Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé une plainte de pratique déloyale de travail contre son agent négociateur après que celui-ci l’a suspendu pendant deux ans - un comité d’examen externe avait confirmé que le comportement du plaignant justifiait une sanction disciplinaire, mais avait recommandé de ne pas prendre de mesure disciplinaire à son endroit - en dépit de cette recommandation, le conseil d’administration de l’agent négociateur a voté en faveur de l’imposition d’une mesure disciplinaire - la Commission a statué que le plaignant avait bénéficié de l’équité procédurale et que l’agent négociateur n’avait pas agi de manière discriminatoire en lui imposant la sanction. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-02-10
  • Dossier:  561-02-203
  • Référence:  2010 CRTFP 22

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

RAYMOND STRIKE

plaignant

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Strike c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, vice-présidente

Pour le plaignant:
Richard P. Bowles, avocat

Pour la défenderesse:
Andrew Raven, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 5 au 8 mai et les 15 et 16 juillet 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le plaignant, Raymond Strike, est un employé du ministère de la Santé. Il est entré dans la fonction publique en 1985 et est devenu représentant syndical. Il a rapidement gravi les échelons et, en 1999, a été élu président du Syndicat de la Santé nationale et du Bien-être social (SSBE), qui porte maintenant le nom de Syndicat national de la santé (SNS), un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC); il était président lors des événements à l’origine de la présente plainte

2 Pour résumer les faits, l’AFPC est l’agent négociateur de 160 000 fonctionnaires, dont la plupart travaillent pour la fonction publique fédérale. Elle est composée de 17 éléments, notamment du SNS et du Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada (SEIC). L’AFPC est régie par des statuts qui prévoient que le Congrès national triennal en est l’organe suprême, mais que le Conseil national d’administration est l’organe de décision entre les congrès. En tant que président du SSBE, M. Strike était membre du Conseil national d’administration.

3 La présente plainte a vu le jour à la suite d’une mesure disciplinaire qui a été imposée par l’AFPC et qui a eu pour effet de suspendre M. Strike et de le destituer de son poste pendant une période de deux ans. Il soutient que la mesure disciplinaire constitue une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP).

4 L’article 185 prévoit ce qui suit :

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

5 Plus particulièrement, le plaignant fait valoir qu’il y a eu violation des alinéas 188b) et c) de la LRTFP, qui sont ainsi formulés :

188. Il est interdit à l’organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu’aux autres personnes agissant pour son compte :

[…]

b) d’expulser un fonctionnaire de l’organisation syndicale ou de le suspendre, ou de lui refuser l’adhésion, en appliquant d’une manière discriminatoire les règles de l’organisation syndicale relatives à l’adhésion;

c) de prendre des mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ou de lui imposer une sanction quelconque en appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline de l’organisation syndicale;

II. Résumé de la preuve

6 Service Canada a été créé en 2005 pour coordonner la prestation des services gouvernementaux aux Canadiens. De par la création de ce nouveau ministère, des fonctionnaires qui desservaient le public dans un certain nombre de ministères et d’organismes ont dû se rendre accessibles au moyen d’un portail Web ou par téléphone. La plupart des fonctionnaires visés ont continué de fournir les mêmes services dans les mêmes bureaux qu’avant la restructuration. Les fonctionnaires des ministères et organismes visés appartenaient à plusieurs éléments de l’AFPC, mais la majorité d’entre eux faisaient partie de deux grands éléments de l’AFPC, soit le SSBE (3 500 fonctionnaires) et le SEIC (12 000 fonctionnaires).

7 Une lutte acharnée s’est donc engagée entre le SSBE et le SEIC lorsque le SEIC a tenté de persuader les dirigeants de l’AFPC qu’ils devraient représenter les employés de Service Canada. Au nom du SSBE, M. Strike s’est opposé au transfert de la majorité de ses membres au SEIC parce que, selon lui, le transfert de ses membres au SEIC était contraire aux statuts de l’AFPC.

8 Comme le SSBE et le SEIC ne sont pas parvenus à s’entendre, Nycole Turmel, qui était présidente nationale de l’AFPC, a exercé son droit de prérogative et a tenu un scrutin entre les deux syndicats sur la question de la composition de l’élément. Avant la tenue du scrutin, la direction du SSBE a décidé, par suffrage, d’intenter une procédure d’injonction afin d’empêcher la tenue du scrutin, procédure que M. Strike a entamée en s’adressant à un avocat privé. Le 6 juillet 2006, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté la demande d’injonction parce que le SSBE n’avait pas satisfait aux conditions lui permettant d’obtenir une injonction. La demande d’autorisation d’appel de cette décision a été rejetée.

9 À la suite de la communication de l’information à ses membres et aux employés de Service Canada et de l’action en justice, le SEIC a déposé une plainte contre le SSBE auprès du Conseil national d’administration et le SSBE a fait de même. Le Conseil national d’administration a nommé un comité d’examen externe impartial afin qu’il examine les plaintes et formule des recommandations. Le comité était composé de Bob White (ancien président des Travailleurs et travailleuses canadien(ne)s de l’automobile et du Congrès du travail du Canada), Kathleen Connors (ancienne présidente de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières/infirmiers) et Michael MacNeil (doyen associé de la faculté des affaires publiques à l’Université Carleton). Le comité d’examen externe impartial a rencontré les parties et a examiné la documentation écrite dont il a été saisi. Le 4 janvier 2007, le comité a produit un rapport dans lequel il concluait que la plainte du SSBE contre le SEIC était non fondée, que le SSBE avait contrevenu à plusieurs reprises aux statuts de l’AFPC et qu’il était responsable des mesures prises par ses membres et ses dirigeants. En ce qui concerne la mesure disciplinaire appropriée, le comité a rejeté la recommandation de suspendre, d’exclure ou de relever de ses fonctions tout élément, dirigeant ou membre, étant donné qu’aucune de ces mesures ne serait indiquée ou utile dans les circonstances du litige. Le comité d’examen externe impartial a déterminé que, si le Conseil national d’administration imposait une mesure disciplinaire, celle-ci retarderait le processus visant à trouver une solution qui serait dans l’intérêt des membres de l’AFPC.

10 Le 4 janvier 2007, le comité d’examen externe impartial a présenté son rapport lors d’une réunion extraordinaire du Conseil national d’administration. Le rapport a été adopté, mais sans que M. Strike, le président du SSBE, ou Jeannette Meunier-Mackay, la présidente du SEIC, n’aient pu se prononcer, par scrutin ou autrement, sur son adoption. À l’issue de la réunion extraordinaire, deux questions n’avaient toujours pas été réglées : 1) savoir si on devait tenir un scrutin des membres pour l’un ou l’autre élément, étant donné que le processus avait été vicié par le conflit opposant le SSBE et le SEIC; 2) dans l’alternative, savoir s’il était approprié que le président national de l’AFPC affecte les membres visés à un élément ou à un autre. Au bout du compte, l’AFPC a décidé de recourir au scrutin.

11 Le 1er mai 2007, John Gordon, le président national de l’AFPC, a écrit ce qui suit à M. Strike, pour l’informer que le Conseil national d’administration tiendrait une réunion afin d’examiner la possibilité d’imposer une mesure disciplinaire à la suite du rapport déposé par le comité d’examen externe impartial :

[Traduction]

[…]

Cher Ray,

Lors de sa réunion de février 2007, le CNA a examiné en partie le rapport du Comité White.

À cette occasion, j’ai informé le Conseil que je n’accepterais pas de motion de mesure disciplinaire contre vous ou contre tout autre membre du SSBE. J’ai adopté cette position parce que je croyais, et continue de croire, que cette mesure aurait causé préjudice au SSBE pendant ce qu’il convient d’appeler un scrutin crucial des membres.

Malgré cela, j’ai toujours maintenu qu’une motion visant à recommander une mesure disciplinaire serait acceptée et que la mesure serait imposée en temps opportun.

À mon avis, le temps est venu d’accepter une motion de mesure disciplinaire et d’imposer cette mesure étant donné que le scrutin a été tenu et que le dépouillement n’a pas eu lieu.

J’aimerais souligner que le processus d’enquête, qui est envisagé et prévu par le Règlement 19, est terminé et qu’il suffit à vos pairs du CNA de se prononcer sur la question.

Par conséquent, la question de la mesure disciplinaire découlant de votre contravention aux statuts de l’AFPC, qui est soulignée dans la décision du juge Hackland et dans le rapport du Comité White, sera étudiée au cours de la réunion du Conseil national d’administration, et la mesure disciplinaire qui s’impose sera envisagée. Étant donné la gravité de la situation, cette discussion aura lieu au cours d’une réunion extraordinaire du CNA qui sera convoqué dès que possible.

En outre, lors de sa réunion du 23 avril 2007, le CEA a convenu de créer un comité d’examen interne impartial chargé d’enquêter sur les mesures prises par les membres de l’exécutif national du SSBE relativement à la poursuite intentée par le SSBE contre l’AFPC.

Le Comité sera présidé par Patty Ducharme et sera composé d’Yvan Thauvette et de John MacLennan.

John Gordon
Président national

[…]

12 Dans une longue lettre datée du 16 mai 2007, M. Strike a répondu à M. Gordon qu’il contestait le pouvoir de M. Gordon aux termes des statuts de l’AFPC de lui imposer une mesure disciplinaire à la suite des conclusions du comité d’examen externe impartial. M. Strike a soutenu que le Conseil national d’administration ne pouvait, une fois le rapport adopté dans son intégralité, revenir sur ses recommandations. M. Strike a fait valoir l’argument suivant :

[Traduction]

[…]

En l’absence d’une telle recommandation de mesure disciplinaire du Comité d’examen impartial, le CNA n’a pas le pouvoir d’imposer une mesure disciplinaire aux membres de l’AFPC. Il ne peut, comme vous le proposez dans votre lettre, recevoir une recommandation visant à ne pas imposer de mesure disciplinaire et choisir de ne pas en tenir compte, pour ensuite recevoir une motion autonome de mesure disciplinaire contre moi, même si elle vient du président national. Il faut d’abord qu’un comité d’examen impartial formule la recommandation d’imposer une mesure disciplinaire.

De plus, je vous rappelle que le CNA a déjà adopté, lors de sa réunion du 4 janvier 2007, le rapport du Comité d’examen impartial dans son intégralité. Par conséquent, il ne peut plus revenir sur sa décision à une date ultérieure. Une fois que le CNA a adopté le rapport et la recommandation de mesure disciplinaire qu’il contenait, le processus disciplinaire a pris fin. Il ne peut rouvrir la question de la mesure disciplinaire contre moi au moyen d’une motion de votre part. Une telle façon de faire s’apparente à un double obstacle, puisque le CNA imposerait une mesure disciplinaire après avoir adopté un rapport qui recommandait de ne pas imposer de telle mesure.

13 Dans sa lettre, M. Strike a aussi demandé à M. Gordon de « ne pas réveiller le chat qui dort ». Il a demandé pourquoi on devrait créer un deuxième comité d’examen interne impartial alors qu’aucune nouvelle plainte n’a été déposée. Il a demandé que le Conseil national d’administration prenne du recul et examine toutes les questions avant d’aller de l’avant avec une motion de mesure disciplinaire contre lui. Il a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je souhaite profiter de l’occasion pour vous demander, ainsi qu’aux membres du CNA qui recevront copie de cette lettre, ce que vous croyez accomplir en donnant suite à ces deux propositions. Le SSBE a engagé une bataille politique contre la campagne visant à transférer une importante proportion de ses membres au SEIC. Avec la publication du rapport du Comité d’examen impartial, les mesures mises en place pour le scrutin tenu à la réunion du CNA de janvier, et le scrutin lui-même, le conflit a suivi son cours. En tant que solliciteur syndical expérimenté, je m’attendrais à ce que vous compreniez qu’il existe des moments où il est important de défendre les intérêts du syndicat et des membres. Je m’attendrais à ce que, à titre de président d’une fédération syndicale, vous chercheriez les occasions, après une telle bataille, pour bâtir des ponts entre les parties et poursuivre les activités syndicales. Il semble plutôt que vous soyez déterminé à déterrer le passé et à maintenir une ligne de conduite qui, selon le Comité d’examen impartial, « ne serait ni appropriée ni utile dans les circonstances ».

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

14 Le 22 mai 2007, à 8 h 46, M. Strike a été informé que deux motions seraient examinées au cours d’une réunion extraordinaire qui aurait lieu le matin même. La première motion consistait à placer le SSBE sous la tutelle de l’AFPC, et la seconde à priver M. Strike de son titre de membre pendant deux ans. Avant la tenue du scrutin par le Conseil national d’administration, M. Strike a eu l’occasion de s’exprimer. Il a été informé plus tard dans la journée que les motions avaient été adoptées et qu’il était suspendu de l’AFPC pendant deux ans, c’est-à-dire jusqu’au 21 mai 2009. Cette décision a eu pour conséquence que M. Strike a été destitué. Conformément au paragraphe 18(1) des statuts de l’AFPC, M. Strike ne pouvait plus tenter d’obtenir ou occuper une charge élective au sein de l’AFPC et, comme il n’était plus membre en règle, il ne pouvait plus assister aux réunions syndicales. En outre, il n’avait plus droit à de nombreux autres avantages découlant de son adhésion.

15 Le 29 mai 2007, M. Strike a porté en appel la décision de le destituer et de le priver de ses privilèges de membre. M. Strike a invoqué les motifs suivants : 1) la procédure par laquelle le scrutin relatif à la suspension a été ordonné comportait des lacunes; 2) la sanction imposée était disproportionnée; 3) tout autre motif jugé approprié.

16 Un tribunal d’appel a été constitué pour entendre l’appel de M. Strike. Il était composé de Nancy Riche, présidente, de M.J. (Mike) McTaggart, à titre de représentant de l’AFPC et de Paul Lordon, le représentant de M. Strike. À l’audience, M. Strike a été représenté par un avocat et l’AFPC par l’adjoint exécutif du Comité exécutif de l’AFPC, Steve Jelly, ainsi que par France Bélanger, adjointe administrative du président de l’AFPC. Comme l’a indiqué le tribunal d’appel dans sa décision, les deux parties ont eu [traduction] « amplement l’occasion de poser des questions, de fournir des réponses ou des répliques et le Tribunal d’appel a aussi eu toutes les possibilités de poser des questions et de discuter avec les deux parties afin d’obtenir des renseignements importants ». Dans une décision unanime, le tribunal d’appel a maintenu la mesure disciplinaire imposée à M. Strike, mais l’a modifiée afin de permettre à ce dernier de remplir ses fonctions syndicales ainsi que les fonctions relatives à son élément à compter de la veille du prochain congrès du SSBE. Les conclusions du tribunal d’appel sont les suivantes :

[Traduction]

[…]

CONCLUSION

L’avocat de M. Strike a vigoureusement soutenu que, contrairement à la position adoptée par le président Gordon, tel qu’indiqué dans le procès-verbal de la réunion extraordinaire du Conseil national d’administration tenue le 22 mai 2007, le Règlement 19 exige que soient respectées entièrement les étapes qui y sont énoncées et non pas seulement une procédure qui s’y conforme. Par conséquent, on a fait valoir que, comme le prévoit le paragraphe 19(9) du Règlement, le CNA ne peut intervenir qu’après et en réponse au rapport du Comité d’examen externe impartial.

Toutefois, le Tribunal souligne que l’article 25 des Statuts de l’AFPC, en particulier le paragraphe (1), confère expressément au CNA le pouvoir de suspendre ou d’expulser un membre pour les motifs énoncés au paragraphe (5) de l’article 25. L’article 1 du Règlement 19, en tant que premier principe relatif à l’application de cette disposition, prévoit que le CNA a le pouvoir, en vertu de l’article 25 des Statuts, de suspendre ou d’expulser un membre. Les exigences du paragraphe 9, et les autres éléments du Règlement 19, doivent être interprétés à la lumière de ce pouvoir.

C’est pourquoi il semble que le pouvoir qui est conféré au CNA par le paragraphe 25(1) des Statuts doit être considéré comme étant maintenu malgré ce qui est prévu au paragraphe 9 du Règlement 19, soit que l’exercice de ce pouvoir par le CNA doit habituellement être subséquent à un rapport du Comité d’examen impartial. La question de savoir si le pouvoir du CNA de suspendre ou d’expulser un membre selon les fondements qui sont établis dans l’article 25 des Statuts est maintenu dans tous les cas ne se pose pas dans le cas présent. La question à trancher est le maintien d’un tel pouvoir si, comme dans le cas en l’espèce, une procédure conforme au Règlement 19 a en effet été suivie. Dans de telles circonstances, le présent tribunal d’appel conclut que l’essentiel du Règlement 19 a été respecté. En effet, un Comité d’examen externe impartial a examiné la principale question de fait en cause et a fait rapport sur cette question. D’après ce rapport, la mesure disciplinaire a été envisagée comme possibilité à l’égard de M. Strike, ce dernier a été avisé, a présenté des arguments au CNA à cet égard et la décision d’agir n’a été prise qu’après examen du rapport du Comité White et des arguments présentés par M. Strike au CNA.

Bien que la procédure établie dans le Règlement 19 n’ait pas été suivie à la lettre, elle l’a été pour ce qui est de l’essentiel et, comme il en ressort du paragraphe 25(1) et de l’article premier du Règlement 19, le CNA était toujours habilité, dans les circonstances, à prendre une mesure qui était essentiellement conforme à la disposition des Statuts et au Règlement

Dans sa décision, le juge Hackland a précisé que les décisions prises par et maintenues par les deux parties l’avaient été de « bonne foi » et, bien que M. Strike continue de dire qu’il croit avoir épuisé tous les recours prévus dans les Statuts, la décision du juge Hackland aurait dû régler la question. Cependant, M. Strike a tenté d’en appeler de cette décision. Il est évident que, pour une raison quelconque, M .Strike n’a pas accepté cette décision et qu’il croyait toujours qu’il était en droit de saisir les tribunaux de l’affaire. Le Tribunal est d’avis que M. Strike aurait dû savoir, à la suite de la décision Hackland, que toute poursuite judiciaire subséquente contreviendrait aux valeurs consacrées dans les Statuts. Nous sommes d’avis que M. Strike a cru, de bonne foi, mais erronément aux yeux d’un observateur objectif, que sa position était juste.

Pour ces motifs, le Tribunal conclut ce qui suit :

1.  La suspension de Ray Strike est maintenue jusqu’à la veille de l’élection par sa section locale de délégués au prochain congrès du SSBE;

2.  En conséquence de sa suspension, Ray Strike n’a pas le droit d’occuper un poste pendant deux ans. À l’égard de cet empêchement, le Tribunal rétablira son droit d’occuper un poste la veille du prochain congrès du SSBE.

OBSERVATIONS FINALES

Nous espérons sincèrement que la présente décision mettra fin à ce litige une fois pour toutes. Les sommes dépensées en honoraires d’avocats, pour les activités des comités et des tribunaux sont des sommes qui ne servent pas les intérêts des membres. Le temps est venu de tourner la page. Le scrutin a été tenu et les membres ont été transférés à un autre élément. Les besoins des membres qui font encore partie du SSBE doivent être maintenant traités en priorité.

[…]

17 Le 28 novembre 2007, M. Strike a déposé la présente plainte en vertu de l’article 190 de la LRTFP, dans laquelle il allègue qu’il a été suspendu de l’AFPC et destitué de ses fonctions de président de l’élément du SSBE, ce qui contrevient aux alinéas 188b) et c) de la LRTFP, parce que l’AFPC lui a imposé une mesure disciplinaire même si aucune plainte écrite n’avait été portée contre lui et que l’AFPC s’est écartée de son code disciplinaire en prenant une mesure disciplinaire qui était contraire à la recommandation du comité d’examen externe impartial.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

18 M. Strike soutient que l’AFPC a agi de manière discriminatoire et que sa décision de le relever de ses fonctions et de suspendre ses privilèges de membre était illégale et arbitraire et qu’elle avait été appliquée de façon déraisonnable. Cette allégation est fondée sur le fait que la plainte déposée par le SEIC visait l’élément du SSBE et non M. Strike. Le Conseil national d’administration a étendu la plainte afin d’y inclure M. Strike. Par conséquent, la procédure suivie pour le relever de ses fonctions était illégale et contraire aux statuts de l’AFPC. La procédure de destitution était arbitraire parce que M. Strike n’a reçu qu’un avis de 15 minutes avant la tenue de la réunion extraordinaire au cours de laquelle on devait tenir un scrutin sur sa mesure disciplinaire. M. Strike fait valoir qu’il s’agit d’un manquement à la justice naturelle parce qu’il n’a pas eu l’occasion de bien se préparer à la réunion et à répondre à quelque accusation que ce soit. Le pouvoir de l’AFPC d’imposer une mesure disciplinaire a aussi été exercé de manière déraisonnable parce que le comité d’examen externe impartial avait recommandé de ne pas imposer de telle mesure.

19  M. Strike soutient qu’il s’est prévalu de toutes les procédures d’appel internes prévues par les statuts de l’AFPC. Il ne conteste pas les conclusions du comité d’examen externe impartial selon lesquelles il a contrevenu aux statuts de l’AFPC en s’adressant au tribunal. Il conteste la décision subséquente d’appliquer la mesure disciplinaire après que le Conseil national d’administration a adopté toutes les conclusions du comité d’examen externe impartial, y compris celle de ne pas imposer de mesure disciplinaire dans les circonstances de l’espèce.

B. Pour l’AFPC

20 L’AFPC soutient que, à partir du début des poursuites, M. Strike a été nommé à titre de plaignant et qu’il ne peut pas se dissimuler derrière son élément. M. Strike a aussi été défendeur en ce qui concerne le différend renvoyé au comité d’examen externe impartial. Le comité a recommandé que M. Strike ne fasse pas l’objet d’une mesure disciplinaire sans faire référence à une mesure disciplinaire contre l’élément.

21 Le tribunal d’appel a maintenu à l’unanimité la mesure disciplinaire même s’il a réduit la période de suspension pour permettre à M. Strike de participer au prochain congrès du SSBE.

22 Il s’agit d’une affaire syndicale interne qui ne fait pas intervenir les normes établies dans la LRTFP. M. Strike n’a jamais accepté le pouvoir du Conseil national d’administration. M. Strike a eu l’occasion de soulever la question de l’organisation des éléments lors du dernier congrès triennal de l’AFPC tenu en 2006, mais il ne l’a pas fait. L’AFPC soutient que l’audience devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») n’est pas un appel de novo de la procédure d’appel de l’AFPC, mais qu’elle doit se limiter à déterminer si l’AFPC a contrevenu à ses statuts en suspendant M. Strike du syndicat et en le destituant.

IV. Motifs

23 L’article 185 et l’alinéa 188c) de la LRTFP prévoient que la Commission peut revoir une mesure disciplinaire imposée au membre d’un syndicat afin de déterminer si le processus décisionnel était discriminatoire. En édictant ces dispositions, le législateur a imposé un devoir de transparence aux agents négociateurs du secteur public. Les syndicats du secteur privé fédéral sont régis par une disposition identique à l’alinéa 95g) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2. La formulation générale de l’alinéa 188c) de la LRTFP implique que le législateur a laissé le soin à la Commission d’interpréter ce qui constitue l’imposition d’une mesure disciplinaire discriminatoire et que celle-ci doit évaluer chaque cas à partir des faits qui lui sont propres.

24 Dans Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 58 (« Veillette I »), il a été déterminé que l’expression « d’une manière discriminatoire » au sens de l’alinéa 188c) de la LRTFP renvoie à un processus décisionnel qui est exempt de discrimination. Cette interprétation a été adoptée dans Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada et Rogers, 2009 CRTFP 64 (« Veillette II »), et dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103.

25 Dans Veillette I, la Commission a statué que le syndicat avait imposé une mesure disciplinaire à l’un de ses membres de manière discriminatoire parce que les principes d’équité énoncés dans ses statuts n’avaient pas été respectés. Son conseil d’administration avait non seulement omis d’informer le membre de la procédure qui serait suivie pour traiter la plainte, mais il ne lui a pas donné la possibilité d’être entendu avant de lui imposer la mesure disciplinaire. De plus, la suspension était une mesure plus sévère que celles qui sont prévues dans les statuts du syndicat.

26 La décision Veillette II a porté sur la même plainte, mais a traité d’une question quelque peu différente. Dans ce cas, le plaignant avait été suspendu parce qu’il avait exercé le droit que lui confère le paragraphe 190(1) de la LRTFP. Le plaignant avait d’abord déposé une plainte auprès de la Commission (Veillette I). Après le dépôt de cette plainte, le syndicat a adopté une politique prévoyant la suspension administrative des fonctions officielles d’un membre qui a eu recours à des organismes extérieurs pour régler des problèmes qui ont ou auraient pu être réglés au moyen des procédures internes. La question en litige n’était pas le traitement qu’a réservé le syndicat à son membre, mais plutôt de savoir si sa politique qui interdisait de porter plainte auprès de la Commission contrevenait à la LRTFP. L’arbitre de grief a statué que la politique du syndicat contrevenait en effet à la LRTFP et a ordonné que la politique soit modifiée en conséquence.

27 Dans sa preuve, M. Strike a fourni beaucoup de renseignements concernant les incidents qui ont mené à la décision du syndicat de le priver de ses privilèges et de le relever de ses fonctions. M. Strike a expliqué en détail son engagement à représenter de son mieux les membres de son élément et comment il avait toujours agi dans le meilleur intérêt de ses membres. L’APFC m’a fourni une preuve abondante concernant le pouvoir du Congrès national triennal, le rôle du conseil d’administration et le pouvoir du président dans l’interprétation des statuts. Tous ces détails m’ont permis de mieux comprendre la nature politique de l’organisation de l’AFPC et la nature démocratique de son processus décisionnel. Ceci étant dit, bien que M. Strike ne soit pas d’accord avec l’interprétation faite par l’AFPC de ses statuts, les faits qui ont donné lieu à la présente plainte ne sont pas vraiment contestés.

28 Essentiellement, la seule question en litige est de savoir si l’AFPC a appliqué les principes qui sont consacrés dans ses statuts de manière discriminatoire à l’égard de M. Strike lorsqu’elle a décidé de suspendre ses privilèges de membre et de le relever de ses fonctions. M. Strike admet que les statuts du syndicat interdisent à un élément ou à un membre d’intenter une poursuite en justice contre l’AFPC, ce qui est précisément ce qu’il a fait. Plus particulièrement, après que la Cour de justice de l’Ontario a refusé d’accorder une injonction afin d’empêcher la tenue du scrutin entre le SSBE et le SEIC, l’AFPC a tendu une branche d’olivier à M. Strike en décidant d’absorber les coûts de la poursuite en justice, dans une tentative de mettre fin au conflit entre le SSBE et le SEIC. Le 11 juillet 2006, M. Gordon, le président de l’AFPC, a écrit au conseil d’administration pour leur faire savoir que le maintien de la poursuite en interjetant appel de la décision judiciaire n’était pas dans l’intérêt des membres de l’AFPC. M. Gordon espérait tenir un scrutin sur la question de la composition des syndicats concurrents et a procédé ainsi. Mais il a été impossible d’arrêter M. Strike. Il a déposé une demande afin d’interjeter appel de la décision du tribunal de rejeter la demande d’injonction; la demande a aussi été rejetée.

29 Par la suite, l’AFPC a mandaté un comité d’examen externe impartial de procéder à un examen. M. Strike a eu l’occasion de communiquer son point de vue au comité. Le comité n’était pas d’accord avec lui, mais a recommandé que l’on fasse preuve d’indulgence en ne prenant pas de mesure disciplinaire contre lui. Malgré cela, M. Strike a poursuivi sa campagne au moyen de lettres et de motions qu’il a fait parvenir au Conseil national d’administration. Le conseil d’administration de l’AFPC a adopté une motion visant à instaurer une procédure d’appel. Avant la tenue du scrutin, on a donné à M. Strike l’occasion de s’exprimer.

30 La personne désignée par M. Strike sur la formation du tribunal d’appel a été un éminent membre du barreau spécialisé en droit du travail. Le tribunal d’appel a souligné qu’il avait donné aux deux parties amplement d’occasions de présenter leurs arguments et que le tribunal avait tenu des discussions afin d’obtenir des renseignements importants. Le tribunal d’appel a fondé sa décision de rejeter l’appel de M. Strike sur le fait que le Règlement 19 des statuts de l’AFPC, même s’il n’avait été suivi à la lettre, avait été appliqué d’une manière conforme au pouvoir conféré au Conseil national d’administration aux termes du paragraphe 25(1). Par conséquent, il n’y a pas eu violation des statuts.

31 La décision du tribunal d’appel était unanime; la personne désignée par M. Strike, M. Lordon, a souscrit aux conclusions du tribunal. Je dois convenir avec le tribunal d’appel que, une fois que M. Strike a décidé d’en appeler de la décision du tribunal, il savait qu’il avait adopté une ligne de conduite qui contrevenait aux valeurs des statuts de l’AFPC. Tout au long des procédures d’examen et d’appel de l’AFPC, M. Strike a eu la possibilité de faire connaître son opinion. Rien ne montre que les procédures d’examen et d’appel étaient discriminatoires. Le seul argument valable de M. Strike est que le Conseil d’administration a agi illégalement en ne suivant pas la recommandation du comité d’examen externe impartial de ne pas imposer de mesure disciplinaire.

32 Le comité d’examen externe impartial a formulé une recommandation que le Conseil national d’administration a décidé de ne pas suivre. Il n’appartient pas à la Commission de réviser une décision interne du syndicat. L’examen de la Commission se limite à déterminer si la décision ou la politique du syndicat a été appliquée de manière discriminatoire, ce qui est interdit par l’alinéa 188c) de la LRTFP. Étant donné toutes les occasions qui ont été accordées à M. Strike d’exprimer son point de vue tout au long de la procédure interne du syndicat, rien ne permet de conclure que l’AFPC a appliqué sa politique de manière discriminatoire. M. Strike peut être en désaccord avec la décision du Conseil national d’administration de le suspendre et de le destituer, mais, dans les circonstances de l’espèce, cela ne rend pas la décision illégale ou discriminatoire pour autant.

33 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

34 La plainte est rejetée.

Le 10 février 2010.

Traduction de la CRTFP

Michele A. Pineau,
vice-présidente

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