Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Une situation conflictuelle au travail a mené à des problèmes psychologiques pour le fonctionnaire s’estimant lésé - l’employeur lui a accordé un congé avec solde et a payé pendant un certain temps des services de psychothérapie avec le thérapeute de son choix - les tentatives de réintégration ont échoué, et le fonctionnaire a fini par prendre sa retraite, malgré son désir de retourner au travail - il a déposé un grief pour défaut d’accommodement - l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire n’avait pas collaboré aux efforts de réintégration. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-03-18
  • Dossier:  566-34-1977
  • Référence:  2010 CRTFP 40

Devant un arbitre de grief


ENTRE

PAUL OUELLET

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Ouellet c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michel Paquette, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Guylaine Bourbeau, Alliance de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Karl Chemsi, avocat

Affaire entendue à Moncton, Nouveau Brunswick
les 1er et 2 septembre 2009 et à Ottawa, Ontario, le 15 octobre 2009.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), Paul Ouellet, a déposé un grief le 12 décembre 2006 alléguant :

[…]

Je présente un grief au motif que mon employeur, l’Agence du Revenu du Canada (ARC), exerce, pour des motifs fondés sur une incapacité mentale, une déficience et sur l’âge, de la discrimination à mon endroit, contrairement aux dispositions de l’article 19.01 de ma convention collective et aux dispositions des articles 3 et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

En outre, mon employeur refuse de prendre des mesures d’adaptation raisonnables qui me permettraient de réintégrer des fonctions au sein de l’ARC, d’assurer ma subsistance financière, de reprendre des activités professionnelles valorisantes et de contribuer de manière constructive au service de la collectivité.

[…]

2 Comme mesures correctives M. Ouellet demande:

[…]

Que mon employeur cesse toute discrimination à mon endroit en prenant, notamment les mesures suivantes:

  • Faciliter mon obtention des traitements requis de psychothérapie, dispensés par le thérapeute de mon choix, en m’assistant financièrement à cette fin, jusqu’à mon retour au travail ou jusqu’à ce que je sois déclaré indéfiniment inapte à occuper un poste à l’ARC;
  • Respecter le plan et les mesures adaptées de réintégration au travail telles que négociées avec mon représentant syndical et moi au moment opportun en considérant les recommandations et les suggestions exprimées à cet égard par les professionnels de la santé légitimement impliqués ou telles que modifiées, de temps à autre, par ces derniers;
  • N’exercer aucune pression et ne faire aucune allusion afin que je prenne ma retraite avant l’âge obligatoire de la retraite en vertu des Lois applicables;
  • Cesser et s’engager à ne pas exercer dans le future, toutes manœuvres délibérées, malicieuses, ou dilatoires ayant pour effet de me contraindre à me retirer de mes activités professionnelles au sein de l’ARC et de la fonction publique fédérale dans le seul but de me soustraire à un état d’indigence ou pour m’assurer une subsistance financière viable;
  • Que mon employeur me verse, à titre de dommages moraux pour la souffrance éprouvée depuis septembre 2003, l’équivalent monétaire égal aux pertes de revenue subit depuis le mois de juillet 2005;
  • Que mon employeur me verse une somme de $50,000 dollars à titre de dommages exemplaires pour les souffrances, les préjudices et les atteintes à ma dignité d’être humain et à ma qualité de fonctionnaire.

[sic] pour l’ensemble de la citation]

[…]

3 L’employeur a rejeté le grief à tous les paliers de la procédure. M. Ouellet a renvoyé le grief à l’arbitrage auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) le 25 avril 2008.

4 Précisons ici que la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) a été avisée des allégations de discrimination, mais qu’elle a refusé de participer à l’instance.

II. Résumé de la preuve

5 Le Dr. Jacques-A. Frigault et M. Ouellet ont témoigné pour le plaignant. Paula Harder, gestionnaire de projets à Service Canada à Ottawa était directrice des ressources humaines à Développement des ressources humaines Canada (DRHC) au Nouveau-Brunswick au cours de la période qui nous intéresse; Phélice Cormier, agente principale de programme à l’Agence du revenu du Canada (ARC) à Moncton, a occupé des postes de gestion aux Services de recouvrement national qui relevait de Développement des ressources humaines et développement social Canada (DRHDSC) jusqu’en décembre 2003, de Développement social Canada (DSC) de décembre 2003 à août 2005, et finalement de l’ARC depuis août 2005. Phélice Cormier et Tony Manconi, directeur à l’ARC depuis 2005, ont témoigné pour l’employeur.

6 Les faits entourant le grief sont complexes et font l’objet de versions quelque peu différentes. Je me contenterai d’exposer les éléments les plus pertinents et indiquerai lorsqu’il y a divergence.

7 M. Ouellet a occupé différents postes à DRHC à Moncton de septembre 1971 à avril 2002. Suite à une plainte de harcèlement sexuel déposée en août1996, une enquête et de la médiation ont mené à un règlement en 1998. L’entente stipulait entre autres qu’elle était sans préjudice aux parties et ne ferait l’objet d’aucune publicité.

8 Le fonctionnaire a été affecté à un poste de PM-01 au Régime de pensions du Canada de février 1998 à février 2001. La gestion a alors décidé de ne pas renouveler l’affectation jugeant son rendement insatisfaisant. M. Ouellet soutient que son rendement était satisfaisant et qu’il voulait conserver son affectation.

9 Il a été affecté à un poste de CR-05 tout en conservant son salaire de PM-01 à partir de mai 2001. Suite à ce que la gestion estimait être des difficultés de rendement, des rencontres ont eu lieu au début de l’année 2002. M. Ouellet jugeait ses nouvelles fonctions banales et pas à la mesure de ses compétences. C’est lors de la rencontre du 21 février 2002, en compagnie de son représentant syndical, que ce dernier a informé la gestion que M. Ouellet souffrait de désordre de stress post traumatique et qu’il avait besoin de mesures d’adaptation.

10 Une réunion a eu lieu en avril 2002 et des discussions subséquentes ont amené les parties à s’entendre en septembre 2002 sur le fait que pour mieux comprendre les limites et les besoins spéciaux de M. Ouellet, il devrait se soumettre à une évaluation fonctionnelle et professionnelle mais subirait préalablement une évaluation psychosociale. Elles se sont entendues aussi pour que le plaignant reste à la maison en congé avec solde en date du mois d’avril 2002 et que le ministère défraie les coûts du psychothérapeute choisi par M. Ouellet, le Dr. Jacques-A Frigault. M. Ouellet l’a choisi pour des raisons spirituelles/religieuses. Le Dr. Frigault est un docteur en psychologie et non un médecin et n’est inscrit à aucun ordre professionnel au Canada. Son bureau est situé à Frédéricton, soit à 3 heures de route de la résidence du patient à Moncton. Le ministère a accepté de rembourser les frais de déplacement et d’hébergement de ce dernier lorsqu’il devait s’y rendre pour ses traitements. Le Dr. Frigaultdevait informer le ministère suite à l’évaluation psychosociale s’il recommandait ou non une psychothérapie et de plus:

1) S’il recommandait une psychothérapie, combien de sessions seraient nécessaires? Quelle serait la durée du traitement, est-ce que M. Ouellet serait en mesure de travailler pendant la thérapie?

2) S’il ne recommandait pas de psychothérapie, quelles seraient ses recommandations quant aux prochaines étapes à franchir?

3) Qu’il y ait ou non psychothérapie, quel serait le moment propice pour procéder à l’évaluation fonctionnelle et professionnelle (pièce E-1)?

11 Suite à l’évaluation psychosociale préliminaire, le Dr. Frigault recommande en novembre 2002 une psychothérapie nécessitant de quinze à vingt rencontres et que M. Ouellet demeure en congé sans solde durant le traitement (pièce G-2).

12 En février 2003, le Dr. Frigault fait rapport au ministère et les informe qu’il a fait une évaluation fonctionnelle et professionnelle et que M. Ouellet est apte à retourner au travail mais doit poursuivre la thérapie. Il souligne qu’il faut établir un plan de réintégration. Son contrat pour la thérapie est prolongé et le 27 mai 2003, il propose un plan de réintégration en six étapes:

  1. la résolution  des griefs et plaintes en suspens;
  2. l’identification de l’emploi pour la réintégration de M. Ouellet. Celui-ci veut être nommé officiellement dans le poste de PM-01 au Régime de pensions du Canada;
  3. la préparation de l’employé au poste identifié incluant une formation individualisée;
  4. la préparation de l’environnement de travail soit les supérieurs et les collègues de travail;
  5. l’évaluation de l’intégration après 2 à 6 mois;
  6. la réintégration graduelle de l’employé.

L’employé continuera de suivre sa thérapie (pièce G-3).

13 La gestion accepte de prolonger la psychothérapie avec le Dr. Frigault mais demande à ce dernier de confirmer que le fonctionnaire est apte à retourner au travail (pièce G-5). Le Dr. Frigault le fait par écrit le 2 juillet 2003 (pièce G-7).

14 Une rencontre est organisée pour le 27 août 2003 pour discuter de la réintégration de M. Ouellet. Celui-ci, sa représentante syndicale, le Dr. Frigault ainsi que Paula Harder et un agent des ressources humaines pour la gestion y assistent. La rencontre ne se déroule pas bien et le Dr. Frigault quitte. La réunion se poursuit sans lui mais se termine sans accomplir l’objectif, soit la réintégration de M. Ouellet.

15 Le Dr. Frigault écrit au directeur régional le 3 septembre 2003 pour commenter la réunion du 27 août. Il se plaint de l’attitude des représentants patronaux envers M. Ouellet et de la qualité de la représentation syndicale. Il veut toutefois continuer à être une personne ressource pour la réintégration de M. Ouellet (pièce G-8).

16 Louise Branch, la chef exécutive régionale, répond au Dr. Frigault le 4 novembre 2003. Elle lui indique que maintenant que l’évaluation fonctionnelle et professionnelle de M. Ouellet est terminée et qu’on a conclut qu’il est apte à retourner au travail, la participation à la réintégration ne sera pas nécessaire. De plus, comme M. Ouellet est apte à travailler, l’employeur n’est plus tenu de lui payer des traitements de psychothérapie. Il peut prendre avantage des bénéfices offerts par son régime de soins de santé s’il veut poursuivre sa psychothérapie (pièce E-9).

17 M. Ouellet a communiqué avec la compagnie d’assurance SunLife pour déterminer s’il pouvait continuer à suivre sa psychothérapie avec le Dr. Frigault. Il avait droit à 10 rencontres par année mais les frais de déplacement et d’hébergement ne seraient pas remboursés. Il n’avait pas les ressources financières alors il n’a pas poursuivi la thérapie mais a communiqué avec le Dr. Frigault à l’occasion. Il a confirmé en contre-interrogatoire qu’il n’a pas tenté de trouver un autre psychothérapeute à Moncton.

18 Le ministère convoque une autre réunion en novembre 2003 pour discuter avec M. Ouellet et la représentante syndicale de sa réintégration. On lui offre un poste d’agent de paiement au groupe et niveau CR-05 tout en maintenant son salaire de PM-01. Il répond dans une lettre datée du 26 novembre 2003 que d’accepter l’offre ne mènerait pas à une réintégration réussie parce qu’il devrait travailler sous la surveillance de quelqu’un qu’il estime hostile. La gestion n’est pas d’accord avec cette opinion car il n’a jamais travaillé sous les ordres de ce gestionnaire.

19 L’unité de travail de M. Ouellet est passée de DRHDSC à DSC en décembre 2003. Ceci a fait en sorte que les responsabilités des relations de travail sont passées de la régionau quartier général à Ottawa, ce qui a peut-être retardé le traitement du dossier.

20 M. Ouellet a logé une plainte à la CCDP le 25 août 2004, alléguant que son employeur ne l’accommodait pas face à une déficience mentale en refusant de le réintégrer, contrairement à l’avis du psychologue engagé par l’employeur lui-même. Un rapport d’enquête a été produit en septembre 2005 et la plainte a été rejetée en janvier 2006. La demande de contrôle judiciaire a été rejetée en décembre 2006 (2006 CF 1541).

21 L’employeur a tenté de communiquer avec M. Ouellet à l’automne 2004 pour discuter d’une nouvelle stratégie pour sa réintégration et pour lui demander de se soumettre à une évaluation de sa capacité à travailler effectuée par le Programme de santé au travail et de la sécurité du public (PSTSP) de Santé Canada. M. Ouellet refuse l’évaluation puisque l’employeur possède celle du Dr. Frigault datée de février 2003. L’employeur apprend aussi à la même période que le plaignant à déposé une plainte à la CCDP. Il décide donc pour ne pas aggraver une situation déjà compliquée et de ne pas reprendre contact avec M. Ouellet avant que la plainte soit traitée (pièce E-4).

22 L’employeur communique par écrit avec M. Ouellet en avril 2005 et lui demande à nouveau de se soumettre à une évaluation par le PSTSP pour lui permettre de déterminer les mesures d’adaptation appropriées et permettre son retour au travail (pièce E-14). Le plaignant répond que l’employeur a en main déjà l’évaluation faite par le Dr. Frigault en février 2003. S’il s’agit simplement de mettre à jour l’évaluation de ses capacités fonctionnelles et professionnelles, il est prêt à retourner voir le Dr. Frigault (pièce E-14).

23 L’employeur convoque une réunion le 23 juin 2005 pour assigner M. Ouellet à un poste d’agent de recouvrement, soit son poste substantif de PM-01, en date du 11 juillet 2005 (pièce E-14). Suite à la réunion, la représentante syndicale écrit à l’employeur pour demander de le nommer ailleurs que dans le même environnement où il a subi du harcèlement dans le passé pour assurer une meilleure réintégration car il est très stressé à l’idée de retourner dans son ancienne unité (pièce E-15). Le Dr. Frigault écrit aussi à la gestion et suggère qu’on suive son plan de réintégration proposé en mai 2003 plutôt que de nommer M. Ouellet à son ancien poste (pièce G-9).

24 M. Ouellet ne se présente pas au travail le 11 juillet; il est considéré comme en congé de maladie. Il fournit un certificat médical à cet effet (pièce E-16), mais le certificat du Dr. Melanson, son médecin de famille, n’indiquait ni motifs, ni date de retour. Il mentionnait toutefois que les instructions du Dr. Frigault devraient être suivies (pièce E-17).

25 L’employeur demande de nouveau à M. Ouellet le 8 août 2005 de se soumettre à une évaluation par le PSTPC de Santé Canada de son aptitude à travailler (pièce E-20).

26 M. Ouellet répond à l’employeur le 9 septembre 2005 et refuse  de se soumettre à l‘évaluation par Santé Canada mais propose que les questions soumises au PSTPC soient soumises au Dr. Frigault et au Dr. Melanson et qu’une discussion des résultats ait lieu pour identifier les mesures d’adaptation requises et possibles. Il demande aussi un support financier pour rencontrer le Dr. Frigault comme précédemment (pièce E-21).

27 Le gestionnaire répond à M. Ouellet le 22 septembre 2005 et mentionne de nouveau l’information contradictoire qui le pousse à demander l’évaluation par le PSTPC et soulève la possibilité de mettre en œuvre des mesures administratives s’il refuse (pièce E-22). Le plaignant répond le 4 octobre 2005 et allègue que malgré le fait qu’il conteste toujours le bien-fondé de subir une évaluation, il consent à ce que ses médecins et le PSTPC échangent de l’information et qu’on ne procède à une évaluation par le PSTPC qu’après une explication suffisante des motifs ou si on lui ordonne (pièce E-23). Le directeur écrit à M. Ouellet le 24 novembre 2005 et répète les raisons qui motivent l’évaluation et indique que s’il refuse, compte tenu de l’information médicale dont dispose l’employeur, il recommandera le licenciement pour incapacité (pièce E-24).

28 M. Ouellet soumet une demande de prestations d’assurance-invalidité en octobre 2005 à la compagnie SunLife. Après un refus initial, la demande est acceptée rétroactivement en mars 2007 (pièce E-2). Il reçoit des prestations jusqu’en novembre 2007.

29 M. Ouellet signe les formulaires de consentement pour l’évaluation par le PSTPC le 4 décembre 2005 et la demande d’évaluation est acheminée à Santé Canada le 22 décembre 2005 (pièce E-25). Le fonctionnaire retire toutefois son consentement à fournir l’information médicale le 1 février 2006 (pièce E-26).

30 Il est évalué par le Dr. Mayrand en février 2006. Celui-ci conclut que M. Ouellet n’est pas apte à travailler. Il a besoin de psychothérapie et le prognostic est qu’il ne pourra retourner au travail dans un avenir rapproché ou même à moyen terme. Vu son âge, il faudrait peut-être songer à un plan de préretraite (pièce G-11). Cette information n’a pas été partagée avec l’employeur. Ce dernier reçoit un avis de Santé Canada le 5 avril 2006 comme quoi le fonctionnaire n’est pas apte à retourner au travail et ne le sera pas avant d’avoir suivi un traitement thérapeutique auprès d’un spécialiste pendant une longue période (pièce E-27).

31 L’employeur prolonge donc le congé de maladie sans solde de M. Ouellet de 12 mois en date du 11 mai 2006 (pièce E-28).

32 M. Ouellet a pris sa retraite en novembre 2007 malgré son désir de retourner au travail.

III. Résumé de l’argumentation

A. Arguments du fonctionnaire

33 La représentante de M. Ouellet soutient que ce dernier souhaitait seulement que l’employeur lui permette de poursuivre sa thérapie avec le Dr. Frigault et puis de réintégrer le travail. Le choix de ce psychothérapeute était basé sur ses croyances religieuses et n’était pas un caprice de sa part.

34 L’employeur a cessé de payer pour la thérapie avec le Dr. Frigault en mai 2003; la thérapie a pris fin en septembre 2003.

35 L’employeur a tenu une réunion en août 2003 pour discuter d’une réintégration au travail mais sans la thérapie. C’est comme une personne en fauteuil roulant à qui on refuserait l’accès à l’ascenseur.

36 Il n’y a ensuite eu aucun contact entre l’employeur et M. Ouellet autre que par correspondance entre août 2003 et juillet 2005. On lui fait alors une autre offre de réintégration mais toujours sans la thérapie alors que son état de santé s’était détérioré.

37 Finalement, en avril 2006, suite à l’examen médical du Dr. Mayrand, il est confirmé qu’il ne peut retourner au travail sans thérapie au préalable. Il s’agit donc d’un refus d’accommoder un problème médical de la part de l’employeur. Défrayer les coûts de la thérapie de M. Ouellet ne constituait pas une contrainte excessive pour l’employeur.

38 Suite à ce refus, il n’a eu d’autre choix en 2007 que de prendre sa retraite plutôt que d’être renvoyé pour incapacité.

39 La représentante de M. Ouellet m’a référé à la décision Centre jeunesse des Laurentides c. Syndicat des employés des services sociaux des Laurentides (CSN), 2006 CanL11 35636 (QC A.G.),aux paragraphes suivants:

[…]

[125]   La Cour décrit ainsi chacune des étapes de l’analyse :

Première étape

La première étape à franchir pour évaluer si l’employeur a réussi à établir une défense d’EPJ consiste à identifier l’objet général de la norme contestée et à décider s’il est rationnellement lié à l’exécution du travail en cause. Il faut d’abord déterminer ce que vise à réaliser de manière générale la norme contestée. La capacité de travailler de manière sûre et efficace est l’objet le plus fréquemment mentionné dans la jurisprudence, mais il peut bien y avoir d’autres raisons (…).

L’employeur doit démontrer l’existence d’un lien rationnel entre l’objet général de la norme contestée et les exigences objectives du travail. (…).

À cette première étape, l’analyse porte non pas sur la validité de la norme particulière en cause, mais plutôt sur la validité de son objet plus général. (…).

Deuxième étape

Une fois établie la légitimité de l’objet plus général visé par l’employeur, ce dernier doit franchir la deuxième étape qui consiste à démontrer qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire à la réalisation de son objet, et sans qu’il ait eu l’intention de faire de preuve de discrimination envers le demandeur. (…).

Troisième étape

Le troisième et dernier obstacle que doit franchir l’employeur consiste à démontrer que la norme contestée est raisonnablement nécessaire pour qu’il puisse atteindre l’objet qu’elle vise, dont le lien rationnel avec l’exécution du travail a été démontré à ce stade. L’employeur doit établir qu’il lui est impossible de composer avec le demandeur et les autres personnes lésées par la norme sans subir une contrainte excessive. (…). Encore est-il que, pour être justifiée en vertu de la législation sur les droits de la personne, cette norme doit tenir compte de facteurs concernant les capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité inhérentes de chaque personne, dans la mesure où cela n’impose aucune contrainte excessive. »

[…]

L’employeur n’a pas démontré qu’il a suivi les trois étapes.

40 Dans le cas de M. Ouellet, il n’y a pas eu de contact pendant presque 18 mois, même si l’employé était rémunéré. La représentante cite à cet effet le paragraphe suivant de la décision Syndicat des employés et employées de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000, 2006 QCCA 150 :

[…]

[102] L'arbitre ne pouvait conclure de son propre chef qu’Hydro-Québec n'avait pas besoin d'accommoder Mme L..., sur la seule preuve de sa possible incapacité de s'acquitter de sa charge de travail dans un avenir raisonnablement prévisible. Le fardeau qui incombe à l'employeur en matière de défense d'EPJ est lourd et Hydro-Québec n'a pas su s'en décharger, aucune preuve ne démontrant qu'elle a tenté d'accommoder Mme L... après le 8 février 2001. La patience et la tolérance démontrées par Hydro-Québec dans le passé envers les nombreuses absences de Mme L... ne sauraient constituer une mesure d'accommodement, et d’autant moins que, n’étant pas à l’époque consciente du handicap de Mme L..., Hydro-Québec a pris ces mesures sans égard à celui-ci. L'obligation d'accommodement impose à l'employeur d'être proactif et innovateur, c'est-à-dire qu'il doit poser des gestes concrets d'accommodement, ou alors démontrer que ses tentatives sont vaines et que toute autre solution, laquelle doit être identifiée, lui imposerait un fardeau excessif. Il ne suffit pas d’affirmer qu’il n’y a pas d’autres solutions, encore faut-il en faire la démonstration.

[…]

41 Elle a aussi cité la cause Commission Ontarienne des droits de la personne c. Simpson-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 et m’a demandé d’accueillir le grief.

B. Argument de l’employeur

42 Le représentant de l’employeur a soutenu que la première chose à établir est la question en litige. Le grief, qui est similaire à la plainte que M. Ouellet a déposée à la Commission canadienne des droits de la personne, invoque la discrimination parce qu’il n’a pas été accommodé et demande comme mesures correctives  que l’employeur défraie les coûts de sa thérapie avec le psychothérapeute de son choix.

43 La question en litige est donc de savoir si l’employeur est tenu, par mesure d’accommodement, de payer les traitements de thérapie de l’employé.

44 La plaidoirie pour le fonctionnaire fait essentiellement référence au critère établi par la Cour suprême dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, Meiorin. En résumé, si une personne a une déficience, l’employeur doit offrir un accommodement compte tenu de toute exigence professionnelle justifiée, jusqu’au point de la contrainte excessive. Sinon, il y a discrimination. Dans le cas en l’espèce, ce n’est pas si simple. Est-ce que la demande de M. Ouellet en est une d’accommodement? Est-ce que l’employeur est tenu de s’y plier?

45 La Cour fédérale a répondu à ces questions dans sa décision, Ouellet c. Procureur général du Canada, 2006 CF 1541. Le plaignant n’a pas pu expliquer en contre-interrogatoire la différence entre sa plainte et son grief. L’employeur cite les paragraphes suivants de la décision :

[…]

[38]       Le demandeur a également reproché à l’enquêtrice de ne pas s’être penchée sur la question centrale de sa plainte, soit la question de savoir si le ministère avait correctement accommodé le demandeur en élaborant un plan de réintégration qui répondait à ses besoins. À l’appui de son argument, il prétend que le dossier d’enquête ne comprend aucun document démontrant qu’il y ait eu un plan de réintégration proposé par le ministère et que l’enquêtrice n’a pas été rigoureuse en omettant d’interroger les témoins de l’employeur au sujet de leur plan de réintégration. De plus, le demandeur affirme que le rapport de l’enquêtrice ne contient aucune analyse du devoir d’accommodement de l’employeur, ni du plan de réintégration proposé par l’employeur.

[39]       Encore une fois, cet argument ne me convainc pas. La question n’était pas tant de savoir si le plan de réintégration du ministère était conforme aux recommandations du Dr. Frigault. En dernier ressort, c’est au ministère qu’il appartenait de déterminer la meilleure façon de réintégrer M. Ouellet en s’inspirant, bien entendu, des recommandations que lui avait faites le Dr. Frigault. Ici, ce que l’enquêtrice devait examiner, et ce que la Commission devait décider, c’était plutôt de savoir si l’employeur s’était acquitté de son obligation d’accommodement.

[40]       À ce chapitre, le rapport de l’enquêtrice m’apparaît complet. Elle a relaté toutes les mesures prises par l’employeur pour favoriser la réintégration de M. Ouellet : congé avec solde, paiement de l’évaluation et des traitements de psychothérapie ainsi que des frais de déplacement de M. Ouellet, extension du contrat du Dr. Frigault à deux reprises et offre d’emploi au demandeur pour assurer son retour au travail.

[41]       Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt de noter que dans son rapport déposé auprès du ministère en février 2003, le Dr. Frigault se disait d’avis que M. Ouellet était apte à revenir au travail, en ajoutant qu’il devrait continuer à bénéficier de traitements psychologiques pour assurer le succès de sa réintégration. L’employeur semble avoir tenu compte de cette recommandation; c’est uniquement au niveau des moyens qu’il divergeait d’opinion avec le Dr. Frigault dans la mesure où il estimait que les traitements de psychothérapie requis par le demandeur devraient dorénavant être assumés par le régime de santé de la fonction publique ou le programme d’aide aux employés.

[42]       L’enquêtrice a également mentionné les préoccupations exprimées par M. Ouellet et son psychologue concernant le plan de retour au travail proposé par le défendeur. Elle a même communiqué avec le ministère pour obtenir plus d’information sur son plan de réintégration et sur les raisons pour lesquelles il ne se conformait pas aux recommandations du Dr. Frigault (lettre de l’enquêtrice Anick Hébert à M. Serge Viens en date du 22 juin 2005, Dossier du demandeur, pp. 263-264). Bref, elle a soigneusement traité de la plainte du demandeur sans éviter la question fondamentale de l’accommodement, et elle a relevé tous les faits pertinents dans son rapport.

[43]       À partir du moment où elle concluait que le demandeur refusait de collaborer avec l’employeur, il ne lui était pas nécessaire de pousser plus avant son analyse. Son rôle ne consistait pas à décider de la meilleure façon de réintégrer M. Ouellet, mais plutôt de déterminer si la preuve permettait d’établir que le ministère n’avait pas satisfait à son obligation d’accommodement. Considéré dans cette perspective, le rapport de l’enquêtrice était rigoureux et offrait à la Commission l’information pertinente pour qu’elle puisse se prononcer sur la plainte initiale de M. Ouellet dans le respect des principes d’équité procédurale que commandent les décisions prises sous l’autorité de l’alinéa 44(3)b) de la Loi. En entérinant un rapport d’enquête exempt d’irrégularités procédurales, la Commission rendait une décision à l’abri du contrôle judiciaire de cette Cour.

[…]

46 L’analogie de l’ascenseur est boiteuse. M. Ouellet n’a pas besoin d’ascenseur car il est apte au travail. Il veut de la psychothérapie pour être mieux dans sa vie et veut que l’employeur paie. Mais est-il apte ou non à travailler?

47 Le représentant de l’employeur passe la preuve en revue et soumet les points suivants:

  • le Dr. Frigault a déclaré M. Ouellet apte en février 2003 (pièce G-3);
  • après, l’employeur a accepté de défrayer les coûts de la psychothérapie additionnelle mais a voulu réintégrer le plaignant en août2003;
  • la crédibilité du Dr. Frigault est en doute puisqu’il n’est inscrit à aucun ordre professionnel et qu’il insiste sur l’importance de la thérapie en tant que mesure de réintégration, bien que cela ne soit pas du ressort de son mandat;
  • le Dr. Frigault semble assumer un rôle de représentant de M. Ouellet, rôle pour lequel il n’a pas été sollicité;
  • M. Ouellet est convoqué en novembre 2003 pour réintégrer son poste mais il refuse tant qu’il n’aura pas sa thérapie payée par l’employeur; il insiste pour que le Dr. Frigault soit son thérapeute;
  • M. Ouellet ne cherche même pas à payer les services de son thérapeute par le biais de son régime d’assurance-santé;
  • le problème devient alors celui de M. Ouellet et non celui de l’employeur; l’employeur n’est pas responsable de la dépendance de M. Ouellet envers le Dr. Frigault, du comportement douteux de ce dernier et du manque total de flexibilité de M. Ouellet pour obtenir de l’aide;
  • il est vrai qu’il s’est passé 18 mois sans aucune action de l’employeur, mais le dossier est complexe et de plus, M. Ouellet est demeuré en congé avec solde durant cette période;
  • l’employeur a tenté de nouveau la réintégration en 2005, mais M. Ouellet a été certifié en congé de maladie et ultimement a été declaré inapte à travailler, en avril 2006.

48 Le représentant de l’employeur conclut que celui-ci n’est pas l’assureur de M. Ouellet. D’ailleurs le fournisseur dans son cas, la compagnie SunLife, a versé les prestations rétroactivement au début de son congé sans solde. Le litige n’est pas à propos de sommes d’argent mais bien de l’insistance de M. Ouellet d’avoir le Dr. Frigault comme psychothérapeute.

49 Les autorités soumises sont:

  • Gunderson et le Conseil du Trésor (Revenu Canada-Douanes et Accises, dossiers de la CRTFP nos. 166-02-26327 et 26328 (19960725).

[…]

6             Les parties sont d'accord sur le fait qu'il s'agit en l'occurrence de déterminer dans quelle mesure l'employeur est tenu, par suite de la décision d'arbitrage susmentionnée, d'assumer le coût du traitement de M. Gunderson et de renoncer au recouvrement de ce coût. Je fais remarquer au départ qu'il semble que l'employeur n'ait pas, pour le moment, pris de mesures de recouvrement à cet effet; par conséquent, une décision permettant de savoir si l'employeur a le droit de procéder à un tel recouvrement est au mieux prématurée, voire théorique. Je tiens toutefois à souligner qu'à mon avis la question des coûts associés à la réadaptation du fonctionnaire est, en l'absence d'une obligation contractuelle contraire, de la responsabilité de l'employé individuel et non de celle de l'employeur. Sinon, les diverses dispositions des conventions collectives concernant les congés de maladie, les indemnisations pour accident de travail, les congés d'accident de travail et les prestations d'invalidité seraient alors entièrement superflues. Je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ou la Loi canadienne sur les droits de la personne qui stipule qu'un employé jouit du droit inhérent, encore ici en l'absence d'obligation contractuelle, d'exiger que l'employeur assume le coût médical d'une déficience non reliée au travail. Je fais remarquer que M. Ahrens n'a pas cité de jurisprudence à l'appui d'une telle position et j'ai été incapable d'en trouver. En effet, l'unique cas que j'ai pu rencontré qui pourrait avoir une certaine pertinence en l'espèce semble appuyer le point de vue de l'employeur. Dans Canadian Airlines International Ltd. v. Canadian Air Line Pilots Association [1996] 3 W.W.R. 683, la Cour suprême de la Colombie-Britannique s'est penchée, entre autres, sur la question de savoir si un arbitre était habilité à ordonner à l'employeur d'inscrire le plaignant qui avait été congédié à un programme de réadaptation. En annulant la décision de l'arbitre, la Cour a conclu ce qui suit :

(pages 697-698)

[traduction]

                    Si un arbitre substitue une suspension et la réintégration à un congédiement dans un cas où l'employé s'est, disons, cassé une jambe et qu'il ne peut reprendre son travail, le droit de l'employé aux prestations d'invalidité à la date de sa réintégration serait sûrement régi par le libellé de la convention collective. Je n'interprète pas l'alinéa 60(2) du Code comme habilitant l'arbitre, dans un tel cas, à ordonner que l'employé réintégré reçoive des prestations d'invalidité auxquelles il n'avait pas autrement droit aux termes de la convention collective, étant donné que cela ne serait pas une "autre sanction" en vertu du paragraphe 60(2), mais un avantage. Si la convention collective ne prévoyait pas de prestations d'invalidité, l'employé aurait tout simplement à attendre que sa jambe guérisse avant de pouvoir réintégrer ses fonctions.

                    Bien que l'on se soit longuement penché sur la question de savoir si le programme faisait partie de la convention collective, ce n'est pas là, à mon avis, une question qu'il est nécessaire de trancher. À moins que la convention collective ou que le document relatif au programme contienne une disposition qui autorise le plaignant à participer au programme, celui-ci n'y a pas droit, tout comme il n'a pas droit aux prestations d'invalidité après sa réintégration, à moins qu'il y soit admissible aux termes de la convention collective. Il ne revient pas à l'arbitre, en application du paragraphe 60(2) du Code, de créer un droit aux prestations ni d'ordonner que le plaignant soit inscrit au programme s'il n'y a pas autrement droit en vertu des dispositions de la convention collective ou du document relatif au programme.

[…]

  • Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970;
  • Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161:

[…]

38          L’obligation d’accommodement n’est ni absolue ni illimitée. L’employée doit faire sa part dans la recherche d’un compromis raisonnable. Si l’accommodement prévu par la convention collective en l’espèce lui paraissait insuffisant et qu’elle estimait être en mesure de reprendre le travail dans un délai raisonnable, elle devait fournir à l’arbitre des éléments permettant à celui-ci de conclure en sa faveur.

[…]

50 Spooner c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 60:

[…]

139 Le concept de « contrainte excessive » auquel la Cour suprême du Canada fait allusion dans le passage reproduit ci-dessus s’est révélé passablement difficile à définir dans le contexte de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, 1992 CanLII 81 (C.S.C.), [1992] 2 R.C.S. 970, la Cour suprême du Canada a confirmé sa décision antérieure dans Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd., 1985 CanLII 18 (C.S.C.), [1985] 2 R.C.S. 536, selon laquelle les tribunaux canadiens doivent se garder d’appliquer la méthode décrite dans la jurisprudence américaine, qui veut que tout effort ou tout coût de l’employeur qui excède un seuil minimal ait valeur de contrainte excessive. Par ailleurs, comme la Cour l’indique dans Hydro-Québec, la notion de contrainte excessive ne doit pas imposer une charge si lourde à l’employeur qu’il ne peut s’en décharger qu’en démontrant qu’il lui est impossible de prendre des mesures d’adaptation satisfaisantes. La conclusion qui se dégage de ces observations est que l’obligation imposée à l’employeur est contraignante et que celui-ci doit faire des efforts diligents et vigoureux pour trouver des mesures qui permettront à l’employé de continuer de fournir sa prestation de travail, compte tenu de ses restrictions. Cela ne veut pas dire, cependant, que l’obligation qui est faite à l’employeur de composer avec les besoins de l’employé est illimitée.

[…]

141 Les principes qui sont énoncés dans ces décisions nous indiquent que même si l’employeur est tenu de faire des efforts vigoureux pour composer avec les besoins d’un employé, l’obligation qui lui est imposée n’est pas infinie; elle lui permet d’arrêter son choix sur des mesures d’adaptation qui font son affaire aussi bien qu’elles font l’affaire de l’employé. L’employeur a le droit de vouloir que le travail accompli par l’employé représente une contribution utile pour l’entreprise. Rien ne l’oblige à créer des projets « artificiels » sous le prétexte de maintenir un employé au travail. Il faut aussi mentionner que l’employé a une responsabilité dans le processus menant à la conclusion d’une entente sur les mesures d’adaptation — celle d’accepter un compromis raisonnable et de fournir des documents médicaux sur lesquels l’employeur pourra se baser pour prendre des décisions. Qui mieux que l’employé et son médecin connaissent les restrictions associées à ses problèmes de santé; il appartient donc à l’employé de communiquer clairement ces restrictions à l’employeur.

[…]

51 Meiorin:

[…]

65             Parmi les questions importantes qui peuvent être posées au cours de l’analyse, il y a les suivantes:

a)             L’employeur a-t-il cherché à trouver des méthodes de rechange qui n’ont pas d’effet discriminatoire, comme les évaluations individuelles en fonction d’une norme qui tient davantage compte de l’individu?

b)             Si des normes différentes ont été étudiées et jugées susceptibles de réaliser l’objet visé par l’employeur, pourquoi n’ont-elles pas été appliquées?

c)             Est-il nécessaire que tous les employés satisfassent à la norme unique pour que l’employeur puisse réaliser l’objet légitime qu’il vise, ou est-il possible d’établir des normes qui reflètent les différences et les capacités collectives ou individuelles?

d)              Y a-t-il une manière moins discriminatoire d’effectuer le travail tout en réalisant l’objet légitime de l’employeur?

e)             La norme est-elle bien conçue pour que le niveau de compétence requis soit atteint sans qu’un fardeau excessif ne soit imposé à ceux qui sont visés par la norme?

f)             Les autres parties qui sont tenues d’aider à la recherche de mesures d’accommodement possibles ont-elles joué leur rôle? Comme le juge Sopinka l’a fait remarquer dans Renaud,précité, aux pp. 992 à 996, la tâche de déterminer la manière de composer avec des différences individuelles peut aussi imposer un fardeau à l’employé et, dans les cas où il existe une convention collective, au syndicat.

[…]

52 Il conclut que M. Ouellet n’a pas collaboré à sa réintégration comme l’a d’ailleurs confirmé la CCDP. L’obligation d’accommodement ne s’étend pas à devenir l’assureur. Il est déjà assuré et s’il n’a pas eu de thérapie, il en est lui-même responsable. L’employeur demande donc que je rejette le grief.

IV. Motifs

53 Le grief invoque l’article 19.01 de la convention collective du groupe des Services de programmes et de l’administration:

19.01 Il n'y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l'égard d'un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l'Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l'employé-e a été gracié.

54 Ainsi que les articles 3 et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne:

[…]

3.(1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

(2) Une distinction fondée sur la grossesse ou l’accouchement est réputée être fondée sur le sexe.

[…]

7.Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[…]

55 Il est à noter que la preuve que M. Ouellet a introduite et la plaidoirie que sa représentante a articulée ne couvraient que la déficience ou l’incapacité mentale et ne touchaient pas l’âge comme motif de discrimination.

56 La question à trancher est de déterminer si M. Ouellet a subi de la discrimination basée sur une déficience et si l’employeur a manqué à son devoir de l’accommoder.

57 L’employeur a appris en février 2002 que M. Ouellet souffrait d’un trouble de stress post-traumatique. On l’a tout de suite mis en congé avec solde et une entente négociée par son syndicat est intervenue pour qu’il soit soumis à une évaluation fonctionnelle et professionnelle pour déterminer les mesures d’adaptation nécessaires à sa condition. Il fut aussi convenu de le soumettre auparavant à une évaluation psychosociale par un psychothérapeute de son choix qui ferait des recommandations sur le besoin de thérapie, et sur le moment approprié d’effectuer l’évaluation fonctionnelle et professionnelle.

58 Le Dr. Frigault a effectué l’évaluation psychosociale et a recommandé des traitements de thérapie qui furent approuvés et payés par l’employeur ainsi que les frais de déplacement et d’hébergement. Le fonctionnaire continuait en congé avec solde.

59 Le Dr. Frigault a par la suite en février 2003, sans en être mandaté, émis une opinion selon laquelle M. Ouellet était apte à travailler mais devait poursuivre sa thérapie avec lui. Suite à cette opinion, l’employeur a jugé bon de procéder à la réintégration du plaignant. C’est à ce moment qu’il y a eu désaccord dans la façon d’effectuer la réintégration. M. Ouellet et son psychothérapeute insistait que la thérapie devait se poursuivre aux frais de l’employeur et en parallèle avec son retour au travail dans un poste, autre que son poste d’attache, pour lequel l’employeur l’avait jugé incompétent. L’employeur estimait que la thérapie devait désormais être défrayée par le régime d’assurance-santé et que le retour au travail devait se faire dans le poste d’attache du plaignant.

60 Les parties n’ont pu s’entendre jusqu’en décembre 2005, quand M. Ouellet a accepté d’être évalué par le PSTPC. L‘évaluation médicale a déterminé que M. Ouellet n’était pas apte à travailler.

61 Je suis d’accord avec le représentant de l’employeur qu’en situation d’accommodement, l’employé a la responsabilité de collaborer à trouver une solution. Je constate que le fonctionnaire n’a pas collaboré. Le fait que le fonctionnaire insistait à poursuivre sa thérapie avec le Dr. Frigault, qu’il exigeait que l’employeur défraie les coûts de sa thérapie et qu’il a refusé deux offres de poste m’amène à cette conclusion.

62 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

63 Le grief est rejeté.

Le 18 mars 2010.

Michel Paquette,
arbitre de grief

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