Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a présenté deux demandes en vue d’obtenir un congé pour les soins et l’éducation d’enfants d’âge préscolaire, l’un pour une période de quatre mois et l’autre pour une période d’un an - l’employeur a rejeté la demande pour la période de quatre mois, mais il était tenu d’accorder celle pour la période d’un an aux termes de la convention collective - l’employeur a invoqué l’obligation du service continu pour refuser le congé de quatre mois, mais rien ne prouvait que le service continu était entré en ligne de compte pour refuser le congé - la fonctionnaire s’estimant lésée a repris le travail bien avant la fin du congé d’un an - la fonctionnaire s’estimant lésée cherchait à obtenir une déclaration selon laquelle le rejet de la demande de congé de quatre mois constituait une violation des modalités de la convention collective - l’employeur a fait valoir que la question revêtait un caractère théorique, puisque la fonctionnaire s’estimant lésée avait obtenu le congé - l’arbitre de grief a déclaré que le rejet de la demande de congé de quatre mois constituait une violation des modalités de la convention collective. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-05-04
  • Dossier:  166-02-36781
  • Référence:  2010 CRTFP 59

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DEBORAH GARDNER COSTA

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
Gardner Costa c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Patricia H. Harewood, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Philippe Lacasse, avocat

Affaire entendue à Windsor (Ontario),
le 20 avril 2010.
(Traduction de la CRTFP)

Grief renvoyé à l’arbitrage

1 Lorsqu’elle a déposé son grief, Deborah Gardner Costa, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), était inspectrice des douanes au pont Ambassador, à Windsor (Ontario). Elle était employée par les Services des douanes, qui faisaient alors partie de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC). Aujourd’hui, les Services des douanes font partie de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur »). La fonctionnaire était visée par la convention collective signée par l’ADRC et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») pour l’unité de négociation des Services des programmes et de l’administration (la « convention collective ») et venant à échéance le 31 octobre 2003.

2 Le 21 mai 2003, la fonctionnaire a déposé ce grief parce qu’on lui a refusé un congé de quatre mois pour les soins et l’éducation. Elle a allégué que, en refusant de lui accorder pareil congé, l’employeur a violé la clause 41.02 de la convention collective. L’employeur a rejeté le grief aux premier, troisième et dernier paliers de la procédure de règlement des griefs. Les parties ont convenu de renoncer au deuxième palier. Le 29 novembre 2005, la fonctionnaire a renvoyé le grief à l’arbitrage avec l’approbation de l’agent négociateur.

3 Au premier palier de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a rejeté le grief au motif que la convention collective accordait la préférence aux congés annuels ou personnels plutôt qu’à d’autres types de congé. De plus, l’employeur a écrit qu’il ne pouvait autoriser le congé en raison d’obligations contractuelles et de la nécessité d’assurer la prestation de services continus. Au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a réitéré que la demande de congé était rejetée en raison de la nécessité d’assurer la prestation de services continus pendant la haute saison estivale. Au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a de nouveau invoqué les obligations relatives à la prestation de services continus.

4 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’arbitrage de grief doit être décidé conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

Résumé de la preuve

5 Les parties ont produit quatre documents en preuve. La fonctionnaire a témoigné. Elle a appelé Cathy Meloche comme témoin. Au moment de la présentation du grief, Mme Meloche était inspectrice des douanes. Elle était aussi représentante locale de l’agent négociateur. L’employeur a appelé David MacRae à témoigner. Au moment du grief, M. MacRae était directeur de district, Opérations, au pont Ambassador.

6 Le 1er avril 2003, l’employeur a envoyé une directive à tous les employés des Opérations douanières du district de Windsor. Dans cette directive, l’employeur précisait que toutes les demandes de congé présentées avant le 10 mai 2003 pour un congé à prendre entre le 1er juin et le 31 août 2003 seraient accordées en fonction de l’ancienneté.

7 Le 25 avril 2003, la fonctionnaire a présenté une demande de congé pour soins et éducation à prendre du 2 juin au 26 septembre 2003. Cette demande a été rejetée le 2 mai 2003 par la surintendante des douanes Pat Malone. Le 25 avril 2003, la fonctionnaire a également présenté une demande de congé, toujours au titre des soins et de l’éducation, pour la période du 2 juin 2003 au 25 septembre 2004. M. MacRae a approuvé cette demande le 2 mai 2003. Par la suite, la fonctionnaire a demandé à l’employeur de lui permettre de retourner au travail le 9 novembre 2003, ce que l’employeur a accepté.

8 Avant 2003, la fonctionnaire avait obtenu l’autorisation de prendre, pendant l’été, un congé pour les soins et l’éducation de ses trois jeunes enfants. Au moment du grief, les enfants de la fonctionnaire étaient respectivement âgés de 4, 8 et 12 ans. La fonctionnaire a déclaré que c’est la surintendante des douanes Gail Brophy qui l’avait mise au courant du rejet de sa demande de congé de quatre mois en 2003. Comme l’employeur ne pouvait pas refuser un congé de plus d’un an, la fonctionnaire a décidé de présenter ses deux demandes de congé le même jour. Elle a dit avoir clairement fait savoir à l’employeur que sa préférence allait au congé de quatre mois plutôt qu’à celui de plus d’un an. Elle s’est sentie comme forcée de prendre un congé plus long que ce qu’elle souhaitait vraiment.

9 Mme Meloche a témoigné que, bien qu’elle fût une représentante de l’agent négociateur, l’employeur ne lui avait jamais expliqué ce qu’il entendait par « obligations de prestation de services continus ». Par le passé, les demandes de congé de courte durée pour soins et éducation pendant les mois d’été étaient toujours approuvées. Cependant, à partir de 2003, on a commencé à reléguer au dernier rang des priorités d’approbation le traitement des demandes visant ce type de congé.

10 La fonctionnaire était employée à temps partiel, travaillant 15 heures par semaine. Elle effectuait toujours les quarts de nuit, la fin de semaine. Cela lui permettait d’être avec ses enfants pendant la journée. Pendant les mois d’été, l’employeur embauchait de nombreux étudiants pour remplacer les employés en congé annuel. Cependant, la fonctionnaire n’a pas été remplacée pendant son congé de juin à novembre 2003. La fonctionnaire et Mme Meloche ont témoigné que, si cela s’était avéré nécessaire, il aurait été facile pour l’employeur de remplacer la fonctionnaire par un étudiant pendant son congé sollicité de quatre mois pour soins et éducation.

11 M. MacRae a témoigné que, en 2003, c’est à lui qu’il incombait d’approuver les demandes de congé de plus d’un an, tandis que les demandes de congé de moins d’un an étaient approuvées par des surintendants des douanes. Le 2 mai 2003, il a approuvé la demande que la fonctionnaire a présentée pour prendre un congé pour soins et éducation du 2 juin 2003 au 25 septembre 2004. M. MacRae a expliqué qu’il n’a pas eu d’autre choix que d’approuver cette demande compte tenu de ce que stipulait la convention collective. Il a également expliqué que, une fois cette demande approuvée, l’autre demande de congé de quatre mois pour soins et éducation devenait redondante. C’est ainsi qu’on ne l’a pas prise en considération ni analysée et qu’on l’a rejetée. M. MacRae n’a pas vérifié auprès de la fonctionnaire si cette dernière avait une préférence pour l’une ou l’autre de ses deux demandes de congé. Il a précisé qu’on ne l’avait pas consulté au sujet du contenu des trois réponses au grief qu’on avait données à la fonctionnaire.

Résumé de l’argumentation

12 La fonctionnaire a argué que l’employeur avait enfreint l’article 41 de la convention collective en n’étudiant pas et en refusant sa demande de congé pour soins et éducation portant sur la période du 2 juin au 26 septembre 2003. Lorsque cette demande a été transmise à la surintendante Malone, cette dernière n’avait pas reçu l’autre demande de la fonctionnaire portant sur un congé de plus longue durée car c’est à M. MacRae qu’on avait transmis ladite demande. Mme Malone a rejeté la demande de congé qu’on lui avait transmise au motif de l’obligation d’assurer la continuité des services, mais elle n’a jamais justifié en détail sa décision à cet égard.

13 La fonctionnaire a fait valoir qu’elle attachait de l’importance à cette demande de congé car elle avait besoin, cet été-là, d’être à la maison auprès de son enfant d’âge préscolaire et de ses autres enfants. L’employeur n’a même pas pris en considération la demande de congé de la fonctionnaire, même s’il s’était engagé à reconnaître l’importance de ce type de congé aux termes de la clause 41.01 de la convention collective. Aucun équilibre ou compromis n’a été recherché entre les besoins et droits de l’employée et la nécessité, pour l’employeur, d’assurer la continuité des services.

14 La fonctionnaire a soutenu que M. MacRae aurait dû vérifier auprès d’elle si elle privilégiait l’une ou l’autre de ses deux demandes de congé, mais qu’il ne l’avait pas fait. Même si, ainsi que M. MacRae l’a fait valoir, le congé de plus courte durée avait été rejeté au motif que le congé plus long avait été approuvé, l’employeur n’a pas invoqué cette raison pour justifier le rejet du grief. Il a plutôt rejeté la demande de congé au motif qu’il fallait assurer la prestation de services continus.

15 La fonctionnaire a reconnu qu’on lui avait accordé un congé pour l’été 2003. À présent, elle sollicite simplement, de l’arbitre de grief, une déclaration selon laquelle l’employeur a violé la convention collective en rejetant la demande de congé pour soins et éducation qu’elle avait présentée pour la période du 2 juin au 26 septembre 2003.

16 L’employeur a affirmé que cette question était purement théorique puisque la fonctionnaire avait déjà pris un congé pour soins et éducation pendant l’été 2003. Même si l’employeur a refusé sa demande de congé de quatre mois à la fonctionnaire, il lui a accordé un congé de plus longue durée et a accédé à sa demande de retourner au travail début novembre 2003. Il n’y a pas d’autre litige actuel à faire trancher par l’arbitre de grief.

17 Subsidiairement, l’employeur a argué que la fonctionnaire a simultanément présenté deux demandes de congé. Dès lors que l’employeur avait approuvé l’une de ces demandes, l’autre devenait redondante, de sorte que l’employeur n’a pas violé la convention collective en rejetant cette demande.

18 La fonctionnaire m’a renvoyé à Dufour et al. c. Conseil du Trésor (ministère du Développement des ressources humaines), 2004 CRTFP 123. L’employeur m’a renvoyé à Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 et Fording Coal Ltd. v. United Steelworkers of America, Local 7884 (2001), 95 L.A.C. (4e) 78.

Motifs

19 Pour déterminer si l’employeur a enfreint la convention collective en rejetant la demande de congé pour soins et éducation d’une durée de quatre mois que la fonctionnaire a présentée, il me faut examiner les clauses pertinentes de la convention collective, lesquelles se lisent ainsi :

[…]

41.01 Les deux parties reconnaissent l’importance de la possibilité pour l’employé-e d’obtenir un congé non payé pour les soins et l’éducation d’enfants d’âge préscolaire et de soins personnels d’enfants âgés de moins de dix-huit (18) ans.

41.02

a)       L’employé-e bénéficie d’un congé non payé pour veiller personnellement aux soins et à l’éducation de ses enfants d’âge préscolaire (y compris les enfants du conjoint de fait).

b)       Sous réserve des nécessités du service, l’employé-e pourra bénéficier d’un congé non payé pour les soins personnels de ses enfants âgés de moins de dix-huit ans (18) et qui ne sont pas d’âge préscolaire (y compris les enfants du conjoint de fait).

c)       Tout congé accordé en vertu des alinéas a) et b) le sera selon les conditions suivantes :

(i)       l’employé-e en informe l’Employeur par écrit, aussi longtemps à l’avance que possible mais au moins quatre (4) semaines avant le début d’un tel congé, sauf en cas d’impossibilité en raison de circonstances urgentes ou imprévisibles;

(ii)      le congé accordé en vertu du présent article sera d’une durée minimale de trois (3) semaines;

(iii)     la durée totale des congés accordés à l’employé-e en vertu du présent article ne dépassera pas cinq (5) ans pendant la durée totale de son emploi dans la fonction publique;

(iv)     le congé accordé pour une période d’un (1) an ou moins doit être prévu de manière à assurer la prestation de services continus.

41.03 L’employé-e qui est parti en congé non payé peut changer la date de son retour au travail si un tel changement n’entraîne pas de coûts additionnels pour l’Employeur.

[…]

20 La fonctionnaire avait un enfant d’âge préscolaire. Aux termes de la clause 41.02a) de la convention collective, l’employeur devait accéder à la demande de congé de quatre mois de la fonctionnaire si les conditions de la clause 41.02c) étaient remplies. La fonctionnaire a demandé son congé plus de quatre semaines à l’avance (clause 41.02c)(i)), son congé portait sur une période de plus de trois semaines (clause 41.02c)(ii)) et elle n’a pas dépassé la limite de cinq ans applicable à ce type de congé (clause 41.02c)(iii)). La seule autre condition à satisfaire était que le congé soit prévu de manière à assurer la prestation de services continus (clause 41.02c)(iv)).

21 Absolument rien n’a été produit à l’audience pour indiquer que l’approbation du congé de quatre mois aurait empêché l’employeur d’assurer la prestation de services continus. En fait, l’employeur n’a pas remplacé la fonctionnaire lorsqu’elle était en congé de juin à novembre 2003. Qui plus est, s’il y avait eu lieu de remplacer la fonctionnaire, l’employeur aurait pu offrir ces 15 heures par semaine à des étudiants.

22 À la lumière de ces faits, l’employeur n’avait aucune raison de refuser à la fonctionnaire le congé de quatre mois pour soins et éducation qu’elle avait demandé. Cette dernière avait satisfait à toutes les conditions prévues par la convention collective. Je ne suis pas d’accord avec la réponse que l’employeur a faite au grief, laquelle invoquait que la préférence était accordée aux congés annuels et personnels plutôt qu’aux congés pour soins et éducation. Une telle déclaration frise la discrimination fondée sur la situation de famille. Au surplus, l’employeur ne pouvait soutenir que, pour les raisons mentionnées plus haut, l’octroi de ce congé l’aurait empêché d’assurer la prestation de services continus.

23 M. MacRae a témoigné que la demande de congé de quatre mois pour soins et éducation avait été rejetée au motif qu’elle était devenue redondante après l’approbation du congé de plus longue durée. Cependant, la demande de congé de quatre mois n’a pas été refusée par lui mais par Mme Malone, qui n’a pas témoigné à l’audience. C’est la fonctionnaire qui a mis l’employeur au courant de son congé souhaité de quatre mois et du fait que sa préférence n’allait pas à sa demande de congé de plus d’un an. Si le véritable motif du refus du congé de quatre mois avait résidé dans le caractère purement théorique de cette demande après l’approbation du congé de plus longue durée, l’employeur l’aurait mentionné dans ses réponses au grief faites aux premier, troisième et dernier paliers de la procédure de règlement des griefs. Au lieu de cela, il a explicitement invoqué, dans ces réponses, la nécessité d’assurer la prestation de services continus comme motif de refus de la demande de congé de quatre mois et de rejet du grief.

24 Même si l’employeur a approuvé l’octroi, à la fonctionnaire, d’un congé pour soins et éducation en 2003, j’estime que la question que la fonctionnaire a soulevée dans son grief n’est pas purement théorique. Des litiges actuels continuent d’exister entre les parties et ont besoin d’être résolus. En premier lieu, l’employeur ne peut considérer les congés pour soins et éducation comme des congés de deuxième ordre. En second lieu, c’est à mauvais escient que l’argument de la continuité des services a été invoqué pour motiver le rejet du grief. La fonctionnaire n’a même pas été remplacée pendant son congé. Par conséquent, l’employeur a violé la convention collective et la fonctionnaire est en droit d’obtenir de l’arbitre de grief une déclaration voulant qu’une telle violation se soit produite.

25 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

26 Le grief est accueilli.

27 L’employeur a violé la convention collective en refusant d’accéder à la demande de congé pour soins et éducation que la fonctionnaire a présentée pour la période du 2 juin au 26 septembre 2003.

Le 4 mai 2010.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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