Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Demande de divulgation de documents avant la tenue de l’audience - l’administrateur général a accepté de divulguer certains des documents demandés, mais il s’est opposé à la communication d’autres documents - l’arbitre de grief a conclu que certains des documents demandés par la fonctionnaire s’estimant lésée étaient possiblement pertinents au bien-fondé de son grief - l’arbitre de grief a ordonné la divulgation de certains documents avant la tenue de l’audience - l’arbitre de grief a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour décider si des documents contiennent des <<renseignements préjudiciables>> ou des <<renseignements potentiellement préjudiciables>> au sens de l’article38 de la Loi sur la preuve au Canada. Demande accueillie en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-03-29
  • Dossier:  566-02-2338
  • Référence:  2010 CRTFP 45

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JULIE HOPWOOD-JONES

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Transports)

défendeur

Répertorié
Hopwood-Jones c. Administrateur général (ministère des Transports)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Josée Bédard, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Patricia H. Harewood, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur:
Debra L. Prupas, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 12 février et les 5, 12, 22 et 24 mars 2010.
(Traduction de la CRTFP)

Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Julie Hopwood-Jones, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), était analyste du renseignement à Transports Canada (le « défendeur ») lorsqu’elle a été licenciée le 24 avril 2008. La lettre de renvoi énonce comme suit les motifs de son licenciement :

[Traduction]

[…]

[…] Au cours du quart de minuit, de 0 h à 8 h le 31 janvier 2008, vous avez quitté le lieu de travail sans autorisation pendant plus de 2,5 heures et avez, par conséquent, omis d’accomplir les tâches vous ayant été confiées pour la période en question. Cette absence a été accentuée par le fait que vous avez créé une infraction à la sécurité en retirant des documents classifiés du lieu de travail sans suivre les exigences de la Politique sur la sécurité du gouvernement concernant la manipulation, l’entreposage, la communication et le transport de documents classifiés.

En me fondant sur l’information m’ayant été fournie, j’ai déterminé que, par vos agissements, vous avez placé le ministère dans une situation à risque important à trois égards : 1) incapacité du CITC de réagir ou d’agir en cas d’un incident ou d’un événement; 2) incapacité des opérations de sécurité de réagir ou d’agir en cas d’un incident ou d’un événement; 3) placement de documents classifiés dans une position où ils auraient pu être perdus, volés ou compromis, ce qui aurait pu causer un préjudice grave aux intérêts nationaux.

[…]

[Je souligne]

2 Le 13 mai 2008, la fonctionnaire a déposé un grief contestant son licenciement, et elle l’a renvoyé à l’arbitrage, le 23 septembre 2008.

Questions préliminaires

3 Le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a initialement désigné un arbitre de grief différent pour instruire le grief, et l’audience a été fixée du 10 au 14 août 2009. Au début de l’audience, la fonctionnaire a présenté une demande d’ordonnance enjoignant au défendeur de communiquer le cartable du Programme de protection des passagers (PPP) (le « cartable du PPP »). Le défendeur s’est opposé à la demande et a demandé la tenue d’un huis clos pour débattre de la demande. La fonctionnaire ne s’y est pas opposée. Après que les deux parties ont présenté leurs arguments sur la demande de divulgation, l’arbitre de grief initialement désigné a jugé qu’il n’avait pas la cote de sécurité appropriée pour poursuivre l’audience. L’audience a donc été levée.

4 Le 17 juillet 2009, la fonctionnaire a demandé par écrit au défendeur de lui communiquer certains documents, notamment le cartable du PPP. Le défendeur a refusé de transmettre une copie du cartable du PPP au motif que celui-ci contient des « renseignements sensibles » et des « renseignements potentiellement préjudiciables », tel que défini à l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada L.R.C. (1985), ch. C-5 (la « LPC »). Le défendeur a cependant fourni à la fonctionnaire la table des matières du cartable du PPP.

5 Le défendeur s’est opposé à la divulgation du cartable du PPP pour trois motifs. Premièrement, il a soutenu que le contenu du cartable du PPP n’est pas pertinent quant au fond du grief. Deuxièmement, il a fait valoir que le cartable du PPP contient des « renseignements sensibles » et des « renseignements potentiellement préjudiciables », tel que défini à l’article 38 de la LPC et que, conformément aux paragraphes 38.01 à 38.15 de la LPC, un arbitre de grief n’a pas la compétence pour imposer la divulgation de documents de cette nature. Troisièmement, il a argué que le cartable du PPP est également visé par la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2, et par le Règlement sur le contrôle de l’identité, DORS/2007-82, et qu’un arbitre de grief n’a pas la compétence pour imposer la divulgation de documents de cette nature. Quant à elle, la fonctionnaire a soutenu que le contenu du cartable du PPP est pertinent aux fins de son grief, qu’il devrait être divulgué et qu’un arbitre de grief a la compétence voulue pour en exiger la production.

6 Le 25 novembre 2009, le président de la Commission m’a chargée d’instruire le grief de la fonctionnaire et de trancher toute question y étant rattachée.

7 Le 30 novembre 2009, on a demandé aux parties si elles acceptaient que la demande de divulgation du cartable du PPP et l’objection du défendeur relativement à sa divulgation soient traitées par voie d’arguments écrits. Les parties ont accepté.

8 L’audience sur le fond du grief a été fixée du 10 au 14 mai 2010.

Demande de divulgation

9 Le défendeur a expliqué comme suit la nature du cartable du PPP :

[Traduction]

[…]

7.       Bien que la sûreté aérienne ait toujours été une priorité pour le gouvernement, les événements terroristes du 11 septembre 2001 ont agi comme catalyseur pour l’élaboration de nouveaux programmes, en vue de promouvoir la sûreté aérienne. Le Programme de protection des passagers (PPP) s’inscrit dans les initiatives lancées par le gouvernement du Canada pour renforcer la sûreté aérienne et vise à empêcher que des personnes susceptibles de représenter une menace immédiate à la sûreté aérienne puissent monter à bord d’un vol.

[…]

10 Dans ses arguments du 12 février 2010, la fonctionnaire a transcrit la table des matières du cartable du PPP. Par souci de commodité, je reproduis ici la description des éléments de la table des matières que le défendeur a par la suite fournis :

[Traduction]

a)  « fiches techniques de la LPP du PPP » : l’acronyme LPP renvoie à la liste des personnes précisées. Les fiches contiennent des renseignements classifiés (secrets) concernant des personnes désignées par le ministre des Transports et sont utilisées par l’analyste du renseignement (le poste de la fonctionnaire) afin de confirmer l’identité d’une personne précisée lorsqu’une compagnie aérienne signale une correspondance et de décider s’il y a lieu d’émettre une directive d’urgence;

b)  « bloc-notes consignant la destruction des notes d’appel du PPP » : lorsqu’il reçoit un appel de la ligne 24/7 des opérations du PPP, l’analyste du renseignement doit prendre en note les renseignements fournis par le transporteur. Le paragraphe 4.81(6) de la Loi sur l’aéronautique prévoit que ces renseignements doivent être détruits dans une période de sept jours. Le bloc-notes indique que les notes prises ont été détruites;

c)  « liste LPP » : comme décrite ci-haut;

d)  « PUN V.8 du PPP » […] cet acronyme renvoie aux procédures d’utilisation normalisées du Programme de protection des passagers;

e)  « liste alphabétique des personnes figurant sur la LPP du PPP » : s’entend de la liste des personnes précisées en ordre alphabétique;

f)   « liste numérique des personnes figurant sur la LPP du PPP » : un identificateur numérique unique est attribué à chaque personne figurant sur la LPP, et la liste suit l’ordre numérique des identificateurs;

g)  « ligne directrice en vertu de laquelle les personnes ont été ajoutées à la LPP » : le groupe consultatif chargé de la liste des personnes précisées se fondent sur trois lignes directrices lors de l’étude en vue de l’ajout d’un nom à la LPP;

h)  « directive d’urgence (générique) pour les transporteurs » : une DU est émise lorsqu’il y a correspondance positive d’une personne qui veut prendre place à bord d’un avion et que l’analyste du renseignement détermine que cette personne représente une menace immédiate à la sûreté aérienne;

i)   « DU pour les particuliers » : l’acronyme DU correspond à directive d’urgence comme indiqué au point h),

j)   « trois échantillons de la DU pour les trois critères » : les critères sont les lignes directrices susmentionnées au point g);

k)  « clé USB contenant la version électronique de la LPP, des fiches techniques et des PUN du PPP » […];

l)   « clés pour entrer dans la zone à haute sécurité » : une zone à haute sécurité est une désignation pour un secteur d’immeuble qui répond à des exigences particulières en matière de sécurité.

La fonctionnaire a décrit la pertinence du cartable du PPP comme suit :

[Traduction]

[…]

2.  Le cartable du PPP est un document qui est classifié comme secret. Il contient des renseignements relatifs à la protection de la sûreté aérienne au Canada, ce qui comprend la liste des personnes précisées, également connu sous le nom de « liste de personnes interdites de vol ». Il s’agit d’une liste des personnes qui ne sont pas autorisées à prendre place à bord d’un vol au Canada, ni ailleurs vraisemblablement.

[…]

52. Le contenu du cartable est pertinent aux fins de la question en l’espèce parce que l’employeur a renvoyé l’employée lorsque celle-ci aurait quitté son lieu de travail, le 31 janvier 2008, avec ce même document en main et sans autorisation. L’employeur prétend que les agissements de la fonctionnaire constituaient une infraction à la sécurité compte tenu qu’elle aurait, entre autres, placé des documents classifiés dans une position où ils auraient pu être perdus, volés ou compromis, ce qui aurait pu causer un préjudice grave aux intérêts nationaux.

53. Le cartable est particulièrement pertinent parce que, si l’agent négociateur était autorisé à en prendre connaissance, son contenu pourrait aider à déterminer :

a.) si des politiques ou procédures contenues dans le cartable énoncent la nature des restrictions concernant l’utilisation, la distribution ou la communication des renseignements dans le cartable;

b.) si le cartable avait l’apparence physique d’un document secret en raison d’inscriptions sur sa couverture ou à l’intérieur;

c.)  si de la formation ou des documents existaient dans le cartable sur la manière d’entreposer ou de protéger les renseignements contenus dans le cartable;

d.) si l’authenticité du cartable peut être confirmée;

e.) si le contenu du cartable, ce qui comprend la table des matières, a été modifié d’une manière quelconque à la suite du renvoi de la fonctionnaire;

f.)  autres questions pouvant découler des points susmentionnés ou être liées à ceux-ci.

[…]

11 Dans ses arguments du 5 mars 2010, le défendeur a fait valoir que le contenu du cartable du PPP ne se rapporte pas au fond du grief. Il a formulé sa position comme suit :

[Traduction]

[…]

17.     L’agent négociateur prétend que le « contenu du cartable est pertinent aux fins de la question en l’espèce parce que l’employeur a renvoyé l’employée lorsque celle-ci aurait quitté son lieu de travail, le 31 janvier 2008, avec ce même document en main et sans autorisation » (paragraphe 52). Comme mentionné au paragraphe 15, la fonctionnaire a été licenciée parce qu’elle a quitté son lieu de travail sans autorisation. L’autorisation de quitter avec le cartable du PPP n’est pas la question en litige, même si une telle autorisation était possible.

[…]

Le défendeur a également répondu ce qui suit pour chacun des éléments particuliers sur lesquels la fonctionnaire a fondé ses allégations concernant la pertinence du contenu du cartable du PPP :

[Traduction]

[…]

19.     En réponse aux paragraphes 53a) et c) des arguments de  l’agent négociateur, l’employeur consigne au dossier que le cartable du PPP ne contient pas les documents mentionnés.

20.     En réponse au paragraphe 53b), l’employeur consigne au dossier qu’un autocollant portant la mention « secret » était apposé à l’extrémité supérieure de la couverture du cartable du PPP. L’employeur répète que le cartable du PPP contient des renseignements sensibles et des renseignements potentiellement préjudiciables, selon les définitions de l’article 38 de la LPC.

[…]

23.     En réponse aux paragraphes 53d) et e) et à la suite du paragraphe 22 ci-haut, le cartable du PPP est un document en évolution constante qui est mis à jour régulièrement. Entre le 31 janvier 2008 et le 16 juin 2008, des mises à jour ont été apportées au cartable du PPP. L’employeur peut retracer la chaîne de possession du cartable du 16 juin 2008 jusqu’à maintenant.

24.     Le cartable du PPP a été retiré le 16 juin 2008 et remplacé par un autre. Une section sur la sécurité des renseignements a été ajoutée à la procédure d’utilisation normalisée (PUN) 3 du 18 juillet 2008, par Chris Free, gestionnaire du PPP. M. Free témoignera pour l’employeur à l’audience sur le fond. Une autre partie a été ajoutée à cette même PUN concernant la continuité des activités. D’autres renseignements non-essentiels ont également été retirés du cartable.

25.     L’employeur soutient que l’agent négociateur n’a pas établi la pertinence du contenu du cartable du PPP et, sur ce seul fondement, une ordonnance imposant la production du cartable ne devrait pas être rendue.

[…]

12 Dans ses arguments du 12 mars 2010, la fonctionnaire a répondu aux arguments du défendeur. Premièrement, en ce qui concerne l’affirmation du défendeur à l’égard des allégations de la fonctionnaire au sujet de la pertinence des documents, la fonctionnaire a affirmé ce qui suit :

[Traduction]

[…]

9.   […] l’agent négociateur soumet qu’il n’est pas approprié de la part de l’avocate du défendeur de proposer qu’au lieu de produire le cartable, aux fins d’examen, il suffirait de consigner au dossier que le cartable ne contient aucune directive interdisant son retrait du lieu de travail ou qu’il portait un autocollant disant « secret ».

10.  L’arbitre de grief ne devrait pas permettre à l’avocate de l’employeur à la fois de défendre l’employeur et de présenter des éléments de preuve. Par ailleurs, ni l’arbitre de grief, ni la Commission ne sont un tribunal d’archives.

[…]

En ce qui concerne la pertinence du contenu du cartable du PPP, la fonctionnaire a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

[…]

13. De plus, l’agent négociateur soumet qu’il entend soumettre des preuves pour la fonctionnaire établissant que c’est en raison de la nature même des renseignements qu’elle a sortis sans autorisation que l’employeur lui a imposé une mesure disciplinaire sévère.

14. Le défendeur a soutenu, au paragraphe 24 de ses arguments, que le cartable du PPP a été retiré du service le 16 juin 2008 et qu’il a été remplacé par un autre cartable contenant des renseignements sur la sécurité des renseignements. Ces renseignements n’étaient apparemment pas contenus auparavant dans le cartable. L’agent négociateur fait valoir que l’employeur a pris cette mesure moins de deux mois après le licenciement de la fonctionnaire.

15.  L’agent négociateur soumet que l’arbitre de grief ne sera pas en mesure d’évaluer la gravité ou non des agissements allégués de la fonctionnaire et la réponse de l’employeur, s’il ne peut pas prendre pleinement connaissance du contenu du cartable ou avoir accès à l’intégralité du contenu.

[…]

La fonctionnaire a également demandé que le défendeur précise, selon son évaluation, lesquels des documents suivants contiennent des renseignements potentiellement sensibles ou préjudiciables et lesquels pourraient être communiqués :

[Traduction]

[…]

a.) Une courte description de ce à quoi chaque élément de la table des matières renvoie, compte tenu que la table des matières, telle que fournie le 5 août 2009, n’est pas claire;
Copies des documents suivants :

b.) PUN V. 8.0 du PPP
c.) Ligne directrice en vertu de laquelle des personnes ont été ajoutées à la LPP
d.) Directive d’urgence (générique) pour les transporteurs
e.) Directive d’urgence pour les particuliers
f.) Trois échantillons de la directive d’urgence pour les trois critères
g.) PUN du PPP (si cela diffère des PUN V. 8.0 du PPP)
h.) Le cartable comme tel contenant les documents susmentionnés

[…]

13 En dépit de son objection à l’égard de la pertinence du cartable du PPP, le défendeur a accepté, dans ses arguments du 22 mars 2010, de communiquer certains documents du cartable du PPP. Premièrement, le défendeur a déclaré avoir fourni une copie des PUN V.8.0 (procédures d’utilisation normalisées) du PPP à la fonctionnaire, le 10 août 2009. Le défendeur a également déclaré qu’il avait communiqué les documents suivants :

  • lignes directrices en vertu desquelles des personnes ont été ajoutées à la liste des personnes précisées (LPP);
  • directive d’urgence (DU) (générique) pour les transporteurs;
  • directive d’urgence pour les particuliers.

En ce qui concerne les procédures d’utilisation normalisées, le défendeur a expliqué qu’elles sont énoncées dans les PUN V.8.0 du PPP. Le défendeur a aussi affirmé qu’il était disposé à communiquer le cartable vide à des fins d’inspection et à permettre à la fonctionnaire, si nécessaire, d’examiner le cartable vide au bureau du défendeur, avant le 10 mai 2010.

14 Dans ses arguments du 24 mars 2010, la fonctionnaire a reconnu avoir reçu, le 10 août 2009, une copie expurgée des PUN V.8.0 (procédures d’utilisation normalisées) du PPP. En ce qui concerne l’offre du défendeur de permettre à la fonctionnaire d’examiner le cartable vide à son bureau avant le 10 mai 2010, la fonctionnaire a demandé d’examiner le cartable vide en compagnie de sa représentante avant cette date.

Motifs

15 Je traiterai d’abord de la pertinence du cartable du PPP. Si je conclus à la pertinence du cartable du PPP quant aux questions soulevées dans le grief, je traiterai ensuite de l’opposition du défendeur à ma compétence pour forcer la production du cartable.

16 Sopinka, Lederman et Bryant, dans The Law of Evidence in Canada, 3e éd., ont énoncé ce qui suit au paragraphe 2.36 :

[Traduction]

§2.36 […] la première étape pour déterminer ce qui est pertinent est d’établir les faits qui sont en litige dans l’affaire. C’est le droit substantif relié à une accusation ou à une cause particulière qui constitue le fondement de cet exercice de détermination […]

17 Dans Canadian Labour Arbitration, 4e éd., Brown et Beatty énoncent ainsi les paramètres s’appliquant pour déterminer si une ordonnance de communication préalable à l’audience devrait être rendue :

[Traduction]

[…]

3:1400 Communication préalable à l’audience

[…]

[…] en vertu des exigences de la justice naturelle, une partie ne doit pas prendre injustement par surprise l’autre partie et, par conséquent, certains arbitres ont exigé la communication préalable à l’audience de renseignements et de documents qui sont nécessaires pour permettre à une partie de participer adéquatement au processus décisionnel […]

[…]

3:1420 Production de documents

L’objet de la production de documents diffère quelque peu de l’exigence de fournir des précisions du fait que la production de documents aide réellement une partie à préparer sa preuve, alors que les précisions informent simplement l’autre partie de la preuve qu’elle devra réfuter […]

[…]

3:1422 Ordonner la production

Le critère de base pour ordonner la production de documents consiste à déterminer s’ils peuvent être pertinents aux fins des questions en litige. Et, à cet égard, le critère au stade préalable à l’audience semblerait être que les documents soient « potentiellement pertinents » ou que l’on « puisse en soutenir la pertinence » […]

[…]

[J’omets les notes en bas de page]

18 Je reconnais que le grief est très important pour la fonctionnaire, qui a perdu son emploi. Je suis également consciente du droit de la fonctionnaire d’avoir une audience équitable et une réelle possibilité de présenter sa preuve. Ceci étant, alors que je ne doute nullement du rapport qui existe entre le cartable du PPP et le motif du licenciement de la fonctionnaire, je ne suis pas convaincue, à ce stade-ci, que l’on puisse soutenir que le contenu intégral du cartable du PPP est pertinent quant au fond du grief et que l’accès aux documents que le défendeur refuse de communiquer aiderait la fonctionnaire à préparer efficacement sa preuve.

19 Compte tenu de la position adoptée par le défendeur, les portions suivantes du cartable du PPP demeurent en litige :

a)  fiches techniques de la LPP du PPP;

b)  bloc-notes consignant la destruction des notes d’appel du PPP;

c)  LPP;

e)  liste alphabétique des personnes figurant sur la LPP du PPP;

f)  liste numérique des personnes figurant sur la LPP du PPP;

j)  trois échantillons de la directive d’urgence pour les trois critères;

k)  clé USB contenant les versions électroniques de la LPP, des fiches techniques et des procédures d’utilisation normalisées;

l)  clés pour entrer dans la zone à haute sécurité.

20 Deux motifs invoqués par le défendeur pour le licenciement de la fonctionnaire renvoient au cartable du PPP :

  • la fonctionnaire aurait sorti les documents classifiés sans se conformer aux exigences de la politique sur la sécurité;
  • de ce fait, la fonctionnaire a exposé le défendeur à un risque parce qu’elle aurait placé les documents classifiés dans une position où ils auraient pu être perdus, volés ou compromis, ce qui aurait pu causer un préjudice grave aux intérêts nationaux.

Nul ne conteste le fait que les renseignements classifiés auxquels le défendeur renvoie correspondent au cartable du PPP.

21 Je discuterai de la pertinence des documents en litige par rapport à chacun des motifs susmentionnés ayant été invoqués par le défendeur.

22 En ce qui concerne le premier motif, je juge que le cartable du PPP est pertinent en l’espèce étant donné qu’il correspond aux « documents classifiés » que la fonctionnaire aurait sortis du lieu de travail, sans respecter adéquatement la politique et les procédures. Je suis convaincue que la nature classifiée du cartable du PPP est importante puisque l’allégation du défendeur au sujet de l’infraction à la sécurité est fondée sur la nature « classifiée » du cartable du PPP. Cependant, compte tenu du motif donné et de l’admission de la fonctionnaire quant à la nature classifiée du cartable du PPP, je ne vois pas en quoi le contenu du cartable en soi serait utile pour évaluer si le licenciement de la fonctionnaire était justifié dans les circonstances.

23 La fonctionnaire a indiqué dans ses arguments qu’elle voulait avoir accès au cartable du PPP afin de vérifier « […] si des politiques ou procédures contenues dans le cartable énoncent la nature des restrictions concernant l’utilisation, la distribution ou la communication des renseignements dans le cartable […] » et « […] si de la formation ou des documents existaient dans le cartable sur la manière d’entreposer ou de protéger les renseignements dans le cartable ». Le défendeur a admis que le cartable du PPP ne contenait pas une telle information.

24 La fonctionnaire a allégué qu’il serait inapproprié pour moi de permettre à l’avocate du défendeur de soumettre des éléments de preuve, tout en assurant la défense du défendeur. J’estime que les représentants des parties peuvent faire des admissions officielles sur des questions de fait pour le compte de la partie qu’ils représentent et que de telles déclarations constituent des admissions qui lient la partie. Par conséquent, à moins que la fonctionnaire ait l’intention de remettre en question la véracité des admissions faites par le défendeur, je considère que le défendeur est lié par les admissions faites par son avocate et que ces admissions peuvent servir de preuve. Ainsi, compte tenu de l’admission du défendeur que le cartable du PPP ne contient pas de « […] politiques ou procédures […] [qui] énoncent la nature des restrictions concernant l’utilisation, la distribution ou la communication des renseignements dans le cartable […] », ni « […] de la formation ou des documents […] sur la manière d’entreposer ou de protéger les renseignements dans le cartable […] », je juge qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le cartable du PPP pour cette question.

25 En ce qui concerne l’aspect physique du cartable, le défendeur a déclaré que le document portait la mention « secret », a offert de communiquer le cartable vide avant le 10 mai 2010 et a convenu que la fonctionnaire pourrait l’examiner dans son bureau. Compte tenu de l’admission de la fonctionnaire que le cartable du PPP est classifié et compte tenu de l’offre du défendeur, je ne vois aucune utilité à examiner le contenu du cartable du PPP.

26 La question de la pertinence du contenu du cartable du PPP diffère en ce qui a trait au deuxième motif du défendeur, à savoir que les agissements de la fonctionnaire auraient pu causer un préjudice grave aux intérêts nationaux.

27 Comme je n’ai pas encore entendu la preuve, je ne peux pas déterminer, à ce stade, si l’intégralité du cartable du PPP pourrait être pertinent. Cependant, je peux conclure que le cartable du PPP contient certains documents dont on peut soutenir la pertinence aux fins de déterminer si un préjudice aurait pu être causé aux intérêts nationaux et, le cas échéant, de mesurer la gravité du préjudice. La fonctionnaire a soutenu que la nature même des renseignements qu’elle aurait sortis sans autorisation a influé sur la sévérité de la mesure disciplinaire lui ayant été imposée. Dans ce contexte, je conclus que l’on peut soutenir que les renseignements concernant le contenu du cartable du PPP sont pertinents quant au fond du grief. Cependant, cela ne signifie pas que la communication ou l’examen de l’intégralité du contenu du cartable soit nécessaire pour permettre à la fonctionnaire de préparer sa preuve efficacement.

28 Le défendeur a accepté de divulguer les documents suivants contenus dans le cartable du PPP :

  • lignes directrices en vertu desquelles des personnes ont été ajoutées à la LPP;
  • directive d’urgence (générique) pour les transporteurs;
  • directive d’urgence pour les particuliers.

De plus, le défendeur a déjà fourni à la fonctionnaire une copie des PUN V.8.0 (procédures d’utilisation normalisées) du PPP, mais certains renseignements ont été expurgés en raison du caractère supposément « hautement sensible des renseignements ».

29 Cependant, le défendeur a refusé de communiquer les documents suivants :

  • fiches techniques de la LPP du PPP;
  • bloc-notes consignant la destruction des notes d’appel du PPP;
  • LPP;
  • liste alphabétique des personnes figurant sur la LPP du PPP;
  • liste numérique des personnes figurant sur la LPP du PPP;
  • trois échantillons de la directive d’urgence pour les trois critères;
  • clé USB contenant les versions électroniques de la LPP, des fiches techniques et des procédures d’utilisation normalisées;
  • clés pour entrer dans la zone à haute sécurité.

30 À l’exception des clés pour entrer dans la zone à haute sécurité et des échantillons de la directive d’urgence pour les trois critères, tous les documents en litige se rapportent à la liste des personnes précisées (LPP). Je peux comprendre en quoi la description de la LPP, son objet et le contexte dans lequel elle est créée et utilisée, par exemple, sont pertinents aux fins de la preuve de la fonctionnaire. Cependant, je ne vois pas comment la divulgation de la LPP et des noms des personnes qui y figuraient ou y figurent toujours pourrait aider la fonctionnaire à préparer sa preuve efficacement.

31 En ce qui concerne les échantillons de la directive d’urgence, je ne vois pas quelle peut être leur utilité pour permettre à la fonctionnaire de préparer efficacement sa preuve, étant donné que le défendeur a accepté de communiquer la directive d’urgence (générique) pour les transporteurs et la directive d’urgence pour les particuliers.

32 Pour l’ensemble de ces motifs, je conclus que les renseignements que le défendeur a déjà fournis à la fonctionnaire et les documents qu’il a convenu de lui communiquer sont suffisants, à ce stade, pour permettre à la fonctionnaire de préparer sa preuve efficacement et d’avoir droit à une audience juste.

33 Un autre point. En réponse à la question de la fonctionnaire concernant les changements apportés au contenu du cartable du PPP depuis sa démission, le défendeur a répondu ce qui suit :

[Traduction]

[…]

23.     […] le cartable du PPP est un document en évolution constante qui est mis à jour régulièrement. Entre le 31 janvier 2008 et le 16 juin 2008, des mises à jour ont été apportées au cartable du PPP. L’employeur peut retracer la chaîne de possession du cartable du 16 juin 2008 jusqu’à maintenant.

24.     Le cartable du PPP a été retiré le 16 juin 2008 et remplacé par un autre. Une section sur la sécurité des renseignements a été ajoutée à la procédure d’utilisation normalisée (PUN) 3 du 18 juillet 2008, par Chris Free, gestionnaire du PPP. M. Free témoignera pour l’employeur à l’audience sur le fond. Une autre partie a été ajoutée à cette même PUN concernant la continuité des activités. D’autres renseignements non-essentiels ont également été retirés du cartable.

[…]

Le défendeur a déclaré avoir fourni une copie des PUN V.8.0 (procédures d’utilisation normalisées) du PPP à la fonctionnaire le 10 août 2009 et a admis que des portions ont été expurgées.

34 Dans ses arguments, la fonctionnaire a renvoyé à la nouvelle section sur la sécurité des renseignements ayant été ajoutée aux procédures d’utilisation normalisées. Sans invoquer directement en quoi cette nouvelle section sur la sécurité des renseignements serait pertinente en l’espèce, la fonctionnaire y a fait allusion de la manière suivante :

[…]

Le défendeur a soutenu, au paragraphe 24 de ses arguments, que le cartable du PPP a été retiré du service le 16 juin 2008 et qu’il a été remplacé par un autre cartable contenant des renseignements sur la sécurité des renseignements. Ces renseignements n’étaient apparemment pas contenus auparavant dans le cartable. L’agent négociateur fait valoir que l’employeur a pris cette mesure moins de deux mois après le licenciement de la fonctionnaire.

[…]

35 Je ne sais pas si la version des PUN V.8.0 (procédures d’utilisation normalisées) du PPP que le défendeur a remise à la fonctionnaire, le 19 août 2009, contenait la nouvelle section ou s’il s’agissait de la version en vigueur au moment du licenciement de la fonctionnaire. Je ne peux pas non plus établir, à ce stade, si les portions expurgées des PUN V.8.0 (procédures d’utilisation normalisées) du PPP sont pertinentes en l’espèce. Cependant, le défendeur a indiqué que Chris Free, gestionnaire du PPP, témoignerait à l’audience. La fonctionnaire aura l’occasion de contre-interroger ce témoin au sujet des procédures d’utilisation normalisées. Je suis disposée à entendre toute nouvelle demande de divulgation de la fonctionnaire si, après avoir entendu ce témoignage, elle croit toujours que les portions expurgées des PUN V.8.0 (procédures d’utilisation normalisées) du PPP ou la plus récente version de ces procédures lui sont utiles pour préparer sa preuve.

36 Je suis également disposée à entendre toute nouvelle demande de divulgation de la fonctionnaire si, après avoir entendu la preuve du défendeur, elle croit toujours que les autres documents contenus dans le cartable du PPP, que le défendeur a refusé de communiquer, lui sont utiles pour préparer sa preuve. Même si je ne suis pas convaincue, à ce stade, que l’on puisse soutenir que les documents en litige sont utiles à la fonctionnaire pour préparer sa preuve, cela n’empêche pas celle-ci de faire valoir que les documents sont devenus pertinents à la lumière des événements qui se dérouleront à l’audience. En pareil cas, je trancherai la question de la pertinence à la lumière de la preuve et des arguments m’étant présentés à ce moment.

37 Compte tenu de mes conclusions sur la question de la pertinence des documents et de l’engagement du défendeur à communiquer certains documents demandés, je n’ai pas à me pencher sur l’objection du défendeur quant à ma compétence pour l’obliger à divulguer le cartable du PPP. Cependant, comme la question de la pertinence du cartable du PPP n’est peut-être pas tranchée de manière définitive, je tiens à ajouter les commentaires qui suivent.

38 Le défendeur a allégué que le cartable du PPP contient des « renseignements potentiellement préjudiciables » et des « renseignements sensibles », selon les définitions de l’article 38 de la LPC. Le défendeur a également indiqué que, si je devais ordonner la divulgation du cartable du PPP, il a l’intention d’invoquer l’article 38 de la LPC et de signifier un avis au procureur général, en conformité avec l’article 38.01 de la LPC. Le défendeur prétend que la Cour fédérale aurait alors la compétence exclusive pour se prononcer sur la divulgation du cartable du PPP.

39 Dans ces circonstances, je considère que, même si j’ai la compétence nécessaire pour obliger la divulgation de documents qui sont pertinents quant aux questions soulevées par le grief,  je n’aurais pas la compétence nécessaire pour déterminer si les documents contiennent des « renseignements sensibles » et des « renseignements potentiellement préjudiciables », selon les définitions de l’article 38 LPC. La compétence exclusive de juger si les renseignements sont protégés aux termes de la LPC appartient à la Cour fédérale sous le régime exhaustif prévu aux articles 38 à 38.16 de la LPC.

40 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

41 La demande de divulgation du cartable du PPP est accordée dans la mesure où il est ordonné au défendeur de permettre à la fonctionnaire et à sa représentante d’examiner le cartable vide du PPP avant le 10 mai 2010.

42 De plus, il est ordonné au défendeur de communiquer à la fonctionnaire, avant le 10 mai 2010, les documents suivants contenus dans le cartable du PPP :

  • lignes directrices en vertu desquelles des personnes ont été ajoutées à la LPP;
  • directive d’urgence (DU) (générique) pour les transporteurs;
  • directive d’urgence pour les particuliers.

Le 29 mars 2010.

Traduction de la CRTFP

Marie-Josée Bédard,
arbitre de grief

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