Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a envoyé un courriel à certains ministres et médias pour dénoncer des actes répréhensibles commis par des gestionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) - l’employeur lui a imposé une suspension de 20jours sans solde pour avoir communiqué des allégations sans preuve aux médias au lieu d’utiliser la procédure interne de divulgation d’actes répréhensibles - le fonctionnaire a soutenu qu’il avait parfaitement le droit d’agir de la sorte à titre de représentant de l’agent négociateur - l’employeur a soutenu que le fonctionnaire avait assumé le rôle de dénonciateur et qu’il aurait dû se plier aux procédures établies par l’ASFC - l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire n’avait pas agi à titre de représentant de l’agent négociateur - il ne faisait que poursuivre, sans raison valable, la campagne qu’il menait depuis longtemps contre certains gestionnaires de l’ASFC - l’arbitre de grief a conclu qu’il y avait eu inconduite, mais il a substitué une suspension de 10 jours parce d’autres sanctions qui figuraient au dossier du fonctionnaire avaient été réduites ou annulées dans l’intervalle. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-02-23
  • Dossier:  566-02-1231
  • Référence:  2010 CRTFP 31

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JOHN KING

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence des services frontaliers du Canada)

défendeur

Répertorié
King c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Andrew Raven, avocat

Pour le défendeur:
Richard Fader, avocat

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
du 21 au 24 septembre et du 24 au 27 novembre 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Le 7 septembre 2006, John King, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a envoyé le courriel suivant à Stockwell Day, ministre de la Sécurité publique (à ce moment-là) avec copie au premier ministre Stephen Harper, au président du Conseil du Trésor, John Baird (à ce moment-là), au Toronto Star et à Jacques Bourbeau de Global News (pièce G-1, onglet 1) :

[Traduction]

[…]

M. Day,

La preuve démontre clairement qu’il y a, parmi les titulaires de postes clés à l’ASFC, des individus qui manquent de franchise et d’honnêteté. Ils sont en fait une honte pour l’organisation. En dépit de la preuve et des plaintes que vous avez reçues à propos de ces personnes, vous continuez de m’ignorer et de ne faire aucun cas de mes allégations et ces personnes continuent de mal administrer l’Agence, de ruiner la carrière de gens comme moi qui doivent se résoudre à recourir à d’autres moyens pour attirer l’attention sur les problèmes de sécurité à la frontière canadienne, les problèmes de santé et de sécurité, les violations du Code de valeurs et d’éthique, etc. tout en étant soumis aux vexations continuelles de ceux qui tentent de dissimuler la vérité.

Je ne suis pas sûr que vos conseillers ou vous-même comprenez la signification et les conséquences de votre refus de répondre à mes lettres ou de faire enquête sur mes allégations, mais une chose est sûre, c’est que vous-même, M. Harper et John Baird avez eu amplement l’occasion de le faire.

Indépendamment de la situation au travail, je nourrissais de grands espoirs pour votre parti après avoir été témoin de la corruption qui régnait au sein du gouvernement libéral. Je suis maintenant convaincu que la promesse du Parti conservateur, au cours de la dernière campagne électorale, de lutter contre la corruption n’était rien de plus qu’une manœuvre opportuniste pour évincer les Libéraux et pour s’emparer du pouvoir. Maintenant que c’est votre parti qui gouverne, vous faites la sourde oreille aux graves allégations portées à votre attention. C’est là une triste réalité de la politique canadienne.

Le 19 juin 2006,le président de l’ASFC a témoigné devant un comité sénatorial. Voici comment le sénateur Campbell a réagi aux propos d’Alain Jolicoeur : « Très respectueusement, vous vous défilez. Je suis nouveau au sein de ce comité et je n’en crois pas mes oreilles. Je n’arrive pas à croire ce que j’entends. Est-ce que nous prenons le terrorisme au sérieux, et les gens qui entrent chez nous illégalement? Vous ne pouvez pas vous défiler en disant qu’il y a des centaines d’endroits où les gens peuvent entrer au pays. Je sais bien qu’il y a des centaines d’endroits. Mais c’est vous qui êtes responsable des postes frontaliers. Quand vous êtes venu ici en octobre, vous nous avez dit qu’il n’y avait aucun registre indiquant combien de personnes forçaient le passage à la frontière. Maintenant, nous avons le chiffre de 1 600. D’où sort-il?

Je vous prie d’agréer, M. Day, mes salutations distinguées.

John King

2 Lorsqu’il a rédigé cette lettre, le fonctionnaire était un employé de l’Agence des services frontaliers du Canada (le « défendeur » ou l’« ASFC »). Il occupait le poste d’agent des services frontaliers (anciennement le poste d’inspecteur des douanes) aux Opérations des passagers à l’aéroport international Pearson (l’« aéroport Pearson »). Il était également président de la section du district de l’Ontario de la Customs Excise Union Douanes Accise (CEUDA), un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, l’agent négociateur accrédité.

3 Dans une lettre datée du 2 novembre 2006 (pièce R-1, onglet 39), John Gillan, directeur général régional, agglomération de Toronto (AT), ASFC, indique au fonctionnaire qu’il considère l’envoi du courriel comme une faute de conduite et que pour cela il lui impose une suspension disciplinaire de 20 jours sans solde. Voici un extrait de cette lettre :

[Traduction]

[…]

Le fait que vous ayez fait parvenir à des représentants des médias un document contenant des allégations sans fondement contre votre employeur constitue une faute de conduite grave qui va à l’encontre du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique […]

Le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique donne des directives très précises aux employés qui croient posséder de l'information concernant un acte fautif commis au travail. Il leur indique qu’ils doivent renvoyer l’affaire devant l'agent supérieur désigné par l'administrateur général aux termes de la Politique sur la divulgation interne d'information concernant des actes fautifs au travail. Le Code dit également que si le problème n'est pas examiné comme il se doit à ce niveau, ou si le fonctionnaire estime que la dérogation au Code ne peut être divulguée en confiance dans son organisation, le problème peut alors être renvoyé à l'agent de l'intégrité de la fonction publique.

Vous êtes parfaitement au courant du nom et des coordonnées de l’agent supérieur désigné par l’ASFC aux termes de la Politique sur la divulgation interne d’information concernant des actes fautifs au travail […]

Compte tenu de ce qui précède, j’estime que vous avez commis une faute de conduite […]

[…]

4 Le fonctionnaire a déposé un grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs, le 4 novembre 2006, afin de contester la décision de M. Gillan. Il demandait la mesure corrective suivante :

[Traduction]

[…]

JE VEUX ÊTRE INDEMNISÉ INTÉGRALEMENT.

JE VEUX QU’ON PRENNE IMMÉDIATEMENT LES MESURES NÉCESSAIRES POUR PROTÉGER MES DROITS PERSONNELS ET MON DROIT, À TITRE D’EMPLOYÉ, À UNE PROCÉDURE ÉQUITABLE ET POUR QUE LA DIRECTION DE L’ASFC CESSE DE VIOLER CES DROITS.

JE VEUX QU’ON M’INFORME RAPIDEMENT DE TOUTE MESURE QUI EST PRISE CONFORMÉMENT À LA DEMANDE SUSMENTIONNÉE.

JE VEUX QU’ON M’INFORME RAPIDEMENT DE TOUTE MESURE CORRECTIVE QUI EST PRISE EXPRESSÉMENT CONTRE JOHN GILLAN POUR REMÉDIER À L’ABUS DE POUVOIR CONNEXE.

JE VEUX ÊTRE INDEMNISÉ POUR LES SOUFFRANCES ET DOULEURS ET LA DIFFAMATION QUE J’AI SUBIES.

[…]

5 Après avoir essuyé un échec au dernier palier de la procédure de règlement des griefs (pièce G-1, onglet 10), le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), le 4 mai 2007, en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la « Loi »).

6 Le président de la Commission m’a désigné comme arbitre de grief pour entendre et trancher l’affaire. Je dois décider, dans la présente décision, si le défendeur a prouvé que, selon la prépondérance des probabilités, le fonctionnaire a commis une faute de conduite et, le cas échéant, si la suspension de 20 jours sans solde qui lui a été imposée était la sanction appropriée.

II. Résumé de la preuve

7 Les parties ont produit une preuve volumineuse et détaillée après que j’eus accepté d’exclure les témoins. Huit personnes qui travaillent actuellement ou qui travaillaient à l’ASFC ont témoigné pour le compte du défendeur, ce sont : (dans l’ordre) Gerry Derouin, vice-président, Direction générale du contrôle, et chef des Services financiers; Bruce Herd, directeur des Ressources humaines, AT; Norm Sheridan, directeur de district, Opérations des passagers, aéroport Pearson; Barbara Hébert, vice-présidente, Opérations; Hélène Mombourquette, gestionnaire des recours, Relations de travail; Ricardo Ramnarace, surintendant, équipe du système intégré d’exécution des douanes, aéroport Pearson; M. Gillan; Rhonda Raby, chef, Opérations, Centre international de traitement du courrier, aéroport Pearson; Mandeep Dhanjal, conseiller en relations de travail, AT.

8 Seul le fonctionnaire a témoigné pour son compte.

A. Chronologie des événements — témoins du défendeur

9 Je présente ci-après ma version de la chronologie des principaux événements ayant un rapport avec la présente affaire, que j’ai établie à partir de la preuve du défendeur.

10 Tout a commencé au début de 2002 lorsqu’un document — la « feuille de calcul Kingman » —, a été distribué à 147 inspecteurs des douanes. Le document dressait la liste d’« incidents critiques » survenus à des postes frontaliers ou à d’autres points d’entrée au Canada, où des inspecteurs des douanes avaient été contraints de faire usage de la force. M. Sheridan a déclaré que la direction de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (à ce moment-là) craignant que l’information contenue dans la feuille de calcul soit rendue publique et qu’elle avait demandé à tous les destinataires de détruire leurs copies. Selon M. Sheridan, les destinataires avaient presque tous obtempéré, sauf le fonctionnaire.

11 Le refus du fonctionnaire d’obéir à l’ordre de détruire la feuille de calcul Kingman lui a valu une suspension d’un jour, puis une suspension de 10 jours. Le fonctionnaire a déposé quatre plaintes (et Emerson Waugh quatre autres) pour contester ces sanctions, en vertu de l’article 23 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne LRTFP »), et de l’article 147 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le « Code »).

12 Dans leur argumentation devant l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission »), les plaignants, qui se représentaient eux-mêmes, ont fait notamment valoir l’argument suivant, comme en fait foi la décision King et Waugh c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CRTFP 3 (pièce R-1, onglet 4) (« King et Waugh ») :

[…]

[62]    L'ordre de l'employeur était illégal, puisqu'il constituait une infraction du paragraphe 430(1) du Code criminel. L'employeur a mal agi en faisant obstacle à l'utilisation légale des données en question.

[…]

L’ancienne Commission a accueilli les plaintes. Dans ses motifs, le vice-président a observé ceci, à propos de l’allégation des fonctionnaires s’estimant lésés selon laquelle « [l’]ordre de l’employeur était illégal […] » :

[…]

[114]   Je ne crois pas nécessaire non plus de me prononcer sur une allégation […] d'infraction du Code criminel.

[…]

13 En plus de déposer des plaintes en vertu de l’ancienne LRTFP et du Code, le fonctionnaire a poursuivi ses efforts auprès d’autres instances pour obtenir des accusations criminelles avant que son cas soit entendu par l’ancienne Commission. En 2002, il a déposé une dénonciation devant un juge de paix, à Brampton (Ontario), l’exhortant sans succès à porter des accusations criminelles contre M. Sheridan et Mme Hébert pour avoir ordonné la destruction de la feuille de calcul Kingman.

14 Le 13 août 2002, le fonctionnaire et M. Waugh se sont présentés au détachement de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à l’aéroport Pearson. M. Sheridan a déclaré qu’il avait cru comprendre que le fonctionnaire et M. Waugh avaient accusé M. Sheridan et Mme Hébert d’avoir violé le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, en ordonnant la destruction de la feuille de calcul Kingman. M. Sheridan a ajouté qu’on l’avait informé, à cette époque-là, que la GRC n’avait pas vu la situation comme une affaire criminelle et qu’elle avait dit au fonctionnaire et à M. Waugh qu’il s’agissait plutôt d’un problème de relations de travail qu’ils devaient régler avec leur employeur.

15 M. Ramnarace a déclaré qu’on l’avait chargé de s’informer des détails de la rencontre et de récupérer toute copie de la feuille de calcul Kingman que le fonctionnaire et M. Waugh avaient laissé à la GRC. Il avait donc communiqué avec la GRC pour savoir ce qui s’était dit à la réunion et transmis l’information par courriel à M. Herd, le 30 août 2002 (pièce R-2). Il a déclaré qu’il avait envoyé une copie du courriel à la personne-ressource désignée de la GRC afin de faire confirmer l’exactitude de son résumé. Le passage essentiel du courriel est reproduit ci-après :

[Traduction]

[…]

[…] le sergent McAllister […] a indiqué que des membres de la CEUDA, en l’occurrence M. King et M. Waugh, s’étaient présentés au détachement de la GRC à l’aéroport et qu’ils avaient eu un entretien avec l’agent Eric Gaudreault. Le sergent McAllister a ajouté que M. King et M. Waugh avaient formulé des réserves à propos de l’ordre qu’ils avaient reçu de la direction de l’ADRC de détruire ou de remettre les documents qu’ils avaient en leur possession et qu’ils avaient demandé à l’agent Gaudreault si l’ADRC avait légalement le droit de faire une telle demande. Ils lui avaient alors remis une copie des documents en question. L’agent Gaudreault avait déclaré qu’il n’y avait pas matière à instituer une enquête criminelle. Il leur avait dit que puisqu’il s’agissait d’un problème de relations de travail, la meilleure chose à faire était de communiquer avec un avocat pour en discuter. En quittant le détachement de la GRC, M. King et M. Waugh avaient chacun remis un dossier contenant les documents en question.

[…]

16 Le 15 mars 2005, deux mois après la décision King et Waugh, le fonctionnaire a écrit à Alain Jolicoeur, président de l’ASFC (pièce R-1, onglet 5), pour attirer son attention sur les quatre dispositions suivantes du Code criminel : l’article 122 (abus de confiance par un fonctionnaire public), l’article 126 (désobéissance à une loi), l’article 139 (entrave à la justice) et l’article 430 (méfait). Il ajoutait ensuite ceci :

[Traduction]

[…]

Nous affirmons que Norm Sheridan, directeur des Opérations des passagers, aéroport international Lester B. Pearson, A.S.F.C., et Barbara Hébert, vice-présidente, Opérations, A.S.F.C., ont contrevenu à l’une, voire à plusieurs des dispositions susmentionnées, au détriment de Emerson Waugh et de John King.

Des renseignements seront communiqués au moment opportun durant le processus d’enquête pour étayer ces allégations.

[…]

17 M. Derouin a déclaré que M. Jolicoeur lui avait transmis le courriel, en sa qualité d’agent supérieur responsable de la Division des affaires internes (DAI) à l’ASFC, pour qu’il lui dise quoi faire. M. Derouin a précisé qu’il ne faisait pas personnellement enquête sur ce genre de plaintes et qu’il avait fait suivre le courriel aux agents de la DAI pour qu’ils l’évaluent et formulent des recommandations.

18 Le 3 mai 2005, M. Derouin a envoyé un courriel au fonctionnaire pour accuser réception de sa plainte (pièce R-1, onglet 6). En référence à la déclaration du fonctionnaire à propos des « renseignements » qu’il entendait communiquer pour « étayer » ses allégations, M. Derouin a indiqué qu’il n’avait pas suffisamment d’information pour déterminer s’il y avait matière à enquête et qu’il ne pouvait pas pousser l’affaire plus loin [traduction] « […] à moins d’obtenir suffisamment de détails sur les prétendus actes fautifs ». Il a également renvoyé le fonctionnaire à la Politique sur la divulgation interne d’information concernant des actes fautifs au travail (pièce R-1, onglet 7) (la « Politique sur la divulgation »), qui pouvait être une procédure de recours.

19 Le fonctionnaire a répondu le lendemain (pièce G-1, onglet 18). Il a écrit que M. Derouin devait se renseigner sur la dénonciation qu’il avait déposée devant le juge de paix et d’en obtenir une copie auprès de M. Sheridan ou de Mme Hébert ou, sinon, auprès du fonctionnaire lui-même. Il s’est aussi engagé à lui faire parvenir un exemplaire de la décision King et Waugh et s’est offert à rencontrer M. Derouin une fois que celui-ci aurait reçu les documents [traduction] « […] afin que [le fonctionnaire] puisse lui fournir des renseignements/commentaires supplémentaires ». M. Derouin a déclaré qu’il avait transmis le courriel du fonctionnaire daté du 4 mai 2005 et d’autres documents à la DAI et qu’il avait également rencontré le fonctionnaire [traduction] « une ou deux fois ». L’agent de la DAI en charge du dossier l’avait informé que les renseignements fournis n’étaient d’aucune utilité pour la DAI. M. Derouin a fait savoir au fonctionnaire qu’il ne pouvait pas instituer une enquête tant qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements.

20 Dans un courriel à M. Herd daté du 13 mai 2005 (pièce R-1, onglet 10), le fonctionnaire a écrit qu’il avait rencontré M. Derouin la veille et qu’il lui avait fourni des détails de vive voix sur la dénonciation déposée devant le juge de paix. M. Derouin a déclaré qu’il se rappelait seulement que le fonctionnaire avait fait des commentaires très généraux durant leurs rencontres, sans fournir de détails particuliers sur les allégations de faute criminelle contre M. Sheridan et Mme Hébert. M. Derouin avait réagi très négativement lorsqu’il avait pris connaissance du courriel du fonctionnaire à M. Herd par la suite. Il estimait que le courriel du fonctionnaire dénaturait la situation en laissant entendre que M. Derouin avait déjà décidé d’instituer une enquête. Il a envoyé un courriel au fonctionnaire, le 17 mai 2005 (pièce R-1, onglet 11), [traduction] « […] pour dire clairement qu’il n’y a absolument pas d’enquête en cours […] » et pour l’aviser qu’il devait [traduction] « […] [se] garder de faire des allégations sans fondement et de répandre de faux renseignements à propos d’employés de l’Agence ». Il a renvoyé de nouveau le fonctionnaire à la Politique sur la divulgation.Il a conclu le courriel en disant qu’il n’avait [traduction] « […] pas l’intention de donner suite [aux] allégations [du fonctionnaire] ».

21 Le 13 mai 2005, M. Derouin a reçu un courriel de Mme Hébert, qui lui posait la question suivante : [traduction] « Gerry, tu enquêtes? » (pièce R-1, onglet 10). Il lui a téléphoné pour lui dire qu’il n’y avait pas d’enquête. Durant son témoignage, Mme Hébert a déclaré que la seule raison pour laquelle elle a envoyé le courriel était qu’elle voulait seulement savoir ce qui se passait, puisqu’elle était personnellement visée par l’allégation de criminalité du fonctionnaire.

22 Le 18 mai 2005, le fonctionnaire a transmis à M. Jolicoeur le courriel de M. Derouin daté du 13 mai 2005 (pièce G-1, onglet 20). Il a prétendu que M. Derouin n’était pas en mesure de conclure à des [traduction] « allégations sans fondement » ou que le fonctionnaire [traduction] « répand[ait] de faux renseignements ». Il a émis l’opinion que les [traduction] « conclusions/positions préétablies » de M. Derouin justifiaient un examen de sa conduite et il a demandé à M. Jolicoeur de transmettre les allégations contre M. Sheridan et Mme Hébert à la DAI.

23 Le 20 juin 2005, le fonctionnaire a écrit directement au premier ministre Paul Martin (à ce moment-là), sur du papier à en-tête de la CEUDA, à titre de président de la section du district de Toronto de la CEUDA (pièce R-1, onglet 12). Il a également envoyé une copie de sa lettre à la ministre de la Sécurité publique et de la protection civile, Anne McClellan (à ce moment-là), avec un certain nombre de documents, dont la décision King et Waugh. Il a présenté sa lettre comme une [traduction] « [p]lainte de dérogation à une obligation » contre M. Jolicoeur. En voici un extrait :

[Traduction]

[…]

Moi, John King, atteste par les présentes que de multiples violations ont été et continuent d’être commises sous le régime de diverses lois du Parlement par des hauts dirigeants de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et que Alain Jolicoeur, président, a refusé jusqu’à maintenant d’en prendre acte ou de faire enquête.

Certaines des violations alléguées et confirmées sont visées notamment à la partie 2 du Code canadien du travail, à  la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, au Code criminel, à la Charte des droits et libertés, à la Déclaration canadienne des droits et à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[…]

Le fonctionnaire a décrit les circonstances dans lesquelles il avait écopé d’une suspension de 30 jours en juillet 2004 pour avoir écrit à Tom Ridge, ancien secrétaire d’État américain à la sécurité intérieure (pièces R-1, onglet 2 et 3). Il a présenté la restriction qui lui avait été imposée par le truchement de la suspension comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] une violation très grave et persistante de mes droits fondamentaux, en tant que citoyen, car je ne peux plus jouir de la liberté d’expression fondamentale que me garantit la Charte canadienne des droits et libertés.

[…]

24 Le fonctionnaire est revenu à la charge en envoyant d’autres courriels au premier ministre Martin et la ministre McClellan, le 30 juin et le 22 juillet 2005, dans lesquels il leur reprochait de n’avoir rien fait pour ordonner la tenue d’une enquête (pièce R-1, onglet 13). Dans le dernier courriel, il les a prévenus qu’il s’apprêtait [traduction] « à faire des révélations à la presse » s’ils n’ordonnaient pas la tenue d’une « enquête formelle » et déclarait ceci :

[Traduction]

[…]

Comprenez bien que vous avez tout intérêt à adopter le plan d’action décrit ci-dessus, parce que c’est non seulement la chose juste et raisonnable à faire, mais aussi parce que cela vous évitera de voir étaler au grand jour ce qui constitue à mes yeux l’une des plus graves affaires de corruption gouvernementale et de tentative de camouflage à laquelle vous-mêmes ou vos cabinets êtes aujourd’hui directement mêlés.

[…]

25 À la suite du courriel du 20 juillet 2005, l’ASFC a envoyé à la ministre McLellan une note d’information signée par M. Jolicoeur (pièce R-1, onglet 14), dans laquelle on recommandait au cabinet de la ministre et au cabinet du premier ministre de ne prendre aucune mesure, pour la « [r]aison » suivante :

[Traduction]

[…]

M. King a déposé une multitude de plaintes contre Mme Hébert. Ces plaintes ont toutes été jugées sans fondement. La décision de la CRTFP à laquelle M. King fait référence est un document public. Sa plainte a été entendue par le tribunal administratif compétent et il a obtenu une mesure corrective. Il n’y a pas eu de déclaration de faute criminelle.

[…]

26 Pour bien comprendre le contexte, il faut savoir qu’en 2005, les représentants de la CEUDA, dont son président, Ron Moran, menaient une vigoureuse campagne auprès des parlementaires et dans les médias pour attirer l’attention sur les dangers auxquels étaient exposés les agents des douanes de première ligne (pièce G-1, onglets 31 à 35). Les communiqués de la CEUDA accusaient l’ASFC de divers méfaits, notamment d’avoir falsifié des rapports sur des incidents critiques. La CEUDA exigeait diverses réformes, dont la création d’une patrouille frontalière et le droit pour les agents des douanes de porter une arme. Dans une lettre — à tout le moins — à la ministre McClellan, datée du 1er septembre 2005 (pièce G-1, onglet 33), le président Moran a expressément fait allusion à la sanction disciplinaire imposée au fonctionnaire et à M. Waugh en 2002, ainsi qu’à la décision King et Waugh ayant annulé cette sanction.

27 Le fonctionnaire a poursuivi ses efforts, au cours de l’automne de 2005, pour obtenir une enquête en écrivant à Stephen Harper, chef de l’Opposition (à ce moment-là) (pièce R-1, onglet 17 et pièce G-1, onglet 24).

28 Le 14 décembre 2005, Patti Bordeleau, qui occupait un poste de niveau supérieur au sein de l’équipe des relations de travail à l’administration centrale de l’ASFC, a versé la note suivante au dossier (pièce R-1, onglet 15) :

[Traduction]

[…]

La présente vise à confirmer qu’après discussion avec la haute direction, il a été décidé de retenir la recommandation reçue précédemment, c’est-à-dire conseiller à la ministre de ne pas répondre au courriel du 21 juin 2005 de M. King au premier ministre accusant des membres de la direction de l’ASFC d’avoir commis des actes fautifs. Il a également été décidé de ne pas transmettre les allégations de M. King à l’agent supérieur chargé de la divulgation.

Cette décision a été prise parce que M. Derouin, l’agent supérieur chargé des enquêtes à l’ASFC, a déjà offert à M. King la possibilité de lui fournir des détails sur ses allégations. M. King n’ayant pas donné suite à cette offre, il n’y a pas eu d’enquête. Le dossier n’a pas été transmis à l’agent supérieur en charge de la divulgation parce que l’ASFC avait déjà offert à M. King la possibilité de fournir des détails au contrôleur, qui possède un mandat et des pouvoirs d’enquête plus vastes que ceux de l’agent supérieur chargé de la divulgation.

[…]

29 Après l’arrivée au pouvoir du Parti conservateur, au lendemain des élections nationales du 23 janvier 2006, le fonctionnaire a repris ses efforts de plus belle en envoyant des courriels au nouveau ministre de la Sécurité publique, Stockwell Day, le 15 et le 19 avril 2006 (pièce R-1, onglet 18).

30 À la suite d’un incident séparé, M. Gillan a imposé une suspension de 30 jours au fonctionnaire, le 19 juin 2006 (pièce R-1, onglet 24). M. Herd a déclaré que les parties avaient conclu une entente à une date ultérieure avec l’aide d’un médiateur pour remplacer la sanction par une suspension de cinq jours (pièce G-2). Cependant, lorsque M. Gillan a imposé la mesure disciplinaire qui est l’objet du présent cas, la suspension de 30 jours figurait toujours au dossier du fonctionnaire. L’arbitrage d’une suspension de 30 jours imposée précédemment pour la « lettre Ridge » est resté en suspens.

31 Le 8 juin 2006, le fonctionnaire a écrit de nouveau au ministre Day. Le 29 juin 2006, il a envoyé une longue [traduction] « Plainte contre l’Agence des services frontaliers du Canada » au premier ministre, au ministre Day et au président du Conseil du Trésor, John Baird (pièce R-1, onglet 26), dans laquelle il a expliqué pourquoi il contestait la suspension de 30 jours que M. Gillan lui avait imposée au début du mois. Il disait que la sanction [traduction] « […] fai[sait] partie d’un plan et d’une vendetta personnelle continue menés par certains hauts dirigeants de l’ASFC […] » Il a aussi mentionné la suspension qui lui avait été imposée pour la lettre Ridge. Il a ensuite poursuivi aves ses allégations de faute criminelle contre M. Sheridan et Mme Hébert. Je reproduis ci-après le passage pertinent :

[Traduction]

[…]

En septembre 2002, j’ai déposé une plainte devant la Cour de justice de l’Ontario dans laquelle j’alléguais que deux membres de la direction de l’ASFC avaient commis des infractions visées au Code criminel. J’alléguais plus particulièrement qu’ils avaient violé l’article 430, le paragraphe 139(2) et l’article 118. Il se trouve que les deux intéressés ont reçu des promotions depuis.

L’avocat de la Couronne […] a réussi à faire rejeter ma plainte […]

Je ne me souviens pas que l’avocat de la Couronne ait plaidé que mes allégations d’infraction au Code criminel étaient sans fondement.

Lorsque la même question a été soulevée devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique, l’arbitre de grief a déclaré, avec raison, qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur des affaires criminelles […]

[…] L’ASFC a perdu sa cause devant la Commission, ce qui confirme que mes allégations de criminalité sont fondées.

[…]

Ce n’est pas par négligence ni par manque de bonne volonté que je n’ai pas fourni de détails sur mes allégations contre les hauts dirigeants de l’Agence, mais uniquement parce que M. Derouin a refusé de faire enquête.

On ne m’a pas offert la possibilité de présenter des preuves dans le cadre d’une enquête et l’employeur ne m’a pas contraint à le faire […]

[…]

À la lumière de ce qui précède, il est raisonnable de conclure qu’il y a actuellement, parmi les hauts dirigeants qui assurent la sécurité de la frontière canadienne, des personnes qui ont commis des actes criminels et qui n’ont jamais eu à en répondre.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

32 Trois jours avant d’avoir envoyé la [traduction] « Plainte contre l’Agence des services frontaliers du Canada », le fonctionnaire a envoyé un courriel à MM. Gillan, Jolicoeur et Herd et à Mme Hébert pour obtenir le nom et les coordonnées de l’agent supérieur chargé des dénonciations à l’ASFC aux termes de la Politique sur la divulgation. L’information lui a été communiquée par M. Herd (pièce R-1, onglet 25).

33 Le 4 juillet 2006, le fonctionnaire a envoyé de nouveau un courriel au premier ministre, au ministre Day et au président du Conseil du Trésor, John Baird, dans le but de leur fournir un « commentaire supplémentaire » (pièce R-1, onglet 28). En voici un extrait :

[Traduction]

[…]

Je n’envisage pas pour l’instant d’envoyer une copie de ma plainte aux médias, mais je n’ai pas l’intention d’attendre indéfiniment pour savoir si vous-mêmes ou vos cabinets avez l’intention d’intervenir ou si vous projetez de me laisser attendre pendant des années que ces questions se règlent par les voies de recours habituelles.

[…]

Je demande qu’on m’offre la possibilité de présenter des preuves pour étayer les allégations contenues dans mes lettres de plainte et j’espère que vous me donnerez prochainement des indications sur les mesures que vous avez l’intention de prendre.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

34 Le 17 août 2006, M. Jolicoeur a écrit au fonctionnaire au nom du ministre Day [traduction] « […] en réponse à [ses] courriels […] des 15 et 19 avril et du 29 juin 2006 concernant des allégations d’actifs fautifs et la suspension de 30 jours qui [lui] a[vait] été imposée le 19 juin 2006 » (pièce R-1, onglet 27). M. Jolicoeur a indiqué que le fonctionnaire n’a jamais fourni à M. Derouin les détails de ses allégations contre M. Sheridan et Mme Hébert. Il a joint un exemplaire de la Politique sur la divulgation et a renvoyé le fonctionnaire à l’agent supérieur désigné par l’ASFC ou l’agent de l’intégrité de la fonction publique (AIFP). Après avoir relevé le commentaire du fonctionnaire selon lequel il n’envisageait pas « pour l’instant » d’envoyer une copie de sa plainte aux médias, M. Jolicoeur a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Je tiens à vous rappeler que les employés doivent divulguer les actes fautifs conformément aux directives contenues dans la politique du SCT. Cela signifie que c’est seulement dans des cas exceptionnels qu’un employé peut être fondé à divulguer de l'information à l'extérieur, par exemple, lorsqu'il y un danger immédiat pour la vie, la santé et la sécurité du public. Vous vous exposez à des sanctions disciplinaires si vous divulguez des renseignements à l’extérieur sans en avoir obtenu l’autorisation.

[…]

35 Le 25 août 2006, le fonctionnaire a de nouveau envoyé un courriel au premier ministre, au ministre Day et au président du Conseil du Trésor, John Baird (pièce R-1, onglet 28). Après avoir observé qu’il s’attendait à écoper de [traduction] « [s]anctions disciplinaires de plus en plus sévères » pour ne pas avoir fourni de détails sur ses allégations [traduction] « […] depuis qu’[il] a soumis de nouveau les mêmes allégations à chacun [d’eux] […] », le fonctionnaire a écrit ceci :

[Traduction]

[…]

Je tiens à souligner qu’avant de m’imposer une seconde sanction pour une faute de conduite alléguée répétitive, on doit m’accorder le droit à l’équité procédurale et me donner l’occasion de fournir des renseignements pour corroborer mes allégations […]

Je répète qu’on a refusé, jusqu’à maintenant, de me donner cette occasion dans le cadre d’un processus d’enquête pertinent ou formel.

[…]

À ce stade-ci, je dois également m’acquitter d’une autre obligation en vous faisant chacun une mise en garde.

Veuillez noter que je considère tout refus persistant, de votre part et de la part de vos cabinets respectifs, de prendre les mesures voulues comme du harcèlement et une conduite qui cautionne l’ingérence et les abus de pouvoir persistants que je dénonce dans la plainte que j’ai envoyée à chacun de vous le 29 juin. Je serai donc contraint de désigner chacun de vous comme défendeur dans toute plainte future que je pourrais déposer en vertu de la LRTFP si je me vois obligé de recourir à ce moyen pour me protéger et pour protéger mes droits ou pour m’assurer que les infractions connexes et persistantes commises par des hauts dirigeants de l’ASFC ne restent pas impunies.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

36 Deux semaines plus tard, le 7 septembre 2006, le fonctionnaire a envoyé le courriel qui a donné lieu à la suspension de 20 jours (pièce G-1, onglet 1).

37 Le 8 septembre 2006, M. Gillan a envoyé un courriel au fonctionnaire, dans lequel il mentionnait la lettre de M. Jolicoeur datée du 17 août 2006. En réponse à ce courriel, le fonctionnaire a écrit à M. Jolicoeur et à d’autres pour leur faire savoir qu’il n’avait pas reçu cette lettre. M. Herd a informé le fonctionnaire, le 11 septembre 2006, que la direction locale avait trouvé une copie de la lettre de M. Jolicoeur dans une enveloppe décachetée, sur le bureau du fonctionnaire, au terminal 3 de l’aéroport Pearson. Le fonctionnaire a alors demandé une copie numérisée de la lettre, que M. Herd lui a fait parvenir. Le 10 octobre 2006, le fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Jolicoeur pour savoir [traduction] « […] comment il se fai[sait] que la lettre [était] arrivée dans une enveloppe décachetée et qu’on a[vait] mis presque un mois à […] la [lui] faire parvenir […] » (tous les documents contenus dans la pièce G-1, onglet 28).

38 Le 12 octobre 2006, le fonctionnaire a envoyé un courriel à l’AIFP au sujet de l’aspect « protégé » de la lettre de M. Jolicoeur (pièce G-1, onglet 28), dans lequel il a formulé également la demande suivante :

[Traduction]

[…]

J’aimerais également avoir votre opinion sur le refus de représentants du gouvernement de faire enquête sur des allégations formelles de criminalité qui ont été portées à leur connaissance pour la deuxième fois. Ce refus participe à mon sens d’une tentative de camouflage que je n’ai pas l’intention de laisser impunie, sachant que l’employeur a refusé arbitrairement de faire enquête sur ces allégations ou de les prendre en considération la première fois.

[…]

39 Le 17 octobre 2006, M. Gillan a informé le fonctionnaire qu’on le convoquait à une réunion disciplinaire le lendemain afin de lui donner l’occasion d’expliquer son courriel du 7 septembre 2006 (pièce R-1, onglets 34 et 37). Plus tard cette journée-là, le fonctionnaire a envoyé un courriel à Paul Burkholder, vice-président, Ressources humaines, avec copie à M. Gillan et à d’autres (pièce R-1, onglet 35), dans lequel il exprime notamment des réserves à propos de l’autorité de M. Gillan pour convoquer une réunion disciplinaire.

40 Le 18 octobre 2006, M. Burkholder a répondu au fonctionnaire que M. Gillan possédait [traduction] « [l]a délégation de pouvoir nécessaire pour imposer des mesures disciplinaires et [qu’il] appliqu[ait] le principe de l’équité procédurale en [lui] offrant la possibilité de justifier [sa] conduite ». Par retour de courriel l’après-midi même (pièce R-1, onglet 36), le fonctionnaire a étoffé ses réserves à propos de M. Gillan et sur d’autres points.

41 Ce jour-là encore, le fonctionnaire a envoyé un courriel au premier ministre, au ministre Day et au président du Conseil du Trésor, John Baird (pièce R-1, onglet 37). Ayant appris que le cabinet du ministre Day n’avait pas l’intention d’intervenir dans l’enquête disciplinaire, il a conclu dans les termes suivants :

[Traduction]

[…]

Pourquoi ne voulez-vous pas en apprendre davantage ou me donner la chance d’éclairer votre lanterne sur ces points?

Pourquoi continuez-vous de me laisser à la merci de hauts dirigeants qui se protègent les uns les autres en violant les droits d’employés qui ont épuisé les procédures internes sans succès et qui doivent ensuite se résoudre à utiliser les autres moyens qui restent à leur disposition pour dénoncer des infractions/actes fautifs au sein du gouvernement et obtenir justice?

Non seulement tous ceux à qui je demande de l’aide, y compris les parlementaires, refusent d’examiner ou d’enquêter mes allégations passées et la plainte que j’ai soumise aux ministres le 29 juin 2006, mais voilà que Stockwell Day a chargé Alain Jolicoeur de répondre à cette plainte en son nom.

Si chacun de vous daignait seulement prendre le temps de mettre un frein à des actes qui affligent l’administration de l’actuel gouvernement, toute la population canadienne serait mieux servie.

Je reprends ici le célèbre slogan de la grève de 1991 : je peux me trouver un autre emploi, mais je ne peux me trouver un autre pays.

[…]

42 Le fonctionnaire ne s’est pas présenté à la réunion disciplinaire du 18 octobre 2006.

43 Le 2 novembre 2006, M. Gillan a délivré la lettre disciplinaire au fonctionnaire (pièce R-1, onglet 39).

B. Autre preuve des témoins du défendeur

1. M. Derouin

44 M. Derouin a renvoyé à la Politique sur les pertes de deniers et infractions et autres actes illégaux commis contre la Couronne qui était en vigueur en 2005 et en 2006 (pièce R-1, onglet 9). Il a déclaré qu’il avait appliqué la procédure décrite dans cette politique après avoir constaté qu’il n’avait pas suffisamment d’information pour faire enquête sur les allégations du fonctionnaire. Il a attiré l’attention sur le passage suivant de la politique, qui décrit la procédure à suivre :

[…]

Tout examen préliminaire effectué par un ministère ne devrait avoir pour but que de vérifier si une allégation est fondée. Dès qu'il y a motif raisonnable de soupçonner qu'une allégation puisse être fondée, il faudrait en faire rapport de la façon indiquée à l'appendice C.

[…]

45 M. Derouin a déclaré que même s’il a écrit que les « allégations [sont] sans fondement » dans son courriel du 17 mai 2005 au fonctionnaire (pièce R-1, onglet 11), cela ne veut pas dire qu’il a tiré des conclusions à propos des allégations contre M. Sheridan et Mme Hébert. Selon M. Derouin, le dossier n’était pas fermé, mais il ne disposait pas de renseignements suffisants pour instituer une enquête. Il a déclaré qu’il ne se rappelait pas si le fonctionnaire avait communiqué avec lui après le 17 mai 2005.

46 M. Derouin a expliqué qu’il avait toujours cru que le fonctionnaire agissait en son nom personnel. Le fonctionnaire ne lui a jamais dit que le syndicat partageait son point de vue. M Derouin a confirmé qu’aucun autre agent négociateur n’était venu le voir avec des allégations semblables.

47 En contre-interrogatoire, M. Derouin a admis qu’il savait que le fonctionnaire occupait une charge syndicale à plein temps et qu’il avait la réputation de défendre énergiquement ses membres.

48 M. Derouin n’était pas d’accord avec la proposition selon laquelle le fonctionnaire lui avait fourni beaucoup de détails sur la nature de ses préoccupations lorsqu’ils s’étaient rencontrés. Il a répété que le fonctionnaire avait fait des commentaires généraux sans donner de détails et que c’est pour cette raison qu’il lui avait demandé de fournir des renseignements complémentaires. Il a déclaré qu’il avait également besoin de ces précisions supplémentaires pour mieux connaître la genèse du problème. Cela dit, M. Derouin a confirmé qu’il avait pris connaissance de la décision King et Waugh et, partant, du résumé de la preuve sur les actes commis par M. Sheridan et par Mme Hébert. Il a déclaré qu’il ne comprenait quel rapport il y avait entre cette décision et les allégations criminelles que le fonctionnaire avait formulées en mai 2005 contre M. Sheridan et Mme Hébert. Il croyait que la décision avait résolu les différends passés. Il a déclaré qu’il ne savait pas si la DAI avait tenté d’obtenir la dénonciation de 2002 devant le juge de paix.

49 M. Derouin a soutenu que la dernière phrase de son courriel du 17 mai 2005 (pièce R-1, onglet 11) ne signifiait absolument pas qu’il avait classé l’affaire. Il a convenu qu’il était juste de dire que cette phrase n’invitait pas le fonctionnaire à lui fournir des renseignements supplémentaires. Il a refusé d’admettre qu’il laissait entendre au fonctionnaire que ses allégations étaient frivoles ou vexatoires ou faites de mauvaise foi. Sa préoccupation était que le fonctionnaire avait envoyé un courriel à M. Herd et à d’autres, dans lequel il laissait entendre qu’une enquête était en cours, et que le fonctionnaire pouvait ternir la réputation des parties en cause.

50 Le fonctionnaire a demandé à M. Derouin qu’est-ce qui lui avait fait croire que le fonctionnaire menait une croisade personnelle contre M. Sheridan et Mme Hébert, alors que la Commission avait conclu dans la décision King et Waugh que le défendeur avait violé les droits du fonctionnaire à titre de représentant syndical. M. Derouin a répondu qu’il se serait normalement attendu à ce qu’une personne qui représente le syndicat soit appuyée dans ses efforts par un autre dirigeant syndical ou que le syndicat inscrive ce point à l’ordre du jour de consultations syndicales-patronales. Or aucun des membres de l’exécutif de l’agent négociateur n’a fait la moindre allusion, à sa connaissance, aux allégations soulevées par le fonctionnaire. M. Derouin a cependant admis qu’il n’avait pas demandé au fonctionnaire s’il agissait en son nom personnel ou à tire de représentant du syndicat.

2. M. Herd

51 M. Herd a reconnu une lettre de Mme Hébert au fonctionnaire, datée du 22 février 2002 (pièce R-1, onglet 1). Cette lettre confirmait une entente intervenue avec l’aide d’un médiateur pour régler une plainte du fonctionnaire à propos de communications qu’il avait eues avec M. Sheridan parce que le fonctionnaire menaçait, semble-t-il, d’écrire au président des États-Unis, George W. Bush. M. Herd a également reconnu la lettre que le fonctionnaire a envoyée au secrétaire Ridge, le 22 mai 2004 (pièce R-1, onglet 2), et pour laquelle Mme Hébert lui a imposé une sanction disciplinaire (pièce R-1, onglet 3).

52 M. Herd a déclaré qu’il avait été surpris de recevoir le courriel du 13 mai 2005, dans lequel le fonctionnaire décrivait la réunion qu’il avait eue avec M. Derouin et indiquait que ce dernier lui avait demandé des documents pour étoffer ses allégations de criminalité contre M. Sheridan et Mme Hébert (pièce R-1, onglet 10). M. Herd a déclaré qu’il ne pensait pas que l’ASFC avait reçu une copie de la dénonciation devant le juge de paix en 2002 et qu’il en avait glissé un mot au fonctionnaire quelques jours plus tard.

53 M. Herd a confirmé qu’il y avait déjà deux sanctions disciplinaires au dossier du fonctionnaire lorsque M. Gillan lui a imposé une sanction disciplinaire. La première était la suspension de 30 jours que Mme Hébert lui avait imposée pour avoir écrit au secrétaire Ridge. La seconde était la suspension de 30 jours que M. Gillan lui avait imposée, le 19 juin 2006 (pièce R-1, onglet 24), et qui a ultérieurement été remplacée par une suspension de 5 jours.

54 M. Herd a expliqué que la direction avait vérifié sur le bureau qui est mis à la disposition du syndicat à l’aéroport Pearson et qu’elle y avait trouvé la lettre de M. Jolicoeur datée du 17 août 2006 (pièce R-1, onglet 27) dans une enveloppe décachetée. M. Herd a observé que d’autres représentants de l’agent négociateur avaient utilisé le bureau pendant que le fonctionnaire purgeait une suspension commençant le 6 août 2006.

55 En contre-interrogatoire, M. Herd a confirmé qu’il avait compris que le fonctionnaire avait envoyé son courriel du 13 mai 2005 en sa qualité de représentant de la CEUDA.

56 Interrogé au sujet du courriel de M. Ramnarace à propos de la rencontre que MM. King et Waugh avaient eue avec la GRC, en 2002 (pièce R-2), M. Herd a rejeté l’idée que MM. King et Waugh voulaient savoir s’ils commettaient une infraction en conservant des copies du document Kingman. Il a déclaré qu’il avait compris que M. King et M. Waugh avaient rencontré la GRC pour discuter des allégations criminelles contre M. Sheridan et Mme Hébert.

3. M. Sheridan

57 M. Sheridan a déclaré que le fonctionnaire n’était pas en congé de son poste d’agent des services frontaliers en septembre 2006. Il remplissait les fonctions de président de la section locale de la CEUDA, mais sa rémunération et ses avantages au niveau PM-3 étaient payés par le défendeur. Lorsque le fonctionnaire avait besoin d’un congé pour s’acquitter de ses responsabilités syndicales, il présentait une demande à cette fin en indiquant la ou les dates particulières en question. M. Sheridan a décrit la formule RC509 [traduction] « Fiche de temps et d’activité » du fonctionnaire pour diverses périodes comprises entre le 7 avril et le 15 septembre 2006, de même que les demandes de congé soumises par le fonctionnaire (pièce R-4). Il a également fourni des explications sur un résumé des congés utilisés par le fonctionnaire durant les exercices 2006-2007 et 2007-2008 (pièce R-6). Il a déclaré qu’il n’existait pas d’entente écrite formelle entre la direction et le fonctionnaire quant à l’utilisation des congés payés pour affaires syndicales mais qu’il était entendu depuis longtemps que le fonctionnaire devait présenter une demande pour obtenir ce type de congé. Même si le fonctionnaire a cessé de porter l’uniforme en 2000, il demeurait un employé de l’ASFC et rien ne le soustrayait à l’obligation d’accomplir ses fonctions.

58 M. Sheridan a déclaré qu’il n’avait pas reçu de copie de la dénonciation de 2002 devant le juge de paix. Le fonctionnaire lui avait mentionné, à deux reprises au moins, qu’il tentait d’obtenir des accusations criminelles contre lui. Un jour de février 2006, à l’issue d’une réunion de consultation, le fonctionnaire lui avait dit qu’il [traduction] « […] ne [lui] en v[oulait] pas personnellement, mais [qu’il] d[evait] aller jusqu’au bout ». Il lui avait également conseillé de transférer le titre de propriété de sa résidence à son épouse, car il avait l’intention d’engager une action contre lui.

59 M. Sheridan a déclaré que même si le fonctionnaire ne désignait pas nommément M. Sheridan et Mme Hébert dans le courriel du 7 septembre 2006 (pièce G-1, onglet 1), il était facile de comprendre que c’était d’eux dont il était question, puisqu’il les avait déjà accusés d’avoir commis des actes criminels.

60 En contre-interrogatoire, M. Sheridan a déclaré que le sergent McAllister du détachement de la GRC lui avait confirmé que la discussion entre le fonctionnaire, M. Waugh et la GRC avait porté essentiellement sur les allégations de criminalité contre la direction de l’ASFC.

61 M. Sheridan a rejeté la proposition que la déclaration du fonctionnaire, en février 2006, qu’il [traduction] « […] ne [lui] en v[oulait] pas personnellement […] » voulait tout simplement dire que le fonctionnaire se croyait obligé, à titre de représentant syndical, de pousser l’affaire jusqu’au bout. M. Sheridan a déclaré qu’il avait compris que cela voulait dire que le fonctionnaire agissait à titre personnel pour défendre sa réputation personnelle et non pas en sa qualité de représentant syndical. Il était [traduction] « pas mal certain » que le fonctionnaire lui avait conseillé de transférer le titre de propriété de sa résidence à son épouse et qu’il l’avait menacé d’engager une action civile et de déposer des accusations criminelles contre lui.

62 M. Sheridan a confirmé que le numéro de téléphone indiqué dans le courriel du 7 septembre 2006 était celui du téléphone cellulaire personnel du fonctionnaire et qu’il l’avait joint à ce numéro dans le passé pour discuter de questions syndicales. Il a également confirmé que l’adresse électronique était celle qu’utilisait le fonctionnaire en tant que représentant syndical.

63 M. Sheridan a déclaré qu’il ne savait pas si l’ASFC avait tenté de communiquer avec les deux médias auxquels le fonctionnaire avait envoyé une copie de son courriel et qu’il n’avait pas de preuve qu’ils avaient reçu le courriel ni aucune idée de ce qu’ils en avaient fait.

64 Le fonctionnaire a demandé à M. Sheridan pourquoi le fonctionnaire avait soudainement décidé d’envoyer le courriel du 7 septembre 2006 à titre personnel, alors qu’il avait expédié toute sa correspondance antérieure sur le même sujet en sa qualité de président de la section locale. M. Sheridan a répondu que le fonctionnaire ne s’identifiait pas comme représentant du syndicat dans le courriel du 7 septembre 2006, de sorte qu’il était impossible aux représentants des médias qui en ont reçu une copie de savoir qui il était. Quant aux autres destinataires, on peut supposer qu’ils ont compris que le fonctionnaire leur écrivait en sa qualité de dirigeant syndical.

65 En réinterrogatoire, on a demandé à M. Sheridan de se reporter au passage du courriel du 4 juillet 2006 envoyé à MM. Harper, Day et Baird (pièce R-1, onglet 28), dans lequel le fonctionnaire dit qu’il [traduction] « a[vait] eu l’intention d’exercer [s]es droits aux termes des lignes directrices du Conseil du Trésor sur la divulgation publique d’actes fautifs si [leurs] cabinets ne donnent pas suite rapidement à [ses] allégations ». M. Sheridan a déclaré que le fonctionnaire ne s’était pas prévalu de ce recours.

4. Mme Hébert

66 Mme Hébert a déclaré qu’en prenant connaissance de la lettre du 15 mars 2005 dans laquelle le fonctionnaire expose à M. Jolicoeur les actes criminels qu’elle-même et M. Sheridan ont commis (pièce R-1, onglet 5), elle s’était dit que le fonctionnaire s’obstinait à poursuivre une affaire qui avait déjà été résolue. Le fonctionnaire avait déjà tenté, en 2002, d’obtenir des accusations criminelles contre eux en s’adressant à un juge de paix, qui avait refusé d’entendre ses arguments. Il avait aussi rencontré des représentants de la GRC, à peu près à la même époque, avec le même résultat. Pour finir, dans la décision King et Waugh rendue en 2005, la Commission n’a pas tiré de conclusions quant à l’existence d’activités criminelles. Pour l’ASFC, le différend concernant la feuille de calcul Kingman était une affaire classée.

67 Mme Hébert a déclaré qu’elle voulait juste savoir s’il y avait une enquête en envoyant le courriel du 13 mai 2005 à M. Derouin (pièce R-1, onglet 10) et qu’elle ne tentait aucunement d’infléchir le cours du processus. Étant personnellement visée par les allégations, elle était surprise d’apprendre qu’une enquête était apparemment en cours; elle voulait donc que M. Derouin lui donne l’heure juste.

68 Selon Mme Hébert, le courriel du 7 septembre 2006 du fonctionnaire soulevait des inquiétudes parce que c’était la première fois que les médias étaient mis au courant des allégations. Elle a mentionné que puisqu’ils ne connaissaient pas la genèse de l’affaire, les médias ne pouvaient pas savoir que le courriel contenait de nombreuses faussetés.

69 Mme Hébert a déclaré qu’aucun autre représentant du syndicat n’avait formulé des allégations analogues.

70 Lorsqu’on lui a demandé, en contre-interrogatoire, pourquoi elle avait communiqué avec M. Derouin plutôt qu’avec M. Herd, qui lui avait fourni l’information en premier lieu, pour savoir s’il y avait une enquête, Mme Hébert a répondu que M. Derouin était un collègue et que c’était parfaitement normal de lui poser la question. Elle a répété qu’elle ne tentait pas de s’ingérer dans le processus. Il n’y avait pas eu d’autres échanges avec M. Derouin sur ce sujet du 3 au 17 mai 2005, c’est-à-dire pendant qu’il avait le dossier en mains. Quelqu’un lui avait dit un jour — probablement un représentant des Ressources humaines — qu’il avait décidé de ne pas faire enquête.

71 Mme Hébert a admis que la CEUDA et le fonctionnaire avaient formulé publiquement des critiques très virulentes contre l’ASFC et la direction de l’ASFC dans le passé. Le courriel du 7 septembre 2006 était toutefois différent de la plupart des autres déclarations et documents publics, car il portait la signature du fonctionnaire plutôt que celle du syndicat. Un simple lecteur ou les médias étaient incapables de savoir que l’auteur du courriel était un représentant syndical. Les autres documents contenaient des critiques sur des programmes et des politiques de l’ASFC et s’inscrivaient dans une stratégie de la CEUDA pour obtenir des changements ayant une incidence directe sur le milieu de travail. Le courriel du fonctionnaire ne cadrait pas avec cette perspective. La CEUDA faisait parfois des déclarations erronées, mais ses représentants tentaient d’expliquer leurs positions. Le courriel du fonctionnaire ne fournissait pas suffisamment de détails sur le contexte pour bien situer le lecteur.

72 Mme Hébert a admis que la CEUDA alléguait depuis longtemps que l’ASFC était mal gérée. Elle a toutefois observé que les documents de la CEUDA mis en preuve provenaient de la CEUDA ou de M. Moran, le président. Le rôle de M. Moran était différent. Même s’il était un employé de l’ASFC, il était en congé de la fonction publique. Si le courriel du 7 septembre 2006 avait été envoyé par M. Moran, l’ASFC n’aurait rien pu faire contre lui. Si le fonctionnaire s’était identifié comme un représentant du syndicat dans le courriel du 7 septembre 2006, Mme Hébert aurait réagi de la même manière.

73 Mme Hébert a déclaré que la direction de l’ASFC n’avait pas tenté, à sa connaissance, de communiquer avec les médias à propos du courriel du fonctionnaire et qu’elle ne savait pas si les médias avaient reçu le courriel. Elle ne savait pas non plus si la direction de l’ASFC avait écrit à MM. Harper, Day ou Baird à propos du courriel.

5. Mme Mombourquette

74 Mme Mombourquette a expliqué en quoi le processus d’enquête de la DAI est différent du processus d’enquête prévu par la Politique sur la divulgation. Le processus de la DAI s’applique, selon elle, quand il y a des allégations de criminalité alors que le processus prévu par la Politique sur la divulgation permet aux employés de dénoncer d’autres types d’actes fautifs de manière juste et sans craintes de représailles. L’employé doit d’abord signaler le problème à l’agent supérieur du ministère, mais il peut, dans des cas exceptionnels, en saisir directement l’AIFP. Mme Mombourquette a indiqué que le fonctionnaire n’avait saisi l’agent supérieur de l’ASFC et l’AIFP d’aucun problème avant le 7 septembre 2006.

75 Durant son interrogatoire principal, Mme Mombourquette a reconnu les documents suivants : le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique (pièce R-1, onglet 8), le [traduction] Guide du gestionnaire pour mener des enquêtes internes sur les dénonciations (pièce R-9) et la politique sur la Prévention et [la] résolution du harcèlement (pièce R-10).

76 Mme Mombourquette a indiqué que le fonctionnaire n’avait pas expliqué, durant l’enquête disciplinaire, les déclarations contenues dans le courriel du 7 septembre 2006. Durant la procédure de règlement des griefs, il a simplement déclaré qu’il n’avait pas donné de nom ni fourni de détails sur l'identité des membres de la direction. Selon Mme Mombourquette, le fonctionnaire n’a jamais plaidé qu’on ne devait pas sévir contre lui parce qu’il agissait en sa qualité de représentant syndical.

77 En contre-interrogatoire, Mme Mombourquette a admis que la direction était surtout préoccupée par le fait que le fonctionnaire avait envoyé une copie du courriel aux médias.

6. M. Ramnarace

78 M. Ramnarace a déclaré que le sergent McAllister lui avait dit de vive voix que son résumé de la rencontre avec la GRC, en août 2002, était juste. En contre-interrogatoire, il a déclaré qu’il n’avait pas gardé de notes de son échange avec le sergent McAllister. Il a commencé par dire qu’il était certain que le sergent McAllister avait accepté de vérifier le contenu de son résumé, mais après plusieurs questions du fonctionnaire, il a déclaré qu’il [traduction] « […] ne p[ouvait] pas l’affirmer avec certitude », avant de dire qu’il [traduction] « […] ne [se] rappe[lait] plus vraiment ».

79 Le fonctionnaire a montré à M. Ramnarace un document mis en preuve dans la décision King et Waugh (pièce G-4). Le document en question, le compte rendu, établi par la GRC, de la rencontre du mois d’août 2002 avec le fonctionnaire et M. Waugh, contient la phrase suivante : [traduction] « Les sujets auraient déclaré qu’ils avaient en leur possession des documents obtenus de manière illégale et que des accusations pourraient être portées contre eux. » Le fonctionnaire a demandé à M. Ramnarace pourquoi le résumé qu’il fait de cette rencontre porte plutôt sur les accusations criminelles contre la direction de l’ASFC. M. Ramnarace a répondu qu’il avait présenté à M. Herd son interprétation des renseignements reçus de la GRC.

7. M. Gillan

80 De 2006 jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite il y a peu de temps, M. Gillan était responsable, à titre de directeur général régional, de la gestion générale des opérations de l’ASFC dans l’AT. Il relevait de Mme Hébert et supervisait « directement » 12 personnes, dont M. Sheridan. Dans le cadre de ses fonctions, il traitait avec le fonctionnaire lors de l’instruction de griefs au troisième palier de la procédure et lorsque l’agent négociateur soulevait des questions d’intérêt régional.

81 M. Gillan a appris l’existence du courriel du fonctionnaire du 7 septembre 2006 lorsque l’administration centrale nationale de l’ASFC le lui a transmis pour qu’il fasse enquête. En lisant le courriel, il s’était dit que c’était totalement inapproprié et que cela faisait très mal paraître la direction. Il fallait absolument tirer cette affaire au clair.

82 À propos de l’exactitude des déclarations contenues dans le courriel, M. Gillan a formulé les observations suivantes : 1) il n’avait aucune preuve que des titulaires de postés clés ne disaient pas la vérité comme le prétendait le fonctionnaire; 2) les plaintes du fonctionnaire ne fournissaient aucune preuve contre ces personnes; 3) il n’y avait aucune preuve que ces personnes avaient ignoré les plaintes du fonctionnaire, qu’ils avaient mal administré l’ASFC et qu’ils avaient ruiné des carrières; 4) il n’y avait aucune preuve que le fonctionnaire avait épuisé tous les recours internes; 5) le fonctionnaire n’a fourni aucune preuve que les membres du Parti conservateur faisaient la sourde oreille à de graves allégations. M. Gillan a indiqué qu’il ne connaissait pas l’étendue, à ce moment-là, de la correspondance antérieure du fonctionnaire et qu’il ne savait pas non plus si le fonctionnaire avait reçu des réponses.

83 M. Gillan a déclaré que le fonctionnaire n’avait pas demandé un délai supplémentaire ni indiqué qu’il manquait de temps pour préparer son dossier, comme l’y autorisait la convention collective applicable, lorsque M. Gillan l’a avisé, le 17 octobre 2006, de la tenue d’une réunion disciplinaire le lendemain, réunion à laquelle le fonctionnaire n’a pas assisté. Le fonctionnaire n’a pas non plus communiqué avec M. Gillan avant de recevoir la lettre disciplinaire du 2 novembre 2006.

84 M. Gillan a déclaré qu’il avait tenu compte des éléments suivants avant d’imposer une suspension de 20 jours non payée : les graves allégations formulées contre la direction de l’ASFC dans le courriel, le fait que le fonctionnaire avait envoyé de manière inappropriée une copie du courriel aux médias et le fait qu’il aurait dû savoir que cela n’était pas acceptable, puisque la lettre disciplinaire (pièce R-1, onglet 39) le prévenait de ne pas répandre de faux renseignements.

85 M. Gillan a confirmé que les médias n’avaient pas publié les commentaires du fonctionnaire. Selon lui, s’ils l’avaient fait, il aurait probablement congédié le fonctionnaire. L’absence de réaction des médias était probablement le [traduction] « facteur déterminant » qui avait convaincu M. Gillan d’imposer une suspension de 20 jours au lieu de licencier le fonctionnaire.

86 M. Gillan a déclaré qu’il avait tenu compte du dossier disciplinaire antérieur du fonctionnaire pour prendre sa décision, mais qu’il avait choisi de ne pas appliquer le principe des mesures disciplinaires progressives. Il a indiqué que l’ASFC ne voulait pas considérer le courriel comme un incident culminant et qu’elle avait décidé de traiter la situation comme un « incident isolé ». L’ASFC espérait toujours réussir à faire comprendre au fonctionnaire à quel point la situation lui paraissait préoccupante et à le convaincre de changer d’approche.

87 M. Gillan a indiqué que le fonctionnaire avait essentiellement avancé deux arguments à l’audition du grief au troisième palier de la procédure, le 31 janvier 2007 — en l’occurrence, que le courriel n’avait pas été publié et qu’il n’avait nommé personne. Il a déclaré que le fonctionnaire n’avait pas expliqué les déclarations contenues dans le courriel ni fourni de preuve pour les étayer. Le fonctionnaire n’avait pas non plus soulevé l’argument selon lequel on ne devrait pas sévir contre lui au motif qu’il occupait un poste syndical élu.

88 M. Gillan a indiqué qu’aucun autre représentant de l’agent négociateur n’avait fait d’allégations analogues à celles contenues dans le courriel du fonctionnaire.

89 En contre-interrogatoire, M. Gillan a admis qu’il savait que la question de l’ordre donné par Mme Hébert et M. Sheridan de détruire des documents revêtait énormément d’intérêt pour l’agent négociateur. Il a indiqué qu’il était très certainement au courant de la décision King et Waugh lorsqu’il a imposé la mesure disciplinaire au fonctionnaire. Il savait aussi que le fonctionnaire avait écrit plusieurs fois à des ministres pour se plaindre. Il était plus particulièrement au courant de la [traduction] « Plainte contre l’Agence des services frontaliers du Canada » adressée au premier ministre, au ministre Day et au président du Conseil du Trésor, John Baird (pièce R-1, onglet 26), le 29 juin 2006, et du courriel de suivi aux mêmes ministres, le 25 août 2006 (pièce R-1, onglet 28). M. Gillan a admis que le fonctionnaire avait demandé plusieurs fois la tenue d’une enquête durant l’été de 2006.

90 M. Gillan a déclaré que son enquête visait à déterminer, d’une part, pourquoi le fonctionnaire avait envoyé le courriel aux médias et, d’autre part, s’il possédait des preuves pour corroborer ses allégations. Il a tenu à rappeler que le fonctionnaire n’avait pas fourni de preuves même s’il disait en avoir.

91 Lorsqu’on lui a demandé s’il savait que le fonctionnaire avait transmis ses allégations de criminalité à M. Derouin, M. Gillan a répondu qu’il savait que le fonctionnaire n’avait pas fourni de preuves à M. Derouin pour corroborer les accusations et qu’il était au courant de la réponse de M. Derouin et de sa décision de ne pas faire enquête.

92 M. Gillan a confirmé que le fonctionnaire avait déjà déposé une plainte contre lui devant la Commission. Il a déclaré que si l’administration centrale avait décidé qu’il n’était pas la personne appropriée pour effectuer l’enquête, il n’aurait pas soulevé d’objections. Au lieu de cela, M. Burkholder a confirmé que M. Gillan avait la délégation de pouvoir voulue pour tirer l’affaire au clair.

93 M. Gillan a expliqué en quoi l’incident du courriel est différent de l’incident de la lettre au secrétaire Ridge. Le fonctionnaire avait envoyé la lettre en sa qualité de dirigeant syndical, alors qu’il a envoyé le courriel à titre d’employé. M. Gillan a admis qu’il n’avait pas mentionné ce point dans sa lettre disciplinaire; il n’en voyait pas l’utilité, puisqu’il était évident, à ses yeux, que le fonctionnaire s’exprimait à titre d’employé dans le courriel du 7 septembre 2006. Quoi qu’il en soit, il a admis que le fonctionnaire avait envoyé sa plainte aux ministres, en juin 2006, en sa qualité de représentant syndical. Lorsqu’on lui a demandé si le fonctionnaire avait fait la même chose dans le courriel du 7 septembre 2006, il a répondu qu’il [traduction] « manqu[ait] d’information pour répondre à cette question ».

94 Le fonctionnaire a demandé à M. Gillan d’expliquer pourquoi on lui avait imposé une suspension de 20 jours, alors que le dossier contenait deux suspensions de 30 jours à ce moment-là. M. Gillan a répété qu’on ne voulait pas traiter le courriel comme un incident culminant, autrement dit, on ne voulait pas considérer cela comme une infraction entraînant d’office le licenciement. Après avoir admis que sa décision allait à l’encontre du principe des mesures disciplinaires progressives, il a indiqué de nouveau qu’il espérait que [traduction] « [l]e fonctionnaire comprenne qu’il devait changer de tactique ».

95 À propos de l’audition du grief au troisième palier de la procédure, M. Gillan a déclaré qu’il ne se rappelait pas si le fonctionnaire avait expressément mentionné la décision King et Waugh, mais que cela ne voulait pas dire [traduction] « qu’il n’en a[vait] pas parlé ». Dans un cas comme dans l’autre, a-t-il dit, cela n’a rien changé à sa décision. Il a rappelé que la décision avait annulé la sanction imposée par la direction, sans toutefois conclure qu’il y avait eu d’actes fautifs ou criminels.

8. Mme Raby et Mme Dhanjal

96 Mme Raby et Mme Dhanjal ont discuté des notes que chacune avait prises durant les réunions aux deuxième et au troisième palier de la procédure de règlement des griefs (pièces R-12 et R-13).

97 Mme Raby a déclaré que le fonctionnaire n’avait pas plaidé, lors de l’audition du grief au deuxième palier de la procédure, qu’on ne pouvait pas sévir contre lui, puisqu’il avait agi en sa qualité de représentant du syndicat. Il n’avait pas non plus fourni de preuve pour étayer ses allégations d’actifs fautifs ou criminels.

98 Mme Dhanjal a indiqué que le fonctionnaire n’avait pas plaidé, lors de l’audition du grief au troisième palier de la procédure, qu’on ne pouvait pas sévir contre lui, puisqu’il avait agi en sa qualité de représentant du syndicat. Il n’avait pas non plus fourni de preuve pour étayer ses allégations d’actifs fautifs ou criminels. Elle a aussi déclaré que le fonctionnaire n’avait pas fait allusion à la décision King et Waugh pour justifier les commentaires contenus dans le courriel.

99 En contre-interrogatoire, Mme Dhanjal s’est dite en désaccord avec l’interprétation que proposait le fonctionnaire du passage, dans ses notes, où il est écrit que le fonctionnaire a déclaré qu’il existait « une volumineuse jurisprudence » sur ce que l’agent négociateur peut faire. Cela ne voulait pas dire, selon elle, qu’on ne pouvait pas sévir contre le fonctionnaire parce qu’il était un représentant syndical, mais plutôt qu’il y avait de nombreuses analyses dans la jurisprudence sur le rôle de l’agent négociateur dans la procédure de règlement des griefs. Mme Dhanjal s’est dite « passablement » en accord avec la proposition que le fonctionnaire avait exprimé l’opinion que les allégations contenues dans le courriel avaient été étayées et qu’on en avait abondamment discuté.

C. Preuve du fonctionnaire s’estimant lésé

100 Le fonctionnaire a décrit son parcours comme représentant de l’agent négociateur depuis sa nomination comme délégué syndical en 1990. À partir de 1996, il a occupé diverses charges électives à plein temps, d’abord comme président de la section du district de Toronto du Syndicat des douanes et de l’immigration, puis, de 1999 à 2005, comme vice-président national de la CEUDA. À ce titre, il a présidé plusieurs comités permanents nationaux de la CEUDA, pilotant des dossiers importants comme ceux de la santé et de la sécurité au travail et de l’accord sur la frontière commune entre le Canada et les États-Unis. En mars 2005, il a décidé de revenir à Toronto après avoir été élu président de la section locale de la CEUDA, poste qu’il a occupé jusqu’en juin 2007.

101 Dès le moment où il est devenu représentant de l’agent négociateur à plein temps, en 1996, le défendeur lui a accordé un congé payé pour activités syndicales. Le congé s’est terminé en 2007, lorsque ses activités syndicales à plein temps ont pris fin. Même s’il s’acquittait uniquement de responsabilités syndicales pendant la période de congé, il continuait de rendre compte de ses heures à un surintendant à l’aéroport Pearson afin de satisfaire aux exigences de son poste d’attache d’agent des douanes (devenu le poste d’agent des services frontaliers).Le fonctionnaire a confirmé qu’il n’avait jamais été considéré comme un employé exécutant.

102 Durant son mandat comme vice-président national de la CEUDA, de 1999 à 2005, le fonctionnaire a remplacé plusieurs fois le président national du syndicat, par intérim. Dans ces cas-là et dans plusieurs autres cas particuliers, on lui avait accordé un congé non payé et l’agent négociateur avait payé son salaire.

103 Au début des années 2000, les relations entre l’ASFC et la CEUDA étaient devenues tendues et conflictuelles. Le fonctionnaire faisait partie des nouveaux membres de l’exécutif national de la CEUDA qui prônaient une approche plus résolue et plus audacieuse pour attirer l’attention sur les enjeux prioritaires des membres. Les stratégies de représentation ont été modifiées et la CEUDA a misé de plus en plus sur des campagnes auprès des politiciens ou dans les médias pour réaliser des progrès sur les grands enjeux de l’heure. Deux grands dossiers mobilisaient les énergies de la CEUDA à ce moment-là, soit obtenir des « pouvoirs d’agent » pour ses membres — c’est-à-dire le pouvoir d’appliquer le Code criminel à la frontière et d’appréhender les délinquants — et obtenir le droit pour les agents des douanes de porter une arme.

104 Ayant situé le contexte, le fonctionnaire a ensuite décrit les circonstances qui ont mené à la décision King et Waugh. Il a expliqué que Brian Kingman, un agent des douanes, avait décidé de son propre chef de dresser une liste des incidents où des employés avaient reçu des menaces ou s'étaient fait agresser à des postes frontaliers. Il y avait un différend à ce moment-là à propos de l’exactitude des rapports publics sur les risques auxquels étaient exposés les agents des douanes, d’où l’initiative de M. Kingman. La feuille de calcul qu’il avait conçue pour consigner l’information reçue des collègues et glanée dans les médias répertoriait de 100 à 105 incidents sur une période de 20 à 25 ans. M. Kingman a distribué la feuille de calcul à 147 collègues en utilisant le système de courrier électronique du défendeur. Deux semaines plus tard, la direction a ordonné aux employés de ne pas communiquer les données colligées par M. Kingman et de détruire leurs copies de la feuille de calcul. La direction a déclaré que les employés n’avaient pas le droit d’avoir cette information en leur possession et qu’ils contrevenaient à l’article 107 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), s’ils en conservaient des copies.

105 En tant que responsable des questions de santé et de sécurité au sein de l’exécutif national de la CEUDA, le fonctionnaire a pris la tête du mouvement de contestation de la consigne reçue de la direction. Il a rencontré Mme Hébert pour lui expliquer pourquoi, dans le cadre de ses activités syndicales, il voulait conserver sa copie du document Kingman. Mme Hébert lui a ordonné de détruire cette copie et le fonctionnaire avait obtempéré. Il a détruit les copies électroniques qu’il avait en sa possession et remis une copie papier de la feuille de calcul à son conseiller juridique. Un certain nombre de copies sont cependant demeurées en circulation dans l’ensemble du pays. De plus, un collègue du fonctionnaire, M. Waugh, qui était représentant local en matière de santé et de sécurité pour la CEUDA, a reçu une copie de façon anonyme, sur le pas de sa porte ou par courriel. Le fonctionnaire n’était pas certain si cette copie était identique à l’original.

106 Le fonctionnaire et M. Waugh ont convenu qu’ils avaient le droit de conserver la copie de la feuille de calcul Kingman que M. Waugh avait reçue à l’extérieur du lieu de travail. En mai 2002, ils avaient utilisé cette copie au travail lors d’une réunion du comité local de santé et de sécurité au travail. Par la suite, après de nouvelles discussions avec Mme Hébert et M. Sheridan, le fonctionnaire a reçu l’ordre de M. Sheridan, au nom de Mme Hébert, de détruire également cette copie. Le fonctionnaire a refusé parce qu’il estimait que l’ordre était illégal. Il a cru qu’il était de son devoir, à titre de coprésident national du comité d’orientation en matière de santé et de sécurité au travail de la CEUDA, de conserver et de protéger l’information. Pour avoir refusé d’obéir, le fonctionnaire a écopé d’une suspension de 1 jour, le 27 août 2002, et d’une suspension de 10 jours, le 8 novembre 2002. De concert avec M. Waugh, qui avait aussi écopé de sanctions disciplinaires, il a déposé des plaintes en vertu de l’ancienne LRTFP et de la partie II du Code pour contester l’ordre de détruire la feuille de calcul Kingman. Ces actes ont ultérieurement été examinés dans la décision King et Waugh.

107 Le fonctionnaire a proposé à M. Waugh de consulter la GRC afin de savoir quelles données de la feuille de calcul Kingman, s’il en est, l’article 107 de la Loi sur les douanes leur interdisait d’avoir en leur possession. Le fonctionnaire a souligné que la rencontre avec la GRC n’avait pas pour but d’obtenir des accusations contre Mme Hébert et M. Sheridan. Ils voulaient uniquement savoir s’ils avaient eux-mêmes enfreint la loi, comme le prétendait l’ASFC. La rencontre avec la GRC a eu lieu à l’aéroport Pearson, le 2 août 2002. En prenant connaissance par la suite d’un rapport de la GRC sur cette rencontre (pièce G-4), le fonctionnaire a conclu qu’il n’était pas illégal de conserver la feuille de calcul Kingman.

108 Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait ensuite déposé une dénonciation à titre particulier devant la Cour de justice de l’Ontario à Brampton (pièce G-5). Il a expliqué qu’il s’efforçait d’utiliser tous les moyens disponibles pour protéger le document Kingman et pour préserver le droit de l’agent négociateur de posséder cette information. Durant l’audition de la cause devant un juge de paix, l’avocat de la Couronne a soutenu que les questions que soulevait le fonctionnaire touchaient aux relations de travail. Le juge de paix avait avisé le fonctionnaire de s’adresser à une commission ou un conseil des relations de travail. Le fonctionnaire a tenu à préciser qu’il n’avait pas reçu les motifs pour lesquels le juge de paix avait conclu qu’il n’y avait pas matière à engager des poursuites pénales.

109 Le fonctionnaire a alors déposé des plaintes devant l’ancienne Commission. Après avoir reçu la décision King et Waugh, en janvier 2005, il a décidé de poursuivre ses démarches en ce qui concerne les affaires déjà soumises à la Cour de justice de l’Ontario. Il estimait que la question des actes criminels n’avait pas été résolue, d’où sa décision de présenter une plainte interne à M. Jolicoeur (pièce R-1, onglet 5), le 15 mars 2005.

110 Le fonctionnaire a expliqué qu’il avait fourni à M. Derouin, à qui M. Jolicoeur avait demandé de faire enquête, une description écrite des raisons pour lesquelles il était en désaccord avec l’ordre de détruire la feuille de calcul Kingman (pièce G-1, onglet 18), ainsi qu’un exemplaire de la décision King et Waugh. Il lui a expliqué ses allégations lors de leur rencontre du 12 mai 2005. Le fonctionnaire a confirmé que M. Derouin ne lui avait pas dit, lors de cette rencontre, si les renseignements qu’il avait fournis étaient suffisants ou non. La seule chose qu’il a reçue est le courriel de M. Derouin daté du 17 mai 2005 (pièce R-1, onglet 11) lui indiquant qu’il n’y aurait pas d’enquête. Il a jugé que c’était une réponse inéquitable, injuste et inacceptable. Il a cru que l’ASFC balayait sous le tapis des allégations qu’elle avait l’obligation d’enquêter et que M. Derouin n’avait tenu aucun compte de ses allégations de criminalité.

111 Le fonctionnaire a renvoyé au courriel qu’il a expédié au premier ministre Martin, le 5 juin 2005, et dans lequel il se plaint que M. Jolicoeur a manqué à son obligation de faire enquête sur les allégations du fonctionnaire (pièce R-1, onglet 12), et à l’échange de courriels qui s’en est ensuivi avec le cabinet du premier ministre (pièce G-1, onglet 21). À la question de savoir comment il signait habituellement ces courriels et les autres documents qu’il expédiait en sa qualité de représentant de l’agent négociateur, le fonctionnaire a répondu que cela variait. Il n’utilisait pas nécessairement son titre syndical lorsqu’il écrivait à une personne avec laquelle il avait déjà eu un échange de correspondance et qui était dès lors au courant du rôle qu’il jouait au sein du syndicat (voir aussi la pièce G-6).

112 Le fonctionnaire a déclaré que la plainte adressée au premier ministre Martin était demeurée sans suite. Je cite ici ses paroles : [traduction] « Ils m’ont tous envoyé promener. »

113 Après avoir relaté les efforts qu’il avait faits à l’automne de 2005 et durant la première moitié de 2006 pour attirer l’attention de l’Opposition, dirigée par le Parti conservateur, (pièce G-1, onglet 24) et ensuite du nouveau gouvernement du Parti conservateur (pièce R-1, onglets 17, 18 et 26), sur la conduite de la direction, le fonctionnaire s’est fait demander pourquoi il s’« obstin[ait] » à vouloir obtenir des accusations criminelles. Il a répondu que c’était son rôle, en tant que représentant syndical, de s’assurer que [traduction] « […] le processus est équitable et cohérent, que les politiques sont appliquées, que les droits des membres sont respectés et que la direction s’acquitte de ses responsabilités de manière juste et équitable ». La confiance, la reddition de compte, l’équité, la cohérence, le respect et la reconnaissance des droits des membres par la direction sont des valeurs qui revêtent une importance primordiale. Pour reprendre ses propos : [traduction] « […] si M. Derouin et ses semblables peuvent rejeter aussi facilement des allégations de criminalité […] et si [le fonctionnaire] ne parvient pas à attirer l’attention sur des allégations formelles de criminalité, quel espoir [lui] reste-il d’attirer l’attention sur les problèmes de ses membres? » Le fonctionnaire considérait que son sens du devoir l’obligeait à attirer l’attention sur ces questions parce que [traduction] « [c]’est ce que les membres attend[aient] de [lui] ».

114 Lorsqu’il a envoyé, le 7 septembre 2006, le fonctionnaire en avait assez de se « faire envoyer promener » par tous ceux à qui il demandait de l’aide et il estimait avoir épuisé tous les recours habituels. Il a fourni suffisamment d’information pour qu’on fasse enquête sur ses allégations, mais personne n’a bougé. Il a déclaré qu’il avait envoyé une copie du courriel à des médias avec lesquels il avait eu un échange de correspondance dans le passé (et qui savaient qui il était) dans l’espoir que cela donne quelque chose. Il a cru que cette tactique pousserait le défendeur à adopter une attitude plus responsable. [Traduction] « J’ai agi en désespoir de cause » a-t-il déclaré, « j’étais exaspéré et je n’avais plus rien à perdre ».

115 Le fonctionnaire a déclaré que l’extrait qu’il était tout à fait pertinent d’inclure le témoignage de M. Jolicoeur devant le comité sénatorial dans son courriel parce que cela étayait les allégations antérieures sur lesquelles le fonctionnaire et la CEUDA tentaient depuis des années d’attirer l’attention. Ce passage démontrait qu’[traduction] « […] il ne s’agissait pas uniquement d’une opinion personnelle et que d’autres autorités avaient une opinion sur le sujet ». Il y a longtemps que le problème des personnes qui franchissent les frontières sans s’arrêter et de la sécurité à la frontière préoccupait la CEUDA et faisait l’objet de communiqués de presse (par exemple, pièce G-1, onglets 31 à 35). La CEUDA a cru que M. Jolicoeur avait escamoté la vérité lors de son témoignage sur la sécurité à la frontière. Elle voulait que le gouvernement instaure une patrouille frontalière afin que les agents qui travaillent seuls à des postes frontaliers puissent obtenir de l’aide au besoin.

116 À propos des commentaires contenus dans le courriel du 7 septembre 2006, le fonctionnaire a affirmé qu’ils ne visaient pas Mme Hébert ni M. Sheridan, mais plutôt toute la haute direction de l’ASFC. C’est le témoignage de M. Jolicoeur et tous les incidents survenus au fil des années, plutôt qu’un incident unique, qui l’avaient poussé à envoyer le courriel. Il [traduction] « […] ne pouvait pas accepter de les voir rejeter ses allégations du revers de la main […] », c’est-à-dire les allégations contenues dans la plainte du 29 juin 2006 (pièce R-1, onglet 26). Cela [traduction] « […] englobait également » les allégations de criminalité. Il a déclaré qu’[traduction] « […] ils [avaient] fourni sciemment de l’information erronée et [que] c’[était] un fait établi ».

117 Le fonctionnaire a soutenu qu’il n’avait pas reçu la lettre de M. Jolicoeur datée du 17 août 2006 (pièce R-1, onglet 27) avant d’envoyer le courriel. Il a également déclaré qu’il avait transmis ses allégations à l’AIFP (pièce G-1, onglet 28) par la suite.

118 Le fonctionnaire a expliqué qu’il n’avait pas assisté à la réunion disciplinaire convoquée par M. Gillan, parce qu’il était en congé ce jour-là et qu’il présidait une assemblée générale des membres. Il a également déclaré qu’il tenait à ce qu’on respecte la clause de la convention collective applicable qui exigeait de donner un préavis de 24 heures avant de tenir une réunion disciplinaire. Il a admis qu’il avait posé une série de questions à M. Burkholder et à d’autres avant la réunion (pièce R-1, onglets 33 à 36). Il a cru qu’il était victime de harcèlement, que M. Gillan était partial et qu’il était déterminé à lui imposer une sanction disciplinaire. Une plainte qu’il avait déposée contre M. Gillan était toujours en instance devant la Commission à ce moment-là. Le fonctionnaire a voulu savoir, avant la réunion, si on avait l’intention de faire enquête sur ses allégations de conduite criminelle, mais il n’a jamais reçu de réponse à ses questions.

119 Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait fait valoir ses droits à titre de représentant de l’agent négociateur au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Il a défendu la position, à ce moment-là, que les représentants syndicaux bénéficient d’une protection, dans la mesure où ils respectent les paramètres établis.

120 À la fin de son interrogatoire principal, le fonctionnaire a plaidé : 1) qu’il ne se rappelait pas avoir menacé d’intenter une action contre M. Sheridan ni retenu les services d’un avocat à cette fin; 2) qu’aucun représentant des médias n’était entré en communication avec lui pour parler du courriel; 3) qu’il avait eu des échanges de correspondance avec l’ASFC dans le passé à propos de questions personnelles; mais 4) que, dans ce cas-ci, il avait envoyé toutes les communications pertinentes en sa qualité de dirigeant syndical.

121 En contre-interrogatoire, le défendeur a émis l’opinion que le fonctionnaire avait rencontré la GRC afin de savoir si l’ordre de détruire le document Kingman contrevenait au Code criminel. Le fonctionnaire a répété que M. Waugh et lui voulaient savoir s’ils avaient contrevenu à l’article 107 de la Loi sur les douanes. Il a déclaré qu’il semblait y avoir eu confusion, car il n’avait en aucun cas demandé si le défendeur avait violé le Code criminel. Il ne pouvait pas, cependant, parler pour M. Waugh.

122 Le défendeur a demandé au fonctionnaire s’il avait contacté un service de police pour déposer des accusations contre Mme Hébert et M. Sheridan. Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait apporté un certain nombre de documents au service de police régional de Peel et qu’il avait discuté de la possibilité de déposer des accusations. Il ne se rappelait pas à quelle date exactement la rencontre avait eu lieu, mais c’était après la décision King et Waugh. Le service de police de Peel avait confié le dossier à deux policiers, qui avaient eu un entretien avec M. Sheridan. Lors d’une réunion ultérieure avec le fonctionnaire à l’aéroport Pearson, les policiers lui ont dit que l’ordre de détruire les documents ne pouvait pas être considéré comme un acte criminel sans la preuve que l’ASFC avait agi avec une « intention coupable ». Si Mme Hébert et M. Sheridan étaient convaincus que les employés contrevenaient à l’article 107 de la Loi sur les douanes en conservant les documents en question, on ne pouvait pas leur prêter une « intention coupable » dans ce cas-là. Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait dit aux policiers que Mme Hébert et M. Sheridan lui avaient donné l’ordre de détruite tous les documents, y compris [traduction] « […] ceux qu[’il] avai[t] légalement le droit d’avoir en sa possession ». Les policiers ont été « étonnés » d’apprendre cela, mais ils s’étaient dits incapables de lui venir en aide. Le fonctionnaire était convaincu que c’était un faux-fuyant et que les policiers ne voulaient pas [traduction] « […] s’attaquer à un dirigeant de l’ASFC ». C’était leur façon de lui faire comprendre qu’ils [traduction] « avaient les mains liés ». Le fonctionnaire a décidé d’abandonner la partie et de [traduction] « […] suivre simplement la voie hiérarchique interne ».

123 Le fonctionnaire a confirmé que le juge de paix n’avait pas rendu une décision écrite à l’issue de l’audition de la cause à Brampton et qu’il avait « [r]envoyé [l’affaire] devant la Commission ». Le fonctionnaire a précisé qu’il avait tenté d’obtenir une transcription de l’audience en vue d’un éventuel appel, mais qu’il y avait renoncé, faute d’argent. Il a cru qu’il pouvait reprendre ses démarches un jour pour obtenir des accusations criminelles. Il a admis qu’il avait soulevé la question des actes criminels devant l’ancienne Commission, même s’il savait que ce n’était pas de son ressort. Après avoir reçu la décision King et Waugh — dans laquelle le vice-président déclare qu’il […] « ne croit pas nécessaire […] de [s]e prononcer sur une allégation […]d'infraction du Code criminel » —, le fonctionnaire n’est pas retourné devant la cour pour obtenir des accusations criminelles parce qu’il croyait à ce moment-là que [traduction] « la balle était dans le camp » du défendeur. Il voulait laisser le défendeur régler le dossier.

124 Si sa préoccupation première était de protéger le document Kingman, lui a demandé le défendeur, pourquoi s’est-il adressé à un tribunal alors que son avocat et l’exécutif national de la CEUDA en avaient une copie? Le fonctionnaire a répondu qu’il n’était pas retourné voir l’avocat. Il a cru que la deuxième copie du document —, que M. Waugh avait reçue dans une enveloppe brune — était une [traduction] « tout autre histoire ». La situation était alors différente. Il venait d’écoper d’une suspension de 1 jour et d’une autre de 10 jours et il n’avait plus d’avocat. Il a déclaré : [traduction] « Nous nous sommes adaptés en modifiant nos tactiques. » Il a cru que s’il allait devant la cour, il pourrait conserver le document et s’en servir pour analyser les risques professionnels.

125 Le fonctionnaire a admis que le courriel du 5 juillet 2005 au premier ministre Martin (pièce R-1, onglet 13) contenait notamment des allégations de criminalité. Il a également reconnu que les allégations contenues dans le courriel du 16 avril 2006 au ministre Day, dont une copie a été envoyée au premier ministre Harper et à d’autres, étaient également de nature criminelle (pièce R-1, onglet 17).

126 Le fonctionnaire a admis qu’il avait accès à la Politique sur la divulgation mentionnée dans le courriel de M. Herd daté du 27 juin 2006 (pièce R-1, onglet 25) et qu’il en avait pris connaissance. Il a déclaré qu’il ne se rappelait pas s’il avait communiqué avec l’agent supérieur dont M. Herd lui avait fourni le nom, mais aussi qu’il ne se souvenait pas quand il avait pris connaissance du courriel de M. Herd. La direction verrouillait l’accès à son système de courrier électronique chaque fois qu’il écopait d’une suspension et il ne se souvenait pas si M. Herd avait envoyé le courriel à son bureau ou à la maison. Il a déclaré qu’il ne se rappelait pas à quelles dates il avait été suspendu. Il a admis qu’il avait à tout le moins eu l’occasion de lire le courriel de M. Herd en août 2006, mais il a répété qu’il ne se souvenait pas s’il en avait pris connaissance ni quand il en avait pris connaissance. Le défendeur lui a alors demandé de confirmer qu’il aurait lu courriel s’il l’avait reçu chez lui, mais le fonctionnaire a répondu qu’il ne pouvait pas l’affirmer avec certitude.

127 Le fonctionnaire a confirmé qu’il n’avait pas communiqué avec l’agent supérieur ni avec l’AIFP entre le moment où la décision King et Waugh a été rendue et celui où il a envoyé le courriel en cause. Après avoir admis qu’il ne s’était pas prévalu de la procédure prévue par la Politique sur la divulgation, le fonctionnaire a déclaré, pour expliquer sa décision de ne pas transmettre ses allégations à l’AIFP, que ce dernier n’avait pas le pouvoir, selon lui, de faire enquête, d’examiner des allégations de criminalité et d’émettre une opinion sur des allégations semblables.

128 À la question : [traduction] « Regrettez-vous les commentaires que vous avez formulés dans le courriel du 7 septembre? », le fonctionnaire a répondu qu’il ne croyait pas avoir commis des actes pour lesquels il devait s’excuser. Il s’acquittait de ses responsabilités comme représentant syndical, en respectant les paramètres établis. L’objet du courriel était déjà de notoriété publique. Il a déclaré : [traduction] « Je n’ai rien fait d’autre que faire suivre une copie d’un courriel personnel à cinq personnes. » Il a déclaré qu’il croyait [traduction] « sans doute » que les allégations contenues dans le courriel étaient fondées. À la question de savoir s’il enverrait de nouveau le courriel, il a répondu que tout dépendait de l’issue de l’audience, [traduction] « […] si on me confirme que cela s’inscrit dans mes fonctions, je ne vois pas pourquoi je m’empêcherais de le faire », a-t-il déclaré.

129 À la fin du contre-interrogatoire, le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait pas envoyé le courriel à M. Bourbeau, l’un des représentants des médias, dans l’espoir qu’il rédige un article, comme en 2001. Le fonctionnaire a confirmé qu’il lui avait envoyé un exemplaire de la décision King et Waugh, mais M. Bourbeau avait déjà en mains le rapport du comité sénatorial sur les personnes qui franchissent les frontières sans s’arrêter. Il possédait donc déjà toute l’information nécessaire pour faire un nouvel article.

D. Contre-preuve

130 M. Herd a déclaré qu’il avait envoyé le courriel du 28 juin 2006 contenant le nom et les coordonnées de l’agent supérieur en charge des divulgations à l’adresse personnelle du fonctionnaire, d’où provenait la demande initiale d’information (pièce R-1, onglet 25). L’adresse électronique personnelle du fonctionnaire commence par « King, John. », alors que son adresse au travail commence par « King, JohnB. ».

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

131 Le défendeur a admis qu’il avait la charge d’établir le bien-fondé de ses allégations d’inconduite et de la suspension de 20 jours et que cette preuve doit être faite selon la prépondérance des probabilités : F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, au paragr. 49.

132 Il a toutefois fait valoir que le fonctionnaire avait le charge de démontrer qu’il a envoyé le courriel du 7 septembre 2006 dans le cadre de ses activités syndicales et que cela l’autorise par conséquent à plaider l’immunité syndicale comme « défense positive particulière » : M. Gorsky et al., Canadian Labour Arbitration, Carswell, Toronto, 2009, 2e édition, à la page 9-25; et Kelly c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2002 CRTFP 74, au paragr. 99. Pour déterminer si le fonctionnaire s’est acquitté de ce fardeau, sa preuve doit être évaluée du point de vue de  [traduction] « […] la prépondérance des probabilités qu'une personne pragmatique et bien renseignée reconnaîtrait d’emblée comme raisonnable dans ce contexte et dans ces conditions » : Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A. C.-B.).

133 Le défendeur a affirmé qu’il avait établi le bien-fondé de ses allégations. La preuve démontre que le fonctionnaire a envoyé le courriel du 7 septembre 2006 à des médias, après s’être fait dire de ne pas formuler d’allégations de ce genre et de se prévaloir de la procédure prévue par la Politique sur la divulgation. Le défendeur a donc prouvé que le fonctionnaire avait commis les actes qui lui sont reprochés dans la lettre disciplinaire.

134 Afin de déterminer si la conduite du fonctionnaire justifie une sanction disciplinaire, l’arbitre de grief doit déterminer le droit qui s’applique.

135 Le défendeur a soutenu que Shaw c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2006 CRTFP 125 (« Shaw »), ne peut pas être utilisée pour trancher la question de l’immunité syndicale de fonctionnaires. En acceptant sans réserve la jurisprudence propre au secteur privé dans cette décision, Shaw traite l’administration publique comme n’importe quel autre employeur. Elle fait abstraction d’une multitude de décisions portant sur la critique publique du gouvernement par des fonctionnaires et rejette l’application de Fraser c. C.R.T.F.P., [1985] 2 R.C.S. 455 (« Fraser »). Bref, la décision Shaw altère le délicat équilibre que la Cour suprême du Canada a établi entre la liberté d’expression et l’obligation de loyauté des fonctionnaires, en remplaçant le critère énoncé dans Fraser pour apprécier les déclarations publiques contre un employeur par un critère moins rigoureux.

136 Le critère en trois volets établi dans Fraser nous fournit des indications pour déterminer quand un fonctionnaire peut critiquer ouvertement son employeur. Dans un premier temps, les commentaires doivent figurer au nombre des exceptions prévues au paragraphe 41 :

[…] dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l'égard des politiques d'un gouvernement. Ce serait le cas si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d'autres personnes, ou si les critiques du fonctionnaire n'avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d'une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude  […]

Dans un deuxième temps, le fonctionnaire doit épuiser tous les recours internes. Pour finir, il doit établir que les déclarations sont fondées.

137 La jurisprudence propre au secteur privé sur laquelle repose Shaw établit un critère moins rigoureux. Un fonctionnaire peut critiquer ouvertement son employeur dans la mesure où il le fait dans le cadre de ses fonctions syndicales et que les déclarations ne sont pas malveillantes ou que ce ne sont pas des faussetés dites sciemment ou avec insouciance.

138 La question qu’il faut se poser dans ce cas-ci est la suivante : [traduction] « Pour trouver un juste équilibre entre la liberté d’expression et l’obligation de loyauté, y a-t-il des facteurs qui s’appliquent lorsque l’employeur est le gouvernement, mais qui ne s’appliquent pas ou qui ne s’appliquent dans la même mesure lorsque l’employeur n’est pas le gouvernement? » La Cour suprême répond à cette question dans Fraser.Elle accorde moins d’importance aux principes généraux de la relation employeur-employé et plus d’importance au fait que l’appelant est un fonctionnaire. La Cour insiste tout particulièrement sur l’importance de préserver la confiance du public et du gouvernement. Elle observe ceci aux paragraphes 42 et 43 :

[…] il existe un motif important à l'appui de cette règle générale de loyauté, savoir l'intérêt du public vis-à-vis de l'impartialité réelle et apparente de la fonction publique. Les avantages qui découlent de cette impartialité ont été bien décrits par la commission MacDonnell. Bien que la description se rapporte aux activités politiques des fonctionnaires au Royaume-Uni, elle touche à des valeurs qui s'appliquent à la fonction publique au Canada :

[TRADUCTION] […] si les restrictions relatives aux activités politiques des fonctionnaires devaient être levées, cela aurait probablement deux conséquences. Le public pourrait cesser de croire, comme nous pensons qu'il le fait maintenant avec raison, en l'impartialité de la fonction publique permanente; et les ministres pourraient cesser de sentir la confiance bien méritée qu'ils possèdent à l'heure actuelle dans l'appui loyal et fidèle de leurs fonctionnaires […]

[…]

43  À mon avis, il existe au Canada une tradition semblable en ce qui a trait à notre fonction publique. La tradition met l'accent sur les caractéristiques d'impartialité, de neutralité, d'équité et d'intégrité. Une personne qui entre dans la fonction publique ou une qui y est déjà employée doit savoir, ou du moins est présumée savoir, que l'emploi dans la fonction publique comporte l'acceptation de certaines restrictions. L'une des plus importantes de ces restrictions est de faire preuve de prudence lorsqu'il s'agit de critiquer le gouvernement.

139 En acceptant sans réserve la jurisprudence propre au secteur privé, on ne tient pas compte des critères fondamentalement différents qui s’appliquent au gouvernement comme employeur. Or, au gouvernement, l’étendue de l’immunité syndicale accordée aux fonctionnaires doit être beaucoup plus limitée.

140 Les limites de l’immunité syndicale devraient concorder avec la définition contenue dans Stewart c. le Conseil du Trésor (ministère des Approvisionnements et Services), dossier de la CRTFP 166-02-2000 (19750812), confirmée ultérieurement par Stewart c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, [1978] 1 C.F. 133 (C.A.), et qui dit ceci :

[…]

[…] le droit de critique existait « dans le cadre de la loi », c’est-à-dire la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Cette loi s'applique au domaine de la négociation collective pour ce qui a trait aux conditions d’emploi et contient des dispositions relatives à la procédure applicable aux griefs et au régime d’arbitrage. Elle ne s’applique pas aux programmes et aux politiques du gouvernement ou à la façon dont les ministères doivent être organisés, réorganisés ou administrés […]

[…]

Voir également Samson c. Société canadienne des postes (1987), 71 di 215.

141 La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a déclaré ce qui suit lors du contrôle judiciaire de Alberta v. Alberta Union of Provincial Employees, Local 6 (1996), 57 L.A.C. (4e) 400, citée dans Alberta Union of Provincial Employees v. Alberta, [2000] A.G.A.A. No. 57 (QL) :

[Traduction]

[…]

Les dirigeants syndicaux ne possèdent pas de droits inhérents, en tant qu’employés d’un employeur, qui les rendent moins responsables des propos qu’ils tiennent sur leur employeur. Ils ont une obligation de loyauté envers leur employeur. Dans des cas comme celui-ci, c’est seulement lorsqu’ils s’acquittent de leurs responsabilités légitimes à tire de représentants de l’agent négociateur ou qu’ils se livrent réellement à des activités syndicales dans le contexte de la relation de négociation collective qu’ils bénéficient d’une certaine protection lorsqu’ils formulent des critiques ouvertement.

[…]

142 Le fonctionnaire qui fait une déclaration, en tout ou en partie, en-dehors du cadre des activités décrites ci-dessus, ne peut pas se prévaloir du privilège de l’immunité syndicale. Cette approche préserve le délicat équilibre établi par Fraser et préservé depuis par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale.

143 Les dirigeants syndicaux bénéficient d’une protection lorsqu’ils font la promotion des intérêts de leurs membres dans les domaines répertoriés dans Stewart, à la condition que leurs déclarations ne soient pas malveillantes ou qu’ils ne disent pas de faussetés sciemment ou avec insouciance. Étendre encore cette protection, sous le prétexte ténu de la représentation, constituerait une application abusive du principe de l’immunité syndicale.

144 Les allégations d’actes fautifs débordent les limites de la protection de l’immunité syndicale. À la différence d’une activité de promotion visant à améliorer les heures de travail ou les salaires, une allégation d’actes fautifs est une allégation faite à titre personnel à partir d’une interprétation personnelle des faits. Par définition, ce n’est pas une allégation faite dans le contexte d’activités de représentation. Dans ce cas-ci, le contenu et la forme du courriel du 7 septembre 2006 indiquent clairement que le fonctionnaire s’exprimait en son nom personnel.

145 L’employé qui fait une allégation d’actes fautifs, à titre de représentant syndical ou non, bénéficie de toutes les protections qui existent en droit, à la condition qu’il se plie à la procédure établie en matière de divulgation. Par contre, il ne peut pas réclamer la protection supplémentaire de l’immunité syndicale. Les règles de divulgation d’actes fautifs sont les mêmes pour tous les employés, qu’ils soient représentants syndicaux ou non. La question de l’immunité syndicale est une échappatoire dans le cas de déclarations publiques portant, en tout ou en partie, sur des allégations d’actes fautifs.

1. Application du critère Fraser

146 Le défendeur a soutenu que je devais maintenir la sanction disciplinaire à moins que le fonctionnaire démontre qu’il satisfait à chaque élément du critère Fraser.

147 Les allégations du fonctionnaire figurent-elles au nombre des exceptions prévues dans Fraser? La majorité des commentaires du fonctionnaire portaient sur des questions de politique ou de gestion plutôt que sur le type de questions qui sont envisagées dans Fraser. Il est évident que ces commentaires on un effet sur « […] son aptitude à accomplir d’une manière efficace ses fonctions [ou] sur la façon dont le public perçoit cette aptitude ». Il n’est pas nécessaire d’exiger la preuve directe de la perte de cette aptitude « dans un sens plus large », comme le dit Fraser, aux paragraphes 46 à 48, puisque les commentaires du fonctionnaire sont sans fondement et que ses allégations de harcèlement, d’incompétence et de manque d’intégrité contre la haute direction revêtent un caractère vindicatif; voir également Stewart, [1978] 1 C.F.133 (C.A.); Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 C.F. 958, au paragr. 39; Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), 2006 CAF 295, au paragr. 12; Tobin c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 254, aux paragr. 60 et 62.

148 Le fonctionnaire a critiqué son propre employeur et formulé de graves allégations à l’endroit de hauts dirigeants de l’ASFC. Si l’on ajoute à cela le texte du courriel, les témoignages de M. Sheridan et de Mme Hébert, il est évident que le courriel a eu une incidence immédiate et directe sur leur capacité de travailler avec le fonctionnaire et de lui faire confiance dans l’avenir.

149 Le fonctionnaire a-t-il épuisé tous les recours internes — le deuxième volet du critère Fraser? L’obligation d’épuiser tous les recours internes avant de formuler ouvertement des critiques est un principe bien établi, comme en atteste la décision Ministry of Attorney General, Corrections Branch v. British Columbia Government Employees’ Union (1981), 3 L.A.C. (3d) 140, à la p. 163 :

[Traduction]

[…] l'obligation de loyauté impose à l'employé d'épuiser les recours internes avant de se prévaloir des « recours publics ». Ces recours internes visent à faire en sorte que la réputation de l'employeur ne soit pas entachée par des accusations injustifiées, basées sur des renseignements erronés. L'enquête interne offre un moyen approprié de faire appel à l'expérience et aux connaissances de plusieurs personnes pour régler tout problème qui pourrait ne viser qu'un seul employé. C’est seulement lorsque ces recours internes s’avèrent infructueux qu’un employé peut critiquer ouvertement son employeur sans manquer à son obligation de loyauté.

Voir également Forgie c. le Conseil du Trésor (Commission d’appel de l’immigration), dossier de la CRTFP 166-02-15843 (19861119). L’obligation de dénoncer les actes fautifs par les voies internes est reconnue même dans les cas faisant intervenir la défense de l’immunité syndicale : Alberta Union of Provincial Employees v. Alberta, à la page 13.

150 La preuve démontre clairement que le fonctionnaire avait accès à des recours internes avant d’envoyer son courriel. Il a déposé des plaintes devant l’ancienne Commission pour contester l’ordre de la direction de détruire la feuille de calcul Kingman. Il est indéniable que les allégations ont été examinées dans la décision King et Waugh et qu’une mesure corrective a été accordée. Bref, le différend a été résolu. La seule chose que le fonctionnaire n’a pas obtenue est une déclaration que le défendeur avait violé le Code criminel.

151 Le fonctionnaire a rencontré la GRC, en 2002, pour lui soumettre ses allégations de criminalité. La GRC a conclu qu’il n’y avait pas eu d’actes criminels et qu’il n’y avait pas matière à instituer une enquête criminelle (pièce R-2).

152 Le fonctionnaire a également tenté, à l’automne de 2002, de déposer une dénonciation criminelle devant un juge de paix, mais cette tentative a échoué (R-1, onglet 26). Les raisons données par le fonctionnaire pour s’adresser à un juge de paix sont difficilement crédibles. Il a prétendu qu’il voulait protéger la feuille de calcul Kingman. Or, la preuve a démontré qu’il avait obtenu la permission d’en remettre une copie à son avocat. Il ne saurait dire si la feuille de calcul qu’a reçue M. Waugh est différente. S’il avait véritablement voulu protéger le document Kingman, il aurait pu remettre une copie de la feuille reçue par Waugh à son avocat en attendant que l’ancienne Commission tranche la question. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas interjeté appel de la décision du juge de paix, il a répondu qu’il n’avait pas les moyens de payer pour la transcription. Cela prouve qu’il n’agissait pas en sa qualité de représentant syndicat, sinon le syndicat lui aurait apporté un soutien financier. Bref, il menait en fait une vendetta personnelle contre M. Sheridan et Mme Hébert.

153 Non satisfait de l’avis reçu de la GRC, de la décision du juge de paix et de la décision King et Waugh de janvier 2005 qui lui donnait gain de cause, le fonctionnaire a poursuivi sa croisade afin d’obtenir des accusations criminelles contre M. Sheridan et Mme Hébert. Il s’est entretenu de ses allégations de criminalité avec le service de police régional de Peel peu de temps après la décision King et Waugh. Il a soumis à M. Jolicoeur, en mars 2005 (pièce R-1, onglet 5), les allégations que le juge de paix avait rejetées trois années plus tôt. M. Jolicoeur a demandé à M. Derouin de faire enquête. Au lieu de lui fournir des détails, le fonctionnaire a préféré réitérer ses allégations dans des lettres et des courriels aux deux premiers ministres et à plusieurs autres membres du Cabinet pendant le reste de l’année 2005 et en 2006 (voir surtout la pièce R-1, onglets 12, 13, 17, 18, 26 et 28).

154 Le fonctionnaire s’est fait dire, plus d’une fois, qu’il pouvait se prévaloir de la procédure prévue par la Politique sur la divulgation. M. Derouin le lui a notamment rappelé en mai 2005 (pièce R-1, onglet 11). En juin 2006, M. Herd lui a fourni le nom de l’agent supérieur en charge des divulgations (pièce R-1, onglet 26). En juillet 2006, le fonctionnaire a écrit au premier ministre et à d’autres ministres pour leur dire qu’il avait l’intention d’exercer ses droits aux termes de la Politique sur la divulgation s’ils n’ordonnaient pas la tenue d’une enquête (pièce R-1, onglet 28). En fin de compte, le fonctionnaire ne s’est prévalu ni du processus interne de l’ASFC ni du processus de l’AIFP avant d’envoyer une copie de son courriel aux médias, un fait que Mme Mombourquette a mis en lumière et que le fonctionnaire a confirmé.

155 Aux yeux du lecteur objectif, le courriel du fonctionnaire se présente comme une lettre de dénonciation visant à étaler au grand jour de prétendus actes fautifs de l’ASFC. Le fonctionnaire y fait d’ailleurs expressément référence au [traduction] « […] Code de valeurs et d’éthique […] » La Politique sur la divulgation définit les « actes fautifs » dans les termes suivants :

Les actes fautifssont définis comme un acte ou une omission concernant :

a) la violation d’une loi ou d’un règlement;

b) une dérogation au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique;

c) un usage abusif de fonds ou de biens publics;

d) un cas flagrant de mauvaise gestion;

e) une menace grave et particulière pour la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens ou pour l’environnement.

156 Le défendeur a soutenu que le fonctionnaire n’a pas épuisé tous les recours internes avant d’écrire le courriel contenant des allégations très générales d’actes fautifs aux médias. Toutes les allégations auraient pu être soulevées aux termes de la Politique sur la divulgation, y compris le recours auprès de l’AIFP. La tentative du fonctionnaire pour nous faire croire qu’il dénonçait des actes criminels et que, de ce fait, la politique ne s’appliquait pas, ne résiste pas à un examen minutieux, car le courriel fait expressément allusion à des actes fautifs au sens de la politique. Comme le fonctionnaire n’a pas épuisé tous les recours internes avant d’envoyer le courriel aux médias, ses commentaires justifient une sanction disciplinaire.

157 Le fonctionnaire a-t-il établi que les déclarations contenues dans son courriel du 7 septembre 2006 sont fondées — le troisième volet du critère Fraser? La jurisprudence indique clairement que le fonctionnaire doit établir que chaque déclaration est fondée. Cependant, comme le fonctionnaire a gardé le silence durant l’enquête disciplinaire, il ne peut présenter une justification à l’arbitrage pour des déclarations qu’il a refusé d’expliquer jusqu’à maintenant : Goyette et Guidon c. le Conseil du Trésor (Commission d’assurance-chômage, ministère de la Main-d’œuvre et de l’Immigration), dossiers de la CRTFP 166-02-2914 et 2915 (19770712); Skibicki c. le Conseil du Trésor (Environnement Canada), dossier de la CRTFP 166-02-20723 (19910116); Cléroux c. le Conseil du Trésor (Défense nationale), dossiers de la CRTFP 166-02-25038, 25683 à 25686, 25697, 25698 et 26110 à 26112 (19970423).

158 Le fonctionnaire a refusé de fournir les détails demandés sur ses allégations. Le refus d’expliquer ses actes se cristallise durant le processus disciplinaire et ne peut être corrigé durant la procédure de règlement des griefs. Le défendeur n’a pas à bricoler une explication pour le compte du fonctionnaire. Le fonctionnaire avait l’obligation de fournir des explications pour justifier ses commentaires. Il ne l’a pas fait. Les employés ont l’obligation d’apporter leur coopération lors des enquêtes disciplinaires. Ils ne devraient pas être autorisés à produire, durant la procédure d’arbitrage des griefs, des preuves disculpatoires qu’ils n’ont pas soumises durant le processus disciplinaire. Voir Naidu c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 CRTFP 124, citée avec approbation dans Ayangma c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2006 CRTFP 64; Francis c. le Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel Canada), dossier de la CRTFP 166-02-24111 (19931007).

159 La preuve démontre aussi clairement que le fonctionnaire n’a pas apporté toute sa collaboration durant la procédure de règlement des griefs.

160 La question ultime que l’arbitre de grief doit trancher est celle de savoir si le défendeur était fondé à imposer une sanction disciplinaire. Le fonctionnaire ne peut pas tenter d’expliquer en détail, durant la procédure d’arbitrage du grief, les commentaires contenus dans le courriel du 7 septembre 2006 qu’il s’est refusé à expliquer durant le processus disciplinaire. (Selon le défendeur, ces principes s’appliquent même si l’arbitre de grief décide de retenir le critère Shaw.)

161 Dans le cas où on autoriserait le fonctionnaire lors de l’arbitrage à justifier chacune de ses allégations pour la première fois, le défendeur avance que le fonctionnaire a la charge d’établir la véracité des faits, comme l’indique la Cour d’appel fédérale dans Grahn c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] A.C.F. no 36, (QL) (C.A.). Voir également Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 749, au paragr. 62, et 2005 CAF 249; Read c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 283, au paragr. 48; Labadie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2008 CRTFP 85, aux paragr. 224, 225, 232 et 233.

162 L’arbitre de grief doit apprécier le contenu du courriel plutôt que l’objectif que le fonctionnaire visait, dit-il aujourd’hui, en rédigeant le courriel. M. Sheridan et Mme Hébert ont déclaré lors de leur témoignage que le courriel contenait des allégations erronées et sans fondement. Le fonctionnaire a été incapable de prouver le contraire. Le défendeur était donc fondé à imposer une sanction disciplinaire.

2. Subsidiairement — application du critère Shaw

a. Le fonctionnaire a-t-il agi en sa qualité de dirigeant syndical?

163 Le défendeur a soumis qu’une analyse des facteurs subjectifs et objectifs nous permet de faire la distinction entre des lettres et courriels qui sont envoyés à titre personnel et des lettres et courriels qui sont envoyés en qualité de dirigeant syndical. Cette analyse nous indique clairement que le fonctionnaire n’a pas envoyé le courriel du 7 septembre 2006 en sa qualité de représentant syndical.

164 La forme du courriel du 7 septembre 2006 est différente de celle des autres lettres et courriels dans lesquels le fonctionnaire s’identifie expressément comme un représentant syndical. La preuve démontre clairement que le fonctionnaire utilisait le groupe-signature l’identifiant comme un dirigeant syndical dans les lettres et courriels rédigés pour le compte du syndicat (voir, par exemple, la pièce R-1, onglet 26, et la lettre Ridge). Or, ce groupe-signature n’apparaît pas dans le courriel du 7 septembre 2006. Le défendeur a admis que l’ajout d’un titre syndical n’est pas une preuve suffisante en soi pour accorder l’immunité syndicale : King c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2008 CRTFP 64 (« King (CRTFP) »). Quoi qu’il en soit, le fait que le fonctionnaire avait l’habitude d’utiliser son titre syndical est un élément important pour comprendre l’objectif qu’il poursuivant en envoyant le courriel.

165 Le ton du courriel indique que le fonctionnaire s’exprimait en son nom personnel. Un observateur raisonnable conclurait également que le contenu général du courriel prouve qu’il écrivait à titre personnel plutôt qu’en sa qualité de représentant du syndicat. Le fait qu’il accuse la haute direction de l’ASFC de ruiner sa carrière démontre clairement qu’il s’exprimait à titre d’employé. Rien dans le courriel n’indique aux destinataires des médias qu’il occupait un poste syndical ou qu’il s’exprimait au nom du syndicat.

166 Le défendeur a également fait valoir que je devais tirer une inférence négative du fait que le fonctionnaire n’a pas appelé un seul dirigeant syndical pour confirmer que son courriel portait sur un enjeu syndical et se situait dans le contexte de ses responsabilités syndicales : voir l’ouvrage de Brown et Beatty intitulé Labour Arbitration in Canada, Canada Law Book, août 2005, à la page 3:5120.

167 Au paragraphe 128 de King (CRTFP), l’arbitre de grief explique la différence qui existe entre la dénonciation d’actes fautifs et la représentation des membres du syndicat de la façon suivante :

128    Selon le fonctionnaire s’estimant lésé, le fond de cette affaire est son droit de représenter ses membres et son droit constitutionnel à la liberté d’expression. Par conséquent, les décisions résumées dans Fraser, sur la « dénonciation » de l’employeur, ne sont donc pas pertinentes. Comme la question que je dois trancher est celle de la liberté d’expression syndicale, je devrais me fonder sur la jurisprudence analysée dans Shaw.

[Je souligne]

Dans ce cas-ci, le fonctionnaire ne prétendait même pas représenter ses membres, alors qu’il disait écrire au nom de ses membres dans la lettre Ridge.

168 Le fonctionnaire a soutenu que l’immunité syndicale s’appliquait à tous ses actes, puisqu’il était un représentant syndical à plein temps. Si cet argument était retenu, le premier élément du critère Shaw perdrait tout son sens. Ce que la jurisprudence exige en réalité c’est que le ton et le contenu de la communication résistent à un examen raisonnable.

169 Rappelons aussi que le poste de président local qu’occupait le fonctionnaire n’était pas rémunéré. Le fonctionnaire n’était pas en congé et il n’était pas employé par le syndicat, contrairement à M. Moran. Il était en tout temps un employé de l’ASFC et sa rémunération était payée par l’ASFC. Il avait un superviseur et il était assujetti à l’obligation de rendre compte de son emploi du temps, d’aviser son superviseur en cas de maladie et de faire approuver ses demandes de congé.

170 M. Derouin a déclaré qu’il croyait, lorsqu’il traitait le dossier des allégations de criminalité, que le fonctionnaire n’agissait pas à titre de représentant syndical. Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire pourquoi il croyait cela, il a répondu qu’il [traduction] « […] se sera[it] attendu à ce qu’un représentant syndical soit soutenu par le syndicat ». Il a indiqué que chaque partie proposait des sujets de discussion pour les réunions syndicales-patronales, mais que les allégations du fonctionnaire n’avaient jamais figuré à l’ordre du jour. M. Gillan a confirmé que l’agent négociateur n’avait pas soulevé les problèmes mentionnés par le fonctionnaire dans le courriel du 7 septembre 2006.

171 Selon le défendeur, il est de nouveau important de rappeler que le fonctionnaire n’a pas invoqué la défense d’immunité syndicale durant l’enquête disciplinaire non plus que durant la procédure de règlement des griefs, comme en atteste le témoignage de Mme Mombourquette. Le défendeur a soutenu qu’il ne peut pas invoquer ce moyen de défense à l’arbitrage s’il ne l’a pas invoqué avant : Burchill c. Procureur général, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.). De plus, le fait que le fonctionnaire n’a pas plaidé l’immunité syndicale nous indique qu’il savait bien qu’il ne rédigeait pas le courriel en sa qualité de représentant syndical. Il ne mentionne même pas dans son grief (pièce R-1, onglet 40) qu’il a agi à titre de représentant syndical. Il demande plutôt « [q]u’on prenne immédiatement les mesures nécessaires pour protéger [s]es droits personnels et [s]on droit, à titre d’employé, à une procédure équitable et pour que la direction de l’ASFC cesse de violer ces droits ».

172 Les réponses fournies par le fonctionnaire en contre-interrogatoire sont d’ailleurs révélatrices, comme nous le montrent les déclarations suivantes :

[Traduction]

Je ne crois pas avoir commis des actes pour lesquels je dois m’excuser. Je faisais mon travail, les allégations – l’objet du courriel était déjà de notoriété publique – J’ai fait suivre un courriel personnel à cinq personnes […]

[Je souligne]

En déclarant qu’il a fait suivre [traduction] « […] un courriel personnel à cinq personnes […] », le fonctionnaire scelle son sort. Il est évident que cette remarque lui a échappé et que c’est un aveu de sa part que le courriel était bel et bien « personnel », comme il l’avait prévu au départ.

173 Bref, le fonctionnaire n’a pas démontré qu’il satisfait au premier volet du critère Shaw.

b. Le fonctionnaire a-t-il fait des commentaires malveillants?

174 Subsidiairement, le défendeur a soutenu que le fonctionnaire avait fait des commentaires malveillants. Le Black’s Law Dictionary définit le mot « malicious » [malveillant] comme suit :

[Traduction]

Caractérisé par ou comprenant une intention de nuire, ayant été ou étant fait dans une intention ou avec des motifs répréhensibles, condamnables ou nuisibles et fait délibérément sans raison ni excuse valable ou dans l’intention de nuire.

175 Bien que le fonctionnaire affirme que le courriel était [traduction] « […] une tentative pour convaincre quelqu’un d’examiner cela […] », la preuve démontre qu’il disposait d’un recours interne à l’ASFC pour dénoncer les actes présumés fautifs ainsi qu’un processus d’enquête à l’extérieur de l’ASFC (l’AIFP), mais qu’il ne s’est prévalu ni de l’un ni de l’autre. Son objectif n’était pas de [traduction] « […] convaincre quelqu’un d’examiner cela […] », mais de nuire autant que possible à la réputation du défendeur, ce que confirme sa décision d’envoyer le courriel aux médias. Le fonctionnaire espérait que les médias s’emparent de l’affaire.

176 Le ton du courriel dénote un manque de respect évident pour la direction. En écrivant que les hauts dirigeants sont une « honte » et qu’ils tentent de « dissimuler » la vérité, le fonctionnaire déforme à ce point les faits qu’on ne peut qu’en conclure que ses intentions étaient malveillantes. Il tente de vouloir faire croire à une personne raisonnable qu’on peut tirer des conclusions irréfutables à propos de ses allégations à partir de la preuve. Or, les faits démontrent que cette preuve n’existe pas. Si cette preuve avait existé, le fonctionnaire aurait pu la fournir à M. Derouin, qui insistait pour l’obtenir. Il aurait pu fournir la preuve par le truchement de la procédure prévue par la Politique sur la divulgation afin de faire instituer une enquête ou encore durant l’enquête disciplinaire. Une fois de plus, cette preuve n’existait pas et le fonctionnaire a fait des commentaires malveillants en prétendant le contraire.

177 Le fonctionnaire formule de graves allégations dans son courriel. Il insinue qu’il y a des problèmes systémiques à l’ASFC, que les membres de la haute direction sont malhonnêtes et manquent d’intégrité et qu’ils ont pris des mesures de représailles contre le fonctionnaire parce qu’il a dénoncé des actes fautifs. Ces allégations sont totalement fausses. Le fonctionnaire a pesé avec soin chacun des mots contenus dans son courriel, afin de causer le plus de torts possible.

178 Le défendeur a renvoyé au passage suivant de National Steel Car Ltd. v. United Steelworkers of America, Local 7135 (2001), 101 L.A.C. (4e) 316, aux pages 11 et 13 :

[Traduction]

[…]

[…] il faut faire la différence entre les déclarations et conduites internes, d’une part, et les déclarations et conduites externes, d’autre part. Ainsi, l’employé/le dirigeant syndical qui tient des propos abusifs dans une réunion à huis clos dans le cadre de ses fonctions syndicales peut bénéficier de l’immunité contre les sanctions disciplinaires. Cependant, le dirigeant syndical qui tient les mêmes propos à des tiers externes comme la presse s’expose à une sanction disciplinaire, mais seulement si ses déclarations ou sa conduite sont malveillants ou irresponsables.

[…]

[…] Le syndicat est partie à la convention collective et ses représentants élus doivent agir de manière raisonnable lorsqu’ils s’acquittent de leurs fonctions aux termes de la convention collective. Le fonctionnaire s’estimant lésé a agi de façon malveillante, déraisonnable et de mauvaise foi. Il n’a pas démontré qu’il comprenait le rôle que doit jouer un dirigeant syndical aux termes de la convention collective.

[…]

[Je souligne]

L’arbitre qui présidait National Steel Car Ltd. a imputé au fonctionnaire s’estimant lésé la charge d’établir le bien-fondé de déclarations qualifiées de malveillantes par l’employeur : voir également Cassellholme, Home for the Aged v. Canadian Union of Public Employees, Local 146 (2004), 128 L.A.C. (4e) 425, aux pages 434 à 436.

c. Le fonctionnaire a-t-il dit des faussetés sciemment ou avec insouciance?

179 Au cas où je conclurais que le courriel du fonctionnaire avait une intention malveillante, le défendeur a soutenu, subsidiairement encore, que le fonctionnaire avait écrit des faussetés sciemment ou, à tout le moins, avec insouciance.

180 Tous les employés, représentants syndicaux compris, doivent se prévaloir du processus de divulgation établi pour dénoncer des actes présumés fautifs. Le fait que le fonctionnaire n’a pas utilisé ce processus après avoir demandé à qui il devrait s’adresser pour dénoncer des actes fautifs démontre qu’il a dit des faussetés avec insouciance. De plus, M. Sheridan et Mme Hébert ont déclaré que les commentaires contenus dans le courriel étaient totalement faux.

181 Le fonctionnaire tente de nous faire un tour de passe-passe. Il a envoyé le courriel, en principe, pour que quelqu’un se penche sur ses allégations. Or, les allégations particulières contenues dans le courriel auraient pu être enquêtées par l’AIFP. Les allégations de harcèlement auraient pu être examinées aux termes de la politique sur le harcèlement. Les préoccupations à propos de la santé et de la sécurité auraient pu faire l’objet d’une plainte en vertu de la partie II du Code. Les craintes qu’il nourrissait à propos de sa carrière auraient pu être examinées dans le cadre d’une procédure prévue par la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13, ou en vertu de la Loi, au moyen d’un grief ou d’une plainte de pratique déloyale de travail. Le fonctionnaire a préféré envoyer ses allégations aux médias plutôt que de se prévaloir de ces recours.

182 Le fonctionnaire a tenté de plaider, à l’audience, qu’il ne pouvait pas utiliser ces procédures de recours parce que ses allégations étaient de nature criminelle. Il est intéressant de noter que le courriel ne fait aucune mention d’actes criminels. La preuve démontre clairement que chaque fois que le fonctionnaire a voulu formuler des allégations de criminalité, il l’a fait de manière explicite, en fournissant une profusion de détails et en citant des dispositions particulières du Code criminel. Il n’existe par ailleurs aucune preuve que le défendeur a contrevenu au Code criminel. Le fonctionnaire a déposé une dénonciation devant la cour provinciale. Ses efforts pour engager une action ont échoué, la cour ayant conclu que les questions relevaient de la compétence d’une commission ou d’un tribunal des relations de travail. Le fonctionnaire n’a pas porté la décision en appel. Les questions de relations de travail ont ensuite été tranchées dans la décision King et Waugh. Même si on accepte la tentative du fonctionnaire pour faire croire que ses préoccupations comportaient des éléments de criminalité, il est évident que ses efforts pour obtenir des accusations criminelles contre Mme Hébert et M. Sheridan étaient malveillants et qu’il a dit des faussetés avec insouciance.

183 Les principes décrits dans Corporation of City of Brampton v. Amalgamated Transit Union, Local 1573 (1989), 7 L.A.C. (4e) 294, s’appliquent également aux faits de la présente affaire. Les commentaires du fonctionnaire dépassaient largement les limites de ce qui est reconnu comme acceptable. Ses allégations à propos d’actes fautifs généralisés, d’opérations de camouflage et de mesures de représailles étaient absolument sans fondement et excessivement irresponsables : voir également Amoco Fabrics Ltd. v. Amalgamated Clothing and Textile Workers Union, Local 1606 (1984), 17 L.A.C.(3e) 425.

184 Le fonctionnaire n’a pas tenté, durant son témoignage, de justifier toutes les allégations contenues dans son courriel. Il est demeuré muet sur des points essentiels. Il n’a pas expliqué pourquoi il avait dit que les hauts dirigeants étaient une « honte » ni comment sa carrière avait été ruinée ou en quoi il était [traduction] « […] soumis aux vexations continuelles de ceux qui tentent de dissimuler la vérité ». Le défendeur a soumis que le fonctionnaire a dit des faussetés sciemment ou, à tout le moins, avec insouciance.

3. La sanction disciplinaire

185 Le but des mesures disciplinaires, exception faite du licenciement, est de corriger le comportement. La sanction imposée doit être suffisante pour faire comprendre à l’employé que sa conduite est inacceptable. La raisonnabilité de la sanction doit être proportionnelle à la gravité de la faute. Dans ce cas-ci, le fonctionnaire n’a pas seulement critiqué son employeur, il a poussé l’audace jusqu’à mettre en doute l’honnêteté et l’intégrité de ses supérieurs. Les commentaires du fonctionnaire dénotent un manque de respect pour la direction; voir Grahn c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-15093 et 15094 (19850912); et Forgie.

186 Il est bien établi que le fonctionnaire s’estimant lésé a la charge d’établir l’existence de circonstances atténuantes : Wilson c. le Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-25841 (19950301). Il est également bien établi que pour trouver des circonstances atténuantes, il faut d’abord et avant tout que l’employé exprime des regrets et montre qu’il comprend que sa conduite était inappropriée lorsque l’employeur lui fait initialement part de ses réserves à propos de sa conduite : Naidu, citée avec approbation dans Ayangma; Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, aux paragr. 180, 184 et 191; Way c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 39, aux paragr. 102 et 109. Le fonctionnaire n’a pas exprimé de regrets ni montré qu’il comprenait que sa conduite était inappropriée durant le processus disciplinaire. En fait, peu de temps après avoir reçu la sanction disciplinaire, il a écrit à l’ASFC pour dire qu’il maintenait les allégations contenues dans son courriel (pièce G-1, onglet 30). Durant la réunion disciplinaire au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, il a de nouveau déclaré qu’il maintenait ses commentaires et que M. Gillan lui devait des excuses (pièce R-12, à la page 10). Lorsqu’on lui a demandé, à l’audience, s’il agirait de la même manière si une situation similaire survenait, le fonctionnaire a répondu que tout dépendait de l’issue de l’audience. Si la décision lui est favorable, il n’hésiterait pas à refaire la même chose. À l’évidence, le fonctionnaire n’exprime pas de regrets ni ne montre qu’il comprend que sa conduite était inappropriée.

187 Dans ce cas-ci, le dossier du fonctionnaire contient déjà une suspension de cinq jours pour une faute de conduite similaire (pièce R-1, onglet 24). En appliquant de façon rigide le principe des mesures disciplinaires progressives, sans tenir compte des facteurs aggravants et de l’absence de circonstances atténuantes, la sanction applicable serait une suspension de 10 jours. Cependant, au vu de la gravité de la faute de conduite et du fait que le fonctionnaire n’éprouve pas de regrets, le défendeur soutient que la suspension de 20 jours est une mesure appropriée. Il faut se rappeler que M. Gillan a déclaré que la suspension de 20 jours était une mesure « isolée » qui ne tenait pas compte du principe des mesures disciplinaires progressives. Le défendeur a jugé que le courriel n’était pas un incident culminant, mais qu’il justifiait tout de même une suspension « exemplaire » de 20 jours non payée. Cette mesure fait partie des diverses sanctions raisonnables qui peuvent être imposées pour la conduite en question.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

188 En complément de ses arguments oraux, le fonctionnaire a déposé, à l’audience, deux documents contenant des arguments écrits, qui ont été versés au dossier. Le premier document définit le cadre d’analyse du cas et explique comment les normes établies pour trancher les litiges portant sur l’« expression syndicale » s’appliquent à la preuve produite en l’espèce. Le second document renferme une analyse de la jurisprudence citée par le défendeur.

189 Je présente ci-après les grandes lignes des principaux éléments contenus dans le premier document. Je rapporte ensuite les arguments complémentaires soumis oralement par le fonctionnaire que j’ai jugés utiles. J’ai décidé de ne pas analyser le second document, mais j’en ai tenu compte pour rendre ma décision.

1. Arguments écrits

190 Il existe plusieurs courants jurisprudentiels pour statuer sur les cas portant sur la recherche du juste équilibre entre la liberté d’expression d’un employé et son devoir de loyauté envers l’employeur. Les affaires de divulgation d’actes fautifs mettent en cause des employés qui accusent publiquement leur employeur d’actifs fautifs. Dans les cas portant sur l’expression syndicale, il est question de dirigeants syndicaux qui font des déclarations pour le compte de leurs membres à l’extérieur du lieu de travail.

191 Le fonctionnaire a attiré mon attention sur une multitude de décisions portant sur la divulgation d’actes fautifs, dont celles-ci : Fraser; Chopra c. Conseil du Trésor (Santé Canada), 2001 CRTFP 23 (« Chopra »); Chopra c. Conseil du Trésor (Santé Canada), 2003 CRTFP 115, 2005 CF 958 et 2006 CAF 295; Forgie; Grahn,[1987] A.C.F. no 36; Haydon c. Canada, [2001] 2 C.F. 82 (1e inst.), et 2005 CAF 249; Read.

192 Selon le fonctionnaire, la présente affaire ne porte pas sur la divulgation d’actes fautifs. Le fonctionnaire occupait à plein temps une charge syndicale élective depuis 1996. Il était officiellement en congé de son poste d’inspecteur des douanes à l’aéroport Pearson; il n’avait pas accompli les fonctions de son poste d’attache ni exécuté d’autres tâches pour l’ASFC depuis des années lorsqu’il a envoyé le courriel du 7 septembre 2006. Il a rédigé ce courriel en sa qualité de président du district de Toronto de la CEUDA et les questions qu’il y abordait coïncidaient avec ses responsabilités à ce titre. Le courriel traitait plus particulièrement de questions de santé et de sécurité importantes qui faisaient l’objet d’une campagne continue de promotion de la sécurité publique et des intérêts des membres de la CEUDA auprès de la direction de l’ASFC, des dirigeants politiques et du grand public. Bref, il est évident que la situation qui est examinée ici n’a rien à voir avec celle d’un employé qui se dit ouvertement en désaccord avec les politiques ou les pratiques de son employeur.

193 Outre l’obligation de loyauté envers l’employeur, les fonctions syndicales du fonctionnaire comportaient aussi l’obligation de représenter les membres de la CEUDA, qui fait partie intégrante du régime de relations de travail établi par la Loi. La loi est limpide : pour s’acquitter de leur rôle, les dirigeants syndicaux doivent être en mesure de critiquer franchement et ouvertement l’employeur lorsque les intérêts des employés qu’ils représentent sont en jeu. Afin de le faire de manière efficace, les dirigeants syndicaux bénéficient d’une protection contre les mesures de représailles lorsqu’ils font des déclarations publiques contre l’employeur : Firestone Steel Products of Canada v. International Union, United Automobile, Aerospace and Agricultural Implement Workers, Local 27 (1975), 8 L.A.C. (2e) 164; The Municipality of Metropolitan Toronto v. Canadian Union of Public Employees, Local 79 (1998), 70 L.A.C. (4e) 110.

194 L’arbitre de grief fait sienne cette approche dans Shaw, en faisant observer ceci au paragraphe 50 :

[50] […] le raisonnement à l’appui de la protection des représentants de l’agent négociateur contre les mesures disciplinaires pour des déclarations critiquant l’employeur, sauf celles qui sont malveillantes ou fausses, est que de tels représentants doivent pouvoir exercer le jugement nécessaire pour s’abstenir de faire preuve du degré ordinaire de déférence envers l’employeur afin de s’acquitter d’une responsabilité de représenter les employés avec vigueur et franchise […]

La démarche décrite dans Shaw a également été appliquée dans King (CRTFP), qui mettait en cause le fonctionnaire s’estimant lésé. Cette décision a été confirmée par la Cour fédérale du Canada, à l’issue d’un contrôle judiciaire, dans Canada (Procureur général) c. King, 2009 CF 922 (« King »).

195 La jurisprudence reconnaît que les deux parties peuvent utiliser d’autres stratégies que les négociations, comme des communications avec le public et les médias, pour infléchir le cours des relations de travail et des négociations collectives : Canada Post Corp. v. Canadian Union of Postal Workers (1990), 12 L.A.C. (4e) 336; Burns Meats Ltd. v. Canadian Food & Allied Workers, Local P139 (1980), 26 L.A.C. (2e) 379; Fugère c. Québecair (1987), 72 di 44. Dans Burns Meats Ltd., l’arbitre a observé ceci :

[Traduction]

[…]

Si les représentants syndicaux doivent être libres de s’acquitter de leurs responsabilités dans un régime de négociation collective antagoniste, il ne faut pas les museler pour les réduire à une soumission tranquille, par la menace de sanctions disciplinaires de leur employeur.

[…]

196 Dans Samson, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT) a conclu que la « représentation » des employés par un syndicat comprenait non seulement la représentation auprès de l’employeur, mais également la représentation auprès du public, devant toute tribune où le syndicat juge qu’il est dans l’intérêt de ses membres de le faire. Cette interprétation libérale de l’étendue des activités de représentation syndicale concorde avec la jurisprudence de la Cour suprême du Canada quant à l’importance de l’expression publique des syndicats : Syndicat des détaillants, grossistes et magasins à rayons, section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd., 2002 CSC 8 (« Pepsi-Cola »). Dans Chopra,la Commission a observé ceci au paragraphe 93 :

[93] […] le public est le public où qu’il soit, et […] si un(e) fonctionnaire ne manque pas à son devoir de loyauté envers son employeur quand il (ou elle) se plaint de racisme et de discrimination devant la Commission canadienne des droits de la personne, il n’y a aucune raison logique de prétendre qu’il (ou elle) y manque quand il (ou elle) se plaint de discrimination en public au cours d’une conférence.

197 Dans Pepsi-Cola, la Cour suprême a statué que la liberté d’expression est particulièrement cruciale dans le domaine du travail, comme en atteste le passage suivant :

[…]

34 […] C’est grâce à la liberté d’expression que les salariés sont capables de définir et de formuler leurs intérêts communs et, en cas de conflit de travail, d’amener le grand public à appuyer leur cause : KMart, précité. Comme le juge Cory l’a souligné dans l’arrêt KMart, précité, par. 46, « c’est souvent le poids de l’opinion publique qui détermine l’issue de ce conflit ».

35      La liberté d’expression dans le domaine du travail bénéficie non seulement aux travailleurs et aux syndicats, mais aussi à la société dans son ensemble. Dans l’arrêt Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, les juges La Forest et Wilson ont reconnu l’importance du rôle des syndicats dans les débats de société (voir également R. c. Advance Cutting & Coring Ltd., [2001] 3 R.C.S. 209, 2001 CSC 70, et Dunmore c. Ontario (Procureur général), [2001] 3 R.C.S. 1016, 2001 CSC 94). Élément de cette libre circulation des idées qui fait partie intégrante de toute démocratie, la liberté d’expression des syndicats et de leurs membres lors d’un conflit de travail transporte sur la place publique le débat sur les conditions de travail.

36      Cela dit, la liberté d’expression n’est pas absolue. On peut légitimement restreindre l’expression lorsque le préjudice qu’elle cause l’emporte sur ses avantages. L’alinéa 2b) de la Charte peut donc faire l’objet de limites justifiables au regard de l’article premier.

37      Le même principe s’applique à l’interprétation de la common law en fonction de la Charte. Il faut partir de la liberté d’expression. Cette dernière peut être restreinte, mais seulement dans des limites raisonnables dont la nécessité peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[…]

Voir également British Columbia Public School Employers’ Association v. British Columbia Teachers’ Federation, 2005 BCCA 393.

198 Le critère qui s’applique pour trouver le juste équilibre entre l’obligation de loyauté et le droit à la liberté d’expression dans le cas de dirigeants syndicaux qui s’expriment à titre de représentants des membres de l’unité de négociation dans le cadre d’un régime de relations de travail établi par la loi a été défini comme suit par le CCRT dans Samson :

[…]

[…] Les conseils d'arbitrage semblent […] d'avis que les représentants syndicaux peuvent bel et bien critiquer leur employeur, pourvu qu'ils le fassent dans l'exercice de leurs fonctions syndicales et pourvu aussi que leurs déclarations ne soient pas malveillantes, c'est-à-dire délibérément mensongères ou fausses parce qu'irresponsables.

[…]

199 L’arbitre de grief confirme la raison d’être de cette norme dans Shaw, en observant ceci au paragraphe 41 :

[41]    La valeur de cette norme est qu’elle rend possible la prise en compte des réalités des relations de négociation collective. Il est fondamental pour une telle relation que les personnes qui parlent pour l’agent négociateur choisi par les employés pour les représenter puissent soulever des questions sur des décisions de l’employeur touchant les conditions de travail de ces employés et qu’elles puissent contester la sagesse ou la légitimité de ces décisions. La responsabilité d’un délégué syndical de représenter les employés avec détermination et franchise peut être difficilement conciliable avec le devoir d’obéissance et de fidélité du délégué ainsi que des autres employés envers l’employeur. Il faut donc énoncer une norme de conduite qui n’expose pas injustement le délégué à des mesures disciplinaires pour avoir parfois fait passer ses devoirs envers les employés qu’il représente avant la déférence due à l’employeur. Par ailleurs, cette norme indique nettement qu’aucun représentant n’est à l’abri des conséquences disciplinaires de déclarations fausses ou malveillantes.

200 Dans King (CRTFP), l’arbitre de grief a conclu que l’ASFC n’avait pas prouvé que la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé dépassait les limites de ce qu’il pouvait légitimement faire en sa qualité de représentant syndical, même s’il avait exprimé des critiques dans un contexte délicat en matière de politique dans la lettre qui avait donné lieu à la sanction disciplinaire. Au paragraphe 180, l’arbitre de grief renvoie à Pepsi-Cola au soutien de la proposition que, pour apprécier la conduite de représentants syndicaux, « […] la présomption devrait être favorable à la liberté d’expression du syndicat à moins que sa limitation soit clairement justifiée ». Il note que la décision de la Cour suprême est propice à une interprétation « […] plus libérale que restrictive des auditoires potentiels de l’expression syndicale […] »

201 Dans King (CRTFP), l’arbitre de grief se penche également sur la question de la « malveillance » et conclut que cela suppose bien plus qu’une intention de nuire. Il dit que la déclaration en cause doit avoir été faite avec l’intention de causer du tort et que les commentaires qui critiquent, mais qui ne sont pas mensongers – sciemment ou par insouciance – ne violent pas normalement le « critère de la limite évidente » résumé dans Shaw, même s’ils sont offensants pour l’employeur.

202 La décision King (CRTFP) rejette expressément l’argument de l’employeur selon lequel la jurisprudence portant sur la divulgation d’actes fautifs analysée dans Fraser s’applique aux cas d’expression syndicale, en observant ceci :

[…]

225    L’employeur soutient que je devrais aussi tenir compte de la jurisprudence résumée dans Fraser à cause de la nature qu’il qualifie d’extrême des critiques du fonctionnaire s’estimant lésé à l’endroit de son employeur et, par conséquent, de son manquement à son obligation de loyauté envers l’ASFC.

226    Je ne suis pas d’accord. Le statut du fonctionnaire s’estimant lésé en tant que dirigeant syndical élu à plein temps est fondamental en l’espèce. La jurisprudence résumée dans Fraser est muette sur la question de savoir si ce statut influe sur les principes juridiques en jeu ou, si oui, jusqu’à quel point. Dans cette mesure, Fraser et les décisions analogues portaient sur d’autres circonstances et ne sont pas applicables.

[…]

Dans le cadre d’un contrôle judiciaire de King (CRTFP), la Cour fédérale a expressément fait siennes les conclusions de l’arbitre de grief sur ce point en déclarant ceci paragraphe 9 de King :

9 […] Je ne puis souscrire à l’idée que la décision attaquée devrait être contrôlée suivant la norme de la décision correcte. Cependant, même si j’adoptais ici cette norme de contrôle, je ne pourrais que confirmer les conclusions que l’arbitre formule aux paragraphes 224 à 229 de ses motifs […]

[…]

203 Dans ce cas-ci, le fonctionnaire n’a pas fait de déclarations malveillantes ni dit des faussetés sciemment ou avec insouciance. Il cherchait plutôt à attirer l’attention sur le présumé refus du défendeur de se pencher sur des préoccupations légitimes du syndicat et de ses membres. Les commentaires du fonctionnaire portaient plus particulièrement sur l’intégrité des relations entre la direction et l’agent négociateur eu égard, notamment à la santé et à la sécurité des agents des douanes et du grand public. Le courriel se situait dans le contexte des activités courantes de représentation du fonctionnaire pour le compte de la CEUDA qui l’amenaient notamment à communiquer directement avec des représentants du gouvernement et des médias. Les commentaires du fonctionnaire reprenaient des préoccupations que lui-même et d’autres représentants syndicaux avaient exprimées dans divers contextes dans le passé et qui figuraient au nombre des questions très controversées sur lesquelles le syndicat se faisait le porte-parole de ses membres. Le courriel attirait plus particulièrement l’attention sur des allégations de criminalité et sur la nécessité d’améliorer la sécurité à la frontière canadienne, d’autoriser les garde-frontière à porter une arme et de mieux utiliser le système de vidéosurveillance.

204 Indépendamment des arguments du fonctionnaire à propos de la nature et de l’effet des commentaires, il faut tenir compte du fait que le fonctionnaire était en congé, depuis 1996, de son poste d’agent des douanes et qu’il occupait à plein temps une charge syndicale pour déterminer si sa conduite l’aurait empêché d’accomplir ses fonctions à titre de fonctionnaire. Le défendeur n’a pas démontré que les déclarations du fonctionnaire avaient eu une incidence sur ses relations avec son superviseur ou sur la façon dont le public percevait son aptitude à appliquer les politiques gouvernementales de manière équitable et impartiale.

205 Bref, c’est le critère décrit dans Shaw et appliqué ultérieurement dans King (CRTFP) qui doit être retenu. Les commentaires contenus dans le courriel du 7 septembre 2006 répondent à tous égards au critère de l’expression syndicale protégée. Le fonctionnaire a fait ces commentaires dans le cadre de ses fonctions comme dirigeant syndical élu pendant qu’il était en congé à plein temps de son poste d’attache à l’ASFC. Il n’a pas fait de déclarations malveillantes ni dit de faussetés sciemment ou avec insouciance. Bref, le défendeur n’a pas démontré qu’il y avait lieu d’imposer une mesure disciplinaire.

206 Les documents au dossier démontrent que l’ASFC a présumé à tort que la conduite du fonctionnaire devait être examinée à la lumière de l’obligation de loyauté décrite dans la jurisprudence analysée dans Fraser, comme il l’avait présumé lorsqu’il a lui imposé la suspension de 30 jours examinée dans King (CRTFP). Ce critère ne peut être utilisé pour trancher des cas portant sur l’expression syndicale. Toute tentative du défendeur pour se distancer aujourd’hui du critère Shaw dont il a cautionné l’application dans King (CRTFP) doit être rejetée, surtout après la décision de la Cour fédérale qui a confirmé cette décision à la suite d’un contrôle judiciaire.

207 Au cas où je conclurais que les actes du fonctionnaire comportent des éléments d’inconduite, je dois tenir compte, pour décider de la mesure disciplinaire qui s’applique, de la conduite du défendeur, y compris de l’enquête Derouin et du fait que le dossier du fonctionnaire, aujourd’hui révisé, contenait à ce moment-là une suspension de cinq jours.

208 Le fonctionnaire me demande d’accueillir le grief et de lui accorder les mesures correctives demandées.

2. Argumentation orale complémentaire

209 Le fonctionnaire a déclaré que ce n’était ni le rôle du défendeur ni celui de l’arbitre de grief de remettre en cause les tactiques employées par le fonctionnaire pour représenter ses membres. Suivant la jurisprudence analysée dans Shaw, le fonctionnaire avait le droit de faire ce qu’il voulait, à la condition de ne pas déroger au deuxième élément du critère Shaw, c’est-à-dire de ne faire de déclarations malveillantes ni dire des faussetés sciemment ou avec insouciance.

210 Il faut obliger le défendeur à démontrer que le fonctionnaire a fait des commentaires malveillants ou dit des faussetés sciemment ou avec insouciance, car il est indéniable que le fonctionnaire était en tout temps un représentant syndical à plein temps. Le fonctionnaire n’avait certainement aucune raison de croire que le défendeur ne le percevait pas comme un dirigeant syndical élu.

211 Tout comme dans King (CRTFP), l’élément relatif à la personne « à qui » l’écrit était destiné revêt une importance décisive dans ce cas-ci. Le défendeur a infligé une sanction disciplinaire au fonctionnaire parce qu’il avait envoyé une copie de son courriel aux médias. Le fonctionnaire avait fait les mêmes allégations à maintes reprises dans le passé, or ce n’est que lorsqu’il a envoyé une copie de son courriel aux médias que le défendeur s’en est formalisé. Comme M. Burkholder l’a écrit dans sa lettre du 18 octobre 2006 au fonctionnaire (pièce R-1, onglet 36), M. Gillan a décidé d’instituer une enquête disciplinaire après avoir appris que le fonctionnaire [traduction] « […] a[vait] communiqué avec les médias alors qu[’il] sa[vait] très bien que cela était contraire au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique ».

212 Dans des déclarations publiques antérieures, la CEUDA avait souvent formulé des accusations analogues à celles contenues dans le courriel du fonctionnaire à propos de la conduite éhontée de la direction de l’ASFC, de sa mauvaise gestion et de sa propension à camoufler la vérité (pièce G-1, onglets 31 à 35); le courriel contenait du reste la même rhétorique « courante » que les communiqués de presse de la CEUDA. Une chose est sûre, le défendeur savait très bien que le contenu du courriel du 7 septembre 2006 contenait [traduction] « des propos inoffensifs ». Cela explique sa décision de déroger au principe des mesures disciplinaires progressives et de lui imposer une suspension de 20 jours seulement.

213 Le fonctionnaire a contesté la description que fait le défendeur de certains aspects de la genèse du cas. En ce qui concerne la rencontre du fonctionnaire avec la GRC, en août 2002, il a soutenu que la preuve ne permettait pas d’établir que le résumé qu’en avait fait M. Ramnarace était exact (pièce R-2), alors que le rapport écrit du sergent McAllister mis en preuve dans King et Waugh (pièce G-4) corrobore le témoignage du fonctionnaire qu’il cherchait à savoir si on pouvait l’accuser d’avoir en sa possession des documents [traduction] « obtenus de manière illégale ».

214 La Cour provinciale de Brampton n’a pas rejeté les allégations du fonctionnaire au fond. Elle lui a simplement conseillé de porter sa cause devant une commission ou un conseil des relations de travail. Le fonctionnaire a déclaré qu’il jugeait important de poursuivre le dossier des allégations criminelles. Quand on lui a dit qu’il devait porter sa cause devant la Commission, il l’a fait. La Commission n’a pas statué non plus sur les allégations de criminalité. Elle a simplement déclaré dans King et Waugh qu’elle ne jugeait pas nécessaire de se prononcer sur ces questions. Le fonctionnaire a obtenu gain de cause sur un point important, mais il voulait quand même obtenir une enquête sur de possibles violations du Code criminel. C’est pourquoi, six semaines après la décision King et Waugh, il a écrit à M. Jolicoeur (pièce R-1, onglet 5), qui a transmis le dossier à M. Derouin pour qu’il décide de la suite à donner.

215 Le fonctionnaire a communiqué avec M. Derouin de bonne foi. Il lui a exposé ses allégations et lui a fourni des pièces justificatives, y compris la décision King et Waugh. Il a remis à M. Derouin tout ce dont il avait besoin pour faire une enquête. Puis Mme Hébert est intervenue un vendredi soir (pièce R-1, onglet 10). Le matin du premier jour de travail de la semaine suivante, M. Derouin a stoppé le processus (pièce R-1, onglet 11). Il a dit au fonctionnaire qu’il devait s’abstenir de faire des « [traduction] allégations sans fondement », une remarque qui n’était pas justifiée, comme il l’a admis à l’audience. M. Derouin a camouflé la vérité à propos de son « enquête », en reprochant au fonctionnaire de ne pas avoir fourni de détails pour corroborer ses allégations — reproche qui a été réfuté par la preuve du fonctionnaire.

216 Le fonctionnaire a tenté à plusieurs reprises, après cela, d’attirer l’attention des hautes instances politiques sur ses préoccupations, d’abord au sein de l’administration libérale puis au sein de l’administration conservatrice, mais sans succès chaque fois. Les dirigeants de l’ASFC ont conseillé au gouvernement de ne pas répondre au fonctionnaire parce qu’il n’avait pas fourni de détails pour corroborer ses allégations (par exemple, pièce R-1, onglet 15).

217 Le fonctionnaire s’est finalement résolu à envoyer le courriel du 7 septembre 2006 parce qu’il jugeait important que les politiques du défendeur soient appliquées. Il voulait que ses membres soient traités de manière équitable et avec respect. Il estimait que la direction devait répondre de ses actes et respecter les employés. Le fonctionnaire a déclaré qu’il était obligé d’agir de la sorte parce qu’il devait protéger ses membres.

218 Le fonctionnaire a attiré l’attention sur le fait qu’il ne donnait aucun nom dans son courriel et que c’était les mêmes allégations qu’il faisait depuis le début que renfermait le premier paragraphe. Il a également déclaré qu’il n’avait fait aucun suivi du courriel.

219 Le défendeur a avancé que le fonctionnaire devait se prévaloir des procédures internes, plus particulièrement des divers recours prévus par la Politique sur la divulgation, mais qu’il a refusé de le faire. Le fonctionnaire a soutenu que ce n’est pas la place du défendeur de dire à un dirigeant syndical comment il doit s’y prendre pour défendre les intérêts de ses membres. Le fonctionnaire avait le droit de faire des révélations aux médias, dans la mesure où il ne dérogeait pas au deuxième élément du critère Shaw.

220 Le défendeur a reproché au fonctionnaire de ne pas s’être présenté à la réunion convoquée par M. Gillan. Le fonctionnaire a expressément dit, dans son témoignage, qu’il était prêt à coopérer, mais qu’il voulait d’abord obtenir réponse à certaines questions. Le défendeur n’a jamais fourni ces réponses. Quoi qu’il en soit, le fonctionnaire a participé à la procédure de règlement des griefs et répondu aux questions. M. Gillan a déclaré, dans son témoignage, que le fonctionnaire n’avait pas fait allusion à ses droits comme dirigeant syndical au troisième palier de la procédure de règlement griefs. Or, le compte rendu de la réunion rédigé par Mme Dhanjal indique le contraire.

221 Même si la jurisprudence analysée dans Fraser s’applique, le défendeur doit faire la preuve que les déclarations du fonctionnaire l’ont empêché d’accomplir ses fonctions. Pour l’essentiel, les fonctions du fonctionnaire consistaient à s’acquitter des tâches d’un représentant syndical. Le défendeur n’a pas démontré que l’envoi du courriel l’avait un tant soit peu empêché d’accomplir ces fonctions. Contrairement à la situation qui existait dans Fraser, dans ce cas-ci, les commentaires du fonctionnaire n’ont pas été diffusés par les médias. Le défendeur n’a pas démontré que le courriel lui avait causé la moindre parcelle de tort. Il ne s’est rien passé. Rien ne permet de dire que les représentants des médias ont pris connaissance du courriel.

222 Indépendamment de sa position que le défendeur n’était pas fondé à lui imposer une sanction disciplinaire, le fonctionnaire m’a également exhorté à tenir compte de la conduite du défendeur, qu’il qualifie de répréhensible, pour déterminer la mesure disciplinaire qui s’applique, le cas échéant. À titre d’exemple de cette conduite répréhensible, le fonctionnaire mentionne la manière dont M. Derouin a traité sa demande d’enquête, l’ingérence de Mme Hébert et les efforts déployés par le défendeur pour convaincre les ministres de ne pas répondre à ses lettres et courriels. La nature de la faute de conduite qu’on lui reproche justifie tout au plus une réprimande.

C. Réfutation du défendeur

223 L’arrêt Pepsi-Cola pose un problème, car l’intérêt opposé qu’examine la Cour suprême n’est pas l’obligation de loyauté, un élément fondamental de l’équation qui entre en ligne de compte dans Fraser et Read.

224 En ce qui concerne les conclusions de King, il est important de préciser que la Cour fédérale a appliqué le critère de la décision raisonnable comme norme de contrôle judiciaire et qu’elle ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de la décision. Si la Cour avait appliqué la norme de la décision fondée à la décision King (CRTFP), le résultat aurait été différent. Quant au fardeau de la preuve, le défendeur a admis, dans King, que ce fardeau lui incombait. Il croit aujourd’hui qu’il a eu tort d’accepter cette charge.

225 L’envoi du courriel a eu un effet sur l’aptitude du fonctionnaire à accomplir les fonctions de son poste. M. Sheridan et Mme Hébert ont l’un et l’autre affirmé que le fonctionnaire ne bénéficiait plus du degré de respect nécessaire pour jouer son rôle de représentant syndical. Ses actes ont eu un impact manifeste sur le climat de travail.

226 Le fonctionnaire n’a pas plaidé l’immunité syndicale au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Mme Dhanjal a déclaré, à l’audience, qu’elle avait cru comprendre que les commentaires du fonctionnaire à propos de la « volumineuse jurisprudence » faisaient référence au rôle de l’agent négociateur durant la procédure de règlement des griefs. Quoi qu’il en soit, M. Gillan a tenu compte du rôle du fonctionnaire pour décider de la mesure à prendre et il a conclu que le fonctionnaire avait agi en son nom personnel.

227 Les communiqués de presse diffusés par la CEUDA sont d’une tout autre nature et n’ont aucun rapport avec la présente affaire. Même si ces communiqués contiennent des libellés similaires, le fonctionnaire n’avait pas carte blanche pour formuler ses allégations, surtout sans s’identifier comme représentant syndical. Les documents de la CEUDA prouveraient peut-être que l’agent négociateur a fait des allégations analogues, mais ils ne prouveraient pas que ces allégations sont fondées.

228 Le défendeur a fait valoir un certain nombre d’arguments supplémentaires dans sa réfutation, en voici quelques-uns : 1) l’acharnement du fonctionnaire à obtenir des accusations criminelles pointe davantage en direction d’une vendetta personnelle que d’une démarche syndicale; 2) M. Derouin et Mme Hébert ont l’un et l’autre déclaré que le courriel de Mme Hébert à M. Derouin ne visait pas à faire stopper l’enquête; 3) M. Derouin a transmis les allégations du fonctionnaire à un enquêteur de la DAI, qui a conclu que le dossier n’était pas suffisamment étoffé pour faire une enquête; 4) toutes les allégations contenues dans le courriel du 7 septembre 2006 portaient sur des « actes fautifs » au sens de la Politique sur la divulgation; 5) le fait que le fonctionnaire mentionne son rôle de représentant syndical dans son courriel à M. Burkholder ne le soustrait pas à l’obligation de présenter une défense complète durant la procédure de règlement des griefs; 6) à propos de l’empêchement à accomplir le travail, il est important de noter que l’employé qui occupe le poste de président d’une section locale peut reprendre du service chez l’employeur s’il n’est pas réélu.

IV. Motifs

229 Dans sa lettre du 2 novembre 2006, M. Gillan explique pourquoi il a décidé d’imposer une suspension de 20 jours non payée au fonctionnaire (pièce R-1, onglet 39) :

[Traduction]

[…]

Le fait que vous ayez fait parvenir à des représentants des médias un document contenant des allégations sans fondement contre votre employeur constitue une faute de conduite grave qui va à l’encontre du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique […]

[…]

Au vu de la raison invoquée par le défendeur, je dois décider s’il a prouvé que, selon la prépondérance des probabilités, l’acte du fonctionnaire — c’est-à-dire l’envoi du courriel du 7 septembre 2006 aux médias — constituait une faute de conduite justifiant l’imposition d’une mesure disciplinaire. Si le défendeur s’est acquitté de ce fardeau, je dois déterminer si la suspension de 20 jours non payée était la sanction disciplinaire appropriée dans ce cas-là.

A. Le critère Shaw et le critère Fraser

230 Les parties sont fondamentalement en désaccord sur la question de savoir si la présente affaire porte sur la divulgation d’actes fautifs ou sur l’expression syndicale. Le défendeur soutient que le courriel du fonctionnaire visait à dénoncer des actes fautifs et, donc, que la jurisprudence analysée dans Fraser s’applique. Le fonctionnaire avance pour sa part que l’affaire porte sur la liberté des dirigeants syndicaux de critiquer ouvertement l’employeur et que je dois retenir le critère Shaw.

231 Bien que je reprenne à mon compte, dans les présents motifs, la décision de la Cour fédérale confirmant l’application du critère Shaw dans King (CRTFP), je n’exclus pas la possibilité que les circonstances de la présente affaire soient différentes de celles qui sont examinées dans King (CRTFP)et Shaw, que les principes juridiques s’appliquent de manière différente ou, même, que d’autres principes juridiques entrent en jeu.

232 Pour l’essentiel, le défendeur plaide que la jurisprudence qui sous-tend Shaw analyse la question du juste équilibre entre la liberté d’expression et l’obligation de loyauté envers l’employeur dans un contexte très différent de celui du gouvernement. Selon le défendeur, Fraser établit que certains facteurs qui s’appliquent lorsque l’employeur est le gouvernement ne s’appliquent pas ou ne s’appliquent pas dans la même mesure dans le secteur privé. En faisant abstraction de ces facteurs, on [traduction] « […] alt[érerait] le délicat équilibre que la Cour suprême du Canada a établi entre la liberté d’expression et l’obligation de loyauté des fonctionnaires ». Le défendeur m’exhorte à ne pas utiliser Shaw parce qu’il élargit la portée de l’immunité syndicale plus qu’il n’est nécessaire dans le secteur public central compte tenu des caractéristiques propres à l’exercice d’un emploi au sein du gouvernement.

233 Sauf le respect que je lui dois, je dois dire que je ne partage pas le point de vue du défendeur. Les décisions qui sont analysées dans Fraser concluent toutes sans exception que « […] les caractéristiques d'impartialité, de neutralité, d'équité et d'intégrité […] » propres à l’exercice d’un emploi au sein du gouvernement nécessitent des normes de comportement différentes de celles qui s’appliquent dans le secteur privé en ce qui concerne l’expression de critiques publiques contre l’employeur, et aussi plus rigoureuses. Cela dit, ces normes de comportement établissent ce qu’un fonctionnaire doit faire, ou s’abstenir de faire, dans le cadre de ses fonctions au sein du gouvernement. La jurisprudence analysée dans Fraser reste muette sur l’application des normes aux employés qui quittent — temporairement ou à plein temps — leur poste de fonctionnaire pour assumer des responsabilités syndicales, comme la loi les y autorise. Bref, le défendeur plaide que les principes juridiques fondamentaux demeurent les mêmes dans ce scénario, tout en admettant qu’il convient d’accorder une plus grande liberté d’expression au fonctionnaire qui agit en sa qualité de dirigeant syndical.

234 En l’absence d’indications explicites de la Cour suprême quant à l’application du critère Fraser aux fonctionnaires qui agissent en qualité de représentant syndical, je demeure convaincu que je dois tenir compte des observations générales formulées plus récemment par la Cour suprême dans Pepsi-Cola à propos de la liberté d’expression des représentants syndicaux. Même si ce cas portait sur la légalité de lignes de piquetage secondaires dans un conflit opposant des parties du secteur privé, la Cour suprême en a profité pour attirer l’attention en général sur l’importance de la liberté d’expression dans le domaine du travail, comme en fait foi le passage suivant :

[…]

33      La liberté d’expression est particulièrement cruciale dans le domaine du travail.  Comme le juge Cory l’a fait remarquer au nom de notre Cour dans l’arrêt T.U.A.C., section locale 1518 c. KMart Canada Ltd., [1999] 2 R.C.S. 1083, « [p]our les employés, la liberté d’expression devient une composante non seulement importante, mais essentielle des relations du travail » (par. 25).  Les valeurs liées à la liberté d’expression ont directement trait au travail d’une personne.  L’emploi d’une personne et les conditions de son milieu de travail influent sur son identité, sa santé psychologique et son estime de soi : Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; KMart, précité.

34     Les questions personnelles en jeu dans les conflits de travail transcendent souvent les problèmes usuels de possibilités d’emploi et de détermination des salaires.  Les conditions de travail comme la durée et le lieu du travail, les congés parentaux, les prestations de maladie, les caisses de départ et les régimes de retraite peuvent avoir une incidence sur la vie personnelle des travailleurs, même en dehors de leurs heures de travail.  L’expression d’opinion sur ces questions contribue à la compréhension de soi ainsi qu’à la capacité d’influencer sa vie au travail et sa vie en dehors du travail.  De plus, l’inégalité entre le pouvoir économique de l’employeur et la vulnérabilité relative du travailleur sous-tend presque toutes les facettes de la relation entre l’employeur et son employé : voir Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701, par. 92, le juge Iacobucci.  Dans le domaine du travail, la liberté d’expression joue donc un rôle important pour ce qui est d’éliminer ou d’atténuer cette inégalité.  C’est grâce à la liberté d’expression que les salariés sont capables de définir et de formuler leurs intérêts communs et, en cas de conflit de travail, d’amener le grand public à appuyer leur cause : KMart, précité.  Comme le juge Cory l’a souligné dans l’arrêt KMart, précité, par. 46, « c’est souvent le poids de l’opinion publique qui détermine l’issue de ce conflit ».

35      La liberté d’expression dans le domaine du travail bénéficie non seulement aux travailleurs et aux syndicats, mais aussi à la société dans son ensemble.  Dans l’arrêt Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, les juges La Forest et Wilson ont reconnu l’importance du rôle des syndicats dans les débats de société (voir également R. c. Advance Cutting & Coring Ltd., [2001] 3 R.C.S. 209, 2001 CSC 70, et Dunmore c. Ontario (Procureur général), [2001] 3 R.C.S. 1016, 2001 CSC 94).  Élément de cette libre circulation des idées qui fait partie intégrante de toute démocratie, la liberté d’expression des syndicats et de leurs membres lors d’un conflit de travail transporte sur la place publique le débat sur les conditions de travail.

[…]

Je ne trouve aucune indication dans les observations de la Cour suprême sur la protection de la liberté d’expression syndicale qui m’autoriserait à penser qu’elles ne s’appliquent avec autant de vigueur à l’exercice d’un emploi au sein du gouvernement lorsqu’il est question de l’expression de critiques publiques contre l’employeur par un représentant syndical. À vrai dire, au moins deux des décisions qu’analyse la Cour mettaient en cause des employés des secteurs public ou parapublic. Le rôle des représentants syndicaux du secteur privé et du gouvernement est essentiellement le même. Ils entretiennent généralement le même type de relation avec leur employeur, même si les paramètres de leurs activités sont parfois définis de façon différente dans leurs règlements habilitants. On peut à tout le moins affirmer que la liberté d’expression sur laquelle la Cour suprême porte son regard revêt encore plus d’importance pour un représentant syndical dont l’interlocuteur est un employeur du gouvernement qui bénéficie d’un accès privilégié à des stratégies de communication publique.

235 Parlant de Pepsi-Cola, j’ai observé ce qui suit au paragraphe 180 de King (CRTFP) :

180 […] j’estime que cet arrêt de la Cour […] est […] pertinent, puisqu’elle a conclu plus généralement que la présomption devrait être favorable à la liberté d’expression du syndicat à moins que sa limitation soit clairement justifiée. Bien que la Cour n’ait pas défini où s’arrête la liberté d’expression syndicale, son raisonnement est selon moi propice à une interprétation plus libérale que restrictive des auditoires potentiels de l’expression syndicale, à condition que cette expression soit liée au mandat de représentation du syndicat et ne constitue pas à d’autres égards une conduite pouvant être contestée pour d’autres raisons légales.

La décision Shaw offre l’avantage d’établir un critère valable pour déterminer si l’employeur est fondé à brimer la liberté d’expression dans le domaine du travail. Contrairement à Fraser, elle propose des paramètrespour analyser les limites de l’immunité syndicale contre les sanctions disciplinaires. Selon moi, Shaw permet encore à l’arbitre de grief de tenir compte du contexte de l’emploi pour appliquer le critère en deux volets qu’elle définit, mais sans en interdire l’application à tout un secteur.

236 Pour ces motifs, je conclus que je peux appliquer le critère Shaw dans ce cas-ci. Si je conclus, après examen du premier élément du critère Shaw, que le fonctionnaire n’a pas rédigé le courriel du 7 septembre 2007 en sa qualité de représentant syndical, il ne pourra pas bénéficier du degré d’immunité contre les sanctions disciplinaires qu’accorde Shaw. J’appliquerai alors le critère Fraser. Si je conclus, par contre, que le fonctionnaire a agi en sa qualité de représentant syndical, je devrai appliquer le second élément du critère Shaw.

237 Pour des raisons qui s’imposeront d’elles-mêmes, je n’ai pas jugé nécessaire de me pencher sur l’argument complémentaire du défendeur selon lequel le fonctionnaire n’a pas le droit de plaider l’immunité syndicale ici parce qu’il ne l’aurait pas fait durant la procédure de règlement des griefs. Je ne crois pas non plus que je doive déterminer si la doctrine énoncée dans Burchill limite les arguments que le fonctionnaire est en droit de présenter à l’audience.

B. Le fonctionnaire a-t-il agi en sa qualité de dirigeant syndical?

238 Pour appliquer le premier élément du critère Shaw, je dois déterminer si le fonctionnaire a rédigé le courriel en sa qualité de dirigeant syndical ou, pour reprendre l’un des arguments écrits du défendeur, s’il [traduction] « a agi de son propre chef ».

1. À qui incombe le fardeau de la preuve?

239 Même si le défendeur a admis qu’il avait la charge d’établir ses allégations de conduite répréhensible selon la prépondérance des probabilités, il n’en a pas moins affirmé que le fonctionnaire avait pour sa part la charge d’établir la « défense positive » qu’il bénéficiait de l’immunité syndicale en envoyant le courriel du 7 septembre 2006. Pour appuyer sa position, le défendeur renvoie principalement à l’ouvrage de M. Gorsky et al. intitulé Canadian Labour Arbitration, et à la décision de la Commission dans Kelly.

240 Je ne suis pas d’accord avec la position du défendeur. Après avoir examiné les références citées, je ne suis pas convaincu que l’on puisse dire que le fonctionnaire plaide un moyen de défense positif spécifique qui est similaire à celui que décrit Gorsky ou qui aurait pu être offert dans Kelly. Dans le genre de situations qu’expose Gorsky (et qui ne mettent aucunement en cause des employés occupant une charge syndicale élective), certains faits particuliers à un cas peuvent éviter à un employé d’être déclaré coupable d’actes qui seraient par ailleurs considérés comme des fautes de conduite. Par exemple, l’employé qui a refusé d’obéir à un ordre de faire des heures supplémentaires pourrait ne pas écoper d’une sanction disciplinaire s’il démontre que cet ordre était illégal. Dans (qui ne met pas en cause un employé représentant les membres d’un syndicat), l’agent correctionnel avait fini par admettre sa faute de conduite, en plaidant toutefois qu’il avait agi sous le coup de la peur après avoir reçu des menaces d’un autre détenu qui s’était révélé être un informateur de la GRC. Compte tenu de l’information qu’il avait recueillie auprès de l’informateur, l’agent correctionnel a défendu la position qu’il ne devait pas être sanctionné pour sa faute de conduite.

241 Plaider un moyen de défense positif équivaut en quelque sorte à invoquer des circonstances atténuantes. Il est donc de mise que la partie qui avance une défense positive en établisse le fondement. Je crois toutefois que la situation d’un dirigeant syndical qui accomplit des fonctions de représentation est passablement différente. La Loi répertorie diverses activités sous la rubrique « Représentation ». Ces activités contribuent à la réalisation des objectifs de la législation et devraient être présumées légitimes, à prime abord. Obliger un employé qui représente un agent négociateur, surtout s’il occupe à plein temps une charge syndicale élective, à invoquer le moyen de défense positive spécifique de l’immunité syndicale me semble contraire à la présomption de légitimité des activités de représentation sur laquelle est basée l’application de la loi. Je peux admettre que, dans un cas particulier, le fonctionnaire s’estimant lésé soit initialement tenu de prouver à première vue qu’il occupe une charge syndicale ou qu’il a agi à titre de « représentant », mais pousser cette exigence plus loin engendrerait des problèmes.

242 Si j’acceptais la position du défendeur sur la question du fardeau de la preuve, les représentants syndicaux pourraient être contraints de prouver la légitimité de leurs activités de représentation chaque fois qu’un employeur leur impose une sanction disciplinaire pour avoir fait des déclarations publiques qu’il juge inacceptables. Cela créerait une catégorie générale de situations où le fardeau habituel de prouver le bien-fondé de la mesure disciplinaire est modifié ou inversé. J’estime que le concept de défense positive suppose généralement l’existence de circonstances exceptionnelles et que le but n’est pas de l’appliquer à toute une catégorie de situations en général. Dans le contexte de sanctions disciplinaires, ce concept a davantage sa raison d’être dans des causes individuelles comportant des faits spécifiques qui amènent le fonctionnaire s’estimant lésé à défendre ses actes après que l’employeur a établi le bien-fondé de la sanction disciplinaire. S’il convenait plutôt de modifier ou d’inverser le fardeau de la preuve pour une catégorie générale de cas disciplinaires en obligeant les dirigeants syndicaux à plaider un moyen de défense positif, il me semble que la Loi contiendrait une disposition explicite en ce sens comme c’est le cas ailleurs lorsque le fardeau de la preuve est inversé.

243 Bref, le défendeur ne m’a pas convaincu que la jurisprudence exige que le fonctionnaire plaide un moyen de défense positif dans son rôle de dirigeant syndical. Comme dans King (CRTFP), je conclus qu’il appartient au défendeur de prouver, dans le cadre de l’obligation générale qui lui est faite d’établir le bien-fondé de la mesure disciplinaire, que le fonctionnaire n’a pas agi en sa qualité de dirigeant syndical dans ce cas-ci.

2. Le défendeur a-t-il prouvé que le fonctionnaire n’a pas agi en sa qualité de dirigeant syndical?

244 Le fonctionnaire a été président de la section du district de Toronto de la CEUDA de 2005 à 2007. À toutes les périodes pertinentes avant 2005, il occupait également à plein temps une charge élective à la CEUDA. La preuve révèle qu’il était en congé payé autorisé continu de son poste à l’aéroport Pearson, sauf durant les périodes où il obtenait un congé non payé pour remplacer le président national de la CEUDA à titre intérimaire.

245 Donc, la preuve établit expressément à prime abord que le fonctionnaire occupait une charge syndicale à plein temps. Le défendeur soutient qu’il était toujours un employé, que sa rémunération était payée par l’ASFC, qu’il devait rendre compte de son emploi du temps à son superviseur et qu’il était par ailleurs assujetti aux conditions d’emploi habituelles. Le défendeur plaide également que son statut était très différent de celui de M. Moran, qui bénéficiait d’un congé pour remplir les fonctions de président national de la CEUDA.

246 Je ne crois pas que la différence de statut entre le fonctionnaire et M. Moran revête quelque importance dans ce cas-ci. Les deux dirigeants syndicaux étaient en congé autorisé. Le fait que l’un était rémunéré par le défendeur et l’autre par l’agent négociateur ne change rien au fait que ni l’un ni l’autre n’accomplissait les fonctions d’un poste de l’ASFC. Si des témoins du défendeur ont soutenu que le fonctionnaire aurait pu être rappelé au travail, la preuve a démontré que cela ne s’était jamais produit durant les périodes en cause.

247 Le fait que le fonctionnaire était en congé n’a pas d’incidence en soi sur l’issue de l’affaire. Le défendeur a fait valoir que le premier élément du critère Shaw serait dénué de sens si tout ce que fait un dirigeant syndical constitue par définition une activité syndicale. Il faut plutôt chercher réponse à la question dans la preuve de ce que le fonctionnaire a réellement fait, de ce qu'il a écrit et des raisons qui ont motivé sa conduite.

248 La jurisprudence établit de manière probante que les représentants syndicaux peuvent utiliser une panoplie de stratégies pour promouvoir les intérêts de leurs membres, y compris se servir des médias : voir, par exemple, Canada Post Corp. et Burns Meat Ltd. Le point commun de ces stratégies est qu’elles appuient les activités légitimes de représentation prévues par la loi habilitante, telles qu’améliorer les conditions de travail par la négociation collective ou protéger les membres contre des pratiques injustes ou illicites de l’employeur par des procédures de recours. Au paragraphe 183 de King (CRTFP), j’ai déclaré que la jurisprudence m’autorisait à adopter une définition libérale des activités de représentation légitimes :

[…]

[…] les types d’expressions et d’activités syndicales qui justifient une protection sont celles qui sont liées à des questions de relations de travail correspondant au mandat de représentation du syndicat, sans nécessairement limiter étroitement ce mandat aux activités traditionnelles de négociation collective et de traitement de griefs […]

[…]

249 Le défendeur soutient que le fonctionnaire [traduction] « a agi de son propre chef ». Pour étayer cette position, il s’appuie sur la preuve suivante : 1) le fonctionnaire ne s’est pas identifié comme un représentant syndical dans le courriel et les médias qu’il a ciblés étaient dans l’impossibilité de savoir qui il était; 2) le fait que le fonctionnaire déclare dans le courriel que l’ASFC [traduction] « […] ruine […] la carrière de gens comme [lui] […] » prouve qu’il poursuivait un objectif personnel; 3) le ton et le libellé du courriel étaient très différents de ceux des communiqués officiels de la CEUDA, indépendamment de la virulence des attaques de cette dernière contre l’ASFC, et trahissaient des préoccupations personnelles plutôt que syndicales; 4) l’absence de preuve que d’autres dirigeants de la CEUDA souscrivaient aux allégations du fonctionnaire ou approuvaient sa conduite; 5) la décision du fonctionnaire de ne pas interjeter appel de la décision du juge de paix de la Cour provinciale à Brampton parce qu’il n’en avait pas les moyens prouve qu’il poursuivait ses efforts pour obtenir des accusations criminelles contre M. Sheridan et Mme Hébert de son propre chef sans avoir l’appui du syndicat.

250 Le défendeur me demande d’accorder une valeur probante au fait que le fonctionnaire n’a pas appelé d’autres représentants syndicaux pour prouver qu’il bénéficiait de l’appui du syndicat. Le défendeur soutient qu’il faut accorder une importance très significative au fait que le fonctionnaire a expliqué son courriel du 7 septembre 2007, en contre-interrogatoire, en disant qu’il avait décidé de [traduction] « […] faire un suivi en envoyant un courriel personnel à cinq personnes » [je souligne]. Cela démontre que les efforts persistants du fonctionnaire pour obtenir des accusations criminelles contre M. Sheridan et Mme Hébert étaient motivés par un désir de revanche personnel, puisque la question de relations de travail associée à l’ordre qu’ils avaient donné aux employés de détruire la feuille de calcul Kingman avait déjà été résolue par King et Waugh. De plus, des autorités externes — la GRC, la cour provinciale et le service de police de Peel — avaient toutes dit au fonctionnaire qu’il ferait mieux de porter sa cause devant une commission ou un conseil des relations de travail.

251 Je ne trouve pas convaincants certains des éléments de preuve cités par le défendeur ni tous ses arguments quant à l’importance de cette preuve. Cela dit, je considère comme très pertinente son observation à propos des efforts que le fonctionnaire a déployés sans relâche pendant cinq ans pour obtenir des accusations criminelles contre M. Sheridan et Mme Hébert, et qu’il décrit comme une croisade personnelle n’ayant aucun lien avec ses responsabilités syndicales.

252 Le fonctionnaire a déclaré, à l’audience : [traduction « […] si M. Derouin et ses semblables peuvent rejeter aussi facilement des allégations de criminalité […] et si [le fonctionnaire] ne parvient pas à attirer l’attention sur des allégations formelles de criminalité, quel espoir [lui] reste-il d’attirer l’attention sur les problèmes de ses membres? » Il a aussi déclaré que son [traduction] « […] sens du devoir l’obligeait à soulever ces questions […] » et que [traduction] « […] les membres attendaient cela de [lui] ». Je ne dispose d’aucune preuve irréfutable que les membres du fonctionnaire s’attendaient à ce qu’il obtienne des accusations criminelles contre M. Sheridan et Mme Hébert. J’ai examiné attentivement les communiqués de presse de la CEUDA mis en preuve par le fonctionnaire (surtout la pièce G-1, onglets 31 à 35) et d’autres documents au dossier pour voir s’ils contenaient des indications plausibles que le mandat que les membres avaient confié à leurs dirigeants syndicaux incluait d’amener M. Sheridan et Mme Hébert à répondre d’actes criminels. Je n’ai rien trouvé de concluant en ce sens. Je ne trouve pas non plus très crédible l’explication du fonctionnaire concernant la nécessité d’obtenir des accusations criminelles (en s’adressant à la cour provinciale) pour protéger la feuille de calcul Kingman au nom de l’agent négociateur. La preuve a plutôt démontré que le fonctionnaire avait déjà pris des mesures raisonnables pour protéger le document en le remettant à son avocat. Il est aussi révélateur d’apprendre que le fonctionnaire n’a pas interjeté appel de son échec devant le juge paix pour obtenir des accusations criminelles parce qu’il n’en avait pas les moyens. Cela n’est guère de nature à nous convaincre qu’il agissait à titre officiel au nom de ses membres ou qu’il avait l’appui de l’agent négociateur.

253 Le fonctionnaire a demandé comment il pouvait espérer attirer l’attention sur les problèmes de ses membres si personne n’acceptait d’investiguer ses allégations de criminalité à sa satisfaction. À en juger par la preuve dont je dispose, les « problèmes de ses membres » eu égard à l’ordre de détruire la feuille de calcul Kingman — qui est à l’origine des allégations de criminalité — ont été résolus. Dans King et Waugh, la Commission a examiné la situation du point de vue des relations de travail et a conclu en faveur du fonctionnaire. Dans la mesure où la situation Kingman était intimement liée aux intérêts du fonctionnaire aussi bien qu’à ceux de ses membres, il s’agissait de s’assurer que le défendeur respecte le droit qui est reconnu aux représentants syndicaux d’obtenir et d’utiliser l’information à des fins de représentation licites prévues par l’ancienne LRTFP et par le Code. Il m’apparaît utile de rappeler ici ce que la Commission a conclu à ce propos dans King et Waugh :

[…]

[94]    Pourquoi a-t-on demandé aux plaignants de détruire ce document, s'il ne constituait pas une infraction de l'article 107 ou s'il n'en aurait constitué une que s'il avait été divulgué à d'autres? M. Tait a témoigné que le Rapport Kingman, dont le tableau était un dérivé, avait été déposé pour promouvoir le « plan » des inspecteurs des douanes en vue de leur faire obtenir la parité salariale avec les policiers; les intéressés pensaient peut-être que les inspecteurs tentaient d'avancer des arguments pour qu'on les équipe d'armes à feu en suscitant une discussion sur ce Rapport énumérant divers incidents survenus aux postes frontaliers sur une longue période. La seule conclusion que je puisse tirer, c'est que l'employeur a essayé d'empêcher cette discussion en ordonnant la destruction du document.

[…]

[97]    En ordonnant la destruction du document, je suis convaincu que l'employeur a empêché les plaignants de se servir des données qu'il contenait pour discuter de leurs préoccupations en matière de santé et de sécurité aux réunions du Comité de SST.

[98]    Je ne puis tirer de la preuve aucune autre conclusion que celle que l'employeur a porté atteinte aux droits des plaignants de représenter les employés et sapé leurs intérêts aux réunions du Comité de SST, ce qui constituerait à mon avis une infraction de l'article 8 de l[’ancienne]LRTFP, chose interdite par la Loi.

[…]

[105]   La preuve a démontré que l'employeur a suspendu les plaignants parce qu'ils refusaient de détruire un document. Or, dans leurs fonctions de membres d'un comité de santé et de sécurité au travail, les deux plaignants avaient parfaitement le droit de porter des questions à l'attention du comité. Quel était l'objet de ce comité? Le paragraphe 135(1) du Code dispose qu'il consiste à « examiner les questions qui concernent le lieu de travail en matière de santé et de sécurité ». En ordonnant la destruction d'un document qui, la preuve l'a montré, ne constituait pas une infraction de l'article 107 de la Loi sur les douanes, l'employeur a empêché les plaignants d'examiner ces questions de santé et de sécurité en se servant des données qu'il contenait, et il a par conséquent enfreint le Code.

[106]   De même, j'estime que l'employeur a enfreint l'alinéa 134.1(4)b) du Code en empêchant le Comité de se pencher sur des « questions en matière de santé et de sécurité que [soulevaient] ses membres ». C'est l'évidence même : lorsqu'on empêche un membre d'un tel comité de soulever une question, elle ne peut être examinée.

[…]

254 Bref, le fonctionnaire a défendu avec succès les intérêts de l’agent négociateur devant la Commission eu égard à l’ordre donné par M. Sheridan et par Mme Hébert. Une fois ce différend réglé, on peut très certainement dire que les efforts persistants du fonctionnaire pour obtenir des accusations criminelles contre M. Sheridan et Mme Hébert n’avaient plus aucun lien avec ses responsabilités syndicales en vertu de la Loi. Les enjeux fondamentaux en matière de santé et de sécurité, auxquelles se rapportait l’information contenue dans la feuille de calcul Kingman, ont continué d’animer d’autres activités de représentation que le fonctionnaire a entreprises par la suite ainsi que celles de la CEUDA, à juste titre à mon sens. La preuve démontre que les stratégies médias de la CEUDA sont demeurées axées sur la nécessité de protéger les membres contre les risques pour la sécurité et la population canadienne contre les menaces à la sécurité aux divers postes frontaliers. Je ne dispose cependant d’aucun élément de preuve corrélatif indiquant en quoi ou pourquoi la légalité de l’ordre donné en 2002 de détruire la feuille de calcul Kingman demeurait une préoccupation valide pour les membres de la CEUDA ailleurs que dans l’esprit du fonctionnaire.

255 Il m’apparaît plutôt que le fonctionnaire demeure intimement convaincu à ce jour que justice n’a pas encore été rendue. Son « sens du devoir l’obligeait » à poursuivre la lutte. Je ne suis pas au courant d’une interprétation contraignante de l’obligation que la Loi impose aux représentants syndicaux de représenter leurs membres qui inclut l’obtention de sanctions pénales dans l’affaire qui nous occupe, surtout après avoir été avisé par les autorités chargées de l’application de la loi et une cour provinciale qu’il s’agissait d’un cas de relations de travail. Peut-être le fonctionnaire était-il intimement convaincu de l’importance de poursuivre la lutte ou peut-être croyait-il qu’il défendait ainsi farouchement les intérêts de ses membres. Quoi qu’il en soit, sa conduite ne doit pas être jugée uniquement à travers la lentille de sa perception personnelle. Il doit exister un lien raisonnable avec les objectifs et activités de représentation prévus par la Loi. Il se peut fort bien que dans certaines conditions, on considère que les efforts d’un dirigeant syndical pour obtenir des accusations criminelles s’inscrivent dans son mandat officiel de représentation en vertu de la Loi. Mais je ne crois pas que ces conditions soient présentes dans ce cas-ci.

256 La persistance du fonctionnaire à vouloir obtenir des accusations criminelles contre Mme Hébert et M. Sheridan présente les caractéristiques d’une croisade personnelle, comme l’a fait valoir le défendeur. Le fonctionnaire avait reçu des indications unanimes qu’il était préférable d’abandonner l’idée d’obtenir des accusations criminelles et de chercher plutôt une solution du côté des relations de travail. La Commission a d’ailleurs statué en sa faveur dans King et Waugh en partant de ce principe. Bref, quel but visait réellement le fonctionnaire en poursuivant ses efforts pour obtenir des accusations criminelles, si ce n’est, en un sens, de punir Mme Hébert et M. Sheridan.

257 La preuve relative à l’incident survenu en février 2006, où le fonctionnaire aurait conseillé à M. Sheridan de transférer le titre de propriété de sa résidence à son épouse, car il avait l’intention d’intenter une action contre lui, est particulièrement troublante. Le fonctionnaire soutient qu’il n’a jamais rien dit de tel, mais son témoignage sur ce point pourrait fort bien être d’intéressé. À la lumière du critère énoncé dans Faryna and Chorny, je suis convaincu qu’une personne bien informée considérerait que le témoignage de M. Sheridan sur cet incident s’accorde mieux avec la prépondérance des faits. Bien sûr, on pourrait penser que M. Sheridan avait des raisons personnelles de vouloir discréditer le fonctionnaire, mais il reste que, dans l’ensemble, son témoignage m’a paru franc et honnête. À mon sens, l’incident avec M. Sheridan nous donne un aperçu révélateur des objectifs que poursuivait le fonctionnaire. Je juge qu’il se souciait très peu de savoir que ses actes allaient porter atteinte à la réputation personnelle de Mme Hébert et de M. Sheridan. Je crois en fait qu’il voulait les obliger personnellement à répondre d’actes criminels, même si les efforts de la CEUDA étaient dirigés ailleurs, en se persuadant que cela allait dans le sens des intérêts de ses membres.

258 En ce qui concerne le courriel du 7 septembre 2006, le fonctionnaire a déclaré à l’audience qu’il avait agi [traduction] « […] en désespoir de cause, parce qu[’il] [était] exaspéré et qu[’il] n’a[vait] plus rien à perdre ». Il faut dire que ce dernier acte désespéré a causé du tort personnellement à des « particuliers » autant qu’il en a causé au défendeur. Contrairement aux communiqués de presse de la CEUDA, le courriel du fonctionnaire n’énonçait pas une position sur une question ni ne proposait de solution pour résoudre un problème. Le fonctionnaire entretenait peut-être un dernier espoir de convaincre quelqu’un — ne serait-ce que les médias — d’enquêter ses allégations de criminalité, mais la méthode employée, et surtout le ton utilisé donnent plutôt à penser qu’il s’agissait bien plus d’une croisade personnelle que de la poursuite d’un objectif légitime pour le compte du syndicat — peu importe la manière dont il a signé le courriel. Le fait qu’il dise que la direction de l’ASFC [traduction] « […] ruine […] la carrière de gens comme [lui] […] » renforce l’impression qu’il était mû par la conviction d’avoir été victime d’une injustice personnelle et qu’il tentait d’obtenir réparation à titre personnel.

259 Le fait que j’aie conclu que les efforts persistants du fonctionnaire pour obtenir des accusations criminelles débordaient le cadre de ses responsabilités syndicales officielles dans ce cas-ci ne met pas un point final à l’affaire. Je dois également établir à ma satisfaction qu’il existe un lien raisonnable entre le courriel du 7 septembre 2006 et sa croisade eu égard aux allégations de criminalité, même si elles ne sont pas explicitement mentionnées.

260 Sur ce point, le défendeur a soutenu que le courriel n’avait absolument rien avec les allégations de criminalité. Le fonctionnaire a affirmé pour sa part que ses commentaires ne visaient ni Mme Hébert ni M. Sheridan. Il a déclaré que c’était le témoignage de M. Jolicoeur devant le comité sénatorial et les incidents survenus au fil des années, plutôt qu’un incident unique, qui l’avaient poussé à envoyer le courriel. Il [traduction] « […] ne p[ouvait] pas accepter de les voir rejeter [s]es allégations du revers de la main […] », c’est-à-dire les allégations contenues dans sa plainte du 29 juin 2006 (pièce R-1, onglet 26). Quoi qu’il en soit, il a admis que cela [traduction] « englobait aussi les allégations de criminalité ».

261 Au vu de la force probante de la preuve, et en dépit de l’argument avancé par le défendeur, je suis convaincu que le fonctionnaire avait les allégations de criminalité en tête lorsqu’il a rédigé son courriel. Il a lui-même admis en contre-interrogatoire que son courriel était directement lié à sa plainte du 29 juin 2006, dans laquelle ces allégations occupent une place de premier plan. Les mêmes allégations reviennent comme un leitmotiv depuis le début de la présente affaire. J’estime que le fonctionnaire n’aurait pas été capable de nier d’une manière crédible que le courriel [traduction] « englobait les allégations de criminalité ». Les membres du gouvernement qui ont reçu le courriel étaient nettement en mesure de comprendre ce que le message sous-entendait après toute la correspondance que le fonctionnaire leur avait adressée. La haute direction de l’ASFC a évidemment reconnu ce à quoi il faisait référence. Mme Hébert et M. Sheridan ont déclaré qu’ils croyaient que le courriel les pointait du doigt, puisqu’ils avaient été la cible des allégations de criminalité passées du fonctionnaire.

262 Rien ne prouve évidemment que les représentants des médias qui ont reçu le courriel ont nécessairement compris que le fonctionnaire faisait allusion à des allégations de criminalité. Cela change-t-il quelque chose à la situation? Je ne le crois pas. La preuve, y compris le témoignage du fonctionnaire, établit à ma satisfaction que son courriel englobait les allégations de criminalité. Bien que le fonctionnaire ait déclaré, en contre-interrogatoire, qu’il n’avait pas envoyé le courriel à M. Bourbeau, l’un des représentants des médias, en espérant qu’il rédige un article, comme M. Bourbeau en avait rédigé un en 2001, il a admis dans son interrogatoire principal qu’il avait envoyé une copie du courriel aux médias dans l’espoir que cela conduise à quelque chose. Il serait fantaisiste de croire que le fonctionnaire a perdu tout intérêt pour les prétendus actes criminels après avoir envoyé son courriel et que cet intérêt n’aurait pas ressurgi si les médias avaient répondu à l’appel. Le courriel du fonctionnaire était une invitation ouverte aux médias à fouiller un dossier dans lequel les allégations de criminalité auraient rapidement été mises au jour.

263 En me basant sur la preuve contextuelle, y compris la preuve de l’objectif que poursuivait le fonctionnaire en envoyant le courriel, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, le courriel figure au nombre des divers moyens mis en œuvre par le fonctionnaire pour obtenir des accusations criminelles contre Mme Hébert et M. Sheridan. Dans cette mesure, j’estime que l’acte d’envoyer le courriel déborde la sphère de ses responsabilités syndicales officielles.

264 Qu’on me comprenne bien, j’ai n’ai pas conclu que, selon la prépondérance des probabilités, certaines des autres déclarations contenues dans le courriel posaient le même problème. Je ne crois pas, notamment, que le défendeur a prouvé que le fonctionnaire s’exprime autrement qu’en sa qualité de dirigeant syndical lorsqu’il accuse la haute direction de mauvaise gestion ou qu’il parle [traduction] « […] [des] problèmes de sécurité à la frontière canadienne, [des] problèmes de santé et de sécurité et [des] violations du Code de valeurs et d’éthique […] »

265 Bref, je conclus que le défendeur a prouvé que le fonctionnaire n’avait pas envoyé le courriel du 7 septembre 2007 en sa qualité de dirigeant syndical, dans la mesure où le fonctionnaire poursuivait et avait l’intention de poursuivre ses efforts pour obtenir des accusations criminelles contre Mme Hébert et M. Sheridan en envoyant ce courriel.

C. Les circonstances dans lesquelles le fonctionnaire a critiqué ouvertement le défendeur satisfont-elles au critère Fraser?

266 Au paragraphe 41 de Fraser, la Cour suprême explique dans quel genre de circonstances un fonctionnaire peut être fondé à critiquer ouvertement son employeur, l’administration publique :

[…] dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l’égard des politiques d’un gouvernement. Ce serait le cas si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d’autres personnes, ou si les critiques du fonctionnaire n’avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d’une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude […]

267 J’estime que les critiques publiques exprimées par le fonctionnaire ne vont pas dans le même sens que la première exception mentionnée dans Fraser. J’ai statué que l’objet du courriel englobait des allégations d’activités illégales, comme l’envisage Fraser. Cependant, au vu de la genèse de la présente affaire, je ne crois pas que le fonctionnaire avait de bonnes raisons de faire des allégations criminelles dans le courriel. Comme je l’ai dit dans la section précédente, il a sollicité l’aide d’une cour de justice et des autorités chargées de l’application de la loi pour obtenir des accusations criminelles contre Mme Hébert et M. Sheridan. Même en admettant que la rencontre avec la GRC, en août 2002, avait pour but d’obtenir des assurances sur sa situation au regard de la loi plutôt que de discuter des allégations criminelles contre Mme Hébert et M. Sheridan — la preuve contenue dans le document de la GRC déposée durant l’audition de King et Waugh pointe d’ailleurs dans cette direction (pièce G-4) — il n’en demeure pas moins que le fonctionnaire a poursuivi ses efforts pour obtenir des accusations criminelles après s’être fait dire de manière non équivoque qu’il ferait mieux de s’adresser à une commission ou un conseil des relations de travail. Dans une situation comme celle-là tout particulièrement, le fait que le fonctionnaire persiste dans sa conviction n’est pas suffisant pour prouver que le gouvernement se livrait à des activités illicites, comme l’exige le critère Fraser. À preuve, la jurisprudence a toujours imposé aux employés la charge de prouver l’existence de prétendus actes criminels.

268 Dans Grahn c. Canada (Conseil du Trésor), par exemple, la Cour d’appel fédérale a déclaré ceci :

[…]

[…] après avoir pris la décision très grave d'accuser ses supérieurs d'illégalités, le requérant devait en démontrer le bien-fondé s'il tenait à éviter les conséquences par ailleurs naturelles de ses actions […] Les seules allégations non confirmées du requérant ne sont certainement pas suffisantes.

[…]

Dans Read, de plus récente date, la Cour d’appel fédérale a de nouveau conclu que le  fonctionnaire s’estimant lésé a la charge de prouver le bien-fondé de ses allégations d’actes criminels pour que l’exception prévue par l’arrêt Fraser s’applique.

269 Dans ce cas-ci, le fonctionnaire n’a apporté aucune preuve que Mme Hébert ou M. Sheridan avaient commis une infraction criminelle, ni n’a tenté d’en apporter une.

270 On ne peut pas dire non plus que les critiques du fonctionnaire portent sur des « […] politiques [qui] mett[ent] en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d’autres personnes […] » Le fonctionnaire fait bien allusion, au premier paragraphe de son courriel, à des questions de santé et de sécurité, mais le passage qui me préoccupe le plus est celui où il formule les allégations criminelles et dans lequel il fait référence à l’ordre de détruire la feuille de calcul Kingman. Dans le contexte de la présente affaire, il serait déraisonnable de dire que la destruction de la feuille de calcul posait un risque suffisamment important ou direct pour la vie, la santé ou la sécurité pour que l’exception prévue dans Fraser s’applique. Quoi qu’il en soit, la preuve démontre que l’avocat du fonctionnaire a conservé une copie de la feuille de calcul et que le fonctionnaire ou l’agent négociateur pouvait apparemment y avoir accès.

271 La troisième exception prévue dans Fraser s’applique « […] si les critiques du fonctionnaire n’[ont] aucun effet sur son aptitude à accomplir d’une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude ». Le défendeur a avancé (dans son exposé du droit et des faits) qu’il n’était pas nécessaire d’exiger une preuve directe de la perte de cette aptitude dans ce cas-ci [traduction] « […] vu que les commentaires du fonctionnaire sont sans fondement et que ses allégations de harcèlement, d’incompétence et de manque d’intégrité contre la haute direction revêtent un caractère vindicatif […] ». Le défendeur a plaidé de vive voix que le contenu du courriel et les témoignages de M. Sheridan et de Mme Hébert démontraient que la conduite du fonctionnaire avait eu un effet direct et immédiat sur la capacité du défendeur à lui accorder sa confiance et à travailler avec lui dans l’avenir. Le fonctionnaire a soutenu, pour sa part, que son travail consistait à représenter le syndicat et que le défendeur n’avait pas démontré que l’envoi du courriel avait nui à son aptitude à accomplir ce travail.

272 L’argument du fonctionnaire ne résiste pas à un examen minutieux. La notion examinée dans Fraser est l’aptitude continue de l’employé à accomplir les tâches qui lui sont confiées à titre d’employé. Le défendeur a approuvé le congé demandé par le fonctionnaire aux fins de s’acquitter de ses responsabilités syndicales. Cela ne fait pas des fonctions syndicales du fonctionnaire des tâches qui lui sont confiées par le défendeur. Les questions à propos des « […] caractéristiques d'impartialité, de neutralité, d'équité et d'intégrité […] » inhérentes à l’exercice d’un emploi dans la fonction publique qui ont donné lieu à Fraser ne peuvent pas s’appliquer aux responsabilités syndicales du fonctionnaire.

273 J’admets que la preuve établit, dans ce cas-ci, que, selon la prépondérance des probabilités, la conduite du fonctionnaire est logiquement susceptible de nuire à son aptitude à accomplir ses fonctions à titre de fonctionnaire, lorsqu’il doit le faire. Le contenu problématique du courriel — l’inclusion délibérée des allégations de criminalité — touche à l’essence de la relation du fonctionnaire avec les représentants du défendeur. J’ai de la difficulté à croire, au vu de la nature des allégations et de la manière dont elles ont été formulées, qu’une personne raisonnable ne se poserait pas de sérieuses questions sur l’aptitude du fonctionnaire à accomplir ses fonctions comme fonctionnaire.

274 Bref, je suis incapable de conclure que les exceptions prévues dans Fraser s’appliquent à la conduite du fonctionnaire. C’est pourquoi j’accepte l’argument que le défendeur était fondé à imposer une sanction disciplinaire.

275 Si j’avais établi à ma satisfaction que l’une des exceptions prévues dans Fraser s’applique dans ce cas-ci, j’aurais poursuivi mon analyse pour trancher deux autres questions, à savoir si le fonctionnaire a épuisé tous les recours internes et s’il a établi le bien-fondé des déclarations contenues dans le courriel (ce dernier point a déjà été examiné dans une certaine mesure). Compte tenu de ma décision sur le premier élément du critère Fraser, il n’est pas nécessaire que j’examine ces questions.

D. La suspension de 20 jours était-elle la sanction appropriée?

276 Ayant conclu que le défendeur était fondé à infliger une sanction disciplinaire au fonctionnaire, je dois maintenant déterminer si la mesure imposée était appropriée.

277 M. Gillan a déclaré qu’il a décidé d’imposer la suspension de 20 jours pour deux raisons : on voulait donner une autre chance au fonctionnaire de modifier son comportement et l’envoi du courriel du 7 septembre 2006 n’était pas considéré comme une faute suffisamment grave pour mettre fin à son emploi.

278 La logique qui sous-tend le choix d’une suspension de 20 jours dans ce cas-ci, au lieu d’une suspension de 30 jours, par exemple, n’est pas totalement limpide. Une chose est sûre, le défendeur a admis que la décision de M. Gillan ne s’accordait pas avec le principe des mesures disciplinaires progressives.

279 Le fonctionnaire invoque plusieurs raisons pour me convaincre d’annuler la suspension, notamment l’absence de preuve que son courriel a causé un préjudice et les divers exemples d’actes fautifs qu’auraient commis des représentants du défendeur.

280 Ayant apprécié les arguments des parties, je ne crois pas que la situation nécessite dans ce cas-ci une analyse en profondeur de possibles facteurs aggravants ou atténuants. Ma décision repose plutôt sur les trois observations élémentaires suivantes : 1) l’envoi du courriel n’était pas un incident anodin. Les allégations que le fonctionnaire a tenté de répandre en contactant les médias n’étaient pas bénignes et elles auraient pu avoir de graves conséquences. Sa faute de conduite doit être sévèrement sanctionnée. 2) La décision du défendeur d’imposer une suspension de 20 jours alors que des suspensions de 30 jours figuraient au dossier m’indique que l’incident du courriel a été jugé moins grave que les incidents précédents. 3) Comme M. Gillan a pris sa décision en novembre 2006, la première suspension de 30 jours a été retirée du dossier à la suite de ma décision dans King (CRTFP). La seconde suspension de 30 jours a été remplacée par une suspension de 5 jours à la suite d’une entente conclue avec l’aide d’un médiateur.

281 Dans ces conditions, je conclus qu’une suspension de 10 jours non payée est une mesure plus appropriée pour sanctionner la conduite du fonctionnaire et que cela s’accorde mieux avec le principe des mesures disciplinaires progressives.

282 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

283 Le grief est accueilli en partie dans la mesure suivante : la suspension de 20 jours non payée est remplacée par une suspension de 10 jours non payée.

284 La rémunération et les avantages du fonctionnaire doivent être rajustés en conséquence.

Le 23 février 2010.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
arbitre de grief

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