Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée, qui occupait le poste d’agente correctionnelle, a contesté son renvoi en cours de stage, alléguant qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire déguisée, d’un subterfuge et d’une décision prise de mauvaise foi - l’employeur a contesté la compétence de l’arbitre de grief pour entendre et trancher le grief, puisque les renvois en cours de stage sont visés à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) et que l’article211 de la LEFP fait obstacle au renvoi à l’arbitrage de griefs contestant ce type de mesure - l’évaluation semestrielle du rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée indiquait qu’elle n'atteignait pas trois des cinqobjectifs de son poste - elle a signé son évaluation et a été avisée dans les termes les plus nets qu’elle risquait d’être renvoyée en cours de stage si son rendement ne s’améliorait pas - la fonctionnaire s’estimant lésée a ensuite été prise par son superviseur à dormir durant son quart du matin, un fait qu’elle a contesté sans toutefois déposer un grief - l’arbitre de grief a conclu qu’il n’y avait pas de preuve que la fonctionnaire s’estimant lésée avait été renvoyée pour des motifs n’ayant aucun lien avec son emploi - l’arbitre de grief a déclaré qu’il n’avait pas le pouvoir de décider si l’employeur était fondé à renvoyer la fonctionnaire s’estimant lésée - il a conclu que l’employeur avait démontré qu’il avait renvoyé la fonctionnaire s’estimant lésée pour des motifs liés à l’emploi et que celle-ci n’avait pas prouvé que le renvoi était un subterfuge ou avait été décidé de mauvaise foi - pour ce motif, l’arbitre de grief a statué qu’il n’avait pas compétence pour entendre et trancher le grief. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-03-18
  • Dossier:  566-02-2854
  • Référence:  2010 CRTFP 39

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DIANA BILTON

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Bilton c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Pour l'employeur:
Harvey Newman, avocat

Affaire entendue à Abbotsford (Colombie-Britannique),
du 2 au 4 mars 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Diana Bilton, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») était agente correctionnelle pour le Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l’« employeur ») à l’établissement de la vallée du Fraser. Son poste était classifié au niveau CX-02. Après avoir suivi le programme de formation correctionnelle, la fonctionnaire a été nommée à son poste le 14 avril 2008. Elle a été recrutée de l’extérieur de la fonction publique. Lors de son embauche, elle a été informée officiellement qu’elle serait en période de stage pendant 12 mois à compter de la date de sa nomination. Le 16 février 2009, l’employeur lui a annoncé qu’elle était renvoyée en cours de stage, qu’elle était immédiatement libérée de sa charge et qu’elle continuerait d’être rémunérée jusqu’au 16 mars 2009.

2 La fonctionnaire a contesté la décision de l’employeur de la renvoyer en cours de stage, le 18 février 2009. Dans son grief, elle a déclaré que son renvoi en cours de stage était une mesure disciplinaire déguisée, un subterfuge et un camouflage, et qu’il avait été fait de mauvaise foi.

3 Le 28 septembre 2009, l’employeur a informé la Commission des relations de travail dans la fonction publique qu’il s’opposait à ce qu’un arbitre instruise le grief. En vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), un arbitre de grief ne peut pas trancher un grief concernant un renvoi en cours de stage parce que ce type de renvoi est visé par la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la « LEFP »). Le 20 novembre 2009, la fonctionnaire a répondu que l’objection de l’employeur n’était pas fondée et qu’elle devrait être autorisée à produire la preuve sur le bien-fondé de son grief.

4 À l’audience, j’ai étudié l’objection soulevée par l’employeur. Les parties ont convenu de présenter leur preuve et leurs arguments concernant l’objection et le bien-fondé du grief. 

II. Résumé de la preuve

5 La fonctionnaire a produit 18 documents en preuve, et l’employeur en a produit cinq. La fonctionnaire a témoigné. L’employeur a appelé à témoigner Thelma Llewellyn et Leanne Doyle. Mme Llewellyn est gestionnaire correctionnelle à l’établissement de la vallée du Fraser. Elle était la surveillante de la fonctionnaire. Entre janvier et mars 2009, Mme Doyle occupait le poste de directrice par intérim de l’établissement de la vallée du Fraser. Elle a signé la lettre de renvoi de la fonctionnaire.

6 Après avoir suivi le programme de formation correctionnelle au Collège du personnel du SCC et deux semaines de familiarisation en cours d’emploi, la fonctionnaire a été nommée comme intervenante de première ligne à l’établissement de la vallée du Fraser au sein du groupe et au niveau CX-02, le 14 avril 2008. Le 7 avril 2008, elle a accepté l’offre d’emploi de l’employeur, du 4 avril 2008, qui précisait qu’elle serait en période de stage pendant 12 mois suivant la date de sa nomination. La surveillante de la fonctionnaire était la gestionnaire correctionnelle Llewellyn, mais la fonctionnaire relevait au quotidien du gestionnaire correctionnel qui était en poste lorsqu’elle travaillait.

7 Le 5 octobre 2008, l’employeur a remis à la fonctionnaire un rapport d’évaluation de rendement semestrielle pour la période se terminant le 30 septembre 2008. La fonctionnaire ne satisfaisait pas à trois des cinq objectifs de son poste. Mme Llewellyn a appuyé son évaluation sur quatre entrées « Gen Pac ». Une entrée Gen Pac est un rapport habituellement rempli par un gestionnaire correctionnel qui fait état des faiblesses ou des échecs particuliers d’un employé. À l’occasion, un rapport Gen Pac est produit pour souligner une réalisation positive. Lorsqu’ils sont remplis, ces rapports sont envoyés aux employés visés et sont affichés dans un système auquel peuvent accéder l’ensemble des gestionnaires correctionnels en tout temps.

8 Le 4 mai 2008, la fonctionnaire procédait au dénombrement des détenues pendant la nuit dans le secteur de sécurité minimale ou moyenne avec deux autres intervenantes de première ligne. Elle a été la première à entrer dans une maison où vivaient quelques détenues. Une des détenues qui se tenait cachée dans le noir a bondi près de la fonctionnaire lorsque celle-ci est passée devant elle. La fonctionnaire a été surprise. Les deux autres intervenantes de première ligne et les détenues résidant dans la maison se sont mises à rire. La fonctionnaire n’a pas porté une accusation contre la détenue en raison de son comportement. Elle n’a pas rempli de rapport d’observation relativement à l’incident, pas plus que les deux autres intervenantes de première ligne. La fonctionnaire a perçu l’incident comme une forme d’initiation pour les nouveaux employés étant donné que, après coup, les deux autres intervenantes de première ligne se sont exclamées [traduction] « félicitations, tu es maintenant une des nôtres ». Le 10 mai 2008, le gestionnaire correctionnel Ritsco a informé Mme Llewellyn de l’incident du 4 mai 2008. Le 11 mai 2008, Mme Llewellyn a rencontré la fonctionnaire pour discuter de l’incident. Le 13 mai 2008, Mme Llewellyn a rempli un rapport d’observation concernant l’incident et sa discussion avec la fonctionnaire. Une enquête a été lancée par la suite sur ce qui s’était passé le 4 mai 2008, et la fonctionnaire a été critiquée dans un rapport Gen Pac, daté du 19 août 2008, parce qu’elle n’a pas rempli de rapport d’observation à la suite de l’incident du 4 mai.

9 Le 2 juin 2008, la fonctionnaire a été critiquée dans un rapport Gen Pac pour avoir dépassé de 52 minutes la limite de deux heures pour effectuer les rondes dans les unités résidentielles de l’établissement de la vallée du Fraser. Ce jour-là, la fonctionnaire effectuait les rondes avec une intervenante de première ligne expérimentée qui a également été critiquée dans un Gen Pac pour avoir effectué une ronde en retard au cours de cette journée. La fonctionnaire a déclaré avoir effectué des centaines de rondes à l’établissement de la vallée du Fraser et que cette ronde est la seule pour laquelle elle a reçu un Gen Pac.

10 Le 17 juin 2008, la fonctionnaire a été critiquée dans un Gen Pac parce qu’elle n’avait pas pris l’initiative de remplir un rapport d’observation relativement à un incident survenu dans la journée, au cours duquel une détenue aurait pu être blessée. La fonctionnaire a déclaré qu’elle n’était pas la première intervenante de première ligne à arriver sur les lieux de l’incident. Elle s’y est rendue pour aider les autres intervenantes de première ligne. Selon la fonctionnaire, la détenue n’a pas subi de blessure. La fonctionnaire ne pensait pas qu’elle devait remplir un rapport d’observation puisqu’elle n’était pas la première intervenante lors de l’incident. Cependant, elle a ensuite obéi à l’ordre du gestionnaire correctionnel Ritsco de remplir un rapport d’observation.

11 Le 23 septembre 2008, la fonctionnaire a été critiquée dans un Gen Pac pour avoir effectué une fouille injustifiée du poste de travail d’un employé et y avoir saisi des produits du tabac. Les produits du tabac sont autorisés dans l’établissement seulement pour les cérémonies spirituelles autochtones. En conformité avec la procédure officielle en place, un employé qui détient des produits du tabac dans l’établissement doit également avoir en sa possession une autorisation signée du directeur. La fonctionnaire a demandé à l’employé de lui montrer son autorisation, mais celui-ci a répondu qu’il n’en avait pas. La fonctionnaire a saisi les produits. Cet employé occupait le poste d’agent de liaison avec les Autochtones, et la fonctionnaire a par la suite appris qu’il n’avait pas besoin d’une autorisation du directeur. La fonctionnaire s’est excusée à l’employé. 

12 La fonctionnaire a reçu son rapport d’évaluation de rendement du 5 octobre 2008 une journée avant sa rencontre avec Mme Llewellyn pour en discuter. La fonctionnaire a affirmé avoir été très troublée en lisant le rapport et avoir rédigé une réfutation. Elle a toutefois décidé d’accepter le rapport et de le signer, indiquant ainsi qu’elle y souscrivait. Elle n’a pas remis sa réfutation à Mme Llewellyn, et elle n’a pas contesté le rapport. La fonctionnaire croyait que, si elle n’assumait pas sa responsabilité face au rapport, elle risquait un échec en cours de stage. Elle n’a pas contesté non plus les quatre rapports Gen Pac utilisés pour justifier son rapport d’évaluation de rendement.

13 Lorsqu’elle a discuté de son évaluation avec Mme Llewellyn, la fonctionnaire a été clairement avisée qu’elle s’exposait à un échec en cours de stage si elle n’améliorait pas ses faiblesses. Mme Llewellyn lui a également dit qu’il lui serait utile d’être jumelée à une intervenante de première ligne expérimentée qui pourrait contribuer à son perfectionnement. Après son rapport d’évaluation de rendement, la fonctionnaire n’a pas été jumelée à une intervenante de première ligne expérimentée avec qui elle aurait pu travailler ou à qui elle aurait pu demander des conseils. Les tâches lui étant assignées sont demeurées les mêmes. Mme Llewellyn n’a pas assuré de suivi après l’évaluation, compte tenu que la fonctionnaire ne l’a pratiquement jamais rencontrée et ne lui a pratiquement pas parlé dans les semaines qui ont suivi.

14 Le 13 décembre 2008, le gestionnaire correctionnel O’Dell a rédigé le Gen Pac suivant au sujet de la fonctionnaire :

[Traduction]

Diana, le présent courriel vise à récapituler notre conversation d’aujourd’hui et à vous transmettre une rétroaction concernant la situation survenue lors de votre dernier quart de nuit. Plus particulièrement, lorsque j’ai observé que vous sembliez dormir au travail. Nous avons discuté de la question et vous m’avez présenté des excuses et donné une explication. Comme je vous l’ai fait remarquer, vous devez prendre conscience des normes de rendement et de la conduite appropriée lorsque vous êtes en fonction. Si vous avez des questions, les gestionnaires correctionnels sont toujours à votre disposition et vous pouvez consulter les documents de principe sur infonet pour obtenir de plus amples renseignements.

15 Dans un rapport daté du 30 janvier 2009 au sujet du rendement de la fonctionnaire depuis son embauche, Mme Llewellyn a écrit que, selon le Gen Pac du 13 décembre 2008, la fonctionnaire a été retrouvée endormie pendant son quart du matin. Mme Llewellyn a ajouté que la fonctionnaire a présenté des excuses et donné une explication, mais que le fait de dormir pendant un quart de travail constitue une infraction grave. Mme Doyle a affirmé qu’on lui avait dit que la fonctionnaire avait dormi pendant son quart de travail. La fonctionnaire a soutenu qu’elle n’a pas dormi. Elle a expliqué qu’elle était à sa pause-repas à 2 heures dans les locaux de l’établissement de la vallée du Fraser avec deux autres intervenantes de première ligne et le gestionnaire correctionnel O’Dell. Elle a simplement incliné la tête vers l’arrière et fermé les yeux pendant que les autres parlaient entre elles. Environ 20 minutes plus tard, lorsqu’elles ont quitté pour retourner au travail, elle s’est levée. Une discussion s’est ensuivie entre la fonctionnaire et le gestionnaire correctionnel O’Dell. La fonctionnaire a expliqué qu’elle ne s’est pas excusée au gestionnaire correctionnel O’Dell pour avoir dormi, mais pour avoir adopté une position ferme lors de la discussion.

16 Mme Doyle a expliqué que la lettre de renvoi de février 2009 a été préparée par la direction des relations de travail du bureau régional du SCC. Avant de prendre la décision de renvoyer la fonctionnaire, Mme Doyle a examiné l’évaluation de rendement semestrielle et les rapports Gen Pac. Elle a également parlé au sous-directeur Bobbie Sandhu. Le rendement de la fonctionnaire préoccupait grandement Mme Doyle, notamment en ce qui concerne la fouille du poste de travail d’un collègue, la ronde effectuée en retard, son omission de remplir des rapports d’observation, son défaut de signaler l’incident mettant en cause une détenue et le fait qu’elle dormait pendant son quart de travail.

17 Le chef des ressources humaines de l’établissement de la vallée du Fraser a informé la fonctionnaire que Mme Doyle souhaitait la rencontrer le 25 février 2009 et lui demandait d’être accompagnée d’un représentant syndical. La fonctionnaire a réécrit pour demander le but de la rencontre. Mme Doyle a décidé de changer la date de la réunion au 16 février 2009 pour ne pas que la fonctionnaire ait à attendre de connaître le but de la rencontre. À la réunion du 16 février 2009, la fonctionnaire était accompagnée d’un représentant syndical.

18 La fonctionnaire a produit en preuve plusieurs politiques et directives locales et nationales du SCC concernant les rapports sur les incidents de sécurité, les plans de fouille, les évaluations de rendement des employés, les fonctions des agents de l’établissement responsables des déplacements, le contrôle des entrées et sorties de l’établissement, les programmes touchant les Autochtones et l’exposition à la fumée secondaire. Il est ressorti très clairement des témoignages que certaines politiques n’étaient pas appliquées de manière constante.

19 Mme Llewellyn et Mme Doyle ne connaissaient pas la fonctionnaire avant son embauche à l’établissement de la vallée du Fraser. Mme Doyle ne lui avait jamais parlé avant la réunion du 16 février 2009 à laquelle elle lui a présenté la lettre de renvoi. La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait une bonne relation avec les gestionnaires correctionnels de l’établissement de la vallée du Fraser, ce qui comprend Mme Llewellyn. Elle a également soutenu ne jamais avoir fait l’objet de mesure disciplinaire, que ce soit de manière formelle ou informelle, pendant qu’elle travaillait à l’établissement de la vallée du Fraser.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

20 L’arbitre de grief n’a pas compétence pour instruire le présent grief parce que la fonctionnaire a été renvoyée pendant sa période de stage de 12 mois. Ce type de renvoi est prévu sous le régime de la LEFP, et un arbitre de grief de la Commission n’a pas compétence pour intervenir. L’article 62 de la LEFP confère à l’employeur le droit d’imposer une période de stage et de renvoyer un employé au cours de cette période. L’article 211 de la Loi fait obstacle au renvoi à l’arbitrage d’un grief portant sur un renvoi aux termes de la LEFP.

21 Les faits pertinents en l’espèce n’ont pas été contestés. La fonctionnaire a été nommée à son poste au SCC de l’extérieur de la fonction publique. Elle a été assujettie à une période de stage de 12 mois. La lettre de renvoi et la preuve produite démontrent clairement que la fonctionnaire a été renvoyée parce qu’elle n’a pas réussi son stage. La fonctionnaire n’a présenté absolument aucune preuve que l’employeur l’a renvoyée pour des motifs autres que ceux liés à son emploi.  

22 Mme Doyle a fondé sa décision de renvoyer la fonctionnaire sur les documents qu’elle a examinés et sur sa discussion avec le sous-directeur. Elle a également consulté les spécialistes des relations de travail du SCC avant de prendre sa décision. Mme Doyle a conclu que la fonctionnaire ne satisfaisait pas aux normes. Le rôle de l’arbitre de grief dans ce contexte n’est pas de se substituer à l’employeur, mais de déterminer si les motifs sous-tendant le renvoi de la fonctionnaire étaient reliés à l’emploi.

23 À l'appui de ses arguments, l’employeur m'a renvoyé aux décisions suivantes : Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529; Melanson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 33; Currie c. Administrateur général (ministère des Pêches et Océans), 2010 CRTFP 10 et Tarasco c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CRTFP 101.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésé

24 L’employeur n’a produit aucune preuve crédible que la décision de renvoyer la fonctionnaire était fondée sur des motifs liés à son emploi. La décision de la renvoyer a été prise de mauvaise foi et ne respectait pas les règles de justice naturelle. Par conséquent, un arbitre de grief est compétent pour instruire le grief.

25 Pendant le stage, l’employeur aurait dû permettre à la fonctionnaire de corriger ses faiblesses en l’aidant, l’encadrant et la soutenant. La fonctionnaire n’a reçu aucun soutien, malgré la promesse faite par l’employeur dans son rapport d’évaluation de rendement de lui en fournir. De plus, la fonctionnaire a été renvoyée pour des motifs triviaux.

26 L’employeur a fondé son évaluation de rendement sur quatre rapports Gen Pac. Dans l’un de ces rapports, la fonctionnaire était critiquée pour avoir effectué une ronde en retard. Cela est anodin compte tenu des centaines de rondes que la fonctionnaire a effectuées à temps pendant ses 10 mois d’emploi. Dans un autre rapport Gen Pac, l’employeur a critiqué la fonctionnaire parce que celle-ci n’a pas signalé un incident mettant en cause une détenue et deux autres intervenantes de première ligne. Ce rapport a été rédigé en août 2008 pour un incident survenu en mai 2008. La fonctionnaire a été critiquée parce qu’elle n’a pas pris l’initiative de remplir un rapport d’observation le jour même d’un incident s’étant produit le 17 juin 2008. La preuve démontre que les gestionnaires correctionnels ne remplissent pas toujours des rapports d’observation le jour même des incidents. Dans le dernier rapport Gen Pac, l’employeur a critiqué la fonctionnaire parce qu’elle a procédé à la fouille du poste de travail d’un autre employé. La fonctionnaire ne connaissait pas les pratiques de l’établissement de la vallée du Fraser, et elle a simplement appliqué la politique officielle du SCC relativement aux fouilles. Lorsqu’elle a pris conscience qu’elle n’aurait pas dû fouiller le poste de travail de l’employé, la fonctionnaire lui a présenté des excuses.

27 L’employeur a admis qu’un seul incident négatif mettant en cause la fonctionnaire était survenu après l’évaluation du 5 octobre 2008. Le 13 décembre 2008, la fonctionnaire semblait dormir pendant sa pause-repas, selon le gestionnaire correctionnel en poste cette nuit-là. La fonctionnaire a affirmé qu’elle ne dormait pas, mais qu’elle avait plutôt fermé les yeux alors qu’elle se reposait après son repas. L’employeur n’a produit aucune preuve démontrant que la fonctionnaire dormait. De plus, la lettre de renvoi ne mentionne pas cet incident.

28 Mme Doyle n’a pas rencontré la fonctionnaire et ne lui a pas demandé sa version des faits avant de prendre la décision de la renvoyer. Elle n’a pas non plus rencontré la gestionnaire correctionnelle Llewellyn, qui était la surveillante de la fonctionnaire. Mme Doyle s’est appuyée sur des ouï-dire. Elle aurait dû mener une enquête plus poussée avant de prendre la décision de renvoyer la fonctionnaire. Elle a agi de mauvaise foi en ne faisant pas preuve de diligence.

29 La fonctionnaire n’a pas été informée qu’elle pouvait contester les rapports Gen Pac. Elle n’était pas d’accord avec son rapport d’évaluation de rendement, mais elle a décidé de ne pas le contester. Essentiellement, l’employeur a justifié sa décision de renvoyer la fonctionnaire en faisant état de motifs liés à son emploi, mais ces motifs sont arbitraires, triviaux, voire faux dans le cas de certains incidents.

30 À l’appui de ses arguments, la fonctionnaire a invoqué les décisions suivantes : McMorrow c. Conseil du Trésor (Anciens combattants), dossier de la CRTFP 166-02-23967 (19931119); Dalen c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 73; Dhaliwal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 109.

IV. Motifs

31 La fonctionnaire a été nommée au poste d’agente correctionnelle le 14 avril 2008. Elle a été embauchée de l’extérieur de la fonction publique, et elle a été informée lors de son embauche qu’elle serait en stage pour une période de 12 mois. L’employeur l’a renvoyée le 16 février 2009, avant la fin de son stage, en raison de graves préoccupations concernant son rendement. Les dispositions suivantes de la LEFP confèrent à l’employeur le droit d’imposer une période de stage et de renvoyer un employé au cours de cette période :

[…]

61. (1) La personne nommée par nomination externe est considérée comme stagiaire pendant la période

a) fixée, pour la catégorie de fonctionnaires dont elle fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques

[…]

Renvoi

62. (1) À tout moment au cours de la période de stage, l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis

a) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques

[…]

Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de ce délai.

[…]

32 Conformément à l’article 211 de la Loi, un grief portant sur un renvoi en cours de stage en vertu de la LEFP ne peut pas être renvoyé à l’arbitrage. Compte tenu que le présent grief conteste le renvoi de la fonctionnaire en cours de stage et que j’ai conclu que le renvoi a été effectué en conformité avec la LEFP, un arbitre de grief n’a pas la compétence pour l’instruire. L’article 211 de la Loi est libellé comme suit :

211. L’article 209 n’a pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur

a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique;

[…]

33 Même s’il n’a pas la compétence pour instruire un grief concernant un renvoi en cours de stage, un arbitre de grief doit d’abord, avant d’en arriver à une telle conclusion, déterminer si le renvoi était lié à l’emploi et si l’employeur a recouru au motif du stage comme subterfuge ou camouflage pour cacher un autre motif de renvoi. Comme mentionné dans Leonarduzzi, l’employeur doit seulement fournir à l’arbitre de grief un minimum de preuve que le renvoi est lié à l’emploi ou qu’il ne considérait pas que l’employé possédait les aptitudes requises. Contrairement aux affaires relatives à des mesures disciplinaires, l’employeur n’est pas tenu de justifier sa décision par un motif valable. Il incombe alors à la fonctionnaire de démontrer que la décision de la renvoyer n’était pas liée à l’emploi, mais qu’elle constituait plutôt un camouflage ou un subterfuge et a été prise de mauvaise foi.  

34 Mme Llewellyn a évalué le rendement de la fonctionnaire six mois après son embauche. Le rapport d’évaluation de rendement indiquait que la fonctionnaire n’a pas satisfait à trois des cinq critères de l’évaluation. Tout dans ce rapport était lié à l’emploi. La fonctionnaire aurait pu contester le rapport en octobre 2008 ou, à tout le moins, mentionner à ce moment qu’elle n’était pas d’accord avec son contenu. Elle a plutôt choisi de ne pas le contester. Elle a signé son nom, indiquant ainsi qu’elle souscrivait à l’évaluation de sa surveillante, et elle a attendu après son renvoi pour contester le rapport.

35 Rien dans la preuve produite à l’audience ne pourrait m’amener à croire que les motifs de renvoi de la fonctionnaire n’étaient pas liés à l’emploi. La fonctionnaire a peut-être raison lorsqu’elle dit avoir été en retard une seule fois pour faire ses rondes. Cependant, ce retard dans l’exécution de sa ronde est un motif lié à l’emploi. La critique à l’endroit d’un employé parce qu’il n’a pas rempli des rapports d’observation est également un motif lié à l’emploi, même s’il est possible de démontrer que les gestionnaires correctionnels ne remplissent pas toujours immédiatement de tels rapports. Une certaine confusion peut exister entre la politique de fouille informelle et formelle, mais la critique à l’endroit de la fonctionnaire relativement à son application de la politique est également liée à l’emploi. En dernier lieu, le fait de dormir au travail est clairement lié à l’emploi. L’employeur n’avait pas à prouver que la fonctionnaire dormait au travail le 13 décembre 2008, comme il aurait dû le faire dans le cas d’une affaire relative à une mesure disciplinaire. Même si l’employeur n’a pas mentionné cet incident dans la lettre de renvoi, il semble qu’il ait été tenu en compte lorsque la décision a été prise de renvoyer la fonctionnaire. La fonctionnaire n’a pas contesté le rapport Gen Pac relatif à cet incident. Si elle ne dormait pas cette nuit-là, elle aurait dû protester fermement contre le rapport à ce moment, en déposant un grief par exemple.

36 Mme Doyle n’avait pas l’obligation de rencontrer la fonctionnaire et d’entendre sa version avant de prendre la décision de la renvoyer. Elle s’est appuyée sur l’information ayant été versée au dossier, principalement sur l’évaluation de rendement semestrielle. Elle était en droit de procéder de la manière dont elle l’a fait.

37 Lorsqu’un arbitre de grief instruit un grief disciplinaire, il doit déterminer si l’employeur était fondé à imposer une mesure disciplinaire. Dans le cas d’un renvoi en cours de stage, l’arbitre de grief n’a pas le pouvoir de décider si l’employeur avait un motif valable de licencier un employé. Autrement dit, il ne peut pas substituer son jugement à celui de l’employeur. Si j’avais ce pouvoir, j’en serais peut-être arrivé à une conclusion différente, mais je ne l’ai pas.

38 La fonctionnaire m’a renvoyé à McMorrow, Dhaliwal et Dalen. Dans McMorrow, l’arbitre de grief s’est attribué la compétence parce que l’employeur a agi de mauvaise foi en concluant que le fonctionnaire devrait être licencié, avant que l’enquête qu’il avait demandée ne soit terminée. Contrairement à la présente affaire, dans McMorrow, le fonctionnaire a été renvoyé en cours de stage non pas en raison d’un rendement insatisfaisant, mais pour des motifs disciplinaires, et l’employeur en est venu à la décision de renvoyer le fonctionnaire en cours de stage avant d’avoir reçu une réponse du fonctionnaire sur la question. Dans la présente affaire, la fonctionnaire a pris elle-même la décision de ne pas contester les rapports Gen Pac. Dans Dhaliwal, l’employeur a renvoyé le fonctionnaire pour un motif autre qu’un rendement insatisfaisant, contrairement à la présente affaire. M. Dhaliwal a été renvoyé en raison de son utilisation des congés de maladie et pour obligations familiales, et l’employeur ne lui a pas donné la possibilité d’expliquer pourquoi il prenait ces congés avant de le licencier. Dans Dalen, l’arbitre de grief a refusé de s’attribuer la compétence parce que la fonctionnaire a été renvoyée pour des motifs liés à l’emploi. Cependant, il a rejeté un des motifs invoqués par l’employeur pour renvoyer la fonctionnaire, parce que celle-ci n’avait aucun contrôle sur l’incident pour lequel elle était critiquée. En l’espèce, la fonctionnaire exerçait un contrôle sur les incidents pour lesquels elle a été critiquée.

39 L’employeur a présenté une preuve établissant que la décision de renvoyer la fonctionnaire était fondée sur des motifs liés à l’emploi. Comme la fonctionnaire ne m’a pas démontré que le renvoi en cours de stage était un subterfuge ou un camouflage ou qu’il a été fait de mauvaise foi, je n’ai pas la compétence pour entendre et trancher le présent grief.

40 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

41 Le grief est rejeté.

Le 18 mars 2010.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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