Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignants sont des consultants en rémunération et font partie du groupe opérationnel Services administratifs (AS) - ils ont déposé des plaintes devant la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) en vertu des articles7, 10 et 11 de la LCDP - ils ont déposé les plaintes en leur nom et au nom de tous les consultants en rémunération travaillant dans l'administration publique centrale et dans des organismes distincts - les plaintes visaient le Conseil du Trésor et les ministères employeurs - les plaignants ont également présenté une requête visant l'ajout d'organismes distincts au nombre des défendeurs - la CCDP a renvoyé les plaintes à la CRTFP - le Conseil du Trésor a soulevé une objection à la compétence fondée sur le fait que la CRTFP n'a pas compétence pour trancher les questions de classification qui ne sont pas visées par les expressions <<équité salariale>> ou <<équité dans la rémunération>> - il a également contesté le fait d'avoir été désigné comme défendeur relativement à des plaintes concernant des plaignants anonymes travaillant dans des organismes distincts - le vice-président a conclu que les plaintes contre les trois ministères devaient être rejetées parce que ceux-ci n'étaient pas des <<employeurs>> au sens des articles pertinents de la LCDP - il a statué que les plaignants, qui travaillent tous dans l'administration publique centrale, n'avaient pas qualité pour représenter les consultants en rémunération travaillant dans des organismes distincts - il a ordonné le rejet de la plainte contre les employeurs distincts - le vice-président a conclu que le législateur n’avait pas l’intention de diviser les plaintes pendant la période de transition précédant la proclamation de la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public (LERSP) - les dispositions transitoires contenues dans la LEB prévoient un régime complet pour traiter des plaintes en matière d’équité salariale déposées avant l’entrée en vigueur de la LERSP, et ce régime confère à la CRTFP des pouvoirs additionnels en ce qui a trait à l’interprétation et à l’application de la LCDP et de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, [DORS/86-1082] - l’intention générale des dispositions transitoires était que la CRTFP se substitue au Tribunal canadien des droits de la personne pour statuer sur les plaintes pendant la période intérimaire - le renvoi dans la LEB aux articles 7 et 10 de la LCDP << [...] dans le cas où celles-ci portent sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur [...] >> visait à établir une distinction entre les plaintes d’équité salariale et les autres types de plaintes pouvant être fondées sur ces articles - il aurait fallu que l’intention de séparer le processus pour les plaintes d’équité salariale soit énoncée de manière explicite dans la loi - le vice-président a conclu que la détermination de la pertinence de la norme de classification à l'égard des plaintes devait être fondée sur une preuve - les parties s'entendaient sur le fait que les aspects de la plainte alléguant une violation de l'article 7 de la LCDP n'avaient pas été soumis à juste titre à la CRTFP, puisque la CCDP les avait rejetés avant le renvoi des plaintes - la demande du défendeur que l’exigence des 180 jours prévue au paragraphe396(6) de la LEB reparte à zéro à partir de la date de la décision a été refusée. Objection rejetée. Instructions données.

Contenu de la décision



Loi d’exécution du 
budget de 2009

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-02-05
  • Dossier:  666-02-1 à 6
  • Référence:  2010 CRTFP 20

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

DIANE MELANÇON, MICHAEL BRANDIMORE ET LOUISE IPPERSIEL

plaignants

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de l’Industrie, ministère de la Santé et Agence canadienne de
développement international)

défendeurs

Répertorié
Melançon et al. c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie, ministère de la Santé et
Agence canadienne de développement international)

Affaire concernant une plainte renvoyée à la Commission des relations de travail dans la fonction publique en vertu du paragraphe 396(1) de la Loi d’exécution du budget de 2009

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, vice-président

Pour les plaignants:
Laura K. Scott, avocate

Pour les défendeurs:
Nancy Paradis, avocate

Pour l’agent négociateur:
Edith Bramwell, avocate, Alliance de la Fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 22 juillet, le 21 septembre et le 5 octobre 2009.
(Traduction de la CRTFP)

Plaintes devant la Commission

1 Diane Melançon, Michael Brandimore et Louise Ippersiel (les « plaignants ») sont des consultants en rémunération faisant partie du groupe professionnel Services administratifs (AS). Le 25 novembre 2004, ils ont déposé devant la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) des plaintes identiques fondées sur les articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). Une plainte modifiée a été déposée le 5 mars 2007. Conformément à l’entrée en vigueur de l’article 396 de la Loi d’exécution du budget de 2009 (LEB),la CCDP a renvoyé les plaintes à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP).

2 Les plaintes ont été déposées au nom des plaignants ainsi que de tous les consultants en rémunération employés tant dans l’administration publique centrale que dans des organismes distincts. En plus d’avoir déposé une plainte individuelle contre le Conseil du Trésor, chaque plaignant a également déposé une plainte contre son ministère ou organisme respectif. Les trois ministères suivants ont été mentionnés comme défendeurs : ministère de l’Industrie, ministère de la Santé et Agence canadienne de développement international.

3 Le 10 juin 2009, la CRTFP a écrit aux parties pour leur signifier qu’elle avait déterminé que les plaintes n’étaient pas frivoles, vexatoires ou entachées de mauvaise foi et qu’elle leur retournait les plaintes, aux termes des dispositions transitoires de la LEB. Ces dispositions transitoires stipulent que les plaintes doivent être renvoyées à l’employeur et à l’agent négociateur. La possibilité de présenter des observations a également été donnée à l’avocate des plaignants.

4 Le 22 juin 2009, le Conseil du Trésor a soulevé une objection à la compétence au motif que la CRTFP n’a pas la compétence pour trancher des questions en matière de classification qui ne sont pas visées par les expressions « équité salariale » ou « rémunération équitable ». Le 16 juillet 2009, le Conseil du Trésor a soulevé une autre objection quant à sa désignation comme défendeur relativement à des plaintes déposées par des plaignants anonymes travaillant dans des organismes distincts. En outre, le Conseil du Trésor a présenté une objection au renvoi de ces parties des plaintes alléguant une violation de l’article 7 de la LCDP, au motif que la CCDP avait rejeté cet aspect des plaintes. Dans leurs arguments écrits, les plaignants ont concédé que les allégations fondées sur l’article 7 n’étaient pas renvoyées à la CRTFP.

5 Les consultants en rémunération font partie d’une unité de négociation représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). Les plaignants sont représentés par leur propre avocate et n’ont pas cherché à se faire représenter par leur agent négociateur. Les dispositions transitoires de la LEB renvoient à l’employeur et à « l’agent négociateur des employés qui l’ont déposée » (paragraphe 396(4)). Ces dispositions ne font pas mention de plaignants qui ne sont pas représentés par leur agent négociateur, ce qui est le cas ici. Par conséquent, la CRTFP a sollicité des arguments de la part des plaignants ainsi que de leur agent négociateur.

6 Il a été demandé aux parties de présenter des arguments écrits au sujet des objections à la compétence. Ces arguments écrits sont versés au dossier de la CRTFP. Un résumé des arguments sera fait un peu plus loin dans cette décision.

Contexte

7 Dans leurs plaintes, les plaignants font un certain nombre d’allégations, dont ce qui suit est pertinent aux objections soulevées par le Conseil du Trésor :

[Traduction]

  • Les consultants en rémunération sont employés par le gouvernement du Canada et occupent des postes dans plusieurs ministères, organismes et employeurs distincts du gouvernement.
  • Le travail des consultants en rémunération est évalué en fonction d’un système d’évaluation du travail (la norme de classification AS) qui date d’août 1965.
  • Ce système de classification ne permet pas d’évaluer le travail des consultants en rémunération au regard des quatre facteurs cités dans l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale (compétences, responsabilités, efforts et conditions de travail).
  • Il y a, dans le système de classification, une partialité inhérente fondée sur le sexe.
  • Le système de classification est discriminatoire parce qu’il ne permet pas de mesurer la valeur relative du travail accompli par les employés des divers groupes professionnels au sein des établissements relevant du Conseil du Trésor.
  • En faisant intervenir un système de classification des emplois qui sous-estime le travail des consultants en rémunération, le Conseil du Trésor (l’« employeur ») établit une distinction illicite fondée sur le sexe, en violation de l’article 7 de la LCDP, entre les consultants en rémunération et tous les employés qui sont dûment classifiés en fonction de la valeur de leur travail.
  • En appliquant un système de classification des emplois qui limite leurs possibilités d’avancement et les classe dans un groupe professionnel « administratif », l’employeur prive les plaignants de perspectives d’emploi pour des motifs liés au sexe, et ce, en violation de l’article 10 de la LCDP.
  • Le Conseil du Trésor a instauré et pratiqué une disparité salariale entre les consultants en rémunération, un groupe professionnel à prédominance féminine, et les titulaires de postes de groupes d’emplois à prédominance masculine qui accomplissent un travail d’égale valeur, contrevenant ainsi à l’article 11 de la LCDP. Les groupes ES-3, SI-4, HR-3, PC-2 et CS-2 sont recensés comme des groupes de comparaison possibles à prédominance masculine.

8 Les parties pertinentes du redressement demandé par les plaignants sont les suivantes :

[Traduction]

  • L’adoption d’une norme de classification non discriminatoire qui mesure la valeur des emplois en fonction des quatre facteurs énumérés à l’article 11 de la LCDP et dans l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale pour tous les emplois de la fonction publique fédérale.
  • La conversion de tous les emplois à cette norme et une pleine rémunération des postes de consultant en rémunération rétroactivement au 1er avril 1997.

Questions en litige

9 Compte tenu de la réponse des plaignants aux allégations fondées sur l’article 7, seules les deux questions suivantes relatives à la compétence ont besoin d’être tranchées :

  • Est-ce à bon droit que le Conseil du Trésor est désigné défendeur dans l’affaire d’une plainte déposée au nom de personnes employées par un organisme distinct?
  • La CRTFP a-t-elle compétence, en application des dispositions transitoires de la LEB, pour trancher des affaires touchant la classification?

Arguments du Conseil du Trésor

10 Les arguments écrits du Conseil du Trésor sont versés au dossier de la Commission. Une version épurée de ces arguments est reproduite dans les paragraphes qui suivent.

11 Le Conseil du Trésor a soumis les arguments suivants sur la question de savoir s’il était un défendeur légitime dans une affaire de plainte déposée au nom de personnes  employées par des organismes distincts :

[Traduction]

[…]

11.     Les plaintes modifiées sont dirigées contre le gouvernement du Canada à titre d’employeur. Les plaignants allèguent que les consultants en rémunération sont employés à des ministères, des organismes et des employeurs distincts au sein du gouvernement.

12.     Le 10 avril 2006, le Conseil du Trésor a avisé la CCDP qu’il représentait l’employeur uniquement pour l’administration publique centrale. Il a clairement fait valoir qu’il n’était pas l’employeur de personnes employées dans des organismes distincts.

13.     Le 2 mai 2007, les plaignants nommés ont soutenu qu’ils représentaient quelque 700 consultants en rémunération. Le Conseil du Trésor ignore l’identité ou le lieu d’emploi de ces 700 personnes.

14.     Le 17 avril 2008, la CCDP a décidé de se saisir des plaintes déposées en vertu des articles 10 et 11 de la LCDP au nom des plaignants nommés et de tous les consultants en rémunération ayant signé une autorisation écrite. La CCDP n’a jamais rendu de décision sur le point soulevé par [l’employeur] dans [sa] lettre datée du 10 avril 2006.

15.     Pour constituer une plainte valide touchant l’équité salariale en application de l’article 11 de la LCDP, les plaignants doivent démontrer que les employés font partie du même « établissement ». Aux termes de l’article 10 de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, pour faire partie du même établissement, les employés doivent être employés par le même employeur.

16.     De la même façon, pour lancer une plainte valide en application des articles 7 et 10 de la LCDP, il doit être conclu que les plaignants sont employés par le Conseil du Trésor, puisque l’article 7 traite des actes discriminatoires en matière d’« emploi » et l’article 10, des actes discriminatoires de la part d’un « employeur ».

17.     Sa Majesté, représentée par le Conseil du Trésor, est l’employeur des employés employés dans les ministères énumérés à l’annexe 1 de la Loi sur la gestion des finances publiques et d’autres parties de l’administration publique fédérale énumérées à l’annexe 4 de cette loi (Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2).

18.     Sa Majesté, telle que représentée par l’organisme distinct, est l’employeur des employés employés dans les parties de l’administration publique fédérale énumérées à l’annexe 5 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Ces organismes distincts ont des pouvoirs ou des fonctions en matière de gestion des ressources humaines qui leur sont conférés par une loi ou délégués directement par le gouverneur en conseil. Le Conseil du Trésor, en tant qu’employeur, n’a pas la responsabilité des pratiques de classification et de détermination des salaires qu’ont les organismes distincts, et il n’est pas le défendeur légitime dans des plaintes déposées au nom de personnes employées par des organismes distincts.

19.     Ce régime législatif permet aux organismes distincts énumérés à l’annexe 5 de la Loi sur la gestion des finances publiques d’agir indépendamment de l’administration publique centrale pour ce qui est d’accomplir leurs mandats et d’agir dans toute question liée à la gestion des ressources humaines. L’employeur expressément désigné par la loi est soit le Conseil du Trésor soit un organisme énuméré à l’annexe 5, pas les deux. Toute déviation à cet égard nécessite une modification législative. Toute suggestion qu’il pourrait exister, de facto, une catégorie d’employés/employeurs qui se distinguerait des intentions du Parlement aux termes de la LRTFP a été expressément rejetée par les tribunaux : Gingras c. Canada (1994), 2 C.F. 734 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. AFPC, [1991] 1 R.C.S. 614 (Econosult).

20.     Les cours et tribunaux ont également fait une mise en garde contre le traitement d’une partie distincte du gouvernement comme partie d’un tout homogène. Le fait que le Conseil du Trésor et les organismes distincts fassent tous deux partie de la Couronne ne suffit pas à conclure que l’un est le prolongement de l’autre ou que ces deux entités ne peuvent être distinguées l’une de l’autre aux fins de l’emploi : Canada (Procureur général) c. Brown (2008), C.F. 734.

21.     Par conséquent, le Conseil du Trésor demande que, si les plaintes sont traitées au nom de consultants en rémunération autres que les plaignants nommés, ces consultants doivent être employés dans l’administration publique centrale. Cette clarification est nécessaire pour éviter de créer des attentes indues.

22.     Il est respectueusement soutenu que ces arguments sont déterminants en l’espèce. Toutefois, le Conseil du Trésor informe la CRTFP que, le 12 mai 2009, le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu son audience dans Harkin et al. c. Canada (Procureur général) (dossier du TCDP no T1266/7807). La question en litige, dans Harkin, est de savoir si le Conseil du Trésor est l’employeur des employés d’un organisme distinct aux fins de la rémunération. Les plaignants, dans Harkin, cherchent à obtenir le bénéfice d’un rajustement d’équité salariale fait à la suite d’une plainte déposée au nom d’employés de l’administration publique centrale. Le Tribunal a pris sa décision en délibéré.

[…]

12 Le Conseil du Trésor a présenté les arguments suivants pour ce qui est de savoir si les questions de classification peuvent être incluses dans des plaintes « […] dans le cas où celles-ci portent sur la disparité salariale […] instaurée ou pratiquée par l’employeur […] » au sens de l’article 396 de la LEB :

[Traduction]

[…]

23.     La méthode moderne d’interprétation législative est celle qui est énoncée dans Sullivan on the Construction of Statute set qu’a acceptée la Cour suprême dans Rizzo et Rizzo Shoes Ltd. [1998] 1 R.C.S. 27 :

[Traduction]

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e édition (Markham : LexisNexis, 2008) à la page 1.

24.     On peut se fier à des documents extrinsèques comme preuve d’un contexte externe ou preuve directe de l’objet du texte législatif pour autant que ces documents soient pertinents et fiables. Le poids à accorder à ces documents est établi au cas par cas (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e édition, à la page 618).

[…]

27.     L’objet de la LERSP est de veiller à ce que des mesures proactives soient prises pour que les employés de groupes professionnels à prédominance féminine touchent une rémunération équitable. Dans le cas des employés non syndiqués, la LERSP prescrira à leurs employeurs de déterminer périodiquement si des questions de rémunération équitable se posent au lieu de travail et, si tel est le cas, de dresser un plan pour régler ces questions. Dans le cas des employés syndiqués, la législation exigera des employeurs et des agents négociateurs qu’ils règlent ces questions dans le cadre du processus de négociation collective.

28.     La LERSP établit la procédure d’information des employés pour ce qui est de leur indiquer si une évaluation en matière de rémunération équitable était nécessaire et, le cas échéant, comment elle a été réalisée ainsi que la façon dont tout problème de rémunération équitable a été résolu. Cette loi établit aussi un processus de recours.

29.     La CRTFP a reçu mandat de se saisir des litiges fondés sur l’application de la LERSP et d’entendre les plaintes en matière de rémunération équitable déposées par des plaignants individuels.

30.     Le régime de la LERSP signifie que les questions de rémunération équitable sont abordées au moyen des mécanismes établis en matière de fixation des salaires dans le secteur public fédéral (H. Laurendeau, secrétaire adjointe, Conseil du Trésor, Délibérations du Comité sénatorial permanent sur les finances nationales, 11 mars 2009) :

Le projet de loi a pour objet d’amener la transition d’un système fondé sur les plaintes à un système proactif. Il existe de nombreuses façons de faire en sorte qu’un système soit proactif. La solution énoncée dans le projet de loi est de marier cela avec le processus décisionnel visant l’établissement des salaires, quel que soit ce processus selon les différentes circonstances.

Laissez-moi vous expliquer ce que cela signifie dans la réalité. Dans le cas d’un milieu de travail syndiqué, où vous réfléchissez périodiquement à ce que devraient être les salaires, vous faites tout de suite intervenir le droit à l’équité salariale, au lieu de le faire plus tard lorsque vous vous rendez compte que vous avez mal fait les choses. Une obligation est imposée aux différents joueurs. Si c’est un employeur seul, cet employeur a pour obligation de veiller à ce que, lorsque les salaires sont fixés, l’on tienne compte de la question d’une rémunération équitable. Si les salaires sont établis par le biais de la négociation collective, lorsque les deux parties s’assoient à la table, elles ont pour obligation de venir prêtes à discuter des questions de salaire égal pour l’exécution d’un travail de valeur égal.

31.     L’objection à la compétence soulevée par le Conseil du Trésor repose sur le paragraphe 396(1) de la LEB. Cette disposition stipule que les plaintes fondées sur l’article 11 de la LCDP de même que les plaintes fondées sur les articles 7 ou 10 de cette même loi, dans le cas où celles-ci portent sur une disparité salariale entre hommes et femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur, dont la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) est saisie sont renvoyées devant la CRTFP :

396. (1) Les plaintes ci-après qui concernent des employés et dont la Commission canadienne des droits de la personne est saisie à la date de sanction de la présente loi, ou qui ont été déposées devant elle pendant la période commençant à cette date et se terminant à la date d’entrée en vigueur de l’article 399, sont, malgré l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, renvoyées sans délai par la Commission canadienne des droits de la personne devant la Commission :

a) les plaintes fondées sur les articles 7 ou 10 de cette loi, dans le cas où celles-ci portent sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur;

b) les plaintes fondées sur l’article 11 de la même loi.

32.     L’article 396 énonce la façon dont la CRTFP statuera sur les plaintes qui lui sont renvoyées. Essentiellement, la CRTFP est habilitée, aux termes du paragraphe 396(3), à interpréter et appliquer les articles 7, 10 et 11 de la LCDP et  les dispositions de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale concernant les fonctionnaires, jusqu’à ce que les plaintes soient réglées. Le paragraphe 396(9) confère à la CRTFP tous les pouvoirs de redressement prévus à l’article 53 de la LCDP, excepté qu’elle ne peut accorder de réparation pécuniaire que sous la forme d’une somme forfaitaire, laquelle somme ne peut valoir sur une période postérieure à la date d’entrée en vigueur de la LERSP.

33.     Les dispositions transitoires assurent la continuité entre les régimes de la LCDP et de la LERSP. Les procédures établies à l’article 396 visent à faire en sorte que les plaintes relatives à la rémunération équitable soient résolues d’une manière conforme à la façon dont de telles affaires seront traitées sous le régime de la LERSP, lorsque cette loi entrera en vigueur. En particulier, le renvoi des plaintes à l’employeur et à l’agent négociateur pendant une période de 180 jours a pour objet de faire participer les parties qui seront responsables de fixer, de façon proactive, des salaires équitables sous le régime de la LERSP.

34.     Dans la mesure où la LERSP établit un régime détaillé de rémunération équitable pour le secteur public, l’article 399 de la LEB modifiera la LCDP de manière que les dispositions de cette dernière loi touchant la discrimination salariale entre groupes à prédominance féminine et masculine ne s’appliqueront plus au secteur public :

399. La Loi canadienne sur les droits de la personne est modifiée par adjonction, après l’article 40.1 de ce qui suit :

Non-application des articles 7, 10 et 11

40.2 La Commission n’a pas compétence pour connaître des plaintes faites contre un employeur, au sens de ce terme dans la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public, et dénonçant :

a) soit la perpétration d’actes discriminatoires visés aux articles 7 et 10 dans le cas où la plainte porte sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur;

b) soit la perpétration d’actes discriminatoires visés à l’article 11.

35.     L’alinéa 396(1)a) et l’article 399 de la LEB sont libellés de façon identique dans leur version anglaise et essentiellement identique dans leur version française : « dans le cas où celles-ci [les plaintes] portent sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur » et « dans le cas où la plainte porte sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur ». Ainsi, les types de plaintes qui sont transférés sont ceux qui sortiront du champ de compétence de la CCDP une fois que la LERSP sera entrée en vigueur. Cela dénote l’intention du Parlement de faire du régime de la LERSP l’unique procédure de traitement des questions visées par l’article 396 de la LEB.

36.     Les allégations de discrimination fondées sur les articles 7 et 10 de la LCDP qui sont faites dans les plaintes déposées par les consultants en rémunération se rapportent uniquement à des questions de classification, en l’occurrence à l’appartenance des plaignants à un groupe professionnel « administratif », aux facteurs à évaluer dans une norme de classification et à la question de savoir si le système de classification devrait autoriser des comparaisons de la valeur du travail entre groupes professionnels.

37.     Le système de classification est le terrain d’assise de la gestion et du contrôle de la classification des postes dans l’administration publique centrale, y compris des politiques, lignes directrices, normes de classification, groupes professionnels, descriptions de travail, évaluations de postes/emplois, surveillance active et mécanismes de règlement des griefs. Il établit la relativité interne entre emplois, regroupe des postes de nature et aux fonctions similaires dans des groupes professionnels et les classe par niveau à l’intérieur du groupe d’emplois, en fonction de la valeur déterminée par l’application de la norme de classification appropriée. Le choix du système de classification est une prérogative de l’employeur (c’est-à-dire le Conseil du Trésor pour l’administration publique centrale ou les organismes distincts eu égard à leurs employés).

38.     Nous soutenons que la dimension de classification n’est pas incluse dans l’adjectif « salariales » employé au paragraphe 396(1) de la LEB. Les « salaires » ne sont pas expressément définis dans la LERSP ou aux fins de l’application des articles 7 ou 10 de la LCDP, mais ils peuvent être compris comme renvoyant à la notion de rémunération d’un travail effectué. La relativité interne établie par le système de classification ne représente que l’un des facteurs à prendre en considération dans l’exercice de fixation des salaires. La classification détermine les groupes et niveaux professionnels; elle n’attribue pas de salaire à chaque groupe et niveau. Voir D.A. Dukelow et B. Nuse,The Dictionary of Canadian Law, 2e édition (Scarborough : Carswell, 1995) à la page 1337.

39.     La fixation des salaires est un exercice distinct de celui de la classification. Dans le cas d’employés syndiqués, comme le sont les consultants en rémunération, les salaires sont déterminés au moyen de la négociation collective entre l’employeur et l’agent négociateur, avec prise en compte des relativités internes et externes et de toute autre considération que les parties jugent appropriée.

40.     La classification n’est pas un sujet de convention collective. Que des groupes professionnels recensés dans le système de classification puissent coïncider avec les unités de négociation à la faveur d’une communauté d’intérêts dans les emplois regroupés ne signifie pas que la loi ne puisse pas envisager de situations où cela ne serait pas le cas.

41.     Contrairement aux salaires, la classification est demeurée à l’extérieur du champ de la négociation collective depuis son instauration dans la fonction publique fédérale, en 1967. L’article 7 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) préserve le droit et l’autorité de l’employeur de déterminer l’organisation de la fonction publique et d’y classifier des postes. Par conséquent, un conseil d’arbitrage ne saurait, ainsi que le stipule l’alinéa 150(1)e) de la LRTFP rendre une décision qui « aurait une incidence sur l’organisation de la fonction publique, l’attribution de fonctions aux postes et aux personnes employées au sein de celle-ci et leur classification ». La LEB  n’apporte aucune modification corrélative à l’article 7 ou l’article 150 de la LRTFP. L’interdiction, à un conseil d’arbitrage, de connaître des affaires de classification est maintenue au paragraphe 19(1) de la LERSP, lequel stipule ce qui suit :

19. (1) L’organisme saisi en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique d’une demande d’arbitrage qui soulève une question de rémunération équitable rend, sous réserve de l’article 150 de cette loi, une décision arbitrale comportant un plan pour régler cette question dans un délai raisonnable.

42.     Nous soutenons que, lorsqu’on s’attarde au rôle de la classification dans le contexte plus large du régime d’emploi et de relations de travail de la fonction publique fédérale, les allégations touchant le système de classification ne sont généralement pas des affaires qui portent « sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur », au sens de l’alinéa 396(1)a) de la LEB.

43.     À l’appui de cette thèse, on peut trouver la distinction législative qui est opérée entre classification et détermination et réglementation des traitements dans la Loi sur la gestion des finances publiques :

11.(1) Le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice des attributions en matière de gestion des ressources humaines que lui confère l’alinéa 7(1)e) :

[…]

b) pourvoir à la classification des postes et des personnes employés dans la fonction publique;

c) déterminer et réglementer les traitements auxquels ont droit les personnes employés dans la fonction publique, leurs horaires et leur congés, ainsi que les questions connexes.

[Le paragraphe 57(3) de la LRTFP prévoit que la CRTFP est tenue de définir des unités correspondant aux groupes et sous-groupes professionnels établis par l’employeur, sauf dans le cas où elles ne constitueraient pas des unités habiles à négocier collectivement. De plus, en vertu de l’article 59 de la LRTFP, des postes de direction ou de confiance peuvent être exclus de l’unité de négociation quand bien même ces postes exclus seraient classifiés dans le même groupe professionnel que celui des postes syndiqués.]

44.     Il existe aussi une jurisprudence à l’appui d’une distinction entre classification et rémunération. Dans l’Association des économistes, sociologues et statisticien(ne)s c. La Commission  des relations de travail dans la Fonction publique (1983), 1 C.F. 407, la Cour d’appel fédérale a déclaré que diminuer ou accroître les taux de rémunération, ou encore les maintenir à leurs niveaux actuels, ne portait pas atteinte au pouvoir de classifier de l’employeur.

45.     En fait, la Cour fédérale a accepté que classification et rémunération ne coïncidaient pas nécessairement. Dans l’administration publique centrale, il existe de nombreuses allocations qui sont payées à divers employés en sus du taux de rémunération afférant à leurs groupe et niveau : Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général) (1988), A.C.F. no 948.

46.     Dans L’Association des économistes, sociologues et statisticien(ne)s c. La Commission des relations de travail dans la Fonction publique, la Cour d’appel fédérale a statué que maintien des salaires et classification étaient deux aspects dissociables :

Je ne suis pas d’accord qu’une disposition comme la clause 16.08 qui se rapporte incontestablement aux taux de rémunération des employés touchés par la reclassification à un niveau inférieur, empiète sur le pouvoir exclusif du Conseil du Trésor de classifier ou de reclassifier. Une réduction du traitement n’est qu’une des conséquences que pourra entraîner une reclassification à un niveau inférieur. Comme l’a fait remarquer l’avocat de la requérante, il y a bon nombre d’autres possibilités, dont la perte des avantages qui se rattachent au poste classifié au niveau supérieur. Mais ces conséquences ne portent nullement atteinte au droit du Conseil du Trésor de reclassifier. […] Les questions qui d’après moi sont visées à l’article 70(1) par le terme « taux de traitement » sont des questions relatives au taux de traitement actuel des employés (augmentation, diminution ou renouvellement à son niveau actuel)...

47.     Nous reconnaissons qu’il existe des affaires dans lesquelles l’« égalité de salaire » a été considérée comme une question de classification. Dans ces affaires, le demandeur a cherché à inclure des propositions devant un conseil d’arbitrage ou de conciliation pour résoudre les plaintes déposées par des biologistes qui étaient sous-payés par rapport à des médecins accomplissant un travail similaire : l’Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. la Commission des relations de travail dans la Fonction publique (1982), 1 C.F. 584; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général) (1988), A.C.F. no 948.

48.     Néanmoins, nous affirmons que ces cas se distinguent des plaintes en instance. Bien que présenté sous la forme d’une question d’égalité de rémunération, le cas des biologistes n’était pas une affaire de discrimination salariale fondée sur le sexe. Il n’y a aucune indication de prédominance masculine ou féminine parmi les biologistes ou les médecins. Au surplus, ces cas reposaient sur des faits et dépendaient des circonstances particulières et résultats escomptés des propositions. La Cour fédérale a plutôt reconnu que l’on pouvait opérer une démarcation entre les taux de rémunération et la classification et que, en pratique, ces dimensions ne sont pas nécessairement congruentes. Voir Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général) (1988), A.C.F. no 948.

49.     La question de l’égalité des salaires entre biologistes et médecins décrite dans les cas mentionnés au paragraphe 47 a, en bout de ligne, été résolue par le paiement d’une allocation aux biologistes.

50.     Enfin, nous soutenons que l’on peut s’inspirer du fait que les ordonnances ou règlements prononcés dans le passé relativement à des plaintes fondées sur l’article 11 de la LCDP concernant des employés du Conseil du Trésor ne se sont pas accompagnés de modifications à la classification. La dimension clé du redressement a été d’éliminer l’écart salarial au moyen du paiement d’une somme forfaitaire pour toute partie rétroactive du salaire et d’un rajustement des traitements pour l’avenir pour les plaignants. À titre de comparaison, nous affirmons que s’il était conclu qu’une norme de classification était entachée de partialité fondée sur le sexe, il serait ordonné à l’employeur de mettre au point une nouvelle norme. Une fois qu’une nouvelle norme serait élaborée, les postes seraient évalués par rapport à cette norme. Il se pourrait très bien, en bout de ligne, qu’un poste demeure au même niveau, ou encore qu’il soit reclassifié vers le haut ou vers le bas. Une reclassification n’a pas d’effet perturbateur sur les traitements établis et maintenus dans la convention collective ou par l’employeur pour chaque niveau.

13 Le Conseil du Trésor a fait les demandes suivantes à la Commission :

[Traduction]

[…]

1.       Exclure les allégations fondées sur les articles 7 et 10 de la LCDP et les renvoyer à la CCDP;

2.       Statuer que les plaignants nommés ne peuvent déposer de plaintes qu’au nom d’autres consultants en rémunération employés dans l’administration publique centrale qui ont signé un formulaire de consentement;

3.       Regrouper les plaintes;

4.       Ordonner que le délai de 180 jours pour résoudre les plaintes commence à la date à laquelle la CRTFP rendra sa décision sur les questions soulevées dans ces observations.

[…]

Arguments des plaignants

14 Les plaignants ont soumis les arguments suivants sur la question de savoir si le Conseil du Trésor était le défendeur légitime relativement aux plaintes faites contre les employeurs distincts :

[Traduction]

[…]

2.       Dans ses arguments, le Conseil du Trésor soutient qu’il n’est pas l’employeur légitime des employés employés par des organismes distincts dans la fonction publique. Les plaignants affirment que le Conseil du Trésor est l’employeur de ces employés aux fins de la rémunération et qu’il est, de toute façon, un défendeur nécessaire dans l’affaire de ces plaintes.

3.       […] [Dans] un document du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada intitulé « Mandat de négociation des organismes distincts » […], il est dit ce qui suit :

Les organismes distincts mènent leurs propres négociations pour les employés syndiqués et établissent les niveaux de rémunération des employés non syndiqués. Toutefois, le Conseil du Trésor conserve son rôle de gestion des dépenses relativement aux organismes distincts. Ainsi, tous les organismes distincts syndiqués […] sont tenus d’obtenir un mandat de négociations collectives du président du Conseil du Trésor par l’entremise de la Direction des relations de travail et des opérations de rémunération.

4.       Dans le même ordre d’idée, […] on trouve le passage suivant dans un document du Conseil du Trésor intitulé « Cadre des politiques de gestion de la rémunération » :

La plupart des organismes distincts ont besoin de l’approbation du gouverneur en conseil pour conclure des conventions collectives avec les agents négociateurs qui représentent leurs employés. Conformément à une directive du Cabinet publiée en 1967, le gouverneur en conseil oblige les organismes distincts, avant de négocier, à obtenir du président du Conseil du Trésor un mandat de négociation collective, comprenant les objectifs visés et les limites à observer.

5.       Le Conseil du Trésor demeure donc le responsable ultime de la rémunération des employés d’organismes distincts. Tout « pouvoir » de fixer les niveaux de rémunération conféré à ces organismes n’est qu’illusoire puisque, en bout de ligne, c’est le Conseil du Trésor qui détermine les mandats de rémunération pour ces organismes.

6.       Les plaignants affirment respectueusement qu’il serait tout à fait prématuré, à ce stade-ci, que la Commission se prononce sur la question de savoir si le Conseil du Trésor est ou n’est pas l’employeur de ces employés aux fins de la rémunération, ou encore s’il est un défendeur nécessaire. Nous soutenons que cette question sera tranchée par la Commission une fois qu’elle aura entendu la preuve relative à la façon dont les niveaux de rémunération sont déterminés au sein des organismes distincts, à l’audition de ces plaintes.

7.       Le Conseil du Trésor a été incapable de produire une pièce de jurisprudence à l’appui de son affirmation selon laquelle il ne devrait pas être considéré comme l’employeur des employés eu égard aux organismes distincts. En fait, il admet que la question de savoir si, oui ou non, il est l’employeur en pareilles circonstances est actuellement examinée dans le contexte d’une affaire d’équité salariale déférée au Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP). Une fois que la décision dans Harkin et al. c. Canada (Procureur général) dossier du TCDP no TI 266/7807 sera finalement rendue, elle pourra, de fait, guider la Commission dans une certaine mesure pour ce qui est de trancher cette question; cependant, à tout le moins, le fait que cette affaire soit actuellement examinée par le TCDP indique que la question est loin d’être réglée.

8.       Bien que le Conseil du Trésor ait bel et bien soulevé cette question dans une correspondance adressée au Tribunal en 2006, le TCDP a choisi de ne pas répondre à l’objection. Le Conseil du Trésor aurait alors pu faire trancher la question par voie de requête officielle, mais, pour des raisons qui ne sont pas bien claires, il n’a rien fait et a attendu que l’affaire soit renvoyée à la Commission.

9.       Puisque le Conseil du Trésor a maintenant apparemment décidé de poursuivre l’instruction de cette affaire, les plaignants, par la voie des présentes observations, demandent à la Commission l’autorisation de présenter une requête en vue d’ajouter tout organisme distinct à titre de défendeur dans ces plaintes.

15 Les plaignants ont soumis les arguments suivants quant à la compétence de la CRTFP de se prononcer sur des affaires de classification :

[Traduction]

[…]

10.     Pour déterminer quels sont ses pouvoirs eu égard aux plaintes en matière d’équité salariale de l’espèce, la Commission devrait se pencher sur les principes de la législation en matière de droits de la personne et non sur ceux de la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public, laquelle n’est pas encore en vigueur et ne comporte pas d’application logique aux plaintes préexistantes en matière d’équité salariale.

11.     La partie « classification » des plaintes en instance est directement liée à une disparité salariale instaurée ou pratiquée au sens de l’article 396 de la Loi d’exécution du budget de 2009, vu que c’est à partir de la classification du poste que les niveaux de rémunération ont été à la fois « établis » et « maintenus ».

12.     Nous faisons respectueusement valoir que, en vertu de l’article 396 de la Loi d’exécution du budget de 2009 (la LEB), la Commission s’est vu accorder de larges pouvoirs de redressement sur la base de ceux que lui a accordés l’article 53 de la LCDP. La Cour suprême du Canada a statué que la LCDP était une législation quasi constitutionnelle et que les dispositions réparatrices qui y étaient prévues doivent être interprétées largement pour contrer les effets de la discrimination. L’affirmation du Conseil du Trésor voulant que la classification soit un « droit de la direction » qui empêche qu’un redressement approprié touchant la classification soit ordonné pour remédier à la discrimination n’est donc pas fondée. Il n’y a absolument aucune indication, dans la loi, voulant que les pouvoirs de la Commission se limitent à ordonner le versement d’indemnités pécuniaires lors de l’instruction de plaintes portant sur une « disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur ». Nous estimons que, si un redressement est nécessaire ou approprié eu égard à la classification en vue d’atténuer ou d’éliminer les effets de la discrimination, la Commission a alors le pouvoir d’ordonner pareil redressement.

13.     […] le Conseil du Trésor fait observer que la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public (LERSP) a pour objet d’instaurer des procédures proactives visant à s’attaquer aux problèmes relatifs à l’équité salariale. Il suggère que c’est alors à la CRTFP de se prononcer sur les plaintes préexistantes en matière d’équité salariale qui lui sont déférées, en vertu des procédures établies dans la LERSP. En particulier, le Conseil du Trésor affirme […] que les dispositions transitoires sont « conçues pour régler les plaintes en matière de rémunération équitable d’une manière conforme à la façon dont de telles affaires seront traitées en vertu de la LERSP, lorsque cette loi entrera en vigueur ».

14.     La LERSP, qui a été introduite par la LEB, remplacera la législation fédérale en matière d’équité salariale. Les plaignants conviennent que, au lieu d’avoir un régime réactif axé sur les plaintes, on obtiendra un système proactif dans lequel les problèmes relatifs à l’équité salariale seront examinés entre syndicats et employeurs au moment des négociations, puis réglés pendant le processus de négociation collective.

15.     Néanmoins, la LERSP n’est pas encore en vigueur, comme l’a expressément admis le Conseil du Trésor […]. Nous estimons que l’affirmation du Conseil du Trésor voulant que la CRTFP doive appliquer les dispositions d’équité salariale de la LERSP fait fi du fait que la LEB a eu pour effet de transférer des affaires à la CRTFP avant l’entrée en vigueur de la LERSP.

16.     Seuls les articles 395 à 398 de la LEB sont en vigueur actuellement. L’article 396 prévoit explicitement un système de transfert, à la CRTFP, de certaines plaintes préexistantes devant la Commission canadienne des droits de la personne. Cet article prévoit que la CRTFP dispose, entre autres pouvoirs, de celui d’interpréter et d’appliquer les dispositions pertinentes de la LCDP et d’ordonner tout redressement que le TCDP serait habilité à ordonner aux termes de l’article 53 de la LCDP. Plus précisément, l’article 396 porte notamment ce qui suit :

Plaintes devant la Commission canadienne des droits de la personne

396. (1) Les plaintes ci-après qui concernent des employés et dont la Commission canadienne des droits de la personne est saisie à la date de sanction de la présente loi, ou qui ont été déposées devant elle pendant la période commençant à cette date et se terminant à la date d’entrée en vigueur de l’article 399, sont, malgré l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, renvoyées sans délai par la Commission canadienne des droits de la personne devant la Commission :

a) les plaintes fondées sur les articles 7 ou 10 de cette loi, dans le cas où celles-ci portent sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur;

b) les plaintes fondées sur l’article 11 de la même loi.

Application du présent article

(2) La Commission statue sur les plaintes conformément au présent article.

Pouvoirs de la Commission

(3) La Commission dispose, pour statuer sur les plaintes, en plus des pouvoirs que lui confère la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, du pouvoir d’interpréter et d’appliquer les articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, même après l’entrée en vigueur de l’article 399.

[…]

(9) La Commission peut, à l’égard des plaintes visées au présent article, rendre toute ordonnance que le membre instructeur est habilité à rendre au titre de l’article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne mais elle ne peut accorder de réparation pécuniaire que sous la forme d’une somme forfaitaire et que pour une période antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 394.

17.     L’article 396 de la LEB confère expressément à la CRTFP tous les pouvoirs prévus à l’article 53 de la LCDP lorsque la Commission est saisie de plaintes en matière d’équité salariale. Nous soutenons que cela ne serait pas nécessaire si les dispositions de la LERSP visaient à s’appliquer aux plaintes préexistantes transférées à la CRTFP avant l’entrée en vigueur de la législation. Une partie de l’article 53 de la LCDP stipule ce qui suit :

Plainte jugée fondée

(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

(i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visés au paragraphe 16(1),

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en œuvre un programme prévus à l’article 17;

[…]

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

[…]

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

[…]

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

18.     Une fois que la LERSP sera promulguée, ses dispositions en matière d’équité salariale assujettiront employeurs et syndicats à un régime dans lequel les questions d’équité salariale devront être abordées à l’étape de la négociation collective. À notre humble avis, il serait illogique que les dispositions de la LERSP visent à s’appliquer aux plaintes préexistantes qui ont été transférées du TCDP, car ces affaires ne pourraient tout simplement pas être traitées de la façon prescrite par la LERSP.

19.     Pour mesurer l’illogisme de la position du Conseil du Trésor sur ce point, il n’est, pour la Commission, que de s’arrêter aux dispositions de la LERSP comme telle. Aux termes de la LERSP, l’obligation de négocier l’égalité des salaires se produit au moment où les parties négocient une nouvelle convention collective. Dans l’affaire en instance, la période pertinente aux plaintes va de 1997 à ce jour. À l’évidence, les parties concernées ne peuvent négocier de conventions collectives pour les périodes allant de 1997 à aujourd’hui; ces conventions collectives ont déjà été négociées, on y a déjà donné suite et, dans la plupart des cas, elles sont déjà venues à expiration. Par conséquent, les principes qui leur sont pertinents ne peuvent être que ceux qui découlent de la LCDP et de l’Ordonnance de 1986.

20.     Le paragraphe 396(3) de la LEB habilite aussi expressément la CRTFP à appliquer les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale (l’« Ordonnance ») même après l’entrée en vigueur de la LERSP, ce qui n’aurait pas été nécessaire si l’on avait voulu que les dispositions de la LERSP s’appliquent aux plaintes survenues avant l’entrée en vigueur de la loi, étant donné que le régime d’équité salariale prévu par la LERSP est entièrement différent.

21.     Nous estimons donc que le présent litige devrait être tranché par l’application des principes d’équité salariale qui ont été conçus aux termes de la LCDP et de l’Ordonnance. Les paragraphes 396(3) et (9) de la LEB stipulent clairement que la CRTFP a le pouvoir d’ordonner les correctifs appropriés, avec pour seul facteur limitatif qu’elle ne peut ordonner le versement d’une somme forfaitaire que pour une période qui prend fin le jour de l’entrée en vigueur de la LERSP.

22.     Cette position est aussi corroborée par les principes relatifs à la présomption de non-rétroactivité de la législation. Aux pages 669 et 670 de son ouvrage Sullivan on the Construction of Statutes (5e édition, Toronto: Butterworths, 2008), Sullivan énonce les règles de common law touchant l’application des lois dans le temps et fait remarquer la forte présomption qui existe quant à l’absence d’effet rétroactif des lois :

[Traduction]

  • Il est présumé qu’il n’entre pas dans l’intention des autorités ou assemblées législatives de faire que les lois s’appliquent de façon rétroactive, c’est-à-dire qu’elles s’appliquent en sorte de changer les effets juridiques passés d’une situation antérieure.
  • Cette présomption est forte. Normalement, elle ne peut être réfutée que si le libellé de la loi ou du règlement en question indique clairement que ses dispositions ou une partie d’entre elles ont pour objet de s’appliquer rétroactivement.

23.     Dans Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national), [1975] A.C.S. no 116, le juge Dickson, à la page 6, a souligné comme suit la présomption d’absence d’effet rétroactif :

Premièrement, la rétroactivité. Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation. Une disposition modificatrice peut prévoir qu’elle est censée être entrée en vigueur à une date antérieure à son adoption, ou qu’elle porte uniquement sur les transactions conclues avant son adoption. Dans ces deux cas, elle a un effet rétroactif.

24.     Dans le présent cas, il n’y a rien, dans la législation, qui indique expressément ou implicitement que la LERSP avait pour objet d’avoir un effet rétroactif. En fait, c’est exactement le contraire. La législation actuelle prévoit expressément, au paragraphe 396(3), que la CRTFP a le pouvoir d’appliquer l’interprétation de la LCDP et de l’Ordonnance aux plaintes qui lui sont transférées, même après l’entrée en vigueur de la LERSP. Par conséquent, ce sont ces principes qui visent à guider la Commission en l’espèce, et non le nouveau régime établi dans la LERSP.

25.     En second lieu, le Conseil du Trésor argue que les questions touchant la classification ne sont pas à juste titre déférées à la Commission, au motif qu’elles ne sont pas des affaires portant sur « la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur », aux termes de l’alinéa 396(1)a) de la LEB. Les plaignants soutiennent que cette thèse n’est pas défendable car c’est précisément l’exercice de classification des postes en cause par l’employeur qui a directement entraîné l’« instauration » et la « pratique » de la disparité salariale entre les plaignants.

26.     À l’évidence, les plaintes fondées sur l’article 10 de la LCDP ne portent pas toutes, directement ou indirectement, sur la disparité salariale entre hommes et femmes chez les fonctionnaires. Par exemple, un employé pourrait avoir été congédié ou s’être vu refuser une promotion sur la base d’un motif de distinction illicite et, manifestement, l’article 396 de la LEB n’avait pas pour objet de s’appliquer à ce genre de plaintes. Dans le présent cas, toutefois, nous faisons respectueusement valoir que les questions de classification sont directement et intimement liées aux plaintes portant sur la disparité salariale entre hommes et femmes chez les fonctionnaires. En conséquence, les plaintes touchant la classification doivent être considérées comme étant assujetties au champ d’application de l’alinéa 396(1)a) de la LEB.

27.     Dans la plainte de Diane Melançon (la « plainte Melançon »), par exemple, il est dit que la classification du travail des consultants en rémunération a donné lieu à [traduction] « des salaires et avantages sociaux sensiblement plus bas pour ce groupe ». À la page 2 de la plainte Melançon, il est fait mention de [traduction] « l’effet nuisible que la classification discriminatoire a eu sur nos salaires et avantages ».

28.     Il est respectueusement soutenu que le fond de la plainte Melançon (et de toutes les autres plaintes) a trait à la disparité salariale entre un groupe féminin et un groupe masculin dont les employés (est-il allégué) accomplissent un travail d’égale valeur. Toutes les plaintes font clairement valoir que c’est la classification qui a causé la disparité salariale, qui a permis l’apparition et le maintien de cette disparité. En d’autres termes, le système de classification constitue la méthode même que l’employeur a utilisée pour imposer une politique de moindre salaire aux employés d’un groupe à prédominance féminine pour un travail d’égale valeur accompli par les employés d’un groupe à prédominance masculine.

29.     Nous affirmons donc, en toute déférence, que la classification est directement liée aux plaintes de disparité salariale et ressortit à une situation de « disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur », au sens de l’article 396 de la LEB.

30.     Le Conseil du Trésor estime que la reclassification n’est pas un redressement approprié dans la mesure où la classification est un droit de la direction qui n’est pas assujetti à la négociation collective. Le redressement demandé par les plaignants est le suivant :

(a) Reclassification du poste de consultant en rémunération d’une façon qui attribue une juste valeur au travail accompli par les titulaires de ce poste, qui nous rémunère d’une manière qui ne soit pas discriminatoire et qui assure la reconnaissance du statut de professionnel se rattachant à ce poste, et ce, à compter du 1er avril 1997, conformément à l’alinéa 53(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

31.     Comme on l’a fait valoir plus haut, le fond des plaintes en instance en matière de classification réside dans le fait que, de par sa classification des consultants en rémunération, l’employeur a permis l’apparition et la continuation d’une situation inéquitable dans laquelle les employés d’un groupe à prédominance féminine ont touché un traitement moindre – pour un travail d’égale valeur – que le salaire reçu par les employés d’un groupe comparable à prédominance masculine. Aussi le redressement sollicité se rapporte-t-il directement à une situation de « disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur », au sens de l’article 396 de la LEB.

32.     À notre humble avis, la demande de reclassification à titre de redressement est cruciale du fait que, sans ce correctif, les plaignants pourraient (ou ne pourraient pas) obtenir pleine réparation eu égard aux inégalités salariales, mais, à n’en pas douter, ne seraient pas rémunérés et dûment évalués pour l’avenir. La seule façon d’évaluer comme il se doit le travail des plaignants et de leur assurer une rémunération équitable consiste à reclassifier les postes en cause.

33.     Le Conseil du Trésor soutient en outre que la classification n’est pas une question soumise à la négociation collective et fait valoir que l’article 7 de la LRTFP maintient la capacité d’assigner des tâches et de classifier des postes comme étant un droit de la direction qui lui est conféré.

34.     À l’appui de cet argument, le Conseil du Trésor cite la décision ESSA c.Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique) pour étayer sa thèse selon laquelle la direction a le droit d’attribuer des fonctions et de classifier des postes. En fait, dans ce cas, la Cour d’appel fédérale a statué que la CRTFP avait eu tort de décliner compétence au motif qu’une proposition avait trait en partie à un exercice de reclassification.

35.     Fait plus important encore, l’argument avancé par le Conseil du Trésor fait fi du fait que, dans le cas en instance, nous parlons de redressements qui seraient ordonnés aux termes des pouvoirs prévus dans la législation en matière de droits de la personne. Il est bien établi en droit que seul le droit constitutionnel peut avoir préséance sur des dispositions législatives en matière de droits de la personne. Lorsqu’il y a conflit entre une législation sur les droits de la personne et toute autre loi d’application générale, ce sont les droits de la personne qui prévalent. Les tribunaux et autres organes de décision doivent faire une interprétation large et libérale de la législation, et de solides redressements sont disponibles pour contrer les effets de la discrimination : Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982], 2 R.C.S. 145);Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne, [1987] 1 R.C.S. 1114; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84

36.     Dans Insurance Corp., le juge Lame a fait valoir ce qui suit au paragraphe 32 :

Lorsque l’objet d’une loi est décrit comme l’énoncé complet des « droits » des gens qui vivent sur un territoire donné, il n’y a pas de doute, selon moi, que ces gens ont, par l’entremise de leur législateur, clairement indiqué qu’ils considèrent que cette loi et les valeurs qu’elle tend à promouvoir et à protéger, sont, hormis les dispositions constitutionnelles, plus importantes que toutes les autres. En conséquence à moins que le législateur ne se soit exprimé autrement en termes clairs et exprès dans le Human Rights Code of British Columbia, 1973 (B.C.), deuxième session, chap. 119 [aujourd’hui R.S.B.C. 1979, chap. 186], ou dans toute autre loi, il a voulu que Code ait préséance sur toutes les autres lois lorsqu’il y a conflit.

37.     Dans CNR ,le juge en chef Dickson, dans un jugement unanime de la Cour suprême, a fait observer ce qui suit au paragraphe 26 :

La législation sur les droits de la personne vise notamment à favoriser l'essor des droits individuels d'importance vitale, lesquels sont susceptibles d'être mis à exécution, en dernière analyse, devant une cour de justice. Je reconnais qu'en interprétant la Loi, les termes qu'elle utilise doivent recevoir leur sens ordinaire, mais il est tout aussi important de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits qui y sont énoncés. On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façons à les minimiser ou à diminuer leur effet.

38.     Dans Robichaud, le juge La Forest a fait observer ce qui suit au paragraphe 13 :

Cela est d'autant plus révélateur que la Loi, nous l'avons vu, ne vise pas à déterminer la faute ni à punir une conduite. Elle est de nature réparatrice. Elle vise à déceler les actes discriminatoires et à les supprimer. Pour ce faire, il faut que les redressements soient efficaces et compatibles avec la nature "quasi constitutionnelle" des droits protégés.

39.     […]  saisie d’une plainte fondée sur la LCDP, la CRTFP dispose de larges pouvoirs de redressement. Par conséquent, s’il apparaît clairement à la Commission qu’une question de classification fait partie intégrante de toute réparation en matière d’équité salariale, elle devrait être en mesure d’ordonner pareil redressement. On ne peut tout simplement pas conclure que, en vertu des droits de la direction qui sont prévus dans la LRTFP, le Conseil du Trésor a le droit d’instaurer ou de maintenir une classification contraire à la législation en matière de droits de la personne.

40.     Le Conseil du Trésor a déclaré dans ses observations, qu’il n’existait pas de cas de droits de la personne dans lequel une mesure de classification avait été ordonnée à titre de redressement relativement à une plainte en matière d’équité salariale. Toutefois, dans la décision A.F.PC. c. Canada (Conseil du Trésor), 1991, dossier T079/0484 du TCDP, le Tribunal s’est bel et bien penché sur des questions de classification dans le contexte d’une plainte en matière d’équité salariale.

41.     Dans A.F.P.C. c. Canada (Conseil du Trésor), il étaitquestion d’une plainte dans laquelle il était allégué que le Conseil du Trésor avait agi de façon discriminatoire dans la classification et la rémunération des fonctionnaires faisant partie du groupe à prédominance féminine des services hospitaliers (HS) par rapport à ceux du groupe à prédominance masculine des services généraux (GS), en contravention des articles 7, 10 et 11 de la LCDP. Lorsque l’affaire a été entendue en audience, les parties ont présenté au Tribunal une ordonnance sur consentement. En vertu de cette ordonnance sur consentement, il incombait au Conseil du Trésor d’opérer des rajustements salariaux en sorte d’égaliser les traitements des employés HS et ceux des employés GS à des niveaux de classification comparables. L’ordonnance sur consentement prévoyait aussi que le Tribunal demeure saisi de l’affaire pour régler certains aspects au cas où les parties ne s’entendraient pas sur ces points. Ultérieurement, la plaignante a demandé à ce que le Tribunal exerce cette compétence réservée.

42.     La plainte comportait deux arguments principaux : 1) qu’il y avait discrimination salariale entre les groupes HS et GS; 2) qu’il y avait discrimination entre les groupes d’employés HS et GS quant à leur classification.

43.     Le Tribunal a noté que les disparités salariales entre les deux groupes découlaient des valeurs qui étaient rattachées aux différents niveaux du système de classification, faisant observer ce qui suit aux paragraphes 32 et 33 :

Même si l’on n’a pas reconnu, dans l’exposé des faits convenu lors de  l’ordonnance sur consentement, qu’il y avait discrimination dans la  classification, les parties ne contestaient pas vraiment le fait que cette  discrimination existait jusqu’à un certain point. Les normes SH et SG  étaient toutes deux des systèmes d’évaluation numérique qui étaient presque  identiques quant à la structure fondamentale. Cependant, la division de  l’échelle numérique en niveaux était différente, de sorte que les employés  évalués de façon identique selon les deux normes étaient habituellement  classés à des niveaux différents.

Comme les échelles salariales dépendaient des niveaux, cette différence a, à son tour, engendré la discrimination salariale qui existait. Étant donné que les groupes SH et SG étaient respectivement des groupes à prédominance  féminine et masculine, nous sommes convaincus que cette différence sur le  plan des normes de classification était une pratique qui constituait de la  discrimination fondée sur le sexe contrairement à l’article 7 de la Loi. En conséquence, la plainte initiale était également bien fondée en ce qui a  trait à la discrimination dans la classification.

44.     Le Tribunal a ensuite déterminé que la discrimination observée dans la classification, laquelle avait donné lieu à de plus faibles salaires, n’était pas le fruit d’un acte délibéré de discrimination; cela résultait plutôt d’une discrimination systémique. En plus d’ordonner l’indemnisation des parties au regard de la disparité salariale qui avait perduré, le Tribunal a aussi statué ce qui suit au paragraphe 182 :

(1) l’intimé est tenu de cesser de classifier les employés des services hospitaliers en se fondant sur la norme de classification des services hospitaliers en date de décembre 1966, et ses modifications, ou sur la norme de classification des services hospitaliers de juillet 1989 ou toute autre norme de classification des employés des services hospitaliers qui est discriminatoire de la même façon comparativement à la norme de classification des services généraux de juin 1969;

(2) l’intimé doit, en consultation avec la Commission canadienne des droits de la personne, adopter et mettre en œuvre, le plus tôt possible, une norme de classification des services hospitaliers qui ne comporte aucune discrimination systémique fondée sur le sexe comparativement à la norme de classification des services généraux;

45.     Ainsi, dans ce cas, le Tribunal se penchait sur la question de l’équité salariale et a déterminé que c’était le système de classification qui avait engendré la disparité salariale entre le groupe à prédominance féminine et le groupe à prédominance masculine. Nous considérons que cette situation illustre le fait que les plaintes, dans l’affaire en instance, portent bel et bien sur une « disparité salariale entre  les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée » et qu’il s’agit donc là d’un sujet légitime sur lequel la CRTFP peut se prononcer.

46.     En outre, il est soutenu que la Commission devrait tenir compte de la décision A.F.P.C. c. Canada (Conseil du Trésor), (2005),C.F. 1297. Dans ce cas, le syndicat a déposé, devant la CCDP, une plainte fondée sur les articles 7, 10 et 11 de la LCDP. La plainte fondée sur l’article 11 a été renvoyée au Tribunal et une décision a été rendue qui ordonnait une indemnisation salariale sous la forme de rajustements d’équité salariale. La CCDP avait interrompu la réalisation d’une enquête sur les aspects de la plainte fondée sur les articles 7 et 10, tandis que l’on donnait suite à l’instruction de la plainte fondée sur l’article 11. Dans l’intervalle, les parties ont tenté, mais sans succès, d’en arriver ensemble à la création d’une nouvelle norme de classification à titre d’outil d’évaluation des postes. La CCDP a rédigé un rapport d’enquête et a recommandé que la CCDP ne poursuive pas l’instruction de la plainte déposée en vertu des articles 7 et 10.

47.     Au niveau de la Cour fédérale, la Cour a noté que le champ d’étude du rapport d’enquête était indûment étroit, faisant observer ce qui suit au paragraphe 39:

Dans son rapport, l’enquêteur s’est intéressé uniquement au fait que les groupes CR et PM n’étaient plus séparés, mais ne formaient maintenant qu’un seul groupe – le groupe PA. Cependant, le rapport passait sous silence un fait essentiel : on n’avait jamais véritablement modifié ou transformé le système de classification pour en éliminer les aspects discriminatoires qui existaient bel et bien. C’était là l’objet de l’initiative appelée NGC, mais celle-ci avait été abandonnée par le défendeur parce qu’elle était semble-t-il « impraticable ». En conséquence, et même si les groupes CR et PM ont officiellement été fusionnés pour former un groupe plus large, il reste que les anciennes normes de classification continuent de s’appliquer, ainsi qu’en témoignent les barèmes de rémunération provenant de la plus récente convention collective conclue entre l’AFPC et le Conseil du Trésor.

48.     Saisie de l’affaire, la Cour fédérale a déterminé que la CCDP avait commis une erreur lorsqu’elle s’était fiée uniquement au rapport d’enquête défectueux pour décider de ne pas instruire les autres plaintes. Comme l’a fait remarquer la Cour, le fait que les barèmes de rémunération étaient toujours fondés sur les anciennes normes de classification posait problème et signifiait qu’une discrimination perdurait et que la CCDP aurait dû se pencher sur ce problème. En l’absence d’une décision ordonnant une révision des normes de classification, on ne pouvait remédier à la discrimination. Ainsi donc, ce cas illustre encore une fois qu’un redressement touchant un système de classification peut constituer un correctif approprié dans le contexte d’une plainte en matière d’équité salariale. 

49.     Les redressements qui peuvent être ordonnés en application de l’article 53 de la LCDP sont vastes et souples. Lorsqu’il s’avère nécessaire de s’assurer que l’on traite des questions de discrimination, les pouvoirs prévus par cet article s’étendent à la prise d’ordonnances que l’on pourrait par ailleurs considérer comme empiétant sur les droits de la direction des employeurs. Ces types de pouvoirs et de mesures correctives ont été exercés par le Tribunal en sa qualité d’interprète de la législation « quasi constitutionnelle » qu’il applique. Voici quelques exemples de l’exercice de ce pouvoir de réparation étendu :

  • Dans Green c. Canada (Commission de la fonction publique) [2001] A.C.F. no 778 (1re inst.), la Cour fédérale a confirmé les redressements imposés par le Tribunal, y compris celui qu’on a désigné par « mesures correctives systémiques », en ordonnant notamment 1) que le Conseil du Trésor travaille, avec la CCDP, à la création d’un programme de formation en accommodements à l’intention de tous ses employés, 2) que le programme ainsi élaboré soit mis en œuvre dans les 18 mois de la décision rendue; 3) qu’une procédure soit instaurée pour l’étude des cas de personnes handicapées dont le profil ne correspond pas aux paramètres d’une politique ou procédure en particulier; 4) que le Conseil du Trésor revoit ses politiques sur l’accès à la formation linguistique afin de s’assurer que les mesures d’accommodement adéquates ont été prises; 5) que la Commission de la fonction publique crée un mécanisme d’examen de rechange pour les personnes ayant des difficultés d’apprentissage dans le contexte du programme de formation linguistique.
  • Dans Swan c. Canada (Forces armées canadiennes), [1994] D.C.D.P. no 15 (TCDP), le Tribunal a ordonné une « réparation visant la politique » exigeant des Forces armées canadiennes (FAC) d’apporter un certain nombre de changements précis à leur projet de politiques et de procédures dans les 90 jours de la décision. Le Tribunal a également ordonné aux FAC de modifier leur politique des permissions exceptionnelles.
  • Dans Grover c. Canada (Conseil national de recherche du Canada), [1992] D.C.D.P. no 12 (TCDP), le Tribunal a rendu une ordonnance prescrivant au CNRC de « faire, en consultation avec la Commission [la CCDP], un examen approfondi du programme et de la politique du CNR en matière de droit de la personne ».
  • Dans Kurvitz c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] D.C.D.P.no .7 (TCDP),le Tribunal a ordonné au Conseil du Trésor de modifier la convention collective conclue entre les parties en sorte de supprimer les conséquences discriminatoires des dispositions de cette convention sur le précompte des cotisations syndicales.

50.     […] la Commission est investie de ses mêmes pouvoirs étendus et souples de redressement lorsqu’elle est saisie d’une plainte en matière d’équité salariale. Il n’y a rien, dans la législation, qui porte à croire que la Commission ne puisse qu’accorder des réparations pécuniaires. En fait, la loi stipule plutôt que toute réparation pécuniaire se limite à une somme forfaitaire versée à titre d’indemnisation pour une période antérieure à l’entrée en vigueur de la LERSP. En fait, tous les pouvoirs de redressement inhérents à l’application de l’article 53 de la LCDP ont été conférés à la Commission. Nous soutenons que s’il est nécessaire de procéder à une reclassification des postes dans l’affaire en instance, pour remédier à la discrimination, la Commission possède alors le pouvoir nécessaire de rendre une ordonnance à cet effet.

51.     Le moins que l’on puisse dire […] c’est qu’il est par trop prématuré, à ce stade-ci, avant que la Commission ait entendu quelque preuve que ce soit sur les questions en litige, de déterminer que la CRTFP ne saurait rendre une ordonnance réparatrice touchant la classification. Les plaignants estiment que la Commission devrait avoir la possibilité de déterminer si la connaissance d’affaires de classification ou la reclassification de postes d’employés constitue un redressement approprié, au cas où, en bout de ligne, elle confirmerait tout ou partie des plaintes devant elle.

[…]

[Les passages mis en évidence le sont dans l’original]

Arguments de l’agent négociateur

16 L’agent négociateur a limité ses arguments à l’objection soulevée par le Conseil du Trésor quant à l’inclusion d’affaires liées à la classification. La version intégrale des arguments de l’agent négociateur est versée au dossier de la CRTFP. La version épurée de ces arguments est la suivante :

[…]

3.       Les pouvoirs qui sont conférés à la CRTFP eu égard à ces plaintes sont précisés à l’alinéa 396(1)a) de la LEB, qui prescrit à la CRTFP de se saisir de certaines plaintes déposées en application des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

4.       L’employeur soutient que les questions de classification ne ressortissent pas aux situations de disparités salariales instaurées ou pratiquées par l’employeur, au sens du paragraphe 396(1) de la LEB. L’employeur soumet deux plaidoiries à l’appui de sa thèse : le contexte législatif et l’interprétation des lois; la nature de la classification dans l’administration publique centrale.

5.       Toutefois, les arguments avancés par l’employeur omettent de tenir compte de la claire intention et de l’interprétation adéquate du paragraphe 396(1) de la LEB, et ils font fi du fait que ce sont les systèmes de classification qui sont à l’origine de l’instauration et de la pratique de la disparité salariale.

[…]

6.       Le paragraphe 396(1) de la LEB se lit comme suit :

396(1) Les plaintes ci-après qui concernent des employés et dont la Commission canadienne des droits de la personne est saisie à la date de sanction de la présente loi, ou qui ont été déposées devant elle pendant la période commençant à cette date et se terminant à la date d’entrée en vigueur de l’article 399, sont, malgré l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, renvoyées sans délai par la Commission canadienne des droits de la personne devant la Commission :

a) les plaintes fondées sur les articles 7 ou 10 de cette loi, dans le cas où celles-ci portent sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur;

b) les plaintes fondées sur l’article 11 de la même loi.

7.       Il est bien établi qu’il faut donner au libellé d’une disposition législative son sens grammatical et ordinaire et que ce libellé doit être interprété d’une manière qui cadre avec le contexte de la loi dans son ensemble et qui tienne compte de l’objet de ce texte législatif. (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., p. 1)

8.       Lorsque la législation examinée peut être qualifiée de « loi conférant des avantages », « elle doit être interprétée de façon libérale et généreuse » (Re Rizzo et Rizzo Shoes Ltd., au paragr. 36).

9.       L’employeur ne fait aucun commentaire sur le sens à donner à l’expression « disparité […] instaurée ou pratiquée ». Le libellé du paragr. 396(1) de la LEB ne renvoie pas uniquement à la dimension « salariale », pas plus qu’il ne fait allusion au « versement » ou à la « négociation au moyen de la négociation collective » de salaires ou traitements, bien que ces notions apparaissent dans les arguments de l’employeur. Le paragr. 396(1) de la LEB parle plutôt de la « disparité salariale […] instaurée ou pratiquée ».

10.     C’est là une distinction capitale que l’employeur évite soigneusement de faire à plusieurs endroits de sa plaidoirie. L’employeur affirme avec insistance que « classification et salaires ne sont pas nécessairement congruents ». Cette affirmation de l’employeur esquive complètement le fait évident et établi que la classification est intimement liée à la « disparité salariale […] instaurée ou pratiquée »,ce qui correspond à la formulation effectivement employée dans l’article pertinent de la LEB […] L’employeur parle de « fixation des salaires » ou « détermination des salaires », autres formulations que l’on ne trouve pas dans la LEB.

11.     De la même façon, une « disparité salariale […] instaurée ou pratiquée par l’employeur » ne saurait équivaloir au terme « paye », comme l’a suggéré l’employeur […] Manifestement, l’instauration ou la pratique d’une disparité salariale est une question plus vaste que la simple dimension de paye, si l’on donne à ces mots leur sens ordinaire. « Salaire » et « paye » peuvent être des termes relativement équivalents lorsqu’il s’agit de la rémunération que touche un employé. Toutefois, le terme « salariale » est employé dans la LEB dans un contexte plus large et plus qualifié de « disparité salariale […] instaurée ou pratiquée ». On ne peut faire fi de ce contexte, et l’on doit étendre le sens que renferme le paragr. 396(1) de la LEB au-delà de la simple dimension « salariale ». La formulation « disparité salariale […] instaurée ou pratiquée » doit renvoyer à diverses activités liées à l’établissement ou au maintien des salaires et pas seulement au salaire touché par un employé. La classification fait clairement partie de l’instauration et de la pratique de salaires.

12.     Qui plus est, il n’est pas pertinent que la classification ne fasse actuellement pas l’objet d’une négociation collective entre les parties, comme l’a fait valoir l’employeur dans ses arguments, aux paragr. 40 et 41. Bien que la LERSP (qui n’est pas encore en vigueur) imposera une obligation positive tant à l’employeur qu’aux agents négociateurs, l’article 396 ne fait aucune allusion à une limitation des aspects salariaux qui pourraient faire, ou font actuellement, l’objet d’une négociation collective. Entrevoir une telle allusion dans le paragr. 396 reviendrait à contrevenir aux principes établis d’interprétation des lois.

13.     Bien que l’on puisse invoquer certaines aides extrinsèques à l’interprétation des textes législatifs, en particulier lorsque l’intention du législateur est vague ou peu claire, pareille allusion ne devrait pas servir à modifier ou à contredire un langage législatif qui est clair et sans équivoque (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., p. 1,).

14.     Les déclarations vagues et de portée générale que Mme Laurendeau a faites lors du témoignage qu’elle a livré devant le Comité sénatorial permanent sur les finances nationales, quoi qu’elles revêtent un intérêt théorique, constituent de simples commentaires intéressés que livre l’une des parties au présent litige. Elles ne reflètent pas la volonté du législateur, au nom duquel Mme Laurendeau ne parle pas. On ne devrait donc pas se servir de ces déclarations comme d’un outil d’interprétation législative.

15.     Qui plus est, la LERSP, à laquelle l’employeur fait abondamment allusion dans ses arguments, n’est pas encore en vigueur. Il n’y a rien, dans cette législation, qui signale qu’elle doive s’appliquer rétroactivement, à défaut de quoi on serait dans l’impossibilité d’interpréter cette application.

16.     Quant au contexte plus large de la LEB, plusieurs aspects du texte législatif donnent à penser qu’il y a lieu de donner à la formulation « disparité salariale […] instaurée ou pratiquée » une interprétation plus large que celle que l’employeur propose.

17.     Au premier rang des facteurs de cette interprétation, on trouve le caractère constitutionnellement protégé des droits qui sont visés par les dispositions transitoires de la LEB. Les lois qui protègent ces droits doivent être lues et interprétées de manière large et axée sur les objectifs (Canada (Commission des droits de la personne) c. Lignes aériennes Canadien International ltée, [2006] 1. R.C.S. 3, 2006 CSC 1, aux paragr. 15 et 16 et Robichaud c. Canada, [1987] de R.C.S. 84).

18.     En deuxième lieu, les larges pouvoirs réparateurs conférés à la Commission des relations de travail dans la fonction publique en application des dispositions transitoires de la LEB ne correspondent pas à une compétence qui se limite aux seuls aspects salariaux, ce qui ne nécessiterait que le pouvoir d’accorder une réparation pécuniaire. La Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) s’est vu conférer le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les articles 7, 10 et 11 de la LCDP ainsi que l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. Ce pouvoir ne se limite pas à accorder des réparations pécuniaires et, en soi, signale que des pouvoirs de redressement plus étendus étaient nécessaires pour permettre à la Commission de se pencher sur les aspects non pécuniaires des plaintes dont elle serait saisie (alinéa 396(1)c)).

19.     En dernier lieu, dans tout exercice d’interprétation législative, il faut tenir compte de l’objet de la loi dans son ensemble. L’objet de cette partie de la LEB est de transférer les affaires traitant d’équité salariale à la CRTFP pendant la période qui précède l’entrée en vigueur de la LERSP. Dans le préambule de la LEB, il est fait mention d’un régime complet d’équité en matière de rémunération pour le secteur public fédéral. Un tel objectif ne cadrerait pas avec un transfert partiel à la CRTFP des plaintes relatives à une « disparité salariale […] instaurée ou pratiquée ».

[…]

20.     Le lien entre l’aspect salarial et la classification est indiscutable et est admis, expressément ou implicitement, à plusieurs endroits des arguments de l’employeur (voir les paragr. 37, 38 et 39).

21.     Le lien entre classification et « disparité salariale […] instaurée ou pratiquée » est encore plus fort, puisque l’employeur le reconnaît aussi implicitement.

22.     La formulation d’une « disparité salariale instaurée oupratiquée » n’existe pas dans un vide jurisprudentiel, pas plus qu’elle n’est exclusive au libellé de la LEB. On retrouve cette formulation au paragr. 11(1) de la LCDP, et l’on doit présumer que lorsque le législateur a choisi d’employer la même formulation que celle qui est utilisée dans la LCDP, il avait l’intention de reprendre cette phraséologie telle qu’elle a été définie dans le contexte de cette loi (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., p. 1).

23.     Les systèmes de classification discriminatoires sont ainsi qualifiés parce qu’ils rendent impossible toute comparaison non discriminatoire du travail accompli par des employés entre un groupe à prédominance masculine et un groupe à prédominance féminine, et sont donc au cœur de l’instauration et de la pratique d’une disparité salariale. Ainsi donc, il est impossible de dissocier la « classification » discriminatoire d’un travail accompli de « l’établissement ou du maintien » des salaires versés pour ce travail (AFPC. Canada (Conseil du Trésor), 2005 C.F. 1297 (2006).

24.     Cet état de fait devient très clair lorsqu’on examine de près l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale (l’Ordonnance), que la Commission a été habilitée à interpréter et appliquer eu égard aux plaintes qui lui sont déférées en application de l’alinéa 396(1)c) de la LEB. Lus en parallèle avec l’article 11 de la LCDP, les articles 3 à 9 de l’Ordonnance font ressortir les liens inextricables qui existent entre la valeur que l’on attribue à un travail dans un système de classification et les salaires qui sont versés en bout de ligne pour ce travail.

25.     Évaluer la valeur relative du travail accompli par des fonctionnaires appartenant à des groupes professionnels à prédominance masculine et à prédominance féminine fait partie intégrante du processus d’évaluation des emplois et se traduit, en bout ligne, par des différences salariales, voire une disparité dans les traitements versés aux employés de ces groupes (Ontario Nurses Association v. Women’s College Hospital, Ontario Pay Equity Decisions [1992], O.P.E.D. no 20 et Ontario Nurses Association v. Haldimand-Norfolk (Regional Municipality), [1991] O.P.E.D. no 52.

26.     Les plaintes fondées sur l’article 10 de la LCDP ne portent pas toutes sur les salaires, mais, par définition, toutes les plaintes traitant des salaires (qu’elles soient fondées sur l’article 10 ou sur l’article 11 de la LCDP) doivent comporter, de par leur nature même, soit un lien direct, soit un rapport indirect avec la façon dont le travail accompli est classifié ou évalué. Cette classification ou évaluation peut être formelle (comme c’est le cas dans la fonction publique fédérale) ou peut aussi tout simplement être exprimée dans les valeurs relatives qu’un employeur attribue de façon informelle au travail accompli par différents groupes d’employés, ce qui influe en bout de ligne sur la rémunération totale de ces employés.

27.     La classification n’est pas accessoire ou corollaire à la disparité salariale, pas plus qu’elle est simplement liée à la disparité salariale, elle est la source de l’instauration de la disparité salariale et, lorsque cette disparité est maintenue ou pratiquée, la classification en fournit la justification. Lorsque la disparité en question est discriminatoire, c’est la classification qui est à l’origine de cette discrimination. Ainsi, la distinction que, dans ses arguments écrits, l’employeur opère entre rémunération discriminatoire et structures de classification discriminatoires est purement illusoire.

28.     Étant donné que la classification des emplois fait clairement partie de l’instauration ou de la pratique de la disparité salariale dont il est question aussi bien dans la LCDP que dans LEB, il faut donner au libellé du paragr. 396(1) de la LEB son sens ordinaire et grammatical, en conformité avec le contexte législatif et l’objet de la loi. L’agent négociateur estime donc, en toute déférence, que les objections soulevées par l’employeur devraient être rejetées.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

Arguments en réplique du Conseil du Trésor

17 En réplique aux arguments des plaignants sur la question des organismes distincts, le Conseil du Trésor a fait les observations générales suivantes :

[Traduction]

  • Soutenir que le défendeur est l’employeur des employés employés par des organismes distincts est incompatible avec le cadre législatif établi qui régit l’emploi et les relations de travail dans la fonction publique fédérale. L’approbation, par le président du Conseil du Trésor, du mandat de négociation collective de la plupart des organismes distincts est un prolongement du contrôle que le Conseil du Trésor exerce sur les dépenses du gouvernement, et non de son rôle d’employeur.
  • Le Conseil du Trésor s’oppose à la requête des plaignants de faire ajouter les organismes distincts au nombre des défendeurs relativement aux plaintes, car ces organismes n’ont pas de rôle pertinent à jouer dans les questions d’emploi en cause.

18 En réplique aux observations concernant l’aspect « classification », le Conseil du Trésor a fait les observations générales suivantes :

[Traduction]

  • La compétence de la CRTFP prévue à l’article 396 de la Loi d’exécution du budget de 2009 (LEB) doit être interprétée à la lumière de l’ensemble des lois adoptées par le Parlement, y compris de la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public.
  • En matière de classification, il n’est pas question de  « disparité salariale instaurée ou maintenue ». Dans un environnement syndiqué, ce rôle est dévolu à la négociation collective.
  • La classification n’est pas source de discrimination salariale. La classification, comme moyen de définir et d’organiser les buts et valeurs de la direction, se distingue de l’évaluation des emplois aux fins d’équité salariale.
  • Il n’y a pas de raison d’adopter une interprétation large et libérale de l’article 396 de la LEB.
  • Accorder à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) les pouvoirs de redressement prévus à l’article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) n’a pas d’effet sur la définition de la compétence de la Commission.

19 Le Conseil du Trésor a présenté les observations particulières suivantes sur la question de savoir s’il était un défendeur légitime dans l’affaire d’une plainte déposée au nom de personnes employées par un organisme distinct :

[Traduction]

[…]

3.       Les plaignants allèguent que […] le Conseil du Trésor est l’employeur des employés, eu égard aux organismes distincts, aux fins de la rémunération, au motif que le président du Conseil du Trésor approuve préalablement le mandat de négociation collective des organismes distincts.

4.       Le Conseil du Trésor est un comité du Conseil privé de la Reine qui est présidé par le président du Conseil du Trésor. Un large éventail de pouvoirs lui sont confiés, parmi lesquels les attributions suivantes :

  • agir au nom du Conseil privé de la Reine à l’égard de questions de gestion financière, notamment les prévisions budgétaires, les dépenses, les engagements financiers, les comptes, le prix de fourniture de services ou d’usage d’installations, les locations, les permis ou licences, les baux, le produit de la cession de biens, ainsi que les méthodes employées par les ministères pour gérer, inscrire et comptabiliser leurs recettes ou leurs créances;
  • agir au nom du Conseil privé de la Reine à l’égard des questions de gestion des ressources humaines de l’administration publique fédérale, notamment la détermination des conditions d’emploi (Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP), L.R., ch. F-11, art. 5 et alinéas 7(1)c) et 7(1)e)).

5.       Les attributions du Conseil du Trésor sont assujetties aux instructions du gouverneur en conseil, lequel peut aussi modifier ou annuler toute mesure prise par le Conseil. En ce qui concerne l’exercice de pouvoirs relatifs à la gestion des ressources humaines, les attributions du Conseil du Trésor ne s’étendent pas à cette question qui est régie par d’autres dispositions législatives ou que le gouverneur en conseil à déléguées à un organisme distinct (LGFP, articles et paragraphes 8, 11.1(2), 11.2, 12(2) et 12.1).

6.       La responsabilité de la gestion du personnel d’un organisme distinct est le plus souvent confiée à l’organisme distinct par le Parlement, en vertu d’une loi, ou par décret (LGFP, art. 11.2 et paragr. 12(2); Loi sur l’Agence Parcs Canada, L.C. 1998, ch. 31, art. 13; Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, L.C. 1997, ch. 6, art. 12 et 13).

7.       Ainsi, selon les conditions fixées par le Parlement ou le gouverneur en conseil, les organismes distincts sont habilités à gérer leur personnel, y compris la classification des postes, la détermination des conditions d’emploi de leurs employés, la fixation des salaires et l‘adoption de politiques de gestion des ressources humaines.

8. Le 30 novembre 1967, le Cabinet a convenu que les organismes distincts pourraient exercer les pouvoirs et fonctions du gouverneur en conseil et du Conseil du Trésor à l’égard des questions précisées au paragraphe 7(1) de la  LGFP, y compris de la détermination et de la réglementation du salaire des employés. Cette décision du Cabinet renfermait les conditions suivantes :

[Traduction]

  • ce pouvoir est accordé étant entendu, premièrement, que les employeurs distincts consultent le personnel du Conseil du Trésor sur toute politique nouvelle ou modifiée qu’ils se proposent d’instaurer ou de présenter à la table des négociations et, deuxièmement, qu’ils tiennent des consultations suffisamment à l’avance pour permettre, au besoin, la présentation d’observations au gouverneur en conseil avant que toute mesure soit prise;
  • les employeurs distincts sont tenus, avant la négociation, d’obtenir, de la même source ministérielle que celle qui donne des instructions aux négociateurs du Conseil du Trésor, le mandat définissant les objectifs que leurs négociateurs doivent poursuivre ainsi que les limites qu’ils doivent respecter pendant la négociation collective.

9.       À la suite de cette décision du Cabinet, la plupart des organismes distincts ont cherché à faire approuver leur mandat de négociation collective par le président du Conseil du Trésor. L’Agence du revenu du Canada fait exception. Elle dispose du pouvoir exclusif de conclure une convention collective avec l’agent négociateur d’une unité composée d’employés de l’Agence. Cette habilitation est assujettie à une consultation — mais pas à l’approbation — du Conseil du Trésor relativement au plan de ressources humaines de l’Agence (Loi sur l’Agence du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17, art. 58).

10.     Cela ne signifie pas que le Conseil du Trésor soit l’employeur des employés d’un organisme distinct aux fins de la rémunération. Tout d’abord, comme l’a fait remarquer le défendeur dans ses premières observations, des relations de travail de fait n’ont pas leur place dans la fonction publique : Canada (Procureur général) c. AFPC, [1991] 1 R.C. S. 614 (Econosult).

11.     En deuxième lieu, cela serait incompatible avec les pouvoirs délégués ou légalement conférés aux organismes distincts ainsi qu’avec la claire intention du Parlement de dissocier, de l’administration publique centrale, les organisations qui sont mieux à même de remplir leur mandat et de servir l’intérêt public en des employeurs à part entière. Le régime de relations de travail de la fonction publique fédérale tient notamment compte de cette séparation :

  • en interdisant au Conseil du Trésor de conclure une convention collective visant une unité de négociation composée d’employés d’un organisme distinct;
  • en prévoyant des droits du successeur et des conversions lors de la création d’un nouvel organisme distinct ou de la réintégration d’un organisme existant dans l’administration publique centrale. De telles dispositions n’auraient pas d’utilité si l’administration publique centrale et les organismes distincts étaient un même employeur (LRTFP, art. 79 à 93 et 111).

12.     Cette séparation est de plus étayée par la jurisprudence. L’argument selon lequel un fonctionnaire est employé par le « gouvernement fédéral » a été rejeté dans Zimmermann c. Conseil du Trésor (MAINC), 2008 CRTFP 87. Dans Peck c. Parcs Canada, 2009 CF 686 (au pargr. 28), la Cour fédérale a reconnu que Parcs Canada, un organisme distinct, était un [traduction] « employeur indépendant du Conseil du Trésor ».

13.     En troisième lieu, il a été reconnu, dans la jurisprudence, que les obligations du Conseil du Trésor touchant l’équité salariale ne s’étendaient pas aux employés d’autres employeurs (en l’espèce, les sociétés de la Couronne) : Stevenson c. Conseil du Trésor (Musée canadien de la nature), (1994) 25 CRTFP no 24; MacLean c. Conseil du Trésor (Musée des beaux-arts du Canada), (1993) 24 CRTFP no 30; décision confirmée par la Cour fédérale en 1994, A.C.F. no 549.

14.     Enfin, les organismes distincts sont financés par des crédits que le Parlement approuve au moyen de projets de lois de crédit. C’est le Conseil du Trésor qui assume la responsabilité générale des dépenses de programme directes à l’échelle du gouvernement.

15.     Les plaignants s’appuient sur le Cadre des politiques de gestion de la rémunération du  Conseil du Trésor pour affirmer que le Conseil du Trésor est l’employeur des employés d’organismes distincts aux fins de la rémunération. Toutefois, ce cadre de politiques explique que le rôle et les responsabilités du Conseil du Trésor en matière de gestion de la rémunération varient selon qu’il s’agit de l’administration publique centrale, des organismes distincts, des Forces canadiennes, de la GRC ou de sociétés d’État qui dépendent de crédits parlementaires. Le cadre de politiques indique que le Conseil du Trésor gère la rémunération de l’administration publique centrale dans le cadre de son rôle d’employeur. Quant aux organismes distincts, la situation sur laquelle se sont appuyés les plaignants, au paragraphe 4 de leurs arguments, est précédée du passage suivant :

[Traduction]

Organismes distincts : les organismes distincts peuvent exercer leurs propres pouvoirs en matière de ressources humaines, pouvoirs qui leur sont conférés par leur loi habilitante respective ou par décret. Ces pouvoirs peuvent être inconditionnels ou assujettis à des conditions, comme la consultation préalable et/ou l’approbation du Conseil du Trésor. Les organismes distincts sont des employeurs à part entière.

16.     Dans la même veine, le document intitulé « Mandats de négociation des organismes distincts » précise, dans son deuxième paragraphe, que le Conseil du Trésor exerce cette supervision dans le cadre de l’autorité qui lui est conférée en matière de gestion des dépenses.

17.     Le défendeur s’oppose à la requête des plaignants visant l’ajout des organismes distincts au nombre des défendeurs dans l’affaire des plaintes en instance.

18.     Il y a actuellement 27 organismes distincts qui disposent chacun de leur propre cadre à l’intérieur duquel ils gèrent leurs ressources humaines. Exiger de ces organismes qu’ils répondent à des litiges portant sur de nombreuses plaintes avec lesquelles ils sont susceptibles de n’avoir aucun lien reviendrait à retarder indûment les procédures et porterait préjudice à ces organisations.

19.     Se contenter d’ajouter des organismes distincts au nombre des défendeurs, c’est faire fi du fait que l’on ne peut établir de parallèles généraux entre les consultants en rémunération à l’échelle de l’administration publique fédérale. Par exemple, les consultants en rémunération employés au Centre de la sécurité des télécommunications sont classifiés aux groupe et niveau UNI-06. L’actuel taux annuel de traitement d’un employé UNI-06 varie de 61 302 $ à 72 122 $. Par comparaison, les consultants en communication classés AS-2 dans l’administration publique centrale touche un salaire oscillant entre 50 854 $ et 54 793 $.

20.     Qui plus est, il est inutile de nommer le Conseil du Trésor comme défendeur dans une cause de plainte de discrimination salariale fondée sur le sexe déposée à l’encontre d’un organisme distinct. Qu’un organisme distinct mène des consultations ou qu’il cherche à faire approuver son mandat de négociation collective ou encore qu’il soit engagé dans des discussions sur l’approbation de son budget global annuel ne change pas le fait que c’est à l’organisme en question qu’il appartient de présenter une analyse de rentabilisation dans laquelle sont précisés ses exigences ou besoins opérationnels, y compris ses éventuelles obligations prescrites par la loi. Cette procédure interne ne requiert pas que le Conseil du Trésor, à titre de gardien des fonds publics, soit désigné défendeur dans toute affaire de plainte pouvant avoir des conséquences pécuniaires.

21.     Nous notons que le Conseil du Trésor n’est habituellement pas nommé défendeur dans les autres types de procédures auxquelles des organismes distincts sont parties. Cela n’a pas empêché les organismes distincts de s’acquitter de leurs obligations financières à l’égard de leurs employés. Voir Peck c. Parcs Canada et Dans l’affaire d’un arbitrage entre la Commission canadienne de sûreté nucléaire et l’IPFPC, dossier de la CRTFP 585-03-01.

22.     Nous faisons donc respectueusement valoir que la plainte contre le Conseil du Trésor ne devrait être instruite qu’au nom des consultants en rémunération employés dans l’administration publique centrale qui ont signé ou qui signeront un consentement. Les consultants en rémunération employés par un organisme distinct qui croient avoir été victimes de discrimination salariale fondée sur le sexe peuvent déposer une plainte contre l’organisme distinct qui les emploie.

23. […] les plaignants déclarent que le défendeur a porté cette question à l’attention du Tribunal canadien des droits de la personne et qu’il aurait pu adresser au Tribunal une demande de requête pour faire trancher la question. C’est inexact. Le défendeur a soulevé cette question auprès de la Commission canadienne des droits de la personne et non du Tribunal. Il n’y a pas eu de décision de la Commission que le défendeur aurait éventuellement pu soumettre à un contrôle judiciaire. Les plaignants ont été notifiés en 2006 qu’il s’agissait là d’une question en litige.

20 Sur la question de la compétence à instruire des affaires traitant de classification, les défendeurs ont transmis les observations particulières suivantes :

[Traduction]

[…]

24.     Le défendeur ne considère pas que les dispositions de la LERSP s’appliquent aux présentes plaintes, ni que, une fois en vigueur, la LERSP aura un effet rétroactif ou s’appliquera rétroactivement.

25.     Le défendeur est d’avis que la compétence de la CRTFP en cette matière est définie à l’article 396 de la LEB.  L’article 396 de la LEB devrait être interprété à la lumière de l’ensemble des lois connexes adoptées par le Parlement. Le principe d’interprétation applicable est décrit comme suit dans Sullivan on the Construction of Statutes (p. 411) :

[Traduction]

Les présomptions sur lesquelles s’appuie l’interprétation des lois s’appliquent non seulement à chaque loi prise séparément, mais aussi, quoique dans une moindre mesure, à l’ensemble des dispositions législatives qui composent la loi à une date donnée. Cela comprend la législation par délégation. Cela comprend aussi la loi qui a été adoptée, mais qui n’est pas encore entrée en vigueur. On présume que la législature connaît son propre recueil de lois et qu’elle rédige chaque nouvelle disposition en tenant compte des structures, conventions et habitudes d’expression ainsi que des règles juridiques de fond ou règles de droit positif qui sont enchâssées dans la législation existante.

Lorsque les tribunaux examinent une disposition dans le contexte du recueil de lois dans son ensemble, ils se préoccupent principalement de deux choses. L’une est d’éviter un conflit avec les dispositions d’autres lois. On présume que la législature n’a pas l’intention de se contredire elle-même. On présume qu’elle crée des régimes cohérents. Par conséquent, les interprétations qui évitent la possibilité de conflits ou d’incohérence entre différents textes de loi sont privilégiées.

L’autre objet d’attention des tribunaux a trait aux tendances, aux schémas. Les schémas peuvent revêtir une dimension de fond, être le reflet de préférences législatives récurrentes ou encore, de façon formelle, traduire des habitudes de formulation. Lorsqu’une phraséologie se rencontre fréquemment dans un recueil de lois, s’en écarter peut être lourd de conséquences. Plus la tendance ou le schéma est établi et manifeste, plus persuasive est la conclusion que l’on peut en tirer lorsque la législature le modifie ou n’en tient pas compte.

26.     Le défendeur soutient que, même si la LERSP et l’article 399 de la LEB ne sont pas en vigueur, on peut s’en servir non seulement pour déterminer la volonté et l’intention du Parlement, mais aussi pour interpréter les dispositions édictées dans la loi ainsi qu’interpréter d’autres lois : Renvoi relatif à la Loi de 1968-1969 modifiant le droit pénal [1970] R.C.S. 777; Royal Bank of Canada v. Saskatchewan Power Corp. (1990), 73 D.L.R. (4th) 257 (C.A. de la Sask.); R. v. United Kingdom (Secretary of State for the Home Department), [1995] 2 All ER 244 (H.L.), aux pages 11, 37 et 38.

27.     Également, la question de savoir si la classification concerne l’établissement et le maintien de salaires devrait être examinée à la lumière de la place que la classification occupe dans le régime plus général d’emploi et de relations de travail de la fonction publique fédérale, tel qu’il est défini dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Dans Canada (Procureur général) v. AFPC, la Cour suprême s’est penchée sur trois autres lois dans lesquelles il était question d’employés fédéraux pour déterminer la portée du mot « employé » dans l’article 33 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique : Canada (Procureur général) c. AFC, [1991] 1 R.C.S. 614 (Econosult).

28.     La présente plainte est régie par les dispositions transitoires de la LEB. En vertu de ces dispositions, la CRTFP est habilitée à interpréter et appliquer les articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) ainsi que l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale eu égard aux plaintes qui lui sont renvoyées en application du paragraphe 396(1), c’est-à-dire les plaintes fondées sur l’article 7 ou 10 de la LCDP, lorsque la plainte porte sur une disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur ainsi que les plaintes fondées sur l’article 11 de la LCDP :

396 (3) La Commission dispose, pour statuer sur les plaintes, en plus des pouvoirs que lui confère la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, du pouvoir d’interpréter et d’appliquer les articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, même après l’entrée en vigueur de l’article 399.

29.     Essentiellement, si les plaintes devant la CCDP sont renvoyées à la CRTFP pour être résolues, les obligations prévues dans la LCDP et l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale continuent de s’appliquer à ces plaintes. On s’assure de la sorte que chaque plainte de discrimination salariale fondée sur le sexe dans le secteur public qui a été déposée devant la CCDP mais transférée à la CRTFP continue d’être régie par la même législation jusqu’à son règlement définitif.

30.     Les dispositions transitoires confèrent aussi à la CRTFP le pouvoir de rendre toute ordonnance que le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) pourrait rendre en application de l’article 53 de la LCDP (avec certaines restrictions pour les réparations pécuniaires), eu égard aux plaintes qui lui sont déférées en vertu du paragraphe 396(1) :

396 (9) La Commission peut, à l’égard des plaintes visées au présent article, rendre toute ordonnance que le membre instructeur est habilité à rendre au titre de l’article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne mais elle ne peut accorder de réparation pécuniaire que sous la forme d’une somme forfaitaire et que pour une période antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 394.

31.     À l’entrée en vigueur de la LERSP, l’article 399 de la LEB apportera la modification corrélative suivante à la LCDP :

399. La Loi canadienne sur les droits de la personne est modifiée par adjonction, après l’article 40.1 de ce qui suit :

40.2 La Commission n’a pas compétence pour connaître des plaintes faites contre un employeur, au sens de ce terme dans la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public, et dénonçant :

a) soit la perpétration d’actes discriminatoires visés aux articles 7 et 10 dans le cas où la plainte porte sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur;

b) soit la perpétration d’actes discriminatoires visés à l’article 11.

32.     Lorsque la LERSP entrera en vigueur, les plaintes déposées sous le régime de cette loi seront déférées à la CRTFP exclusivement en application des dispositions de la LERSP.

33.     Le droit des employés de déposer une plainte sous le régime de la LERSP est précisé aux articles 10 et 11 (pour les employés non syndiqués) et 23 et 24 (pour les employés syndiqués). Un employé non syndiqué peut déposer une plainte devant la CRTFP s’il est d’avis que l’employeur a omis :

  • de décider si un groupe d’emplois est à prédominance féminine (article 5);
  • d’afficher un avis indiquant qu’il a décidé qu’aucun groupe d’emploi n’est à prédominance féminine (paragraphe 6(1));
  • de répondre à un avis de désaccord de l’employé quant à la décision de l’employeur prévue au paragraphe 6(1) (paragraphe 6(3));
  • d’effectuer une évaluation en matière d’évaluation équitable pour déterminer s’il existe des questions de rémunération équitable (alinéa 7(1)a));
  • de fournir aux employés d’un groupe d’emplois touchés par une question de rémunération équitable un rapport décrivant la façon dont l’évaluation a été réalisée et indiquant si des consultations ont été menées à ce titre (alinéa 7(1)b));
  • d’élaborer un plan pour régler les questions de rémunération équitable (alinéa 7(1)a));
  • de rédiger et de fournir un rapport aux employés non syndiqués touchés lorsqu’il a été conclu à l’existence d’une question de rémunération équitable et qu’un plan a été préparé à ce sujet (alinéa 7(1)b));
  • de répondre à une demande qu’un employé a présentée au sujet de la rémunération équitable, sur la base des actions de l’employeur en application du paragraphe 7(1) (paragr. 7(3));
  • de mettre en œuvre un plan élaboré par l’application de l’article 7 ou 9 ou à la suite d’une ordonnance rendue en vertu de la Loi (paragraphe 8(1)); ou
  • de prendre en considération les questions soulevées par un employé aux termes du paragraphe 9(2) et de répondre à une demande faite par un employé en application du paragraphe 9(2) (paragraphe 9(3)).

34.     En plus des situations énumérées ci-dessus, un employé non syndiqué peut déposer une plainte à la CRTFP si, pour toute question, il est mécontent de la réponse de l’employeur aux termes du paragraphe 9(3), ou bien s’il croit faire partie d’un groupe d’emplois à prédominance féminine et qu’une évaluation en matière de rémunération équitable de ce groupe d’emplois révélerait l’existence d’une question de rémunération équitable à régler.

35.     Un employé syndiqué peut déposer une plainte auprès de la CRTFP dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

  • l’employeur a omis de fournir à l’agent négociateur concerné une déclaration énonçant, à l’égard de chaque groupe d’emplois dont l’effectif est totalement ou partiellement représenté par cet agent négociateur, le nombre d’employés inclus dans cette catégorie d’emplois et leur répartition par sexe (article 23);
  • l’employé estime qu’il appartient à une catégorie d’emplois à prédominance féminine, qu’une évaluation en matière de rémunération équitable permettrait d’établir qu’il existe une question de rémunération équitable à régler et qu’il ne recevra pas de rémunération équitable pendant la durée de la convention collective applicable ou dans un délai raisonnable après l’expiration de celle-ci (paragraphe 24(1)).

36.     S’il est déterminé que la classification a trait à une plainte portant sur une « disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée », il s’ensuivra que la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) et le TCDP n’auront pas compétence pour instruire de telles affaires une fois que l’article 399 de la LEB sera entré en vigueur. Comme on l’a vu plus haut, la LERSP ne renferme pas de dispositions traitant des plaintes en matière de classification. Qui plus est, aux termes de la LERSP, les conseils d’arbitrage continueront de ne pas être habilités à connaître des questions de classification, comme c’est actuellement le cas en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

37.     S’il est déterminé que la classification cause une « disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée », l’effet cumulatif de cette situation serait que les employés du secteur public ne disposeraient pas d’un organe auprès duquel soulever une plainte de classification discriminatoire une fois que la LERSP entrerait en vigueur. Le Parlement n’aurait pas pu avoir pareille intention.

38.     Compte tenu de la grande taille de l’administration publique centrale, de la diversité de ses emplois et de la complexité de ses mécanismes de responsabilisation, il est indispensable qu’elle dispose des outils nécessaires à l’organisation du travail qui doit être accompli aux fins de ses activités ainsi que des ressources humaines nécessaires à l’accomplissement de ce travail. L’administration publique centrale se sert d’un modèle de gestion des ressources humaines essentiellement axé sur les postes dans lequel le travail est conçu pour répondre aux exigences des programmes et où le titulaire n’a pas d’effet perceptible sur les exigences du poste. Le modèle axé sur les postes permet la délégation des pouvoirs de classification et de dotation et la répartition de la charge de travail à l’échelle de la fonction publique.

39.     Dans un système de GRH fondé sur les postes, une saine gestion des ressources humaines passe obligatoirement par le système de classification. Il s’agit d’une composante clé sur laquelle reposent de nombreuses autres dimensions du système de GRH, y compris la dotation, la planification des ressources humaines, l’avancement de la carrière de l’employé, les relations de travail et l’apprentissage (Christopher Rootham, Labour and Employment Law in the Federal Public Service (Irwin Law Inc., 2007, p. 433) :

[Traduction]

La classification est une dimension importante parce que l’identité de l’agent négociateur de l’employé, son niveau de rémunération et ses chances d’avancement sont fonction de la classification de son poste. […] les unités de négociation dans l’administration publique fédérale coïncident généralement avec la classification des postes. En outre, les diverses conventions collectives qui existent dans la fonction publique renferment des échelles de rémunération différentes pour chaque niveau de classification. Enfin, certains postes dans l’administration publique fédérale exigent de l’expérience à un niveau de classification donné pour que le candidat puisse accéder à ce poste. Par conséquent, la classification peut influer grandement sur la carrière d’un employé.

40.     Le défendeur reconnaît qu’il y a un lien entre la classification d’un poste et le traitement que touche le titulaire de ce poste. De fait, le système de classification forme le cadre d’organisation du travail et de détermination de la relativité interne du travail chez les groupes professionnels et/ou des normes de classification. Cela permet au travail requis aux niveaux hiérarchiques, à l’intérieur des normes, d’être mis en correspondance avec les niveaux de salaire.

41.     En une occasion, toutefois, l’ancienne CRTFP a statué que des taux de rémunération pourraient être fixés sans qu’il soit tenu compte du système de classification : Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (1985), dossier de la CRTFP 143.

42.     Le défendeur estime que l’établissement d’une correspondance entre un taux de salaire et la classification et le niveau d’un poste est le résultat final du processus de fixation des salaires; ce n’est pas le système de classification qui fixe ou maintient les salaires. Dans le cas des employés représentés par des agents négociateurs (soit environ 88 % des employés de l’administration publique centrale et des organismes distincts réunis, en 2003), les salaires sont « établis » à la table de négociation et « maintenus » ou « pratiqués »  par les conventions collectives (Politique sur les conditions d’emploi du Conseil du Trésor).

43.     Un certain nombre de facteurs entrent en ligne de compte pour fixer les salaires, que ceux-ci soient établis à la table des négociations ou par le Conseil du Trésor, notamment (Cadre des politiques de gestion de la rémunération du Conseil du Trésor) les suivants :

  • les marchés de travail externes (y compris le secteur privé, les autres employeurs du secteur public et le secteur bénévole, les petits marchés géographiques);
  • le gouvernement cherche à offrir des salaires concurrentiels qui n’excèdent pas ceux qui sont offerts sur les marchés externes, tout en tenant compte :

    • des pénuries de main-d’œuvre qualifiée dans un domaine particulier;
    • des difficultés inhabituelles pour trouver des candidats qualifiés pour pourvoir un poste;
    • des conditions opérationnelles nécessitant des employés hautement qualifiés ou comptant de nombreuses années d’expérience qui sont capables d’exercer immédiatement les fonctions d’un poste;
  • la valeur relative attribuée par l’employeur au travail accompli (comparabilité interne);
  • le rendement, en fonction des contributions individuelles ou collectives aux résultats opérationnels;
  • la capacité de payer, compte tenu des engagements du gouvernement à fournir des services aux Canadiens, de sa situation financière et de l’état de l’économie canadienne.

44.     Il n’y a pas de corrélation entre la valeur attribuée au travail accompli par le titulaire d’un poste dans une classification et à un niveau donnés tels qu’ils sont établis par la norme et le salaire que gagne le titulaire du poste; bref, rien ne permet de dire que le système de classification sert à « établir » les salaires. C’est tout au plus le cadre organisationnel auquel les salaires sont appliqués.

45.     Les plaignants allèguent que la classification donne lieu à une « disparité salariale […] instaurée ou pratiquée par l’employeur » car ils soutiennent, dans leur plainte, qu’elle est la source de la disparité salariale. En toute déférence, le simple fait que les plaignants fassent cette affirmation ne règle pas la question de la compétence : Parkolub et Hu c. Agence du revenu du Canada, 2007 CRTFP 64, au paragr. 106.

46.     Pour étayer son argument selon lequel la classification est la source de la discrimination salariale, l’AFPC s’appuie sur l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale.

47.     L’article 9 de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale énumère les critères auxquels la méthode d’évaluation de la valeur du travail doit satisfaire lorsque cette méthode d’évaluation doit être utilisée aux fins du règlement d’une plainte en matière d’équité salariale déposée en application de l’article 11 de la LCDP. Ces critères sont les suivants :

9. Lorsque l’employeur a recours à une méthode d’évaluation pour établir l’équivalence des fonctions exécutées par des employés dans le même établissement, cette méthode est utilisée dans les enquêtes portant sur les plaintes dénonçant une situation de disparité salariale si elle :

a)       est exempte de toute partialité fondée sur le sexe;

b)       permet de mesurer la valeur relative des fonctions de tous les emplois dans l’établissement; et

c)       permet d’évaluer les qualifications, les efforts, les responsabilités et les conditions de travail visés aux articles 3 à 8.

48.     L’article 9 de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salarialeénonce simplement les critères s’appliquant à un système d’évaluation des emplois à utiliser aux fins du règlement de plaintes en matière d’équité salariale déposées aux termes de l’article 11 de la LCDP. En dehors des fins touchant l’équité salariale, l’article 9 n’a aucune application en ce qui concerne l’évaluation des postes. Un système de classification n’est pas nécessaire pour que les critères susmentionnés soient remplis, à moins qu’il soit utilisé comme outil d’évaluation des emplois aux fins de la réalisation d’une analyse de l’équité salariale visée par l’article 11 de la LCDP : Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), 32 C.H.R.R. 349, au paragraphe 18; demande de contrôle judiciaire rejetée par Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [2000] 1 C.F. 146; Ontario Nurses’ Association v. Haldimand-Norfolk (Regional Municipality), [1991] O.P.E.D. no 52.

49.     Dans l’administration publique centrale, les emplois qui sont reliés entre eux sur un plan général, de par la nature de leurs fonctions, sont classifiés dans des groupes et des sous-groupes professionnels. C’est en fonction des normes de classification qu’est déterminée la valeur relative du travail accompli au sein du groupe ou du sous-groupe. Différentes normes de classification, qui reflètent la nature souvent très différente du travail qu’elles visent à mesurer, comportent divers nombres de niveau et pondèrent à divers degrés les différents critères qu’elles évaluent. Ainsi, on ne se sert pas de normes de classification pour évaluer des emplois en vue de comparer différentes classifications ou différents groupes professionnels dans le cadre d’une analyse en matière d’équité salariale. Par exemple, dans l’affaire en instance, les normes applicables de classification ne permettraient pas de mesurer la valeur relative du travail accompli au sein de la classification AS par rapport au travail accompli par les employés des groupes de comparaison choisis par les plaignants, soit les groupes SI, ES, CS et HR.

50.     Qui plus est, il est tout à fait approprié de prendre les allégations de discrimination dans une norme de classification séparément des allégations de rémunération inéquitable, pour un travail d’égale valeur, entre les emplois de groupes à prédominance masculine et ceux de groupes à prédominance féminine. Le fait qu’une forme d’évaluation des emplois soit une composante de chaque exercice n’enlève rien à la réalité de cette distinction.

51.     Le principe du salaire égal pour un travail égal peut être respecté, même si une norme de classification ne satisfait pas aux critères du système d’évaluation des postes aux fins de l’évaluation d’une plainte fondée sur l’article 11 de la LCDP : Wiseman c. Canada (Procureur général), [2009] T.C.D.P. no 19.

52.     L’AFPC affirme que le champ de la compétence de la CRTFP est une question qui ressortit aux droits de la personne et donc qui doit bénéficier d’une interprétation large et libérale.

53.     Les pouvoirs que le Parlement a conférés à la CRTFP en vertu de la LEB ne se rattachent pas à une question de fond touchant les droits de la personne. Il s’agissait plutôt de décider qui, de la CRTFP ou de la CCDP/du TCDP, allait entendre les plaintes en matière de droits de la personne relatives à la classification qui sont présentées en application de la LCDP. Les plaignants ne sont privés d’aucun droit ni d’aucune possibilité d’obtenir un redressement efficace.

54.     L’AFPC argue aussi que les pouvoirs réparateurs étendus qui sont conférés à la CRTFP ne cadrent pas avec une compétence se limitant à la seule dimension des salaires.

55.     Accorder à la CRTFP les vastes pouvoirs de redressement prévus à l’article 53 de la LCDP ne signifie pas que l’on avait l’intention d’inclure la classification dans le champ de compétence de la CRTFP. Il serait déplacé de spéculer sur le type précis de réparation non pécuniaire que la CRTFP jugerait opportun d’ordonner si elle jugeait que les plaintes étaient fondées; en étant investie des pleins pouvoirs prévus à l’article 53 de la LCDP, la CRTFP est désormais en mesure d’ordonner, en dehors des rajustements salariaux, les redressements suivants :

  • indemnisation de la victime quant aux frais qu’elle a encourus par suite de l’acte discriminatoire (al. 53(2)c) de la LCDP);
  • indemnisation à l’égard du préjudice moral subi (al. 53(2)e) de la LCDP);
  • indemnité spéciale (paragr. 53(3) de la LCDP);
  • intérêts (paragr. 53(4) de la LCDP).

56.     […] les plaignants dépeignent la cause AFPC c. Conseil du Trésor (plainte HS/GS) comme un exemple de règlement d’un problème d’équité salariale par une modification du système de classification.

57.     Dans l’affaire des groupes GS et HS, le TCDP a, en fait, noté qu’il y avait deux aspects distincts dans la plainte, à savoir la discrimination salariale et la classification discriminatoire. Les parties ont conclu une entente couvrant ces deux aspects. Au chapitre de la compétence, il n’a pas été demandé au TCDP de se prononcer sur la question de l’opportunité de dissocier ou non ces aspects, quoique le Tribunal n’aurait pas été tenu de le faire, puisqu’il avait compétence sur toutes les questions de discrimination fondées sur les articles 7, 10 et 11 de la LCDP, sans la limitation imposée à la présente situation en application du paragraphe 396(1) de la LEB.

58.     De plus, les questions en litige dans la plainte HS/GS étaient très particulières. Le travail accompli par les employés dont les fonctions étaient évaluées au moyen de la norme de classification des services hospitaliers (HS) était fort semblable à celui des employés dont les fonctions étaient évaluées au moyen de la norme de classification des services généraux (GS). Ainsi, le travail des employés faisant partie du groupe HS à prédominance féminine pouvait être évalué au moyen de la norme de classification des GS. Or, tel n’est pas le cas des consultants en rémunération AS-2 et des employés auxquels ils se proposent d’être comparés.

59.     La décision AFPC c. Conseil du Trésor que les plaignants citent [dans] […] leurs observations n’étaye pas la proposition selon laquelle un redressement axé sur la classification peut être approprié pour régler une plainte en matière d’équité salariale. Bien au contraire, cette affaire est un exemple du caractère dissociable de la classification et de la discrimination salariale. Comme l’ont mentionné les plaignants, l’aspect « équité salariale » de la plainte (article 11 de la LCDP) a été isolé et réglé en 1999. Des rajustements salariaux ont été faits et l’équité salariale a été atteinte sans que l’on ait eu à modifier la structure de la classification : AFPC c. Canada (Conseil du Trésor), (2005), C.F. 1297 et Ordonnance sur consentement du Tribunal canadien des droits de la personne daté du 16 novembre 1999.

60.     Contrairement à ce que les plaignants affirment […], la Cour fédérale n’a jamais statué que les normes de classification des CR et des PM posaient un problème ou étaient discriminatoires. La Cour a seulement déterminé que la CCDP n’avait pas dûment étudié le fond de la plainte CR/PM :

[42] Bref, je suis d’avis que l’Alliance de la fonction publique du Canada avait droit, au nom de ses membres du groupe CR, à un examen rigoureux de ses allégations de discrimination. […]

[43] Cela dit et, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la Commission n’a jamais reconnu la plainte comme une plainte valide. Cela équivaudrait à dire que, dès lors qu’une plainte est acceptée pour examen, la Commission doit constituer un tribunal, ou que, dès lors qu’un enquêteur juge au départ qu’un examen complémentaire est justifié, il ne peut pas changer d’avis sur la foi de preuves ultérieures.

[44] Dans le même sens, le défendeur n’a jamais admis que la norme de classification du groupe CR est discriminatoire. Il n’existe tout simplement aucun élément de preuve permettant d’affirmer que les moyens pris par l’employeur pour instituer la NGC ou pour engager toute autre réforme de la classification reviennent à admettre que la norme actuelle est effectivement discriminatoire. Il en va de même pour la décision de fusionner les groupes CR et PM pour en faire le nouveau groupe PA : il n’est dit nulle part que par cette fusion l’employeur reconnaissait que la séparation antérieure des groupes CR et PM était discriminatoire.

[45] C’est précisément parce qu’il y a désaccord sur le caractère discriminatoire du régime actuel que la Commission aurait dû examiner cette affaire plus attentivement.

61.     La CCDP a accepté le retrait de la plainte CR/PM le 9 juillet 2009, avant l’achèvement de son analyse de l’affaire sur le fond.

Motifs

21 Les parties n’ont fait aucune observation sur la citation du ministère de l’Industrie, du ministère de la Santé et de l’Agence canadienne de développement international comme défendeurs dans ces plaintes. Dans les dispositions pertinentes de la LCDP, on parle d’« employeur ». Il est clair que, lorsqu’il est question de rémunération, un ministère n’est pas un employeur. En conséquence, les plaintes contre les trois ministères cités seront rejetées.

22 Le Conseil du Trésor s’est opposé à sa citation comme défendeur pour les parties des plaintes ayant trait aux employeurs distincts. Il semble que la CCDP ne se soit jamais penchée sur cette objection lorsque l’employeur l’a initialement soulevée, en 2006. Les plaignants, en plus des plaintes qu’ils ont déposées, ont présenté une requête pour inclure les employeurs distincts dans leurs plaintes. Les trois plaignants sont employés dans l’administration publique centrale, et leur employeur est le Conseil du Trésor. Une plainte ne peut être faite que contre l’employeur de la personne qui dépose la plainte. En conséquence, j’ordonne le retrait des employeurs distincts de la plainte et rejette en outre la requête d’inclusion des employeurs distincts dans les plaintes en instance.

23 Le Conseil du Trésor estime que la CRTFP n’a pas compétence pour se prononcer sur les aspects des plaintes touchant la classification et la norme de classification applicable au groupe AS lorsqu’elle est appliquée aux postes de consultant en rémunération. La position du Conseil du Trésor est que ces aspects des plaintes relatifs à la classification devraient rester devant la CCDP. Je ne crois qu’il entrait dans l’intention du Parlement d’opérer une bifurcation en faisant dévier les plaintes pendant la période de transition précédant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public (LERSP). Pour les motifs que j’expose ci-après, j’ai rejeté l’objection du Conseil du Trésor.

24 De façon générale, je suis d’accord avec les principes d’interprétation des lois que les parties ont cités dans leurs arguments. Toutefois, je ne vois pas la nécessité de produire des déclarations ou preuves extrinsèques pour faciliter l’interprétation des dispositions législatives pertinentes en l’espèce. Une preuve extrinsèque n’est nécessaire que lorsque les dispositions législatives examinées sont ambiguës. En tout état de cause, la preuve produite par les témoins devant un comité parlementaire, y compris un représentant de l’employeur, ne peut aider à déterminer quelle était l’intention du Parlement lorsqu’il a adopté cette législation.

25 Je conviens aussi que la loi qui n’est pas encore entrée en vigueur peut servir à faciliter l’interprétation législative. Toutefois, une simple lecture des dispositions transitoires montre que le régime prévu dans la LERSP  n’est pas pertinent aux plaintes déposées avant l’entrée en vigueur de cette loi.

26 Les dispositions transitoires incluses dans LEB prévoient un régime complet de traitement des plaintes en matière d’équité salariale qui ont été déposées auprès de la CCDP (et pas encore renvoyées devant un tribunal) ainsi que de toute plainte présentée avant l’entrée en vigueur de la LERSP (voir le paragraphe 396(1) de la LEB). C’est désormais la Commission qui « statue » sur ces plaintes, « conformément au présent article » (voir le paragraphe 396(2) de la LEB). En vertu de ces dispositions transitoires, la CRTFP a été investie de pouvoirs additionnels. Outre les pouvoirs dont elle dispose déjà aux termes de la LRTFP, la Commission s’est vu accorder le « pouvoir d’interpréter et d’appliquer » les dispositions de la LCDP (les articles 7, 10 et 11 de cette loi) et de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. La CRTFP disposera de ce pouvoir « même après » l’entrée en vigueur de la LERSP.  Cela nous conforte dans l’idée que le régime s’appliquant aux plaintes pendant la période de transition doit être différencié de celui qui concerne les plaintes susceptibles d’être déposées après l’entrée en vigueur. La CRTFP s’est également vu confier le pouvoir de rendre des ordonnances en application de l’article 53 de la LCDP, sous réserve de certaines restrictions touchant l’importance d’une réparation pécuniaire et la durée de tout versement à ce titre. Les ordonnances que la Commission peut rendre en vertu de l’article 53 de la LCDP comprennent les décisions qui mettent un terme à un acte discriminatoire.

27 Le Conseil du Trésor a soutenu que, puisqu’il n’y avait pas de modification des articles 7 et 150 de la LRTFP, la CRTFP n’avait pas compétence pour statuer sur des affaires de classification. Toutefois, les dispositions transitoires accordent à la CRTFP le pouvoir additionnel d’interpréter et d’appliquer les dispositions de la LCDP et de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. Aux termes des dispositions transitoires, ce pouvoir vient « en plus » des pouvoirs dont la CRTFP dispose déjà. En conséquence, la compétence de la CRTFP n’est pas limitée aux seuls pouvoirs que lui confère la LRTFP.

28 Dans la même veine, le Conseil du Trésor affirme que, puisqu’un conseil d’arbitrage n’a pas compétence sur la classification, il n’est pas possible que la CRTFP puisse se saisir d’affaires de cette nature. Comme je l’ai fait observer plutôt dans cette décision, le régime de traitement de la « rémunération équitable » en vertu de la LERSP est différent du régime de règlement des plaintes en matière d’équité salariale fondées sur les dispositions transitoires de la LEB. Par conséquent, il ne m’est pas nécessaire de statuer sur le champ de la compétence de la CRTFP en ce qui concerne les plaintes susceptibles d’être déposées après l’entrée en vigueur de la LERSP.

29 Le Conseil du Trésor a admis que la classification pouvait revêtir une certaine pertinence quant à la détermination des salaires. Dans ses arguments initiaux, l’employeur a fait la remarque suivante :

[Traduction]

[…]

38.     Nous soutenons que la dimension de classification n’est pas incluse dans l’adjectif « salariales » employé au paragraphe 396(1) de la LEB. Les « salaires » ne sont pas expressément définis dans la LERSP ou aux fins de l’application des articles 7 ou 10 de la LCDP, mais ils peuvent être compris comme renvoyant à la notion de rémunération d’un travail effectué. La relativité interne établie par le système de classification ne représente que l’un des facteurs à prendre en considération dans l’exercice de fixation des salaires. La classification détermine les groupes et niveaux professionnels; elle n’attribue pas de salaire à chaque groupe et niveau.

[…]

[Je souligne]

30 Dans ses arguments en réplique, le Conseil du Trésor a également fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

[…]

40.     Le défendeur reconnaît qu’il y a un lien entre la classification d’un poste et le traitement que touche le titulaire de ce poste. De fait, le système de classification forme le cadre d’organisation du travail et de détermination de la relativité interne du travail chez les groupes professionnels et/ou des normes de classification. Cela permet au travail requis aux niveaux hiérarchiques, à l’intérieur des normes, d’être mis en correspondance avec les niveaux de salaire

[…]

42.     Le défendeur estime que l’établissement d’une correspondance entre un taux de salaire et la classification et le niveau d’un poste est le résultat final du processus de fixation des salaires; ce n’est pas le système de classification qui fixe ou maintient les salaires. Dans le cas des employés représentés par des agents négociateurs […]

[…]

31 En l’absence de preuve pour corroborer l’affirmation selon laquelle « […] le système de classification ne permet pas d’établir ou de maintenir des salaires […] », il est impossible d’en évaluer la véracité. L’observation selon laquelle la négociation des salaires se produit sans égard à la norme de classification ou aux niveaux nécessitera un fondement de preuve que l’on ne peut obtenir que par une audition complète des plaintes.

32 Pendant l’audience qui se tiendra pour l’instruction des plaintes, la CRTFP disposera du pouvoir d’interpréter et d’appliquer les dispositions de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. Cette ordonnance renferme la disposition suivante relative aux outils d’évaluation des emplois :

[…]

9.Lorsque l’employeur a recours à une méthode d’évaluation pour établir l’équivalence des fonctions exécutées par des employés dans le même établissement, cette méthode est utilisée dans les enquêtes portant sur les plaintes dénonçant une situation de disparité salariale si elle :

a)       est exempte de toute partialité fondée sur le sexe;

b)       permet de mesurer la valeur relative des fonctions de tous les emplois dans l’établissement; et

c)       permet d’évaluer les qualifications, les efforts, les responsabilités et les conditions de travail visés aux articles 3 à 8.

[…]

33 Le Conseil du Trésor affirme que la norme de classification ne répond pas aux exigences de cet article de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, à moins que l’on se serve de la norme comme d’un outil d’évaluation des emplois pour réaliser l’analyse d’équité salariale que prévoit l’article 11 de la LCDP. Les éléments de preuve devront être produits lors de l’instruction complète des plaintes pour déterminer la validité de cette affirmation.

34 Le Conseil du Trésor a également cité Wiseman du Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) à l’appui de son argument selon lequel il n’est pas nécessaire que la norme de classification satisfasse aux critères établis par l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. Dans cette affaire, les plaignants alléguaient que la norme de classification s’appliquant aux agents correctionnels n’était pas conforme aux dispositions de la LCDP, qu’elle ne permettait pas d’évaluer le travail afférent à un poste particulier sous l’angle des facteurs d’évaluation des compétences, de l’effort, des responsabilités et des conditions de travail et qu’elle ne permettait pas de comparaison avec les postes CX d’un groupe à prédominance masculine. Tout d’abord, il vaut de mentionner que les plaignants se sont retirés de l’audience avant que le défendeur ait produit la moindre preuve. En second lieu, la plainte a été rejetée après la seule audition du témoignage du défendeur sur la norme de classification. Je souscris à l’approche que le TCDP a suivie dans cette affaire, laquelle a constitué à entendre la preuve sur les allégations avant d’en arriver à d’éventuelles conclusions sur la norme de classification.

35 Le Conseil du Trésor m’a également cité la décision que la Cour fédérale a rendue dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, (2005), 2005 CF 1297. Cette décision était un contrôle judiciaire de la décision de la CCDP de ne pas renvoyer au TCDP une plainte voulant qu’une norme de classification était discriminatoire. La décision s’est centrée sur l’équité procédurale et l’obligation de la CCDP de motiver sa décision. Par conséquent, elle ne revêt que peu de pertinence en l’espèce. La Cour n’a pas contesté que le tribunal avait compétence pour évaluer la norme de classification. Dans cet arrêt, la Cour fédérale a également relaté l’historique procédural des aspects de la plainte relevant des articles 7 et 10 (« la structure et l’application de la norme de classification CR en tant qu’instrument d’évaluation des tâches ») et a fait valoir que l’enquête relative à ces aspects de la plainte avait été suspendue.

36 Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor [1991] D.C.D.P. no 4, dossier T079/0484 du TCDP, le Tribunal a établi un lien direct entre les normes de classification en cause et la discrimination salariale (aux pages 7 et 8) :

[…]

[…] Les normes SH et SG  étaient toutes deux des systèmes d’évaluation numérique qui étaient presque identiques quant à la structure fondamentale. Cependant, la division de  l’échelle numérique en niveaux était différente, de sorte que les employés  évalués de façon identique selon les deux normes étaient habituellement  classés à des niveaux différents

Comme les échelles salariales dépendaient des niveaux, cette différence a,  à son tour, engendré la discrimination salariale qui existait. Étant donné  que les groupes SH et SG étaient respectivement des groupes à prédominance  féminine et masculine, nous sommes convaincus que cette différence sur le  plan des normes de classification était une pratique qui constituait de la  discrimination fondée sur le sexe contrairement à l’article 7 de la Loi. […]

[…]

37 En résumé, des éléments de preuve seront nécessaires pour que l’on détermine si la norme de classification revêt quelque caractère pertinent dans ces plaintes. Par conséquent, c’est une question qu’il faudra trancher au moment de l’audience complète.

38 L’intention générale des dispositions transitoires est de faire que la CRTFP se mette à la place du TCDP pour se prononcer sur les plaintes pendant cette période provisoire précédant l’entrée en vigueur de la LERSP. La LEB visait le règlement de toutes les plaintes en matière d’équité salariale en instance ainsi que des plaintes déposées pendant la période précédant l’entrée en vigueur de la LERSP. L’allusion qui, dans la LEB, est faite aux articles 7 et 10 de la LCDP, c’est-à-dire l’alinéa 396(1)a) traitant des plaintes qui « portent sur la disparité salariale […] instaurée ou pratiquée », avait pour but d’opérer une distinction entre les plaintes en matière d’équité salariale et les autres types de plaintes susceptibles de se fonder sur ces articles de la LCDP. L’interprétation que fait le défendeur de la compétence de la Commission porterait grandement atteinte à cette intention, puisqu’elle évacuerait les aspects de la plainte qui relèvent clairement de la compétence du TCDP du point de vue des plaintes devant la CCDP avec possibilité de renvoi au Tribunal. Si le Parlement avait eu l’intention de bifurquer ou de s’écarter de ce processus applicable aux plaintes en matière d’équité salariale, il l’aurait explicitement précisé dans la législation.

39  Le Conseil du Trésor soutient que, si j’en arrive à la conclusion que la Commission n’a pas compétence, « […] il s’ensuivra que la […] CCDP et le […] TCDP n’auront pas compétence pour instruire de telles affaires […] » une fois que la LERSP sera entrée en vigueur (paragraphe 36 des arguments en réplique). Ma conclusion dans cette affaire repose uniquement sur les dispositions transitoires de la LEB. Je n’ai pas à déterminer quelle est la compétence de la CRTFP aux termes des dispositions de la LERSP. Toute détermination de la compétence de la CRTFP en vertu de la LERSP devra attendre l’entrée en vigueur de cette loi.

40 Les plaignants et le Conseil du Trésor sont d’accord sur le fait que les aspects des plaintes alléguant une violation de l’article 7 de la LCDP ne sont pas renvoyés à bon droit devant la CRTFP. Ces parties des plaintes alléguant une violation de l’article 7 de la LCDP ont été rejetées par la CCDP. Les plaintes qui ont été déférées à la CRTFP n’ont pas été modifiées pour tenir compte de ce rejet. En conséquence, pour que cela soit bien clair, j’ordonne que les plaintes soient modifiées en sorte d’exclure les allusions à l’article 7 de la LCDP.

41 Le Conseil du Trésor a également demandé à ce que le délai de 180 jours précédant la tenue d’une audience (voir paragraphe 396(6) de la LEB) commence maintenant à la date de la présente décision. Le Conseil du Trésor n’a pas fourni de motifs à sa demande. Le but de la période de 180 jours est de permettre aux parties de résoudre des aspects touchant la plainte. Ce délai est maintenant expiré. Les parties n’ont pas présenté d’observations indiquant si elles avaient déployé des efforts pour résoudre cette plainte. Si les parties ont besoin de plus de temps pour discuter d’un règlement de la plainte, l’une ou l’autre partie peut présenter à la Commission une demande de prorogation de ce délai. La CRTFP examinera cette demande à la lumière des arguments des parties.

42 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

43 Les plaintes contre le ministère de l’Industrie, le ministère de la Santé et l’Agence canadienne de développement international sont rejetées.

44 Les plaintes sont modifiées pour supprimer toute allusion aux « employeurs distincts ».

45 La requête des plaignants visant à inclure les employés distincts au nombre des défendeurs dans ces plaintes est rejetée.

46 L’objection du Conseil du Trésor quant à la compétence au sujet des allégations relatives à la norme de classification est rejetée.

47 Les plaintes sont modifiées en sorte de supprimer toutes les allusions aux allégations de violation de l’article 7 de la LCDP.

Le 5 février 2010.

Traduction de la CRTFP

Ian R. Mackenzie,
vice-président

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