux employés pour inconduite. Comme l’ont fait observer Brown et Beatty, un employeur [traduction] « doit établir que l’employé a agi d’une façon […] qui est incompatible avec certains intérêts légitimes de l’employeur ou porte préjudice à ces intérêts » pour imposer une sanction disciplinaire à un employé (paragraphe 7:3000). En l’espèce, on ne peut pas dire que du tort a été causé à quelque intérêt légitime que ce soit de l’administrateur général. À ce sujet, soulignons qu’aucune activité de grève illégale n’a eu lieu par suite de l’affichage du fonctionnaire sur le site Web. Qui plus est, le fait que la direction ait attendu six semaines avant de prendre la moindre mesure relativement à cet affichage ne corrobore pas l’affirmation selon laquelle l’affichage du 11 septembre 2007 sur le site Web a porté préjudice aux intérêts de l’administrateur général.

131 De plus, en sortant du champ d’application des dispositions de l’article 16 de la convention collective quant à la conduite d’un dirigeant syndical, l’administrateur général a violé l’article 19 de la convention collective en faisant preuve de discrimination à l’endroit du fonctionnaire au motif de son statut de représentant syndical. La clause 19.01 interdit expressément la discrimination fondée sur l’adhésion d’un employé au syndicat. Quant à la clause 16.01, elle dit clairement que l’administrateur général ne peut imposer de mesures disciplinaires à l’endroit d’un fonctionnaire pour toute conduite reliée à une grève illégale hormis la participation à une telle grève. En application de l’article 19 de la convention, le même raisonnement doit s’appliquer aux employés qui sont élus représentants syndicaux. Dans ces circonstances, la seule mesure punitive que l’administrateur général aurait pu prendre à bon droit, en réponse à l’affichage sur le site Web, était d’alléguer une violation du paragraphe 194(1) de la LRTFP en application des articles 198, 203 et 205 de la Loi. Compte tenu du texte de la convention collective, l’administrateur général ne peut imposer de sanction disciplinaire à un dirigeant syndical à la place d’exercer les droits que lui confère la LRTFP.

132 Syndicats et dirigeants syndicaux sont protégés contre l’ingérence de l’employeur dans les activités syndicales par les dispositions de la LRTFP touchant les pratiques déloyales de travail, dispositions qui doivent être interprétées et appliquées à la lumière des libertés d’expression et d’association garanties par la Charte. Si le paragraphe 194(1) de la LRTFP est un facteur légitime à prendre en considération au moment d’imposer une sanction disciplinaire, les autres dispositions de la LRTFP doivent aussi entrer en ligne de compte. En particulier, les dispositions suivantes sont pertinentes : alinéa 186(1)a) (interdiction à l’employeur ou au titulaire d’un poste de direction d’intervenir dans la formation ou l’administration d’une organisation syndicale ou encore dans la représentation de fonctionnaires par une organisation syndicale); sous-alinéa 186(2)a)(i) (interdiction à l’employeur de prendre des mesures disciplinaires à l’égard d’une personne au motif qu’elle est un dirigeant ou un représentant d’organisation syndicale.

133 Imposer une sanction disciplinaire pour avoir affiché de l’information sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA au sujet de questions intéressant directement les membres de la section locale 24 équivaut à une atteinte injustifiable aux droits tant du fonctionnaire que, de façon plus générale, de l’agent négociateur. D’ailleurs, la décision de l’administrateur général de prendre des mesures disciplinaires mine sérieusement les efforts déployés par les membres de l’agent négociateur pour négocier, avec leur employeur, des conditions d’emploi en conformité avec le régime de négociation collective établi par la LRTFP.

134  De plus, en imposant une sanction disciplinaire relativement aux activités auxquelles le fonctionnaire s’est adonné dans le cadre de ses fonctions de représentant syndical, l’administrateur général a violé les droits du fonctionnaire reconnus par l’alinéa 2d) de la Charte. La liberté d’association doit comprendre des dispositifs de protection en sorte que les dirigeants de l’agent négociateur puissent vaquer aux affaires syndicales, lesquelles comprennent la discussion, à l’interne, d’options en matière d’action collective contre l’employeur (et la légalité de ces actions), ainsi que les activités consistant à tenir les membres de l’unité de négociation au courant des mesures proposées, discutées ou prises pour résoudre les différents avec l’employeur. La Cour suprême du Canada a statué que la liberté d’association comprenait le droit associatif des employés de participer à un processus de négociation collective exempt d’ingérence de la part de l’employeur (Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, [2007] 2 R.C.S. 391). La cour a notamment statué (au paragraphe 96) que les actes « […] qui empêchent ou interdisent la tenue de véritables discussions et consultations entre employés et employeur au sujet des conditions de travail risquent d’interférer de manière substantielle dans l’activité de négociation collective […] ». Dans le présent cas, le fonctionnaire soutient que sa participation, avec d’autres dirigeants de l’agent négociateur, à des discussions sur la question de savoir si l’unité de négociation était en position de grève légale compte tenu des circonstances ainsi que sur une possible action qui pouvait être prise contre l’employeur, était protégée à la fois à titre de dimension de l’administration d’une organisation syndicale en vertu de la LRTFP et de droit à la liberté d’association. De la même façon, répondre aux demandes de renseignements des membres de l’unité de négociation et les tenir au fait des discussions sur la possibilité d’une future action collective représente aussi un aspect crucial des droits associatifs — et du devoir de représentation — des dirigeants élus de l’agent négociateur. En prenant des mesures disciplinaires à l’égard du fonctionnaire parce qu’il avait affiché un message sur le site Web afin de répondre aux demandes de renseignements des membres concernant les mesures que prenait le syndicat relativement à des questions qui préoccupaient grandement les syndiqués, l’administrateur général s’est immiscé de façon injustifiable dans le droit du fonctionnaire — et de tous les membres de l’unité de négociation — de s’associer librement aux fins de relations de travail et a directement contrevenu au sous-alinéa 186(2)a)(i) de la LRTFP.

135 Les actions disciplinaires de l’administrateur général minent sérieusement l’administration de l’agent négociateur, en l’occurrence l’activité de membres se réunissant en vue de poursuivre leur but commun de négocier des conditions de travail avec leur employeur en vertu du processus de négociation collective. Il est de première importance, pour le processus de négociation collective, que les représentants syndicaux soient en mesure de communiquer librement avec les membres du syndicat, sans crainte de représailles, et que les syndiqués communiquent librement avec leurs représentants et reçoivent de l’information de leur part sans ingérence de la part de l’employeur gouvernemental : Shaw c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2006 CRTFP 125, au paragraphe 50.

136 Pour toutes les raisons mentionnées, l’administrateur général n’avait aucune raison d’imposer une sanction disciplinaire au fonctionnaire pour son affichage du 11 septembre 2007 sur le site Web, et la suspension de 30 jours devrait être annulée. De plus, le fonctionnaire s’appuie sur les arguments qui suivent relativement à son licenciement.

137 Dans son témoignage, le fonctionnaire a déclaré avoir eu le sentiment qu’il était nécessaire d’afficher un message au sujet de sa suspension sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA pour les raisons suivantes :

  • pour aviser les membres qu’il ne serait pas disponible pour offrir un service ou une représentation syndicale;

  • pour aviser les membres qu’il n’aurait pas accès à ses courriels au travail;

  • parce que les membres de la section locale 24 de la CEUDA avaient le droit de savoir ce qui était arrivé;

  • parce que les délégués syndicaux devraient être mis au courant de ce que l’employeur a considéré comme des motifs de sanction disciplinaire.

138 Curieusement, lorsqu’on lui a demandé, en contre-interrogatoire, si le fonctionnaire aurait été licencié s’il avait simplement affiché la lettre de discipline que lui avait envoyée l’administrateur général, M. Gillan a d’abord semblé répondre par l’affirmative, mais, après un long silence, a indiqué qu’il lui aurait fallu consulter les conseillers en relations de travail. La réponse que M. Gillan a faite à cette question confirme de façon révélatrice le caractère inapproprié de la décision de l’administrateur général de licencier le fonctionnaire. Que l’administrateur général ait même pu envisager de licencier un dirigeant syndical pour avoir affiché, sur le site Web du syndicat, une lettre que la direction a adressée au président de la section locale sur une question d’intérêt pour les membres fait carrément outrage aux principes des relations de travail. Et pourtant, c’est exactement la sanction qu’a engendrée l’affichage du 3 novembre 2007 sur le site Web, et le fonctionnaire a été licencié pour avoir simplement affiché des déclarations tirées de la lettre disciplinaire que l’administrateur général avait lui-même rédigée.

139 Il n’y a aucune raison — y compris celle alléguée par la direction pour imposer cette sanction disciplinaire — de traiter d’inconduite une notification factuelle des membres de la suspension du président de la section locale. Des déclarations de cette nature s’inscrivent clairement dans le domaine bien établi de l’expression syndicale protégée. Le vibrant témoignage du fonctionnaire sur son droit, en tant que président de section locale, de communiquer avec les membres sur les événements et incidents se produisant au lieu de travail et sa conviction que l’administrateur général n’avait aucun droit de l’empêcher d’aviser les membres de sa suspension et de rapporter les motifs invoqués par la direction à ce sujet démontrent clairement que la mise à jour du site Web du 3 novembre 2007 n’a pas été affichée dans le but d’instiguer un arrêt de travail illégal. Tous les fonctionnaires ont le droit d’énoncer des faits et de parler franchement des raisons pour lesquelles ils font l’objet de mesures disciplinaires et/ou sont licenciés. Par conséquent, l’administrateur général n’avait aucune raison d’imposer une sanction disciplinaire au fonctionnaire pour son affichage du 3 novembre 2007 sur le site Web.

140 Parallèlement à la position du fonctionnaire selon laquelle l’affichage du 3 novembre 2007 sur le site Web ne pouvait en aucun cas être interprété à bon droit comme une inconduite, nous ajouterons que le statut de dirigeant syndical du fonctionnaire et la portée accrue — ainsi que l’intérêt que cela a suscité — de sa suspension aux yeux des membres de la section locale 24 de la CEUDA font intervenir d’autres dispositifs de protection à l’égard des actions du fonctionnaire. Plus précisément, le statut de dirigeant syndical du fonctionnaire fait intervenir l’exception bien établie de l’expression syndicale. La Commission a récemment confirmé que les dirigeants syndicaux étaient à l’abri des mesures disciplinaires émanant de l’administrateur général pour autant que leur inconduite alléguée ne transgresse pas les limites de leur rôle légitime de représentation. Dans King no 2, l’arbitre de grief a expressément fait valoir que la jurisprudence cautionnait une « approche libérale » quant à la définition de l’étendue des activités de représentation légitimes. À ce titre, les dirigeants syndicaux peuvent adopter, tandis qu’ils assument leurs fonctions syndicales, une conduite qui pourrait, en d’autres circonstances, être sanctionnée par des mesures disciplinaires. Outre son obligation de loyauté envers l’employeur, il faut reconnaître que le rôle de représentation syndicale du fonctionnaire s’accompagne d’un devoir de représentation qui est dû aux membres de la section locale 24 de la CEUDA et qui fait partie intégrante du régime de relations de travail établi par la LRTFP. La loi dit clairement que, pour être à même de remplir leur rôle, les dirigeants syndicaux doivent être capables de discuter avec franchise et ouverture des questions touchant les employés qu’il représente ainsi que de défendre vigoureusement les intérêts de leurs membres. De fait, ainsi qu’on l’a fait observer dans Metropolitan Toronto (Municipality) v. C.U.P.E., Local 79 (Dalton) (1998), 70 L.A.C. (4e) 110, au paragraphe 15 : [traduction] « il a été établi que l’intégrité du processus de négociation collective exigeait que les représentants syndicaux soient libres de parler sans crainte de représailles ». Afin qu’ils puissent s’acquitter efficacement de cette tâche, on leur accorde une protection contre les représailles de l’employeur pour avoir soulevé des problèmes ou fait des déclarations publiques contre lui. Un dirigeant syndical peut être passible d’une sanction disciplinaire uniquement s’il adopte une conduite qui sort du cadre de son rôle représentationnel légitime de dirigeant syndical. Néanmoins, lorsque la conduite d’un dirigeant syndical s’inscrit à l’intérieur des limites de son rôle légitime de représentation, l’employeur doit reconnaître le devoir du dirigeant syndical de défendre les intérêts du syndicat, de même que le caractère antagoniste du processus de négociation collective (ISM Information Systems Management Corp., [1998] S.L.R.B.D. no 30, au paragraphe 28).

141 En l’espèce, il n’y a aucune preuve que l’affichage du 3 novembre 2007 sur le site Web ait été motivé par quoi que ce soit d’autre que les activités légitimes de représentation du fonctionnaire et son obligation de tenir les syndiqués informés des derniers développements de leur relation avec l’employeur. Garder les membres au fait de la situation, tant au chapitre des efforts déployés par le syndicat pour résoudre un différend en cours au lieu de travail qu’en ce qui concerne la suspension disciplinaire d’un représentant syndical élu, fait clairement partie de cette dimension des activités syndicales protégées. Par conséquent, le fonctionnaire n’est pas passible de sanctions disciplinaires pour ses affichages des 11 septembre et 3 novembre 2007 sur le site Web.

142 Comme on le fait valoir dans Canada Post Corp. v. C.U.P.W. (Van Donk) (1990), 12 L.A.C. (4e) 336 (Burkett), au paragraphe 15 : [traduction] « il est inconcevable qu’un dirigeant syndical puisse subir une sanction disciplinaire prétendument justifiée pour avoir exercé son droit de représenter les employés, tel qu’on l’a défini ». À la lumière de ce principe fondamental, il faut se pencher sur le critère qui s’applique pour trouver le juste équilibre entre l’obligation de loyauté et le droit à la liberté d’expression dans le cas de dirigeants syndicaux qui s’expriment à titre de représentants des membres de l’unité de négociation dans le cadre d’un régime de relations de travail établi par la loi. Comme l’a fait valoir l’arbitre de grief dans Shaw, les dirigeants syndicaux qui agissent dans les limites de leur rôle légitime de représentation « ne devraient pas être l’objet de sanctions disciplinaires, à moins d’avoir été malveillants dans leurs affirmations ou d’avoir fait de fausses déclarations sciemment ou de façon insouciante ». Selon cette analyse établie à deux volets, il faut déterminer 1) si le fonctionnaire agissait en sa qualité de dirigeant syndical; 2) si ses actions étaient dans les limites des activités syndicales protégées.

143 La norme établie dans Shaw a récemment été appliquée par la Commission (et ultérieurement confirmée par la Cour fédérale) dans King no 1. L’arbitre de grief a statué que l’administrateur général n’avait pas prouvé que la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé avait dépassé les limites de ce qu’il pouvait légitimement faire en sa qualité de représentant syndical, même s’il avait exprimé des critiques à l’endroit de l’employeur dans un contexte délicat en matière de politique dans la lettre ayant donné lieu à la sanction disciplinaire. L’arbitre de grief a conclu qu’un représentant syndical ne pouvait écoper de sanctions disciplinaires lorsqu’il assumait son rôle de représentant syndical, à moins que sa conduite ne soit malveillante ou que ses déclarations soient fausses, sciemment ou par insouciance (paragraphe 152). Selon l’arbitre de grief, pour parler de malveillance, il faut établir qu’il y avait plus qu’une certaine intention de nuire de la part du dirigeant syndical : l’intention du dirigeant syndical doit avoir été de faire preuve de malveillance dans le sens ordinaire du mot, ce qui comprend faire du tort ou causer un préjudice à l’employeur. Dans le même temps, la définition du mot « insouciance » exclut les déclarations qui sont simplement offensantes pour l’employeur : « Les commentaires qui critiquent, mais qui ne sont pas mensongers — sciemment ou par insouciance — ne violent pas normalement le « critère de la limite évidente » résumé dans Shaw » (paragraphe 217).

144 L’arbitre de grief a confirmé les principes énoncés dans Shaw et King no 1. Dans King no 2, l’arbitre de grief a rejeté l’argument de l’employeur selon lequel le devoir de loyauté qu’un employé de la fonction publique doit à l’employeur limite la portée légitime de l’expression d’un dirigeant syndical. Selon l’arbitre de grief, le rôle d’un dirigeant syndical dans le secteur public ou le secteur privé est essentiellement le même. Il a toutefois ajouté qu’on pouvait à tout le moins affirmer que la liberté d’expression « revêt encore plus d’importance pour un représentant syndical dont l’interlocuteur est un employeur du gouvernement qui bénéficie d’un accès privilégié à des stratégies de communication publique » (paragraphe 234).

145 À la lumière de tout ce qui précède, la loi est claire : les dirigeants syndicaux peuvent parler d’un large éventail de questions de relations de travail intéressant le syndicat et ses membres sans crainte de représailles de la part de l’employeur pour autant que leurs commentaires ne transgressent pas les limites de leur rôle légitime de représentation et ne soient pas malveillantes ou — sciemment ou par insouciance — fausses.

146 À l’évidence, le fonctionnaire assumait ses fonctions de représentation légitimes lorsqu’il a affiché les mises à jour des 11 septembre et 3 novembre 2007 sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA. Le premier affichage traitait directement du différend en cours relatif aux EPHV, un litige entre l’agent négociateur et la direction qui préoccupait beaucoup les syndiqués. Le second affichage avisait les membres de la section locale 24 que la direction avait suspendu le fonctionnaire (président de la section locale 24) pendant une période de 30 jours et décrivait avec précision les motifs de cette décision de l’employeur. Vu que l’intention du fonctionnaire était d’informer les membres d’un important développement dans les relations syndicales patronales et que son affichage ne contenait rien d’autre qu’un exposé factuel précis de l’action de l’administrateur général, on ne saurait dire que l’intention du fonctionnaire était empreinte d’une intention de faire du tort à l’administrateur général  ou que ses déclarations étaient sciemment fausses ou mensongères par insouciance. Fait important à noter, l’administrateur général n’a produit aucune preuve d’un quelconque tort qu’on lui aurait fait ou d’une perte qu’il aurait subie par suite de l’un ou l’autre des affichages. Incidemment, l’administrateur général a attendu six semaines avant de prendre des mesures en rapport avec le premier affichage. À cet égard, la situation de l’espèce est fort différente de la situation analysée dans King no 2, où l’arbitre de grief a statué que, lorsqu’il avait fait certaines déclarations publiques, le fonctionnaire avait agi, de sa propre initiative, sur des enjeux qui sortaient du cadre de son rôle de représentation à titre de dirigeant syndical. Par contre, le fonctionnaire avait été depuis un certain temps le représentant de la section locale 24 de la CEUDA dans le différend relatif aux EPHV, et cette question était clairement un sujet de débat continue entre le syndicat et la direction, entre les syndiqués et les dirigeants élus (y compris le fonctionnaire), ainsi que, à l’interne, entre les représentants de l’agent négociateur aux niveaux local et national.

147  Les griefs devraient être accueillis intégralement, avec réintégration du fonctionnaire dans ses fonctions et indemnisation pour sa perte de revenu et d’avantages sociaux avec l’intérêt couru sur les montants.

148 Le fonctionnaire a avancé les arguments suivants à titre subsidiaire.

149 Au cas où l’arbitre de grief conclurait à quelque inconduite, le règlement des griefs antérieurs du fonctionnaire devrait nécessairement entrer en ligne de compte dans la détermination de la légitimité tant de la suspension de 30 jours que du licenciement subséquent du fonctionnaire. Le principe des mesures disciplinaires progressives exige que, même si les griefs sont rejetés, la suspension de 30 jours et le licenciement qui a suivi soient annulés pour être remplacés par des sanctions moins sévères qui tiennent compte de la réduction qu’on avait faite antérieurement du dossier disciplinaire du sujet, qui était passé de 80 jours (en septembre 2007) à 15 jours à la suite d’un règlement et d’une décision que la Commission avait rendue dans deux affaires en annulant ou en réduisant des sanctions disciplinaires antérieurement imposées au fonctionnaire. La réduction de 80 % d’une mesure disciplinaire antérieure est significative à deux égards importants. Tout d’abord, cela suggère que toute sanction disciplinaire imposée relativement à l’affichage du 11 septembre 2007 sur le site Web doit être réduite de sorte qu’il soit tenu compte de cette réduction significative. Plus généralement, il importe de noter que dans chaque cas de mesures disciplinaire prises par l’administrateur général à l’égard du fonctionnaire, la sanction a été ultérieurement annulée ou sensiblement réduite. Cette tendance dénote le défaut répété du défendeur de reconnaître et de prendre en considération le statut de dirigeant syndical du fonctionnaire et d’appliquer de façon plus large les principes appropriés de relations de travail.

150 L’arbitre de grief doit aussi considérer comme une circonstance atténuante le fait que le fonctionnaire se soit immédiatement conformé à l’instruction de M. Gillan de retirer du site Web l’affichage du 11 septembre 2007, et ce, d’autant plus que l’administrateur général n’a pris aucune mesure pendant les six semaines qui ont suivi cet affichage et que le retrait rapide du message était un geste de bonne foi et une indication manifeste que les intentions du fonctionnaire n’étaient ni malveillantes ni empreintes d’insubordination. Cette action du fonctionnaire a été sommairement rejetée par l’administrateur général. Dans ces circonstances, toute sanction disciplinaire imposée relativement à l’affichage du 11 septembre 2007 sur le site Web devrait faire entrer en ligne de compte la pleine coopération du fonctionnaire eu égard aux instructions données par l’administrateur général au sujet de l’affichage sur le site Web.

151 Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la suspension de 30 jours devrait être réduite à une lettre de réprimande, laquelle reflète dûment le dossier disciplinaire réduit à 15 jours du fonctionnaire et tient compte en même temps de circonstances atténuantes légitimes, comme la coopération immédiate du fonctionnaire face à l’instruction de retirer l’affichage.

152  Dans l’éventualité où l’arbitre de grief conclurait à une inconduite relativement au second affichage sur le site Web de la CEUDA, le fonctionnaire a avancé les arguments suivants.

153 En premier lieu, la mesure disciplinaire appropriée à prendre à l’égard du fonctionnaire, pour son affichage du 3 novembre 2007 sur le site Web, ne peut être évaluée en regard d’un antécédent de 110 jours de suspensions. En fait, même si la suspension de 30 jours était maintenue intégralement pour l’affichage du 11 septembre 2007 sur le site Web, le dossier disciplinaire antérieur du fonctionnaire au moment du licenciement serait de 45 jours. Si le grief relatif à la suspension de 30 jours est accueilli, son dossier disciplinaire au moment de son licenciement ne serait que de 15 jours. Que le dossier disciplinaire soit ramené à 15 jours ou qu’il demeure à 45 jours, il ressort clairement des témoignages que l’administrateur général n’aurait pas dû être prêt à licencier le fonctionnaire pour son affichage sur le site Web dans ces circonstances. L’administrateur général a considéré le second affichage comme rien de plus d’une répétition du premier message. Comme le défendeur n’était pas prêt à congédier le fonctionnaire pour son affichage initial, alors qu’il avait à son actif un total de 80 jours à son dossier disciplinaire, il serait inopportun, même selon les normes de l’employeur, de confirmer un licenciement dans des circonstances où le dossier disciplinaire du fonctionnaire oscillerait entre 15 et 45 jours.

154 Quoi qu’il en soit, s’il était conclu à une inconduite relativement à l’affichage du 3 novembre 2007 sur le site Web, la sanction disciplinaire imposée devrait être légère, vu que le second message du fonctionnaire n’était rien de plus, essentiellement, qu’un avis indiquant qu’il avait été suspendu pour son affichage initial. Il est clair que ce second affichage, rédigé en réponse à la suspension de 30 jours, était différent, dans son contexte, de l’affichage du 11 septembre 2007 sur le site Web, lequel avait pour objet de mettre les membres au courant des progrès du syndicat dans le dossier des EPHV.

155 Le fonctionnaire a également avancé de vive voix les arguments suivants en réponse aux arguments de l’employeur présentés à l’audience. On m’a cité l’article 5 de la LRTFP, qui déclare que tout fonctionnaire est libre de participer aux activités licites d’une organisation syndicale. Si le fonctionnaire est coupable de quelque chose, c’est de défendre vigoureusement les droits de ses membres.

156 Le défendeur a invité l’arbitre de grief à tirer une conclusion défavorable du défaut de M. Moran de témoigner. Cependant, le témoignage de ce dernier n’était pas pertinent au regard des intentions du fonctionnaire, si bien que je ne puis tirer de conclusion défavorable à cet égard.

157 Dans Latouf et Goyette, des arrêts de travail se sont effectivement produits, ce qui n’est pas le cas ici.

C. Arguments en réplique du défendeur

158 La charge de la preuve dans le présent cas procède simplement de la prépondérance des probabilités; il n’y a pas de norme plus élevée.

159 Le délai qui s’est écoulé (six semaines) avant que le défendeur prenne une décision relativement à la mesure disciplinaire n’était pas long pour la conduite d’une analyse en profondeur. De plus, cela a nécessité moult consultations.

160 En ce qui concerne les courriels que le défendeur n’avait pas avant l’imposition des sanctions disciplinaires, rappelons qu’il s’agit ici d’une audience de novo et qu’il est donc permis au défendeur de s’appuyer sur d’autres éléments de preuve obtenus après le congédiement.

161 Le fonctionnaire a déclaré qu’il fallait interpréter de façon restrictive l’article 194 de la LRTFP, du fait que des droits protégés par la Charte étaient en cause. Toutefois, le fonctionnaire n’a pas contesté la constitutionnalité des dispositions. Comme cela a récemment été confirmé dans Association des juristes du ministère de la Justice c. Conseil du Trésor,2009 CRTFP 20, aux paragraphes 26 à 28, lorsque le libellé de la loi établit clairement l’intention du législateur, un arbitre de grief ne peut faire fi de cette intention. Les mots employés dans cet article ont été interprétés pendant de nombreuses années et n’ont pas été jugés ambigus. Les termes « conseiller » et « susciter » sont de portée vaste et sont clairs.

162 Qui plus est, si le législateur avait eu l’intention de faire correspondre les interdits prévus par la LRTFP à la déclaration explicite que fait le fonctionnaire, il aurait employé le même texte que celui de l’article 89 du CCT.

163 L’argument du fonctionnaire selon lequel un employé qui est aussi un représentant syndical ne peut être assujetti à des mesures disciplinaires de la part de l’employeur pour une infraction à l’article 194 de la LRTFP contredit King, 2003 CRTFP 48, qui n’a pas été soumise à un contrôle judiciaire. De plus, ce même argument invoqué par le fonctionnaire a été explicitement étudié puis rejeté dans Beaupré et Oldale.

164 Si un dirigeant syndical qui est aussi un fonctionnaire viole une telle disposition clé de la LRTFP, il est passible de sanctions disciplinaires. La seule question à trancher est de déterminer s’il y a eu violation de l’article 194 de la LRTFP.

165 Le fonctionnaire a également dit que l’article 16 de la convention collective constituait une liste exhaustive des sanctions disciplinaires que l’on pouvait imposer à des fonctionnaires. Or, l’article 16 de la convention collective ne revêt qu’un caractère purement indicatif. La convention collective n’est pas la source dont l’employeur tire son autorité en matière de mesures disciplinaires. La source du pouvoir d’imposer des sanctions disciplinaires se trouve dans la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11(LGFP). Il est clair que l’employeur peut prendre toute mesure s’inscrivant dans les limites de ses pouvoirs de gestion en vertu de la LGFP qui ne sont pas expressément limités par la convention collective ou par la loi. Rien, dans l’article 16 de la convention collective, n’interdit à l’employeur de sanctionner des fonctionnaires qui enfreignent l’article 194 de la LRTFP. Si les parties avaient eu l’intention de limiter ainsi les pouvoirs de l’employeur, elles auraient utilisé un libellé différent.

166 Quant à la réduction du nombre de jours de suspension de 80 à 45, il n’y a pas de « nombre magique » pour ce qui est de l’application de mesures disciplinaires progressives.

167 Les raisons avancées pour justifier le deuxième affichage des déclarations ont été « forgées » après coup, et le fonctionnaire aurait pu traiter les préoccupations qu’il avait relevées sans réafficher les phrases reprochées.

168 Le fonctionnaire allègue une pratique de travail déloyale, mais l’AFPC n’a pas déposé de plainte à cet effet.

D. Contre-réplique du fonctionnaire s’estimant lésé

169 J’ai autorisé une brève contre-réplique pour permettre au fonctionnaire de répondre aux observations du défendeur sur l’argument relatif à la Charte. Le fonctionnaire a déclaré qu’il ne contestait pas la constitutionnalité de l’article 194 de la LRTFP. Son argument était plutôt centré sur la façon d’interpréter et d’appliquer cet article. La terminologie quasi-criminelle, telle que le terme « conseiller », devrait être interprétée de façon étroite à la lumière des protections prévues par la Charte.

IV. Motifs

170 Le fonctionnaire a reçu des sanctions disciplinaires pour avoir fait des déclarations que l’administrateur général a perçues comme étant une action visant à conseiller ou susciter un arrêt de travail illégal à l’AIP, en contravention de la LRTFP. La position du fonctionnaire est que l’administrateur général ne peut prendre de mesures disciplinaires à l’égard d’un fonctionnaire qui conseille ou suscite un arrêt de travail illégal et que le seul recours qui s’offrait à l’administrateur général en l’espèce résidait dans les poursuites prévues par la LRTFP. Le fonctionnaire soutient aussi qu’il ne conseillait pas ni ne suscitait un arrêt de travail illégal. Subsidiairement, le fonctionnaire affirme que la sanction disciplinaire imposée n’était pas appropriée.

171 Pour trancher les griefs en instance, il faut répondre aux trois questions suivantes :

  • Le défendeur avait-il le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires à l’égard du fonctionnaire pour avoir prétendument conseillé ou suscité un arrêt de travail illégal?

  • S’il détenait ce pouvoir, le défendeur a-t-il prouvé qu’il y eu inconduite de la part du fonctionnaire?

  • Si l’inconduite est prouvée et si le défendeur avait le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires, les sanctions disciplinaires imposées ont-elles été appropriées, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce?

A. Pouvoir du défendeur d’imposer une sanction disciplinaire

172 Dans cette partie de la décision, je ne me prononcerai que sur le pouvoir du défendeur d’imposer une sanction disciplinaire et non sur la question de savoir si le défendeur avait un motif valable de prendre des mesures disciplinaires. J’évaluerai le bien-fondé des sanctions disciplinaires dans la partie suivante.

173 Le fonctionnaire affirme qu’intenter une poursuite en vertu de la LRTFP était le seul mécanisme approprié de traitement d’une infraction alléguée au paragraphe 194(1) de la LRTFP. Dans King, 2003 CRTFP 48, la question du pouvoir de l’employeur de prendre des mesures disciplinaires n’a pas été soulevée par le fonctionnaire. Cela dit, l’ancienne CRTFP s’est bel et bien penchée sur cette question et avait conclu ce qui suit dans Beaupré et Oldale, à la page 13:

En ce qui concerne l’obligation affirmée de l’employeur de poursuivre les employés s’estimant lésés aux termes de l’article 104 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, je ne peux trouver rien qui justifie une telle obligation dans la loi générale ni dans la convention collective applicable. Les dispositions de la Loi établissent les responsabilités des particuliers et des associations syndicales envers l’État et le public. L’employeur, en tant qu’employeur, n’est pas habilité à déterminer quelles infractions alléguées doivent faire l’objet de poursuites. Un même acte peut à la fois constituer une infraction à la loi générale, et justifier l’imposition d’une sanction par l’employeur, comme lorsque l’employeur est victime d’un vol. L’employeur n’est pas tenu de suivre une ligne de conduite, c’est-à-dire d’engager des poursuites, plutôt que l’autre […]

[…]

174 Lorsqu’ils sont aux prises avec des grèves illégales, ou des menaces de grèves illégales, les employeurs disposent d’un éventail d’options qui sont résumées dans Monarch Fine Foods Company Limited v. Milk and Bread Drivers, Dairy Employees, Caterers and Allied Employees, Local Union No. 647, [1986] OLRB Rep., May 661, au paragraphe 5 :

[Traduction]

[…] Il y a une garantieabsolue de paix industrielle pendant la période de validité de la convention collective et jusqu’à ce que les parties aient épuisé les processus obligatoires de conciliation. C’est la raison pour laquelle la définition d’une « grève » est si large, et c’est pourquoi, aux termes de la Loi, un employeur dispose de tout un éventail de redressements et d’options lorsqu’il fait face à une grève illégale — tout comme les employés disposent d’un large éventail de redressements s’ils sont injustement traités. La plupart des employeurs ne se prévalent pas de toute la gamme de ces droits à moins qu’ils n’y soient forcés, mais il peut être utile de mentionner ce que sont ces redressements :

1) […] un employeur peut demander une ordonnance de cessation et d’abstention à la Cour suprême de l’Ontario. La désobéissance serait alors passible d’une amende ou de l’emprisonnement.

2) Un employeur peut demander, en arbitrage, le versement de dommages-intérêts pour toute perte de profits.

3) Un employeur peut imposer des sanctions disciplinaires aux employés qui se livrent à une action illégale et concertée, car participer à une grève constitue une sérieuse entorse aux obligations d’emploi des employés, ce qui justifie à tout le moins la prise de mesures disciplinaires et, de l’avis de certains arbitres de différend, le congédiement.

4) L’employeur peut demander l’autorisation d’intenter des poursuites, puis poursuivre ensuite les employés ou les syndicats pour leur infraction à la Loi. Une grève n’est pas une simple protestation à caractère privé. C’est une action contraire à la Loi sur les relations de travail […]

175 Bien que les options ci-dessus se rapportent à une grève illégale, la variété des options qui s’offrent aux employeurs continue de se vérifier aujourd’hui dans les cas d’allégation d’un arrêt de travail illégal qui a été conseillé ou suscité. Je trouve que le raisonnement qui est fait dans Beaupré et Oldale demeure sensé.

176 Une partie des arguments du fonctionnaire repose aussi sur la disposition de la convention collective traitant des « grèves illégales » (pièce G-2). Aux termes de la clause relative aux grèves illégales (clause 16.01), les employés qui « participent » à une grève illégale s’exposent à des mesures disciplinaires. Le fonctionnaire soutient que cela signifie que les employés ne peuvent écoper de sanctions disciplinaires pour avoir conseillé ou suscité une grève illégale. Le pouvoir de l’employeur de prendre des mesures disciplinaires à l’égard d’une inconduite n’est pas restreint par cette clause. Je souscris au fait que l’administrateur général tire son pouvoir de prendre des mesures disciplinaires de la LGFP et non de la convention collective. La clause précitée de la convention collective énonce simplement les conséquences qu’entraîne la participation à une grève illégale.

177  Le fonctionnaire affirme aussi que lui imposer une sanction disciplinaire pour avoir supposément conseillé une grève illégale contrevient à la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective (pièce G-2). Dans la mesure où il n’y a pas d’interdiction s’appliquant aux employés qui conseillent ou suscitent une grève illégale – le paragraphe 194(1) de la LRTFP ne s’applique qu’aux dirigeants ou représentants d’une organisation syndicale –, il est soutenu qu’il est discriminatoire de prendre des mesures disciplinaires à l’égard du fonctionnaire en raison de son statut de représentant de l’AFPC. Les dirigeants syndicaux qui sont aussi des fonctionnaires ont des droits et obligations qui diffèrent de ceux des autres employés, et ils ne sont pas traités de la même façon que les autres employés. Comme on l’a fait valoir dans Natrel Inc. v. Milk and Bread Drivers, Dairy Employees, Caterers and Allied Employees, Local 647, (2005) 136 L.A.C. (4e) 284, au paragraphe 49 : [traduction] « l’une des circonstances pertinentes qui pourraient justifier une réponse disciplinaire différente est le statut syndical d’un employé au lieu de travail ». Prendre des mesures disciplinaires à l’endroit d’un employé qui est un dirigeant syndical pour une conduite dont on allègue qu’elle transgresse les limites de l’étendue légitime de ses fonctions et obligations syndicales n’est pas discriminatoire.

178 Le fonctionnaire a affirmé que lui imposer une sanction disciplinaire enfreignait à la fois les dispositions de la LRTFP (en particulier l’article 186) touchant les pratiques déloyales de travail et son droit à la liberté d’association reconnu par la Charte. Or, le fonctionnaire n’a pas déposé de plainte relative à des pratiques de travail déloyales. Les dispositions relatives aux pratiques de travail déloyales n’empêchent pas l’employeur de prendre des mesures disciplinaires à l’endroit d’un employé pour un comportement illégal allégué. La protection que la LRTFP accorde aux dirigeants syndicaux vaut pour les activités menées dans le respect de la loi. Les dispositions traitant des pratiques de travail déloyales n’ont pas pour objet de protéger les activités qui contreviennent à la LRTFP. De la même façon, le droit à la liberté d’association s’applique aux activités licites des dirigeants syndicaux et non aux activités dont on allègue qu’elles sont illégales ou contraires à la loi. Dans Shaw, l’arbitre de grief a fait observer que la Charte protégeait les employés contre une mesure disciplinaire « […] faisant des distinctions à l’égard d’une personne parce qu’elle a exercé des droits prévus par la Loi […] ». En l’espèce, le défendeur allègue que le fonctionnaire agissait en contravention de la LRTFP et qu’il n’exerçait pas ses droits en vertu de la loi.

179 En conséquence, je conclus que l’administrateur général avait le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires à l’égard de l’inconduite alléguée. Je m’attache maintenant à déterminer si l’employeur avait un motif valable d’imposer une sanction disciplinaire.

B. Y a-t-il eu inconduite de la part du fonctionnaire s’estimant lésé?

180 C’est le défendeur qui a le fardeau de la preuve; il doit prouver qu’il avait un motif valable de prendre des mesures disciplinaires à l’égard du fonctionnaire. La norme de preuve est la prépondérance des probabilités et, comme on l’a fait valoir dans F.H. c. McDougall, au paragraphe 46, « […] la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités ».

181 Le fonctionnaire a été suspendu 30 jours, puis licencié en raison de déclarations écrites dont le défendeur allègue qu’elles conseillaient ou suscitaient un arrêt de travail illégal. Bien que les mêmes termes aient été employés dans les deux cas, je dois examiner chaque sanction disciplinaire séparément.

182 Les termes employés par le fonctionnaire doivent être interprétés à la lumière de toutes les circonstances dont le fonctionnaire avait connaissance au moment où les déclarations ont été faites (Douglas Aircraft (1975) 8 L.A.C. (2e) 118, au paragraphe 41).

183 Le fonctionnaire a argué que je ne pouvais m’appuyer sur la preuve produite à partir de la correspondance échangée entre lui-même, les représentants de l’AFPC et ceux du bureau national de la CEUDA du fait que l’administrateur général avait obtenu cette preuve après son licenciement. Toutefois, l’administrateur général ne s’appuie pas sur cette correspondance pour ajouter d’autres motifs aux sanctions disciplinaires imposées. Les courriels échangés ne font que mettre dans son contexte la déclaration faite par le fonctionnaire et démontrer sa connaissance des dossiers au moment où il a fait ses déclarations. J’estime donc que ces éléments de preuve sont à la fois pertinents et recevables.

C. Suspension de 30 jours

184 L’administrateur général allègue que les deux phrases qui suivent, tirées des communications du fonctionnaire avec les membres de la section locale 24 de la CEUDA, avaient pour objet de conseiller ou susciter un arrêt de travail illégal :

[Traduction]

En attendant, je presse l’agent négociateur et le bureau national de la CEUDA de fournir leur appui à un débrayage maintenant […]

Si la direction se présente à la rencontre et ne propose rien de plus que ce qu’elle a proposé en février dernier, préparez-vous à soutenir de futures activités syndicales.

185 Il est clair que la section locale 24 de la CEUDA n’était pas en situation de grève légale lorsque cette déclaration a été faite. Le fonctionnaire a transmis des observations au défendeur avant d’émettre sa déclaration qu’il croyait que la section locale 24 de la CEUDA était en position de grève légale. À trois reprises, le défendeur l’a informé que tel n’était pas le cas. Le fonctionnaire a reçu la même information tant de l’AFPC que du bureau national de la CEUDA. Le fonctionnaire était un dirigeant syndical d’expérience et les changements apportés à la législation régissant les relations de travail n’étaient pas significatifs au chapitre du droit de grève. À la lumière des renseignements dont il disposait alors, le fonctionnaire savait ou aurait dû savoir que la section locale 24 de la CEUDA n’était pas en position de grève légale. Quoi qu’il en soit, l’ignorance de la loi n’est pas une excuse, et le fonctionnaire aurait dû obtenir confirmation de l’état d’avancement du processus de négociation collective avant d’émettre tout commentaire.

186 La LRTFP interdit aux dirigeants syndicaux de conseiller ou de susciter un arrêt de travail illégal :

194. (1) Il est interdit à toute organisation syndicale de déclarer ou d’autoriser une grève à l’égard d’une unité de négociation donnée, et à tout dirigeant ou représentant de l’organisation de conseiller ou susciter la déclaration ou l’autorisation d’une telle grève, ou encore la participation de fonctionnaires à une telle grève. […]

187 Dans cette disposition, il y a deux dimensions à « conseiller ou susciter » : 1) conseiller ou susciter la déclaration ou l’autorisation d’une grève illégale; 2) conseiller ou susciter la participation de fonctionnaires à une grève illégale. La première dimension se rapporte aux démarches effectuées par un dirigeant syndical pour obtenir l’autorisation d’une grève illégale, vraisemblablement de la part d’une organisation syndicale ayant le pouvoir d’autoriser ou de déclarer une grève. La seconde dimension se rapporte aux démarches d’un dirigeant syndical en vue d’obtenir la participation de fonctionnaires à une grève illégale.

188 « Conseiller » signifie aviser ou recommander. « Susciter » signifie causer, provoquer, occasionner, obtenir par des soins ou des efforts, arranger, induire, persuader une personne de faire quelque chose (Shorter Oxford Dictionary, 3e édition). Je ne suis pas d’accord avec le fonctionnaire lorsqu’il dit que la définition de « conseiller » en droit criminel devrait s’appliquer au domaine des relations de travail. Les lois régissant les relations de travail ne sont pas des lois pénales. Toujours est-il qu’il existe une jurisprudence, dans le domaine des relations de travail, qui définit ces termes. Dans Canada (Conseil du Trésor) c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228, la Commission a déclaré que les synonymes de recommander et de provoquer « sont légion » et que l’on peut dire de toute personne qui « charge, pousse, exhorte, engage, excite, encourage ou incite » qu’elle recommande ou provoque (paragraphe 24). L’action d’inciter ou de conseiller doit être établie objectivement et non en fonction de l’interprétation des employés (Goyette, aux pages 20 et 21).

189 Le fonctionnaire a témoigné qu’il demandait simplement des clarifications sur une opinion juridique. Toutefois, ce n’est pas ce qu’il a écrit. Il a écrit qu’il [traduction] « […] pressait l’agent négociateur […] pour obtenir un appui à un débrayage maintenant ». Il s’agit là d’une déclaration explicite qui dénote qu’il en était déjà arrivé à une conclusion en ce qui concerne l’arrêt de travail. On ne « presse » pas les gens d’appuyer une position si l’on ne souscrit pas soi-même à cette position. L’emploi de ce verbe indique que le fonctionnaire faisait pression auprès de l’AFPC et du bureau national de la CEUDA en vue d’obtenir un appui à une opinion qu’il avait déjà fait sienne. La phrase [traduction] « [P]réparez-vous à soutenir de futures activités syndicales » est en soi ambiguë, dans la mesure où il pourrait s’agir d’activités qui étaient permises. Cependant, par rapport à la déclaration précédente au sujet du débrayage « maintenant », j’ai déterminé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était question d’appui à un arrêt de travail illégal. Cette interprétation est confirmée par l’examen de ces termes dans le contexte de ce que le fonctionnaire savait alors. Il savait que l’unité de négociation n’était pas dans une situation de grève légale. Il savait aussi que l’AFPC avait déclaré on ne peut plus clairement qu’elle n’allait pas soutenir toute autre action que celle qui consistait à faire que le grief de principe sur la question des EPHV suive son cours.

190 Il importe aussi de noter ce que le fonctionnaire croyait déjà à ce qu’il essayait d’obtenir. Il a déclaré que la section locale 24 n’avait aucune intention de se livrer à un arrêt de travail tant qu’elle n’aurait pas reçu [traduction] « une opinion juridique ou l’appui demandé de la part de l’agent négociateur » (pièce E-1, onglet 22, je souligne). Il est clair qu’il sollicitait donc une autorisation [traduction] « l’appui demandé ») de l’AFPC pour déclencher un arrêt de travail illégal. Comme on l’a fait valoir plus haut, la LRTFP interdit que l’on conseille ou suscite l’autorisation d’une grève illégale. Manifestement, le fonctionnaire conseillait à l’AFPC d’autoriser un débrayage.

191 Par conséquent, je conclus que la déclaration faite par le fonctionnaire équivalait à susciter ou à conseiller une grève illégale, et ce, en contravention du paragraphe 194(1) de la LRTFP.

192 Un degré significatif de protection est accordé aux dirigeants syndicaux pour leur permettre de parler librement de questions touchant les employés. Toutefois, comme on le fait remarquer dans Metropolitan Toronto (Municipality v. Canadian Union of Public Employees, Local 79) 2001, 99 L.A.C. (4e), au paragraphe 16 :

[Traduction]

[…] s’il repose sur des déclarations mensongères ou fausses qui sont connues ou qui devraient raisonnablement être connues, un tel commentaire n’est pas protégé. Ainsi, lorsqu’on applique le critère de la limite évidente au rôle d’un délégué syndical, on conclut que les fausses déclarations qui sont faites sciemment ou dans une intention malveillante ne sont pas protégées et que si elles sont faites par un délégué syndical ou un autre dirigeant syndical, elles peuvent entraîner une réponse disciplinaire.

193 Déterminer si un dirigeant syndical est à l’abri de sanctions disciplinaires lorsqu’il a agi dans le cadre de son rôle syndical dépend des faits propres à chaque cas. Comme on le dit dans Plaza Fiber Glas, au paragraphe 19, le statut syndical n’est pas synonyme de « carte blanche », et l’immunité se limite aux actions menées dans le cadre de l’assumation des devoirs ou fonctions [traduction] « […] que l’on peut raisonnablement considérer comme un exercice légitime […] » desdits devoirs ou fonctions. Dans Communication, Energy and Paper Workers Union of Canada v. Bell Canada v. C.E.P. (Hofstede), (1996) 57 L.A.C. (4e) 289 (décision citée dans King, 2003 CRTFP 48, au paragraphe 133), l’arbitre de différend a conclu qu’un dirigeant syndical qui est aussi un employé a la responsabilité de s’abstenir [traduction] « scrupuleusement » d’abuser des pouvoirs de son poste pour [traduction] « […] camoufler […] une contestation défiante du droit de la direction de gérer le lieu de travail et de poursuivre la production sans perturbation », au paragraphe 30. Cette dimension a été exprimée plus fermement encore dans Burns Meats Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers, Local P139 (1980), 26 L.A.C. (2e) 379 (à la page 387) de la façon suivante :

[Traduction]

[…]

Un délégué syndical qui exhorte ouvertement les employés à participer à une grève illégale ne peut manifestement pas s’attendre à ce que son syndicat le protège de sanctions disciplinaires pour le rôle qu’il a tenu dans l’orchestration d’une infraction tant à une convention collective qu’à la Loi sur les relations de travail […]

[…]

194 Le fonctionnaire s’est appuyé sur Plaza Fiber Glas pour étayer son droit de communiquer avec ses syndiqués de la section locale 24 de la CEUDA au sujet des consultations qu’il menait et des démarches qu’il effectuait auprès de l’AFPC. Cependant, Plaza Fiber Glasest un cas qui traite de la communication, à l’employeur, de la frustration des employés et non d’une communication faite aux employés. Le fonctionnaire avait déjà communiqué à maintes reprises à l’employeur la frustration des employés et avait notamment informé l’employeur de son désir de discuter d’une [traduction] « action de grèves tournantes » (pièce E-1, onglet 9). Il n’a pas fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir soulevé cette éventualité à l’employeur.

195 Les actions de conseiller ou susciter l’autorisation d’une grève illégale et de conseiller ou susciter la participation de fonctionnaires à une grève illégale ont toujours été considérées comme de sérieuses inconduites justifiant la prise de mesures disciplinaires sévères. Même si dans Manitoba (Department of Justice) v. M.G.E.U. (2009) 181 L.A.C. (4e) 235, le fonctionnaire s’estimant lésé avait dirigé un arrêt de travail, la conclusion de l’arbitre de différend selon laquelle [traduction] « ce genre de conduite ne peut être tolérée » (au paragraphe 207) n’est pas moins applicable à l’affaire en instance. Comme l’a fait remarquer l’arbitre de différend, la dissuasion est aussi un facteur à faire entrer en ligne de compte au moment de déterminer la convenance de la sanction disciplinaire.

196 Il y a certains facteurs aggravants qui commandent une suspension de longue durée. Le fonctionnaire n’a pas reconnu que sa déclaration était erronée et ne s’en est pas excusé. L’AFPC, par l’entremise de M. Moran, a reconnu que les termes employés par le fonctionnaire [traduction] « n’étaient pas les bons mots ». À l’audience d’arbitrage, le fonctionnaire s’est inscrit en faux par rapport à cette admission et a refusé de reconnaître le caractère déplacé des mots qu’il avait employés. Même si le retrait rapide de la déclaration du site Web aurait pu être considéré comme une circonstance atténuante, le témoignage qu’a fait le fonctionnaire lorsqu’il a dit qu’il l’avait retirée uniquement parce que la nouvelle avait fait son temps et qu’il ne voulait pas d’un [traduction] « […] match de qui pisserait le plus loin » démontre qu’il demeurait convaincu de la véracité de sa déclaration.

197 Sa connaissance du climat d’instabilité qui régnait au lieu de travail est aussi un facteur aggravant. Il savait que certains syndiqués voulaient qu’on exerce quelques moyens de pression au travail et que ces paroles ne feraient que mettre le feu aux poudres.

198 Comme on le fait observer dans Manitoba (Department of Justice) v. M.G.E.U., la nature du lieu de travail peut aussi être un facteur aggravant. Dans ce cas, le lien de confiance inhérent à l’emploi d’un fonctionnaire de la cour a été considéré comme un facteur aggravant. Un niveau comparable de confiance est placé dans les agents des services frontaliers.

199 Le fonctionnaire a soutenu que le délai qui s’était écoulé (six semaines) avant l’imposition de la sanction disciplinaire était une indication que le défendeur ne jugeait pas sérieuse l’inconduite. Quoique la préférence aille toujours à un prompt déroulement du processus disciplinaire, il reste que le délai écoulé en l’espèce n’était pas excessif. D’après le témoignage de l’administrateur général, celui-ci a agi avec prudence et a mené de vastes consultations. Le déroulement de ce processus ne signifie pas l’absolution ou le pardon du comportement reproché.

200  Le fonctionnaire s’est retrouvé (à la suite d’un protocole de règlement et d’une décision arbitrale) avec les antécédents disciplinaires suivants à son dossier : 5 jours et 10 jours. Je ne peux retenir l’affirmation du fonctionnaire que, du fait que le nombre total de jours de sanction disciplinaire imposés a été ramené à 15 jours, la  suspension de 30 jours n’était pas appropriée. Le fait demeure que le fonctionnaire avait deux antécédents disciplinaires à son dossier. Il n’est pas exigé que la progression des mesures disciplinaires se déroule par échelons préétablis. Compte tenu de la gravité de l’inconduite, des facteurs aggravants et du dossier disciplinaire antérieur, je trouve qu’une suspension de 30 jours s’inscrit dans la fourchette adéquate des mesures disciplinaires dans les circonstances.

D. Licenciement

201 Le fonctionnaire a été licencié pour avoir de nouveau affiché la déclaration qui lui avait déjà valu une suspension de 30 jours. Ce réaffichage s’est produit le 3 novembre 2007. Il me faut maintenant déterminer si le réaffichage de cette déclaration, compte tenu de toutes les circonstances, justifie aussi la sanction disciplinaire imposée.

202 Le fonctionnaire a déclaré que la légère hésitation de M. Gillan à répondre à la question hypothétique de savoir si l’affichage de la lettre de discipline afférente à la suspension de 30 jours aurait justifié un licenciement démontrait le caractère inapproprié de la mesure de licenciement. Le fonctionnaire a déclaré que M. Gillan [traduction] « a semblé répondre par l’affirmative ». En fait, M. Gillan n’a pas répondu par l’affirmative. Il a dit qu’il allait consulter des conseillers en relations de travail. À mon sens, sa réponse ne démontre rien.

203  Dans la lettre de licenciement (pièce E-1, onglet 32), l’administrateur général a fait mention de la mesure disciplinaire antérieure (suspension de 30 jours) qui avait été prise en rapport avec les deux phrases qui avaient été affichées sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA ainsi que du fait que le message avait été retiré du site Web après que le défendeur en eut donné l’instruction. On lit ensuite dans cette lettre que [traduction] « malgré cela, le lendemain même, vous avez réaffiché ces déclarations ». L’administrateur général a considéré ce réaffichage comme [traduction] « une sérieuse inconduite ». Au moment de déterminer la mesure disciplinaire à prendre, l’administrateur général a tenu compte du dossier disciplinaire du fonctionnaire, dans lequel il était dit que le fonctionnaire continuait de manifester son [traduction] « mépris pour les intérêts de l’ASFC » et son [traduction] « manque de respect à l’égard de son autorité ». L’administrateur général a considéré le réaffichage comme un incident déterminant qui justifiait le licenciement pour un motif valable.

204 Le fonctionnaire maintient que, dans le message qu’il a adressé aux membres, son intention était de les informer du fait qu’il n’aurait pas accès au lieu de travail et de leur expliquer les raisons de sa suspension. Il a également témoigné que l’intention de sa communication était de dissiper les rumeurs et les spéculations qui circulaient à son sujet et d’avertir les délégués de faire attention à ce qu’ils allaient dire aux représentants de l’administrateur général. Il a également invoqué son droit à la liberté d’expression. Pour évaluer l’intention de ce message, il est utile de le lire dans son intégralité. À nouveau, le contexte des mots employés est important. Le message se lit comme suit  (pièce E-1, onglet 23) :

[Traduction]

[…]

À présent, nombre d’entre vous avez sans doute appris qu’on vient de m’imposer une autre suspension de 30 jours sans salaire. En conséquence, mon accès aux locaux de l’ASFC a été restreint jusqu’au 14 décembre 2007.

Ce qui est significatif dans cette mesure disciplinaire, c’est le moment où cette suspension m’a été imposée, les motifs pour lesquels j’ai été suspendu et le fait qu’il s’agit de la troisième sanction disciplinaire dont j’écope depuis que John Gillan est devenu le directeur régional pour la RGT, au printemps 2006.

Le bon côté de la chose, c’est que pendant le déroulement des négociations régionales sur les EPHV, des hauts dirigeants (pas tous) de cette région et de celle d’Ottawa ont finalement été exposés.

Chacun d’entre vous avez maintenant été témoin des tromperies, mensonges et abus de la direction qui continuent de gangréner cette organisation, d’entraver les négociations sur les EPHV et de nuire au règlement de tant d’autres différends régionaux en matière de relations de travail.

C’est la vérité qui nous lie à une cause commune, celle d’être traités avec dignité et respect et de ne pas permettre à cet employeur de porter atteinte à l’un ou l’autre de nos droits garantis par la convention et/ou la loi.

J’espère que vous serez rassurés de savoir que je vais bien et que je m’affaire, plus déterminé que jamais, à protéger nos droits.

[…]

La correspondance que j’ai jointe explique les motifs de ma plus récente sanction disciplinaire, lesquels reposent sur deux phrases écrites dans un point sur les EPHV qui a été affiché dans notre site Web local. Ces phrases sont les suivantes : « En attendant, je presse l’agent négociateur et le bureau national de la CEUDA de fournir leur appui à un débrayage maintenant. » et « Si la direction se présente à la rencontre et ne propose rien de plus que ce qu’elle a proposé en février dernier, préparez-vous à soutenir de futures activités syndicales. »

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

205 Dans le premier paragraphe du message, le fonctionnaire avise directement les destinataires de la prise d’une mesure disciplinaire à son endroit et du fait qu’il n’aura pas accès aux locaux de l’ASFC. Le reste ne fait écho à aucune des raisons invoquées à l’audience par le fonctionnaire pour avoir affiché le message. Le défendeur avait clairement demandé au fonctionnaire de supprimer du site Web de la section locale 24 de la CEUDA les deux phrases litigieuses. Le fonctionnaire a d’abord supprimé le passage qui contenait ces phrases, mais dans son message, il a reproduit ces mêmes phrases, ce que le défendeur a clairement interprété comme une inconduite. Le fonctionnaire savait que le défendeur considérait l’affichage de ces phrases comme une inconduite, et pourtant il les a répétées. Il était manifestement en désaccord (comme c’est son droit) avec l’évaluation de sa conduite que faisait le défendeur. Cependant, en vertu du principe selon lequel il faut « obéir d’abord et se plaindre ensuite », le fonctionnaire est censé faire connaître son désaccord au moyen de la procédure applicable aux griefs et non par d’autres communications avec les membres de l’unité de négociation. De plus, il savait déjà que l’AFPC considérait les termes qu’il avait employés comme inappropriés (comme l’a très clairement indiqué M. Moran à l’audience disciplinaire, le 31 octobre 2007).

206  Le message conservait un ton de défiance et maintenait la position du fonctionnaire selon laquelle il sollicitait un appui à un arrêt de travail illégal relativement au litige des EPHV. On peut mesurer cela à la lecture du passage [traduction] « […] tromperies, mensonges et abus de la direction qui continuent de gangrener cette organisation […] » et de la mention de ne pas permettre à l’employeur de porter atteinte aux droits garantis par la convention collective et/ou la loi. Je conviens avec le défendeur que le fonctionnaire aurait pu adopter un ton plus neutre pour expliquer sa situation et aurait pu simplement mentionner qu’il avait l’intention de déposer un grief pour contester sa suspension au motif qu’il avait prétendument conseillé ou suscité un arrêt de travail illégal.

207 Il importe aussi de tenir compte de la correspondance que le fonctionnaire a jointe à son message. Dans son message, il dit que la correspondance qu’il a jointe « explique » la mesure disciplinaire qui a été prise à son endroit. La correspondance jointe au message (et donc également affichée sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA) met les phrases répétées dans leur contexte. La première pièce jointe était le courriel du 2 novembre 2007 (pièce E-1, onglet 22) adressé à M. Gillan et à d’autres personnes (qui est résumé au paragraphe 59 de la présente décision). Ce courriel se lit comme suit :

[Traduction]

Le syndicat a parfaitement le droit de mobiliser ses membres en vue d’activités futures.

L’ASFC ne saurait s’ingérer dans la façon dont un syndicat se prépare à de telles activités futures, activités que le syndicat a le droit de déterminer et de gérer. Nous sommes en droit de garder le contrôle de l’administration de notre syndicat.

J’ai clairement indiqué que nous n’avions aucune intention d’aller de l’avant tant que nous n’aurions pas reçu d’opinion juridique ou demandé l’appui de l’agent négociateur.

[…]

Vos actions ne feront qu’envenimer l’actuel conflit de travail qui sévit dans cette région.

Tant et aussi longtemps que nous n’aurons pas émis d’instruction, ce que, à l’évidence, nous n’avons pas fait, nous serons parfaitement en droit de faire savoir à nos membres si nous sollicitons un soutien, de qui nous le sollicitons et à quel sujet.

[…]

208 Ce n’est pas là simplement informer les membres de la mesure disciplinaire imposée. Il s’agit d’une farouche défense de sa déclaration ainsi que d’une nouvelle incitation à un débrayage illégal. Mentionnons aussi l’allusion à un conflit de travail qui s’envenime.

209 Le courriel joint du 30 octobre 2007 (pièce E-1, onglet 17) est aussi une justification de son premier affichage, dans laquelle il démontre clairement qu’il n’est pas d’accord avec l’interprétation que l’administrateur général fait de son message et qu’il reste campé sur ses positions.

210  Pour conclure, les phrases reproduites dans le réaffichage du 3 novembre 2007, lorsqu’elles sont lues dans le contexte du message dans son intégralité et des pièces jointes, constituent une nouvelle charge visant à conseiller ou susciter une grève illégale.

211 Le fonctionnaire a également soutenu que son message était une forme d’expression syndicale qui devait être protégée. Il va sans dire que les déclarations qui revêtent un caractère malveillant ou qui sont de fausses déclarations faites sciemment ou de façon insouciante ne constituent pas un discours syndical protégé. Les termes employés par le fonctionnaire ne font pas partie du cadre de ses devoirs licites de représentation. En l’espèce, ses déclarations contreviennent à la LRTFP.

212  Par conséquent, je conclus que l’employeur avait un juste motif de prendre des mesures disciplinaires à l’endroit du fonctionnaire pour avoir réaffiché sa déclaration. Je dois maintenant porter mon attention sur le degré de sévérité de la mesure disciplinaire.

213 Le fonctionnaire a déclaré qu’une réprimande écrite aurait été une mesure plus appropriée, étant donné que le message n’était rien de plus qu’une notification indiquant qu’il avait été suspendu. Comme je l’ai conclu plus tôt dans cette décision, je ne peux accepter cette qualification du message.

214 Les facteurs aggravants qui s’appliquaient à la suspension de 30 jours s’appliquent aussi à la mesure de licenciement. Le fonctionnaire a continué de ne pas reconnaître sa responsabilité dans les mots qu’il a utilisés, et il n’admet pas qu’il a conseillé et suscité un arrêt de travail illégal.

215 Le fait qu’un arrêt de travail illégal ne se soit pas produit n’est pas une circonstance atténuante. Il n’y a aucune preuve du tort qui doit avoir été causé pour justifier l’imposition d’une sanction disciplinaire relativement à une action visant à conseiller ou susciter un arrêt de travail illégal (Pacific Press and Communications, Energy & Paperworkers’ Union Local 115M,(1997) 69 L.A.C. (4e) 214, au paragraphe 53).

216 Le fonctionnaire a argué que le fait que ses précédentes sanctions disciplinaires avaient été, soit annulées, soit sensiblement réduites, démontrait que le défendeur persistait à ne pas reconnaître ni prendre en considération le statut syndical du fonctionnaire. J’ai examiné sur le fond les deux griefs dont je suis saisi. Toute conclusion relative au comportement passé de l’administrateur général n’est pas pertinente à une évaluation des comportements de l’administrateur général dans les griefs en instance.

217  Le dossier disciplinaire antérieur du fonctionnaire s’élève maintenant à 45 jours de suspension. Que l’épaisseur du dossier disciplinaire ait été réduite par règlement ou par arbitrage ne change rien au fait que l’inconduite du fonctionnaire était sérieuse. Les antécédents disciplinaires au dossier du fonctionnaire sont de nature comparable à la mesure disciplinaire prise en l’espèce, et le fonctionnaire n’a pas démontré d’amélioration de son comportement. Le licenciement après 45 jours de suspension au dossier de l’employé représente une sanction disciplinaire d’une ampleur toute à fait acceptable.

218  Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’allait pas briguer à nouveau un poste de représentant de l’agent négociateur. À mon sens, cette considération n’est pas pertinente. Tout d’abord, l’employeur ne peut faire respecter cet engagement. D’autre part, les actions du fonctionnaire sortaient du cadre des activités syndicales licites. Cela dénote une attitude qui n’est acceptable pour aucun fonctionnaire, en particulier un agent des services frontaliers qui occupe un poste critique dans lequel de la confiance doit être placée.

219  Par ses actions, le fonctionnaire a rompu le lien de confiance avec l’employeur. Au regard de son attitude et de son absence de réaction face à des mesures disciplinaires moins lourdes, la réintégration du fonctionnaire dans ses fonctions pour quelque motif que ce soit [traduction] « représenterait une caution donnée à ses actions et inviterait à une répétition du comportement », (Nanaimo General Hospital and H.E.U. (Bertram) (1999) 81 L.A.C. (4e) 1, au paragraphe 196). Ce n’est pas la première fois qu’on remet en question la capacité du fonctionnaire d’assumer ses fonctions d’employé de la fonction publique. Dans King no 2, au paragraphe 273, l’arbitre de grief a déclaré ceci :

[…] J’ai de la difficulté à croire, au vu de la nature des allégations et de la manière dont elles ont été formulées, qu’une personne raisonnable ne se poserait pas de sérieuses questions sur l’aptitude du fonctionnaire à accomplir ses fonctions comme fonctionnaire.

220 De par ses plus récentes actions, le fonctionnaire a montré qu’il n’était pas capable de contrôler ses opinions bien arrêtées et de rester dans les limites de la légalité. Cela démontre son incapacité à s’acquitter de ses fonctions d’employé de la fonction publique occupant un poste de confiance.

221 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit.

V. Ordonnance

222 Les griefs sont rejetés.

Le 29 novembre 2010.

Traduction de la CRTFP

Ian R. Mackenzie,
arbitre de grief

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