Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a été licenciée en conséquence directe de la révocation de sa cote de sécurité Secret - elle a contesté le licenciement avec succès et l’arbitre de grief a ordonné à l’employeur de mener une recherche diligente pour lui trouver un autre poste - la recherche n’a pas donné les résultats escomptés et la fonctionnaire s’estimant lésée a de nouveau été licenciée - les présents griefs allèguent que l’employeur n’a pas mené une recherche diligente et qu’il a agi de mauvaise foi - l’employeur a reçu l’ordre de produire, avant la tenue de l’audience, certains documents ayant rapport aux griefs - il a produit plusieurs des documents, mais il a refusé de fournir les autres, prétextant qu’ils devaient demeurer confidentiels en raison du privilège des relations de travail qui s’y rattachait - une audience a eu lieu pour examiner le refus de l’employeur de produire les documents - les documents en question consistaient en des échanges de correspondance entre des agents des relations de travail ou entre des agents des relations de travail et des représentants de la direction et portaient sur les mesures à prendre par suite de la décision de réintégrer la fonctionnaire s’estimant lésée - l’arbitre de grief a conclu que, si l’argument de la pertinence des documents était défendable, le privilège des relations de travail n’avait pas été reconnu comme un privilège générique et que le critère de Wigmore devait s’appliquer - si les rapports entre les représentants de la direction doivent être entretenus assidûment, les intérêts de ces représentants doivent être mis en balance avec la nécessité de garantir l’administration régulière de la justice - le quatrième volet du critère de Wigmore a fait pencher la balance en faveur de la communication des documents - le droit de la fonctionnaire s’estimant lésée à une audience équitable l’a emporté sur la nécessité de protéger la confidentialité des communications - les questions soulevées par les griefs découlent de l’ordonnance d’un arbitre de grief et non de décisions prises de manière discrétionnaire par l’employeur - la question porte sur la crédibilité de la procédure de règlement des griefs et sur le respect des ordonnances rendues par des arbitres de griefs. Objection rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-03-29
  • Dossier:  566-02-602, 603 et 2358
  • Référence:  2010 CRTFP 46

Devant un arbitre de grief


ENTRE

HAIYAN ZHANG

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Bureau du Conseil privé)

employeur

Répertorié
Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Josée Bédard, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Daniel Fisher, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Richard Fader, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 16 mars 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Décision provisoire

1 La présente décision provisoire porte sur l’objection du Conseil du Trésor (l’« employeur ») à la production avant l’audience de documents, au motif qu’ils sont confidentiels parce que couverts par le privilège relatif aux relations de travail.

II. Contexte

2 La fonctionnaire s’estimant lésée, Haiyan Zhang (la « fonctionnaire »), a déposé un grief contestant son licenciement le 13 avril 2006, puis un autre grief contestant l’annulation de son attestation de fiabilité le 18 avril 2006.

3 Ces griefs sont liés au premier licenciement de la fonctionnaire le 28 novembre 2003, qu’elle a contesté et qui a mené à la décision Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé), 2005 CRTFP 173, rendue le 8 décembre 2005 par l’arbitre de grief Ian R. Mackenzie. Le contexte de cette décision est pertinent pour la compréhension des questions en litige dans la présente affaire. Le 28 novembre 2003, Mme Zhang a été licenciée du poste d’analyste principale qu’elle occupait au Bureau du Conseil privé par suite de la révocation de sa cote de sécurité « Secret ». Dans sa décision, l’arbitre de grief Mackenzie a jugé que, puisque la fonctionnaire avait encore une cote de fiabilité valide, l’employeur était tenu de lui chercher un autre poste avant de pouvoir la licencier. Il a conclu que l’employeur ne s’était pas acquitté de son obligation à cet égard et a par conséquent ordonné le redressement suivant :

[…]

[76] J’ordonne à l’employeur de chercher pour la fonctionnaire s’estimant lésée, avec diligence, un autre poste d’un niveau équivalent (IS-5) ou d’un niveau inférieur au sein des secteurs de la fonction publique où il est un employeur, pendant deux mois à compter de la date de la présente décision.

[77] J’ordonne à l’employeur de rétablir le congé payé de Mme Zhang à compter du 28 novembre 2003, et jusqu’à ce qu’il ait fini de chercher un autre poste.

[…]

4 L’employeur a licencié la fonctionnaire le 13 avril 2006 au terme de cette recherche, qui s’est révélée infructueuse, puis il a annulé sa cote de fiabilité. Dans ses griefs, la fonctionnaire allègue que l’employeur n’a pas mené une recherche diligente et qu’il l’a licenciée sans raison valable. Sa principale allégation est que l’employeur non seulement ne lui a pas cherché un autre poste avec diligence, mais qu’il a également agi de mauvaise foi et ne voulait pas lui trouver un autre poste dans la fonction publique.

5 Le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a initialement chargé l’arbitre de grief Michele A. Pineau d’entendre les griefs. À l’audience tenue le 18 mars 2008, la fonctionnaire a réclamé une ordonnance en vue d’obtenir la production de documents avant l’audience. Mme Pineau a accédé à sa demande et ordonné ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] j’ordonne à l’employeur de communiquer à la fonctionnaire s’estimant lésée tous les documents relatifs aux griefs susmentionnés jusqu’à la date de sa réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs [le 31 août 2006] inclusivement, hormis les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat. Si des documents par ailleurs susceptibles d’être produits sont caviardés pour des raisons de confidentialité, la fonctionnaire s’estimant lésée pourra demander à la Commission de formuler des directives sur la communication des renseignements ainsi caviardés…

[…]

6 L’employeur a fourni plusieurs documents au représentant de la fonctionnaire, mais il a refusé de produire certains des documents visés par l’ordonnance de production des documents au motif que ceux-ci devaient rester confidentiels en application du privilège relatif aux relations de travail.

7 Le 8 octobre 2009, le président de la Commission a décidé de me confier le dossier et m’a chargé d’entendre les griefs de Mme Zhang.

8 L’employeur a déposé une objection à l’encontre de l’arbitrabilité des griefs contestant le licenciement de la fonctionnaire et l’annulation de sa cote de fiabilité. Dans Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé), 2009 CRTFP 22, j’ai décidé de prendre sous réserve son objection sur le caractère arbitrable du grief contestant l’annulation de la cote de fiabilité et j’ai rejeté l’objection touchant les griefs contestant le licenciement de la fonctionnaire. J’ai également déclaré que les griefs contestant ce licenciement soulevaient les questions suivantes :

[…]

[74]    Pour conclure, je réitère que j’estime être saisie à bon droit du grief, qui soulève les questions suivantes :

  • L’employeur a-t-il effectué une recherche diligente d’une durée de deux mois afin de trouver un autre poste pour la fonctionnaire s’estimant lésée?
  • Dans les circonstances, le licenciement de la fonctionnaire s’estimant lésée le 13 avril 2006 reposait-il sur un motif valable?

[…]

9 Le 16 mars 2010, les parties ont été convoquées à une audience portant sur le refus de l’employeur de produire des documents en raison d’un prétendu privilège relatif aux relations de travail.

10 L’audience sur le bien-fondé des griefs doit se tenir du 17 au 21 mai 2010.

11 Les parties n’ont pas produit de preuve, mais elles ont présenté des arguments de vive voix.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

12 L’employeur s’oppose à la production de certains des documents visés par l’ordonnance de l’arbitre de grief Pineau (communications entre les agents de relations de travail ou entre ces agents et les représentants de la direction au sujet de la fonctionnaire, entre le 8 décembre 2005 (date de la décision de l’arbitre de grief Mackenzie) et le 31 août 2006), aux motifs qu’ils ne sont pas pertinents en l’espèce et que, de toute façon, ce sont des communications écrites entre des représentants de l’employeur qui sont confidentielles parce que couvertes par le privilège relatif aux relations de travail.

13 L’avocat de l’employeur a expliqué que tous les documents en question étaient des communications écrites entre des agents de relations de travail du Conseil du Trésor et du Bureau du Conseil privé ou entre des agents de relations de travail et des gestionnaires du Bureau du Conseil privé. Il a ajouté que ces documents dataient de janvier à juillet 2006 et déclaré qu’ils étaient, pour la majorité, ultérieurs au dépôt du grief, en précisant que leur contenu portait exclusivement sur des discussions relatives aux mesures à prendre à l’égard de la fonctionnaire dans le contexte de l’ordonnance de l’arbitre de grief Mackenzie, y compris sur leurs discussions concernant son emploi.

14 En ce qui a trait à la pertinence des documents, l’employeur a allégué que les documents font état de ce que les agents de relations de travail et les gestionnaires intéressés pensaient, ce qui n’a aucune pertinence relativement aux griefs dans la présente affaire. L’employeur a déclaré que les griefs soulèvent la question de la diligence de sa recherche d’un autre poste pour la fonctionnaire et non celle de ce que les agents de relations de travail pensaient.

15 Bien que l’employeur ait affirmé que les documents réclamés ne sont pas pertinents, son avocat a souligné que la principale question concerne leur nature confidentielle. L’employeur a allégué que les communications entre les agents de relations de travail, qu’ils représentent l’agent négociateur ou l’employeur, devraient être reconnues comme confidentielles sur la base d’un privilège de principe, essentiellement de la même manière que les arbitres de grief et autres arbitres reconnaissent que les communications dans le contexte de la médiation ou de la procédure de règlement des griefs sont confidentielles. L’employeur a donc déclaré que toutes les communications entre les agents de relations de travail et toutes les communications sur les relations de travail au niveau de la direction, consistant à échanger des idées ou à demander ou à obtenir des conseils sur des questions faisant ou pouvant faire l’objet d’un litige, devraient être à l’abri de toute divulgation sans qu’il ne soit nécessaire d’appliquer les critères de Wigmore dans chaque cas. L’employeur a insisté sur le fait que toutes les communications dans le contexte d’un litige en instance ou imminent devraient être protégées et que, dans la présente affaire, il ne faisait aucun doute qu’un litige était envisagé. Selon lui, le même principe devrait s’appliquer également aux communications écrites et orales.

16 L’employeur a fait une analogie avec le privilège du secret professionnel de l’avocat en insistant sur l’importance pour les représentants de l’employeur de pouvoir tenir des discussions en toute franchise et de bénéficier de conseils complets et francs avant de prendre des décisions.

17 Il a fait valoir que, compte tenu du fait que les communications entre les agents de relations de travail devraient être reconnues comme étant confidentielles sur la base d’un privilège de principe, il ne serait pas approprié que j’examine les documents pour déterminer s’ils satisfont aux critères de Wigmore, puisque cela reviendrait à une violation de facto du privilège et colorerait la preuve. L’employeur a ajouté que cet argument devrait également s’appliquer à la communication des documents à l’autre partie. Il a en outre affirmé que communiquer les documents même afin de déterminer si le privilège qu’il invoque s’applique enverrait un message qui jetterait un froid aux collectivités des relations de travail et de la direction de la fonction publique, en leur laissant entendre qu’elles ne pourraient plus échanger d’opinions ni de conseils sur l’emploi ou sur des questions de relations de travail en étant sûres que leurs communications resteraient confidentielles. L’employeur a ajouté que toute allégation que l’employeur invoque à tort le privilège pour refuser de produire des documents, serait tranchée par la Cour fédérale par le biais du dépôt devant cette Cour de l’ordonnance rendue par l’arbitre de grief en vue de la faire exécuter en vertu de l’article 234 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

18 L’employeur a conclu ses arguments en déclarant que, compte tenu de la nature des communications en jeu, le préjudice qu’entraînerait la communication des documents l’emporte sur tous les avantages liés à la recherche de la vérité.

19 L’employeur a invoqué une abondante jurisprudence : Slavutych c. Baker, [1976] 1 R.C.S. 254; Owen Sound General & Marine Hospital v. Ontario Public Service Employees Union, Local 235 (1987), 27 L.A.C. (3d) 193; British Columbia (Ministry of Transportation and Highways) v. British Columbia Government Employees Union, Local 1103 (1990), 13 L.A.C. (4e) 190; Canadian Broadcasting Corp. v. Canadian Union of Public Employees (Broadcast Council) (1991), 23 L.A.C. (4e) 63; University of Manitoba v. University of Manitoba Faculty Association (1994),44 L.A.C. (4e) 226; New Vista Society v. British Colombia Nurses’ Union (1999), 79 L.A.C. (4e) 110; Skandharajah c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), 2000 CRTFP 114; Air Canada v. Air Canada Pilots Association (2002), 113 L.A.C. (4e) 372; Hospital Employees Union v. Communications, Energy and Paperworkers Union, Local 468 (2004), 132 L.A.C. (4e) 66; Centre for Addiction and Mental Health v. Ontario Public Service Employees Union (2004), 133 L.A.C. (4e) 178; Westfair Food Ltd. v. United Food and Commercial Workers, Local 401 (2005), 145 L.A.C. (4e) 82; Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8; St. Elizabeth Home Society v. Hamilton (2008), 89 O.R. (3d) 81; Commissaire à la protection de la vie privée du Canada c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44; Stevens c. Canada, [1998] A.C.F. no 794 (QL); Ayangma c. Conseil du Trésor du Canada (ministère de la Santé), 2006 CRTFP 64; Stevens c. Canada (Premier Ministre), [1997] A.C.F. no 228 (QL); Procureur général du Canada c. Quadrini, 2010 CAF 47.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

20 La fonctionnaire a présenté un point de vue différent de celui de l’employeur. Premièrement, elle a déclaré qu’il faut appliquer les critères de Wigmore pour déterminer si les documents en question doivent être déclarés confidentiels dans les circonstances, et affirmé qu’il n’existe aucune raison de conclure à l’existence d’un privilège de principe.

21 Deuxièmement, elle a soumis qu’il serait complètement injustifié que l’employeur invoque ce prétendu privilège sans que l’arbitre de grief ne puisse examiner les documents pour déterminer s’ils satisfont aux critères de Wigmore. Elle a donc souligné que je devais soit ordonner la communication des documents, soit les examiner avant de rejeter sa demande d’y avoir accès.

22 La fonctionnaire a soutenu que le critère applicable à l’étape de la communication préalable à l’audience est celui de savoir si l’on peut raisonnablement soutenir que les documents réclamés sont pertinents. En l’espèce, elle a soutenu que les documents ne sont pas seulement pertinents, mais qu’ils sont cruciaux pour trancher les griefs. Elle a soutenu qu’ils sont liés à son allégation fondamentale selon laquelle l’employeur n’a pas mené la recherche diligente que l’arbitre de grief lui avait ordonné d’effectuer et qu’il a agi de mauvaise foi. La fonctionnaire a souligné que l’obligation de mener cette recherche découlait de l’ordonnance de M. Mackenzie et que la question fondamentale consiste donc à déterminer si l’employeur s’est conformé à cette ordonnance. Elle a insisté sur le fait que les documents dont elle réclame la production sont des preuves extrêmement probantes d’une importance fondamentale pour le règlement du conflit et qu’il s’ensuit que l’avantage de leur communication l’emporte sur celui de la protection de leur caractère confidentiel.

23 La fonctionnaire a souligné que le refus de lui communiquer les documents saperait l’équité du processus d’arbitrage en l’empêchant de défendre sa thèse.

24 Elle a également fait valoir que compromettre la recherche de la vérité en permettant à l’employeur d’invoquer un privilège pour se soustraire à l’examen de sa conduite risquait d’avoir des effets néfastes sur la collectivité des relations de travail.

25 La fonctionnaire a cité la jurisprudence suivante : Toronto District School Board v. C.U.P.E., Local 4400, [2002] O.L.A.A. No. 992 (QL); Canada Post Corp. v. C.U.P.W. (1994), 43 L.A.C. (4e) 285; Maple Leaf Pork v. U.F.C.W., Local 175 (2002), 112 L.A.C. (4th) 97; University of Saskatchewan v. University of Saskatchewan Faculty Association (2002), 107 L.A.C. (4e) 115; Lakehead District School Board v. Canadian Union of Public Employees, Local 2486 (2001), 96 L.A.C. (4e) 315; Ontario (Ministry of Correctional Services) v. O.P.S.E.U. (1994), 39 L.A.C. (4e) 205; Malaspina University College v. Malaspina College Faculty Association (1996), 53 L.A.C. (4e) 93; Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of Transportation) (2005), 138 L.A.C. (4e) 58; Canada Post Corp. v. C.U.P.W. (1992), 27 L.A.C. (4e) 178; GDX Automotive, a division of GenCorp Canada Inc. v. United Steelworkers of America, Local 455 (2003), 116 L.A.C. (4e) 265; Northern Electric Co. Ltd. v. United Electrical Workers, Local 531 (1970), 1 L.A.C. (2d) 408; Globe and Mail v. Southern Ontario Newspaper Guild (1991), 19 L.A.C. (4e) 440; Provincial Health Services Authority v. P.E.I.U.P.S.E. (2005), 141 L.A.C. (4e) 53; Canada Post Corp. v. C.U.P.W. (1990), 16 L.A.C. (4e) 399; British Columbia v. British Columbia Government and Service Employees’ Union, 2005 BCCA 14; Cromax Drywall Ltd. v. C.J.A., Loc. 675 (2004), 130 L.A.C. (4e) 353.

IV. Motifs

26 Pour les motifs qui suivent, j’estime que les documents en question devraient être communiqués à la fonctionnaire s’estimant lésée.

27 Je vais d’abord me prononcer sur la pertinence des documents. Dans leur ouvrage intitulé Canadian Labour Arbitration (4e édition), Brown et Beatty ont décrit en ces termes les paramètres applicables pour déterminer si une ordonnance de production s’impose :

[Traduction]

3:1400 Communication préalable à l’audience

[…]

[…] la justice naturelle exige que les parties ne se prennent pas par surprise, et c’est pourquoi certains arbitres ont exigé la communication avant l’audience des renseignements et des documents nécessaires pour qu’elles puissent participer correctement à la procédure d’arbitrage des griefs.

[…]

3:1420 Production de documents

La raison pour laquelle il faut produire des documents diffère quelque peu de celle pour laquelle on doit produire des détails, en ce que la production de documents aide une partie à préparer effectivement sa cause, alors que les détails l’informent simplement de la preuve qu’elle devra réfuter…

3:1422 Ordonner la production

Le critère fondamental pour ordonner la production de documents consiste à décider s’ils peuvent être pertinents relativement aux questions en litige. À cet égard, le critère à l’étape de la communication préalable à l’audience consisterait à déterminer si l’on peut prétendre qu’ils sont pertinents ou s’ils sont « potentiellement pertinents ».

[…]

28 Dans Toronto District School Board, l’arbitre Owen Shime a souscrit au principe bien établi selon lequel il faut privilégier une position libérale quant à la production des documents à l’étape préalable à l’audience. Il l’a exprimé en ces termes au paragraphe 24 de sa décision :

[Traduction]

[…]

(iii) Tous les documents dont on peut dire qu’ils sont pertinents ou qui semblent ou paraissent pertinents doivent être produits. Le critère de la pertinence pour les fins de la production avant l’audience est beaucoup plus large et beaucoup moins strict que celui qui s’applique à l’audience même. Un conseil d’arbitrage avant l’audience n’est tout simplement pas en mesure d’imposer des règles précises sur ce qui pourrait être pertinent à l’audience, et il ne devrait pas non plus en imposer.

[…]

29 Dans Malaspina University College, l’arbitre a souligné que [traduction] « […] le fait que [les documents réclamés] sont pertinents ou pas et l’importance [qu’il faut] leur accorder ne sont pas les questions déterminantes à ce stade […] ».

30 Les principales questions que soulèvent les griefs en l’instance sont liées au respect par l’employeur de l’ordonnance lui enjoignant de chercher d’autres postes pour la fonctionnaire. Cette démarche n’a pas permis à l’intéressée d’obtenir un autre emploi dans la fonction publique, et l’employeur l’a licenciée à la fin de la période au cours de laquelle il était censé lui chercher un autre poste. Le principal argument de la fonctionnaire consiste à soutenir que l’employeur ne s’est pas conformé à l’ordonnance de l’arbitre de grief Mackenzie, notamment parce qu’il n’a pas mené sa recherche avec diligence et qu’il a agi de mauvaise foi. Elle allègue donc qu’elle n’a pas été licenciée pour une raison valable et que l’annulation de sa cote de fiabilité était injustifiée. Il existe un lien à priori entre les documents qu’elle réclame et sa position sur le fond de ses griefs. Dans ce contexte, je n’ai aucune difficulté à conclure qu’on peut raisonnablement prétendre que les documents réclamés sont pertinents, parce qu’ils pourraient faire la lumière sur la conduite ou sur les intentions de l’employeur et qu’ils devraient en principe être communiqués à la fonctionnaire. Je conclus par conséquent qu’il existe un lien rationnel entre les questions en jeu et les documents réclamés, et que ces documents satisfont donc au critère applicable, à savoir que l’on peut soutenir qu’ils sont pertinents.

31 Je dois maintenant décider si les documents ne devraient pas être communiqués parce qu’ils sont confidentiels et ce, même s’il est raisonnable de prétendre qu’ils sont pertinents.

32 Le fondement des privilèges et du conflit qu’ils soulèvent avec les autres politiques qui s’y opposent est bien illustré dans les termes suivants par Sopinka, Lederman et Bryant dans The Law of Evidence in Canada, 3e édition, à la page 909 :

[Traduction]

[…]

[…] D’une part, la politique privilégie l’administration de la justice, qui exige que toutes les preuves probantes pertinentes quant aux questions en litige soient présentées à la cour afin qu’elle puisse trancher celles-ci au fond. D’autre part, il peut être dans l’intérêt de la société de préserver et d’encourager des relations et des activités particulières qui existent dans la collectivité en général et dont la viabilité repose sur la confidentialité des communications. Normalement, ces communications ne sont alors révélées à personne à l’extérieur de cette relation.

[…]

33 L’employeur déclare que les communications en matière de relations de travail au sein de la direction sur des questions litigieuses ou potentiellement litigieuses devraient être considérées confidentielles sur la base d’un privilège de principe plutôt que par un privilège fondé sur les circonstances de chaque cas, assujetti aux critères de Wigmore.

34 Dans R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263, la Cour suprême du Canada a décrit en ces termes la différence entre les deux types de privilège, à la page 286 :

[…]

Avant de plonger dans une analyse des questions soulevées dans le présent pourvoi, j’estime qu’il est important de clarifier la terminologie utilisée en l’espèce. Les parties ont eu tendance à établir une distinction entre deux catégories : un privilège prima facie « général » de common law ou un privilège « générique », d’une part, et un privilège « fondé sur les circonstances de chaque cas », d’autre part. Les premiers termes sont utilisés pour désigner un privilège qui a été reconnu en common law et pour lequel il existe une présomption à première vue d’inadmissibilité (lorsqu’il a été établi que les rapports s’inscrivent dans la catégorie) à moins que la partie qui demande l’admission ne puisse démontrer pour quelles raisons les communications ne devraient pas être privilégiées (c.-à-d., pour quelles raisons elles devraient être admises en preuve à titre d’exception à la règle générale). De telles communications sont exclues non pas parce que l’élément de preuve n’est pas pertinent, mais plutôt parce qu’il existe des raisons de principe prépondérantes d’exclure cet élément de preuve pertinent. Les communications entre un avocat et son client paraissent s’inscrire dans le cadre de cette première catégorie (voir : Geffen c. succession Goodman, [1991] 2 R.C.S. 353 et Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821). L’expression privilège « fondé sur les circonstances de chaque cas » est utilisée pour viser des communications à l’égard desquelles il y a une présomption à première vue qu’elles ne sont pas privilégiées (c.-à-d. qu’elles sont admissibles). L’analyse de chaque cas a généralement comporté une application du « critère de Wigmore » (voir précédemment), qui constitue un ensemble des critères pour déterminer si des communications devraient être privilégiées (et, par conséquent, ne pas être admises) dans des cas particuliers. En d’autres termes, l’analyse de chaque cas exige que les raisons de principe d’exclure des éléments de preuve par ailleurs pertinents soient évaluées dans chaque cas particulier.

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original.]

35 Dans cet arrêt, la Cour se prononçait sur un prétendu privilège applicable à des communications religieuses. En refusant de reconnaître un privilège de principe pour ces communications, elle a déclaré ce qui suit à la page 287 du jugement :

[…]

Comme je l’ai mentionné, un privilège prima facie en matière de communications religieuses constituerait une exception au principe général selon lequel tous les éléments de preuve pertinents sont admissibles. À moins que l’on puisse dire que les raisons de principe justifiant l’existence d’un privilège générique en matière de communications religieuses sont aussi sérieuses que les raisons de principe qui sous-tendent le privilège générique en matière de communications entre l’avocat et son client, il n’y a aucun motif de s’écarter du « principe premier » fondamental selon lequel tous les éléments de preuve pertinents sont admissibles jusqu’à preuve du contraire.

[…]

36 À ma connaissance, les communications en matière de relations de travail au sein de la direction n’ont jamais été reconnues comme un privilège de principe, et j’estime que les commentaires de la Cour suprême sur les communications religieuses devraient s’appliquer également aux communications en matière de relations de travail. À cet égard, je n’arrive pas à comprendre que « […] les raisons de principe justifiant l’existence d’un privilège de principe […] » pour les communications entre des agents de relations de travail ou entre des représentants de la direction « sont aussi sérieuses que les raisons de principe qui sous-tendent le privilège générique en matière de communications entre l’avocat et son client […] » dans les circonstances de la présente affaire.

37 Dans Slavutych, la Cour suprême du Canada a reconnu que, sauf dans le cas des privilèges de principe, les tribunaux pouvaient reconnaître les privilèges fondés sur les circonstances de chaque cas et que, pour déterminer si une communication devrait être protégée par un privilège, on devait s’inspirer des principes établis par le professeur américain Wigmore. Les quatre critères de Wigmore sont énoncés comme il suit dans le volume 8 de Wigmore on Evidence, 3e édition (McNaughton Revision, 1961), au paragraphe 2285 :

[Traduction]

[…]

1) Les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées.

2) Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rapports entre les parties.

3)   Les rapports doivent être de la nature de ceux qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment.

4) Le préjudice permanent que subiraient les rapports par la divulgation des communications doit être plus considérable que l’avantage ainsi tiré aux fins d’une juste décision.

[…]

38 Il est établi depuis longtemps que la partie qui se réclame d’un privilège a la charge de prouver que toutes les quatre conditions sont remplies. Il est également reconnu que le décideur doit appliquer les critères et peser les considérations de politique en jeu lorsqu’il examine les circonstances particulières de chaque cas. Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré au paragraphe 39 de Tower c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), 2003 CAF 307 :

[…]

Dans ce cadre, les considérations de politique et les exigences relatives à l’établissement des faits peuvent être pesées et équilibrées suivant l’importance relative qu’elles revêtent dans chaque cas. Par conséquent, il y aurait toujours lieu d’aborder la question du privilège fondé sur les circonstances de chaque cas en s’appuyant sur des principes et en tenant compte de chacun des quatre critères et des circonstances particulières à chaque cas…

[…]

39 Sur la question de l’équilibre que le décideur doit préserver en appliquant le quatrième critère, la Cour suprême a déclaré ce qui suit dans A.M. c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157 :

[…]

20      […] Premièrement la communication doit avoir été transmise confidentiellement. Deuxièmement, le caractère confidentiel doit être essentiel aux rapports dans le cadre desquels la communication est transmise. Troisièmement, les rapports doivent être des rapports qui, dans l’intérêt public, devraient être « entretenus assidûment ». Finalement, si toutes ces conditions sont remplies, le tribunal doit décider si l’intérêt qu’il y a à soustraire des communications à la divulgation l’emporte sur celui qu’il y a à découvrir la vérité et à bien trancher le litige.

[…]

29      La quatrième condition veut que l’intérêt qu’il y a à soustraire les communications à la divulgation l’emporte sur celui qu’il y a à découvrir la vérité et à bien trancher le litige […]

[…]

31      Ces critères, appliqués à la présente affaire, démontrent qu’il y a un intérêt décisif à soustraire à la divulgation les communications en cause. Cependant, il faut plus que cela pour établir l’existence d’un privilège. Pour qu’un privilège existe, il faut démontrer que l’avantage tiré du privilège, si grand qu’il puisse sembler, l’emporte en fait sur l’intérêt qu’il y a à bien trancher le litige.

32      À ce stade, la cour saisie d’une demande de privilège doit soupeser une solution par rapport à l’autre. Il s’agit essentiellement de faire preuve de bon sens et de discernement. Cela dit, il importe de délimiter ce qui est acceptable. Je ne puis, quant à moi, reconnaître qu’il faudrait accepter une « injustice éventuelle » soit le prix à payer pour l’application du privilège. Il est vrai que les catégories traditionnelles du privilège, qui présentent le privilège comme étant absolu, un choix entre tout ou rien, font nécessairement courir le risque qu’une injustice soit éventuellement commise. Mais cela ne veut pas dire qu’en se fondant sur de nouveaux privilèges les tribunaux devraient tolérer à la légère l’accroissement de leur portée […]

33      Il s’ensuit que si la cour qui examine une revendication de privilège décide qu’un document ou une catégorie donnée de documents doivent être produits pour découvrir la vérité et éviter qu’un verdict injuste ne soit prononcé, elle doit en permettre la production dans la mesure requise pour éviter ce résultat […]

[…]

39      Pour déterminer si un privilège devrait être accordé relativement à un document ou à une catégorie de documents et, le cas échéant, à quelles conditions, le juge doit examiner les circonstances dans lesquelles le privilège est invoqué, les documents en cause et l’ensemble de l’affaire […]

[…]

40 L’employeur a déclaré que lorsqu’il doit se prononcer sur une demande de privilège en matière de relations de travail pour des communications au sein de la direction sur un litige en instance ou imminent, l’arbitre de grief ne devrait pas examiner les documents afin de déterminer si le privilège s’applique. Je ne suis pas de cet avis. L’arbitre de grief est tenu d’examiner les documents s’il (ou elle) le juge nécessaire pour déterminer si les quatre conditions requises pour conclure qu’un privilège fondé sur les circonstances de chaque cas sont remplies. Les principes susmentionnés que la Cour suprême a retenus indiquent clairement que le décideur doit tenir compte des circonstances particulières de chaque cas, qui peuvent fort bien l’obliger à examiner les documents. Toutefois, dans la présente affaire, je ne crois pas nécessaire d’examiner les documents pour me prononcer sur l’objection à leur communication, car j’estime que la description qu’en a donnée l’avocat de l’employeur est suffisante (des communications entre des agents de relations de travail ou entre des agents de relations de travail et des représentants de la direction au sujet de la fonctionnaire entre le 8 décembre 2005 (date de la décision de l’arbitre de grief Mackenzie) et le 31 août 2006).

41 Je vais maintenant appliquer chacun des quatre critères aux circonstances de l’affaire.

1. Les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées

42 L’employeur n’a présenté aucune preuve à l’audience, préférant s’en tenir à une déclaration générale de son avocat sur la nature des documents. L’avocat de l’employeur a effectivement déclaré que les documents renferment des éléments de discussions entre des agents de relations de travail et la direction ou entre des membres de la direction au sujet de la fonctionnaire dans le contexte de l’ordonnance de M. Mackenzie et de l’emploi de l’intéressée dans le cadre d’un litige imminent. La fonctionnaire n’a pas contesté cette description. Les descriptions de la nature des documents ne me permettent pas en elles-mêmes de conclure en toute certitude que toutes les communications figurant dans les documents ont été faites avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées. Pour confirmer cette conclusion, j’aurais dû entendre les témoignages des auteurs de ces communications. Toutefois, pour les fins de la présente décision, j’estime qu’il me suffit de conclure que, selon toute vraisemblance, les documents ont été produits avec l’assurance qu’ils resteraient en possession de l’employeur.

2. Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rapports entre les parties

43 En ce qui concerne le deuxième critère, je reconnais que les agents de relations de travail et les représentants de la direction doivent pouvoir tenir des discussions ouvertes en toute franchise sur des situations et des éléments actuellement ou potentiellement litigieux. En ce sens, je reconnais que si les intervenants dans des questions de relations de travail craignent que leurs communications soient divulguées, ils pourraient être plus prudents dans leurs avis et leurs conseils et avoir de la réticence à donner leur point de vue de façon franche.

3. Les rapports doivent être de la nature de ceux qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment

44 La première « collectivité » intéressée dans cette affaire est celle des relations de travail, du côté de l’employeur de la fonction publique. Toutefois, je reconnais avec l’employeur que le principe qu’il tente de faire valoir quant à l’aspect confidentiel des communications en matière de relations de travail devrait s’appliquer également aux communications entre les agents négociateurs et les employés qu’ils représentent.

45 Je reconnais aussi l’importance de ces relations et l’importance pour ces intervenants de pouvoir communiquer librement, ouvertement, franchement et en toute confidentialité. En ce sens, je souscris à la plupart des décisions invoquées par l’employeur. Toutefois, j’estime essentiel de souligner que, dans chacune des décisions qu’il a citées, les questions qui entouraient la communication ou la divulgation ont été tranchées au mérite compte tenu des circonstances factuelles de chaque cas.

46 Par exemple, je souscris aux principes que l’arbitre a énoncés dans British Columbia (Ministry of Transportation & Highways) et aux parallèles qu’il a établis dans les termes suivants :

[Traduction]

[…]

À l’analyse, il m’apparaît que les deux documents dans cette affaire devraient être protégés. Il s’agissait de textes qu’un superviseur avait utilisés pour expliquer comment on avait pris la décision de ne pas accorder de promotion au fonctionnaire. Le premier document avait été rédigé le lendemain du dépôt du grief et le second, juste un peu plus de deux semaines après. Je dirais toutefois que je ne considère pas la date de la rédaction des documents comme cruciale dans ce genre d’affaire, parce qu’un superviseur (ou un représentant syndical) pourrait être appelé à donner des conseils en prévision d’un grief. Une communication de ce genre aurait tout autant le droit d’être protégée qu’une communication qui aurait eu lieu après le dépôt d’un grief. Ce serait une erreur de penser qu’une communication peut être protégée simplement parce qu’elle a lieu après la présentation d’un grief. Il est vrai que, dans le cours normal des choses, la communication faite en préparation d’un arbitrage satisferait invariablement aux « conditions de Wigmore », mais ce n’est pas nécessairement le cas. C’est la nature de la communication qui compte.

[…]

Il serait peut-être utile d’envisager le problème du point de vue du syndicat dans une situation analogue, lorsque le représentant syndical est appelé à conseiller un membre qui a déposé un grief ou qui est sur le point d’en déposer un.

[…]

Il ne serait pas exact de dire que toutes les communications entre un représentant syndical et un fonctionnaire devraient être protégées par ce privilège, mais il est certain que celles sur lesquelles le représentant syndical est consulté par le fonctionnaire quant à ses droits en vertu de la convention collective jouiraient de cette protection. Le fondement même de la procédure de règlement des griefs serait détruit si l’on permettait que des représentants syndicaux soient contraints de divulguer le contenu de ces conversations en les produisant en preuve devant un conseil d’arbitrage.

L’impératif social qui sous-tend le privilège du secret professionnel de l’avocat en common law est le besoin absolu d’honnêteté et de franchise dont l’avocat doit pouvoir faire preuve pour bien conseiller son client et le défendre efficacement. En pareilles circonstances, ce même impératif est manifeste lorsqu’un représentant syndical ou, pour aller un peu plus loin, un non-juriste doit conseiller un syndiqué.

[…]

Dans cette affaire, les deux documents portaient sur les faits sous-jacents au conflit à l’égard duquel le superviseur serait un témoin contraignable devant un conseil d’arbitrage. C’est sur cette base que M. Steeves a soutenu que toute communication entre le superviseur et l’agent de personnel devrait être disponible au moins pour vérifier la crédibilité du superviseur dans son témoignage devant le conseil d’arbitrage.

Il faut sûrement répondre à cette position que cela dépend de la nature de la communication. Il n’y a aucune raison de présumer que l’agent de personnel ne pourrait pas être appelé à donner des conseils au superviseur, essentiellement de la manière que le représentant syndical pourrait en donner à un syndiqué. Toutefois, même si le superviseur n’était tenu de raconter ce qui s’est passé que dans les cas où l’agent de personnel devrait évaluer la viabilité de la thèse de l’employeur dans un conflit avec le syndicat, ou dans les cas où le superviseur pourrait faire des admissions à cet agent contre l’intérêt de l’employeur, ces communications devraient être protégées. L’intérêt de la société consiste à privilégier la franchise entre les superviseurs et ceux qui pourraient devoir composer avec un grief au nom de l’employeur précisément de la même façon qu’un représentant syndical peut être appelé à donner des conseils à un syndiqué. Le superviseur doit être en mesure de communiquer avec la personne qui est responsable du traitement des griefs en ayant une certaine assurance que sa communication restera privée.

[…]

47 Je souscris également aux commentaires suivants, formulés par l’arbitre dans Canadian Broadcasting Corp. :

[Traduction]

[…]

Les circonstances dans lesquelles les notes de service de la direction ont été rédigées dans cette affaire permettent de conclure que leurs auteurs étaient convaincus qu’elles ne seraient pas divulguées. Il s’agissait de rapports préparés par un membre de la direction à l’intention d’un autre qui recommandaient une certaine mesure disciplinaire à l’endroit du fonctionnaire et qui précisaient les raisons de ces recommandations. On pourrait s’attendre à ce que des notes de service de ce genre fassent état des points forts et des points faibles de la thèse de l’employeur dans l’éventualité d’un licenciement […] Jusqu’à la décision de licencier le fonctionnaire, les recommandations n’étaient rien d’autre que des recommandations; elles auraient probablement pu être acceptées telles quelles, acceptées sous réserve de modifications ou rejetées. On peut comprendre que les parties à cette démarche consistant à donner des conseils à la haute direction se seraient attendues à ce que leurs communications restent confidentielles, tout comme un représentant syndical pourrait s’attendre à ce que les conseils qu’il a donnés à un fonctionnaire s’estimant lésé restent confidentiels. Que les communications entre les membres de la direction aient précédé ou suivi le dépôt d’un grief ne semble pas d’importance critique dans ce contexte. Ces discussions ne se déroulent pas en vase clos, et les gestionnaires devraient avoir été conscients de la possibilité qu’un grief soit présenté quand ils ont envisagé la décision de licencier un employé.

[…]

48 Bien que je reconnaisse que les rapports et surtout les communications entre les représentants de la direction ou entre les agents négociateurs et les employés qu’ils représentent doivent être soutenus, les intérêts de ces intervenants doivent toujours être évalués en tenant compte de la nécessité d’assurer la bonne administration de la justice, et c’est la raison d’être du quatrième critère. En outre, dans la présente affaire, j’estime que d’autres rapports sont en jeu, soit ceux qui existent entre l’arbitre de grief et les parties. Il ne faut pas oublier que la question en litige en l’espèce est celle de savoir si les parties se sont conformées à l’ordonnance qu’un arbitre de grief a rendue en vertu de la Loi.

4. Le préjudice permanent que subiraient les rapports par la divulgation des communications doit être plus considérable que l’avantage ainsi tiré aux fins d’une juste décision

49 Je conclus que le quatrième critère est favorable à la communication des documents. Si importants que puissent être les rapports entre les agents de relations de travail et la direction, et bien que je reconnaisse que la communication des documents puisse être préjudiciable à ces rapports, j’estime que le droit de la fonctionnaire à une audience équitable l’emporte sur la nécessité de protéger la confidentialité des communications. Il s’agit ici à mon avis d’un cas où la nécessité d’assurer la bonne administration de la justice l’emporte sur le besoin de protéger à tout prix les communications entre les représentants de la direction et les agents de relations de travail sur des questions de relations de travail.

50 Dans les circonstances particulières de l’affaire, je pense qu’il faut tenir compte de la nature du litige et de la pertinence potentielle des documents. Premièrement, les questions soulevées par les griefs découlent d’une ordonnance d’un arbitre de grief plutôt que de décisions prises par l’employeur à sa propre discrétion. La question à trancher au fond concerne le respect par l’employeur d’une ordonnance rendue par un arbitre de grief, et j’estime important de pouvoir déterminer, en ma qualité d’arbitre de grief, si l’employeur s’est effectivement conformé ou non à cette ordonnance. Cette question est liée à la crédibilité de la procédure de règlement des griefs et au respect des ordonnances rendues par les arbitres de grief.

51 Qui plus est, cette question est importante pour la fonctionnaire, qui a été licenciée. Toutefois, ce que je trouve plus déterminant encore, c’est que les documents sont liés à l’essence des allégations de la fonctionnaire, à savoir que l’employeur ne lui a pas cherché un poste avec diligence et qu’il a agi de mauvaise foi. La fonctionnaire a droit à une audience équitable et elle doit avoir une véritable chance de défendre son point de vue, et les documents qu’elle réclame sont potentiellement pertinents pour des questions pouvant devenir fondamentales pour le règlement du litige.

52 Comme la Cour suprême l’a déclaré dans A.M. c. Ryan, « si la cour qui examine une revendication de privilège décide qu’un document ou une catégorie donnée de documents doivent être produits pour découvrir la vérité et éviter qu’un verdict injuste ne soit prononcé, elle doit en permettre la production dans la mesure requise pour éviter ce résultat ». J’estime que ces principes s’appliquent en l’espèce, puisque la nécessité d’assurer une audience équitable l’emporte sur le besoin de préserver les rapports entre la collectivité de la direction et celle des relations de travail. Je reconnais qu’il y a des circonstances où les principes prédominants de politique sur les relations de travail pourraient avoir le même effet.

53 Dans cette affaire, je conclus par conséquent que l’employeur ne s’est pas acquitté de la charge qui lui incombait de prouver qu’il a satisfait aux critères de Wigmore pour qu’on puisse reconnaître l’existence d’un privilège fondé sur les circonstances du cas.

54 Dans la jurisprudence citée par l’employeur, il est d’ailleurs intéressant de constater que les arbitres ont reconnu que leurs décisions de ne pas ordonner la divulgation des communications auraient pu être différentes si l’on avait allégué la mauvaise foi dans les circonstances.

55 Dans Canadian Broadcasting Corp., l’arbitre avait déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Même si les autres conditions de Wigmore doivent être remplies, le conseil d’arbitrage doit s’efforcer de respecter l’équilibre qu’implique la quatrième condition, en se demandant si la nécessité de rendre une juste décision l’emporte sur l’importance, dans le cadre des relations de travail, de maintenir la confidentialité de ces communications. Ainsi qu’il est indiqué dans la présente décision, l’on peut comprendre que la série de notes de service de la direction pourrait fort bien être pertinente relativement à l’allégation du syndicat selon laquelle l’employeur a agi de mauvaise foi en renvoyant le fonctionnaire. Compte tenu de ce qui a été dit sur la théorie avancée par le syndicat, on peut au moins prétendre que les notes de service sont pertinentes. La pertinence défendable a été jugée déterminante pour décider si certains documents doivent être produits en réponse à une assignation à produire […] mais nous avons dépassé ce stade, puisque les documents ont été remis au syndicat. La question à trancher ici consiste à savoir si les documents devaient être admis en preuve en dépit de leur caractère confidentiel et de leur pertinence contestable pour d’autres fins.

Le syndicat a déclaré qu’il entend démontrer par des témoignages que l’employeur a agi de mauvaise foi. Si je comprends bien la position du syndicat, les notes de service ne lui permettront pas à elles seules de prouver la mauvaise foi, mais elles sont censées être pertinentes à cet égard. Par conséquent, jusqu’à ce que le syndicat avance d’autres preuves à l’appui de son allégation de mauvaise foi (la charge de prouver la mauvaise foi lui incombant), les notes de service ne seront d’aucune utilité particulière au conseil. Si une preuve probante permettant d’établir un fondement factuel à l’appui de l’allégation de mauvaise foi est produite, cependant, il pourrait encore être justifié de se demander si les notes de service doivent être admises en tant qu’éléments pertinents à cet égard. Si l’on en arrive là, il est bien possible que le maintien de la décision d’exclure les notes de service engendre le risque que l’on ne tranche pas le litige comme il se doit. Il faudra encore soupeser l’intérêt pour les relations de travail d’exclure les documents à l’encontre de l’intérêt inverse de trancher le litige comme il se doit. Toutefois, à mon avis, l’on pourra mieux trancher cette question, s’il y a lieu, une fois que la nature des autres éléments de preuve du syndicat sur la question sera devenue claire.

[…]

56 Dans University of Manitoba, l’arbitre Freedman avait lui aussi basé ses conclusions sur les circonstances particulières de l’affaire, comme il suit :

[Traduction]

[…]

[…] Je pense que la relation entre l’Université et ses membres pourrait être sérieusement compromise. On doit se demander si la production des documents aurait un avantage qui l’emporterait sur cet inconvénient. Dans cette affaire, les faits sont loin de démontrer l’existence d’un tel avantage. Je souscris à l’opinion de l’Université que rien dans la preuve qu’on m’a présentée ne laisse entendre qu’il y a eu un parti pris, une motivation répréhensible, de la mauvaise foi ou une importance injustifiée accordée à des critères quelconques. L’on ne m’a absolument rien présenté qui laisse entendre qu’un avantage quelconque résulterait de la production des documents réclamés…

[…]

57 Si j’ai conclu que les documents doivent être communiqués, j’estime cependant que des mécanismes doivent être mis en place afin de réduire au minimum le préjudice qui pourrait être causé aux rapports entre les agents de relations de travail et les représentants de la direction de l’employeur et entre ces représentants de la direction eux-mêmes. Par conséquent, la divulgation des documents est limitée pour le moment à la fonctionnaire et à son représentant, et j’interdis à ces derniers de copier, transmettre ou communiquer ces documents de quelque manière que ce soit ou à toute fin autre que l’arbitrage des présents griefs. En outre, les documents doivent demeurer en la possession exclusive du représentant de la fonctionnaire.

58 Je tiens à ajouter que la présente ordonnance n’équivaut pas à une décision sur l’admissibilité en preuve des documents. Nous sommes au stade de la communication préalable à l’audience, et si la fonctionnaire désire introduire certains de ces documents à l’audience, l’employeur pourra contester leur pertinence. Je terminerai en déclarant que je compte appliquer les mêmes principes pendant l’audience, que les communications en cause soient écrites ou orales.

59 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

60 J’ordonne à l’employeur de communiquer à la fonctionnaire les documents relatifs aux griefs qui vont du 8 décembre 2005 (date de l’ordonnance de l’arbitre de grief Mackenzie) au 31 août 2006 inclusivement (date de la réponse de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs), qu’il avait refusé de lui communiquer en invoquant un prétendu privilège en matière de relations de travail.

61 Il est interdit à la fonctionnaire et aux représentants de son agent négociateur de partager ces documents, de les copier, de les lire, de les transmettre ou de les communiquer de quelque manière ou à quelque fin que ce soit, sauf dans le contexte du présent arbitrage.

62 J’ordonne également que tous ces documents demeurent en la possession exclusive de l’avocat de la fonctionnaire.

Le 29 mars 2010.

Traduction de la CRTFP

Marie-Josée Bédard,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.