Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé avait accepté de reporter un certain nombre de fois l’audition d’un grief contestant la suspension sans rémunération qui lui avait été imposée à la suite d’une accusation criminelle - il a renvoyé son grief à l’arbitrage longtemps après l’expiration du délai prévu pour recevoir la réponse de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs - l’administrateur général a présenté une demande de prorogation du délai pour répondre au grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs - l’administrateur général s’est également opposé au renvoi prématuré du grief à l’arbitrage - le président a conclu que le renvoi n’était pas prématuré vu le laps de temps pendant lequel le fonctionnaire s’estimant lésé avait attendu une réponse à son grief - le président a également conclu que les critères qui s’appliquent à un fonctionnaire s’estimant lésé qui demande une prorogation de délai ne s’appliquaient pas à l’employeur - étant donné que rien n’empêchait l’administrateur général de répondre au grief avant la tenue de l’audience, il n’y avait pas lieu de proroger le délai. Objection rejetée Demande de prorogation de délai rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-01-12
  • Dossier:  568-2-191
  • Référence:  2010 CRTFP 5

Devant le président


ENTRE

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence de la santé publique du Canada)

demandeur

et

DEMETRIOS ANGELIS

défendeur

Répertorié
Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada) c. Angelis

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, vice-président

Pour le demandeur:
Virginie Emiel-Wildhaber, avocate

Pour le défendeur:
Aleisha Stevens, Association canadienne des employés professionnels

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 24 août et les 14 et 28 septembre 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant le président

1 L’administrateur général de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) a présenté une demande de prorogation du délai pour répondre à un grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Demetrios Angelis, le défendeur, a contesté une suspension pour une durée indéterminée. Il a renvoyé son grief à l’arbitrage le 1er juin 2009; ce grief constitue le dossier de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») 566-02-2901. L’administrateur général s’est également opposé au renvoi du grief à l’arbitrage au motif que cela était prématuré. 

2 Conformément à l’article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, le président m’a autorisé, en ma qualité de vice-président, à exercer tous ses pouvoirs ou à m’acquitter de toutes ses fonctions en application de l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement ») pour entendre et trancher toute question relative à ces demandes de prorogation des délais.

A. Contexte

3 M. Angelis est un employé de l’ASPC. Il est représenté par l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP). Des accusations criminelles ont été portées contre lui le 9 juin 2008. Le 12 juin 2008, l’administrateur général de l’ASPC a suspendu M. Angelis sans rémunération. L’ACEP a déposé un grief pour son compte, mais l’affaire a été mise en suspens en attendant la tenue de l’enquête sur le cautionnement. Le 18 février 2009, M. Angelis a avisé l’ACEP qu’il avait été libéré sous cautionnement; l’ACEP a alors informé l’administrateur général que le grief devait être porté au palier approprié.

4 Après avoir envoyé un rappel par courriel le 26 février 2009, le représentant de l’ACEP a été avisé par l’administrateur général que le grief allait « bientôt » être entendu au dernier palier de la procédure de règlement des griefs par le sous-ministre adjoint principal.

5 Le 20 mars 2009, le représentant de l’ACEP a avisé l’administrateur général que M. Angelis était disposé à proroger le délai pour répondre au grief jusqu’au 17 avril 2009 et qu’il proposait de tenir l’audition au dernier palier de la procédure de règlement des griefs durant la semaine du 30 mars 2009. Le 24 mars 2009, l’administrateur général a répondu qu’il avait l’intention de tenir une audience, mais sans proposer de date. À la suite de discussions supplémentaires, l’audience a été fixée au 28 avril 2009.

6 Le 27 avril 2009, le représentant de l’ACEP a reçu un courriel d’un conseiller en relations de travail de l’administrateur général demandant que l’audience soit reportée en raison de l’éclosion du virus de la grippe H1N1. Le représentant de l’ACEP a reçu un autre courriel du chef des Relations de travail l’avisant que l’audience était annulée, car toutes les ressources avaient été mobilisées pour travailler au centre des opérations d’urgence. M. Angelis n’a pas consenti au report. L’audience prévue le 28 avril 2009 n’a pas eu lieu.

7 Le 7 mai 2009, le représentant de l’ACEP a écrit au chef des Relations de travail pour l’informer que M. Angelis n’était pas d’accord pour proroger de nouveau le délai pour le dépôt d’une réponse au grief. Le représentant de l’ACEP a déterminé que le délai de 20 jours pour répondre au grief commençait à la date à laquelle l’audience qui avait été annulée aurait dû avoir lieu, c’est-à-dire le 28 avril 2009. Le représentant de l’ACEP a avisé l’administrateur général que si l’ACEP ne recevait pas une réponse d’ici le 26 mai 2009, [traduction] « […] elle exercerait ses droits, au besoin, aux termes de la convention collective ».

8 Le 11 mai 2009, l’administrateur général a répondu qu’il avait l’intention de tenir une audience au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et de rendre une réponse, mais pas avant le 26 mai 2009. M. Angelis a renvoyé son grief à l’arbitrage le 1er juin 2009.

9 Le 17 septembre 2009, le chef des Relations de travail a adressé à la représentante de M. Angelis une invitation pour assister à une audition au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 22 septembre 2009. La représentante de M. Angelis a refusé l’invitation. Une autre invitation pour assister à une audience le 19 ou le 21 octobre 2009 a été faite au moyen d’une lettre à la Commission, dont la représentante de M. Angelis a reçu copie.  

B. Dispositions d’une convention collective, d’un règlement et d’une loi

10 La convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’ACEP eu égard au groupe Économique et services de sciences sociales (EC), date d’expiration : le 21 juin 2011, contient les dispositions suivantes sur la présentation de griefs et le dépôt de réponses :

[…]

40.04 Les délais stipulés dans la présente procédure peuvent être prolongés d’un commun accord entre l’Employeur et le fonctionnaire et, s’il y a lieu, le représentant de l’Association.

[…]

40.13 Le fonctionnaire peut présenter un grief à chacun des paliers suivants de la procédure de règlement des griefs :

a)  si le fonctionnaire est insatisfait de la décision ou de l’offre de règlement, dans les dix (10) jours suivant la communication par écrit de cette décision ou offre de règlement par l’Employeur au fonctionnaire

ou

b) si l’Employeur ne lui communique pas une décision dans le délai prescrit au paragraphe 40.14, dans les vingt (20) jours suivant celui où il a présenté le grief au palier précédent et dans les vingt-cinq (25) jours suivant celui où le grief a été présenté au dernier palier.

40.14 L’Employeur répond normalement au grief d’un fonctionnaire, à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs sauf au dernier, dans les dix (10) jours qui suivent la date de présentation du grief audit palier, et dans les vingt (20) jours lorsque le grief est présenté au dernier palier.

[…]

11 Le Règlement contient les dispositions suivantes sur les délais :

[…]

 Prorogation de délai

61.     Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

a) soit par une entente entre les parties;

b) soit par le président, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

[…]

Délai pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage

90.     (1) Sous réserve du paragraphe (2), le renvoi d’un grief à l’arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après le jour où la personne qui a présenté le grief a reçu la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable au grief.

Exception

(2)      Si la personne dont la décision constitue le dernier palier de la procédure applicable au grief n’a pas remis de décision à l’expiration du délai dans lequel elle était tenue de le faire selon la présente partie ou, le cas échéant, selon la convention collective, le renvoi du grief à l’arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après l’expiration de ce délai.

[…]

12 La LRTFP prévoit ceci :

[…]

225. Le renvoi d’un grief à l’arbitrage de même que son audition et la décision de l’arbitre de grief à son sujet ne peuvent avoir lieu qu’après la présentation du grief à tous les paliers requis conformément à la procédure applicable.

[…]

II. Résumé de l’argumentation

13 Les parties ont présenté des arguments écrits à la Commission. J’en ai résumé les grandes lignes ci-après.

A. Arguments pour l’ASPC

14  L’ASPC a soumis les arguments suivants :

[Traduction]

[…]

•        […] le fonctionnaire a été en détention protégée du 9 juin 2008 au 2 février 2009. Il n’était pas disponible pour assister à l’audition du grief durant cette période.

•        L’audition du grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs avait initialement été fixée au 28 avril. Cependant, en raison de l’éclosion du virus de la grippe H1N1, toutes les ressources humaines ont reçu instruction de concentrer leurs énergies sur l’actuelle pandémie de grippe, de sorte que l’audition du grief a dû être annulée le 27 avril 2009. 

•        Le niveau d’urgence au sein de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) a grimpé au maximum en février et ce n’est qu’en juillet qu’il a finalement commencé à redescendre. L’audition du grief de M. Angelis est alors redevenue une priorité. Cependant, comme de nombreuses autres priorités avaient été mises en veilleuse pendant la crise du virus de la grippe H1N1, l’ASPC avait beaucoup de retard à rattraper. En plus de cela, de nombreux employés qui avaient été obligés de renoncer à leurs vacances durant l’hiver, le printemps et une partie de l’été pouvaient enfin prendre des congés, ce qui laissait de nouveau l’ASPC à court de ressources.

•        Pour finir, l’agent négociateur a reçu une invitation pour assister à l’audition du grief le 22 septembre 2009, à 16 h, mais il l’a refusée.

L’employeur est toujours résolu à répondre au grief le plus rapidement possible. Au cas où la réponse au grief ne serait pas jugée satisfaisante par le fonctionnaire, il serait possible de s’entendre dès maintenant sur une date d’audience dans un avenir rapproché, de manière à ce que la demande de prorogation n’ait pas de conséquences négatives pour M. Angelis, si l’arbitre de grief décide de l’accueillir.

[…]

B. Arguments pour M. Angelis

15 M. Angelis a présenté les arguments suivants :

[Traduction]

[…]

i)  Première allégation : renvoi prématuré du grief

15.     Dans son courriel du 24 août, le demandeur allègue que le grief a été renvoyé prématurément à l’arbitrage. Le demandeur ne fournit aucun détail pour étayer cette position. Le défendeur estime que le grief a été renvoyé à l’arbitrage au moment opportun, conformément aux dispositions de la convention collective du groupe EC.

[…]

17.     Au début, les parties ont consenti à de nombreuses prorogations de délai conformément à la clause 40.04. Le défendeur et le fonctionnaire ont refusé de continuer de proroger les délais après le 28 avril, date à laquelle l’audition du grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs avait été fixée. Le grief étant réputé avoir été présenté à cette date-là, l’employeur disposait d’un délai de 20 jours à compter de cette date pour communiquer sa réponse, conformément à la clause 40.14. Faute d’avoir reçu une réponse à l’expiration de ce délai, l’ACEP a exercé les droits prévus à la clause 40.13b) et renvoyé le grief à l’arbitrage dans le délai stipulé. Il s’ensuit que le grief satisfait aux exigences établies pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage.  

18.     Comme nous l’indiquons plus haut, l’ASPC n’a pas fourni de détails pour étayer son allégation que le grief a été renvoyé prématurément à l’arbitrage. Il se peut que cette allégation soit basée sur le fait que les parties n’ont pas présenté d’observations orales au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Or la Commission a clairement dit qu’il n'existe aucune obligation de faire des observations à chaque palier : Hickling c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 90, au paragr. 10. 

19.     L'employeur n’a pas non plus le pouvoir de proroger les délais unilatéralement : Sincère c. Conseil du Trésor (Conseil national de recherches du Canada), 2004 CRTFP 2, au paragr. 24. 

20.     Pour ces motifs, le défendeur estime que l’allégation du demandeur à propos du renvoi prématuré du grief à l’arbitrage est sans fondement et doit être rejetée par la Commission.

ii)       Deuxième allégation : une prorogation de délai devrait être accordée à l’ASPC pour répondre au grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. 

[…]

22.     […] les décisions rendues par la Commission en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi ») et de l’ancienne loi établissent les critères à appliquer pour déterminer si le délai prévu par cette disposition doit être prorogé. Ces critères sont les suivants :

-     le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

-     la durée du retard;

-     la diligence raisonnable du demandeur;

-     l'équilibre entre l'injustice causée au demandeur et le préjudice que subit le défendeur si la prorogation est accordée;

-     les chances de succès du grief.

Vidlak c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2006 CRTFP 96, au paragr. 12 et Dumas c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2007 CRTFP 74, au paragr. 46.

23.     Bien que ces critères soient généralement appliqués pour déterminer le bien–fondé d’une demande de prorogation de délai faite par un fonctionnaire s’estimant lésé, il s’agit de critères généraux dont l’application n’est pas expressément limitée aux demandes présentées par un fonctionnaire s’estimant lésé. Il s’ensuit que les critères peuvent logiquement être utilisés pour apprécier une demande de prorogation de délai présentée par un employeur. En appliquant ces facteurs à la présente demande, on en arrive aux conclusions suivantes :

a)       Les raisons données pour justifier le retard ne sont pas convaincantes.

24.     L’ASPC soutient qu’il n’a pas pu participer à l’audition du grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs parce que les ressources consacraient toutes leurs énergies au dossier de la grippe porcine. Le défendeur note que l’ASPC ne fournit aucun détail pour étayer sa position que le représentant ne pouvait pas participer à une audience d’une durée d’une heure dans le délai stipulé. 

25.     Le retard en question a été imposé unilatéralement par le demandeur; le demandeur savait que le délai fixé pour le dépôt d’une réponse ne serait pas respecté et il en a accepté les conséquences ou ne s’en est pas préoccupé. Le demandeur a créé lui-même la situation dans laquelle il se trouve en décidant délibérément de ne pas respecter le délai; la Commission devrait dès lors appliquer des critères très rigoureux pour apprécier la crédibilité des explications fournies pour justifier la violation avant d’accepter d’absoudre le demandeur des conséquences de sa décision. 

26.     Même au regard des normes habituelles, les explications fournies par l’ASPC pour justifier son retard ne sont pas convaincantes. Cela fait partie du mandat de l’ASPC de répondre à des situations comme l’éclosion de grippe H1N1 et de s’y préparer en conséquence. L’exécution du mandat organisationnel n’est pas une raison convaincante pour reporter indéfiniment l’audition au dernier palier d’un grief portant sur une question aussi importante qu’une suspension sans rémunération. Qui plus est, en acceptant de proroger un délai pour une raison comme celle-là, on court le risque de voir surgir d’autres demandes invoquant toutes sortes de raisons opérationnelles pour justifier la mise en veilleuse des relations de travail.

27.     Bref, l’incapacité de l’ASPC d’affecter les ressources nécessaires aux relations de travail ou son manque de bonne volonté à cet égard ne constituent pas des circonstances exceptionnelles; la Commission doit se garder d’encourager une telle pratique en acceptant de proroger le délai.  

b)       La durée du retard est excessive dans ce cas-ci

28.     Il n’existe pas de critères objectifs pour déterminer si la durée du retard est excessive; il faut plutôt utiliser des critères subjectifs en tenant compte des faits pertinents. Par exemple, dans une cause antérieure, la Commission a refusé de considérer comme dérisoire un retard de quatre mois, en déclarant ceci : « C'est un fait que le temps est une notion relative et qu'un retard peut être qualifié de dérisoire ou d'important selon le contexte dans lequel on l'évalue » : Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59, au paragr. 14.

29.     Dans ce cas-ci, même si le laps de temps qui s’est écoulé entre la demande initiale d’audience et l’annulation de l’audience peut paraître court, le fait est qu’il y a un fonctionnaire qui était — et qui est toujours — sans rémunération et sans emploi. Le report du règlement, pour une période si courte soit-elle, occasionne au fonctionnaire s’estimant lésé des difficultés personnelles et pécuniaires équivalentes à celles découlant d’un report sur une longue période.   

c)       Le demandeur n’a pas agi avec diligence pour respecter le délai.

30.     Le demandeur a cessé de se préoccuper des délais prévus par la procédure de règlements des griefs en général à partir du moment où le grief a été mis en suspens. C’est le défendeur, et non pas le demandeur, qui a demandé que les délais soient prorogés et qui a proposé des dates d’audience possibles afin de permettre au demandeur de répondre au grief. 

31.     Après avoir été informé de l’intention de l’ACEP de renvoyer le grief à l’arbitrage si la réponse attendue n’était pas reçue, l’ASPC n’a pas cherché à communiquer avec l’ACEP afin de convenir d’une date possible d’audience. Aucune nouvelle date d’audience n’a été fixée à ce jour. Il serait inéquitable de proroger le délai maintenant au vu du laxisme évident du demandeur.     

d)       L’injustice causée au fonctionnaire l’emporte sur le préjudice subi par le demandeur si la prorogation est accordée.

32.     La prorogation du délai dans ce cas-ci causerait une injustice qui est sans commune mesure avec le préjudice que subirait l’ASPC si sa demande est rejetée. 

33.     L’ASPC n’a pas expliqué en quoi le renvoi du grief à l’arbitrage lui causerait un préjudice. Si la demande de prorogation est rejetée par la Commission, l’ASPC aura toujours la possibilité de répondre au grief, soit de manière informelle dans le cadre d’une séance de médiation, soit de manière officielle devant la Commission.

34.     Le fonctionnaire attend pour sa part une décision sur la suspension sans rémunération qui lui a été imposée; les retards dans la procédure ont pour effet d’aggraver les conséquences négatives que cette situation a déjà eues sur l’avancement professionnel et la situation financière du fonctionnaire. Le défendeur prévoit en outre que la preuve du fonctionnaire reposera largement sur l’appel de témoins; à cause des retards continuels dans la procédure, des témoins pourraient avoir quitté la localité et les témoignages pourraient perdre en crédibilité.

e)       Les chances de succès du grief : le fonctionnaire a une cause défendable.

35.     La valeur probante à attribuer à chacun des cinq critères doit être déterminée en fonction du contexte factuel de l’affaire en cause. Au soutien de cette position, la Commission a déclaré dans l’affaire Thompson, au paragr. 7 :

Il va de soi que c’est l’ensemble des circonstances particulières de chaque cas qui doit déterminer la valeur probante à attribuer à chaque critère par rapport aux autres.  Il serait visiblement inéquitable d’attribuer la même valeur probante à chacun des critères sans tenir compte du contexte factuel.

36.     Conformément à ce principe, il faut attribuer peu ou point de valeur probante à ce dernier critère dans un cas comme celui-ci. Pour bien apprécier ce critère, il faut examiner les questions de fait et la crédibilité des témoins, ce qui serait une entreprise déraisonnable dans le cadre d’une demande de prorogation de délai. La Commission s’est sentie bien à l’aise, dans le passé, de ne pas appliquer ce critère dans des cas comme celui-ci.

37.     Subsidiairement, la Commission a statué que ce dernier critère porte sur la question de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé a une cause défendable : Jarry et Antonopoulos c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2009 CRTFP 11, au paragr. 38. 

38.     Le fonctionnaire a une cause défendable, puisque les accusations criminelles sur lesquelles la suspension sans rémunération est basée n’ont pas encore été prouvées.

f)  Les principes en matière de relations de travail sur lesquels sont basés les critères.

39.     L’application de ces cinq critères aux faits doit être basée sur les principes établis en matière de relations de travail sur la question des délais. 

40.     Un principe qui est souvent cité pour déterminer si un délai doit être prorogé est que la partie qui réclame l’exemption devrait assumer la charge de prouver qu’elle est justifiée dans les circonstances : Trenholm c. Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes, 2005 CRTFP 65, au paragr. 55 reproduisant un passage de Re Pacific Forest Products Ltd. (Sooke Logging Division) and I.W.A., Local 1-118 (1984), 17 L.A.C. (3d) 435. 

41.     Le défendeur fait respectueusement valoir que le demandeur n’a pas établi que le rejet de la demande de prorogation de délai par la Commission causerait une injustice. Par contre, le défendeur a démontré avec succès pourquoi la prorogation du délai serait inéquitable. 

42.     Il existe aussi un principe directeur qui dit que les délais prescrits dans la convention collective sont précis et qu’ils ne doivent pas être écartés à la légère : Mbaegbu c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 9, au paragr. 70.

43.     Ajoutons à cela que le pouvoir discrétionnaire de la Commission d’exempter une partie des conséquences du non-respect de délais constitue l’exception et non la règle : Trenholm, au paragr. 58.

44.     Les raisons avancées par l’ASPC ne sont pas suffisamment convaincantes pour que la Commission exerce son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur conformément à ces principes fondamentaux. 

45.     Pour finir, il y a un principe important en relations de travail qui dit que l’agent négociateur et l’employeur doivent avoir une certaine certitude quant aux griefs. La Commission a d’ailleurs observé avec justesse que les délais assurent une stabilité des relations de travail et que l'on ne peut passer outre à ces délais qu’exceptionnellement: Wyborn c. Agence Parcs Canada, 2001 CRTFP 113, au paragr. 29.   

46.     Dans ce cas-ci, les délais prévus par la convention collective constituent un moyen pour le défendeur de faire avancer sa cause et d’obtenir un règlement lorsque les actions unilatérales du demandeur auraient occasionné de l’instabilité et de l’incertitude. La demande de l’ASPC, si elle est accueillie, ferait échec à cet objectif légitime.

[…]

III. Motifs

16 L’administrateur général défend la position que le renvoi à l’arbitrage dans le dossier de la CRTFP 566-02-2901 est prématuré parce l’ASPC n’a pas encore répondu au grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. L’administrateur général a également présenté une demande de prorogation du délai pour le dépôt d’une réponse au dernier palier de la procédure.

17 Rien n’oblige l’ASPC ou son administrateur général à répondre à un grief avant son renvoi à l’arbitrage. La seule obligation qui est faite est de respecter le délai prévu par la convention collective ou le Règlement pour le dépôt d’une réponse; voir Hickling. Dans ce cas-ci, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage après l’expiration du délai fixé pour y répondre au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Il s’ensuit que le renvoi à l’arbitrage est valide.

18 Il n’est pas nécessaire de tenir une audience à quelque palier que ce soit de la procédure de règlement des griefs si le fonctionnaire n’en veut pas. Dans ces cas-là, l’employeur rend sa décision sans avoir pris connaissance des arguments du fonctionnaire. En date du 7 mai 2009, l’administrateur général savait que M. Angelis n’avait pas l’intention de participer à une audience. 

19 L’employeur ne peut pas retarder l’arbitrage d’un grief en refusant de tenir une audience ou de donner une réponse. 

20 Le Règlement accorde en effet un certain pouvoir discrétionnaire au président ou à son délégué de proroger les délais prévus par les conventions collectives ou le Règlement. L’article 61 dit qu’il peut proroger les délais « […] pour le dépôt […] d’une réponse […] par souci d’équité […] ».

21 La plupart des décisions portant sur la prorogation de délais s’inscrivent dans le contexte de la présentation d’un grief ou du renvoi d’un grief à l’arbitrage. La prorogation d’un délai pour le dépôt d’une réponse ne s’accorde pas bien avec la jurisprudence établie. La raison en est que le fait de ne pas déposer une réponse n’entraîne pas la perte d’un droit reconnu par la convention collective. Le fait de ne pas répondre à un grief ne cause aucun préjudice à l’administrateur général. L’administrateur général peut encore communiquer sa réponse au grief jusqu’à la date de la tenue de l’audience. Il peut également accueillir un grief en totalité ou en partie à n’importe quel moment avant le début de l’audience. L’administrateur général a aussi la possibilité de présenter des arguments pendant une audience et d’y intégrer tout ce qu’aurait contenu sa réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Dans le cas d’un grief hors délai, M. Angelis n’a pas le droit de porter sa cause en arbitrage, sauf s’il obtient une prorogation de délai. C’est pourquoi les critères utilisés pour statuer sur une demande de prorogation du délai pour la présentation d’un grief ou pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage ne peuvent pas s’appliquer dans ce cas-ci.

22 Étant donné que l’administrateur général peut déposer sa réponse au grief jusqu’à la date de la tenue d’une audience, je ne vois pas la nécessité de proroger le délai. Quoi qu’il en soit, les raisons avancées par l’administrateur général pour justifier sa demande ne sont pas valables. Je conviens avec la représentante de M. Angelis que la charge de travail qui s’inscrit dans le mandat d’un organisme ne peut pas servir d’excuse, en général, au non-respect des délais prévus par les conventions collectives. Compte tenu de la nature du grief, cela est également préjudiciable au fonctionnaire de retarder l’arbitrage du grief parce que le ministère n’a pas su planifier adéquatement ses ressources et son emploi du temps.

23 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

24 L’objection au renvoi à l’arbitrage est rejetée.

25 La demande de prorogation du délai pour le dépôt d’une réponse est rejetée.

Le 12 janvier 2010.

Traduction de la CRTFP

Ian R. Mackenzie,
vice-président

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