Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s'estimant lésé travaillait comme vétérinaire - après qu'il se soit effondré au travail, on a pris des mesures d'adaptation à son endroit dans le cadre de plusieurs situations de travail - à un certain moment, comme aucune fonction adaptée n’était disponible, il a pris un congé annuel - il a également dû prendre un congé de maladie après avoir été affecté à un lieu de travail qui ne lui convenait pas - il a déposé des griefs alléguant que l'employeur n'avait pas pris de mesures d'adaptation appropriées à son endroit et qu'il avait fait l'objet d'une discrimination fondée sur sa déficience et son origine ethnique - l'arbitre de grief a conclu que l'employeur avait agi de bonne foi et qu'il avait tenté de répondre aux besoins du fonctionnaire s’estimant lésé dans la mesure du possible en se fondant sur les renseignements médicaux dont il disposait - l'arbitre de grief a statué qu'aucune preuve ne venait appuyer les allégations de discrimination fondée sur l'origine ethnique. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-03-01
  • Dossier:  566-32-2540 et 2541
  • Référence:  2010 CRTFP 35

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MAHER ZAYTOUN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

employeur

Répertorié
Zaytoun c. Agence canadienne d’inspection des aliments

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Marija Dolenc, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Anne-Marie Duquette, avocate

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
les 8 et 10 février 2010.
(Traduction de la CRTFP)

 I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1      M. Maher Zaytoun, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») est un vétérinaire qui travaille à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’« ACIA » ou l’« employeur »). Son poste est classifié au groupe et au niveau VM-01 et est régi par la convention collective conclue entre l’ACIA et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« IPFPC »), qui expirait le 30 septembre 2007 (la « convention collective »).

2      Le 2 juin 2006, le fonctionnaire s’est effondré à son lieu de travail. Il a été immédiatement transporté à l’hôpital pour être traité. À cette date, son poste d’attache était basé à l’une des installations de l’employeur, un abattoir bovin situé à Kitchener (Ontario). Le médecin qui a examiné le fonctionnaire peu après cet incident a posé comme diagnostic que le fonctionnaire avait fait une crise d’asthme ou une réaction allergique aiguë. Il a recommandé que le fonctionnaire ne soit pas exposé à de la poussière, de la moisissure ou de l’ammoniaque à son lieu de travail.

3      Entre le début juin 2006 et mars 2008, l’employeur a adopté plusieurs mesures d’adaptation pour tenir compte des besoins du fonctionnaire en milieu de travail. Le fonctionnaire n’était pas convaincu que toutes les mesures d’adaptation nécessaires aient été prises. Sur ce motif, il a déposé un premier grief, le 30 mai 2007, pour demander que sa demande de prendre des mesures d’adaptation soit dûment traitée dans un délai raisonnable. Le 4 octobre 2007, le fonctionnaire a déposé un deuxième grief demandant la même mesure de redressement, tout en ajoutant qu’il souhaitait que cessent les mesures discriminatoires à son endroit en raison de sa déficience et de son origine ethnique. Le fonctionnaire a émigré de l’Égypte au Canada à la fin des années 90. Les griefs ont été rejetés au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le 9 septembre 2008, et ont été renvoyés à l’arbitrage, le 14 novembre 2008.

II. Résumé de la preuve

4      Le fonctionnaire a produit 44 documents, et l’employeur, 47. Le fonctionnaire a témoigné. L’employeur a appelé à témoigner Rick Hutfloetz et Dona Holmes. Au moment des griefs, M. Hutfloetz était gestionnaire de l’inspection pour la région du sud-ouest de l’Ontario de l’ACIA, et Mme Holmes était conseillère en ressources humaines pour la région de l’Ontario de l’ACIA. Comme la preuve déposée par les parties n’a pas été contredite, elle sera considérée comme ne faisant qu’un, selon un ordre logique.

5      Comme mentionné précédemment dans la présente décision, le fonctionnaire s’est effondré à son lieu de travail le 2 juin 2006. L’incident est survenu pendant que le fonctionnaire procédait à des examens ante mortem dans une étable. Après l’incident, le médecin du fonctionnaire, le Dr Antoun Toma, a recommandé que le fonctionnaire ne soit pas exposé à de la poussière, de la moisissure ou de l’ammoniaque à son lieu de travail. L’employeur a décidé de ne pas renvoyé le fonctionnaire à l’installation de Kitchener et de l’affecter temporairement à l’établissement de Brampton. Son travail consistait essentiellement à examiner les animaux à divers terminaux de l’Aéroport international de Toronto, aux fins d’exportation.

6      Le fonctionnaire était satisfait de son affectation à Brampton. Il aimait son travail et appréciait le fait de travailler plus près de son domicile situé à Mississauga, et il n’avait pas l’impression d’être exposé à de la poussière, de la moisissure ou de l’ammoniaque. Le fonctionnaire a travaillé aux installations de Brampton, du 9 juin 2006 au 7 septembre 2007.

7      Le 13 juillet 2006, l’employeur a écrit au Dr Jeffrey Chernin de Santé Canada pour demander que le fonctionnaire subisse une évaluation de l’aptitude au travail afin de déterminer si des restrictions professionnelles ou des mesures d’adaptation s’imposaient. Le 19 septembre 2006, le Dr Chernin a répondu à l’employeur qu’il venait tout juste de recevoir un rapport préliminaire du médecin du fonctionnaire et qu’il avait demandé au fonctionnaire d’obtenir des renseignements cliniques supplémentaires auprès de son médecin. Le 11 décembre 2006, le Dr Chernin a écrit à l’employeur afin de lui préciser qu’il attendait toujours les renseignements cliniques supplémentaires. Le 26 avril 2007, le fonctionnaire a écrit à l’employeur pour l’informer qu’il avait posté les renseignements cliniques au Dr Chernin le 12 avril 2007. Le 16 mai 2007, le Dr Chernin a transmis son évaluation de l’aptitude au travail à l’employeur. Sa conclusion était qu’en raison d’une condition médicale, le fonctionnaire nécessitait une supervision médicale continue. Il estimait que le fonctionnaire devrait être en mesure d’exécuter les tâches de son poste d’attache, mais qu’il ne devrait pas retourner à l’abattoir, décrit comme « l’étable ». Le 28 mai 2007, le Dr Chernin a précisé que, dans son évaluation du 16 mai 2007, il renvoyait à l’établissement de Kitchener.

8      Le 30 juillet 2007, M. Hutfloetz a communiqué avec le vétérinaire de district du bureau de Brampton, Georges Mraz, et lui a posé des questions au sujet des conditions de travail à ce bureau. M. Mraz a répondu que le fonctionnaire ne s’était jamais plaint à lui de problèmes médicaux et qu’il n’avait jamais mentionné qu’il ne pouvait pas travailler dans une étable ou dans un autre endroit. Il a également mentionné qu’à Brampton, le fonctionnaire travaillait de deux à quatre heures par jour à l’entrée de l’étable d’Air Canada et, pendant l’hiver, plus loin à l’intérieur de l’étable. M. Mraz a mentionné que le travail du fonctionnaire à Brampton comportait une exposition à la poussière, aux vapeurs et aux pellicules animales. Des particules dermiques se retrouvaient également dans l’air, ce qui pouvait irriter les voies respiratoires supérieures. 

9      Le 16 août 2007, l’employeur a informé le fonctionnaire qu’il était bénéficiaire d’un droit de priorité en raison de sa déficience, à la suite de l’évaluation de Santé Canada ayant conclu qu’il était inapte à occuper son poste d’attache à Kitchener parce que 80 % de ses tâches étaient effectuées à l’étable. En vertu de cette désignation, le fonctionnaire pourrait être nommé en priorité par rapport à d’autres employés à un poste nouveau ou vacant.

10 Le 4 septembre 2007, le fonctionnaire a fourni à l’employeur une copie d’une nouvelle évaluation médicale qu’il avait reçue le jour même de son médecin, le Dr Toma. Selon cette évaluation, la réaction allergique du fonctionnaire en juin 2006 aurait été déclenchée par des allergènes à l’étable ou au poste d’abattage de l’abattoir. Le médecin estimait que le retour du fonctionnaire à un abattoir semblable constituerait un risque pour sa santé, et il recommandait que le fonctionnaire ne retourne pas à l’étable ou dans un abattoir.

11  Face à ces nouveaux renseignements médicaux, M. Hutfloetz a décidé de nommer temporairement le fonctionnaire à l’emplacement de Woodstock, à compter du 10 septembre 2007. Il croyait que le fonctionnaire ne devrait plus travailler à l’emplacement de Brampton en raison du travail devant être effectué à l’étable. Comme le poste d’attache du fonctionnaire était à Kitchener, mais que son lieu de résidence était Mississauga, l’employeur a avisé le fonctionnaire qu’il serait considéré comme étant présent au travail pendant son déplacement de Kitchener à Woodstock. L’employeur lui fournirait aussi un véhicule du parc automobile de l’ACIA pour se rendre au travail.

12 Le fonctionnaire a été confronté à des problèmes avec son nouveau superviseur à Woodstock. Le 4 octobre 2007, il a écrit à M. Hutfloetz en se plaignant d’intimidation et de harcèlement de la part de son superviseur à Woodstock. Le fonctionnaire a demandé à M. Hutfloetz d’être transféré à un autre bureau de l’ACIA. Le fonctionnaire a également développé des problèmes à son genou droit et des maux de dos en raison du trajet quotidien en voiture pour se rendre à Woodstock. Le 10 octobre 2007, il a rencontré M. Yan Liu, qui a rédigé une note clinique indiquant qu’il faudrait modifier le travail du fonctionnaire de sorte à réduire les périodes prolongées où il devait demeurer assis et que les longs trajets aggravaient certainement la douleur. Après cette date, le fonctionnaire n’est jamais retourné travailler à Woodstock. Il a été en congé de maladie avec certificat médical du 10 octobre au 7 décembre 2007.    

13 Le 5 novembre 2007, l’employeur a écrit au Dr Chernin afin de lui demander de procéder à une nouvelle évaluation de l’aptitude au travail. Le but de cette évaluation était d’établir si le fonctionnaire était apte à travailler dans un abattoir ou dans une étable et de déterminer les restrictions, notamment au plan de l’environnement, s’appliquant aux tâches que le fonctionnaire pouvait exécuter. L’employeur a également posé plusieurs questions au Dr Chernin au sujet des longs trajets en voiture que le fonctionnaire devait effectuer. Le 20 décembre 2007, le Dr Chernin a répondu à l’employeur que le fonctionnaire ne pouvait pas effectuer un trajet de plus d’une heure à la fois et qu’il ne pourrait pas se déplacer quotidiennement de son domicile à Woodstock. Le Dr Chernin ne pouvait pas répondre aux autres questions à ce moment, mais a indiqué qu’il serait en mesure de le faire lorsqu’il aurait reçu le rapport que l’hôpital St. Michael’s devait lui envoyer après avoir examiné le fonctionnaire.

14 Le 15 novembre 2007, M. Hutfloetz a écrit à d’autres gestionnaires de l’inspection de la région du Grand Toronto les informant qu’il était à la recherche d’un poste temporaire répondant aux besoins médicaux d’un vétérinaire (le fonctionnaire) qui ne pouvait pas travailler dans une étable ou dans un abattoir et qui ne pouvait pas effectuer un trajet de plus de 45 minutes de son domicile situé à Mississauga. M. Hutfloetz a demandé à ses collègues de lui répondre avant la fin de la semaine parce qu’il devrait trouver rapidement un poste pour le fonctionnaire. M. Hutfloetz n’a reçu aucune réponse positive de ses collègues. Le 19 novembre 2007, M. Hutfloetz a annoncé à Crystal Stewart, représentante de l’IPFPC, qu’il lui avait été impossible de trouver un poste pour le fonctionnaire. Il a également écrit à Mme Stewart que le fonctionnaire devrait demeurer à la maison jusqu’à ce que l’employeur puisse envisager d’autres options. Le 21 novembre 2007, M. Hutfloetz a transmis cette même information au fonctionnaire en lui conseillant de demeurer en congé de maladie ou annuel, pour le moment.

15 Le fonctionnaire soutient avoir utilisé 43 jours de congé de maladie et 24 jours de congé annuel, entre octobre 2007 et janvier 2008, parce qu’on n’a pas pris de mesures d’adaptation à son égard. D’après le relevé des congés du fonctionnaire, le 10 décembre 2007, l’employeur a approuvé la demande de congé annuel du fonctionnaire pour la période du 10 décembre 2007 au 16 janvier 2008.

16 Comme il n’avait pas été en mesure de trouver une affectation à un poste de vétérinaire pour le fonctionnaire, M. Hutfloetz a écrit à plusieurs gestionnaires de l’ACIA au début janvier 2008, afin de lui trouver une affectation temporaire dans un bureau. Le 15 janvier 2008, le fonctionnaire a indiqué qu’il était disposé à accepter une affectation temporaire dans un bureau, mais qu’il ne voulait pas travailler à un poste du groupe EG. Plus tard dans la journée, M. Hutfloetz a offert au fonctionnaire une affectation temporaire qui consistait à faire de l’entrée de données au bureau régional de l’ACIA à Toronto. Le fonctionnaire a accepté l’offre et a commencé son affectation temporaire le 17 janvier 2008.

17 Le 20 mars 2008, un spécialiste de la santé au travail de l’hôpital St. Michael’s a examiné le fonctionnaire. Le spécialiste a transmis son rapport à Santé Canada. Le 26 mars 2008, le Dr Joel Glass, un médecin pour Santé Canada, a envoyé à l’employeur une évaluation de l’aptitude au travail révisée. Dans cette évaluation, le Dr Glass soutenait qu’aucune preuve médicale ne démontrait que le fonctionnaire ne pouvait pas travailler dans un abattoir. Par ailleurs, aucune restriction ne s’appliquait dans le cas du fonctionnaire en ce qui concerne le travail auprès de vaches, de porcs, de chevaux ou de volaille. Cependant, le Dr Glass a confirmé que le fonctionnaire ne pouvait se déplacer que sur des distances limitées.

18 Au début avril 2008, le fonctionnaire a été nommé de façon permanente à un poste de vétérinaire à Toronto. Il est entièrement satisfait de ce poste, qui ne lui demande pas de se déplacer sur de longues distances pour se rendre au travail ou pendant son travail. Jusqu’à maintenant, ni le fonctionnaire ni ses médecins ne savent pourquoi il s’est effondré lorsqu’il travaillait aux installations de l’ACIA à Kitchener, le 2 juin 2006.

19 Entre juin 2006 et mars 2008, il y a eu plusieurs échanges entre l’employeur, le fonctionnaire et Mme Stewart au sujet des problèmes et des solutions pour répondre aux besoins du fonctionnaire. Le fonctionnaire, M. Hutfloetz et Mme Holmes ont également témoigné au sujet de ces échanges.

20 Le fonctionnaire voulait des mesures d’adaptation permanentes. Selon lui, le poste de Brampton satisfaisait à ses besoins. Le fonctionnaire n’était pas heureux de sa nomination à Woodstock en septembre 2007. Woodstock est à deux heures de route de son domicile. De plus, il se sentait harcelé par son nouveau superviseur. M. Hutfloetz ne croyait pas pouvoir permettre au fonctionnaire de continuer de travailler à Brampton, parce que l’évaluation médicale reçue le 4 septembre 2007 indiquait que le fonctionnaire ne pouvait pas travailler dans une étable. Selon M. Hutfloetz, Woodstock constituait une solution étant donné que le travail là-bas ne comportait pas l’exécution de tâches dans une étable.

21 Le fonctionnaire a demandé de présenter une preuve sur le fait qu’il était harcelé à son travail à Woodstock et que cela l’a rendu malade. J’ai refusé d’examiner cette preuve parce qu’elle ne se rapportait pas au sujet du grief. Le grief déposé le 4 octobre 2007 concernait le manquement allégué de l’employeur de prendre des mesures adaptées à la déficience du fonctionnaire. La nomination temporaire à Woodstock ne convenait pas au fonctionnaire. S’il se sentait harcelé par son nouveau superviseur à Woodstock, le fonctionnaire aurait dû déposer un grief séparé ou le mentionner expressément dans son grief du 4 octobre 2007.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

22 Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur ne respectait pas ses propres politiques, lignes directrices et procédures sur les mesures d’adaptation en milieu de travail. L’employeur a tardé à adopter des mesures pour tenir compte des besoins du fonctionnaire. S’il avait agi de façon diligente, les mesures d’adaptation auraient été prises plus rapidement, et le fonctionnaire n’aurait pas eu à utiliser ses crédits de congé de maladie et de congé annuel en attendant.

23 En août 2007, l’employeur a accordé un droit de priorité au fonctionnaire pour un nouveau poste. À ce moment, l’employeur n’a jamais envisagé sa nomination permanente au poste de Brampton, où il était affecté, ou à Toronto. La politique de l’employeur prévoit que le gestionnaire devrait discuter des mesures d’adaptation avec l’employé et qu’il doit tout mettre en œuvre pour tenir compte des besoins de l’employé et pour respecter la mesure d’adaptation qu’il demande. Le fonctionnaire voulait travailler à Brampton, mais il a plutôt été envoyé à Woodstock, à deux heures de route de son domicile.

24 Le fonctionnaire a pleinement collaboré au processus. Il lui incombait de faire part de ses besoins et de fournir les renseignements médicaux pertinents, et c’est ce qu’il a fait. Pendant plus de 20 mois suivant l’incident du 2 juin 2006, le fonctionnaire ne savait pas où serait situé son poste d’attache. L’adoption tardive de mesures d’adaptation a éventuellement rendu le fonctionnaire malade et l’a contraint à utiliser ses crédits de congé annuel pour maintenir son salaire.

25 Les griefs ont été déposés le 30 mai et le 4 octobre 2007. Ces griefs devraient être considérés comme des griefs continus. Le fonctionnaire n’avait pas à soumettre un nouveau grief pour toute période de 25 jours au cours de laquelle on ne satisfaisait pas à ses besoins. Le problème n’était pas réglé après le 4 octobre 2007, et le fonctionnaire était pleinement justifié de réclamer le rétablissement de ses crédits de congé de maladie et de congé annuel utilisés après le dépôt des griefs.

26 Le fonctionnaire m’a renvoyé aux décisions suivantes : Lowe c. Landmark Transport Inc. et al., 2007 CF 217; Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons Sears, [1985] 2 R.C.S. 536; Lloyd c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 15.

B. Pour l’employeur

27 L’employeur a d’abord argué qu’il n’existait absolument aucune preuve prima facie de discrimination à l’endroit du fonctionnaire en raison de son origine ethnique. L’allégation devrait être simplement rejetée parce qu’elle n’est fondée sur aucune preuve.

28 L’employeur n’a pas contesté le fait que le fonctionnaire ait été en congé d’octobre 2007 à janvier 2008, c’est-à-dire après le dépôt des griefs. L’employeur a accepté l’argument du fonctionnaire selon lequel les griefs étaient continus étant donné que les mesures d’adaptation permanentes n’ont été adoptées qu’en avril 2008.

29 Il appartenait au fonctionnaire de démontrer le manquement de l’employeur à son obligation de prendre des mesures d’adaptation. Le fonctionnaire ne s’est pas acquitté de ce fardeau. La preuve a démontré que l’employeur a déployé tous les efforts raisonnables compte tenu des renseignements dont il disposait à ce moment. Par ailleurs, le fonctionnaire réclame le rétablissement de ses crédits de congé de maladie, mais la preuve a établi que le fonctionnaire n’était pas du tout en mesure de travailler pendant son congé de maladie. En ce qui concerne le rétablissement de ses crédits de congé annuel, la preuve a été produite que l’employeur avait approuvé la demande de congé annuel du fonctionnaire pour une durée de quatre semaines. L’employeur ne devrait pas être tenu de restituer ces crédits de congé.

30 La preuve déposée à l’audience démontre que l’employeur a déployé des efforts continus pour tenter de satisfaire aux besoins du fonctionnaire en tenant compte de son état de santé. Immédiatement après l’incident du 2 juin 2006, l’employeur a retiré le fonctionnaire de ses installations de Kitchener. Le fonctionnaire a alors été affecté à Brampton. D’après les premiers renseignements médicaux fournis par l’employeur, ce lieu de travail semblait correspondre aux besoins du fonctionnaire. Pendant l’année qui a suivi, l’employeur a attendu de plus amples renseignements de la part d’un spécialiste qui pourrait préciser exactement quelles étaient les contraintes professionnelles du fonctionnaire.

31 En septembre 2007, l’employeur a appris que le fonctionnaire ne pouvait pas travailler dans une étable ou un abattoir. L’employeur a alors décidé de l’affecter à Woodstock, où ses tâches étaient conçues de sorte à ce qu’il n’ait pas à travailler dans une étable ou un abattoir. Woodstock est situé à 45 minutes de Kitchener où était situé le poste d’attache du fonctionnaire. L’employeur a demandé au fonctionnaire d’utiliser un de ses véhicules pour effectuer le trajet et de se déplacer pendant ses heures de travail. Cette affectation temporaire était convenable. Le 4 octobre 2007, le fonctionnaire a annoncé qu’une nouvelle restriction médicale lui était imposée. Il ne pouvait plus effectuer ce trajet. Très peu d’options se présentaient à l’employeur. La preuve démontre qu’il a continué à faire des efforts pour satisfaire aux besoins du fonctionnaire, mais il n’y est pas arrivé avant le 18 janvier 2008. Dans l’intervalle, le fonctionnaire a été en congé de maladie, puis en congé annuel. À son retour de congé annuel, des mesures d’adaptation avaient été adoptées.

32 L’employeur ne voyait pas quelle erreur il avait commise en tentant de tenir compte des contraintes physiques du fonctionnaire. Il a mis tout en œuvre afin de satisfaire temporairement aux besoins du fonctionnaire, malgré le fait qu’il disposait de renseignements incomplets. Lorsque l’employeur a reçu les renseignements médicaux complets, en mars 2008, il a pris des mesures d’adaptation permanentes, et ce dans un court délai.

33 L’employeur m’a renvoyé aux cas suivants : Kandola c. Canada (Solliciteur général), 2009 CF 136; Callan v. Suncor Inc., 2006 ABCA 15; Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43; Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4; Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union, [1999] 3 R.C.S. 3; Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2009 CRTFP 113; Spooner c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 60; Gibson c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68.

IV. Motifs

34 En juin 2006, le fonctionnaire s’est effondré à son lieu de travail. Son médecin a recommandé que le fonctionnaire ne soit pas exposé à de la poussière, de la moisissure ou de l’ammoniaque. L’employeur l’a immédiatement retiré de son poste d’attache à Kitchener. Entre le début juin 2006 et mars 2008, l’employeur a adopté plusieurs mesures d’adaptation pour tenir compte des besoins du fonctionnaire au travail. Le fonctionnaire n’était pas convaincu que toutes les mesures d’adaptation nécessaires aient été prises. Sur ce motif, il a déposé un grief, le 30 mai 2007, pour demander que sa demande de mesures d’adaptation soit dûment traitée dans un délai raisonnable. Le 4 octobre 2007, il a déposé un deuxième grief, demandant la même mesure de redressement, tout en ajoutant qu’il souhaitait que cessent les mesures discriminatoires à son endroit en raison de sa déficience et de son origine ethnique.

35 Absolument aucune preuve n’a été produite à l’appui de l’allégation de discrimination fondée sur l’origine ethnique. L’allégation pourrait être reformulée comme suit : le fonctionnaire est né en Égypte et n’a pas eu droit à des mesures d’adaptation satisfaisant à ses besoins, alors on n’a pas satisfait à ses besoins parce qu’il est né à l’extérieur du Canada. Évidemment, j’ai besoin de plus pour pouvoir conclure à la discrimination, et je rejette l’allégation du fonctionnaire selon laquelle il a fait l’objet de discrimination ou n’a pas eu droit aux mesures d’adaptation requises en raison de son origine ethnique.

36 La deuxième allégation de discrimination concerne le manquement de l’employeur à son obligation de prendre des mesures adaptées à la déficience physique du fonctionnaire. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation découle d’une obligation prévue à l’article D12 de la convention collective, d’éliminer la discrimination, et à l’article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de mettre en place des mesures d’adaptation, sans contrainte excessive. Comme mentionné dans Kandola, l’employé qui a besoin de mesures d’adaptation doit informer l’employeur de ses contraintes et coopérer au processus. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur est limitée par le principe de la contrainte excessive, comme statué dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) et dans Hydro-Québec. L’employeur n’a pas l’obligation de modifier complètement les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre d’exécuter son travail.

37 Les évaluations de la déficience et des contraintes professionnelles du fonctionnaire ont été modifiées à plusieurs reprises entre juin 2006 et mars 2008. Les besoins du fonctionnaire ont changé en conséquence.

38 En juin 2006, le Dr Toma a recommandé que le fonctionnaire ne soit pas exposé à de la poussière, de la moisissure ou de l’ammoniaque. En septembre 2006, le Dr Chernin de Santé Canada a écrit qu’il avait besoin de plus amples renseignements cliniques avant de rendre son évaluation de l’aptitude au travail. Lorsqu’il a envoyé le fonctionnaire à Brampton, en juin 2006, à titre de mesures d’adaptation, l’employeur s’est fié aux rapports du Dr Toma. L’employeur ne pouvait pas prendre de mesures permanentes à ce moment parce qu’il attendait l’évaluation de Santé Canada. La situation est demeurée la même jusqu’au 16 mai 2007. Compte tenu de ces faits, j’estime que, jusqu’au 16 mai 2007, l’employeur s’était pleinement acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’endroit du fonctionnaire.

39 Selon l’évaluation transmise par le Dr Chernin, le 16 mai 2007, le fonctionnaire ne devait pas retourner travailler à l’étable. Le 28 mai 2007, le Dr Chernin a précisé qu’il renvoyait à l’installation de Kitchener dans sa lettre du 16 mai 2007. Par conséquent, l’employeur a tenu compte des besoins du fonctionnaire en ne le faisant plus travailler à Kitchener. L’employeur n’a pas agi immédiatement en recevant ces renseignements, mais a maintenu le fonctionnaire à son affectation temporaire à Brampton. Le 30 mai 2007, le premier grief a été déposé. À ce moment, l’employeur s’était pleinement acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’endroit du fonctionnaire et n’avait pas tardé à prendre des mesures d’adaptation permanentes. L’employeur ne connaissait que depuis deux semaines les contraintes ou les restrictions s’appliquant au fonctionnaire.

40 Le 16 août 2007, l’employeur a accordé au fonctionnaire un droit de priorité en raison de sa déficience, ce qui a mené à sa nomination permanente à un autre poste. Le 4 septembre 2007, le fonctionnaire a fourni de nouveaux renseignements médicaux à l’employeur. Le Dr Toma a recommandé que le fonctionnaire ne travaille pas dans une étable ou un abattoir. Dans le cadre de leur travail, les VM-01 de l’ACIA doivent passer beaucoup de temps dans une étable ou un abattoir, ce qui est également vrai pour le travail que le fonctionnaire effectuait à Brampton. Face à ces nouveaux renseignements médicaux, l’employeur a affecté le fonctionnaire à un poste à Woodstock ne comportant pas de travail dans une étable ou un abattoir. En raison du trajet que le fonctionnaire devait effectuer, l’employeur a décidé d’assumer ses coûts de transport et de temps. À ce moment, l’employeur s’était pleinement acquitté de son obligation à l’endroit du fonctionnaire et n’avait pas tardé à prendre des mesures d’adaptation permanentes. Il a agi en se fondant sur les nouveaux renseignements médicaux dont il disposait.

41 Le 4 octobre 2007, le deuxième grief a été déposé. Le fonctionnaire demandait encore une fois la prise de mesures d’adaptation adéquates. Il a prétendu faire l’objet de discrimination fondée sur sa déficience, ainsi que de représailles de la part de l’employeur parce qu’il revendiquait son droit à des mesures d’adaptation. Je rejette ces allégations qui ne sont étayées par aucune preuve. L’employeur a agi en fonction des renseignements médicaux en sa possession. L’affectation à Woodstock n’était certes pas une solution parfaite, mais elle était temporaire. Le fonctionnaire devait parcourir une plus grande distance que pour se rendre à Brampton, mais l’employeur n’était pas tenu de le nommer à Brampton. Par ailleurs, l’employeur aurait pris des risques inutiles en lui permettant de demeurer à Brampton étant donné que ce poste comportait du travail dans une étable, ce qui était contraire aux derniers renseignements médicaux reçus.

42  Le 10 octobre 2007, le fonctionnaire a produit de nouveaux renseignements médicaux recommandant d’éviter les longues périodes assises et les grands trajets en voiture. Il a pris un congé de maladie ce jour-là et est demeuré en congé de maladie jusqu’au 7 décembre. Avec ces nouveaux renseignements en main, l’employeur ne pouvait plus envoyer le fonctionnaire à Woodstock ou l’affecter à un autre poste qui comportait du travail dans une étable ou un abattoir. Il devait revoir les solutions d’adaptation. Le 5 novembre 2007, l’employeur a écrit au Dr Chernin pour demander de procéder à une nouvelle évaluation de l’aptitude au travail du fonctionnaire. Le Dr Chernin a répondu seulement le 20 décembre 2007 qu’il attendait un rapport pour fournir des instructions plus précises à l’employeur concernant les contraintes professionnelles s’appliquant au fonctionnaire. Dans l’intervalle, M. Hutfloetz a maintenu ses efforts en vue de trouver un autre travail au fonctionnaire, mais en vain. Lorsque le fonctionnaire l’a informé qu’il n’était plus en congé de maladie et qu’il retournerait au travail le 10 décembre 2007, M. Hutfloetz lui a proposé de prendre un congé annuel ou un congé de maladie parce qu’il ne lui avait pas encore trouvé de travail. Le fonctionnaire a alors décidé de demander un congé annuel de quatre semaines, se terminant le 16 janvier 2008.

43 Entre le 10 octobre 2007 et le 7 décembre 2007, l’employeur ne pouvait pas répondre aux besoins du fonctionnaire pendant qu’il était en congé de maladie et non disponible pour travailler. Dans ces circonstances, l’employeur n’a pas manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation envers le fonctionnaire. Le 10 décembre 2007, le fonctionnaire était disposé à travailler, mais ne pouvait pas parce que l’employeur n’était pas en mesure de satisfaire à ses besoins, et il a donc pris quatre semaines de congé annuel. À son retour, des mesures d’adaptation avaient été prises. Cependant, l’employeur ne pouvait pas prendre des mesures d’adaptation le 10 décembre 2007 parce que sa situation médicale était changeante et que les évaluations tardaient à arriver.

44 L’inaptitude de l’employeur à tenir compte des besoins du fonctionnaire a duré quatre semaines. Pendant la première de ces quatre semaines, il n’y avait pas de travail pour le fonctionnaire. Pendant les trois autres semaines, il était en congé annuel approuvé. L’employeur savait que le fonctionnaire serait de retour le 16 janvier 2008, et lui a trouvé une affectation temporaire pour cette date. Compte tenu de la situation médicale changeante du fonctionnaire, de l’absence à ce moment d’une évaluation complète de son aptitude au travail, des contraintes professionnelles sévères s’appliquant et des tâches normales d’un VM-01, je ne conclus pas que l’employeur a fait preuve de discrimination à l’endroit du fonctionnaire en raison de sa déficience ou qu’il a manqué à son obligation en ne pouvant pas prendre des mesures d’adaptation immédiatement au retour de congé de maladie du fonctionnaire.

45 L’obligation de prendre des mesures d’adaptation ne signifie pas que la mesure d’adaptation doit être parfaite et instantanée. La Cour d’appel de l’Alberta a écrit ce qui suit dans Callan, au paragraphe 21 :

[Traduction]

[21] […] Il n’existe pas d’obligation de fournir des adaptations parfaites et instantanées, seulement des adaptations. Les mesures prises par l’employeur doivent être évaluées par rapport aux connaissances à la disposition de l’employeur, aux coûts, à la complexité et aux dépenses liées aux adaptations physiques requises et à d’autres facteurs […]

46 Après avoir examiné la preuve et l’avoir placé selon une perspective chronologique, je conclus que l’employeur a déployé des efforts raisonnables pour répondre aux besoins du fonctionnaire à partir de l’incident du 2 juin 2006, lorsqu’il s’est effondré aux installations de l’ACIA à Kitchener, et ce, jusqu’à ce qu’il soit nommé de façon permanente à un poste de VM-01 à Toronto correspondant à ses besoins. La situation médicale du fonctionnaire et ses contraintes professionnelles ont changé plus d’une fois dans une période de 21 mois. La première évaluation médicale ne faisait état d’aucune contrainte relativement aux déplacements, mais déterminait qu’il ne pouvait pas travailler à l’étable de Kitchener. La dernière évaluation indiquait qu’il ne pouvait pas faire de longs trajets en voiture, mais qu’il n’avait aucune contrainte en ce qui concerne le travail dans une étable. L’employeur a tenu compte des besoins du fonctionnaire et a respecté ses contraintes professionnelles en tout temps. Des mesures d’adaptation ont été mises en place pratiquement immédiatement, sauf lorsque le fonctionnaire est revenu de son congé de maladie, le 10 décembre 2007. Des mesures d’adaptation ont ensuite été prises lors de son retour de congé annuel, le 17 janvier 2008.

47 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

48 Les griefs sont rejetés.

Le 1er mars 2010.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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