Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a contesté son licenciement - l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief pour entendre le grief, alléguant qu’il s’agissait, aux termes de la Loi, d’un licenciement <<à l’exclusion du licenciement motivé >> - l’arbitre de grief a estimé que, même si les dispositions de la Loi autorisent les licenciements <<à l’exclusion du licenciement motivé >>, la Loi n’applique pas pour autant aux relations entre un employeur et ses employés les principes de contrats d’emploi propres à la common law - l’arbitre de grief a jugé qu’il aurait compétence pour entendre le grief si la décision de licencier la fonctionnaire s’estimant lésée s’appuyait de façon factice sur le pouvoir de procéder à un licenciement <<à l’exclusion du licenciement motivé >> en vertu de la Loi, s’il s’agissait d’un subterfuge ou d’un camouflage - en l’espèce, l’employeur n’a pas prouvé une intention de procéder, dans le cas de la fonctionnaire s’estimant lésée, à un licenciement <<à l’exclusion du licenciement motivé >> - cependant, la fonctionnaire s’estimant lésée a établi que la décision de la licencier s’appuyait de façon factice sur le pouvoir de procéder à un licenciement <<à l’exclusion du licenciement motivé >>, en vertu de la Loi - elle a établi que son licenciement revêtait un caractère disciplinaire - l’arbitre de grief a conclu que l’employeur ne s’était pas acquitté de la charge de prouver que la mesure disciplinaire était justifiée et a ordonné la réintégration de la fonctionnaire s’estimant lésée dans ses fonctions - l’arbitre de grief n’a trouvé dans la preuve aucun élément justifiant l’octroi de dommages-intérêts - il n’a pas davantage accordé de dépens. Objection rejetée. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-12-22
  • Dossier:  566-37-3458
  • Référence:  2010 CRTFP 135

Devant un arbitre de grief


ENTRE

VIVIAN ROSE BOUTZIOUVIS

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CENTRE D’ANALYSE DES OPÉRATIONS ET DÉCLARATIONS FINANCIÈRES DU
CANADA

employeur

Répertorié
Boutziouvis c. Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Christopher C. Rootham, avocat

Pour l'employeur:
George G. Viucic, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 25 et 26 octobre 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1  L’employeur, le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), prétend que sa directrice (la « directrice ») a décidé du licenciement de Vivian Rose Boutziouvis, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), « à l’exclusion du licenciement motivé », le 8 janvier 2010. Il plaide que la décision relevait du pouvoir exclusif de la directrice en vertu du paragraphe 49(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (la « Loi sur le CANAFE »), L.C. 2000, ch. 17, et que le paragraphe 49(2) de cette loi interdit à l’arbitre de grief d’examiner cette question. L’article 49 de la Loi sur le CANAFE est libellé comme suit :

49.(1) Le directeur a le pouvoir exclusif :

a) de nommer, mettre en disponibilité ou licencier les employés du Centre;

b) d’élaborer des normes et méthodes régissant la dotation en personnel, notamment la nomination, la mise en disponibilité ou le licenciement — à l’exclusion du licenciement motivé.

(2) La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou au pouvoir du directeur de régir les questions visées à l’alinéa (1)b).

(3) Les paragraphes 11.1(1) et 12(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques ne s’appliquent pas au Centre; le directeur peut :

a) déterminer l’organisation du Centre et la classification des postes au sein de celui-ci;

b) fixer les conditions d’emploi — notamment en ce qui concerne le licenciement motivé — des employés et leur assigner des tâches;

c) malgré l’article 112 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, conformément au mandat approuvé par le Conseil du Trésor, fixer la rémunération des employés du Centre;

d) régler toute autre question dans la mesure où il l’estime nécessaire pour la bonne gestion des ressources humaines du Centre.

2 La fonctionnaire soutient que le grief contestant la décision de la directrice [traduction] « port[e] » sur une mesure disciplinaire et qu’elle a le droit d’alléguer que cette décision est le résultat d’une mesure disciplinaire déguisée au sens de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle LRTFP »), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22. Elle plaide en outre que le licenciement n’était pas motivé et qu’il doit être annulé avec pleine indemnisation. L’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP est libellé comme suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

II. Questions préliminaires

3 L’arbitre de grief auquel la présente cause a initialement été attribuée a décidé de tenir une audience pour trancher la question de compétence. Les parties ont été informées de cette décision et prévenues qu’elles devaient être prêtes à présenter leurs arguments au fond si l’arbitre de grief décidait de prendre l’objection à la compétence.

4 Le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») m’a ultérieurement chargé de l’audience. En vertu de l’article 226 de la nouvelle LRTFP, l’arbitre de grief a le pouvoir de décider de la manière dont se déroulera l’audience. Après avoir consulté les deux avocats juste avant le début de l’audience, j’ai décidé de réunir la preuve et les arguments sur l’objection à la compétence et sur le fond du grief au lieu de séparer les instances parce que la preuve relative à la question de compétence et au fond du grief est essentiellement la même.

5 L’employeur a confirmé, dès le début de l’audience, qu’en conformité avec son objection à la compétence, il n’avait pas l’intention de produire des éléments de preuve ou de présenter des arguments — à titre subsidiaire — quant au bien-fondé de la décision de la directrice et qu’il entendait limiter ses arguments à la question de compétence.

III. Résumé de la preuve

6 L’employeur n’a pas appelé de témoins.

7 Sur consentement, j’ai admis en preuve les quatre documents suivants proposés par l’employeur : la lettre de licenciement datée du 8 janvier 2010 (pièce R-1); le grief contestant la décision de la directrice, déposé par la fonctionnaire le 12 février 2010 (pièce R-2); la réponse de l’employeur au grief, datée aussi du 12 février 2010 et signée par l’avocat général du CANAFE (pièce R-3); la réponse de l’avocat général du CANAFE, datée du 25 février 2010, au renvoi du grief à l’arbitrage (pièce R-4).

8 Les pièces R-2 à R-4 ne contiennent pas de preuve contemporaine quant aux événements qui se sont produits jusqu’à la date, ou au moment, où la directrice a décidé de licencier la fonctionnaire. Ils exposent plutôt, aux fins du dossier, les positions que la fonctionnaire et l’employeur ont défendues après le licenciement de la fonctionnaire.

9 Les passages importants de la lettre de licenciement du 8 janvier 2010 sont reproduits ci-dessous :

[Traduction]

[…]

[…] Pendant que vous étiez en formation linguistique, votre superviseur et moi-même vous avons avisée que vous deviez vous concentrer sur vos études et éviter de vous mêler des questions courantes. J’ai récemment appris que vous étiez intervenue dans le fonctionnement quotidien de votre unité en dépit des directives que vous aviez reçues.

J’ai également appris que vous vous étiez ingérée dans un processus de dotation d’un poste FT-4. Un examen visant à déterminer votre niveau d’ingérence dans ce processus a révélé que vous aviez tenté de créer un climat de peur et d’intimidation parmi un certain nombre de vos collègues et que vous aviez abusé de votre situation d’autorité afin d’influencer irrégulièrement l’issue du concours.

C’est un comportement inacceptable de la part d’un employé et encore plus de la part d’un membre de l’équipe de direction. Ainsi, vous avez perdu la confiance de la haute direction et je dois donc vous aviser que votre emploi au CANAFE prendra fin à la fermeture des bureaux, le 6 janvier 2010.

[…]

La lettre de licenciement était accompagnée d’un tableau récapitulatif des indemnités de départ parmi lesquelles figurait un montant forfaitaire correspondant au salaire et aux avantages de la fonctionnaire pour la période allant du 11 janvier au 29 juillet 2010.

10 Seule la fonctionnaire a témoigné pour son compte.

11 La fonctionnaire a commencé sa carrière dans l’administration fédérale en octobre 1987, en se joignant à l’organisme qui porte aujourd’hui le nom d’Agence du revenu du Canada. En mars 2001, elle a accepté un poste au nouveau CANAFE. De janvier 2005 jusqu’à la date de son licenciement, elle a occupé des postes de cadre supérieur dans le groupe et au niveau FT-6, l’équivalent sur le plan salarial d’un poste EX-1/EX-2 dans l’administration publique centrale. Le poste qu’elle occupait tout récemment était celui de gestionnaire, Analyse financière tactique, Blanchiment d’argent (pièce G-1). À ce titre, elle dirigeait une des cinq unités qui relevaient initialement d’un sous-directeur, puis à la suite d’une restructuration, d’un directeur adjoint. Le mandat principal de son unité était de recueillir des renseignements de manière proactive sur des opérations douteuses liées au blanchiment d’argent afin de les communiquer aux organismes d’application de la loi pertinents.

12 Durant sa période d’emploi au CANAFE, la fonctionnaire a reçu des évaluations du rendement satisfaisantes et touché des primes au rendement, en plus de remporter plusieurs prix d’excellence pour sa contribution à l’organisme (pièces G-2 à G-8 et G-10 à G-14).

13 Le poste de la fonctionnaire était désigné « bilingue non impératif ». En octobre 2008, la fonctionnaire a commencé des cours de français afin d’atteindre le niveau « CBC » exigé pour son poste. En juillet 2009, elle avait atteint le niveau requis en lecture et en rédaction, mais pas en interaction orale. Au terme d’une nouvelle évaluation, le formateur a déterminé qu’elle avait besoin d’une douzaine de semaines de formation de plus pour atteindre le niveau « C ». Il a ensuite soumis des rapports hebdomadaires sur ses progrès à la section des ressources humaines du CANAFE (pièce G-15). Le 31 décembre 2009, la fonctionnaire a appris qu’elle avait obtenu le niveau « C » à l’épreuve finale en interaction orale.

14 La fonctionnaire a eu sa première rencontre avec Denis Meunier, son nouveau directeur adjoint, peu de temps après la nomination de celui-ci en novembre 2008. Après avoir passé brièvement en revue la carrière de la fonctionnaire, M. Meunier a déclaré qu’elle était au CANAFE [traduction] « depuis un peu trop longtemps » et qu’elle aurait avantage, sur le plan professionnel, à entreprendre des démarches pour se trouver un autre poste à l’extérieur du CANAFE afin d’élargir son expérience et de continuer à progresser dans sa carrière.

15 La fonctionnaire est revenue de sa formation linguistique le 6 janvier 2010; elle a eu une réunion avec M. Meunier à deux reprises ce jour-là. Le 8 janvier 2010, elle a été convoquée à une réunion avec M. Meunier et Stephen Black, directeur adjoint, Ressources humaines. M. Meunier lui a annoncé qu’elle était licenciée et lui a remis une lettre de licenciement (pièce R-1). M. Black a répondu à plusieurs questions au sujet des indemnités de départ que l’employeur proposait de lui verser. À l’issue de la réunion, des membres du personnel de sécurité ont raccompagné la fonctionnaire à son bureau où ils lui ont permis de récupérer son sac à main et ses clés; après avoir récupéré son laissez-passer pour l’édifice et son permis de stationnement, ils l’ont escortée à l’extérieur des lieux.

16 Au moyen d’une demande d’accès à l’information soumise ultérieurement (AIPRP), la fonctionnaire a obtenu l’aide-mémoire que M. Meunier avait utilisé durant la réunion (pièce G-16). En voici un extrait :

[Traduction]

[…]

  • Pendant que vous étiez en formation linguistique, la directrice et moi-même avons clairement indiqué que vous deviez vous concentrer sur vos études et éviter de vous mêler des questions courantes.
  • Vous n’avez malheureusement pas suivi ces directives.
  • Vous avez continué de vous mêler des questions courantes.
  • Vous êtes récemment intervenue dans le concours visant à doter le poste FT-4.

[…]

  • J’ai pris connaissance de nombreux courriels que vous avez envoyés aux membres du comité de sélection et aux membres de votre équipe […]
  • Vous avez tenu des propos très critiques et irrespectueux à l’endroit de certaines personnes, y compris les RH, vos collègues et moi-même.
  • Vous avez tenté de créer un climat de peur et d’intimidation; vous avez harcelé vos collègues et vous avez tenté d’influencer d’une manière inappropriée le processus de sélection […]
  • C’est un comportement inacceptable de la part d’un employé, et encore plus de la part d’un membre de l’équipe de gestion. On s’attend à ce que les membres de l’équipe de gestion aient un comportement professionnel et exemplaire.
  • Au vu de votre conduite, je ne crois plus que vous ayez la capacité de vous acquitter de vos fonctions de manière efficace.
  • La haute direction a décidé de vous licencier.
  • Je vous remercie de votre contribution; nous veillerons à ce que vous soyez traitée de manière juste et raisonnable.
  • Vous trouverez ci-joint une lettre de licenciement, ainsi que des détails sur votre forfait de départ.

[…]

La fonctionnaire a confirmé que les propos de M. Meunier lors de la réunion concordaient avec le texte de l’aide-mémoire. Elle a déclaré qu’aucune autre raison n’avait été donnée, au-delà de celles indiquées dans l’aide-mémoire, pour justifier le licenciement.

17 Parmi les autres documents que la fonctionnaire a obtenus par le biais de la demande d’AIPRP figurait un rapport expurgé intitulé [traduction] « Problème » rédigé par M. Meunier (pièce G-17). Dans l’introduction du rapport, M. Meunier décrivait le « problème » comme suit :

 [Traduction]

En tant que superviseur immédiat de [la fonctionnaire], j’ai tout lieu de m’interroger sur le souci de [la fonctionnaire] de respecter le Code de conduite du CANAFE et les valeurs du CANAFE et de la fonction publique, ainsi que sur son intégrité comme gestionnaire et comme employée et sur l’effet négatif qu’elle a sur le moral du personnel de l’AFCC et de l’équipe de gestion.

J’ai des raisons de croire que [la fonctionnaire] ne se comporte plus comme une employée loyale du CANAFE qui fait montre d’une attitude transparente dans l’intérêt supérieur de l’organisme, et que sa conduite ne reflète plus les valeurs du CANAFE et de la fonction publique. En tant que superviseur [de la fonctionnaire], j’ai des raisons de croire que sa conduite laisse à désirer à cet égard et je souhaite vérifier des faits entourant certains renseignements et événements afin de déterminer si mes soupçons sont fondés et si peux continuer de lui faire confiance.

J’ai des raisons de croire que [la fonctionnaire] :

  • tente d’orienter l’issue d’un processus de dotation;
  • et, à cette fin, harcèle des collègues et peut-être même d’autres membres du personnel;
  • a un comportement insubordonné;
  • a omis de faire approuver des congés;
  • a tenté de camoufler des congés;
  • a limité les chances du personnel subalterne de participer à un processus de dotation;
  • crée un climat de peur et d’intimidation.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

Le rapport décrit les faits allégués qui, selon M. Meunier, corroborent ses soupçons. Vers la fin du rapport, il semble confirmer ces soupçons, en fournissant les détails suivants en ce qui concerne les raisons initiales pour lesquelles il dit avoir rédigé son rapport :

[Traduction]

[…]

Je crois que [la fonctionnaire] :

  • tente d’influencer l’issue d’un processus de dotation en exerçant des pressions indues sur des membres du comité;
  • et, à cette fin, harcèle des collègues, des subalternes et peut-être même d’autres membres du personnel;
  • a un comportement insubordonné, malgré deux courriels et au moins deux discussions la priant de ne pas s’ingérer dans le fonctionnement quotidien de l’unité pendant sa formation linguistique;
  • n’a pas suivi la procédure habituelle pour fait approuver certains congés;
  • a tenté de dissimuler des congés, probablement en forçant ou en influençant une personne qui avait accès au système des RH et en faisant approuver les congés sans mon autorisation;
  • pourrait avoir limité les chances du personnel subalterne de participer à un processus de dotation en exerçant des pressions;
  • crée un climat de peur et d’intimidation parmi le personnel de l’AFCC en troublant le climat productif et sécuritaire qui existe actuellement.

[…]

La fonctionnaire a indiqué que le document était l’équivalent d’un rapport d’enquête sur sa conduite et sur celle de deux autres employés. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas été interrogée au sujet des préoccupations dont M. Meunier faisait état dans le rapport et qu’elle n’avait pas été informée qu’il y avait eu une enquête. On ne lui a jamais donné l’occasion de répondre aux allégations. La fonctionnaire a confirmé que la directrice avait licencié les deux autres employés mentionnés dans le rapport en même temps qu’elle l’avait licenciée.

18 Parmi les documents obtenus au moyen de la demande d’AIPRP figuraient également un document préparé à l’intention de M. Meunier et de la directrice en vue des licenciements et intitulé [traduction] « calendrier et messages clés proposés » (pièce G-18), deux versions de la note de service de M. Meunier à la directrice recommandant les licenciements « non motivés » (pièces G-20 et G-21) et le message de la directrice expliquant les licenciements aux employés de la direction de la fonctionnaire (pièce G-22). En ce qui concerne les deux versions de la note de service de M. Meunier, la fonctionnaire a déclaré qu’elle ne savait pas laquelle était l’ébauche et laquelle était le document définitif; les deux documents contenaient sensiblement le même texte.

19 Dans la note de service à la directrice (pièce G-20), M. Meunier résumait comme suit les constatations qu’il avait faites au sujet de la fonctionnaire :

[Traduction]

[…]

Comme vous le savez, [la fonctionnaire] est en formation linguistique depuis le 6 octobre 2008. Avant son départ en formation, vous et moi lui avons clairement indiqué que son travail à temps plein, pendant sa formation linguistique, était d’apprendre le français et qu’elle devait éviter de se mêler du fonctionnement quotidien de son unité. Je lui ai également confirmé cela par écrit. Malgré ces directives très claires, j’ai constaté, à l’examen des courriels susmentionnés, que [la fonctionnaire] a continué de se mêler du fonctionnement quotidien de l’unité. En fait, sur une période de trois mois, [elle] a envoyé quelque 700 courriels […] lesquels portaient pour la plupart sur des questions opérationnelles.

[La fonctionnaire] a récemment terminé sa formation linguistique. Cette formation, qui devait initialement être de neuf mois environ, en a duré approximativement quinze. [La fonctionnaire] a réussi son évaluation linguistique à sa quatrième tentative. Il est évident, selon moi, que si [la fonctionnaire] avait suivi les conseils reçus et concentré son attention sur sa formation linguistique au lieu de se mêler du fonctionnement quotidien de son unité, elle aurait terminé sa formation linguistique beaucoup plus tôt et à un bien moindre coût pour le contribuable.

L’examen des courriels révèle clairement qu’elle voulait s’assurer que […] se classe au concours. Les courriels montrent que [la fonctionnaire] a donné des directives à son personnel […] pour en arriver à ce résultat. Ses efforts ayant échoué, elle a tenté d’intimider deux de ses collègues qui faisaient partie du comité de sélection pour qu’ils attribuent une note supérieure à […], basée sur sonrendement au travail, plutôt que sur ses résultats à l’entrevue d’emploi.

Une grande partie des courriels envoyés par [la fonctionnaire] sont troublants pour d’autres raisons. Ils contiennent plus particulièrement de nombreux commentaires irrespectueux et critiques à l’endroit des Ressources humaines (dont le rôle est d’assurer l’équité et la transparence du processus), des autres membres du comité (qui n’ont pas attribué à […] une note correspondant aux attentes [de la fonctionnaire]) et, finalement, à mon endroit (en tant que superviseur de tout cela). J’estime que le contenu des courriels indique clairement qu’elle cherchait à miner mon autorité et qu’elle mettait mon intégrité en doute. Bref, je ne crois plus que [la fonctionnaire] est capable de s’acquitter de ses fonctions de manière efficace.

[…]

20 La fonctionnaire a déclaré que six employés avaient communiqué avec elle après son licenciement pour lui dire qu’ils étaient peinés de son départ. L’un d’eux lui avait dit que M. Meunier avait rappelé aux employés, durant une réunion où il avait été question des licenciements, que l’organisme travaillait en étroite collaboration avec les organismes d’application de la loi et que les employés devaient surveiller ce qu’ils écrivaient dans leurs courriels. L’employé avait dit à la fonctionnaire que les propos de M. Meunier lui avaient laissé l’impression que les trois employés licenciés avaient communiqué illégalement des renseignements dans des courriels et que c’est pour cette raison qu’ils avaient été licenciés.

21 La fonctionnaire a déclaré qu’elle se sentait anéantie, humiliée et embarrassée par ce qui lui arrivait. Pendant les deux premiers mois qui ont suivi la réunion du 8 janvier 2010, elle est restée presque tout le temps à la maison. Durant la semaine qui a suivi son congédiement, son médecin l’a examiné et lui a dit qu’elle ne devait absolument pas commencer à se chercher un emploi pour le moment et lui a remis plusieurs certificats médicaux (pièce G-23).

22 La fonctionnaire croyait avoir été jugée coupable d’avoir communiqué illégalement des renseignements, si bien que pendant des mois elle a eu de la difficulté à quitter la maison. Malgré cela, après avoir consulté son médecin le 6 avril 2010, elle a entrepris de se chercher un emploi ailleurs dans l’administration publique. Elle a concentré ses efforts sur des postes de niveau EX-1 ou des postes de cadre supérieur de niveau AS-7, en consignant ses recherches dans un journal et en tenant le compte de ses contacts infructueux (pièces G-24 et G-25). À la date de la présente audience, les efforts de la fonctionnaire pour se trouver un emploi n’avaient toujours pas porté fruit.

23 En contre-interrogatoire, l’employeur a prétendu que c’était par souci d’aider la fonctionnaire à progresser dans sa carrière que M. Meunier lui avait dit, durant leur première rencontre en novembre 2008, qu’elle travaillait depuis trop longtemps au CANAFE. La fonctionnaire a répondu qu’elle avait interprété le commentaire de M. Meunier comme une indication que le moment était venu pour elle de quitter l’organisme. Elle avait trouvé étrange de recevoir un tel commentaire lors de leur première rencontre.

24 La fonctionnaire a admis que l’employé qui lui avait parlé de la communication illégale de renseignements après son licenciement exprimait simplement une impression personnelle et qu’il n’avait pas dit que M. Meunier ou quelqu’un d’autre au CANAFE avait déclaré que les employés licenciés avaient communiqué illégalement des renseignements. La fonctionnaire a également convenu que l’aide-mémoire (pièce G-16) de M. Meunier ne contenait aucune note sur la communication illégale de renseignements.

25 Après la clôture de la preuve de la fonctionnaire, l’employeur a décliné l’offre de présenter une contre-preuve. Par souci de clarté, je lui ai demandé s’il était convaincu que sa preuve était complète, au cas où je déciderais d’assumer la compétence pour trancher l’affaire en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP. L’employeur a réitéré qu’il misait sur sa position que je n’avais pas juridiction pour déterminer le grief et qu’il ne voulait pas présenter de preuve sur le fond.

IV. Résumé de l’argumentation

26 Pour un cas qui porte sur le licenciement, la preuve, dont les grandes lignes sont présentées ci-après, est abondante. Cette preuve est évidemment très importante pour examiner plusieurs aspects de la décision que je dois rendre, sauf que la présente affaire porte essentiellement sur une question de droit importante — une question que, à ma connaissance, aucun arbitre de grief n’a encore tranchée sous le régime de la nouvelle LRTFP.

27 La proposition fondamentale qui sous-tend l’argument de l’employeur est que le libellé [traduction] « pour ainsi dire unique » de l’article 49 de la Loi sur le CANAFE a pour effet de soumettre la relation de l’employeur avec ses employés à l’application de certains préceptes de la common law, plus particulièrement le droit en common law de l’employeur de décider du licenciement à l’exclusion du licenciement motivé, dans la mesure où il donne un préavis suffisant ou paie une indemnité de préavis. L’employeur soutient que, à l’intérieur de ce cadre juridique, rien n’autorise la contestation judiciaire de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire basée sur la notion de mesure disciplinaire déguisée. Il avance que l’exclusion de responsabilité contenue dans la Loi sur le CANAFE empêche l’intervention de l’arbitre de grief aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP pour un motif quelconque, dès lors que le directeur a décidé du licenciement à l’exclusion du licenciement motivé, même si l’existence d’un motif de licenciement pouvait être démontrée.

28 Au vu de la position inédite mise de l’avant par l’employeur, il n’est pas étonnant que les parties aient présenté des arguments très détaillés et exhaustifs. Je tiens à souligner tout spécialement le doigté avec lequel les deux parties ont présenté leurs arguments respectifs. Le résumé qui suit présente une version très abrégée de leurs observations, mais je tiens à préciser que j’ai étudié leurs arguments en détail pour rendre ma décision.

29 Dans leur argumentation, les parties utilisent parfois l’expression [traduction] « licenciement non motivé » à la place de « licenciement à l’exclusion du licenciement motivé ». Dans le texte qui suit, je considère que l’expression [traduction] « licenciement non motivé » est une forme abrégée de l’expression « licenciement à l’exclusion du licenciement motivé ».

A. Pour l’employeur

30 La directrice du CANAFE a exercé son pouvoir de décider du licenciement de la fonctionnaire à l’exclusion du licenciement motivé au lieu d’entamer un processus disciplinaire. Ce droit exclusif lui est conféré par le paragraphe 49(1) de la Loi sur le CANAFE.

31 Essentiellement, le paragraphe 49(1) de la Loi sur le CANAFE intègre les règles de la common law relatives au licenciement motivé et au licenciement non motivé. En vertu du droit contractuel, l’employeur qui opte pour le licenciement motivé doit prouver qu’il y a des éléments d’inconduite ou violation d’un contrat et que cela suffit à justifier le renvoi. Dans les deux cas, aucune indemnité de préavis ni aucun préavis n’est requis. L’obligation juridique qui est faite à l’employeur qui opte pour le licenciement « non motivé » est de donner un préavis suffisant ou de payer une indemnité de préavis : voir l’aperçu des principes de la common law contenu dans Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986.

32 La common law présuppose l’existence d’un contrat d’emploi pour une période indéterminée. L’une ou l’autre partie peut décider d’y mettre fin, à la condition de respecter l’exigence relative au préavis suffisant. Le renvoi est jugé injustifié si l’employeur omet de donner un préavis suffisant ou de payer une indemnité de préavis.

33 Dans la lettre de licenciement du 8 janvier 2010 (pièce R-1), la directrice mentionnait que la haute direction ne faisait plus confiance à la fonctionnaire, mais elle ne précisait pas que c’était la raison qui motivait le licenciement. Rien n’indique, ailleurs dans la preuve, que la directrice ou un autre représentant de l’employeur a prétendu que le licenciement était motivé. L’allusion à la question de la perte de confiance visait simplement à fournir une explication à la fonctionnaire. La directrice peut décider de donner une explication de ce genre dans le cas d’un licenciement « non motivé » afin de faire échec à l’argument voulant qu’elle ait agi de manière déraisonnable ou arbitraire ou de mauvaise foi.

34 Le simple fait qu’il y avait des événements qui auraient pu justifier le licenciement motivé n’est pas suffisant pour conclure que la décision de la direction était de nature disciplinaire. Indépendamment de l’existence de motifs pour imposer une sanction disciplinaire, la loi n’autorise pas la fonctionnaire à alléguer que l’employeur a eu recours à une approche disciplinaire — parce que l’employeur a explicitement opté pour le licenciement « non motivé » aux termes de l’alinéa 49(1)b) de la Loi sur le CANAFE plutôt que pour le licenciement motivé aux termes de l’alinéa 49(1)a).

35 En réponse à une question que j’ai posée par la suite, l’employeur a confirmé son opinion qu’il y avait des éléments graves d’inconduite dans ce cas-ci. À la question de savoir pourquoi il avait décidé de ne pas prendre de mesures disciplinaires à ce moment-là, l’employeur a répondu qu’il voulait minimiser l’effet de la décision de la directrice sur la fonctionnaire. En optant pour le licenciement « à l’exclusion du licenciement motivé », il était en mesure de lui offrir une indemnité de préavis (pièce R-1) juste et raisonnable en fonction des circonstances. Un licenciement pour motif disciplinaire n’aurait pas compris une indemnisation de ce genre.

36 Le droit exclusif de la directrice de choisir entre le licenciement motivé et le licenciement « non motivé » est analogue au droit de l’employeur, largement reconnu par la jurisprudence, de licencier un stagiaire au moyen soit du licenciement motivé, soit du renvoi en cours de stage : voir l’arrêt Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.) et la décision Morin c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2006 CRTFP 35, particulièrement le paragraphe 94.

37 L’employeur qui opte pour le licenciement « non motivé » n’est pas dégagé de l’obligation d’agir de bonne foi. Les décisions prises de mauvaise foi peuvent entraîner des dommages-intérêts, à la condition que les critères appropriés s’appliquent : voir, par exemple, Desforge v. E-D Roofing Limited, 2008 CanLII 48130 (j. de la Cour sup. de l’Ont.) et Merrill Lynch Canada Inc. v. Soost, 2010 ABCA 251, aux paragraphes 23 et 25. L’employé qui estime avoir été traité de mauvaise foi doit se tourner vers les tribunaux, non vers la nouvelle LRTFP,pour obtenir réparation.

38 Dans son témoignage, la fonctionnaire n’a pas réfuté la preuve documentaire concernant les motifs pour lesquels la haute direction du CANAFE a perdu confiance en elle. Aucun autre élément de preuve ne démontre la fausseté de ces motifs. Rien ne permet d’avancer que l’employeur a agi de mauvaise foi.

39 Les principaux cas qui traitent du concept des mesures disciplinaires déguisées dans l’administration publique demeurent Jacmain c. Procureur général (Can.) et al., [1978] 2 R.C.S. 15, et Penner. Le concept a été défini dans le but de résoudre une dichotomie législative particulière qui existait à ce moment-là et qui existe encore aujourd’hui, c’est-à-dire la différence entre le congédiement disciplinaire sous le régime de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP), L.R.C. (1985), ch. F-11, et le licenciement sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP), édictée par les articles 12 et 13 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique. Lorsque les employeurs optent pour une méthode prévue par la LEFP, plus particulièrement le renvoi en cours de stage ou la mise en disponibilité, le cadre législatif permet aux fonctionnaires s’estimant lésés de plaider que leur licenciement en vertu de la LEFP est un subterfuge ou camoufle quelque chose d’autre — une mesure disciplinaire. S’ils réussissent à prouver le bien-fondé de l’une ou l’autre allégation devant l’arbitre de grief régi par l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (l’ancienne LRTFP), L.R.C. (1985), ch. P-35, ou, plus récemment, par la nouvelle LRTFP, les fonctionnaires s’estimant lésés ont le droit de vérifier si cette mesure disciplinaire est motivée, comme l’exige la LGFP, et d’exercer un recours en vue d’obtenir réparation. Dans toutes les décisions portant sur une mesure disciplinaire déguisée, la loi n’attribue pas aux employeurs le pouvoir de décider du licenciement à l’exclusion du licenciement motivé que la Loi sur le CANAFE confère à la directrice.

40 Les deux parties m’ont renvoyé, dans leur argumentation respective, aux dispositions de la LGFP. La Loi sur le CANAFE dispose que les paragraphes 11.1(1) et 12(2) de la LGFP ne s’appliquent pas. Ces dispositions sont libellées comme suit :

11.1(1) Le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice des attributions en matière de gestion des ressources humaines que lui confère l’alinéa 7(1)e) :

a) déterminer les effectifs nécessaires à la fonction publique et assurer leur répartition et leur bonne utilisation;

b) pourvoir à la classification des postes et des personnes employées dans la fonction publique;

c) déterminer et réglementer les traitements auxquels ont droit les personnes employées dans la fonction publique, leurs horaires et leurs congés, ainsi que les questions connexes;

d) déterminer et réglementer les indemnités susceptibles d’être versées aux personnes employées dans la fonction publique soit pour des frais de déplacement ou autres, soit pour des dépenses ou en raison de circonstances liées à leur emploi;

e) sous réserve de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, fixer des orientations et établir des programmes destinés à la mise en œuvre de l’équité en matière d’emploi dans la fonction publique;

f) élaborer des lignes directrices ou des directives sur l’exercice des pouvoirs conférés par la présente loi aux administrateurs généraux de l’administration publique centrale, ainsi que les rapports que ceux-ci doivent préparer sur l’exercice de ces pouvoirs;

g) élaborer des lignes directrices ou des directives :

(i) d’une part, sur la façon dont les administrateurs généraux de l’administration publique centrale peuvent s’occuper des griefs présentés sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique auxquels ils sont parties et plus particulièrement de ceux de ces griefs qui sont renvoyés à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1) de cette loi,

(ii) d’autre part, sur les rapports que ces administrateurs doivent préparer sur ces griefs;

h) élaborer des lignes directrices ou des directives concernant la communication par les personnes employées dans la fonction publique de renseignements sur les actes fautifs commis au sein de celle-ci et la protection de ces personnes contre les représailles lorsqu’elles communiquent ces renseignements conformément à ces lignes directrices ou directives;

i) élaborer des lignes directrices ou des directives concernant la prévention du harcèlement en milieu de travail et le règlement des différends auquel il donne lieu;

j) régir toute autre question, notamment les conditions de travail non prévues de façon expresse par le présent article, dans la mesure où il l’estime nécessaire à la bonne gestion des ressources humaines de la fonction publique.

(2) Le Conseil du Trésor ne peut :

a) exercer ses pouvoirs à l’égard des questions visées au paragraphe (1) si celles-ci sont expressément régies par une autre loi et non par simple attribution de pouvoirs à une autorité ou à une personne déterminée;

b) exercer des pouvoirs expressément conférés à la Commission de la fonction publique sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, ou mettre en œuvre des méthodes de sélection du personnel dont l’application relève, sous le régime de cette loi, de la Commission.

[…]

12. (2) Sous réserve des conditions que fixe le gouverneur en conseil, chaque administrateur général d’un organisme distinct et chaque administrateur général désigné par le gouverneur en conseil en vertu de l’alinéa 11(2)b) peut, à l’égard du secteur de l’administration publique fédérale dont il est responsable :

a) déterminer les besoins en matière d’apprentissage, de formation et de perfectionnement des personnes employées dans la fonction publique et fixer les conditions de mise en œuvre de cet apprentissage, de cette formation et de ce perfectionnement;

b) prévoir les primes susceptibles d’être accordées aux personnes employées dans la fonction publique pour résultats exceptionnels ou toutes autres réalisations méritoires dans le cadre de leurs fonctions, pour des inventions ou pour des idées pratiques d’amélioration;

c) établir des normes de discipline et prescrire des mesures disciplinaires, y compris le licenciement, la suspension, la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et les sanctions pécuniaires;

d) prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou qu’une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur de toute personne employée dans la fonction publique. […]

41 En raison de l’existence du paragraphe 49(1) de la Loi sur le CANAFE, la dichotomie est différente. Ni la LEFP ni les dispositions citées de la LGFP ne s’appliquent. Le directeur a le pouvoir exclusif, conformément au modèle issu de la common law, d’opter pour le licenciement « non motivé » aux termes de l’alinéa 49(1)b) de la Loi sur le CANAFE ou pour le licenciement motivé aux termes de l’alinéa 49(1)a). Par conséquent, la crainte que quelqu’un puisse tenter de camoufler ou de maquiller une mesure disciplinaire est sans importance; la dichotomie opérationnelle — entre le licenciement « motivé » et le licenciement « à l’exclusion du licenciement motivé » — ne permet pas de prendre cet élément en considération. Bref, il n’y a aucune base légale pour appliquer le concept de mesures disciplinaires déguisées à la relation entre le CANAFE et ses employés ou pour contester, sur ce fondement, la décision de la directrice d’opter pour le licenciement à l’exclusion du licenciement motivé en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP.

42 L’article 13 de la Loi sur l’Agence Parcs Canada (LAPC), L.C. 1998, ch. 31, est pratiquement identique à l’article 49 de la Loi sur le CANAFE. Il est libellé comme suit :

13.(1) Le directeur général a le pouvoir exclusif :

a) de nommer, mettre en disponibilité ou licencier les employés de l’Agence;

b) d’élaborer des normes, procédures et méthodes régissant la dotation en personnel, notamment la nomination, la mise en disponibilité ou le licenciement autre que celui qui est motivé.

(2) La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du directeur général de régir les questions visées à l’alinéa (1)b).

(3) Les paragraphes 11.1(1) et 12(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques ne s’appliquent pas à l’Agence et le directeur général peut :

a) déterminer l’organisation de l’Agence et la classification des postes au sein de celle-ci;

b) fixer les conditions d’emploi — y compris en ce qui concerne le licenciement motivé — des employés ainsi que leur assigner des tâches;

c) réglementer les autres questions dans la mesure où il l’estime nécessaire pour la bonne gestion des ressources humaines de l’Agence.

43 Dans Peck c. Parcs Canada, 2009 CF 686, paragraphe 33, la Cour fédérale a confirmé que le libellé de la LAPC confère à l’Agence le pouvoir exclusif de fixer les conditions d’emploi et de « […] tout faire à l’intérieur du vaste pouvoir qui lui est conféré par la loi en tant qu’employeur et qui n’est pas précisément limité par la loi ou qui ne l’est pas par inférence. » La conclusion de la Cour fédérale quant à l'étendue du pouvoir de l’employeur doit également s’appliquer au CANAFE qui est régi par des dispositions législatives pratiquement identiques.

44 Dans Monette c. Agence Parcs Canada, 2010 CRTFP 89, au paragraphe 40, l’arbitre de grief a tiré la conclusion suivante à la suite de l’examen du paragraphe 13(1) de la LAPC :

[40]    Pour les fins de la présente affaire, le paragraphe 13(1) de la LAPC donne à l’employeur le pouvoir exclusif en ce qui concerne le processus de nomination, incluant le stage probatoire des nouveaux employés, ainsi qu’au chapitre des licenciements autres que les renvois motivés. Le paragraphe 13(2) m’interdit d’instruire les griefs portant sur ces questions. […]

L’arbitre de grief a ensuite analysé un argument sur les mesures disciplinaires déguisées, qu’il a rejeté; à ce moment, il n’avait pas eu le loisir d’entendre les arguments mis de l’avant par l’employeur dans la présente affaire à propos de l’interprétation des dispositions législatives.

45 L’arrêt Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, fournit un appui important à la position voulant que le droit contractuel s’applique à l’administration publique sauf dans la mesure où une modification est apportée par la loi. Dans cette décision, la Cour suprême du Canada a examiné le renvoi en cours de stage (non explicitement motivé) d’un employé non syndiqué qui occupait une charge « à titre amovible » au sein du gouvernement de la province du Nouveau-Brunswick ». Même s’il avait reçu une indemnité de préavis, l’employé avait formulé un grief alléguant que le renvoi n’était pas motivé en vertu de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics du Nouveau-Brunswick (LRTSPN.-B.), L.R.N.-B. (1973), ch. P-25. La Cour suprême du Canada a confirmé le jugement de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick selon lequel un employé non syndiqué du gouvernement provincial peut être renvoyé avec préavis et selon lequel l’examen de l’arbitre de grief régi par la LRTSPN.-B. doit porter exclusivement sur le caractère raisonnable du préavis donné et non sur les vrais motifs du renvoi de l’employé. La Cour suprême du Canada a statué que le renvoi de l’employé était régi par le droit contractuel, comme le prévoit la Loi sur la Fonction publique du Nouveau-Brunswick (LFPN.-B.), L.N.-B. (1984), ch. C-5.1 : voir Dunsmuir, aux paragraphes 74, 75, 81, 102 à 105 et 113.

46 Si la décision de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir concernait un employé non syndiqué, la position du CANAFE dans la présente affaire ne repose toutefois pas sur le fait que la fonctionnaire n’était pas syndiquée. D’autres décisions, dont l’arrêt Peck, ont confirmé que l’employeur jouit d’un pouvoir illimité en matière de licenciements « non motivés » aux termes d’une disposition législative comparable à l’article 49 de la Loi sur le CANAFE. Le paragraphe 31(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, qui est libellé comme suit, atteste l’étendue de ce pouvoir :

31. (2) Le pouvoir donné à quiconque, notamment à un agent ou fonctionnaire, de prendre des mesures ou de les faire exécuter comporte les pouvoirs nécessaires à l’exercice de celui-ci.

47 Toute modification de l’interprétation du paragraphe 49(1) de la Loi sur le CANAFE rendrait cette disposition vide de sens, contrairement aux règles d’interprétation législative : voir, par exemple, Morguard Properties Ltd. c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493, à la page 504 et Aliant Telecom Inc. v. Prince Edward Island (Regulatory and Appeals Commission), 2004 PESCAD 1, au paragraphe 21.

48 Pour les motifs avancés, le grief devrait être rejeté, au motif que l’arbitre de grief n’est pas compétent pour statuer sur le licenciement à l’exclusion du licenciement motivé décidé aux termes du pouvoir exclusif de la directrice.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

49 L’arbitre de grief régi par la nouvelle LRTFP ne possède pas de pouvoirs inhérents. Il tire son pouvoir exclusivement de cette loi. Dans le cas qui nous occupe, l’alinéa 209(1)b) détermine la compétence de l’arbitre de grief. En voici le texte :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

Pour résoudre l’objection de compétence dans ce cas-ci, il faut se demander si le grief [traduction] « port[e] sur » une mesure disciplinaire.

50 Dans des cas portant sur des allégations de mesure disciplinaire déguisée, les arbitres de griefs et la Cour fédérale ont énoncé des facteurs ou des critères pour déterminer si un grief porte sur une mesure disciplinaire au sens de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP. La jurisprudence s’est basée sur des considérations comme : l’intention de l’employeur, l’effet sur l’employé (l’effet immédiat par rapport à l’effet prospectif), l’incidence sur les chances d’avancement de l’employé, si les mesures étaient de nature corrective et si la décision de l’employeur concernait une conduite coupable ou rectifiable : voir Canada (Procureur) c. Frazee, 2007 CF 1176, aux paragraphes 22 à 25; Lindsay c. Canada (Procureur général), 2010 CF 389, au paragraphe 45; Canada (Procureur général) c. Basra, 2010 CAF 24, aux paragraphes 18 et 19; Canada (Procureur général) c. Fortin, 2003 CAF 376, au paragraphe 6.

51 Dans un cas portant une mesure disciplinaire déguisée, le fardeau de la preuve incombe au fonctionnaire s’estimant lésé. Il doit démontrer que, selon toute vraisemblance, l’action contestée constituait une mesure disciplinaire déguisée : Peters c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CRTFP 7, au paragraphe 304. Au paragraphe 309 de Peters, l’arbitre de grief a décrit le fardeau de la preuve comme suit :

[309] […] un fonctionnaire s'estimant lésé qui allègue qu'il y a eu mesure disciplinaire déguisée a pour obligation de montrer que l'employeur a constaté une lacune ou un acte malfaisant à dessein de la part du fonctionnaire s'estimant lésé et qu'il a ensuite pris une mesure disciplinaire déguisée en réponse à cette lacune ou à cet acte. Formulée un peu différemment, la solidité de la preuve qu'il y a eu mesure disciplinaire déguisée dépend de la capacité du fonctionnaire s'estimant lésé de démontrer que l'employeur avait l'intention de lui imposer une mesure disciplinaire pour une ou plusieurs raisons précises, mais a déguisé la mesure disciplinaire, c'est-à-dire en lui donnant une forme différente, mesure qui a cependant eu l'effet équivalent de corriger ou de punir le fonctionnaire s'estimant lésé.

52 Le concept de la mesure disciplinaire déguisée continue de subsister dans l’ère post-Dunsmuir. Aux paragraphes 48 et 49 de Lindsay, la Cour fédérale a admis que l’arbitre de grief peut examiner la possibilité qu’une action désignée par l’employeur comme étant de nature administrative plutôt que disciplinaire soit néanmoins une mesure disciplinaire. Aux paragraphes 18 et 19 de Basra, la Cour d’appel fédérale a confirmé que l’arbitre de grief avait examiné comme il se doit les motifs invoqués par l’employeur pour justifier sa décision afin de déterminer si cette décision était basée sur des considérations de nature disciplinaire. La jurisprudence, comme Lindsay et Basra, et les décisions antérieures telles que Frazee, confirment qu’une décision basée sur une conduite coupable ou rectifiable ou prise en raison ou résultant d’une telle conduite, autorise l’arbitre de grief à exercer sa compétence aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP.

53 Dans la présente cause, la preuve révèle que les motifs de la directrice étaient liés à une conduite de la fonctionnaire qu’elle jugeait coupable ou rectifiable. La lettre de licenciement (pièce R-1) dit que la fonctionnaire a agi [traduction] « en dépit des directives » — une allégation indiscutable d’insubordination, soit une infraction disciplinaire : voir la décision Guertin c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 166-02-36 (19680417), citée au paragraphe 308 de la décision Peters. La lettre dit également que la fonctionnaire [traduction] « […] a tenté de créer un climat de peur et d’intimidation […] et […] abusé de [sa] situation d’autorité afin d’influencer irrégulièrement l’issue du concours ». Selon la lettre, [traduction] « [c’]est un comportement inacceptable de la part d’un employé ». À première vue, la lettre de licenciement est de nature disciplinaire. Il y manque l’indication que le licenciement est un renvoi « non motivé ». Le simple fait d’y annexer un tableau des indemnités de départ ne fait pas du licenciement un renvoi « non motivé ».

54 Dans sa note de service du 6 janvier 2010 à la directrice (pièce G-20), M. Meunier parle du harcèlement et de la discrimination pratiqués par la fonctionnaire. Il allègue que la fonctionnaire a commis un acte d’insubordination en continuant, en dépit des directives reçues, de se mêler du fonctionnement de son unité de travail pendant sa formation linguistique. Selon M. Meunier, cet acte de désobéissance a eu pour effet de prolonger inutilement la durée de la période requise pour réussir sa formation linguistique alors qu’elle aurait pu terminer plus tôt [traduction] « […] à un bien moindre coût pour le contribuable ». M. Meunier déclare que la fonctionnaire a tenté d’intimider des membres d’un comité de sélection et d’influencer leur notation d’un employé. Il l’accuse également de faire des commentaires critiques et irrespectueux à l’endroit du personnel des ressources humaines et à son endroit, de miner son autorité et de mettre en doute son intégrité. Toutes les allégations contenues dans le document de M. Meunier portent sur des questions disciplinaires.

55 M. Meunier fait allusion au licenciement « non motivé » dans sa note de service, mais l’employeur n’a jamais remis ce document à la fonctionnaire. Il n’existe aucune preuve que l’employeur a dit à la fonctionnaire que la directrice avait décidé du licenciement « à l’exclusion du licenciement motivé » en vertu de l’alinéa 49(1)b) de la Loi sur le CANAFE. Durant la réunion qu’il a eue avec la fonctionnaire, le 8 janvier 2010, pour l’aviser de son licenciement, M. Meunier n’a pas dit que la décision de la directrice était « non motivée ». Il a en fait répété la plupart des allégations disciplinaires contenues dans sa note de service à la directrice, comme en témoignent les « notes d’information » qu’il a utilisées durant la réunion (pièce G-16).

56 Le document de M. Meunier intitulé « Problème » (pièce G-17) est tout aussi explicite en ce qu’il révèle que ses allégations contre la fonctionnaire concernaient de graves actes d’inconduite.

57 Sur la foi du dossier documentaire, la fonctionnaire a prouvé de manière irréfutable que la décision de la directrice de mettre fin à son emploi était de nature disciplinaire. Il s’ensuit que la fonctionnaire était fondée à renvoyer son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP.

58 Le droit de la fonctionnaire de contester la décision de la directrice en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP ne peut lui être retiré sans un libellé explicite de la loi exprimé de façon incontestablement claire : Goodyear Tire & Rubber Co. of Canada Ltd. et al. c. T. Eaton Co. Ltd. et al., [1956] S.C.R. 610, à la page 4; Melnichouk c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2004 CRTFP 181, aux paragraphes 47 et 49; Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, au paragraphe 29. L’article 49 de la Loi sur le CANAFE ne satisfait pas à ce critère.

59 Le pouvoir exclusif conféré à la directrice par l’alinéa 49(1)b) de la Loi sur le CANAFE se limite à [traduction] « […] élaborer des normes et des procédures régissant la dotation en personnel […] ». Les termes qui suivent l’expression « dotation en personnel » modifient ou décrivent cette expression. L’inclusion de l’expression « […] le licenciement — à l’exclusion du licenciement motivé […] » dans la liste modifiant les descripteurs signifie que le pouvoir de dotation en personnel de la directrice englobe le pouvoir exclusif d’élaborer des normes et des procédures régissant le licenciement à l’exclusion du licenciement motivé. Cela a pour effet non pas d’écarter la compétence de l’arbitre de grief pour statuer sur des licenciements disciplinaires en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP, mais plutôt d’empêcher que les décisions prises aux termes de cette disposition fassent obstacle à l’exercice du droit exclusif de la directrice d’élaborer des normes et des procédures régissant la dotation en personnel. En ce sens, en intégrant l’alinéa 49(1)b) à la Loi sur le CANAFE, le législateur a voulu préserver le droit de la directrice en matière de dotation en personnel de la même manière qu’il a protégé ce droit dans l’administration publique centrale.

60 Le paragraphe 49(3) de la Loi sur le CANAFE dit expressément que le paragraphe 12(2) de la LGFP ne s’applique pas. Le paragraphe 12(2) de la LGFP est la disposition qui investit les administrateurs généraux de nombreux organismes distincts du pouvoir de renvoyer des employés pour des motifs disciplinaires. Afin de conférer ce pouvoir, il a été nécessaire d’intégrer l’expression « prescrire des mesures disciplinaires » à l’alinéa 12(2)c). À titre de comparaison, la Loi sur le CANAFE n’autorise pas le directeur à prescrire des mesures disciplinaires. C’est pourquoi l’alinéa 49(1)b) de cette Loi n’est pas la source du pouvoir de la directrice de décider du renvoi « non motivé » d’un employé. Ce pouvoir réside plutôt dans l’alinéa 49(1)a) seulement. L’alinéa 49(1)a) s’applique à tous les types de licenciements, qu’ils soient motivés ou non. Le paragraphe 49(2), qui porte sur l’exercice des pouvoirs prévus par la nouvelle LRTFP, y compris ceux de l’arbitre de grief, ne renvoie pas à l’alinéa 49(1)a) de la Loi sur le CANAFE. Rien dans cette disposition n’empêche l’arbitre de grief de trancher un grief visé à l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP, pour autant que le grief porte, selon toute vraisemblance, sur une mesure disciplinaire.

61 L’employeur soutient que Dunsmuir étaye sa position que l’arbitre de grief ne peut pas examiner les motifs de la décision de la directrice dans la présente affaire parce que le licenciement de la fonctionnaire serait « non motivé ». Selon l’employeur, le syllogisme de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir se présente comme suit : 1) la common law en matière d’emploi s’applique aux fonctionnaires; 2) sous le régime de la common law, l’employeur peut décider du renvoi « non motivé » d’un employé; donc, 3) les employeurs du secteur public ont le pouvoir discrétionnaire de décider du licenciement « non motivé ». Ce n’est pas exactement ce que dit la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir. Ses conclusions reposaient sur le cadre législatif très différent qui existait au Nouveau-Brunswick et, plus précisément, tenaient compte de l’effet de l’article 20 de la LFPN.-B. et de l’interaction de plusieurs dispositions de la LRTSPN.-B. : voir Dunsmuir, aux paragraphes 74 et 75. L’article 20 de la LFPN.-B. est libellé comme suit :

20  Sous réserve de la présente loi ou de toute autre loi, la cessation d’emploi d’un administrateur général ou d’un employé est régie par les règles contractuelles ordinaires.

L’article 20 n’a pas d’équivalent dans le cadre législatif fédéral. En raison du paragraphe 12(3) de la LGFP et de l’article 23 de la Loi d’interprétation, c’est en fait le contraire qui est vrai dans l’administration publique fédérale. Le paragraphe 12(3) de la LGFP est libellé comme suit :

12. (3) Les mesures disciplinaires, le licenciement ou la rétrogradation découlant de l’application des alinéas (1)c), d) ou e) ou (2)c) ou d) doivent être motivés.

L’article 23 de la Loi d’interprétation est libellé comme suit :

23. (1) Indépendamment de leur mode de nomination et sauf disposition contraire du texte ou autre acte prévoyant celle-ci, les fonctionnaires publics sont réputés avoir été nommés à titre amovible.

(2) La date de la prise d’un acte de nomination revêtu du grand sceau peut être considérée comme celle de l’autorisation de la prise de l’acte ou une date ultérieure, la nomination prenant effet à la date ainsi considérée.

(3) Les actes portant nomination à un poste ou louage de services et dont un texte prévoit qu’ils n’ont pas à être revêtus du grand sceau peuvent fixer, pour leur date de prise d’effet, celle de l’entrée en fonctions du titulaire du poste ou du début de la prestation des services, ou une date ultérieure; la date ainsi fixée est, sauf si elle précède de plus de soixante jours la date de prise de l’acte, celle de la prise d’effet de la nomination ou du louage.

(4) L’autorité investie du pouvoir de nomination peut fixer ou modifier la rémunération de la personne nommée ou y mettre fin.

(5) La nomination ou la cessation de fonctions qui sont prévues pour une date déterminée prennent effet à zéro heure à cette date.

62 En ce qui concerne la LRTSPN.-B., la décision rendue dans Dunsmuir repose sur le fait que cette loi fait une distinction entre les employés syndiqués et les employés non syndiqués en matière de droits de grief. Au vu de cette distinction et de l’interaction avec l’article 20 de la LFPN.-B., la Cour suprême du Canada était fondée à statuer, dans Dunsmuir, que le régime de la common law s’appliquait aux employés non syndiqués. Dans l’administration publique fédérale, la partie 2 de la nouvelle LRTFP ne fait pas de distinction entre les fonctionnaires syndiqués et les fonctionnaires non syndiqués. Les employés des deux groupes peuvent se prévaloir de la même procédure de règlement des griefs et, plus précisément, ils ont le droit de renvoyer à l’arbitrage des griefs portant sur l’un des objets mentionnés à l’alinéa 209(1)b).

63 L’arrêt Peck auquel renvoie l’employeur a peu de rapport avec la présente cause. Ses conclusions quant à l’étendue du pouvoir de l’employeur de fixer les conditions d’emploi se limitent à la classification.

64 À titre de mesure corrective, la fonctionnaire demande d’être réintégrée dans ses fonctions, conformément au modèle [traduction] « habituel », avec rétablissement complet de sa rémunération et de ses avantages. Elle demande à l’arbitre de grief de demeurer saisi de la cause pendant la période [traduction] « habituelle » afin de régler tout différend qui pourrait survenir relativement à sa réintégration.

65 La fonctionnaire demande également une [traduction] « mesure de réparation intégrale ». Cela comprend l’adjudication de ses frais juridiques. À ce sujet, la fonctionnaire me renvoie à Tipple c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2010 CRTFP 83.

66 Pour que la réparation soit intégrale, il faut également attribuer des dommages-intérêts pour mauvaise foi : voir Tipple; Rousseau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 91; Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports), 2010 CRTFP 70.

67 L’obligation de la directrice d’agir de bonne foi s’accompagne de l’obligation de faire enquête avant d’exercer le pouvoir conféré par l’alinéa 49(1)a) de la Loi sur le CANAFE. La directrice était également tenue d’appliquer les règles fondamentales de l’équité en matière de procédure à la fonctionnaire. La bonne foi consiste notamment à offrir à l’employé l’occasion de répondre aux préoccupations et allégations de l’employeur : McMorrow c. Conseil (Anciens combattants Canada), dossier de la CRTFP 166-02-23967 (19941021) et Dhaliwal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 109.

68 Dans le cas qui nous intéresse, l’enquête de l’employeur a consisté à discuter avec des gestionnaires et à analyser des courriels, comme il est indiqué dans le document intitulé « Problème » (pièce G-17). L’employeur n’a pas offert à la fonctionnaire la possibilité de répondre à ses préoccupations, ce qui prouve sa mauvaise foi. Selon la fonctionnaire, M. Meunier voulait se débarrasser d’elle dès leur toute première rencontre. Il a saisi la première occasion pour exécuter son projet. Ses actions étaient au cœur de ce qui constitue les caractéristiques essentielles d’un renvoi fait de mauvaise foi.

69 La décision de la directrice de licencier la fonctionnaire a eu des effets néfastes sur la santé de la fonctionnaire. La preuve médicale fournie par la fonctionnaire justifie également l’attribution de dommages-intérêts généraux.

C. Réfutation de l’employeur

70 Les causes portant sur des mesures disciplinaires déguisées sur lesquelles s’appuie la fonctionnaire ont toutes été rendues sous le régime de lois différentes qui n’intégraient pas de disposition comparable à l’article 49 de la Loi sur le CANAFE.

71 La méthode employée par la directrice pour signifier le licenciement à l’exclusion du licenciement motivé consiste à payer une indemnité de préavis. Chacun des documents suivants précisait clairement la méthode de l’employeur : la lettre de licenciement (pièce R-1) accompagnée d’un tableau des indemnités de départ; la note de service de M. Meunier (pièce G-20), qui mentionne le licenciement « non motivé »; l’aide-mémoire de M. Meunier (pièce G-16), qui fait allusion à un [traduction] « trait[ement] juste et raisonnable » et à un forfait de départ; le document intitulé « Problème » (pièce G-17), qui indique que M. Meunier ne fait plus confiance à la fonctionnaire — rien qui donne ouverture à un argument que le licenciement était « motivé ».

72 Contrairement à ce qu’affirme la fonctionnaire, la LGFP ne définit pas les pouvoirs de l’employeur. Dans le cas du CANAFE, tout l’article 12 de la LGFP est remplacé par l’article 49 de la Loi sur le CANAFE. Le libellé de l’article 49 est très différent de celui de la LGFP et confère des pouvoirs très étendus par rapport aux dispositions qui s’appliquent aux organismes distincts qui demeurent assujettis à la LGFP.

73 Le pouvoir conféré à la directrice par l’alinéa 49(1)b) de la Loi sur le CANAFE ne se limite pas à l’élaboration de normes. Il englobe le pouvoir de concevoir des procédures et établit de ce fait le droit de la directrice de décider du licenciement à l’exclusion du licenciement motivé. Prétendre que l’application concrète des normes et des procédures peut être soumise à un examen, c’est faire une interprétation exagérément restrictive de la disposition qui n’est pas compatible avec l’analyse holistique de l’article 49.

74 Au paragraphe 33 de Peck, la Cour fédérale utilise les termes « notamment la classification » lorsqu’il observe que le pouvoir de Parcs Canada de fixer les conditions d’emploi est illimité. Il va de soi que cette décision de la Cour fédérale ne s’applique pas exclusivement à la classification, contrairement à ce qu'avance la fonctionnaire.

75 La fonctionnaire a omis d’attirer l’attention sur les paragraphes 29, 30, 31 et 39 de Monette,qui prouvent que l’arbitre de grief a utilisé des critères contenus dans la LEFP pour rendre sa décision, même si la LEFP ne s’appliquait pas, et qui indiquent que l’employeur a invité l’application du critère de la « mesure disciplinaire déguisée » même si le cadre législatif de la LAPC était différent.

76 En ce qui concerne Dunsmuir et son lien avec l’article 20 de la LFPN.-B., malgré l’absence d’une disposition comparable à l’article 20 dans la législation régissant l’administration fédérale, l’article 49 de la Loi sur le CANAFE intègre les critères de la common law et importe le droit des contrats en common law. Les employés non syndiqués du CANAFE sont présumés être régis par un contrat d’emploi, écrit ou non, et les règles d’emploi issues de la common law s’appliquent à l’administration de ce contrat.

77 Les arbitres de griefs régis par la nouvelle LRTFP n’ont pas l’habitude d’adjuger les dépens parce qu’ils n’en ont pas le pouvoir. La seule raison pour laquelle l’arbitre de grief a adjugé les dépens dans Tipple est que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été soumis à des délais exceptionnels et interminables, dont il n’était pas responsable, et que cela lui avait occasionné des frais juridiques supplémentaires très importants. L’indemnisation accordée était limitée à ces frais.

78 Rien ne justifie que des dommages-intérêts soient attribués pour mauvaise foi. Ce type de dommages-intérêts n’est attribué que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque l’employeur a délibérément causé un préjudice à l’employé ou l’a sciemment induit en erreur. En ce qui concerne les problèmes de santé de la fonctionnaire, la seule preuve qui existe à cet égard est la note du médecin. Dans Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, la Cour suprême du Canada a établi des critères restrictifs pour l’indemnisation des troubles médicaux et exigé des éléments de preuve précis pour établir les coûts médicaux réellement attribuables aux mesures prises par l’employeur. Rien dans la présente affaire ne répond à ces exigences.

V. Motifs

A.  L’arbitre de grief peut-il examiner les motifs du licenciement de la fonctionnaire? 

79 Les objections soulevées par l’employeur relativement à ma compétence est basée pour l’essentiel sur la prémisse que je ne peux pas examiner les motifs pour lesquels la directrice a décidé du licenciement présumé de la fonctionnaire à l’exclusion du licenciement motivé afin de déterminer si le licenciement résulte d’une mesure disciplinaire et relève dès lors à juste titre de la compétence de l’arbitre de grief en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP.

80 La position de l’employeur est principalement fondée sur une interprétation des pouvoirs de la directrice en vertu du paragraphe 49(1) de la Loi sur le CANAFE qui, selon l’employeur, intègre les principes du droit contractuel à la relation d’emploi du CANAFE avec ses employés. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’employeur avance un argument inédit. Il cherche à obtenir une décision confirmant que sa loi habilitante autorise la directrice à décider du licenciement d’un employé à l’exclusion du licenciement motivé, hors la compétence de l’arbitre de grief en vertu de la nouvelle LRTFP et sous réserve exclusivement de l’obligation issue de la common law de décider de la méthode de licenciement de manière équitable et de bonne foi, ainsi que de donner un préavis suffisant ou de payer une indemnité de préavis.

81 Au soutien de sa proposition selon laquelle je devrais appliquer les principes de la common law du droit contractuel pour trancher la présente affaire, l’employeur cite la décision de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir.

82 Le principe général énoncé par la Cour suprême du Canada au paragraphe 113 de Dunsmuir, dans la foulée de ses décisions antérieures dans Procureur général du Québec c. Labrecque et al., [1980] 2 R.C.S. 1057, et Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199, est que « […] la plupart des relations d’emploi dans la fonction publique sont tenues pour contractuelles ». À cet égard, « […] tout différend relatif au congédiement doit être réglé comme le prévoit expressément ou implicitement le contrat d’emploi et conformément aux dispositions législatives ou réglementaires applicables […] ».

83 L’une des questions fondamentales à trancher dans Dunsmuir était de savoir si l’employeur était assujetti à l’obligation d’équité reconnue en droit public lorsqu’il a payé à M. Dunsmuir une indemnité équivalant à quatre mois de salaire en guise de préavis de congédiement. L’analyse de l’application de la common law du droit contractuel aux emplois dans le secteur public à laquelle s’est livrée la Cour suprême du Canada est basée sur la nécessité de trancher cette question fondamentale. Si la common law du droit contractuel s’était appliquée, M. Dunsmuir n’aurait pas eu droit, selon l’opinion exprimée par la Cour suprême du Canada au paragraphe 113, à un traitement équitable aux termes de l’obligation reconnue en droit public (une audience) avant que l’employeur prenne sa décision. Les recours ouverts pour toute violation du contrat d’emploi seraient limités aux « […] recours habituels suivant le droit des contrats ».

84 La question de l’existence d’une obligation d’équité reconnue en droit public ne se pose pas directement dans ce cas-ci. Je crois que l’analyse contenue dans l’arrêt Dunsmuir s’applique principalement à deux propositions générales, en l’occurrence : (1) que la fonctionnaire s’estimant lésée, à titre de fonctionnaire, est réputée être liée par un contrat d’emploi de durée indéterminée; (2) que, suivant la jurisprudence constante de la Cour suprême du Canada, à laquelle s’est récemment ajouté l’arrêt Dunsmuir, les conditions du contrat d’emploi intègrent les dispositions applicables en vertu des lois et règlements pertinents.

85 Dans Wells, la Cour suprême du Canada a déclaré que le contrat d’emploi qui s’applique aux fonctionnaires peut intégrer un certain nombre d’éléments différents et qu’il ne se limite pas aux expressions écrites et verbales de l’entente. La Cour suprême du Canada renvoie d’abord, au paragraphe 30, à Labrecque, dans les termes suivants :

30 […] la common law traite les relations du travail découlant d’une entente réciproque comme s’il s’agissait d’un contrat. C’est incontestablement de cette façon que pratiquement toute personne qui traite avec la Couronne les perçoit. Bien que les conditions d’un contrat puissent être prévues, en totalité ou en partie, par une loi, la relation du travail demeure fondamentalement un contrat et le droit général en matière de contrat s’applique, à moins que des termes explicites dans la loi ou l’entente ne le remplacent expressément.

La Cour suprême du Canada observe ensuite ceci au paragraphe 33 :

33 […] la Cour doit mettre l’accent sur les conditions du contrat du fonctionnaire. Ces conditions se trouvent dans les expressions écrites et verbales de l’entente, les lois et règlements applicables et la common law […]

86 Dans le cas de M. Dunsmuir, la Cour suprême du Canada s’est livrée à un examen minutieux des lois applicables dans le cadre de son analyse ayant pour but de déterminer si le gouvernement de la province du Nouveau-Brunswick avait violé le contrat d’emploi de M. Dunsmuir. Il est indéniable, en parcourant la décision, que l’article 20 de la LFPN.-B. — qui dispose que la cessation d’emploi d’un administrateur général ou d’un employé est régie par les règles contractuelles ordinaires — et son interaction avec les dispositions de la LRTSPN.-B, occupent une place importante dans l’analyse de la Cour suprême du Canada. En fait, la Cour suprême du Canada a jugé que l’article 20 de la LFPN.-B. et les dispositions de la LRTSPN.-B. faisaient partie intégrante du contrat d’emploi de M. Dunsmuir.

87 Le cadre législatif fédéral est clairement différent. Par exemple, aucune loi, y compris la Loi sur le CANAFE, ne contient une disposition analogue à l’article 20 de la LFPN.-B. qui dit expressément que la cessation d’emploi d’un fonctionnaire est régie par les règles contractuelles ordinaires — et ces règles exclusivement. J’ajouterai que l’employeur n’a pas attiré mon attention sur des directives explicites émanant d’une cour supérieure qui indiquent que la conclusion contenue dans Dunsmuir, et basée sur le cadre législatif du Nouveau-Brunswick, à propos du droit reconnu en common law de recevoir un préavis de licenciement, pourrait ou devrait maintenant s’appliquer à l’administration publique fédérale malgré son cadre législatif différent.

88 Pour les motifs exposés dans la présente décision, j’en suis arrivé à la conclusion que je ne peux pas accepter l’interprétation de l’article 49 de la Loi sur le CANAFE proposée par l’employeur. Selon ma propre interprétation, je ne crois pas que cette disposition fait obstacle au pouvoir conféré à l’arbitre de grief par l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP d’examiner la possibilité que le licenciement décidé par la directrice soit le résultat de l’évocation factice d’une disposition de la Loi sur le CANAFE, d’un subterfuge ou d’un acte de camouflage. Plus précisément, je n’accepte par l’argument que les alinéas 49(1)a) et b) de la Loi sur le CANAFE établissent chacun un pouvoir de licenciement différent —, en l’occurrence le pouvoir de décider du licenciement motivé en vertu de l’alinéa 49(1)a) et le pouvoir de décider du licenciement à l’exclusion du licenciement motivé en vertu de l’alinéa 49(1)b), lequel échapperait à l’application de la nouvelle LRTFP par l’effet du paragraphe 49(2) de la Loi sur le CANAFE.

89 Les dispositions essentielles de la Loi sur le CANAFE sont de nouveau reproduites ci-après :

49.(1) Le directeur a le pouvoir exclusif :

a) de nommer, mettre en disponibilité ou licencier les employés du Centre;

b) d’élaborer des normes et méthodes régissant la dotation en personnel, notamment la nomination, la mise en disponibilité ou le licenciement — à l’exclusion du licenciement motivé.

(2) La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou au pouvoir du directeur de régir les questions visées à l’alinéa (1)b).

(3) Les paragraphes 11.1(1) et 12(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques ne s’appliquent pas au Centre; le directeur peut :

a) déterminer l’organisation du Centre et la classification des postes au sein de celui-ci;

b) fixer les conditions d’emploi — notamment en ce qui concerne le licenciement motivé — des employés et leur assigner des tâches;

c) malgré l’article 112 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, conformément au mandat approuvé par le Conseil du Trésor, fixer la rémunération des employés du Centre;

d) régler toute autre question dans la mesure où il l’estime nécessaire pour la bonne gestion des ressources humaines du Centre.

90 Trois dispositions différentes de l’article 49 de la Loi sur le CANAFE établissent les pouvoirs de la directrice en matière de licenciement, ce sont :

-   l’alinéa 49(1)a), qui accorde à la directrice le pouvoir exclusif de « […] licencier les employés du Centre […] »

-   l’alinéa 49(1)b), qui lui accorde le pouvoir exclusif « […] d’élaborer des normes et méthodes régissant la dotation en personnel, notamment […] le licenciement — à l’exclusion du licenciement motivé »

-   l’alinéa 49(3)b), qui dispose que la directrice peut « fixer les conditions d’emploi — notamment en ce qui concerne le licenciement motivé — des employés […] »

91 Selon l’interprétation de l’employeur de l’alinéa 49(1)a) de la Loi sur le CANAFE, le législateur a utilisé l’expression « licencier les employés » au sens du licenciement motivé. Je ne suis pas d’accord. Le texte limpide de la disposition ne dit pas que les licenciements doivent tous être « motivés ». À mon avis, le législateur aurait très bien pu utiliser une expression comme [traduction] « licencier les employés pour un motif suffisant » à l’alinéa 49(1)a) pour exprimer l’intention proposée par l’employeur; or, il n’en a rien fait. Mon opinion à ce sujet est étayée par le fait que le législateur a choisi d’intégrer explicitement l’expression « licenciement motivé » à l’alinéa 49(3)b). Limiter la portée de l’alinéa 49(1)a) aux licenciements « motivés », c’est faire abstraction du fait que le législateur a résolument décidé dans quelles dispositions il employait ou n’employait pas l’expression « licencier les employés ». C’est pourquoi j’estime que je dois présumer que l’expression « licencier les employés » est utilisée à dessein à l’alinéa 49(1)a) et que je dois lui attribuer un sens plus large que celui de « licenciement motivé ».

92 En attribuant à l’expression « licencier les employés » contenue à l’alinéa 49(1)a) de la Loi sur le CANAFE le sens élargi qu’elle nécessite, il s’ensuit que la directrice exerce le pouvoir qui lui est conféré par l’alinéa 49(1)a) chaque fois qu’elle licencie un employé, que le licenciement soit motivé ou non.

93 L’alinéa 49(1)a) de la Loi sur le CANAFE établit également le pouvoir exclusif de la directrice de nommer les employés. Ce pouvoir supplante les pouvoirs de la Commission de la fonction publique de nommer les fonctionnaires sous le régime de la LEFP. La nomination, la mise en disponibilité et le licenciement des employés sont des éléments identifiables d’un régime de dotation en personnel. Faute d’application d’un autre pouvoir légal de dotation en personnel, notamment la LEFP, le législateur a édicté le paragraphe 49(1) de la Loi sur le CANAFE dans le but explicite d’établir la nature et l’étendue des pouvoirs de dotation en personnel de la directrice.

94 L’alinéa 49(1)b) de la Loi sur le CANAFE doit être lu à la lumière de l’alinéa 49(1)a) et en harmonie avec cette disposition. Ainsi, quel est l’objet de « le licenciement — à l’exclusion du licenciement motivé »? Qu’est-ce qui m’empêche d’accepter l’argument de l’employeur selon lequel cette expression attribue un pouvoir distinct à la directrice pour décider du licenciement « à l’exclusion du licenciement motivé »? Sur ces points, je souscris pour l’essentiel à l’interprétation de l’alinéa 49(1)b) de la Loi sur le CANAFE proposée par la fonctionnaire.

95 À mon avis, l’alinéa 49(1)b) de la Loi sur le CANAFE fournit des précisions sur des aspects du pouvoir exclusif qui est conféré au directeur par l’alinéa 49(1)a) en matière de dotation en personnel. La proposition principale (au sens grammatical de ce terme) de l’alinéa 49(1)b) dit que le directeur a le pouvoir exclusif « […] d’élaborer des normes et méthodes régissant la dotation en personnel […] ». La suite — « […] notamment la nomination, la mise en disponibilité ou le licenciement — à l’exclusion du licenciement motivé […] » — ne peut pas être interprétée comme un sujet distinct et indépendant. Ces termes forment une proposition subordonnée qui modifie l’expression « dotation en personnel ». Donc, les « normes et méthodes » dont il est question à l’alinéa 49(1)b) se rapportent toutes à la « dotation en personnel ». Le législateur a choisi d’indiquer explicitement que « […] la nomination, la mise en disponibilité ou le licenciement — à l’exclusion du licenciement motivé » sont des sujets se rapportant à la « dotation en personnel » pour l’application de l’alinéa 49(1)b). L’alinéa 49(1)b) a dès lors pour effet d’attribuer à la directrice le pouvoir exclusif d’« […] élaborer des normes et méthodes régissant […] le licenciement — à l’exclusion du licenciement motivé », notamment. Au lieu d’être la source fondamentale du pouvoir exclusif de la directrice de décider du licenciement des employés à l’exclusion du licenciement motivé, comme le soutient l’employeur, l’alinéa 49(1)b) donne corps à l’objectif plus limité de conférer à la directrice le pouvoir d’élaborer les « normes et procédures » qui s’appliquent lorsqu’elle exerce son pouvoir de dotation en personnel, même quand il s’agit du licenciement « à l’exclusion du licenciement motivé ».

96 Il va de soi qu’en édictant le paragraphe 49(2) de la Loi sur le CANAFE le législateur a limité l’application de la nouvelle LRTFP au CANAFE. Il faut cependant considérer que cette application limitée concerne exclusivement les pouvoirs conférés à la directrice par l’alinéa 49(1)b). À mon avis, le paragraphe 49(2) a pour effet d’empêcher un décisionnaire d’exercer un pouvoir en vertu de la LRTFP , y compris l’arbitre de grief, en vertu de l’article 209 — qui aurait une incidence sur le pouvoir exclusif de la directrice d’élaborer les normes et méthodes régissant la dotation en personnel. Le paragraphe 49(2) n’interdit toutefois pas expressément à l’arbitre de grief d’examiner la décision proprement dite de la directrice de licencier l’employé, dans la mesure où cette décision relève de sa compétence en vertu du paragraphe 209(1) de la nouvelle LRTFP. Si le législateur avait voulu priver l’arbitre de grief de sa compétence pour examiner la décision de licencier un employé lorsqu’il est avancé que cette décision porte sur un des objets mentionnés à l’alinéa 209(1)b), je crois que le paragraphe 49(2) de la Loi sur le CANAFE aurait également fait mention du pouvoir de licencier les employés conféré par l’alinéa 49(1)a) afin de le soustraire explicitement à tout examen, ce qui n’est pas le cas.

97 Le texte français du paragraphe 49(2) de la Loi sur le CANAFE me conforte également dans mon interprétation. Il est libellé comme suit :

49. (2) La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou au pouvoir du directeur de régir les questions visées à l’alinéa (1)b).

Selon Le Petit Robert, le mot « régir » signifie « diriger », « gouverner » ou « déterminer […] les règles ». Le pouvoir protégé conféré à la directrice par le paragraphe 49(2) de « […] régir les questions visées à l’alinéa(1)b). » s’entend de son pouvoir de « déterminer […] les règles » pour élaborer les normes et méthodes. Je ne crois pas que le texte français indique que le pouvoir protégé de la directrice est plus étendu que cela.

98 Je note qu’au paragraphe 138 de Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence Parcs Canada, 2009 CRTFP 176, la Commission a tiré une conclusion similaire après avoir examiné le libellé pratiquement identique de la LAPC, comme en témoigne le passage suivant :

[138]   […] Le pouvoir exclusif de faire des nominations appartient au DG de l’APC. Le DG a également le pouvoir exclusif d’élaborer des « normes, des procédures et des méthodes » régissant les nominations. La LAPC indique aussi expressément que la LRTFP n’a pas pour effet de porter atteinte à l’autorité du DG de « régir » l’élaboration de ces normes, procédures et méthodes […]

La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Commission dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 305.

99 L’alinéa 49(3)b) de la Loi sur le CANAFE soulève la question de l’interaction des pouvoirs conférés par la Loi sur le CANAFE et des pouvoirs établis par la LGFP. Le CANAFE figure dans la liste des employeurs distincts à l’annexe V de la LGFP. En vertu de l’article 12.1 de la LGFP, les pouvoirs attribués aux administrateurs généraux dans l’administration publique centrale s’appliquent aux organismes distincts « […] sous réserve de toute loi fédérale […] ». En vertu du paragraphe 45(1) de la Loi sur le CANAFE, la directrice jouit des pouvoirs d’un administrateur général. Cependant, aux termes du paragraphe 49(3),les paragraphes 11.1(1) et 12(2) de la LGFP,qui définissent les pouvoirs de l’administrateur général, ne s’appliquent pas au CANAFE.

100 Comme les paragraphes 11.1(1) et 12(2) de la LGFP ne s’appliquent pas, le législateur a attribué à la directrice les pouvoirs explicites décrits aux alinéas 49(3)a) à d) de la Loi sur le CANAFE, en plus des pouvoirs décrits aux paragraphes 49(1) et (2). La directrice a notamment le pouvoir discrétionnaire de fixer les conditions d’emploi régissant le licenciement motivé en vertu de l’alinéa 49(3)b). Comme dans le cas du licenciement à l’exclusion du licenciement motivé, je ne crois pas que la directrice tire son pouvoir fondamental de licencier les employés du CANAFE de l’alinéa 49(3)b). J’estime que cette disposition a également une utilisation accessoire — c’est-à-dire conférer divers pouvoirs à la directrice, dont celui de fixer les conditions qui s’appliquent lorsqu’elle décide du licenciement « motivé » d’un employé en vertu de l’alinéa 49(1)a).

101 Je n’ai pas à me prononcer sur l’interprétation de l’alinéa 49(3)b) de la Loi sur le CANAFE dans la présente affaire. J’ai formulé quelques observations sur cette disposition dans la présente analyse pour la simple raison que je crois qu’elle a une valeur et un effet semblable à l’alinéa 49(1)b) dans l’architecture de l’article 49 — et, bien entendu, parce qu’elle démontre que le législateur a choisi les dispositions dans lesquelles il voulait utiliser l’expression « licenciement motivé ».

102 Soit dit en passant, je note que, dans cette cause-ci, l’employeur n’a pas produit une preuve selon laquelle la directrice a utilisé le pouvoir qui lui est conféré par l’alinéa 49(1)b) de la Loi sur le CANAFE pour élaborer des normes et méthodes écrites régissant le licenciement à l’exclusion du licenciement motivé, ou le pouvoir qui lui est conféré par l’alinéa 49(3)(b) pour fixer des conditions d’emploi explicites régissant le licenciement motivé.

103 Bref, je n’ai pas relevé dans l’architecture de l’article 49 un libellé explicite qui aurait pour effet de priver l’arbitre de grief de sa compétence en vertu de l’article 209 de la nouvelle LRTFP pour déterminer si la décision de la directrice de licencier une employée résulte d’une mesure disciplinaire au sens de l’alinéa 209(1)b). La fonctionnaire s’est appuyée sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada pour faire valoir qu’il faudrait une disposition législative explicite rédigée de façon incontestablement claire pour conclure que la Loi sur le CANAFE prive un employé de son droit à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP. Je partage ce point de vue. Mon analyse de l’article 49 de la Loi sur le CANAFE m’amène à interpréter la restriction contenue dans le paragraphe 49(2) de façon plus restrictive que ne le voudrait l’employeur et diffère sur un point crucial en ce que l’alinéa 49(1)a) me paraît être la source du pouvoir de la directrice de décider du licenciement à l’exclusion du licenciement motivé, plutôt que l’alinéa 49(1)b).

104 Au début de la présente section, j’ai posé la question suivante : L’arbitre de grief a-t-il le droit d’examiner les motifs du licenciement de la fonctionnaire? J’estime que le genre d’examen auquel je dois me livrer dans la présente affaire pour déterminer ma compétence n’est pas différent de l’analyse qui est effectuée lorsque l’employeur invoque la LEFP pour mettre fin à un emploi — le cas le plus fréquent étant celui du renvoi en cours de stage.

105 En vertu du paragraphe 211a) de la nouvelle LRTFP, dont le texte est reproduit ci-dessous, les griefs portant sur le licenciement en vertu de la LEFP ne peuvent pas être renvoyés à l’arbitrage :

211. L’article 209 n’a pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur :

a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique;

Le paragraphe 92(3) de l’ancienne LRTFP, reproduit ci-dessous, renfermait la même interdiction :

92. (3) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet de permettre le renvoi à l'arbitrage d'un grief portant sur le licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

106 L’employeur défend la position, en citant la décision de la Cour d’appel fédérale dans la cause Penner, que le droit de la directrice de choisir entre le licenciement motivé et le licenciement à l’exclusion du licenciement motivé — dans l’arrêt Penner, il s’agissait du choix entre le licenciement disciplinaire sous le régime de l’ancienne LRTFP et le renvoi en cours de stage sous le régime de la LEFP — est protégé. Certes, mais ce droit n’est pas absolu et le simple fait de l’exercer ne suffit pas à exclure définitivement le différend du régime d’arbitrage des griefs. Les arrêts Jacmain et Penner, ainsi que les décisions sur divers types de licenciements en vertu de la LEFP qui s’inscrivent dans le prolongement de ces affaires, soulignent la nécessité d’y réfléchir à deux fois avant de priver un fonctionnaire de l’accès au régime d’arbitrage des griefs créé par le législateur, d’abord par l’ancienne LRTFP et aujourd’hui en application de la nouvelle LRTFP. Dans Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11, la Cour suprême du Canada a conclu que le régime créé par l’ancienne LRTFP (et, par extension, la nouvelle LRTFP) est un régime général pour la résolution des conflits de travail. Cela ne nous autorise pas à conclure que l’employeur peut écarter ce régime en exerçant simplement le choix de licencier un employé pour un motif qui se situerait hors du champ de compétence de l’arbitrage des griefs. Le droit de contester la méthode employée par l’employeur et la bonne foi de son choix est un moyen de protection nécessaire afin de se prémunir contre la possibilité que l’intention du législateur d’accorder aux fonctionnaires l’accès au régime d’arbitrage des griefs soit arbitrairement mise en échec.

107 Les critères utilisés pour déterminer si la décision de mettre fin à un emploi en vertu de la LEFP a été prise de bonne foi ont été examinés et appliqués à profusion dans la jurisprudence des trois dernières décennies. Penner, qui prend appui sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Jacmain, énonce un critère qui a modifié la méthodologie appliquée dans un grand nombre de décisions qui ont été rendues par la suite, du moins en ce qui concerne les renvois en cours de stage. Le passage suivant en trace les grandes lignes :

[…]

[…] Si j'ai bien suivi la jurisprudence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, deux écoles de pensée ont cours aujourd'hui, qui toutes deux veulent prendre appui sur l'arrêt Jacmain. Certains arbitres ont adopté le point de vue que, dès le moment où le motif ayant conduit au renvoi en cours de stage pouvait être considéré comme disciplinaire, c'est-à-dire pouvait être relié à un écart de comportement ou à une inconduite susceptible de faire l'objet d'une sanction, ils pouvaient examiner les circonstances ayant donné lieu à la cessation d'emploi et accorder un redressement à l'employé lorsqu'une telle mesure était appropriée […]

[…]

D'autres arbitres ont adopté une attitude assez différente de celle qui précède : ils ont accepté la thèse selon laquelle, dès le moment où ils sont convaincus que la décision contestée était effectivement fondée sur un motif réel de renvoi, c'est-à-dire procédait d'une insatisfaction éprouvée de bonne foi à l'égard de l'aptitude de l'employé, les arbitres n'ont pas compétence pour examiner la question de savoir si la décision de renvoyer l'employé était appropriée ou était bien fondée. Dans l'affaire Smith (dossier No 166-2-3017 de la Commission), l'arbitre Norman exprime sans détours sa pensée à ce sujet :

En effet, une fois que l'employeur a présenté à l'arbitre une preuve concluante indiquant un motif de renvoi valable à première vue, l'audition sur le fond dans l'affaire de congédiement ne peut alors aboutir qu'à une impasse soudaine. L'arbitre perd ainsi tout pouvoir pour ordonner que l'employé s'estimant lésé soit réintégré dans ses fonctions en faisant valoir à cet égard que l'employeur n'a pas donné de motif valable pour le congédiement.

[Traduction] À mon avis, cette dernière opinion est la seule que l’arrêt Jacmain autorise et que la législation reconnaît.

[…]

108 Selon la Cour d’appel fédérale dans Penner, la décision de l’employeur de renvoyer un employé en cours de stage doit être fondée sur une « […] insatisfaction éprouvée de bonne foi quant aux aptitudes de l'employé[…] » pour arguer avec succès de l’incompétence de l’arbitre de grief. Autrement dit, l’arbitre de grief a le droit d’examiner les motifs de la décision de licencier un employé, afin d’établir à sa satisfaction que la décision n’est pas le résultat de l’évocation factice d’un pouvoir conféré par la loi — dans le cas de Penner, du pouvoir de renvoyer un fonctionnaire en cours de stage en vertu de la LEFP —, d’un subterfuge ou d’un acte de camouflage. Dès que l’employeur a produit des preuves démontrant que sa décision relève du pouvoir conféré par la loi en question, l’arbitre de grief peut déterminer si le fonctionnaire s’estimant lésé est capable de prouver que la nature réelle de la décision donne ouverture au renvoi d’une question à l’arbitrage de griefs : voir l’arrêt Canada (Conseil du Trésor) c. Rinaldi (1997), 172 F.T.R. 60 (1re inst), plus particulièrement les passages qui traitent de l’« invocation factice ». Les autres décisions importantes rendues dans la foulée Jacmain et Penner sont Canada (Procureur général) c. Horn (1993), [1994] 1 C.F. 453 (1re inst.), et Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529.

109 En vertu de la nouvelle LRTFP, les arbitres de griefs continuent d’exercer leur compétence pour examiner des décisions qui ont censément été prises en vertu de la LEFP afin de déterminer si elles sont le résultat de l’évocation factice d’une disposition de la LEFP, d’un subterfuge ou d’un acte de camouflage — et, partant, si elles sont susceptibles de comporter un objet que l’arbitre de grief pourrait assimiler à une mesure disciplinaire en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP : voir, par exemple, des décisions récentes comme Kagimbi c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 67; Salib c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2010 CRTFP 104.

110 Aux paragraphes 18 et 19 de Basra, la Cour d’appel fédérale a également reconnu que l’arbitre de grief avait le pouvoir d’examiner les motifs d’une décision que l’employeur qualifiait de mesure « administrative » — non liée à la LEFP — afin de déterminer si la décision était de nature disciplinaire dans ce cas particulier et donnait ouverture à l’arbitrage du grief.

111 La décision récente rendue dans Monette, citée par la fonctionnaire, a une résonance particulière. Dans cette décision, l’arbitre de grief a examiné les motifs du renvoi d’un fonctionnaire en cours de stage en vertu de la LAPC; la décision de l’employeur était fondée sur un pouvoir similaire au pouvoir de décider du licenciement à l’exclusion du licenciement motivé qui est conféré à la directrice du CANAFE par l’article 49 de la Loi sur le CANAFE. L’arbitre de grief a écrit ceci :

[…]

[40]    Pour les fins de la présente affaire, le paragraphe 13(1) de la LAPC donne à l’employeur le pouvoir exclusif en ce qui concerne le processus de nomination, incluant le stage probatoire des nouveaux employés, ainsi qu’au chapitre des licenciements autres que les renvois motivés. Le paragraphe 13(2) m’interdit d’instruire les griefs portant sur ces questions. Ce cadre juridique est comparable à celui de l’administration publique centrale, dans lequel interviennent l’article 211 de la Loi et le paragraphe 62(1) de la LEFP […]

[41]    Sur la foi de ce qui précède, je souscris à l’argument de l’employeur voulant que je doive rejeter le grief faute de compétence si je concluais que sa décision de renvoyer le fonctionnaire en cours de stage était fondée sur des raisons liées à l’emploi. Toutefois, si je devais conclure que le fonctionnaire a effectivement été renvoyé en cours de stage, l’affaire ne s’arrêterait pas là, car le grief resterait arbitrable si je concluais à l’existence d’un aspect disciplinaire dans le renvoi. Il ressort, de la façon dont le grief est formulé, que le fonctionnaire était d’avis qu’il présentait un grief pour protester contre une mesure disciplinaire. En effet, le grief conteste ce que le fonctionnaire qualifie de « congédiement », et il emploie l’expression « de nature punitive ». De plus, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, qui s’applique aux griefs contre des sanctions disciplinaires.

[…]

[46]    Quand un arbitre de grief se prononce sur un renvoi en cours de stage, il n’a pas pour rôle de déterminer personnellement si l’employeur aurait dû renvoyer l’employé pour ses actions, sa conduite ou son rendement. Il devrait plutôt déterminer s’il y existait une raison liée à l’emploi sur laquelle a reposé la décision de l’employeur de renvoyer l’employé en cours de stage. En l’espèce, il y avait effectivement une raison liée à l’emploi de renvoyer le fonctionnaire pendant son stage. Par conséquent, je n’ai pas compétence pour trancher le grief.

[…]

J’accepte l’argument de l’employeur selon lequel l’arbitre de grief qui a entendu Monette n’a pas eu le loisir d’entendre les arguments qui m’ont été soumis à propos de l’interprétation de la loi. J’admets également qu’après examen de ces arguments, mon interprétation de l’alinéa 49(1)b) de la Loi sur le CANAFE est différente de l’interprétation de l’alinéa 13(1)b) de la LAPC retenue par l’arbitre de grief dans la cause Monette. Quoi qu’il en soit, Monette établit le principe que l’arbitre de grief a le pouvoir d’examiner les motifs du licenciement « à l’exclusion du licenciement motivé », aux termes de la LAPC ou de la Loi sur le CANAFE, et de décider s’il résulte de l’invocation factice d’un pouvoir conféré par la loi, d’un subterfuge ou d’un acte de camouflage. La décision Monette n’ayant pas été contestée, elle doit être considérée comme une décision pertinente.

112 L’employeur a renvoyé à Peck au soutien de son argument selon lequel le pouvoir que la directrice tire de la loi est très étendu et ne devrait pas être limité. Au-delà du fait que la question en litige dans Peck (la classification) n’a rien à voir avec le licenciement d’un employé, les conclusions contenues dans cette décision quant à l’étendue du pouvoir exclusif de l’employeur se rapportaient expressément au pouvoir de ce dernier de fixer les conditions d’emploi. Ce pouvoir n’est pas remis en cause dans la présente affaire. Le fait de se livrer à un examen du bien-fondé de la décision de la directrice de licencier une employée ne nuit pas à l’exercice de son pouvoir de fixer les conditions d’emploi; à preuve, l’une des caractéristiques exceptionnelles de la présente affaire est qu’il est loin d’être certain que la directrice a exercé ce pouvoir ou, si elle l’a exercé, on ne connaît pas les détails des conditions qu’elle a établies.

113 Bref, j’estime que mon analyse est conforme à la méthodologie fondamentale qui a été appliquée dans Dunsmuir en ce que j’interprète le contrat d’emploi entre la fonctionnaire et l’employeur à la lumière des conditions d’emploi fixées par la Loi sur le CANAFE et par la nouvelle LRTFP. Comme je l’ai déjà expliqué, mon examen de l’article 49 de la Loi sur le CANAFE m’a amené à conclure que la directrice a exercé le pouvoir qui lui est conféré par l’alinéa 49(1)a) de la Loi sur le CANAFE pour licencier la fonctionnaire, que la disposition d’exclusion que contient le paragraphe 49(2) ne s’applique pas et que je suis fondé à examiner la décision de la directrice au cas où elle serait le résultat de l’invocation factice de son pouvoir de décider du licenciement à l’exclusion du licenciement motivé en vertu de la Loi sur le CANAFE, d’un subterfuge ou d’un acte de camouflage. Le droit de porter un grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP est une condition d’emploi de la fonctionnaire. Ma tâche consiste à déterminer si elle peut se prévaloir de cette condition d’emploi dans le cas qui nous occupe.

114 Je conclus par conséquent que l’article 49 de la Loi sur le CANAFE ne fait pas obstacle à l’exercice de ma compétence pour des motifs légaux seulement. L’exception déclinatoire de compétence soulevée par l’employeur doit être tranchée sur la foi de la preuve. Les questions importantes sont les suivantes : 1) l’employeur a-t-il établi le bien-fondé de son argument que la directrice a opté pour le licenciement « à l’exclusion du licenciement motivé »?; 2) la fonctionnaire a-t-elle établi que la décision de la directrice était le résultat de l’évocation factice de son pouvoir de décider du licenciement à l’exclusion du licenciement motivé en vertu de la Loi sur le CANAFE, d’un subterfuge ou d’un acte de camouflage, de manière à ce que l’arbitre de grief puisse exercer sa compétence en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP?

B.  L’employeur a-t-il prouvé le bien-fondé de son argument que la directrice a opté pour le licenciement « à l’exclusion du licenciement motivé »? La fonctionnaire a-t-elle établi que la décision de la directrice était le résultat de l’évocation factice de son pouvoir de décider du licenciement à l’exclusion du licenciement motivé en vertu de la Loi sur le CANAFE, d’un subterfuge ou d’un acte de camouflage, de manière à ce que l’arbitre de grief puisse exercer sa compétence en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP?

115 À l’exception des quatre documents mis en preuve, l’employeur a refusé de présenter une preuve. En me basant sur ses réponses aux questions que je lui ai posées à l’audience, je suis convaincu que l’employeur a décidé de ne pas produire une preuve supplémentaire en étant parfaitement au courant des risques auxquels il s’exposait si je rejetais son exception déclinatoire de compétence pour des raisons d’interprétation législative et si j’entreprenais de rendre des décisions en me basant sur la preuve.

116 Au vu de la position de l’employeur sur la question de la preuve, y a-t-il, pour répondre à la première question, des raisons d’accepter l’argument de l’employeur que la directrice a opté pour le licenciement « à l’exclusion du licenciement motivé »?

117 Je suis confus pour plusieurs raisons. 1) Ni la lettre de licenciement (pièce R-1) ni l’aide-mémoire dont M. Meunier s’est servi lors de sa rencontre avec la fonctionnaire le 8 janvier 2010 (pièce G-16), n’indiquent que la directrice a opté pour le licenciement à l’exclusion du licenciement motivé. 2) Il ressort du témoignage non contredit de la fonctionnaire qu’on ne lui a jamais dit que son licenciement était à l’exclusion du licenciement motivé. 3) À l’exception de la réponse de l’employeur au grief de la fonctionnaire quelques semaines après son licenciement (pièce R-3), le reste de la preuve ne contient aucune indication expresse que la directrice aurait agi en vertu du pouvoir qui lui est conféré par l’alinéa 49(1)b) de la Loi sur le CANAFE.4) Je n’ai pas entendu les témoignages de M. Meunier, ou de la directrice ou d’un autre représentant de l’employeur sur la question de savoir si l’intention expresse de la directrice était le licenciement motivé ou le licenciement à l’exclusion du licenciement motivé. 5) Je ne dispose d’aucune preuve que la directrice a élaboré des normes ou méthodes expresses pour les licenciements « à l’exclusion du licenciement motivé » dont je pourrais tirer des indices procéduraux pour confirmer un processus de licenciement « à l’exclusion du licenciement motivé ».

118 S’il est acquis qu’un représentant de l’employeur (son avocat général) a déclaré que la directrice avait décidé du licenciement de la fonctionnaire à l’exclusion du licenciement motivé et cité les dispositions de la Loi sur le CANAFE après le dépôt du grief de la fonctionnaire (pièces R-3 et R-4), on peut remettre en question la valeur probante de ces déclarations faites après le fait, surtout lorsqu’on n’a pas eu l’occasion d’entendre leur auteur ou tout autre représentant de l’employeur et de les interroger. Il ne nous reste plus comme preuve que deux autres indications contenues dans les documents : 1) la recommandation de recourir au licenciement « non motivé » dans les pièces G-20 et G-21 (les deux versions de la note de service de M. Meunier à la directrice); 2) le tableau des indemnités de départ annexé à la lettre de licenciement (pièce R-1).

119 Je ne peux pas tenir compte de la première indication. M. Meunier n’a pas témoigné pour expliquer ce qu’il voulait dire par l’expression « non motivé » et je n’ai pas entendu le témoignage de la directrice quant au sens qu’elle lui attribuait. En l’absence de témoignage de confirmation, je ne peux pas non plus déterminer avec certitude, en me basant sur d’autres renseignements, si la directrice a licencié la fonctionnaire par suite de la recommandation de M. Meunier ou pour d’autres motifs.

120 De même, je ne suis pas prêt à admettre que la seconde source, c’est-à-dire le tableau des indemnités de départ annexé à la lettre de licenciement, fait définitivement pencher la balance en faveur de l’employeur. J’admets que, sur le plan de la forme, le forfait de départ que la directrice a offert à la fonctionnaire semble s’inscrire davantage dans la logique du licenciement « à l’exclusion du licenciement motivé » que dans la logique du licenciement disciplinaire. Cela dit, je ne dispose pas de preuve solide quant aux raisons pour lesquelles la directrice a offert un forfait de départ à la fonctionnaire, à part l’argument de l’avocat de l’employeur que c’est la pratique habituelle de l’employeur dans le cas du licenciement à l’exclusion du licenciement motivé. Un argument n’est pas une preuve.

121 Je conclus que l’employeur n’a pas démontré que, selon la prépondérance des probabilités, la directrice a opté pour le licenciement de la fonctionnaire à l’exclusion du licenciement motivé.

122 Quelle est la preuve qui étaye l’argument que la décision de la directrice était le résultat de l’invocation factice de son pouvoir de décider du licenciement à l’exclusion du licenciement motivé en vertu de la Loi sur le CANAFE, d’un subterfuge ou d’un acte de camouflage propre à autoriser l’arbitre de grief à exercer sa compétence en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP? Je suis d’avis que cette preuve se trouve à tout le moins dans les sources suivantes : 1) la lettre de licenciement proprement dite (pièce R-1); 2) le document de M. Meunier intitulé « Problème » (pièce G-17); 3) sa note de service à la directrice (pièce G-20 ou G-21); 4) l’aide-mémoire dont il s’est servi durant la réunion du 8 janvier 2010 avec la fonctionnaire (pièce G-16). En l’absence d’une preuve du contraire crédible provenant d’un témoin de l’employeur, j’estime que ces sources fournissent des indications révélatrices sur la nature de la décision de la directrice.

123 Les passages suivants des pièces R-1, G-17, G-20 et G-16 indiquent que les actes d’inconduite imputés à la fonctionnaire sont la raison immédiate de la décision de la directrice :

[pièce R-1 – la lettre de licenciement]

[Traduction]

[…]

[…] J’ai récemment appris que vous étiez intervenue dans le fonctionnement quotidien de votre unité en dépit des directives que vous aviez reçues.

[…] vous av[ez] tenté de créer un climat de peur et d’intimidation parmi un certain nombre de vos collègues […] vous avez abusé de votre situation d’autorité afin d’influencer irrégulièrement l’issue du concours.

C’est un comportement inacceptable de la part d’un employé et encore plus de la part d’un membre de l’équipe de direction. Ainsi, vous avez perdu la confiance de la haute direction et je dois donc vous aviser que votre emploi au CANAFE prendra fin à la fermeture des bureaux, le 6 janvier 2010.

[…]

[pièce G-17 - le document de M. Meunier intitulé « Problème »]

[Traduction]

[…]

J’ai des raisons de croire que [la fonctionnaire] :

  • tente d’orienter l’issue d’un processus de dotation;
  • et, à cette fin, harcèle des collègues et peut-être même d’autres membres du personnel;
  • a un comportement insubordonné;
  • a omis de faire approuver des congés;
  • a tenté de camoufler des congés;
  • a limité les chances du personnel subalterne de participer à un processus de dotation;
  • crée un climat de peur et d’intimidation.

[…]

[…] Je suis troublé par le fait que [la fonctionnaire était] absente du travail/cours de français le lundi 14 décembre […] Je ne me rappelle pas qu’on m’ait personnellement avisé qu’elle avait demandé un jour de congé annuel […] Je trouve inacceptable qu’un employé ne prévienne pas son supérieur de ses absences du travail. Dans ce cas-ci, [la fonctionnaire] s’est absentée du travail sans mon autorisation […]

[…]

[…] [la fonctionnaire] […] tente d’influencer/compromettre un processus de dotation en personnel […] Je crois comprendre que [la fonctionnaire] se serait livrée à des actes d’intimidation […]

[…]

[…] J’ai demandé à [la fonctionnaire] de se couper complètement de travail du bureau afin de se concentrer sur ses cours de français […] [La fonctionnaire] commet un acte d’insubordination en continuant de se mêler des activités courantes sans mon autorisation […]

[…]

[pièce G-20 – note de service de M. Meunier à la directrice]

[Traduction]

[…]

[…] Avant son départ en formation, vous et moi lui avons clairement indiqué que son travail à temps plein, pendant sa formation linguistique, était d’apprendre le français et qu’elle devait éviter de se mêler du fonctionnement quotidien de son unité. […] Malgré ces directives très claires, j’ai constaté, à l’examen des courriels susmentionnés, que [la fonctionnaire] a continué de se mêler du fonctionnement quotidien de l’unité. […]

[…] Il est évident, selon moi, que si [la fonctionnaire] avait suivi les conseils reçus et concentré son attention sur sa formation linguistique plutôt que sur le fonctionnement quotidien de son unité, elle aurait terminé sa formation linguistique beaucoup plus tôt et à un bien moindre coût pour le contribuable.

L’examen des courriels révèle clairement qu’elle voulait s’assurer que [nom expurgé] se classe au concours. Les courriels montrent que [la fonctionnaire] a donné des directives à son personnel […] pour en arriver à ce résultat. Ses efforts ayant échoué, elle a tenté d’intimider deux de ses collègues qui faisaient partie du comité de sélection […]

Une grande partie des courriels […] sont troublants pour d’autres raisons. Ils contiennent plus particulièrement de nombreux commentaires irrespectueux et critiques à l’endroit des Ressources humaines […], des autres membres du comité […] et, finalement, à mon endroit […] J’estime que le contenu des courriels indique clairement qu’elle minait mon autorité et qu’elle mettait mon intégrité en doute. Bref, je ne crois plus que [la fonctionnaire] est capable de s’acquitter de ses fonctions de manière efficace.

[…]

[pièce G-16 - l’aide-mémoire de M. Meunier]

[Traduction]

[…]

  • Vous n’avez malheureusement pas suivi [l]es directives.
  • Vous avez continué de vous mêler des questions courantes.

[…]

  • Vous avez tenu des propos très critiques et irrespectueux à l’endroit de certaines personnes, y compris les RH, vos collègues et moi-même.
  • Vous avez tenté de créer un climat de peur et d’intimidation; vous avez harcelé vos collègues et vous avez tenté d’influencer irrégulièrement le processus de sélection […]
  • C’est un comportement inacceptable […]
  • Au vu de votre conduite, je ne crois plus que vous ayez la capacité de vous acquitter de vos fonctions de manière efficace.

[…]

Au sens le plus élémentaire du terme, l’inconduite est un comportement répréhensible ou inadmissible. À mon avis, aucune personne sensée qui prendrait connaissance des passages reproduits ci-dessus ne pourrait conclure que les allégations ne concernent pas des actes d’inconduite. J’ajouterai à cela que la plupart des allégations concernent des fautes de conduite coupable qui sont très graves et non minimes. La jurisprudence arbitrale, plus particulièrement les décisions portant sur des cas d’insubordination, de harcèlement et d’intimidation, regorge de causes où des comportements de ce genre ont entraîné des sanctions disciplinaires, dont le licenciement. Dans les pièces R-1, G-17, G-20 et G-16, aucune autre raison d’une autre nature, comme des réserves à propos des capacités de la fonctionnaire ou des problèmes de rendement documentés, n’est invoquée pour justifier le licenciement de la fonctionnaire. Soulignons que chaque énoncé aboutissant à la conclusion, dans ces pièces, que la fonctionnaire [traduction] « a perdu la confiance de la haute direction » est relié directement aux allégations substantielles d’inconduite. À mon avis, il est tout simplement invraisemblable de plaider, au vu de la preuve, que la fonctionnaire a perdu la confiance de l’employeur pour des raisons autres que les inquiétudes que faisaient naître ses prétendus écarts de conduite et que la décision de la directrice n’est pas directement reliée à cette perte de confiance. De même, il me semble invraisemblable que les fautes de conduite que l’employeur donne à répétition comme exemples soient simplement des explications fournies volontairement à la fonctionnaire et qu’elles ne puissent pas être utilisées pour établir les raisons pour lesquelles la directrice a licencié la fonctionnaire.

124 Tout compte fait, la décision de la directrice de licencier la fonctionnaire concorde avec des éléments importants des nombreux critères qui sont énoncés dans la jurisprudence pour établir l’existence d’une mesure disciplinaire. Pour sa part, la fonctionnaire m’a renvoyé à la cause Guertin, de même qu’aux analyses des mesures disciplinaires déguisées contenues dans les arrêts Lindsay, Basra et Frazee. Il existe également d’autres sources utiles. Par exemple, dans la cause Smith c. Conseil du Trésor (Affaires extérieures Canada), dossier de la CRTFP 166-02-19902 (19910116), l’arbitre de grief a simplement déclaré qu’une mesure disciplinaire ne peut découler que d'une « faute commise volontairement et délibérément ». Brown et Beatty, dans Canadian Labour Arbitration (version en ligne), au paragraphe 7:4210, déclarent ceci :

[Traduction]

[…]

Afin de déterminer si un employé a fait ou non l’objet d’une mesure disciplinaire, les arbitres examinent à la fois l’objet et l’effet de la mesure prise par l’employeur. La caractéristique essentielle de la mesure disciplinaire est une intention de corriger la mauvaise conduite d’un employé en le punissant d’une certaine façon. Une confirmation de l’employeur déclarant qu’il n’avait pas l’intention d’imposer une mesure disciplinaire suffit souvent, mais pas toujours, à régler la question.

[…]

[J’omets les notes en bas de page]

125 Il va de soi que l’intention de l’employeur est un critère important, mais pas nécessairement décisif, pour déterminer si une décision est le résultat d’une mesure disciplinaire. Dans le cas qui nous occupe, je ne dispose pas de preuve testimoniale directe quant à l’intention de la directrice. Je n’ai aucune assurance de l’employeur attestée par la preuve que la mesure prise par la directrice n’était pas de nature disciplinaire. Je dispose, par contre, tel qu’il a déjà été mentionné, d’une preuve solide indiquant que la directrice a pris sa décision en réaction directe aux allégations d’inconduite concernant la fonctionnaire. En ce sens, la décision de la directrice est manifestement liée à une conduite coupable ou rectifiable. Je considère qu’elle était de nature punitive. Cette décision a eu essentiellement le même effet sur la fonctionnaire qu’une décision de mettre fin à son emploi pour des motifs disciplinaires, malgré le paiement d’indemnités de départ.

126 Bref, j’estime que la valeur probante de la preuve est suffisante pour conclure que, selon la prépondérance des probabilités, l’employeur a invoqué de manière factice le pouvoir de la directrice de décider du licenciement à l’exclusion du licenciement motivé dans ce cas-ci, et que la décision de la directrice est en réalité de nature disciplinaire. Comme le licenciement était le résultat d’une mesure disciplinaire, je peux exercer ma compétence en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP pour examiner la décision de la directrice. L’exception déclinatoire de compétence de l’employeur n’est pas fondée.

C.  Examen de la mesure disciplinaire au fond

127 L’article 49 de la Loi sur le CANAFE établit deux catégories de licenciement : le licenciement motivé et le licenciement à l’exclusion du licenciement motivé. Il ne prévoit pas de troisième catégorie de licenciement. J’ai statué que le licenciement décidé par la directrice n’était pas un licenciement à l’exclusion du licenciement motivé et qu’il était de nature disciplinaire. Il appartient donc à l’employeur de prouver que sa décision était fondée et que le licenciement était nécessaire et proportionné à la nature de l’inconduite de la fonctionnaire.

128 Si certains des documents mis en preuve par la fonctionnaire, plus particulièrement les pièces R-1, G-16, G-17 et G-20, allèguent des faits qui pourraient constituer une preuve irréfutable d’inconduite, l’employeur a décidé de ne pas prouver un seul de ces faits. En l’absence du témoignage des auteurs des documents ou de toute autre personne qui pourrait avoir eu connaissance des événements qui sont survenus dans ce cas-ci, je ne peux pas m’appuyer sur les faits allégués dans les documents pour tirer une conclusion d’inconduite. Même s’il y avait de bonnes raisons d’attribuer une valeur probante à ces faits, la fonctionnaire n’a pas eu l’occasion de vérifier ces faits dans le cadre d’un contre-interrogatoire. Ainsi, je dois nécessairement conclure que l’employeur ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve.

129 Par conséquent, je statue que l’employeur n’a pas démontré que, selon la prépondérance des probabilités, le licenciement de la fonctionnaire était justifié.

D. Mesure corrective

130 L’employeur n’a proposé aucune preuve ni aucun argument susceptible de me convaincre d’envisager d’autres options que la réintégration de la fonctionnaire dans son poste d’attache avec effet rétroactif à la date de son licenciement.

131 La fonctionnaire demande une mesure de réparation intégrale. J’estime qu’il n’y a aucun obstacle ni aucune raison défavorable qui m’empêche de rendre une ordonnance de réintégration avec rétablissement intégral de la rémunération et des avantages rétroactivement à la date du licenciement de la fonctionnaire. Afin de résoudre les problèmes qui pourraient survenir durant le processus de restitution complète du salaire et des avantages, j’accepte la demande de la fonctionnaire de demeurer saisi de l’affaire pour une période déterminée.

132 En ce qui concerne la demande de la fonctionnaire visant à ce que j’ordonne à l’employeur de payer ses frais juridiques, je dois lui opposer un refus. La fonctionnaire a cité Tipple au soutien de sa demande; or il est évident que l’arbitre de grief qui a rendu cette décision n’envisageait pas le remboursement des frais juridiques au sens où ils sont généralement entendus. Le passage suivant nous explique ses motifs et sa décision :

[…]

[353]   La LRTFP ne renferme pas de disposition expresse qui autorise un arbitre de grief à adjuger des dépens à un fonctionnaire s’estimant lésé dont le grief est accueilli. Bien que le paragraphe 228(2) de la LRTFP donne à un arbitre de grief de vastes pouvoirs de réparation qui justifient de rendre l’ordonnance qu’il estime indiquée dans les circonstances, la Cour d’appel fédérale nous rappelle dans Mowat que le libellé d’une disposition similaire dans la Loi sur les droits de la personne du Nouveau-Brunswick, L.R.N.-B. 1973, c. H-11, ne conférait pas le pouvoir d’accorder des dépens : Moncton (City) c. Buggie (1985), 21 D.L.R. (4e) 266 (C.A. du N.-B.). Cela dit, je suis d’avis qu’un arbitre de grief a le pouvoir de dédommager une partie pour la perte qu’elle a subie en poursuivant un grief si la perte découle des gestes de l’autre partie.

[354]   Dans la présente affaire, cinq ordonnances de divulgation ont été rendues en application du pouvoir conféré à un arbitre de grief par l’alinéa 226(1)e) de la LRTFP […]

[355]   Le défaut constant du défendeur de divulguer complètement les documents pertinents, en temps opportun et conformément aux ordonnances de divulgation, a prolongé considérablement et indûment l’audience, a entraîné de nombreuses lettres de l’avocat de M. Tipple demandant que le défendeur se conforme aux ordonnances de divulgation, et a entraîné la tenue de nombreuses conférences de gestion des cas. J’ai la certitude que M. Tipple a engagé des frais juridiques supplémentaires qui étaient attribuables directement à l’inobservation, par le défendeur, des ordonnances de divulgation.

[356]   Compte tenu de l’ensemble de la preuve qui m’a été soumise, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, M. Tipple a engagé des frais juridiques supplémentaires occasionnés par le défaut incessant du défendeur de se conformer aux ordonnances de divulgation rendues dans la présente affaire et que le défendeur est responsable de ces frais supplémentaires. […]

[…]

Dans le cas qui nous occupe, la fonctionnaire n’a pas offert de preuve qui justifierait l’adjudication des dépens. Je ne dispose d’aucune preuve que les montants, quels qu’ils soient, que la fonctionnaire a engagés pour assurer sa représentation juridique étaient inhabituels, qu’ils ont été déraisonnablement multipliés par une action répréhensible de l’employeur après le licenciement de la fonctionnaire ou qu’ils étaient autrement exceptionnels. À moins que la jurisprudence établie sous le régime de la nouvelle LRTFP ou des lois régissant d’autres tribunaux administratifs en vienne à imposer à l’employeur qui a agi de manière illicite l’obligation générale d’indemniser intégralement le fonctionnaire s’estimant lésé ou le plaignant au titre de ses frais juridiques, je ne crois pas que les arbitres de griefs adjugeront ou devraient adjuger les dépens dans le cours normal des choses.

133 La fonctionnaire me demande également de lui attribuer des dommages-intérêts généraux, essentiellement pour les deux motifs suivants : 1) la directrice a agi de mauvaise foi en réaction à la prédisposition de M. Meunier de se débarrasser de la fonctionnaire et l’enquête effectuée par l’employeur était entachée d’irrégularités importantes; 2) la décision de la directrice a eu des effets néfastes sur la santé de la fonctionnaire.

134 La seule preuve dont je dispose à l’effet que M. Meunier était supposément déterminé à se débarrasser de la fonctionnaire est le récit qu’elle a fait d’une seule conversation qu’elle a eue avec M. Meunier peu de temps après sa nomination comme superviseur de la fonctionnaire en novembre 2008. Si le compte rendu de la conversation qu’a eue la fonctionnaire n’a pas été contredit par la preuve de l’employeur, il n’en demeure pas moins que cette preuve n’est pas suffisamment claire et convaincante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un cas de mauvaise foi justifiant l’attribution de dommages-intérêts. La fonctionnaire avait certainement de bonnes raisons d’être troublée par les propos de M. Meunier lors de leur première rencontre, mais je suis incapable de conclure, en me basant sur ce seul fait, que M. Meunier nourrissait déjà de l’animosité à son égard ou que la décision de la directrice de la licencier était directement liée à cette animosité.

135 En ce qui concerne les allégations que l’employeur n’a pas appliqué la loi de façon régulière, je me reporte à Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (QL) (C.A.), qui conclut que la tenue d’une audience de novo devant l’arbitre de grief corrige toute irrégularité commise durant l’enquête de l’employeur.

136 Sans nier que la décision de la directrice a eu des effets nuisibles sur la santé de la fonctionnaire, du moins à court terme, j’accepte l’argument de l’employeur, basé sur Honda Canada Inc., selon lequel une preuve précise doit être produite pour établir les frais médicaux qui sont réellement attribuables aux actions de l’employeur pour justifier l’attribution de dommages-intérêts pour des effets nuisibles sur la santé. Les notes fournies par le médecin pour justifier les congés de maladie (pièce G-23) ne semblent pas satisfaire à cette exigence.

137 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

138 Je déclare que l’arbitre de grief a compétence pour statuer sur le licenciement de la fonctionnaire et je rejette l’exception déclinatoire de compétence de l’employeur.

139 Je déclare que l’employeur n’a pas démontré que, selon la prépondérance des probabilités, ce licenciement était justifié.

140 J’ordonne que la fonctionnaire soit réintégrée dans ses fonctions rétroactivement à la date de son licenciement. J’ordonne également à l’employeur de payer à la fonctionnaire la rémunération, les avantages salariaux, les droits aux congés et tous les autres avantages auxquels elle aurait eu droit si elle n’avait pas été licenciée, après avoir retranché tout revenu d’emploi que la fonctionnaire a tiré d’autres sources après le 8 janvier 2010.

141 J’ordonne à l’employeur de retirer du dossier de la fonctionnaire toute mention de son licenciement et de la lettre de la directrice datée du 8 janvier 2010.

142  Je demeure saisi de la présente affaire pendant une période de 60 jours afin de résoudre tout problème découlant de l’application de la mesure corrective que j’ai prescrite.

Le 22 décembre 2010.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
arbitre de grief

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