Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a prétendu que, pendant une réunion de l’exécutif local, la vice-présidente de l’unité locale l’avait accusé de lui faire des appels téléphoniques obscènes, et que ces déclarations diffamatoires avaient été répétées à d’autres membres de l’unité locale et à son employeur - ces déclarations ont donné lieu à des enquêtes de la police et de l’employeur qui, à ses dires, ont entaché sa réputation - il a déclaré que son agent négociateur a refusé de l’aider à déposer un grief contre l’employeur, au sujet de son manquement à soumettre la vice-présidente à une enquête convenable et à imposer une mesure disciplinaire à cette dernière - le plaignant a déposé une plainte de pratique déloyale de travail en vertu de l’alinéa190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, alléguant que l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) ne lui avait pas assuré une représentation adéquate et équitable - l’AFPC et l’employeur ont refusé de prendre des mesures car ils estimaient qu’il s’agissait d’une affaire syndicale interne - le devoir de représentation équitable ne s’applique pas aux affaires syndicales internes - le plaignant n’a pas produit de pièces justificatives permettant de conclure que son agent négociateur avait agi de mauvaise foi, de manière arbitraire ou de façon discriminatoire en refusant de le représenter dans le cadre d’une procédure de règlement des griefs. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-04-06
  • Dossier:  561-02-114
  • Référence:  2010 CRTFP 52

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

RICK MANGAT

plaignant

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Mangat c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, vice-président

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour la défenderesse:
Debra Seaboyer et Jacquie de Aguayo, Alliance de la Fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 8 juin et le 14 juillet 2006, et le 26 janvier et les 12 et 19 février 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le 8 juin 2006, Rick Mangat (le « plaignant ») a déposé, en vertu de l'alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), une plainte contre le Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada (SEIC), section locale 20949 (la « section locale du SEIC »). Le SEIC fait partie de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). Le 14 juillet 2006, l'AFPC a soulevé dans une lettre plusieurs objections concernant la plainte. À l'origine, je devais statuer sur ces objections lors de l'audition de la plainte. Comme il a été impossible de fixer une audience, j'ai déterminé que la plainte pourrait être tranchée sur la foi d'arguments écrits.

2  M. Mangat a déposé une plainte de pratique déloyale de travail contre la section locale du SEIC, dans laquelle il alléguait que celle-ci avait failli à son devoir de le [traduction] « […] représenter de façon adéquate et équitable […] ». L'article 187 de la LRTFP se lit comme suit :

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.    

3 L'agent négociateur accrédité pour l'unité de négociation du plaignant n'est pas le SEIC, mais l'AFPC. Par conséquent, la défenderesse appropriée dans le cas de la présente plainte est l'AFPC, et non pas le SEIC. La plainte a donc été modifiée pour faire en sorte que l'AFPC soit désignée en tant qu'unique défenderesse.

4 L'AFPC a soulevé les objections suivantes dans sa lettre du 14 juillet 2006 :

[Traduction]

1) le plaignant n'a déterminé aucune mesure corrective aux termes du paragraphe 192(1) de la LRTFP;

2) le plaignant aurait pu déposer un grief de harcèlement auprès de Service Canada (l’« employeur »), ce qui ne nécessite pas l'approbation de l'agent négociateur;

3) le plaignant aurait pu recourir à la procédure de règlement interne des plaintes de l'AFPC (l’« agent négociateur »), mais il ne l'a pas fait.

5 La plainte de M. Mangat comporte des allégations visant une personne qui est expressément nommée, mais qui n'est pas désignée à titre de défenderesse. M. Mangat a également mentionné plusieurs autres personnes dans ses arguments écrits. Étant donné que ces allégations n'ont pas été prouvées, je n'ai pas inclus le nom de ces personnes dans la présente décision.

6 M. Mangat était représenté par un avocat lorsqu'il a déposé sa plainte, laquelle a été préparée par l'avocat. M. Mangat s'est représenté lui-même dans le cadre de tous les autres échanges de lettres avec la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP).

II. Contexte

7 Le plaignant a formulé les allégations factuelles suivantes dans sa plainte :

[Traduction]

1) La vice-présidente de la section locale du SEIC a mentionné, lors d'une réunion du Comité exécutif de la section locale, que M. Mangat lui avait fait des appels obscènes et qu'il avait laissé des messages obscènes sur son répondeur, à son domicile.

2) Ces « déclarations diffamatoires » ont été répétées à d'autres membres de la section locale du SEIC ainsi qu'à l'employeur de M. Mangat.

3) Les déclarations de la vice-présidente ont entraîné la tenue d'une enquête policière et ont amené l'employeur de M. Mangat à faire enquête également.

4) La réputation de M. Mangat a été entachée par les agissements de la vice-présidente et de l'employeur.

8 Le plaignant a également indiqué dans sa plainte qu'il avait porté l'affaire à l'attention de la section locale du SEIC [traduction] « […] en vue de déposer un grief contre l'employeur relativement à l'enquête que celui-ci a menée et au fait qu'il n'a pas réprimandé [la vice-présidente de la section locale du SEIC] ». Il a soulevé cette question auprès de la section locale du SEIC le 23 novembre 2005 ou vers cette date, et celle-ci l'a informé le 8 mars 2006 qu'elle ne donnerait pas suite à la « plainte ».

9 Le plaignant n'a pas rempli la section de la formule de plainte (formule 16) dans laquelle on doit inscrire les mesures prises en vue de résoudre l'affaire (case 8). Il n'a pas non plus rempli la section dans laquelle on doit indiquer les mesures correctives demandées (case 9).

10 L'AFPC a indiqué dans sa lette du 14 juillet 2006 à la CRTFP que l'employeur a informé le plaignant, en décembre 2005, qu'on allait mettre fin à l'enquête relative à sa plainte contre la vice-présidente de la section locale du SEIC parce qu'il n'y avait pas suffisamment d'information et que l'employeur considérait qu'il s'agissait d'une affaire de régie interne du syndicat.

11 Dans sa lettre du 14 juillet 2006, l'AFPC a mentionné [traduction] qu’« […] il n'est pas encore certain que le plaignant a effectivement déposé une plainte interne au syndicat ». L'AFPC a également inclus dans sa correspondance une copie de sa politique et de ses lignes directrices internes en matière de lutte contre le harcèlement (Déclaration de principes 23B - Politique de l'AFPC contre le harcèlement : en milieu syndical; lignes directrices pour sa mise en œuvre) (la « Politique de l'AFPC contre le harcèlement »).

A. Questions relatives aux arguments écrits

12 Le 4 novembre 2009, j'ai demandé au plaignant et à la défenderesse de fournir des arguments concernant les questions suivantes :

[Traduction]

 1. Quelles ont été les mesures prises par le plaignant en vue de résoudre l'affaire donnant lieu à la plainte avant le dépôt de celle-ci en juin 2006? (Case 8 de la formule de plainte.) 

2. Quelle est la mesure de redressement demandée en vertu du paragraphe 192(1) de la Loi? (Case 9 de la formule de plainte.)

3. Quelle est la réponse du plaignant aux arguments sur la compétence de la Commission que comportait la lettre de la défenderesse datée du 14 juillet 2006? Plus particulièrement :

    a) Le plaignant a-t-il déposé une plainte interne au syndicat?

    b) La défenderesse allègue que le plaignant a eu la possibilité de déposer un grief contre l'employeur et qu'un tel grief ne nécessitait pas l'approbation de l'agent négociateur.

    c) La défenderesse soutient que le plaignant n'a pas épuisé les mécanismes de redressement internes à sa disposition, alors qu'il aurait dû le faire.

4. Je demande qu'on me soumette d'autres arguments indiquant en quoi la défenderesse a agi de mauvaise foi ou de façon arbitraire ou discriminatoire au sens de l'article 190 de la LRTFP.

B. Information présentée subséquemment

13 Le plaignant a inclus dans ses arguments écrits de l'information supplémentaire concernant les événements ayant donné lieu à sa plainte. Il a également déposé plusieurs documents. J'ai résumé l'information pertinente comme suit.

14  Le plaignant a déposé une plainte interne contre l'AFPC le 23 novembre 2005, dans laquelle il a allégué que la vice-présidente de la section locale du SEIC a [traduction] « abusé de son pouvoir […] en usant de son autorité pour tenir des propos injurieux à mon endroit afin de compromettre mon emploi et mon intégrité ». Il a également allégué qu'elle a eu un comportement contraire à l'éthique et que ses commentaires ont fait en sorte de créer un [traduction] « […] milieu de travail hostile et malsain ». Il a allégué en outre que le président de la section locale du SEIC a agi de façon partiale et non professionnelle. M. Mangat a mentionné dans sa plainte à l'AFPC qu'il a demandé que l'agent négociateur et l'employeur prennent des mesures disciplinaires contre la vice-présidente de la section locale du SEIC. 

15 La plainte interne a été renvoyée au vice-président national du SEIC aux fins d'examen. Conformément à la politique sur les plaintes, la plainte a été soumise à une personne, qui avait déjà représenté le SEIC et l'AFPC, afin qu'elle fasse enquête. L'enquêteur a recommandé qu'aucune autre mesure ne soit prise par le SEIC. Le 8 mars 2006, le vice-président national du SEIC a informé le plaignant qu'aucun motif ne justifiait l'établissement d'un comité d'examen pour entendre la plainte.

16 Le plaignant a également déposé une plainte de harcèlement aux termes de la politique de l'employeur sur la prévention du harcèlement en milieu de travail. Le 10 février 2006, il a reçu du directeur exécutif régional, W.R. Ross, une réponse à sa plainte. M. Ross a rejeté la plainte parce qu'elle portait sur une affaire de régie interne du syndicat. Il a mentionné que l'employeur ne pouvait faire enquête sur les questions de régie interne du syndicat ou sur les agissements des personnes lorsqu'elles s'acquittent de leurs fonctions syndicales. Il a laissé entendre que M. Mangat pourrait se prévaloir de recours par l'entremise de son agent négociateur, si tel était son souhait.     

III. Résumé de l'argumentation

17 Les arguments écrits de la défenderesse et du plaignant ont été versés au dossier de la CRTFP, et je les ai résumés.

A. Pour le plaignant

1. Mesures prises par le plaignant aux fins de règlement (case 8)

18 Le plaignant a indiqué qu'il avait pris [traduction] « toutes les mesures raisonnables » en vue de résoudre l'affaire ayant donné lieu à la plainte. Il a mentionné qu'il avait d'abord informé son chef d'équipe et son gestionnaire des questions qui le préoccupaient et qu'à plusieurs reprises il leur avait dit que l'affaire était urgente et devrait être [traduction] « traitée promptement ». Il a ensuite soumis la question à plusieurs responsables de la section locale du SEIC, en premier lieu à un représentant de l'agent négociateur, et en dernier lieu au président national du SEIC. Il a également parlé avec le président de la section locale du SEIC. M. Mangat indique que tous ces responsables ont refusé de donner suite à ses préoccupations.

19 Le plaignant a mentionné qu'il a demandé à la direction et au président de la section locale du SEIC qu'on ait recours à la médiation, ce qui lui a été refusé par les deux. M. Mangat soutient qu'il a continué à faire l'objet de harcèlement après qu'il eut informé les représentants de la direction et de l'agent négociateur de la situation.

2. Mesure corrective demandée en vertu du paragraphe 192(1) de la Loi (case 9)

20 Le plaignant demande qu'on ordonne que les responsables syndicaux visés dans la présente affaire ne puissent plus agir à titre de représentants. Il a mentionné que ces personnes n'ont pas tenté de mettre fin au harcèlement et qu'ils [traduction] « devraient rendre des comptes à ce sujet ».

21 Le plaignant demande également qu'on le mute à un autre ministère. Il a indiqué qu'il a essayé plusieurs fois d'être muté, mais que ses efforts sont restés vains. Il a allégué qu'il avait été [traduction] « placé sur une liste noire » et que des chefs d'équipe lui ont dit qu'il ne pourrait plus profiter de possibilités d'avancement professionnel parce qu'il avait déposé une plainte.

3. Recours interne du SEIC et grief

22 Le plaignant a mentionné qu'il a présenté une [traduction] « plainte syndicale interne » à son organisme, Service Canada. Il a indiqué que les représentants syndicaux l'ont informé que le syndicat ne l'appuierait pas au sujet de sa plainte et, en outre, qu'il ne pouvait déposer de grief contre un autre membre de l'unité de négociation.

23 Le plaignant a déclaré qu'il a déposé un grief contre l'employeur. Les documents fournis montrent qu'il a déposé une plainte de harcèlement auprès de l'employeur, au lieu d'un grief.

24 Le plaignant a mentionné qu'il a épuisé tous les mécanismes de redressement internes en vue de régler l'affaire, et que les représentants de l'agent négociateur [traduction] « […] se sont purement et simplement joints à l'autre partie et se sont comportés de façon préjudiciable envers [lui] et à l'égard de [ses] inquiétudes, car la plainte portait sur un responsable syndical ».

4. Allégations selon lesquelles on a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi  

25 Le plaignant a soutenu que l'AFPC a agi « de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi » (article 187), pour les raisons suivantes :

[Traduction]

Je n'ai pas eu droit à une procédure juste et équitable ni à aucune aide des représentants syndicaux en vue de résoudre l'affaire. Tous les représentants syndicaux se sont joints à l'autre partie et ont permis que le harcèlement se poursuive. Le syndicat et la direction ont été informés du fait que le milieu de travail était devenu malsain, et ils ont laissé la situation se détériorer et permis que les comportements répréhensibles continuent. L'employeur et le syndicat n'ont pas tenu compte des dommages émotionnels, psychologiques et physiques que j'ai subis en raison du harcèlement. Mes inquiétudes n'ont été entendues ni par l'employeur ni par les représentants syndicaux, même si je leur ai indiqué très clairement que la situation était grave et que je leur ai fait part de l'ampleur des effets négatifs qu'avait l'incident sur moi, effets qui se font sentir encore aujourd'hui.

B. Pour la défenderesse

1. Mesures prises par le plaignant aux fins de règlement (case 8)

26 L'AFPC a soutenu que le plaignant n'a pas pris de mesures qui auraient permis de résoudre la plainte. Plus particulièrement :

[Traduction]

  • Il n'a pas interjeté appel auprès du Comité exécutif de l'AFPC après qu'on eut conclu que sa plainte au syndicat [contre la vice-présidente] était sans fondement.
  • Il n'a pas déposé de grief contestant la façon dont l'employeur avait traité la situation, même s'il n'avait pas besoin de l'appui du syndicat pour présenter un tel grief.
  • Le syndicat ne sait pas avec certitude s’il a effectivement présenté une plainte officielle de harcèlement aux termes de la politique de l'employeur sur le harcèlement, un droit dont il aurait également pu se prévaloir.

27 L'AFPC a soumis que, en vertu de la LRTFP, le plaignant devait « prendre toutes les mesures raisonnables » pour résoudre l'affaire. Les mesures susmentionnées étaient raisonnables, et le plaignant était tenu de les prendre avant de déposer une plainte.

2. Mesure corrective demandée en vertu du paragraphe 192(1) de la Loi (case 9)

28 L'AFPC a fait valoir qu'un commissaire n'a pas compétence pour ordonner qu'on démette des personnes de leurs fonctions syndicales. L'un des représentants nommés est un employé du SEIC et ne relève pas de la compétence de la CRTFP. Les autres représentants ont été élus aux fonctions qu'ils occupent. Les élections constituent un processus interne de l'agent négociateur, et un commissaire n'a pas compétence pour annuler le résultat d'une élection ou pour ordonner qu'on démette un représentant de ses fonctions.

29 L'AFPC a soutenu que la demande de mutation du plaignant relevait de la responsabilité de l'employeur, et non pas de celle du syndicat.

3. Recours interne du syndicat et grief

30 L'AFPC a indiqué que la déclaration du plaignant selon laquelle il a déposé une plainte à la direction ne revenait pas à déclarer qu'il avait présenté une plainte interne à l'AFPC. Le plaignant a présenté une plainte à l'AFPC, et celle-ci a suivi sa procédure de recours interne, mais le plaignant n'a pas interjeté appel auprès du Comité exécutif de l'AFPC concernant la conclusion du président national, comme le prévoit la politique de l'AFPC.

31 L'AFPC a soutenu que le plaignant n'a pas déposé de grief contre l'employeur. Il a plutôt présenté une plainte de harcèlement pratiquement identique à la plainte soumise au syndicat. La plainte présentée à l'employeur ne constituait pas un grief [traduction] « […] portant sur le résultat de l'enquête de l'employeur concernant son allégation de harcèlement ».

32 L'AFPC a fait valoir que le plaignant n'a pas répondu à la question consistant à savoir s'il avait épuisé tous les recours possibles et n'a pas prouvé qu'il avait épuisé ces recours.

4. Allégations selon lesquelles on a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi 

33 L'AFPC a soutenu qu'à aucun moment elle n'a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Elle a mentionné que les procédures et processus internes ont été suivis et [traduction] « que la situation découlait simplement du fait que M. Mangat était mécontent du résultat de sa plainte ».

C. Réponse du plaignant

34 Le plaignant a soutenu qu'il a été harcelé au sens de la Politique de l'AFPC contre le harcèlement. Il a également mentionné que l'enquête menée par l'agent négociateur était viciée.

35 Le plaignant a indiqué qu'on ne l'a pas informé de son droit d'interjeter appel auprès du Comité exécutif de l'AFPC.

36 Le plaignant a mentionné que la documentation fournie a clairement montré qu'il avait fait part de ses préoccupations concernant le harcèlement dont il faisait l'objet et des répercussions qu'avait ce comportement sur lui-même et sur sa carrière.    

IV. Motifs

37 Pour les motifs exposés ci-après, j'ai conclu que la plainte, selon les détails fournis par le plaignant dans ses arguments, n'a pas fait la preuve d'un manquement au devoir de représentation équitable et qu'elle doit donc être rejetée.     

38 Le plaignant n'a mentionné aucune mesure corrective lorsqu'il a soumis sa plainte (case 9 de la formule de plainte). On pourrait toutefois déduire du libellé de la plainte qu'il demandait à être représenté par l'AFPC au sujet d'un grief. Il a par la suite ajouté deux mesures correctives : qu'il soit muté, et que certains représentants soient démis de leurs fonctions. Selon moi, la plainte n'aurait pas dû être acceptée tel qu'elle a été déposée, parce qu'elle ne comportait aucune mesure corrective. Les défendeurs ont le droit de savoir quelles sont les mesures correctives demandées par les plaignants. La plainte a toutefois été acceptée par la CRTFP, puis modifiée en vue d'inclure les mesures correctives demandées. Étant donné la conclusion à laquelle je suis arrivé concernant le bien-fondé de la plainte, je n'ai pas à traiter les arguments de la défenderesse au sujet de la compétence de la Commission pour ordonner la prise des mesures correctives demandées.  

39 Dans sa plainte originale, le plaignant n'a pas indiqué les mesures prises pour résoudre l'affaire (case 8 de la formule de plainte). Cette omission n'est pas aussi grave que le fait de ne pas avoir mentionné de mesure corrective. Il n'y a aucune exigence générale précisant qu'un plaignant doit prendre des mesures pour résoudre une affaire avant de déposer une plainte en vertu de l'alinéa 190(1)c). Cette obligation s'applique uniquement lorsque les plaintes ont trait à la suspension ou à l'expulsion d'un fonctionnaire d'une organisation syndicale, ou à la prise de mesures disciplinaires contre un fonctionnaire par une organisation syndicale (alinéas 188b) et c)). La formule n'établit pas de distinction claire entre les diverses dispositions de la LRTFP, et je comprends que la défenderesse puisse voir cela comme un problème. Je traite ci-après de la pertinence de l'information soumise par le plaignant concernant les mesures qu'il a prises.       

40 Le plaignant a soulevé des allégations visant l'employeur dans sa plainte. La plainte a été déposée contre l'AFPC. La Commission ne peut traiter des allégations visant un employeur contenues dans une plainte déposée contre un agent négociateur.

41 Le plaignant allègue que la défenderesse a failli à son devoir de le [traduction] « représenter de façon adéquate et équitable », au sens de l'article 187 de la LRTFP, qui interdit à une organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d'agir de « […] manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation […] » d'un fonctionnaire. Selon le plaignant, l'AFPC aurait dû le représenter relativement à un grief devant être déposé contre l'employeur parce que celui-ci n'a pas mené une enquête adéquate sur des questions en litige et n'a pas pris de mesures disciplinaires contre une employée (qui était également membre de l'agent négociateur).

42 Dans le cas d'une plainte relevant de l'article 187 de la LRTFP, le fardeau de la preuve incombe au plaignant. En d'autres termes, il revient au plaignant de soumettre une preuve permettant d'établir que l'agent négociateur a failli à son devoir de représentation équitable (Ouellet c. Luce St-Georges et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 107).       

43 Lorsqu'il s'agit d'une plainte portant sur le devoir de représentation équitable, le rôle de la Commission consiste à déterminer si l'agent négociateur a agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire en matière de représentation du plaignant. La Commission ne détermine pas si l'agent négociateur a pris de bonnes décisions concernant son choix de représenter ou non le plaignant ou concernant la façon de le représenter. L'agent négociateur dispose d'un pouvoir discrétionnaire considérable pour ce qui est de décider s'il va représenter un fonctionnaire au sujet d'un grief et d'établir la façon dont il va traiter un grief. La portée du pouvoir discrétionnaire d'un agent négociateur a été fixée par la Cour suprême du Canada (la « CSC »), dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et al., [1984] 1 R.C.S. 509, page 527. La CSC a décrit l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire par l'agent négociateur lorsque celui-ci décide de renvoyer ou non un grief à l'arbitrage, mais les principes énoncés s'appliquent de la même façon à la décision de représenter ou de ne pas représenter un fonctionnaire relativement à un grief :

[…]

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4.  La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

44 La Cour d'appel fédérale a conclu que, pour prouver qu'il y a eu manquement au devoir de représentation équitable, le plaignant doit convaincre la Commission que les investigations menées par l'agent négociateur au sujet du grief « étaient juste pour la forme » (International Longshore and Warehouse Union c. Empire International Stevedores Ltd., 2000 CanLII 16578 (C.A.F.)). Il revient à l'agent négociateur de décider des griefs qu'il traite et de ceux qu'il ne traite pas. Pour prendre ces décisions, l'agent négociateur peut se fonder sur les ressources et les besoins de l'organisation syndicale dans son ensemble (Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13). Ce processus décisionnel de l'agent négociateur a été décrit comme suit dans Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2003 CanLII 62912 (BC L.R.B.) :  

[Traduction]

[…]

42. Lorsqu’un syndicat décide de ne pas poursuivre un grief pour des considérations pertinentes concernant le lieu de travail – par exemple, vu son interprétation de la convention collective, vu l’effet sur d’autres fonctionnaires ou vu son évaluation selon laquelle le fondement du grief n’est pas suffisant – il accomplit son travail consistant à représenter les fonctionnaires. Le fonctionnaire en cause, dont le grief a été abandonné, peut estimer que le syndicat ne le « représente » pas. Toutefois, décider de ne pas poursuivre un grief en se basant sur ces genres de facteurs est une partie essentielle du travail syndical consistant à représenter les fonctionnaires dans leur ensemble. Quand un syndicat agit en se fondant sur des considérations se rapportant au lieu de travail ou à son travail de représentation des fonctionnaires, il est libre de déterminer la meilleure voie à suivre, et une telle décision n’équivaut pas à une violation du [devoir de représentation équitable].

[…]

45 M. Mangat souhaitait que l'agent négociateur le représente relativement au dépôt d'un grief contre l'employeur parce que celui-ci n'a pas effectué une enquête adéquate sur un différend l'opposant à des membres de la direction de la section locale du SEIC et qu'il avait omis de prendre des mesures disciplinaires contre l'un des membres de la direction de la section locale. L'employeur a reçu de M. Mangat une plainte de harcèlement et a déterminé que, de son point de vue, il s'agissait d'une affaire de régie interne du syndicat. Il n'y a aucune raison de croire que l'employeur aurait eu un avis différent sur un grief qui aurait été essentiellement identique à la plainte de harcèlement. Un grief de cette nature n'aurait pu être renvoyé à l'arbitrage parce qu'aucune mesure disciplinaire n'a été imposée et qu'il n'y a pas eu allégation de violation de la convention collective.

46 La plainte présentée à l'AFPC au moyen d'une procédure interne de plainte n'est pas directement pertinente à la plainte dont je suis saisi, parce que le devoir de représentation équitable ne s'applique pas aux affaires de régie interne d'un syndicat. Le fait que l'AFPC ait effectué une enquête au sujet de la plainte dans le cadre de sa politique syndicale interne sur le harcèlement montre bien que, pour elle, il s'agissait d'une affaire de régie interne.         

47 Le plaignant n'a pas soumis d'arguments à l'appui de sa conclusion selon laquelle l'agent négociateur a agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire en refusant de le représenter au sujet d'un grief visant à contester les agissements de l'employeur. Tant pour l'employeur que pour l'agent négociateur, les événements en question relevaient de la régie interne du syndicat. L'agent négociateur est parvenu à cette conclusion sans agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi.               

48 En conclusion, le plaignant n'a montré ni dans sa plainte ni dans ses arguments comment la décision qu'a prise l'agent négociateur de ne pas le représenter au sujet d'un grief portant sur une affaire de régie interne du syndicat pourrait être perçue comme un manquement à son devoir de représentation équitable.             

49 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

50 La plainte est rejetée.

Le 6 avril 2010.

Traduction de la CRTFP

Ian R. Mackenzie,
vice-président

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