Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignants et leur agent négociateur ont déposé une plainte fondée sur les articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP), alléguant que le groupe et les niveaux FI-01 et FI-02 sont à prédominance féminine et font l’objet de discrimination et que la norme de classification FI, voire le système de classification dans son intégralité, sont discriminatoires - la CCDP a renvoyé la plainte à la CRTFP - le défendeur a contesté la compétence de la CRTFP à instruire la plainte au motif qu’elle n’a pas la compétence à l’égard des questions de classification soulevées dans la plainte - il a argué que la CCDP devrait demeurer saisie de l’aspect touchant la classification - le vice-président a conclu que le législateur n’avait pas l’intention de diviser les plaintes pendant la période de transition précédant la proclamation de la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public (LERSP) - les dispositions transitoires contenues dans la LEB prévoient un régime complet pour traiter des plaintes en matière d’équité salariale déposées avant l’entrée en vigueur de la LERSP, et ce régime confère à la CRTFP des pouvoirs additionnels en ce qui a trait à l’interprétation et à l’application de la LCDP et de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, [DORS/86-1082] - l’affirmation du défendeur selon laquelle la négociation salariale ne renvoie nullement à la norme ou aux niveaux de classification devrait être étayée dans le cadre d’une audience complète - la démonstration que la norme de classification est requise ou non pour satisfaire aux critères contenus dans l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale devrait être fondée sur une preuve - l’intention générale des dispositions transitoires était que la CRTFP se substitue au Tribunal canadien des droits de la personne pour statuer sur les plaintes pendant la période intérimaire - le renvoi dans la LEB aux articles 7 et 10 de la LCDP <<[...] dans le cas où celles-ci portent sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur [...]>> visait à établir une distinction entre les plaintes d’équité salariale et les autres types de plaintes pouvant être fondées sur ces articles - il aurait fallu que l’intention de séparer le processus pour les plaintes d’équité salariale soit énoncée de manière explicite dans la loi - l’utilisation du même libellé que la LCDP appuie la thèse que, pendant la période de transition, les plaignants bénéficient des mêmes droits que ceux conférés par la LCDP - la demande du défendeur que l’exigence des 180jours prévue au paragraphe 396(6) reparte à zéro a été refusée - les plaignants ont reçu l’instruction de fournir au défendeur de plus amples précisions quant à la date de prise d’effet de la plainte. Objection rejetée. Instructions données.

Contenu de la décision



Loi d’exécution du 
budget de 2009

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-02-04
  • Dossier:  666-02-7
  • Référence:  2010 CRTFP 19

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

KAREN HALL ET AL. ET ASSOCIATION CANADIENNE DES AGENTS FINANCIERS

plaignants

et

CONSEIL DU TRÉSOR

défendeur

Répertorié
Hall et al. et Association canadienne des agents financiers c. Conseil du Trésor

Affaire concernant une plainte renvoyée devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique en vertu du paragraphe 396(1) de la Loi d’exécution du budget de 2009

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, vice-président

Pour les plaignants :
Deborah Cooper, avocate

Pour le défendeur :
Shawna Noseworthy, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 23 juillet, le 4 septembre et le 5 octobre 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 La présente décision porte sur une exception déclinatoire de compétence soulevée par le défendeur relativement à une plainte renvoyée devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») en vertu des dispositions transitoires de la Loi d’exécution du budget de 2009, L.C. 2009, ch. 2 (LEB), s’appliquant aux plaintes de disparité salariale déposées devant la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP).

2 Le 8 mars 2009, les plaignants et leur agent négociateur, l’Association canadienne des agents financiers (ACAF), ont déposé une plainte au nom de tous les membres en vertu des articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6(LCDP).

3 Par suite de l’entrée en vigueur de l’article 396 de la LEB, la CCDP a renvoyé la plainte devant la Commission aux alentours du 24 avril 2009.

4 Le 10 juin 2009, la Commission a écrit aux parties pour les aviser qu’elle avait déterminé que la plainte n’était ni futile, ni vexatoire ni entachée « de mauvaise foi » et qu’elle la leur renvoyait, conformément au paragraphe 396(4) de la LEB.

5 Le 25 juin 2009, la Commission a reçu avis du défendeur d’une objection à la compétence. Le défendeur contestait la compétence de la Commission pour trancher les questions de classification soulevées dans la plainte, au motif que ces questions n’entrent pas dans la définition de « équité salariale » ou de « équité dans la rémunération ».

6 On a demandé aux parties de soumettre des arguments écrits sur l’objection à la compétence. Ces arguments écrits ont été versés au dossier de la Commission et sont résumés plus loin dans la présente décision.

7 Le défendeur a demandé à ce que la présente objection soit tranchée par le même commissaire, en même temps que les objections soulevées dans d’autres plaintes renvoyées devant la Commission. Comme les plaignants ne sont pas les mêmes, j’ai décidé de ne pas trancher les objections ensemble.

8 Après avoir pris connaissance des arguments initiaux du défendeur, et surtout de l’argument selon lequel la CCDP devrait demeurer saisie d’une partie de la plainte, les plaignants ont demandé à ce que la CCDP soit avisée de la procédure afin de pouvoir présenter des arguments. J’ai rejeté cette demande pour la bonne raison que la Commission doit déterminer elle-même sa compétence et que les arguments d’un autre organisme créé par une loi ne sont pas nécessaires pour trancher cette question. Les parties en ont été informés le 4 août 2009.

II. Exception déclinatoire de compétence

9 La question de la compétence soulevée par le défendeur consiste à déterminer s’il existe un lien entre la classification et l’instauration et la pratique de la disparité salariale au sens des dispositions transitoires qui s’appliquent aux plaintes de disparité salariale déposées en vertu de l’article 396 de la LEB.

III. Contexte

10 L’ACAF représente les employés du groupe Gestion financière (FI). Les plaignants défendent la position que les postes de niveau FI-01 et FI-02 sont occupés majoritairement par des femmes et que ces dernières font l’objet de distinctions illicites depuis le 1er août 2004 par rapport aux groupes professionnels à prédominance masculine suivants : Commerce (CO), Systèmes d’ordinateurs (CS), Génie (EN-ENG) et Météorologie (MT).

11 En plus de dénoncer la disparité salariale, les plaignants allèguent que la norme de classification FI et tout le système de classification qui est utilisé dans la fonction publique fédérale sont discriminatoires. La norme de classification est jugée discriminatoire pour les raisons suivantes :

  • elle n’évalue pas toutes les fonctions exécutées par les FI-01 et les FI-02;
  • elle ne permet pas d’évaluer les fonctions de manière juste et non sexiste;
  • elle ne permet pas de comparer les fonctions avec celles de groupes à prédominance masculine;
  • elle s’articule autour de qualités de gestion traditionnelles;
  • elle ne tient pas compte des critères établis par l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORS/86-1082, en l’occurrence les compétences, l’effort, les responsabilités et les conditions de travail.

12 Les plaignants défendent la position que l’application d’une norme juste et non sexiste se traduirait par une hausse de salaire pour les postes classifiés FI-01 et FI-02.

13 Dans le cas des allégations relatives à la classification, les plaignants veulent obtenir une ordonnance enjoignant de concevoir une norme de classification qui peut évaluer, de manière juste et non sexiste, toutes les fonctions exécutées par les employés FI-01 et FI-02 et permettre des comparaisons avec d’autres groupes professionnels.

IV. Dispositions législatives et dispositions transitoires

14 Sont reproduites ci-après les dispositions transitoires de la LEB qui s’appliquent aux plaintes déposées sous le régime de la LCDP :

395. Sauf indication contraire du contexte, les termes des articles 396 et 397 s’entendent au sens de la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public.

Plaintes devant la Commission canadienne des droits de la personne

396. (1) Les plaintes ci-après qui concernent des employés et dont la Commission canadienne des droits de la personne est saisie à la date de sanction de la présente loi, ou qui ont été déposées devant elle pendant la période commençant à cette date et se terminant à la date d’entrée en vigueur de l’article 399, sont, malgré l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, renvoyées sans délai par la Commission canadienne des droits de la personne devant la Commission :

a) les plaintes fondées sur les articles 7 ou 10 de cette loi, dans le cas où celles-ci portent sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur;

b) les plaintes fondées sur l’article 11 de la même loi.

Application du présent article

(2) La Commission statue sur les plaintes conformément au présent article.

Pouvoirs de la Commission

(3) La Commission dispose, pour statuer sur les plaintes, en plus des pouvoirs que lui confère la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, du pouvoir d’interpréter et d’appliquer les articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, même après l’entrée en vigueur de l’article 399.

[…]

Audition

(6) Si l’employeur ou l’employeur et l’agent négociateur, selon le cas, ne règlent pas les questions en litige dans les cent quatre-vingts jours suivant la date à laquelle la plainte leur a été renvoyée ou dans le délai supérieur précisé par la Commission, celle-ci fixe une date pour l’audition de la plainte.

[…]

Réserve

(9) La Commission peut, à l’égard des plaintes visées au présent article, rendre toute ordonnance que le membre instructeur est habilité à rendre au titre de l’article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne mais elle ne peut accorder de réparation pécuniaire que sous la forme d’une somme forfaitaire et que pour une période antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 394.

Application

398. Les articles 30 et 33 de la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public et les articles 396 et 397 s’appliquent malgré la Loi sur le contrôle des dépenses.

[…]

15 Les dispositions transitoires pertinentes de la LCDP sont les suivantes :

[…]

399. La Loi canadienne sur les droits de la personne est modifiée par adjonction, après l’article 40.1, de ce qui suit :

Non-application des articles 7, 10 et 11

40.2 La Commission n’a pas compétence pour connaître des plaintes faites contre un employeur, au sens de ce terme dans la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public, et dénonçant :

a) soit la perpétration d’actes discriminatoires visés aux articles 7 et 10 dans le cas où la plainte porte sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur; 

b) soit la perpétration d’actes discriminatoires visés à l’article 11.

[…]

16 Les dispositions de la LCDP qui sont contestées sont les suivantes :

[…]

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi,

[…]

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

11. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur d’instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

[…]

V. Résumé de l’argumentation

17 Les arguments des parties ont été versés au dossier de la Commission. Une version abrégée en est présentée ci-après.

A. Pour le défendeur

18 Le défendeur a soumis les arguments écrits suivants à la Commission :

[Traduction]

[…]

14.     Les principes qui s’appliquent aujourd’hui en matière d’interprétation des lois sont décrits dans l’ouvrage intitulé Sullivan on the Construction of Statutes 5th ed. (Markham: LexisNexis, 2008), à la page 1; ils ont par ailleurs été acceptés par la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) [1998] 1 R.C.S. 27 :

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

15.     Du matériel extrinsèque peut être utilisé pour situer le contexte externe ou pour faire la preuve, de manière directe, de l’objet d’une loi, pour autant que ce matériel soit pertinent et digne de foi. L’importance qu’il faut accorder au matériel est établi au cas par cas : Sullivan on the Construction of Statutes, à la p. 618.

[…]

18.     La LERSP vise à assurer la prise de mesures proactives en vue du versement d’une rémunération équitable aux employés des groupes d’emplois à prédominance féminine : Sommaire de la Loi d’exécution du budget de 2009.

19.     Dans le cas des employés non syndiqués, les employeurs seront tenus par la LERSP d’évaluer périodiquement leur lieu de travail pour déterminer s’il existe une question d’équité dans la rémunération. Le cas échéant, l’employeur devra préparer un plan de rémunération équitable pour régler la question. Dans le cas des employés syndiqués du secteur public, l’employeur et l’agent négociateur seront tenus par la loi de régler les questions d’équité dans la rémunération à la table de négociation.

20.     La LERSP décrit l’obligation qui est faite à l’employeur de fournir aux employés un rapport sur la nécessité d’effectuer ou non une évaluation en matière d’équité dans la rémunération et, le cas échéant, de quelle manière cette évaluation a été effectuée et le nombre de questions d’équité dans la rémunération qui seront réglées. La loi établit également un processus de recours pour les employés.

21.     La LERSP autorise la CRTFP à connaître des affaires découlant de la LERSP et de trancher les plaintes de rémunération inéquitable déposées par des plaignants individuels : Loi d’exécution du budget de 2009, art. 2, 10, 11, 23 et 25 à 34.

22.     Suivant le régime établi par la LERSP, les questions de rémunération équitable sont d’abord réglées par les mécanismes d’établissement des salaires qui existent déjà dans l’administration publique centrale (APC) [Hélène Laurendeau, secrétaire adjointe, Délibérations du Comité sénatorial permanent des finances nationales, 11 mars 2009] :

Le projet de loi a pour objet d'amener la transition d'un système fondé sur les plaintes à un système proactif. Il existe de nombreuses façons de faire en sorte qu'un système soit proactif. La solution énoncée dans le projet de loi est de marier cela avec le processus décisionnel visant l'établissement des salaires, quel que soit ce processus selon les différentes circonstances.

Laissez-moi vous expliquer ce que cela signifie dans la réalité. Dans le cas d'un milieu de travail syndiqué, où vous réfléchissez périodiquement à ce que devraient être les salaires, vous faites tout de suite intervenir le droit à l'équité salariale, au lieu de le faire plus tard lorsque vous vous rendez compte que vous avez mal fait les choses. Une obligation est imposée aux différents joueurs. Si c'est un employeur seul, cet employeur a pour obligation de veiller à ce que, lorsque les salaires sont fixés, l'on tienne compte de la question d'une rémunération équitable. Si les salaires sont établis par le biais de la négociation collective, lorsque les parties s'assoient à la table, elles ont pour obligation de venir prêtes à discuter des questions de salaire égal pour l'exécution d'un travail de valeur égale.

23.     L’objection à la compétence soulevée par le CT est fondée sur le paragraphe 396(1) de la LEB de 2009. Le paragraphe 396(1) dispose que les plaintes fondées sur l’article 11 de la LCDP et les plaintes fondées sur les articles 7 et 10 dans le cas où elles portent sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur et dont la CCDP est saisie sont renvoyées devant la CRTFP […]

24.     L’article 396 décrit aussi comment la CRTFP statuera sur les plaintes qui lui sont transférées. En vertu du paragraphe 396(3), la CRTFP a le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les articles 7, 10 et 11 de la LCDP et l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, eu égard aux employés, jusqu’à ce que les plaintes soient réglées. Le paragraphe 396(9) confère à la CRTFP tous les pouvoirs de réparation ouverts à la CCDP en vertu de l’article 53 de la LCDP, mais limite les réparations pécuniaires à une somme forfaitaire. Ces paiements ne peuvent pas non plus être accordés pour une période postérieure à l’entrée en vigueur de la LERSP.

25.     Les dispositions transitoires assurent la continuité entre les régimes établis respectivement par la LCDP et la LERSP. Les procédures prévues par l’article 396 pour statuer sur les plaintes de rémunération inéquitable concordent avec celles qui seront utilisées pour trancher ce type de plaintes après l’entrée en vigueur de la LERSP. Par exemple, en renvoyant initialement les plaintes à l’employeur et à l’agent négociateur avant de statuer sur celles-ci, la CRTFP met à contribution les parties qui auront la responsabilité de négocier des salaires équitables de façon proactive sous le régime de la LERSP.

26.     La LERSP et l’article 399 de la LEB de 2009 entreront en vigueur à la date fixée par le gouverneur en conseil. Dans l’intervalle, l’article 396 dispose que les plaintes de discrimination salariale fondée sur le sexe contre le CT ou un organisme distinct doivent être déposées devant la CRTFP ou lui être transférées, mais que les dispositions de la LCDP continuent de s’appliquer. Ces dispositions tiennent compte du rôle futur de la CRTFP sous le régime de la LERSP et de l’expertise qu’elle possède déjà en matière d’établissement des salaires dans l’APC.

27.     Puisque la LERSP établit un régime complet de rémunération équitable pour le secteur public, l’article 399 de la LEB de 2009 modifiera la LCDP de manière à ce que les dispositions qu’elle contient sur la discrimination salariale entre les groupes à prédominance féminine et masculine ne s’appliquent plus au secteur public […]

28.     L’alinéa 396(1)a)et l’article 399 de la LEB de 2009 utilisent les mêmes termes pour décrire le type de plaintes visées par les dispositions transitoires et la LERSP, après l’entrée en vigueur de celle-ci. Les plaintes en question doivent porter sur « la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur ». Donc, les plaintes qui peuvent être transférées sont celles qui excéderont la compétence de la CCDP après l’entrée en vigueur de la LERSP. Cela signifie que le législateur visait à ce que régime établi par la LERSP devienne la voie de recours exclusive pour régler les questions prévues à l’article 396 de la LEB de 2009.

29.     Les plaignants allèguent que le système de classification […] et la norme de classification FI sont discriminatoires.

30.     Le système de classification est l’infrastructure utilisée pour la gestion et la surveillance de la classification des postes dans l’administration publique centrale; il englobe des politiques, des lignes directrices, des normes de classification, des groupes professionnels, des descriptions de travail, des évaluations de poste, des mesures actives de suivi et des procédures de grief. Le système établit la relativité interne entre les postes dans l’APC, en regroupant les postes et fonctions similaires à l’intérieur de groupes professionnels et en les classant par niveau à l’intérieur de ces groupes selon l’équivalence établie à l’aide de la norme de classification appropriée. Le choix du système de classification appartient exclusivement à l’employeur. Le CT est l’employeur de l’APC, et chaque organisme distinct est l’employeur de ses propres employés [voir la Politique sur le système de classification et la délégation de pouvoir du Conseil du Trésoret les art. 7 et 11.1 de la LRTFP].

31.     Le terme « salarial », au paragraphe 396(1) de la LEB de 2009, n’englobe pas la classification. Le terme n’est pas expressément défini dans la LERSP ou pour l’application des articles 7 ou 10 de la LCDP, mais on peut tenir pour acquis qu’il désigne la rémunération payée pour le travail accompli. La relativité interne établie par le système de classification n’est qu’un des divers facteurs qui sont pris en considération pour établir les salaires. La classification définit les groupes et les niveaux professionnels, mais n’attribue pas un salaire à chaque groupe et niveau [voir l’ouvrage de D.A. Dukelow et B. Nuse intitulé The Dictionary of Canadian Law, Carswell, 2e éd. 1995, à la p. 1337].

32.     L’établissement des salaires est un processus distinct de celui de la classification des postes. Dans le cas des employés syndiqués comme les employés du groupe FI, les salaires sont établis dans le cadre des négociations collectives entre l’employeur et l’agent négociateur. Les salaires des membres du groupe FI sont négociés à la table de négociation, en tenant compte des relativités internes et externes et de tout autre élément que les parties décident de prendre en considération.

33.     La classification ne peut pas être négociée à la table de négociation. Si les groupes professionnels définis par le système de classification coïncident généralement avec les unités de négociation parce que les emplois regroupés partagent une communauté d’intérêts, la loi envisage tout de même des cas où la situation peut être différente.

34.     Contrairement aux salaires, la classification est demeurée exclue du processus des négociations collectives depuis son introduction dans l’administration publique fédérale en 1967. L’article 7 de la LRTFP préserve les droits de l’employeur d’organiser la fonction publique et de classifier les postes qui s’y trouvent. C’est pourquoi l’alinéa 150(1)e) de la LRTFP interdit aux conseils d’arbitrage de rendre une décision qui aurait « une incidence sur l’organisation de la fonction publique, l’attribution de fonctions aux postes et aux personnes employées au sein de celle-ci et leur classification ». La LEB de 2009 n’apporte pas de modifications corrélatives aux articles 7 ou 150 de la LRTFP. L’interdiction faite aux conseils d’arbitrage de connaître d’affaires portant sur la classification est maintenue au paragraphe 19(1) de la LERSP, qui dit ceci :

19(1) L’organisme saisi en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique d’une demande d’arbitrage qui soulève une question de rémunération équitable rend, sous réserve de l’article 150 de cette loi, une décision arbitrale comportant un plan pour régler cette question dans un délai raisonnable.

35.     Un examen du rôle de la classification dans le contexte plus général des régimes de relations de travail et d’emploi dans la fonction publique fédérale nous permet de dire que les plaintes à propos de la norme FI et du système de classification ne portent pas, en général, « sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur » au sens de l’alinéa 396(1)a) de la LEB de 2009.

36.     Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à la Loi sur la gestion des finances publiques, qui établit une distinction entre la classification des postes, d’une part, et la détermination et la réglementation des traitements, d’autre part :

11.1 (1) Le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice des attributions en matière de gestion des ressources humaines que lui confère l’alinéa 7(1)e)(…)

b) pourvoir à la classification des postes et des personnes employées dans la fonction publique;

c) déterminer et réglementer les traitements auxquels ont droit les personnes employées dans la fonction publique, leurs horaires et leurs congés, ainsi que les questions connexes;

37.     La jurisprudence établit également une distinction entre la classification et la rémunération. Dans Association des économistes, sociologues et statisticien(ne)s c. Commission des relations de travail dans la fonction publique (1983), 1 C.F. 407, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’augmentation, la diminution ou le renouvellement de la rémunération à son niveau actuel n’empiète pas sur le pouvoir de l’employeur de classifier des postes.

38.     En fait, la Cour fédérale a admis que le système de classification ne coïncide pas nécessairement avec le système d’établissement des salaires : Professional Institute of the Public Service of Canada v. Canada (Attorney General), 1988 FCJ No. 948. De nombreuses indemnités sont payées à divers employés dans l’APC en plus du taux de traitement qui s’applique à leur groupe et niveau.

39.     Dans Association des économistes, sociologues et statisticien(ne)s c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’établissement des traitements et la classification sont des questions qui peuvent être séparées :

Je ne suis pas d'accord qu'une disposition comme la clause 16.08 qui se rapporte incontestablement aux taux de rémunération des employés touchés par la reclassification à un niveau inférieur, empiète sur le pouvoir exclusif du Conseil du Trésor de classifier ou de reclassifier. Une réduction du traitement n'est qu'une des conséquences que pourra entraîner une reclassification à un niveau inférieur. Comme l'a fait remarquer l'avocat de la requérante, il y a un bon nombre d'autres possibilités, dont la perte des avantages lui se rattachent au poste classifié au niveau supérieur. Mais ces conséquences ne portent nullement atteinte au droit du Conseil du Trésor de reclassifier (…) Les questions qui d'après moi sont visées à l'article 70(1) par le terme « taux de traitement » sont des questions relatives au taux de traitement actuel des employés (augmentation, diminution ou renouvellement à son niveau actuel) […]

40.     Le défendeur admet qu’il y a des cas dans lesquels une question portant sur l’« équité salariale » a été considérée comme une question portant sur la classification. Dans Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, (1982), 1 C.F. 584, le demandeur demandait à faire inclure une proposition pour régler des plaintes relatives à la classification et à la rémunération de certains biologistes qui prétendaient être sous-payés par rapport aux médecins qui accomplissaient des fonctions identiques [voir Professional Institute of the Public Service of Canada v. Canada (Attorney General) (1988), F.C.J. No. 948].

41.     Ces cas peuvent être écartés parce qu’ils n’ont aucun point commun avec la présente plainte. Bien que la situation des biologistes ait été présentée comme un cas de disparité salariale, il ne s’agissait absolument pas d’une affaire de discrimination salariale fondée sur le sexe. Ce qu’il faut plutôt retenir de cette décision, c’est que la Cour fédérale a reconnu que l’établissement des taux de traitement et la classification sont des questions dissociables et que, dans la pratique, l’un ne coïncide pas nécessairement avec l’autre. Ajoutons à cela que la question de la parité salariale entre les biologistes et les médecins s’est finalement résolue par le paiement d’une indemnité aux biologistes et non par la reclassification de leurs postes : Professional Institute of the Public Service of Canada v. Canada (Attorney General) et protocole d’entente daté du 11 octobre 2002.

42.     Pour finir, on peut tirer des enseignements du fait que les décisions rendues ou les ententes conclues au titre de l’équité salariale en application de l’article 11 de la LCDP n’ont entraîné aucune modification de la structure de classification dans l’APC. Les réparations accordées au titre de l’équité salariale ont principalement consisté à combler l’écart salarial entre le groupe des plaignants et le groupe de comparaison par le paiement d’une somme forfaitaire visant à combler rétroactivement l’écart dans les salaires et à rajuster le traitement futur des plaignants.

43.     Par comparaison, si une norme de classification est jugée sexiste, l’employeur reçoit la consigne d’en concevoir une autre. Les postes sont ensuite évalués au regard de la nouvelle norme. Un poste particulier peut demeurer au même niveau, ou il peut être reclassifié à la hausse ou à la baisse. La reclassification n’aura pas d’incidence sur l’échelle de traitement établie et maintenue pour chaque niveau par la convention collective ou par l’employeur.

[…]

19 En conclusion, au paragraphe 44 de ses arguments écrits, le défendeur observe ceci :

[Traduction]

[…]

Les plaintes dénonçant le caractère discriminatoire de la norme FI et du système de classification en vigueur dans l’APC ne ressortissent pas à la compétence de la CRTFP en vertu des dispositions de la LEB de 2009;

Les plaintes portant exclusivement sur la classification seront exclues du régime prévu par la LERSP; elles demeureront plutôt du ressort de la CCDP et seront tranchées sous le régime de la LCDP.

[…]

20 Au paragraphe 45 de ses arguments écrits, le défendeur demande à la Commission de rendre les ordonnances suivantes :

[Traduction]

[…]

Séparer les allégations fondées sur les articles 7 et 10 de la LCDP, qui portent essentiellement sur la classification, de l’objet de la plainte et les renvoyer devant la CCDP;

Déclarer par ordonnance que le délai de 180 jours prescrit par le paragraphe 396(6) commence à la date de la décision de la Commission sur la question de la compétence.

[…]

B. Pour les plaignants

21 Le texte intégral des arguments des plaignants a été versé au dossier de la Commission. En voici un résumé :

[Traduction]

[…]

7.       L’affirmation [sur la compétence] du défendeur est fondée sur une interprétation extrêmement étroite de l’alinéa 396(1)a) de la LEB. Si cette interprétation est retenue, cela signifierait que la CRTFP doit trancher les plaintes de disparité salariale sans tenir compte de la norme de classification qui est à l’origine de la discrimination salariale. Une telle interprétation de l’alinéa 396(1)a) entraînerait le transfert à la CCDP et au Tribunal canadien des droits de la personne (« Tribunal ») de la compétence pour trancher les aspects fondés sur les articles 7 et 10 de la plainte de disparité salariale des plaignants en laissant à la CRTFP le soin de trancher l’aspect fondé sur l’article 11.

8.       L’argument du défendeur sur la compétence de la CRTFP contredit l’objectif des dispositions transitoires de la LEBde transférer à la CRTFP le pouvoir de la CCDP de trancher les plaintes de disparité salariale dans le secteur public. L’interprétation de l’alinéa 396(1)a) proposée par le défendeur entraînerait la création d’un régime nécessitant deux instances différentes pour obtenir une décision sur des aspects différents de la même plainte, ce qui occasionnerait un dédoublement des efforts et un gaspillage de ressources. Il s’agit là d’une interprétation insensée de l’alinéa 396(1)a) de la LEB.

[…]

12.     Les plaignants ont déposé une plainte de disparité salariale devant la CCDP, le 6 mars 2009. Ils allèguent que le défendeur fait des distinctions illicites contre les employés FI-01 et FI-02 en appliquant une norme de classification sexiste, au mépris des articles 7 et 10 de la LCDP et en établissant des taux de rémunération qui créent un écart salarial discriminatoire, au mépris des dispositions de l’article 11 de la LCDP.

13.     Contrairement à ce que soutient le défendeur, les plaignants ne prétendent pas que les distinctions illicites contre les employés FI-01 et FI-02 ont commencé le 1er août 2004. Il s’agit plutôt de la date qu’ils ont retenue comme date d’effet de leur plainte, puisque c’est le 1er août 2004 que la norme de classification FI a été modifiée pour les niveaux FI-01 et FI-02. Depuis ce changement, les personnes nommées à des postes de niveau F1-02 et plus doivent détenir un diplôme universitaire dans des domaines particuliers ou un titre professionnel comptable.

[…]

18.     Les plaignants estiment que les questions à trancher sont les suivantes :

a) L’alinéa 396(1)a) de la LEB confère-t-il à la CRTFP compétence pour trancher les aspects des plaintes des plaignants fondés sur les articles 7 et 10?

b) Est-ce que le sens de la phrase « disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée » à l’alinéa 396(1)a) de la LEB empêche la CRTFP d’examiner, dans les cas pertinents, les normes de classification qui sont utilisées pour établir les taux de rémunération?

Les plaignants estiment que la CRTFP doit répondre oui à la question a) et non à la question b).

19.     Afin d’interpréter le sens d’une loi, les termes qu’elle contient doivent être lus dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur : Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. (Markham : LexisNexis, 2008).

20.     L’objection à la compétence du défendeur soulève la question des limites de la compétence conférée à la CRTFP par le paragraphe 396(1) de la LEB ainsi que la question de savoir si la phrase « disparité salariale […] instaurée ou pratiquée », à l’alinéa 369(1)a), lui permet de se pencher sur les normes de classification qui ont été utilisées pour établir les taux de rémunération qui sont contestés dans la plainte des plaignants.

[…]

22.     En édictant les dispositions transitoires de la LEB, le législateur voulait transférer à la CRTFP le pouvoir de la CCDP de trancher les plaintes de disparité salariale dans le secteur public. Pour ce faire, il a conféré à la CRTFP des pouvoirs additionnels pour interpréter et appliquer les articles 7, 10 et 11 de la LCDP et l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale (LEB, alinéa 396(1)c)). Tous ces pouvoirs sont nécessaires pour trancher des plaintes de disparité salariale.

23.     L’examen du préambule de la LEB révèle que le législateur voulait étendre la compétence de la CRTFP à tous les aspects des plaintes relatives à l’équité salariale, appelée « rémunération équitable » dans la LEB, dans le secteur public (396(1)c)) :

La partie 11 édicte la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public et apporte des modifications corrélatives à d’autres lois. Elle vise à assurer la prise de mesures proactives en vue du versement d’une rémunération équitable aux employés des groupes d’emplois à prédominance féminine.

Enfin, comme le régime d’équité en matière de rémunération prévu par la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public à l’égard des employés du secteur public est complet, la partie 11 modifie la Loi canadienne sur les droits de la personne afin de soustraire les employeurs du secteur public à l’application des dispositions de cette loi portant sur la discrimination fondée sur le sexe en matière de rémunération. Elle habilite également la Commission des relations de travail dans la fonction publique à entendre les plaintes relatives à l’équité en matière de rémunération et à fournir des services dans le domaine de la rémunération équitable du secteur public.

24.     Afin de comprendre l’étendue de la compétence de la CRTFP pour connaître des plaintes de disparité salariale ou de rémunération inéquitable, il faut examiner le libellé de l’alinéa 396(1)a) par rapport au libellé des articles 7, 10 et 11 de la LCDP.

25.     Les articles 7 et 10 de la LCDP sont des dispositions générales qui interdisent la discrimination en matière d’emploi. L’article 11 est une disposition expresse qui interdit à l’employeur d’instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent des fonctions équivalentes. Cette disposition s’applique exclusivement aux plaintes de disparité salariale : Harkin et al. v. Attorney General (Canada), [2009] CHRT 6.

26.     Les articles 7 et 10 de la LCDP sont des dispositions générales qui interdisent une grande variété d’actes discriminatoires, dont l’utilisation des plans d’évaluation des emplois établissant des distinctions fondées sur le sexe et des normes de classification qui en découlent. L’article 11 de la LCDP interdit à l’employeur d’instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent des fonctions équivalentes. Contrairement aux articles 7 et 10 de la LCDP, l’article 11 s’applique exclusivement aux plaintes de disparité salariale.

27.     Il suffit d’ailleurs de lire l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale en parallèle avec l’article 11 de la LCDP pour constater le lien indéniable qui existe entre l’évaluation des emplois, la classification et la rémunération. L’article 11 de la LCDP et les articles 3 à 9 de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale établissent un lien entre l’évaluation de la valeur du travail accompli et la rémunération payée pour ce travail. Cela confirme que pour payer « un salaire égal pour un travail de valeur égale », il faut évaluer la valeur du travail accompli.

28.     L’évaluation de la valeur du travail accompli par les divers groupes professionnels fait partie intégrante du processus d’évaluation des emplois qui constitue le fondement des normes de classification et des salaires attribués aux divers groupes professionnels. Ce sont tous des éléments essentiels de l’équité salariale et ces éléments font partie intégrante de la plainte de disparité salariale des plaignants : Ontario Nurses Association v. Women’s College Hospital, Ontario Pay Equity Decisions : [1992] O.P.E.D. No. 20; Ontario Nurses Association v. Haldimand-Norfolk (Regional Municipality), Ontario Pay Equity Decisions : [1991] O.P.E.D. No. 52.

29.     L’alinéa 396(1)a) de la LEB définit les limites de la compétence de la CRTFP. Il confère à la CRTFP le pouvoir supplémentaire de connaître des plaintes fondées sur les articles 7 et 10 de la LCDP qui portent sur « la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur ».

30.     Le législateur a tout simplement importé le libellé de l’article 11 de la LCDP dans l’alinéa 396(1)a) afin d’indiquer clairement que la compétence de la CRTFP se limite aux plaintes de disparité salariale fondées sur les articles 7 et 10 de la LCDP.

31.     Une grande partie des plaintes qui sont déposées en vertu des articles 7 et 10 de la LCDP dans le secteur public portent sur autre chose que la disparité salariale. Le pouvoir de connaître de ces plaintes continue d’appartenir à la CCDP et au Tribunal. La LEB transfère expressément à la CRTFP le pouvoir de trancher les plaintes de disparité salariale fondées sur les articles 7 et 10 en intégrant à l’alinéa 396(1)a) les termes explicites que contient l’article 11 de la LCDP à propos de la « disparité salariale ».

32.     L’argument du défendeur selon lequel la CRTFP n’a pas compétence pour examiner les plans d’évaluation des emplois et les normes de classification qui ont donné lieu à la plainte des plaignants fondée sur les articles 7 et 10 ne concorde pas avec l’intention du législateur de transférer à la CRTFP le pouvoir de la CCDP de statuer sur tous les aspects des plaintes de disparité salariale.

33.     Pour revêtir un sens, les pouvoirs qui sont transférés à la CRTFP par l’article 396 de la LEB doivent nécessairement être identiques à ceux que possédaient la CCDP et le Tribunal sous le régime de la LCDP. Autrement dit, la CRTFP doit pouvoir examiner et trancher les plaintes de rémunération inéquitable, peu importe leur complexité, et notamment d’examiner, lorsqu’il y a lieu, les systèmes de classification et le lien qui existe avec l’instauration ou la pratique de la disparité salariale.

34.     En transférant à la CRTFP la compétence de la CCDP, le législateur a également confié à la CRTFP le mandat supplémentaire de fournir des services d’arbitrage, de médiation et d’analyse et de recherche en matière de rémunération pour l’application de la LRTFP et de la LERSP. Cette mesure avait pour but de créer un moyen efficient et efficace de régler les plaintes de disparité salariale.

35.     Afin de donner effet aux intentions du législateur, l’alinéa 396(1)a) doit être interprété d’une manière qui s’accorde avec le mandat de la CRTFP de régler les plaintes de disparité salariale de manière efficace et efficiente. La seule interprétation sensée des limites de la compétence de la CRTFP est celle qui lui reconnaît le pouvoir d’examiner tous les aspects des plaintes de disparité salariale, y compris les plaintes des plaignants fondées sur les articles 7 et 10 dénonçant le caractère discriminatoire de la norme de classification.

36.     Cette interprétation s’accorde avec le principe bien établi en matière d’interprétation des lois selon lequel le législateur ne veut certainement pas que les lois qu’il édicte aient des conséquences absurdes. Par conséquent, les interprétations qui conduisent à des conséquences absurdes doivent être délaissées au profit de celles qui ne conduisent pas à des conséquences absurdes : Re Rizzo and Rizzo Shoes Ltd, à la p. 43.

37.     L’interprétation de la compétence de la CRTFP que propose le défendeur va dans le sens contraire de l’objet et de l’intention de la LEB. Cette interprétation, si elle est retenue, conduirait au résultat absurde que la CCDP, le Tribunal et la CRTFP auront chacun compétence pour statuer sur des aspects différents de la même plainte. Le législateur ne voulait certainement pas que les plaintes de rémunération inéquitable dans le secteur public soient disjointes et tranchées par plus d’un tribunal.

38.     On doit donc en conclure que l’alinéa 396(1)a) confère à la CRTFP la compétence pour connaître des plaintes des plaignants fondées sur les articles 7, 10 et 11.

39.     Les plaignants conviennent […] que du matériel extrinsèque peut être utilisé pour situer le contexte externe ou pour faire la preuve, de manière directe, de l’objet d’une loi, pour autant que ce matériel soit pertinent et digne de foi.

40.     Le défendeur tente, dans son argumentation, de dissocier complètement le système de classification du système d’établissement des salaires. Les plaignants estiment que cet argument est indéfendable. La preuve extrinsèque montre qu’il existe un lien indéniable entre les systèmes de classification et les salaires dans le secteur public. Les politiques du défendeur traitant de la classification, la convention collective conclue entre l’Association canadienne des agents financiers (« ACAF ») et le Secrétariat du Conseil du Trésor (« SCT ») et les positions que sa représentante a défendues devant les comités permanents corroborent l’existence de ce lien.

41.     La Politique du défendeur sur le système de classification et la délégation de pouvoir (la « politique ») indique expressément que le système de classification permet d'établir la valeur relative du travail et procure un fondement pour la rémunération des employés dans la fonction publique. La politique précise également que le système a pour caractéristique de fournir un cadre pour l'établissement de la structure de rémunération (voir la Politique sur le système de classification et la délégation de pouvoir, aux paragraphes 3.1 et 4.2.3).

42.     La politique indique encore que la reclassification de postes occasionne souvent d’importantes hausses des dépenses salariales et que les administrateurs généraux doivent consulter le SCT dans ces cas-là : paragraphe 6.5.3.

43.     La convention collective conclue entre l’ACAF et le défendeur établit un lien entre la classification et les salaires, ce qui démontre que la classification est fondamentalement liée aux salaires. Les dispositions suivantes attestent l’existence de ce lien :

a) Article 54.02

a) à la rémunération indiquée à l'appendice « A » pour la classification du poste auquel il ou elle est nommée, si cette classification concorde avec celle qu'indique son certificat de nomination;

ou

b) à la rémunération indiquée à l'appendice « A » pour la classification qu'indique son certificat de nomination, si cette classification et celle du poste auquel il ou elle est nommée ne concordent pas.

b) Article 54.05

Si, au cours de la durée de la présente convention, il est établi à l'égard de ce groupe une nouvelle norme de classification qui est mise en œuvre par l'Employeur, celui-ci doit, avant d'appliquer les taux de rémunération aux nouveaux niveaux résultant de l'application de la norme, négocier avec l'Association les taux de rémunération et les règles concernant la rémunération des employé-e-s au moment de la transposition aux nouveaux niveaux.

44.     Dans son troisième rapport daté du 11 juin 2009, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne (« comité sénatorial ») reconnaît qu’il existe un lien entre l’équité salariale et la classification et recommande que « le gouvernement veille à la mise en place de ressources et de fonds suffisants pour l’évaluation et la classification des emplois aux fins de l’équité salariale ».

45.     Dans le même rapport, le comité sénatorial note que des représentants de la CCDP ont déclaré que l’équité salariale est un sujet complexe qui, de l’avis des tribunaux administratifs et judiciaires, touche à plusieurs domaines comme l’évaluation des emplois, la classification et la statistique.

46.     Daphne Taras, professeure de relations de travail au Haskayne School of Business de l’Université de Calgary, a témoigné, devant le comité sénatorial, à propos du lien indéniable qui existe dans les cas de disparité salariale et déclaré que (délibérations du 25 mai 2009, page 22) :

L'équité salariale est une question unique […] Elle suppose une évaluation de groupes; elle signifie qu'il faut comprendre les classifications d'emploi et les tendances historiques de rémunération […]

47.     Le défendeur a par ailleurs admis qu’il existait un lien entre la classification et les salaires. Lors de son témoignage devant le Comité des finances nationales, en mars 2009, Mme Laurendeau a indiqué que la masse salariale pouvait être contenue dans la fonction publique par un gel de la classification. Si la classification ne peut pas être soumise à un gel, il en est autrement des salaires afférents aux groupes professionnels. Donc, le défendeur considère lui-même que le système de classification est directement et inextricablement lié aux salaires. Lorsqu’on lui a demandé si certains ne pourraient pas être tentés d’utiliser les reclassifications de poste de façon abusive pour contourner les règles relatives à la majoration maximale des salaires contenue dans la LEB, Mme Laurendeau a répondu ceci (délibérations du 11 mars 2009, à la page 7) :

Il existe plusieurs mécanismes grâce auxquels nous pouvons contenir la masse salariale du gouvernement fédéral. L'on peut recourir à de nombreux mécanismes, tels le gel de la classification, de la dotation ou de l'embauche.

48.     Compte tenu de ce qui précède, les plaignants estiment que la preuve extrinsèque établit l’existence d’un lien indéniable entre la classification et les salaires et corrobore l’interprétation de l’alinéa 396(1)a) qui attribue à la CRTFP le pouvoir de trancher les aspects des […] plaintes fondés sur les articles 7 et 10.

49.     Le défendeur renvoie à la LERSP au soutien de son argument que la CRTFP n’a pas compétence pour trancher les plaintes fondées sur les articles 7 et 10. La LERSP se trouve à la partie 11 de la LEB.

50.     Les plaignants acceptent la définition des principes actuels d’interprétation des lois que propose le défendeur, mais ils estiment que ces principes s’appliquent à des lois qui sont en vigueur et non à des lois qui ne sont pas encore en vigueur, puisque celles-ci n’ont aucun effet juridique.

51.     Or, la LERSP n’est pas encore en vigueur. Son règlement d’application ne sera pas prêt avant 18 mois, et la loi fait elle-même l’objet de plusieurs contestations constitutionnelles qui pourraient être couronnées de succès. Dans ces conditions, et sous réserve d’une décision des tribunaux sur la validité constitutionnelle de la LERSP, un examen du régime proposé par la loi pourrait s’avérer nécessaire dans le but exclusif de déterminer l’intention du législateur.

52.     La LERSP établit un régime pour régler les questions de disparité salariale dans le secteur public. Ce régime transfère à la CRTFP le pouvoir de la CCDP de trancher tous les aspects des plaintes de disparité salariale dans le secteur public. La LERSP n’est pas encore en vigueur, mais les articles 395 et 396 de la LEB le sont depuis le 12 mars 2009. Ces dispositions transitoires disposent que les plaintes de disparité salariale qui sont déposées au titre des articles 7, 10 et 11 de la LCDP doivent être transférées à la CRTFP; elles décrivent également la manière dont ces plaintes doivent être réglées.

53.     L’objection à la compétence du défendeur découle du libellé de l’alinéa 396(1)a). Le texte de cette disposition est repris à l’article 399, la modification corrélative qui dispose que la CCDP doit transférer sa compétence à la CRTFP à la date d’entrée en vigueur de la LERSP.

54.     Ainsi donc, la LERSP, les dispositions transitoires et les modifications corrélatives apportées à la LCDP et à la CRTFP démontrent clairement que le législateur voulait que tous les aspects des plaintes de disparité salariale, y compris celles dénonçant le caractère discriminatoire du système de classification, qui sont déposées devant la CCDP soient transférées à la CRTFP. Par ce transfert, la CRTFP a acquis le pouvoir d’examiner les normes de classification et les processus d’évaluation des emplois dans le contexte de plaintes de disparité salariale.

55.     Le défendeur soutient que la CRTFP n’a pas compétence pour statuer sur les allégations des plaignants fondées sur les articles 7 et 10 dénonçant le caractère discriminatoire du système de classification et de la norme de classification FI, étant donné que le terme « salarial », à l’alinéa 396(1)a) de la LEB, exclut les questions de classification. Les plaignants estiment que cet argument est irrecevable en fait et en droit.

56.     Les plaignants estiment que, dans le contexte de leur plainte, il existe un lien direct et fondamental entre la norme de classification et les salaires qui correspondent à cette norme. Pour déterminer si le défendeur s’est livré à l’acte discriminatoire décrit dans la plainte fondée sur les articles 7 et 10, la CRTFP doit examiner le système de classification ayant engendré l’écart salarial qui a donné lieu à la plainte fondée sur l’article 11.

57.     Au paragraphe 34 de ses arguments, le défendeur affirme que l’article 7 et l’alinéa 150(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique(« LRTFP »)empêchent la CRTFP d’analyser le système de classification en cause dans la plainte des plaignants.

58.     L’article 7 préserve le droit de l’employeur d’organiser la fonction publique et de classifier les postes. L’alinéa 150(1)e) limite la capacité de la CRTFP de rendre des décisions arbitrales ayant une incidence sur la classification des postes et des personnes dans la fonction publique. Le défendeur tire un argument supplémentaire du fait qu’aucune modification corrélative n’a été apportée à ces dispositions de la LRTFP.

59.     Ni l’article 7 ni l’alinéa 150(1)e) de la LRTFP n’empêchent la CRTFP d’examiner les questions de classification qui sont soulevées dans des plaintes de disparité salariale. L’article 7, qui établit les droits de la direction, a été édicté pour protéger certains droits que la Loi sur la gestion des finances publiques confère au Conseil du Trésor. L’alinéa 150(1)e) circonscrit la portée des décisions arbitrales, en conformité avec l’article 7. Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] A.C.F. no 240, la Cour a déclaré ceci :

L'article 7 n'est pas l'expression de la théorie des droits divins du pouvoir exécutif, ni même une proclamation limitée de la souveraineté gouvernementale. Comme l'indique le juge Marceau, il s'agit simplement d'une clause portant sur les droits de gérance.

Voir aussi Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 C.F. 471, au paragr. 5.

60.     Cette limitation des pouvoirs de la CRTFP s’applique uniquement à l’arbitrage de griefs et aux renvois devant un conseil d’arbitrage. Elle ne s’applique pas au régime distinct qui sera établi par la LERSP pour régler les plaintes de disparité salariale. Étant donné que ce sont des régimes totalement distincts, il n’était pas nécessaire d’apporter des modifications corrélatives aux articles 7 et 150 de la LRTFP.

61.     Subsidiairement, les plaignants estiment par ailleurs que les paragraphes 25(1) et 28(1) et l’article 45 de la LERSP dissipent toute crainte que les articles 7 et 150 de la LRTFPempêchent la CRTFP d’examiner les questions de classification soulevées dans des plaintes de disparité salariale.

25. (1) Les dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à toute plainte déposée ou à toute ordonnance rendue en vertu de la présente loi comme si elle l’avait été en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

28. (1) La Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie en vertu de la présente loi à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour le motif qu’elle est futile ou vexatoire ou entachée de mauvaise foi.

45. La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte à l’application de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et, en cas d’incompatibilité ou de conflit entre cette loi et la présente loi, les dispositions de la présente loi l’emportent dans la mesure de l’incompatibilité ou du conflit. (je souligne)

62.     Ces dispositions d’exception font en sorte que les pouvoirs de la CCDP qui sont transférés à la CRTFP englobent tous les aspects des plaintes de disparité salariale dans le secteur public, y compris celles dénonçant le caractère discriminatoire des systèmes d’évaluation des emplois et de classification.

63.     La jurisprudence sur laquelle s’appuie le défendeur au soutien de son argument que la classification et les taux de rémunération sont dissociables n’est d’aucune utilité pour déterminer les limites de la compétence de la CRTFP pour statuer sur des plaintes de disparité salariale. Les décisions citées portent sur la compétence limitée de la CRTFP dans le contexte de procédures d’arbitrage et de conciliation plutôt que les questions qui sont soulevées dans des plaintes de disparité salariale.

64.     Contrairement à […] ce que prétend le défendeur, la classification peut être négociée à la table de négociation. Dans une décision rendue en 1998 par le président de l’époque, M. Tarte (dossier de la CRTFP 190-2-267), l’ancienne CRTFP s’est appuyée sur une remarque incidente de la Cour d’appel fédérale pour ordonner le renvoi de projets de classification devant un bureau de conciliation. Le président Tarte a conclu ceci :

Ces deux décisions de la Cour d’appel fédérale ont établi que les propositions relevant de l’article 7 de la LRTFP n’en peuvent pas moins être légitimement négociables.

65.     Contrairement à […] ce que prétend le défendeur, la CCDP et le Tribunal ont toujours tenu compte des plans d’évaluation des emplois et des normes de classification pour statuer sur les plaintes de disparité salariale fondées sur les articles 7, 10 et 11 de la LCDP : Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor du Canada, [1991] Tribunal canadien des droits de la personne, et Harkin et al. v. Attorney General (Canada), [2009] CHRT 6.

66.     Le Guide de la CCDP sur la parité salariale et l’évaluation des emplois confirme le lien qui existe entre l’évaluation des emplois, la classification et la parité salariale. Il indique expressément que pour établir la parité salariale, il faut nécessairement déterminer la valeur des emplois de manière non sexiste afin que les normes de classification et les salaires qui leur sont attribués ne soient pas discriminatoires.

67.     Compte tenu de ce qui précède, les plaignants estiment que pour trancher les plaintes dont elle est saisie, la CRTFP doit examiner les allégations des plaignants selon lesquelles le défendeur a instauré et pratiqué la disparité salariale à l’égard des employées FI-01 et FI-02 en appliquant le système de classification en cause. Contrairement à ce que soutient le défendeur, cette analyse fait partie intégrante de la plainte et il est impossible de l’en dissocier, si bien qu’elle est indéniablement du ressort de la CRTFP.

68.     Les plaignants estiment qu’en transférant à la CRTFP la compétence de la CCDP pour connaître des plaintes de disparité salariale dans le secteur public, le législateur voulait que la CRTFP statue sur tous les aspects de ces plaintes. À cette fin, le législateur a incorporé dans la LEB des dispositions transitoires transférant à la CRTFP le pouvoir de trancher les plaintes de disparité salariale fondées sur les articles 7, 10 et 11 de la LCDP d’ici à l’entrée en vigueur de la LERSP.

69.     Afin de donner effet à l’intention du législateur de transférer à la CRTFP le pouvoir de statuer sur tous les aspects des plaintes de disparité salariale dans le secteur public, l’alinéa 396(1)a) de la LEB doit être interprété comme conférant à la CRTFP le pouvoir d’examiner les questions d’évaluation des emplois et de classification qui sont soulevées dans le contexte de plaintes fondées sur les articles 7 et 10.

70.     Si l’interprétation de la compétence de la CRTFP proposée par le défendeur est retenue, la plainte devra être divisée et tranchée par plusieurs tribunaux. En plus d’être contraire à l’intention du législateur de transférer à la CRTFP le pouvoir de trancher les plaintes de disparité salariale fondées sur les articles 7 et 10, cette interprétation conduit à un résultat absurde, c’est-à-dire la division artificielle de la plainte. Il en résultera un dédoublement des ressources et un processus moins efficace qui pourrait donner des conclusions incohérentes.

71.     Compte tenu de ce qui précède, les plaignants demandent à la Commission de rejeter l’objection à la compétence du défendeur.

[…]

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

C. Réplique du défendeur

22 Les arguments contenus dans la réplique du défendeur sont résumés ci-après :

[Traduction]

[…]

1.       […] les plaignants affirment qu’ils « ne prétendent pas que les distinctions illicites contre les employés FI-01 et FI-02 ont commencé le 1er août 2004. Il s’agit plutôt de la date qu’ils ont retenue comme date d’effet de leur plainte, puisque c’est le 1er août 2004 que la norme de classification FI a été modifiée pour les niveaux FI-01 et FI-02 ». Le défendeur croit comprendre que la « date retenue comme point de départ » de la plainte est la date à partir de laquelle le prétendu acte discriminatoire a commencé et que la présente instance portera sur la période qui s’est écoulée depuis cette date. Si les plaignants prétendent que les distinctions illicites ont commencé à une autre date, ils doivent préciser la période en cause afin que le défendeur puise préparer une réponse et une défense complètes.

2.       Les plaignants […] soutiennent qu’« […] un examen du régime proposé par la loi pourrait s’avérer nécessaire dans le but exclusif de déterminer l’intention du législateur ». Le défendeur estime que la LERSP, qui a été édictée mais qui n’est pas encore en vigueur, y compris l’article 399, peut être utilisée non seulement pour déterminer « l’intention du Parlement » (Loi modifiant le droit pénal, référence, [1970] R.C.S. 777), mais aussi pour interpréter les dispositions de la loi qui ont été édictées (Royal Bank of Canada v. Saskatchewan Power Corp. (1990), 73 D.L.R. (4e) 257 (C.A. de la Sask.)) et d’autres lois (R. v. United Kingdom (Secretary of State for the Home Department) (1995), 180 N.R. 200 (H.L.), aux paragr. 34-35, 113 et 121-24). Voir également l’ouvrage intitulé Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., aux pages 642 et 643.

3.       Le gouvernement fédéral est le plus important organisme au Canada, avec des dépenses annuelles de plus de 180 milliards de dollars. Il offre des services dans toutes les régions du Canada et dans plus d’une centaine de pays étrangers par le fait de sa participation à une multitude d’activités internationales (dont des missions de paix) et de ses postes à l’étranger. Il emploie plus de 450 000 personnes, dont des policiers, des marins, des soldats, des équipages d’aéronef, des travailleurs scientifiques, des médecins, du personnel infirmier et de nombreux autres qui ont des contacts quotidiens avec la population canadienne à laquelle ils fournissent les services.

4.       Le gouvernement fédéral se compose de centaines d’organisations (ministères, organismes, organismes de service spécial, conseils, commissions, sociétés d’État, les Forces armées canadiennes et la GRC). Ces diverses organisations poursuivent un large éventail d’objectifs et de priorités – il serait impossible de regrouper toutes leurs activités sous un objectif unique, d’autant plus que leurs régimes de gouvernance diffèrent sensiblement les uns des autres.

5.       Compte tenu de sa taille, de la diversité de ses activités et de la complexité de sa structure de responsabilisation, cet employeur doit absolument disposer d’outils pour organiser le travail nécessaire à la réalisation de ses objectifs opérationnels et les ressources humaines requises pour exécuter le travail. L’administration publique centrale (APC) utilise un modèle de gestion des ressources humaines qui est principalement axé sur les postes; cela signifie que le travail est conçu en fonction des exigences des programmes et que le titulaire n’a aucune influence perceptible sur les exigences du poste. Ce modèle est propice à la délégation de la classification, des pouvoirs de dotation et de la charge de travail dans l’ensemble de la fonction publique.

6.       Il est essentiel, dans un système de gestion des ressources humaines axé sur les postes, de disposer d’un système de classification pour bien gérer les ressources humaines. La classification est l’élément fondamental autour duquel s’articulent d’autres éléments du système de gestion des ressources humaines, dont la dotation, la planification des ressources humaines, l’avancement professionnel des employés, les relations de travail et l’apprentissage. Dans l’ouvrage intitulé Labour and Employment Law in the Federal Public Service (Irwin Law Inc., 2007), Christopher Rootham écrit, à la page 433 :

[Traduction]

La classification est un élément important parce que l’identité de l’agent négociateur de l’employé, son niveau de rémunération et ses chances d’avancement sont tributaires de la classification de son poste […] les unités de négociation dans l’administration publique fédérale coïncident généralement avec la classification des postes. Les diverses conventions collectives qui existent dans la fonction publique renferment en outre des échelles de rémunération différentes pour chaque niveau de classification. Pour finir, certains postes dans la fonction publique fédérale exigent de l’expérience à un niveau de classification particulier pour que le candidat puisse accéder à ce poste. Bref, la classification peut avoir une incidence importante sur la carrière d’un employé.

7.       […] les plaignants soutiennent que « [l]e défendeur tente, dans son argumentation, de dissocier complètement le système de classification du système d’établissement des salaires. Les plaignants estiment que cet argument est indéfendable. La preuve extrinsèque montre qu’il existe un lien indéniable entre les systèmes de classification et les salaires dans le secteur public. »

8.       Le défendeur admet qu’il existe un lien entre la classification et le niveau du poste d’un employé et le salaire qu’il gagne. Le système de classification établit en effet le cadre pour organiser le travail et déterminer la relativité interne du travail à l’intérieur des groupes professionnels ou des normes de classification. Cela permet de faire concorder les niveaux de salaire avec le travail requis aux divers niveaux hiérarchiques de la norme.

9.       Cela dit, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) a déjà statué, dans au moins un cas, que les taux de traitement peuvent être établis sans tenir compte de la classification des postes : L’Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. le Conseil du Trésor, [1985] C.R.T.F.P.C. no 143 (C.R.T.F.P.)

10.     Le défendeur estime que l’attribution d’un taux de salaire à la classification et au niveau d’un poste est le résultat final du processus d’établissement des salaires; le système de classification n’établit pas les salaires ni ne les maintient. En fait, dans le cas des employés qui sont représentés par des agents négociateurs (environ 88 % des employés de l’administration publique centrale et des organismes distincts réunis, en 2003), les salaires sont « établis » à la table de négociation et « maintenus » par les conventions collectives. Voir la Politique sur les conditions d’emploi du Secrétariat du Conseil du Trésor, section 20.

11.     Un certain nombre de facteurs entrent en ligne de compte pour fixer les salaires, que ceux-ci soient établis à la table de négociation ou par le Conseil du Trésor (CT), notamment (Cadre des politiques de gestion de la rémunération, Secrétariat du Conseil du Trésor) :

  • les marchés de travail externes (y compris le secteur privé, les autres employeurs du secteur public et le secteur bénévole, les petits marchés géographiques); le gouvernement s’emploie à offrir des salaires compétitifs qui n’excèdent pas ceux qui sont offerts sur les marchés externes, tout en tenant compte :
    • des pénuries de main-d’œuvre qualifiée dans un domaine particulier;
    • des difficultés inhabituelles pour trouver des candidats qualifiés pour pourvoir un poste;
    • des conditions opérationnelles nécessitant des employés hautement qualifiés ou comptant de nombreuses années d’expérience qui sont capables d’exercer immédiatement les fonctions d’un poste.
  • la valeur relative attribuée par l'employeur au travail accompli (comparabilité interne);
  • le rendement, en fonction des contributions individuelles ou collectives aux résultats opérationnels;
  • la capacité de payer, compte tenu des engagements du gouvernement de fournir des services aux Canadiens, de sa situation financière et de l'état de l'économie canadienne.

12.     Les décisions du gouvernement en matière de rémunération sont toujours prises en fonction des lois pertinentes et de l'intérêt public général. Les principes susmentionnés doivent donc être mis en balance avec les facteurs suivants :

  • les objectifs des politiques économiques;
  • les objectifs des politiques sociales;
  • les attentes et les pressions du public.

13.     Il n’y a pas de corrélation entre la valeur attribuée au travail accompli par le titulaire d’un poste dans une classification et à un niveau donnés tels qu’ils sont établis par la norme et le salaire que gagne le titulaire du poste; bref, rien ne permet de dire que le système de classification sert à « établir » les salaires. C’est tout au plus le cadre organisationnel auquel les salaires sont appliqués.

14.     […] les plaignants [proposent un] résumé de la Politique sur le système de classification et la délégation de pouvoir du Conseil du Trésor. Ils font remarquer que la politique « indique expressément que le système de classification permet d'établir la valeur relative du travail […] », mais ils omettent le détail le plus important, c’est-à-dire, que cette relativité s’applique seulement à l’intérieur des groupes professionnels et des normes de classification :

4.2.2 reconnaître la valeur relative du travail et les critères de relativité interne qui en découlent par lesquels on peut positionner adéquatement chaque poste d'un groupe professionnel relativement aux autres postes;

6.1 Le niveau d'un poste doit être établi à partir de l'évaluation de la description de travail connexe en se servant de la norme de classification pertinente, déterminée par la définition du groupe professionnel applicable pour cette norme.

15.     La norme de classification établit la hiérarchie des fonctions à l’intérieur d’une norme particulière, mais elle ne permet pas de mesurer des critères ou de faire des comparaisons entre les divers groupes professionnels.

16.     Les plaignants […] décrivent une observation formulée par Mme Laurendeau […] lors de son témoignage devant le Comité sénatorial des finances nationales de la façon suivante : « Mme Laurendeau a indiqué que la masse salariale pouvait être contenue dans la fonction publique par un gel de la classification. Si la classification ne peut pas être soumise à un gel, il en est autrement des salaires afférents aux groupes professionnels. » Le défendeur estime que la gestion globale de l’enveloppe salariale dans la fonction publique fédérale n’a rien à voir avec la manière dont les salaires sont établis et maintenus à l’intérieur d’une classification et à un niveau donnés.

17.     Du reste, lors de son témoignage devant le comité sénatorial, Mme Laurendeau a clairement indiqué que le projet de loi (c.-à-d. la Loi sur le contrôle des dépenses) n’arrêtera pas le travail en matière de réforme de la classification, mais que le gouvernement ne pourra vraisemblablement pas se permettre, durant la période de contrôle des dépenses en cours, d’instaurer de nouvelles classifications auxquelles se grefferaient de nouvelles échelles de rémunération négociées (Délibérations du Comité sénatorial permanent des finances nationales, 11 mars 2009, aux pages 3-55 et 3-56) :

Le sénateur Ringuette : J'ai plusieurs questions à poser là-dessus. Je sais que pendant bon nombre d'années l'on a essayé de fusionner certaines descriptions de fonctions pour les faire correspondre à certaines échelles. Je sais que ce processus se poursuit, malheureusement. Cependant, à l'issue de ce processus, le projet de loi, s'il est adopté, viserait-il les descriptions de fonctions nouvellement fusionnées dans la fonction publique?

Mme Laurendeau : Parlez-vous de la réforme de la classification? En ce qui concerne l'effet direct du projet de loi, l'exercice général de réforme de la classification ne serait pas touché, sauf en ce qui concerne les exceptions prévues qui « opérationnalisent » les réformes en matière de classification déjà en cours. Je vais expliquer de manière un petit peu plus précise.

Si vous regardez les exceptions, il nous a fallu introduire de nouveaux taux de rémunération pour un nouveau groupe. Malheureusement, je ne peux pas vous renvoyer tout de suite à l'article précis, mais je vais vous le trouver d'ici un instant. Il s'agit des garde-frontières aux postes frontaliers. Vous verrez que, pour ce groupe particulier, il y a un élément « opérationnalisation » de la réforme de la classification. Les réformes qui étaient prêtes ou devant être effectuées sont prévues dans le projet de loi. Cependant, il y en aura d'autres à l'avenir et qui ne sont pas couvertes par le projet de loi. En d'autres termes, le projet de loi ne stoppe pas le travail en matière de réforme de la classification, mais « opérationnalise » les changements qui sont prêts en ce moment.

Le sénateur Ringuette : Le projet de loi limite-t-il les augmentations salariales qui pourraient être enclenchées dans le cadre du processus?

Mme Laurendeau : Pour la période s'étendant jusqu'en 2010-2011, mais il n'empêche aucun travail de classification pendant la période de contrôle.

18.     Mme Laurendeau admet en fait que les salaires sont négociés :

Je devrais peut-être apporter un éclaircissement. Je ne voudrais pas être trop technique, mais il est une chose qu'il faut comprendre. Mettons un instant de côté la rémunération au rendement pour les cadres supérieurs. J'y reviendrai. Le gros des personnes qui sont couvertes par le projet de loi continueront d'être gouvernées par la progression annuelle de leur taux de rémunération. Le gros des employés syndiqués bénéficient chaque année d'une augmentation d'échelon. En d'autres termes, vous entrez dans la fonction publique à un certain niveau, qui correspond généralement au minimum, puis, chaque année, vous bénéficiez d'une augmentation d'échelon jusqu'à ce que vous atteigniez le maximum. C'est ainsi que le salaire progresse pour le gros des travailleurs. Ces augmentations d'échelon ne sont pas touchées par le projet de loi.

Ce qui est touché c'est le montant d'augmentation de la grille salariale. L'augmentation de la grille salariale peut être négociée entre zéro et un chiffre supérieur. Cette augmentation de la grille salariale est plafonnée selon les pourcentages que je vous ai donnés, mais la progression à l'intérieur de la grille salariale demeure.

19.     La notion de « salaire égal pour un travail de valeur égale » (c.-à-d. l’équité salariale) vise à éliminer la discrimination fondée sur le sexe qu’a occasionnée la sous-évaluation systémique du travail accompli par les femmes. L’analyse de la disparité salariale qui est effectuée sous le régime de la LCDP consiste à comparer des emplois à prédominance féminine avec des emplois à prédominance masculine qui n’appartiennent pas toujours à la même classification ni au même groupe professionnel et qui comportent parfois des fonctions et des responsabilités très différentes en utilisant un outil d’évaluation des emplois qui mesure les qualifications, les efforts et les responsabilités nécessaires pour l’exécution de fonctions particulières, compte tenu des conditions de travail. La notion d’équité salariale a une application beaucoup plus large que la notion de « salaire égal pour un travail de valeur égale », qui porte sur la comparaison de fonctions identiques ou très similaires, car elle suppose des comparaisons entre diverses catégories d’emplois.

20.     […] les plaignants […] affirment que « l’évaluation de la valeur du travail accompli par les divers groupes professionnels fait partie intégrante du processus d’évaluation des emplois qui constitue le fondement des normes de classification et des salaires attribués aux divers groupes professionnels. Ce sont tous des éléments essentiels de l’équité salariale […] ». Cet argument nous mène à la conclusion exagérément simpliste que l’évaluation des emplois sur laquelle sont basées les normes de classification dans l’APC est utilisée aux fins de l’analyse de l’équité salariale. En fait, si un groupe de plaignants peut s’identifier et identifier des groupes de comparaison par renvoi à la classification et au niveau des postes, il n’en demeure pas moins que ce n’est pas l’évaluation des emplois qui trouve écho dans les normes de classification qui sert à faire des comparaisons entre les normes.

21. Le paragraphe 11(2) de la LCDP dit que les employeurs doivent établir l’« équivalence » des fonctions en comparant divers types de fonctions :

Le critère permettant d’établir l’équivalence des fonctions exécutées par des salariés dans le même établissement est le dosage de qualifications, d’efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail.

22.     Les quatre critères susmentionnés doivent être utilisés pour mesurer la valeur des fonctions de postes particuliers dans le cadre d’une analyse de l’équité salariale. Cela dit, la plupart des normes de classification en vigueur dans l’APC datent d’avant l’existence de la LCDP, qui est entrée en vigueur en 1978, si bien qu’elles n’ont pas été créées dans le but d’évaluer les quatre critères mentionnés dans la LCDP.

23.     Sous la rubrique « Méthode d’évaluation » de l’Ordonnance sur la parité salariale, il est écrit que :

9. Lorsque l’employeur a recours à une méthode d’évaluation pour établir l’équivalence des fonctions exécutées par des employés dans le même établissement, cette méthode est utilisée dans les enquêtes portant sur les plaintes dénonçant une situation de disparité salariale si elle :

a) est exempte de toute partialité fondée sur le sexe;

b) permet de mesurer la valeur relative des fonctions de tous les emplois dans l’établissement; et

c) permet d’évaluer les qualifications, les efforts, les responsabilités et les conditions de travail visés aux articles 3 à 8.

24.     Les normes de classification de l’APC ne permettent pas nécessairement de mesurer les quatre critères; ce n’est d’ailleurs pas une exigence de la LCDP, à moins que les normes soient utilisées comme outil d’évaluation des emplois aux fins d’une analyse de l’équité salariale visée à l’article 11 de la LCDP : Wiseman c. Procureur général du Canada, [2009] D.C.D.P. no 19 (TCDP).

25.     En raison de la variété de fonctions qui sont exécutées dans l’ensemble de l’APC, les normes de classification comportent divers nombres de niveaux. Les diverses normes de classification, qui font écho à la nature souvent très différente du travail qu’elles visent à mesurer, accordent une importance plus ou moins grande aux divers critères qu’elles évaluent. On ne peut donc pas comparer directement des postes qui sont évalués à l’aide d’une norme de classification avec d’autres qui sont évalués à l’aide d’une autre norme. Ainsi, dans le cas qui nous occupe, les normes de classification en cause ne permettraient pas de mesurer la valeur relative des fonctions exécutées par les employés FI de manière à faire des comparaisons avec les fonctions exécutées par les employés des groupes de comparaison retenus par les plaignants : CO, CS, EN-ENG ou MT. En fait, les normes de classification de l’APCne sont pas utilisées pour évaluer des emplois dans l’optique de comparer différentes classifications ou différents groupes professionnels lors d’une analyse de l’équité salariale.

26.     Ainsi donc, s’il est important de reconnaître que de bonnes pratiques en matière de classification peuvent atténuer le risque de prendre des décisions de classification qui sont entachées de sexisme, il n’en demeure pas moins que la classification n’est pas une panacée pour régler les problèmes d’équité salariale – c’est l’un des éléments d’une stratégie multidisciplinaire de gestion des ressources humaines qui s’articule autour des régimes de relations de travail et de rémunération.

27. D’autre part, il est tout à fait légitime de dissocier les aspects de la plainte dénonçant le caractère discriminatoire d’une norme de classification des aspects dénonçant la disparité salariale entre des emplois à prédominance masculine et des emplois à prédominance féminine d’égale valeur. Le fait que l’évaluation des emplois constitue un élément de chaque processus ne fait pas obstacle à la dissociation de ces questions.

28.     Par exemple, dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor [2005] A.C.F. no 1576, la Cour fédérale a résumé comme suit les mesures qui avaient été prises à l’égard d’une plainte déposée par l’AFPC devant la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) au nom des employés du groupe professionnel CR :

[2] Le 19 décembre 1984, la demanderesse déposait auprès de la Commission une plainte où elle affirmait que les membres du groupe professionnel CR, à prédominance féminine, employés par le Conseil du Trésor (le défendeur), étaient victimes d'une distinction illicite fondée sur le sexe. La plainte renfermait en fait deux accusations : 1) on y alléguait que les membres du groupe CR étaient victimes d'une norme de classification discriminatoire, qui servait à évaluer la valeur de leur travail et de leur rémunération, en violation des articles 7, 10 et 11 de la LCDP; et 2) on y affirmait aussi que [TRADUCTION] « en séparant le groupe des commis aux écritures et aux règlements et le groupe de l'administration des programmes, et en appliquant des normes différentes pour mesurer la valeur des tâches des employés qui appartiennent à ces groupes, le Conseil du Trésor exerce une discrimination contre les membres du premier groupe, en violation des articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ».

[3] L'accusation de discrimination salariale contraire à l'article 11 de la LCDP fut renvoyée en octobre 1990 au Tribunal des droits de la personne. Le 29 juillet 1998, le Tribunal jugeait qu'il y avait eu infraction à l'article 11 et ordonnait le versement d'une réparation prenant la forme de rajustements salariaux paritaires, rétroactivement au 8 mars 1985. Il ordonnait aussi que les rajustements salariaux paritaires pour les périodes postérieures à sa décision soient consolidés et deviennent partie intégrante des salaires (A.F.P.C. c. Canada (Conseil du Trésor) (no 3), (1998), 32 C.H.R.R. D/349). Cette décision du Tribunal fut par la suite confirmée par la Cour le 19 octobre 1999 (Canada (P.G.) c. A.F.P.C., [2000] 1 C.F. 146 (QL)).

[4] Durant toute la période au cours de laquelle la partie de la plainte se rapportant à l'article 11 était étudiée par le Tribunal des droits de la personne pour décision, la Commission menait son enquête sur les aspects de la plainte encore en suspens, c'est-à-dire ceux qui concernaient les articles 7 et 10. Les aspects de la plainte relatifs aux articles 7 et 10 concernaient la structure et l'application de la norme de classification du groupe CR comme instrument d'évaluation des emplois. La décision fut prise de laisser les parties continuer de travailler ensemble pour élaborer un nouveau système de classification baptisé Norme générale de classification (NGC). De 1997 à 2000, la Commission a suivi l'évolution du projet de NGC et offert assistance et encadrement pour les questions liées à l'équité salariale, par exemple le caractère non sexiste de la norme, l'évaluation des emplois et la pondération des facteurs.

29.     De toute évidence, la CCDP et la Cour fédérale ont admis que l’évaluation du caractère discriminatoire d’une norme de classification jugée sexiste peut être dissociée de l’analyse de l’équité salariale en comparant un groupe de plaignants à prédominance féminine avec un groupe de comparaison à prédominance masculine pour l’application de l’article 11 de la LCDP.

30.     Les plaignants renvoient aux décisions du TCDP dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor)(HS/GS) et Richard Harkin et al. v. Canada (Attorney General)[…] au soutien de leur argument que « […] la Commission et le Tribunal ont toujours tenu compte des plans d’évaluation des emplois et des normes de classification pour statuer sur les plaintes de disparité salariale […] ».

31.     Dans le cas HS/GS, la CCDP a observé que la plainte comportait deux aspects, en l’occurrence une allégation qu’il y avait discrimination salariale et une allégation qu’il y avait discrimination dans la classification. Les parties en sont arrivées à une entente sur les deux aspects. Le TCDP n’était pas saisi de la question de savoir si les deux aspects devaient être dissociés et la question ne se posait d’ailleurs pas dans ce cas-là puisqu’il avait compétence pour statuer sur tous les aspects de la plainte de discrimination fondée sur les articles 7, 10 et 11 de la LCDP sans être limité par la restriction imposée par le paragraphe 396(1) de la LEB de 2009 dans ce cas-ci.

32.     Il faut aussi savoir que les faits en litige dans la plainte HS/GS étaient tout à fait uniques. Les fonctions exécutées par les employés dont le travail avait été évalué à l’aide de la norme de classification des Services hospitaliers (HS) étaient quasi identiques à celles des employés dont le travail avait été évalué à l’aide de la norme des Services généraux (GS). Autrement dit,  la norme de classification GS pouvait être utilisée pour évaluer le travail des employés du groupe HS à prédominance féminine. Ce n’est pas le cas pour les FI-01 et les FI-02 et les groupes de comparaison proposés.

33.     Ajoutons à cela que la décision préliminaire rendue dans Harkin ne nous fournit absolument aucune indication sur les principes à appliquer pour statuer sur la question de compétence dont la Commission est actuellement saisie. La décision Harkin porte sur la requête du défendeur visant à faire radier les plaintes des plaignants fondées sur l’article 10 et sur la requête des plaignants visant à faire ajouter les plaintes fondées sur l’article 7. Le tribunal devait statuer sur des questions très précises : premièrement, la plainte de violation des droits de la personne devait-elle être rejetée sans tenir d’audience au motif que l’énoncé des faits n’établissait pas à première vue un cas de discrimination visé à l’article 10? Deuxièmement, est-ce que le fait d’intégrer les arguments fondés sur l’article 7 à la plainte causerait un préjudice au défendeur? Seules les allégations fondées sur les articles 7 et 10 de la LCDP restaient à trancher dans Harkin; les allégations de disparité salariale fondées sur l’article 11 que contenait la plainte initiale avaient été retirées au moment où la décision a été rendue.

34.     La présente plainte est fondée sur les dispositions transitoires de la LEB de 2009 (c.-à-d. les articles 395 à 406). Ces dispositions confèrent à la CRTFP le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les articles 7, 10 et 11 de la LCDP et l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale lorsque des plaintes lui sont renvoyées en vertu du paragraphe 396(1), c.-à-d. des plaintes fondées sur les articles 7 ou 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), dans le cas où elles portent sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée et pratiquée par l’employeur; et des plaintes fondées sur l’article 11 de la LCDP.

35.     Autrement dit, même si les plaintes de la CCDP sont renvoyées devant la CRTFP pour y être tranchées, les obligations contenues dans la LCDP et dans l’Ordonnance sur la parité salariale continuent de s’appliquer. La CRTFP interprétera et appliquera ces obligations pour trancher ces plaintes. On veut ainsi s’assurer que chaque plainte de discrimination salariale fondée sur le sexe dans le secteur public qui a été déposée devant la CCDP mais qui est renvoyée devant la CRTFP demeure régie par la même loi jusqu’au prononcé final de la décision.

36.     Les dispositions transitoires confèrent également à la CRTFP le pouvoir de rendre les ordonnances qui sont ouvertes au Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) au titre de l’article 53 de la LCDP (sous réserve de certaines restrictions pécuniaires) relativement aux plaintes qui lui sont renvoyées en vertu du paragraphe 396(1).

37.     Dès l’entrée en vigueur de la LERSP, l’article 399 de la LEB apportera les modifications corrélatives suivantes à la LCDP :

399. La Loi canadienne sur les droits de la personne est modifiée par adjonction, après l’article 40.1, de ce qui suit :

40.2 La Commission n’a pas compétence pour connaître des plaintes faites contre un employeur, au sens de ce terme dans la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public, et dénonçant :

a) soit la perpétration d’actes discriminatoires visés aux articles 7 et 10 dans le cas où la plainte porte sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur; 

b) soit la perpétration d’actes discriminatoires visés à l’article 11.

38.     Il ne faut pas oublier que dès l’entrée en vigueur de la LERSP, toutes les nouvelles plaintes de rémunération inéquitable dans le secteur public qui seront déposées sous le régime de cette loi seront tranchées exclusivement par la CRTFP, conformément aux règles et procédures établies par la LERSP.

39.     S’il est déterminé que la classification a un rapport avec la disparité salariale instaurée ou pratiquée entre les hommes et les femmes, cela voudra dire que la CCDP et le TCDPT n’auront pas le pouvoir de statuer sur les plaintes de classification après l’entrée en vigueur de l’article 399 de la LEB et que la CRTFP n’interprétera pas les dispositions de la LCDP ni ne les appliquera aux plaintes de rémunération inéquitable.

40. Les droits des employés de déposer des plaintes sous le régime de la LERSP sont énoncés aux articles 10 et 11 (dans le cas des employés non syndiqués) et aux articles 23 et 24 (dans le cas des employés syndiqués). Un employé non syndiqué peut déposer une plainte devant la CRTFP s’il estime que l’employeur a omis :

de décider si un groupe d’emplois est à prédominance féminine (article 5);

d’afficher un avis indiquant qu’aucun groupe d’emplois n’a été jugé à prédominance féminine (paragraphe 6(1));

de répondre à un avis dans lequel un employé se dit insatisfait de l’avis donné en vertu du paragraphe 6(1) (paragraphe 6(3));

d’effectuer une évaluation en matière de rémunération équitable et de déterminer s’il existe des questions de rémunération équitable (alinéa 7(1)a));

de fournir aux employés d’un groupe d’emplois visé par une question de rémunération équitable un rapport énonçant comment l’évaluation a été effectuée et indiquant si une consultation a été effectuée (alinéa 7(1)b));

d’élaborer un plan pour régler les questions de rémunération équitable (alinéa 7(1)a));

de fournir un rapport aux employés non syndiqués visés lorsque l’existence d’une question de rémunération équitable est établie et qu’un plan a été élaboré (alinéa 7(1)b));

de répondre à la demande d’un employé sur l’existence d’une question de rémunération équitable basée sur les mesures prises par l’employeur conformément au paragraphe 7(1) (paragraphe 7(3));

de mettre en œuvre un plan élaboré par suite de l’application des articles 7 ou 9 ou d’une ordonnance rendue en vertu de la Loi (paragraphe 8(1));

d’examiner les questions soulevées par un employé conformément au paragraphe 9(2) et de répondre à la demande reçue d’un employé conformément au paragraphe 9(2) (paragraphe 9(3)).

41.     En plus de cela, une employée non syndiquée peut déposer une plainte devant la CRTFP si elle est insatisfaite d’une question contenue dans la réponse reçue de l’employeur en vertu du paragraphe 9(2) et si elle estime qu’elle fait partie d’un groupe d’emplois à prédominance féminine et qu’une évaluation de cette catégorie d’emplois mettrait au jour l’existence d’une question de rémunération équitable.

42.     Une employée syndiquée peut déposer une plainte devant la CRTFP :

si l’employeur a omis de fournir à l’agent négociateur concerné une déclaration énonçant, à l’égard de chaque groupe d’emplois dont l’effectif est totalement ou partiellement formé d’employés faisant partie des unités de négociation représentées par l’agent négociateur, le nombre des employés inclus dans le groupe et leur répartition par sexe (article 23);

si l’employée estime qu’elle appartient à une catégorie d’emplois à prédominance féminine, qu’une évaluation en matière de rémunération équitable effectuée à l’égard de la catégorie permettrait d’établir qu’il existe une question de rémunération équitable à régler et qu’elle ne recevra pas de rémunération équitable pendant la durée de la convention collective ou dans un délai raisonnable après l’expiration de celle-ci (paragraphe 24(1)).

43.     Comme on peut le constater, la LERSP ne contient aucune disposition conférant à la CRTFP le pouvoir de statuer sur des plaintes de classification. De plus, les conseils d’arbitrage continueront de ne pas avoir le droit de se prononcer sur les questions de classification, comme c’est actuellement le cas sous le régime de la LRTFP.

44.     […] les plaignants […] tirent un argument de la décision de la CRTFP Dans l’affaire de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (1998) et sur la jurisprudence de la Cour fédérale qui y est citée. Ce cas porte sur le renvoi de questions de classification et autres visées à l’article 7 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, devant des bureaux de conciliation qui ne peuvent pas faire des recommandations exécutoires. Le passage auquel renvoient les plaignants ne fournit pas d’indications sur le cadre d’analyse de la Cour :

L’article 7 n’est pas l’expression de la théorie des droits divins du pouvoir exécutif, ni même une proclamation limitée de la souveraineté gouvernementale. Comme l’indique le juge Marceau, il s’agit simplement d’une clause portant sur les droits de gérance. À mon avis, il est impossible d'interpréter l'article 7 comme interdisant à l'intimé d'accepter volontairement l'incorporation d'une clause plafonnant les heures d'enseignement dans une convention collective, comme il a librement choisi de le faire par le passé. Toute autre interprétation priverait non seulement la requérante, mais également la direction, de ses droits […] En termes simples, la question en litige est de savoir si, puisqu'il a depuis les débuts de la négociation collective dans la Fonction publique volontairement accepté une clause de plafonnement, vraisemblablement dans le cadre de l'entente globale, le gouvernement peut se libérer de cette clause par la simple expiration de la convention collective, alors que toutes les clauses de cette convention « qui peuvent faire l'objet d'une négociation » sont maintenues en vertu de la Loi jusqu'à la conclusion de la nouvelle convention collective. À mon avis, ni la loi, ni l'intérêt public ne permet à l'employeur de se soustraire si facilement à une obligation qu'il a volontairement assumée.

45.     De plus, la jurisprudence citée par les plaignants ne change pas l’état du droit, puisque les questions visées à l’article 7 de la LRTFP ne peuvent pas être renvoyées à l’arbitrage ou à la conciliation exécutoire, à moins que l’employeur ne donne volontairement son accord.

46.     Les plaignants soutiennent aussi […] que la limitation des pouvoirs de la CRTFP imposée par l’article 7 de la LRTFP « s’applique uniquement à l’arbitrage de grief et aux renvois devant un conseil d’arbitrage. Elle ne s’applique aucunement au régime distinct qui sera établi par la LERSP […] ». La LERSP dispose que les renvois à l’arbitrage et à la conciliation/grève prévus sous le régime de la LRTFP s’appliqueront aux questions relatives à la rémunération équitable :

17. Si le renvoi à l’arbitrage a été choisi comme mode de règlement du différend au titre du paragraphe 103(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, toute question relative à la rémunération équitable à verser aux employés peut faire l’objet de la demande d’arbitrage présentée en vertu du paragraphe 136(1) de cette loi.

20. Si le renvoi à la conciliation a été choisi comme mode de règlement du différend au titre du paragraphe 103(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, toute question relative à la rémunération équitable à verser aux employés peut faire l’objet de la demande de conciliation présentée en vertu du paragraphe 161(1) de cette loi.

47.     L’effet cumulatif de ce qui précède est que si la CRTFP conclut que la plainte de classification porte sur l’instauration et la pratique de la disparité salariale entre les hommes et les femmes, les employés n’auront plus aucun recours pour dénoncer la discrimination dans la classification après l’entrée en vigueur de la LERSP. Cela ne peut pas être le but que visait le législateur.

[…]

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

VI. Motifs

23 Le défendeur estime que la Commission n’a pas compétence pour trancher les aspects de la plainte des plaignants et de l’ACAF qui portent sur la classification et sur la norme de classification du groupe FI. La CCDP devrait selon lui demeurer saisie de ces aspects. Je ne crois pas que le but du législateur était de dissocier les divers aspects d’une plainte durant la période transitoire précédant la proclamation de la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public, L.C. 2009, ch. 2, art. 394 (non encore en vigueur)(LERSP). Pour les motifs exposés ci-après, j’ai rejeté l’objection du défendeur.

24 Je suis généralement en accord avec les principes d’interprétation de la loi proposés par les parties. Par contre, je ne vois pas du tout en quoi la production d’éléments de preuve et de déclarations extrinsèques peut faciliter l’interprétation des dispositions législatives en cause dans ce cas-ci. Une preuve extrinsèque est nécessaire uniquement quand les dispositions de la loi manquent de clarté. Quoi qu’il en soit, la preuve de personnes qui ont témoigné devant un comité parlementaire, y compris une représentante du Conseil du Trésor, n’est d’aucune utilité pour déterminer le but que visait le législateur en adoptant la loi en cause.

25 Je conviens que des lois qui n’ont pas encore été proclamées peuvent être utilisées pour faciliter l’interprétation de la loi. Cependant, l’interprétation franche des dispositions transitoires révèle que le régime prévu par la LERSP ne s’applique pas aux plaintes déposées avant l’entrée en vigueur de cette loi.

26 Les dispositions transitoires contenues dans la LEB établissent un régime global pour trancher les plaintes de disparité salariale qui ont été déposées devant la CCDP (mais qui n’ont pas encore été renvoyées devant un tribunal) de même que les plaintes déposées avant l’entrée en vigueur de la LERSP (paragraphe 396(1)). La Commission doit « statuer » sur ces plaintes « conformément au présent article » (paragraphe 396(2)). Des pouvoirs additionnels lui ont été attribués pour l’application de ces dispositions. En plus des pouvoirs que lui confère la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (LRTFP), la Commission dispose du pouvoir « d’interpréter et d’appliquer » des dispositions particulières de la LCDP (articles 7, 10 et 11) et l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. La Commission conserve ces pouvoirs « même après » l’entrée en vigueur de la LERSP. Cela accrédite la thèse que le régime prévu pour trancher les plaintes durant la période de transition est différent du régime prévu pour trancher les plaintes éventuelles après la proclamation de la loi. La Commission est également autorisée à rendre des ordonnances au titre de l’article 53 de la LCDP, sous réserve de certaines restrictions concernant les réparations pécuniaires et la durée du paiement. Parmi les mesures qui sont ouvertes à la Commission en vertu de l’article 53 de la LCDP, il y a la possibilité d’ordonner à l’employeur de mettre fin à un acte discriminatoire.

27 Le défendeur soutient que la Commission n’a pas compétence pour trancher des questions de classification, puisque les articles 7 et 150 de la LRTFP n'ont pas été modifiés. Par contre, les dispositions transitoires confèrent à la Commission le pouvoir additionnel d’interpréter et d’appliquer la LCDP et l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. Ces dispositions précisent que ce pouvoir est conféré à la Commission « en plus » des pouvoirs dont il dispose déjà. C’est donc à dire que la compétence de la Commission n’est pas limitée par les seuls pouvoirs que lui confère la LRTFP.

28 Le défendeur avance que la CRTFP n’a pas compétence pour trancher les questions de classification soulevées par la présente plainte, puisque les conseils d’arbitrage ne peuvent pas se saisir de telles questions dans le contexte des négociations collectives. Il faut savoir que le régime établi pour trancher les plaintes de disparité salariale durant la période transitoire est différent de celui qui est prévu par la LRTFP pour la négociation et l’établissement des conventions collectives. L’interdiction qui est faite de trancher des questions de classification (article 7 de la LRTFP) est expressément circonscrite à cette loi. Elle ne s’applique pas aux autres lois que la CRTFP doit appliquer – dans ce cas-ci la LCDP et la LEB

29 Le défendeur a admis que la classification peut être d’une certaine utilité pour établir les salaires. Dans ses arguments initiaux, il formule l’observation suivante :

[Traduction]

[…]

31.     Le terme « salarial », au paragraphe 396(1) de la LEB de 2009, n’englobe pas la classification. Le terme n’est pas expressément défini dans la LERSP ou pour l’application des articles 7 ou 10 de la LCDP, mais on peut tenir pour acquis qu’il désigne la rémunération payée pour le travail accompli. La relativité interne établie par le système de classification n’est qu’un des divers facteurs qui sont pris en considération pour établir les salaires. La classification définit les groupes et les niveaux professionnels, mais n’attribue pas un salaire à chaque groupe et niveau […]

[…]

[Je souligne]

30 Dans sa réplique, le défendeur avance également les arguments suivants :

[Traduction]

[…]

8.       Le défendeur admet qu’il existe un lien entre la classification et le niveau du poste d’un employé et le salaire qu’il gagne. Le système de classification établit en effet le cadre pour organiser le travail et déterminer la relativité interne du travail à l’intérieur des groupes professionnels ou des normes de classification. Cela permet de faire concorder les niveaux de salaire avec le travail requis aux divers niveaux hiérarchiques de la norme.

[…]

10.     Le défendeur estime que l’attribution d’un taux de salaire à la classification et au niveau d’un poste est le résultat final du processus d’établissement des salaires; le système de classification n’établit pas les salaires ni ne les maintient. En fait, dans le cas des employés qui sont représentés par des agents négociateurs […], les salaires sont « établis » à la table de négociation et « maintenus » par le biais des conventions collectives […]

[…]

31 Faute de preuve pour corroborer l’argument voulant que « […] le système de classification n’établi[sse] pas les salaires ni ne les mainti[enne] », il est impossible d’en établir l’exactitude. L'argument selon lequel les salaires sont négociés indépendamment de la norme de classification ou des niveaux devra être étayé par une preuve, ce qui nécessitera la tenue d’une audience.

32 Lors de l’audition de la plainte, la Commission aura le pouvoir d’interpréter et d’appliquer l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. Cette ordonnance renferme les dispositions suivantes à propos des outils d’évaluation des emplois :

[…]

9. Lorsque l’employeur a recours à une méthode d’évaluation pour établir l’équivalence des fonctions exécutées par des employés dans le même établissement, cette méthode est utilisée dans les enquêtes portant sur les plaintes dénonçant une situation de disparité salariale si elle :

a) est exempte de toute partialité fondée sur le sexe;

b) permet de mesurer la valeur relative des fonctions de tous les emplois dans l’établissement; et

c) permet d’évaluer les qualifications, les efforts, les responsabilités et les conditions de travail visés aux articles 3 à 8.

[…]

33 Les plaignants affirment que la norme de classification ne satisfait pas aux exigences de cette disposition. Le défendeur soutient, pour sa part, que les normes de classification ne permettent pas nécessairement d’évaluer les quatre critères et qu’il n’est pas obligatoire qu’elles le fassent, à moins que les normes soient utilisées comme outils d’évaluation des emplois aux fins de l’analyse de la disparité salariale (page 29 de leurs arguments). Une preuve à l’audience sera nécessaire pour que je puisse déterminer si l’un ou l’autre des arguments est valide.

34 Le défendeur renvoie également à Wiseman du Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) au soutien de son argument qu’il n’est pas nécessaire que la norme de classification satisfasse aux critères énoncés dans l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. Dans ce cas-là, la plaignante alléguait que la norme de classification des agents correctionnels n’était pas conforme à la LCDP, qu’elle n'évaluait pas les fonctions d’un poste particulier à la lumière des qualifications, des efforts, des responsabilités et des conditions de travail et qu’elle ne permettait pas de faire de comparaisons avec les autres postes de la classification CX majoritairement occupés par des hommes. Il faut savoir, dans un premier temps, que la plaignante s’est retirée de la salle d’audience avant que le défendeur présente sa preuve et, dans un deuxième temps, que la plainte a été rejetée seulement après que le tribunal eut entendu la preuve relative à la norme de classification. Je suis en accord avec la façon de procéder du TCDP dans ce cas-là; il a entendu la preuve sur les allégations avant de tirer des conclusions sur la norme de classification.

35 Le défendeur m’a également renvoyé à la décision de la Cour fédérale dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2005 CF 1297. Il s’agissait du contrôle judiciaire de la décision de la CCDP de ne pas renvoyer devant le TCDP une plainte dénonçant le caractère discriminatoire d’une norme de classification. La décision de la Cour portait sur l’équité procédurale et l’obligation de la CCDP de motiver sa décision, de sorte qu’elle présente très peu d’intérêt dans ce cas-ci. La Cour n’a pas remis en cause la compétence du tribunal pour évaluer les normes de classification. La décision décrivait également le cheminement procédural de la plainte fondée sur les articles 7 et 10 (« la structure et l’application de la norme de classification CR en tant qu’instrument d’évaluation des tâches ») et notait que ces aspects avaient été tenus en suspens. 

36 Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, [1991] D.C.D.P. no 4 (QL), les membres instructeurs du TCDP ont déterminé qu’il existait un lien direct entre les normes de classification en litige et la discrimination salariale :

[…]

[…] Les normes SH et SG étaient toutes deux des systèmes d'évaluation numérique qui étaient presque identiques quant à la structure fondamentale. Cependant, la division de l'échelle numérique en niveaux était différente, de sorte que les employés évalués de façon identique selon les deux normes étaient habituellement classés à des niveaux différents.

Comme les échelles salariales dépendaient des niveaux, cette différence a, à son tour, engendré la discrimination salariale qui existait. Étant donné que les groupes SH et SG étaient respectivement des groupes à prédominance féminine et masculine, nous sommes convaincus que cette différence sur le plan des normes de classification était une pratique qui constituait de la discrimination fondée sur le sexe contrairement à l'article 7 de la Loi […]

[…]

37 Bref, j’aurai besoin d’éléments de preuve pour déterminer si la norme de classification a un rapport avec la présente plainte. Cette question-là devra donc être tranchée dans le cadre d’une audience complète.

38 L’intention générale des dispositions transitoires est que la CRTFP doit se substituer à la CCDP pour trancher les plaintes durant la période transitoire précédant l’entrée en vigueur de la LERSP. La LEB a été conçue pour trancher toutes les plaintes de disparité salariale non réglées, de même que les plaintes déposées durant la période précédant l’entrée en vigueur de la LERSP. La mention dans la LEB des plaintes fondées sur les articles 7 et 10 de la LCDP « dans le cas où celles-ci portent sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur » (alinéa 396(1)a)) vise à séparer les plaintes de disparité salariale des autres types de plaintes qui peuvent être déposées au titre de ces dispositions de la LCDP. L’interprétation que le défendeur fait de la compétence de la Commission ferait échec à cette intention à maints égards, puisque la CCDP conserverait la saisie des aspects de la plainte qui sont manifestement du ressort du TCDP et qui pourraient éventuellement lui être renvoyés. Si le législateur avait voulu instaurer un processus bifurqué pour régler les plaintes de disparité salariale, il l’aurait fait explicitement dans la loi.

39 Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétation : Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national), [1975] A.C.S. no 116. Le fait que la LEB reprenne exactement le libellé de la LCDP confirme que, durant la période transitoire, les plaignants conservent les droits qu’ils auraient eus sous le régime de la LCDP.

40 Le défendeur a demandé également que le délai de 180 jours qui est accordé aux parties avant l’audition d’une plainte (paragraphe 396(6) de la LEB) recommence à s’appliquer, à partir, cette fois-ci, de la date de la présente décision, mais il reste muet sur les raisons de sa demande. Le délai de 180 jours vise à permettre aux parties de régler les questions soulevées dans la plainte; il se trouve que ce délai est maintenant expiré. Aucune des parties n’a indiqué dans ses arguments que des efforts étaient en cours pour régler la plainte. Si un délai supplémentaire est nécessaire pour discuter d’une solution, l’une ou l’autre partie, ou les deux, peut présenter une demande de prorogation de délai à la Commission. Cette demande sera tranchée par la Commission à partir des arguments des parties.

41 Au paragraphe 1 de sa réplique, le défendeur formule une réserve valide au sujet de la date d’effet de la plainte. J’enjoins donc aux plaignants de fournir des précisions complémentaires au Conseil du Trésor sur ce point dans les 30 jours suivant la date de la présente décision.

42 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VII. Ordonnance

43 L’objection à la compétence de la Commission est rejetée.

44 Les plaignants doivent fournir des précisions complémentaires au défendeur sur la date d’effet de la plainte dans les 30 jours suivant la date de la présente décision.

Le 4 février 2010.

Traduction de la CRTFP

Ian R. Mackenzie,
vice-président

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