Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a prétendu avoir fait l’objet de représailles de la part du défendeur, après avoir refusé d’effectuer une fouille de la toilette de la drogue - selon lui, la tâche représentait un danger puisqu’il n’avait reçu aucune formation sur l’enfilage et le retrait de l’équipement de protection personnelle - le défendeur a déclaré qu’il n’avait imposé aucune mesure disciplinaire et demandé que le grief soit rejeté parce que sans objet - il a prétendu qu’il avait brandi la menace d’une mesure disciplinaire (mais n’avait pas imposé d’amende), car le plaignant avait dérogé aux directives de son gestionnaire correctionnel - il a aussi soutenu que la Commission n’avait pas la compétence pour évaluer la plainte, car le refus, par le plaignant, d’effectuer le travail n’était pas conforme à l’article128 du Code - l’arbitre de grief a déclaré que la position du défendeur, selon laquelle le refus d’effectuer le travail n’était pas conforme à l’article128, ne concorde pas avec les gestes posés par ses représentants - le plaignant avait, dès le départ, signalé les fondements de son refus, bien qu’il n’ait expressément invoqué l’article128 que dans une conversation ultérieure, et fourni suffisamment d’information au défendeur pour qu’il comprenne que l’article128 s’appliquait en l’espèce - le plaignant était motivé par un réel souci de sécurité - l’argument du défendeur, selon lequel la toilette de la drogue constituait une <<condition normale de l’emploi>>, relevait d’une question de fond plutôt que de compétence qui se prêterait davantage à un examen visant à établir l’existence d’un danger, qu’à un examen portant sur une allégation de représailles - le défendeur a enfreint l’article147 du Code en menaçant d’imposer une mesure disciplinaire - la menace s’appliquait, du moins en partie, au refus du plaignant d’effectuer une fouille de la toilette de la drogue - une ordonnance de cesser et de s'abstenir n’était pas nécessaire - une déclaration de violation était une mesure corrective suffisante - on a ordonné au défendeur de payer du temps supplémentaire au plaignant, pour le temps où il a attendu au travail d’être relevé de son poste. Objection rejetée. Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Code canadien du travail

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-04-01
  • Dossier:  560-02-44
  • Référence:  2010 CRTFP 49

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

DENIS LECLAIR

plaignant

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
LeClair c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 133 du Code canadien du travail

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, commissaire

Pour le plaignant:
John Mancini, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour le défendeur:
Isabel Blanchard, avocate

Affaire entendue à Moncton (Nouveau-Brunswick),
du 26 au 28 janvier 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Denis LeClair (le « plaignant ») est agent correctionnel à l’établissement Springhill du Service correctionnel du Canada (« Springhill »). Le 29 juillet 2008, il a déposé une plainte contre le Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada) (le « défendeur ») en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail, L.R., 1985, ch. L-2 (le « Code »). Le texte de la plainte est reproduit en partie ci-après :

[Traduction]

[…]

Aux alentours du 11 juillet 2008, M. Denis LeClair […] a reçu du gestionnaire correctionnel Justin Simmons, agissant sous l’autorité du directeur Ed Muise, l’ordre d’examiner des excréments humains. M. LeClair a refusé de faire cet examen parce que cela présentait un danger. M. Simmons a menacé M. LeClair de le renvoyer chez lui, sans traitement, et de lui imposer une sanction pécuniaire s’il n’obéissait pas à son ordre. M. LeClair a expressément dit à M. Simmons qu’il maintenait son refus, en citant explicitement l’article 128 du Code canadien du travail. Il convient de noter que l’employeur agissait en violation d’un règlement antérieur au titre de l’article 128 sur le même sujet.

En violation flagrante du Code canadien du travail, M. Simmons, agissant censément avec la complicité de la gestion de l’établissement, sous l’autorité du directeur Ed Muise, a refusé d’admettre le refus de travailler aux termes de l’article 128.

En violation de l’article 147, M. Simmons a menacé M. LeClair à plusieurs reprises, lui disant d’examiner les excréments humains ou de quitter son poste, et a successivement imposé quatre sanctions pécuniaires de 160 $, 320 $, 480 $ et 640 $ pour son refus d’obéir. Il convient de noter que M. LeClair ne pouvait tout simplement pas quitter son poste avant d’avoir été remplacé de manière appropriée conformément à la politique de l’établissement, même si ce remplacement n’était pas contraire au Code canadien du travail.

Une autre violation de l’article 147 est survenue lorsque M. Simmons a fait escorter M. LeClair à l’extérieur des locaux et lui a expressément dit qu’il ne serait pas rémunéré pour le reste de son quart.

M. Simmons, agissant censément avec la complicité du directeur Ed Muise, a continué de violer le Code canadien du travail en ordonnant à deux autres agents correctionnels de remplacer M. LeClair, sans les informer du refus de travailler de M. LeClair aux termes de l’article 128.

Aux alentours du 16 juillet 2008, le directeur Ed Muise, agissant censément avec la complicité de l’administration du Service correctionnel du Canada dans la région de l’Atlantique, sous l’autorité du sous-commissaire John Turner, a de nouveau violé l’article 147 du Code en ordonnant la tenue d’une enquête disciplinaire sur M. Denis LeClair parce qu’il avait refusé d’obéir à un ordre direct d’examiner des excréments humains et refusé de quitter les lieux après en avoir reçu l’ordre de M. Simmons.

Aux alentours du 24 juillet 2008, M. Rhéal Leblanc, agent de projet, agissant conformément à l’ordre susmentionné, a tenté de tenir l’enquête disciplinaire en question sur M. Denis LeClair, en violation de l’article 147 du Code canadien du travail. M. Rhéal Leblanc a été informé que l’enquête contrevenait à l’article 147. M. Leblanc a expressément indiqué qu’il ne se souciait pas du tout de l’interdiction faite par l’article 147 de prendre des mesures disciplinaires; il a tenté de forcer M. Denis LeClair à répondre à ses questions et il a catégoriquement refusé de reconnaître la jurisprudence sur l’autorité de la chose jugée.

[…]

2 Le plaignant a demandé les mesures correctives suivantes :

[Traduction]

  1. Déterminer que le Service correctionnel du Canada a contrevenu à l’article 147 (à tous égards).

  2. Ordonner au Service correctionnel du Canada de cesser de contrevenir à l’article 147 (à tous égards).

  3. Ordonner au Service correctionnel du Canada de rémunérer Denis LeClair pour les heures qui auraient été rémunérées n’eût été la contravention.

  4. Annuler toutes les mesures disciplinaires imposées en contravention de l’article 47 :

    - les ordres de quitter les lieux;

    - les quatre sanctions pécuniaires;

    - l’ordre de retirer Denis LeClair des lieux;

    - l’enquête disciplinaire et toute reprise de cette enquête;

    - le retrait du dossier de M. Denis LeClair de toute mention des ordres, des sanctions et de l’enquête disciplinaire susmentionnés.

3 Le 12 septembre 2008, le défendeur a écrit à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») pour l’informer qu’il n’avait pas imposé de mesures disciplinaires au plaignant. Il a demandé à la Commission de rejeter la plainte parce qu’elle était devenue sans objet.

4 À l’audience, le défendeur a soulevé une nouvelle objection. Il a soutenu que la Commission n’avait pas compétence pour trancher la plainte, puisque le plaignant n’avait pas refusé de travailler de façon régulière au sens de l’article 128 du Code. Le plaignant n’ayant pas respecté l’exigence procédurale de l’article 128, le défendeur a affirmé qu’il n’avait pas droit aux mesures de protection prévues par l’article 147.

5 Après avoir présenté leurs exposés introductifs à l’audience, les parties ont expressément indiqué que le défendeur n’avait pas appliqué de sanctions pécuniaires au plaignant.

II. Résumé de la preuve

6 Pour des raisons d’ordre pratique, j’ai demandé au défendeur de présenter sa preuve en premier.

7 Le défendeur a présenté le témoignage de deux témoins. Justin Simons était le gestionnaire correctionnel qui supervisait le plaignant le 11 juillet 2008. Michael MacLeod était le sous-commissaire de Springhill, un établissement à sécurité moyenne qui accueille entre 420 et 480 détenus et qui emploie approximativement 180 agents correctionnels.

8 M. Simons a expliqué comment fonctionnait la « cellule sèche ». Lorsqu’un membre du personnel soupçonne qu’un détenu dissimule des objets interdits dans sa cavité anale, le détenu est soumis à une fouille à nu et placé dans la cellule sèche. Cette cellule contient une « installation d’évacuation de la drogue » — des toilettes conçues de manière à diriger les excréments vers un tamis contenu dans un récipient. Après avoir déféqué, le détenu reçoit la consigne de tirer la chasse d’eau plusieurs fois afin de s’assurer que les excréments ont glissé dans le récipient. Un jet d’eau est ensuite envoyé dans le tamis qui se trouve à l’intérieur du récipient, pendant cinq à sept minutes, pour enlever les matières fécales et ne laisser que les objets interdits. Il reste parfois des matières fécales lorsque les selles sont compactées. Après avoir envoyé le jet d’eau, on ouvre le couvercle du récipient pour procéder à un examen visuel et repérer tout objet interdit. Les objets trouvés sont retirés et envoyés à un agent de renseignements de sécurité pour une nouvelle inspection.

9 Le rôle de l’agent correctionnel affecté à la cellule sèche est d’observer le détenu sans arrêt par la fente à lettres de la cellule sèche. Lorsque le détenu a déféqué et tiré la chasse d’eau selon les instructions données, il est retiré de la cellule et placé dans une zone d’attente, où il est soumis à une nouvelle fouille. L’agent correctionnel affecté à la cellule sèche actionne le mécanisme qui envoie le jet d’eau dans l’installation d’évacuation de la drogue, attend le temps nécessaire et ouvre le couvercle du récipient. Si des objets interdits sont repérés, il les retire et les dépose dans un sac, qu’il envoie à l’agent de renseignements de sécurité.

10 Au poste de la cellule sèche, l’agent correctionnel a accès à des documents et des instructions sur le fonctionnement de la cellule sèche et sur l’utilisation de l’équipement de protection personnelle (EPP) entreposé au poste. Les documents comprennent l’Ordre permanent 569 intitulé [traduction] Surveillance spéciale – Détenu qui dissimule des objets interdits dans une cavité corporelle – « VERSION PROVISOIRE » et l’[traduction] Annexe A : Procédure à suivre pour la cellule sèche (pièce R-1, onglets 5 et 6).

11 M. Simons a déclaré que certains agents correctionnels ne sont affectés qu’occasionnellement à la cellule sèche, mais que tous les agents peuvent avoir à accomplir les tâches propres à la cellule sèche. La description de travail de l’agent correctionnel de niveau I contient le paragraphe suivant, qui traite directement de la cellule sèche (pièce R-1, onglet 2) :

[Traduction]

[…]

Il y a un risque d’exposition à des fluides corporels et à des matières biodangereuses susceptibles de transporter des maladies transmissibles (p. ex. les excréments, l’urine, la salive ou le sang) lors de la fouille ou de l’immobilisation de détenus. Le port d’équipement de protection est prévu en cas de contact imminent avec des détenus, afin de réduire les risques au minimum. Cela peut ne pas être possible dans certains cas (p. ex. lorsque le titulaire ou la titulaire doit recourir à la force pour immobiliser des détenus).

[…]

12 La Directive du commissaire 566-7, Fouille des détenus, est le document qui autorise les agents correctionnels à effectuer des fouilles corporelles (pièce R-1, onglet 4). On y aborde également la question du fonctionnement de la cellule sèche.

13 M. Simons a indiqué qu’une enquête en matière de santé et de sécurité au travail (SST) effectuée en 2006 à la suite d’un refus antérieur de travailler aux termes de l’article 128 du Code avait conclu à la nécessité de fournir l’EPP approprié à la cellule sèche. Des instructions rédigées en style télégraphique expliquant comment enfiler et retirer l’EPP (pièce R-1, onglet 7) sont affichées à la cellule sèche et le nom et le numéro du poste téléphonique du responsable des substances dangereuses à Springhill sont indiqués au bas des instructions.

14 Avant le refus antérieur de travailler aux termes de l’article 128 du Code, les agents correctionnels qui ne voulaient pas examiner le contenu de l’installation d’évacuation de la drogue pouvaient fait appel à un gestionnaire correctionnel pour accomplir cette tâche. Depuis 2006, le défendeur a affecté des agents correctionnels à cette fonction. M. Simons a renvoyé à un extrait du registre de la cellule sèche pour le 10 juillet 2008 indiquant qu’un agent correctionnel avait fait fonctionner l’installation d’évacuation de la drogue à deux reprises ce jour-là (pièce R-1, onglet 8).

15 M. Simons a décrit les événements du 11 juillet 2008. Il a déclaré que le plaignant n’était pas censé travailler ce jour-là. Comme aucun autre membre du personnel n’était disponible sur place, M. Simons a appelé le plaignant pour lui demander de travailler en heures supplémentaires au poste de la cellule sèche, à partir de 8 heures. À 12 h 30, le plaignant a appelé M. Simons (le « premier échange ») pour lui signaler qu’il avait été obligé de recourir à la force contre le détenu G après que celui-ci eut déféqué dans la cellule sèche. M. Simons a demandé au plaignant d’examiner les excréments à l’aide de l’installation d’évacuation des drogues. Selon M. Simons, le plaignant a répondu : [traduction] « Je n’examine pas les selles. C’est Tim Spence [un gestionnaire correctionnel] qui examine les selles. » L’appel a pris fin. M. Simons a déclaré que, selon lui, l’appel ne constituait pas un refus de travailler aux termes de l’article 128 du Code, mais plutôt un refus d’accomplir la tâche attribuée.

16 M. Simons a discuté de la situation avec l’« équipe de gestion », qui se composait d’un directeur adjoint, du directeur Ed Muise et de M. MacLeod. L’équipe a décidé que M. Simons devait mettre fin aux heures supplémentaires du plaignant et le renvoyer chez lui une fois qu’il aurait terminé la rédaction de son rapport sur le recours à la force s’il ne voulait pas examiner les excréments. Si le plaignant refusait d’obéir à l’ordre de partir, le directeur avait donné à M. Simons la consigne de prendre une mesure disciplinaire conformément à l’« entente globale » conclue entre le défendeur et le Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat canadien des agents correctionnels - CSN (UCCO-SACC-CSN) (pièce C-3).

17 Après avoir consulté l’équipe de gestion, M. Simons a téléphoné au plaignant (le « deuxième échange »). Il lui a donné l’ordre de terminer la rédaction de son rapport sur le recours à la force et de rentrer chez lui et lui a accordé de 10 à 20 minutes pour rédiger le rapport. M. Simons a déclaré que le plaignant avait répondu par la négative. Même s’il ne se rappelait pas au juste ce que l’un et l’autre avaient dit par la suite, M. Simons a indiqué que l’échange avait été très bref. Il a déclaré que le plaignant n’avait pas mentionné l’article 128 du Code, ni expliqué pourquoi il ne voulait pas examiner les excréments.

18 Le gestionnaire correctionnel Greg McLeod est arrivé peu de temps après au poste de la cellule sèche pour remplacer le plaignant. Après avoir examiné le contenu du récipient, M. McLeod a appelé M. Simons pour lui dire qu’il n’avait pas repéré d’objets interdits dans l’installation d’évacuation de la drogue.

19 M. Simons a rappelé le plaignant (le « troisième échange ») 30 ou 40 minutes après le deuxième échange. Il lui a accordé dix minutes pour quitter l’établissement, faute de quoi, a-t-il dit, le premier niveau de mesures disciplinaires prévu par l’entente globale serait appliqué. Le plaignant a refusé de partir, de même qu’il a refusé de se faire remplacer par un gestionnaire correctionnel.

20 Le « quatrième échange » a eu lieu dix minutes plus tard. M. Simons a de nouveau demandé au plaignant de partir; il a également fait référence au deuxième niveau de mesures disciplinaires prévu par l’entente globale. Le plaignant a refusé et, selon M. Simons, il a mentionné pour la première fois qu’il invoquait l’article 128 du Code, sans expliquer pourquoi. M. Simons a dit au plaignant qu’il était déjà censé avoir quitté les lieux. Il a également indiqué qu’il refusait d’admettre le refus de travailler aux termes de l’article 128.

21 M. Simons a expliqué à l’audience qu’il ne croyait pas qu’un refus de travailler aux termes de l’article 128 était justifié dans ce cas-là, puisqu’un gestionnaire correctionnel avait déjà réglé le problème et remplacé le plaignant.

22 Durant le « cinquième échange », M. Simons a de nouveau demandé au plaignant de partir, en faisant peser la menace d’appliquer le troisième niveau de mesures disciplinaires prévu par l’entente globale. Le plaignant, qui était président de la section locale de l’agent négociateur à ce moment-là, a sollicité la présence d’un représentant de l’agent négociateur. M. Simons a refusé. À l’audience, M. Simons a déclaré qu’il avait rejeté la demande de représentation syndicale parce qu’il s’efforçait, à ce moment-là, de retirer le plaignant du lieu de travail. Il a indiqué qu’une représentation syndicale aurait été fournie lors de l’enquête disciplinaire.

23 Durant le « sixième échange », M. Simons a avisé le plaignant qu’il en était rendu au quatrième niveau de mesures disciplinaires prévu par l’entente globale. Peu de temps après cet échange, le plaignant a quitté la cellule sèche et s’est rendu au bureau de M. Simons pour signer sa fiche d’heures supplémentaires. M. Simons a déclaré à l’audience que le défendeur a indemnisé le plaignant pour les heures supplémentaires accomplies jusqu’à 13 h 30. Il a observé que le plaignant avait manifesté son mécontentement et qu’il avait demandé à être rémunéré jusqu’à 14 h 45, heure à laquelle il s’était présenté au bureau de M. Simons. Le plaignant avait ensuite quitté l’établissement de son plein gré, escorté par le gestionnaire correctionnel Alistair McLelland. M. Simons a déclaré qu’il n’avait pas reçu le rapport du plaignant sur le recours à la force.

24 M. Simons a maintenu qu’il avait fait référence aux mesures disciplinaires parce que le plaignant refusait de se faire remplacer par le gestionnaire correctionnel, de remettre son rapport et de quitter l’établissement comme il en avait reçu la consigne. Il a affirmé que ce n’est qu’après avoir demandé au plaignant de quitter les lieux qu’il a été informé d’un refus de travailler aux termes de l’article 128 du Code.

25 Le 12 juillet 2008, M. Simons a remis au directeur un rapport sur l’incident (pièce R-1, onglet 9).

26 En contre-interrogatoire, M. Simons a admis que le défendeur avait ultérieurement décidé de ne pas prendre de mesures disciplinaires contre le plaignant relativement aux événements du 11 juillet 2008. Il a déclaré que le fait que le défendeur avait décidé après coup de ne pas imposer de sanctions disciplinaires ne présentait pas d’intérêt pour comprendre son rôle au bureau opérationnel, le 11 juillet 2008. Il a indiqué qu’il ne croyait pas avoir participé à quelque procédure ou décision disciplinaire concernant l’incident.

27 Lorsqu’on lui a demandé si le plaignant avait déjà été exposé à des situations visées à l’article 128, M. Simons a déclaré que l’exécutif de la section locale dont le plaignant s’était prévalu de l’article 128 de nombreuses fois. Il a également admis que le plaignant avait de l’expérience relativement à diverses situations disciplinaires.

28 M. Simons a de nouveau confirmé que le plaignant n’avait pas justifié son refus d’examiner les excréments lors du premier échange. Il n’avait pas non plus demandé que quelqu’un vienne à la cellule sèche pour accomplir la tâche. M. Simons a refusé d’admettre que le plaignant avait mentionné qu’il n’avait pas reçu de formation pour accomplir le travail.

29 Le plaignant a attiré l’attention de M. Simons sur un point portant sur la cellule sèche dans le procès-verbal d’une réunion syndicale-patronale tenue le 19 février 2008 (pièce C-1). M. Simons a dit qu’il n’avait jamais vu ce procès-verbal avant. Il a déclaré qu’il croyait que le différend entre le syndicat et le défendeur à propos de la cellule sèche dont il est question dans ce procès-verbal avait ultérieurement été résolu.

30 Pour en revenir au premier échange, M. Simons a déclaré qu’il ne savait au juste s’il avait demandé au plaignant : [traduction] « Que voulez-vous que je fasse, que j’envoie un autre membre du syndicat faire le travail? » Il s’est rappelé que le plaignant avait répondu ceci : [traduction] « Vous pouvez le faire si vous le voulez, mais je vais leur recommander de ne pas le faire. » M. Simons a refusé d’admettre que le plaignant avait fait part d’une crainte de danger ou qu’il avait mentionné la question du manque formation. Il a également nié avoir dit au plaignant, durant le premier échange, qu’il le renverrait chez lui s’il n’examinait pas les excréments.

31 M. Simons a déclaré que l’agent correctionnel peut décider d’accomplir une tâche qu’il juge dangereuse ou il peut invoquer l’article 128. Lorsqu’un agent correctionnel informe le défendeur qu’il invoque l’article 128 du Code et qu’il explique pourquoi, le défendeur lui dit de ne pas accomplir la tâche.

32 Le plaignant a renvoyé M. Simons à une « deuxième version » de son rapport au directeur sur l’incident survenu le 11 juillet 2008 (pièce C-2). M. Simons a déclaré qu’il avait envoyé la deuxième version parce que quelqu’un avait demandé des renseignements supplémentaires. Il ne s’est pas rappelé, par contre, qui avait formulé la demande. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi une section sur une « enquête factuelle » avait été supprimée de la deuxième version, M. Simons a répondu plusieurs fois qu’il ne le savait pas.

33 M. Simons a répété qu’il se rappelait que le plaignant n’avait pas invoqué l’article 128 du Code avant le quatrième échange et qu’il n’avait pas expliqué le danger perçu ni parlé de la formation à ce moment-là.

34 Lorsqu’on lui a demandé si le plaignant avait reçu de la formation sur le fonctionnement de la cellule sèche, M. Simons a déclaré qu’il y avait un ordre permanent au poste qui décrivait la procédure à suivre. Après des questions additionnelles, il a déclaré que le plaignant avait reçu de la formation sur la manipulation d’objets interdits. Si le plaignant avait des interrogations au sujet du fonctionnement de l’installation d’évacuation de la drogue, il aurait pu les poser et on lui aurait répondu. M. Simons a maintenu que tous les agents correctionnels reçoivent de la formation pour accomplir la tâche dans le cadre de leur formation de base et qu’aucune autre formation n’est nécessaire.

35 M. Simons a confirmé qu’il y avait une prévalence de maladies telles que l’hépatite A et B et le SIDA à Springhill. En réinterrogatoire, il a déclaré que le plaignant n’avait pas exprimé d’inquiétudes au sujet des maladies et de la contamination et qu’il n’avait pas mentionné d’autres types de danger.

36 M. MacLeod a relaté la discussion que l’équipe de gestion avait eue avec M. Simons, le 11 juillet 2008. Il a déclaré qu’il n’y avait eu aucune mention d’un refus de travailler aux termes de l’article 128. L’équipe avait compris que le plaignant faisait des heures supplémentaires à la cellule sèche et qu’il avait refusé d’examiner le contenu de l’installation d’évacuation de la drogue. Comme c’était pour accomplir cette tâche que les heures supplémentaires étaient requises, M. Muise avait dit à M. Simons de renvoyer le plaignant chez lui. L’équipe avait discuté de l’application des sanctions disciplinaires prévues par l’entente globale. M. Muise avait dit à M. Simons d’appliquer les dispositions de l’entente globale si le plaignant refusait de quitter les lieux.

37 M. MacLeod a déclaré que le défendeur avait ultérieurement décidé de ne pas imposer de mesures disciplinaires après en avoir discuté avec des conseillers en relations de travail et avec l’administration régionale et nationale. Il a indiqué qu’il n’avait pas participé à ces discussions et qu’il croyait que la décision de ne pas imposer de mesures disciplinaires avait été prise par le directeur.

38 M. MacLeod a expliqué que lorsque survient une situation visée à l’article 128, la pratique est généralement de « tout » arrêter jusqu’à ce que les parties aient résolu le problème ou jusqu’à ce qu’un agent de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) ait décidé des mesures à prendre.

39 M. MacLeod a déclaré qu’il était parti en vacances pendant un mois peu de temps après l’incident du 11 juillet 2008.

40 En contre-interrogatoire, M. MacLeod a déclaré que la direction intervient souvent pour finir le travail dans une situation visée à l’article 128, comme cela est arrivé en l’occurrence. Lorsqu’il y a un refus de travailler aux termes de l’article 128 du Code, la direction cesse de faire appel à un autre membre du personnel pour accomplir le travail. M. MacLeod s’est fait demander s’il y avait eu une enquête en vertu de l’article 128 pour faire la lumière sur les événements du 11 juillet 2008, ce à quoi il a répondu que la situation visée à l’article 128 avait cessé d’exister dès le moment où la direction avait assumé la responsabilité du fonctionnement de l’installation d’évacuation de la drogue. Le danger n’existait plus. Il a indiqué qu’il n’avait jamais entendu dire que M. Simons avait dit au plaignant qu’il refusait d’admettre un refus de travailler aux termes de l’article 128 « sur-le-champ ».

41 Lorsqu’on lui a montré le procès-verbal de la réunion syndicale-patronale du 19 février 2008 (pièce C-1), M. MacLeod a admis que le fonctionnement de la cellule sèche était un problème récurrent à ce moment-là. Cependant, de l’avis du défendeur, le problème avait été résolu avant juillet 2008. M. MacLeod a rejeté l’idée que la question de la formation demeurait irrésolue; il a déclaré que le défendeur avait affiché un feuillet expliquant aux agents correctionnels comment faire fonctionner l’installation d’évacuation de la drogue (pièce R-1, onglet 7). Il a admis qu’aucune formation formelle n’avait été donnée, même si le syndicat en avait fait la demande. Il a déclaré qu’il n’avait pas été avisé, le 11 juillet 2008, que le plaignant avait refusé de faire fonctionner l’installation d’évacuation de la drogue parce qu’il n’avait pas reçu de formation.

42 M. MacLeod a admis que le défendeur avait convoqué une réunion du comité SST pour examiner la situation de la cellule sèche après le 11 juillet 2008, mais il n’était pas sûr si le défendeur avait mené une enquête en vertu de l’article 128. Il a toutefois reconnu un courriel daté du 26 juillet 2008 (pièce C-4), dans lequel M. Muise avise le plaignant que [traduction] « […] les CX ne sont pas obligés d’examiner les selles jusqu’à ce que le 128 soit résolu ». M. MacLeod a déclaré qu’il ne savait pas exactement qui avait participé à l’enquête du comité SST, quel était le mandat du comité ou si ses travaux avaient un rapport avec les événements du 11 juillet 2008, car il était en vacances pour un mois à ce moment-là.

43 Le plaignant a fait témoigner quatre personnes, dont lui-même.

44 Jason McDonald, agent correctionnel CX-1 à Springhill, a déclaré que M. Simons lui a demandé de remplacer le plaignant à la cellule sèche vers 14 h 15 ou 14 h 30, le 11 juillet 2008. M. Simons n’a pas parlé d’un refus de travailler aux termes de l’article 128. M. McDonald s’est rendu à la cellule sèche, où il a pris la relève du plaignant; un autre agent — il ne se rappelait pas exactement qui — lui a dit que le plaignant avait refusé d’examiner le contenu de l’installation d’évacuation de la drogue et qu’il avait [traduction] « invoqué un 128 ».

45 Dave Harrison, lui aussi CX-1 à Springhill, a indiqué qu’il siégeait à titre de représentant syndical au comité SST en 2006 et qu’il avait participé à l’examen du refus de travailler aux termes de l’article 128 qui était survenu à ce moment-là relativement au fonctionnement de l’installation d’évacuation de la drogue. Il a déclaré que l’agent de sécurité de RHDCC avait été appelé sur place pour agir comme médiateur et que le défendeur avait ultérieurement accepté de fournir de l’EPP et de la formation. Quoi qu’il en soit, des difficultés ont subsisté entre les parties à propos du fonctionnement de l’installation d’évacuation de la drogue, aux niveaux régional et national. En raison de ces difficultés, M. Harrison a compris que le défendeur avait décidé de ne pas faire appel à des agents correctionnels pour accomplir la tâche et de demander plutôt à des gestionnaires de faire fonctionner l’installation d’évacuation de la drogue et d’examiner le contenu du récipient. M. Harrison a déclaré qu’il se souvenait d’une fois où un gestionnaire correctionnel était revenu au travail en heures supplémentaires pour accomplir cette tâche, mais il n’a pu affirmer qu’on avait procédé chaque fois de cette manière jusqu’en juillet 2008.

46 M. Harrison a admis que le défendeur fournissait des gants, des masques et des combinaisons de travail pour le fonctionnement de l’installation d’évacuation de la drogue et qu’il avait affiché des instructions sur la procédure à suivre pour enfiler et retirer l’EPP. Par contre, aucune formation formelle n’avait été dispensée. Ce manque de formation était un problème persistant. Les représentants du syndicat en matière de SST ont décidé qu’ils devaient faire venir de nouveau l’agent de sécurité de RHDCC, mais ils ne l’ont pas fait parce que le défendeur ne demandait pas aux agents correctionnels d’examiner le contenu de l’installation d’évacuation de la drogue.

47 En contre-interrogatoire, le défendeur a demandé à M. Harrison si des agents correctionnels avaient examiné le contenu de l’installation d’évacuation de la drogue à certains moments. Il a répondu que c’était possible, mais qu’il n’en avait pas eu connaissance.

48 Le 11 juillet 2008 était le dernier jour de travail de Stephen Robertson, agent correctionnel CX-2, à Springhill avant sa mutation dans un autre établissement. Ce jour-là, M. Simons l’a appelé pour le convoquer à son bureau. M. Robertson avait appris, quelques minutes plus tôt, que le plaignant avait refusé de travailler aux termes de l’article 128 du Code. Il a demandé à M. Simons s’il le faisait venir à son bureau pour lui dire de remplacer le plaignant. M. Simons n’a pas répondu. Après quelques « échanges », M. Simons a dit à M. Robertson qu’il avait 10 minutes pour décider s’il se présentait ou non au bureau de M. Simon. Après 10 minutes, M. Simons a rappelé M. Robertson et lui a de nouveau demandé de se rendre à son bureau. M. Robertson a de nouveau demandé si c’était pour remplacer le plaignant et sa question est encore une fois demeurée sans réponse. M. Simons a alors ordonné à M. Robertson de se présenter à son bureau. M. Robertson a répondu qu’il était malade et qu’il rentrait chez lui. M. Robertson a maintenu que M. Simons avait répondu ceci : [traduction] « Ce n’est pas une option d’être malade. »

49 Lorsqu’on lui a demandé s’il était réellement malade le 11 juillet 2008, M. Robertson a répondu que c’était son dernier jour de travail à Springhill et qu’il avait souffert de maux d’estomac toute la journée. Il a signalé à M. Simons qu’il ne se sentait pas bien durant leur premier échange et il a ultérieurement soumis un certificat de maladie au défendeur pour justifier son absence.

50 Le plaignant a présenté sa version des événements survenus le 11 juillet 2008. En arrivant au poste de la cellule sèche, il a passé en revue la consigne de poste, puis il s’est assis, a surveillé le détenu G, lui a servi son dîner et l’a observé faire une selle. Il a demandé au détenu de tirer la chasse d’eau trois fois, puis il l’a retiré de la cellule et l’a placé dans l’espace des douches. Pendant qu’il était dans l’espace des douches, il a été obligé d’utiliser du gaz poivré contre le détenu. Il est ensuite retourné dans la cellule sèche et a actionné le mécanisme de l’installation d’évacuation de la drogue.

51 Le plaignant a déclaré qu’il n’avait pas l’intention d’ouvrir le récipient. Quand on lui a demandé pourquoi, il a répondu [traduction] « [p]arce que je ne fais pas cela ». Il a ajouté qu’il n’avait pas été adéquatement formé pour utiliser l’EPP.

52 Le plaignant a appelé M. Simons pour lui demander d’envoyer quelqu’un pour examiner les excréments. (À l’audience, il a déclaré qu’il savait que la pratique était de faire faire le travail par des gestionnaires et que M. Simons ne pouvait pas ne pas le savoir.) Selon le plaignant, M. Simons a répondu que c’était le travail du plaignant et qu’il devait le faire. Le plaignant a expliqué à M. Simons que la raison pour laquelle il refusait d’accomplir la tâche était qu’il voulait recevoir de la formation sur la façon de porter l’EPP. Il a fait référence à l’[traduction] « ancien 127/128 » et au problème des agents correctionnels qui ne recevaient pas la formation promise. Le plaignant a déclaré que M. Simons savait de quoi il parlait. M. Simons a alors demandé au plaignant s’il voulait que d’autres membres du syndicat fassent le travail. Le plaignant a répliqué que M. Simons pouvait faire cela s’il le voulait, mais qu’il allait recommander aux autres agents correctionnels de ne pas le faire.

53 Le plaignant a déclaré qu’il avait [traduction] « […] fait beaucoup d’articles 128 » et qu’il connaissait bien le processus. Il a indiqué que c’est habituellement le devoir du défendeur d’informer les autres membres du personnel qu’un employé a invoqué l’article 128 du Code, mais que la direction de Springhill ne faisait pas de cas de ce devoir. Il a confirmé qu’il avait personnellement vécu des situations où la direction avait manqué à son devoir, y compris des incidents mettant en cause M. Simons.

54 Se remémorant de nouveau le premier échange avec M. Simons, le plaignant a maintenu qu’il lui avait dit qu’il n’était pas « en accord » avec la décision du défendeur d’afficher les instructions sur la manière d’enfiler et de retirer l’équipement à la cellule sèche. M. Simons lui a dit qu’il allait le renvoyer chez lui s’il refusait de faire son travail. Le plaignant a répondu qu’il était prêt à rentrer chez lui, mais qu’il devait rédiger son rapport sur le recours à la force. Après lui avoir accordé 20 minutes pour rédiger le rapport, M. Simons lui a dit qu’il envoyait quelqu’un pour le remplacer et que le plaignant devait ensuite retourner chez lui.

55 Quand il a vu arriver deux gestionnaires, le plaignant a demandé à un agent correctionnel de l’unité de le remplacer pendant qu’il téléphonait. Il a appelé M. Simons et lui a demandé s’il cherchait à l’intimider en envoyant deux gestionnaires pour le remplacer. Après avoir répondu par la négative, M. Simons a dit au plaignant qu’il pouvait venir le voir à son bureau. Le plaignant a répliqué qu’il ne pouvait pas le faire parce qu’il n’avait pas été remplacé par un agent CX-01 ou CX-02 comme il se devait. Le plaignant a déclaré durant son témoignage qu’un gestionnaire correctionnel CX-04 n’est pas un remplaçant approprié. (Il a déclaré par la suite qu’il ne pouvait pas garantir que c’était la règle, mais qu’il était sûr que c’était la pratique.) M. Simons a répondu que le plaignant avait été remplacé de manière appropriée; il lui a dit de rentrer chez lui et il lui a imposé sa première sanction pécuniaire. Le plaignant a déclaré qu’il avait l’impression qu’on lui [traduction] « tendait un piège » (en ce sens qu’il pouvait perdre son emploi s’il quittait son poste avant d’avoir été remplacé de manière appropriée) et qu’il avait refusé de retourner chez lui. Il a alors indiqué à M. Simons qu’il invoquait l’article 128 du Code.

56 Le plaignant a déclaré qu’il s’est écoulé entre 20 et 30 minutes entre le premier et le deuxième échange avec M. Simons. Le troisième échange a eu lieu 10 minutes plus tard. M. Simons a demandé au plaignant s’il quittait ou non les lieux. Le plaignant a répondu qu’il n’avait pas l’intention de rentrer chez lui avant d’avoir été remplacé de manière appropriée. Après lui avoir appliqué le deuxième niveau de sanctions pécuniaires, M. Simons a indiqué qu’il allait l’appeler dans 10 minutes. Durant l’échange, ou peut-être un peu plus tard, le plaignant a sollicité la présence d’un représentant syndical, mais cela lui a été refusé.

57 La même conversation s’est déroulée durant le quatrième échange. M. Simons a ordonné au plaignant de rentrer chez lui. Le plaignant a refusé en disant qu’il n’avait pas été remplacé de manière appropriée. M. Simons lui a imposé une troisième sanction pécuniaire et lui a accordé de nouveau 10 minutes pour réfléchir. Le plaignant a dit à M. Simons qu’il renonçait aux 10 minutes supplémentaires, mais M. Simons a raccroché.

58 Durant le dernier appel téléphonique, 10 minutes plus tard, M. Simons a imposé la sanction pécuniaire prévue au quatrième niveau. Le plaignant lui a expliqué qu’il préférait payer la sanction pécuniaire plutôt que de courir le risque de perdre son emploi pour avoir quitté son poste avant d’avoir été remplacé de manière appropriée.

59 Trente à 45 minutes plus tard, M. McDonald s’est présenté à la cellule sèche pour remplacer le plaignant. Lorsque le plaignant a quitté le poste, M. McLelland lui a emboîté le pas. Le plaignant s’est rendu au bureau de M. Simons pour signer la fiche d'heures supplémentaires; il a constaté que les heures de travail consignées (jusqu’à 13 h 30) étaient différentes de celles qu’il avait réellement effectuées (jusqu’à 14 h 45). Il a signé la fiche — faute de quoi il n’aurait pas été rémunéré — puis il a quitté l’établissement, escorté par M. McLelland.

60 Le plaignant a reconnu les quatre documents suivants : 1) une lettre de M. Muise datée du 16 juillet 2008 l’informant de la tenue d’une enquête disciplinaire sur son refus d’examiner les excréments (pièce C-6); 2) une lettre de M. Muise, portant la même date, l’informant de la tenue d’une enquête factuelle sur la force dont il avait usage contre le détenu G dans l’espace des douches (pièce C-7); 3) une troisième lettre du directeur, portant la même date, demandant à M. MacLeod de mener l’enquête factuelle (pièce C-8); 4) une lettre ultérieure de M. MacLeod conviant le plaignant à une réunion dans le cadre de l’enquête factuelle (pièce C-9).

61 Le plaignant a signalé qu’il avait eu une réunion, par la suite, avec l’enquêteur disciplinaire et qu’il avait refusé de répondre à ses questions sur les conseils de son représentant de UCCO-SACC-CSN, John Mancini. Après la réunion avec l’enquêteur, Paulette Arsenault (du bureau du défendeur dans la région de l’Atlantique) a envoyé un courriel à M. Mancini, le 28 juillet 2008 (pièce C-10), dans laquelle elle a écrit notamment ceci :

[Traduction]

[…]

[…] après un nouvel examen, nous avons décidé d’aller de l’avant avec le processus et l’enquête sur le refus de travailler (art. 128 de la partie 2 du CCT), survenu le 10 juillet 2008 [sic] à l’établissement Springhill, concernant l’examen de matières fécales humaines et mettant en cause l’agent correctionnel Denis LeClair.

[…]

(Les deux parties ont convenu que la date indiquée dans le courriel était erronée et qu’il faudrait lire le 11 juillet 2008.) Le plaignant n’a plus entendu parler de l’enquête disciplinaire et ce n’est qu’à la présente audience qu’il a appris que la direction avait décidé de ne pas appliquer les sanctions disciplinaires.

62 Lorsqu’on lui a demandé si quelqu’un avait communiqué avec lui dans le cadre d’une enquête en vertu de l’article 128, le plaignant a répondu qu’une personne était venue le rencontrer au travail, un jour, pour l’interroger sur la situation. Il lui a dit que son refus de travailler aux termes de l’article 128 avait été rejeté le 11 juillet 2008 et qu’il était maintenant « un peu tard » pour faire enquête.

63 En contre-interrogatoire, le plaignant a réitéré qu’il avait fait allusion à la situation antérieure visée à l’article 128 durant son premier échange avec M. Simons et qu'il avait également mentionné que les agents correctionnels étaient censés recevoir de la formation.

64 Le plaignant a expliqué que son inquiétude à propos du fonctionnement de l’installation d’évacuation de la drogue découlait du danger inhérent au fait de retirer des objets interdits et de les placer dans un sac et de la possibilité que [traduction] « quelque chose jaillisse » en ouvrant le couvercle du récipient s’il s’est accumulé de la pression dans la tuyauterie. Faute de formation, il s’exposait au risque de contamination s’il n’enfilait pas ou ne retirait pas l’EPP correctement.

65 Le plaignant a déclaré que les [traduction] « Instructions pour enfiler ou retirer les bio-combinaisons » (pièce R-1, onglet 7) n’étaient pas suffisantes, car elles ne fournissaient pas d’information sur les conséquences de la contamination. S’il avait reçu la formation adéquate, il aurait pu poser des questions sur ces conséquences.

66 Le plaignant a admis qu’il y avait des situations — par exemple lorsqu’un détenu crache sur un agent correctionnel — qui comportent un risque de transmission de maladies et que ce risque fait partie intégrante de son travail. Lorsque ces situations se produisent, le protocole en place veut que l’agent correctionnel se rende à l’hôpital, où il pourra [traduction] « décider de prendre un cocktail ». Le plaignant a déclaré qu’il était impossible de se prémunir contre certains risques, mais que dans le cas de l’installation d’évacuation de la drogue, il y aurait suffisamment de temps pour se prémunir contre le risque avec la formation nécessaire. Le plaignant a déclaré qu’il accordait la priorité à sa sécurité personnelle dans son travail et a posé la question suivante : [traduction] « Pourquoi devrais-je ajouter au risque? »

67 Le défendeur a demandé au plaignant s’il pouvait demander de l’aide pour obtenir réponse à ses questions sur les procédures à suivre pour enfiler et retirer les combinaisons. Le plaignant a répondu qu’il demandait de la formation depuis 2006 et qu’il n’en avait jamais reçu. Il a toutefois admis qu’il pouvait appeler la personne dont le nom est indiqué sur les [traduction] « Instructions pour enfiler et retirer les bio-combinaisons », que [traduction] « rien ne pressait » et qu’il pouvait prendre tout le temps nécessaire pour enfiler la combinaison de protection.

68 Lorsqu’on lui a demandé si le défendeur avait omis plus d’une fois dans le passé d’informer les autres membres du personnel qu’un employé avait refusé de travailler aux termes de l’article 128 du Code, le plaignant a donné plusieurs exemples. Il a indiqué comme suit que [traduction] « […] quand on fait un 128, ils doivent quand même suivre le processus ».

69 Le plaignant a renvoyé à une « analyse de la sécurité des tâches » effectuée en 2006. Il s’est souvenu que l’analyse disait que les agents correctionnels allaient recevoir de la formation sur la manière d’enfiler et de retirer les combinaisons de protection et d’autre EPP. Dans le cas des nouvelles recrues, la formation devait faire partie du Programme de formation correctionnelle initiale (PFC). Dans le cas du personnel en place, la formation devait être offerte dans le cadre du cours annuel sur l’utilisation de l’appareil respiratoire autonome (ARA). Après des questions supplémentaires, le plaignant a admis que l’analyse « suggérait » d’intégrer la formation dans le PFC et dans le cours sur l’ARA.

70 Le plaignant a confirmé que les quatre niveaux de mesures disciplinaires prévues par l’entente globale lui avaient été appliqués parce qu’il refusait d’obéir à un ordre direct de retourner chez lui.

71 Revenant aux échanges avec M. Simons, le défendeur a demandé au plaignant s’il avait expliqué le risque de contamination à M. Simons. Le plaignant a répondu qu’il croyait que M. Simons comprenait [traduction] « […] toute la situation du refus de travailler précédent aux termes de l’article 128 et de la cellule sèche ». Il a déclaré qu’une copie de l’analyse de la sécurité des tâches résultant de la situation survenue en 2006 se trouvait dans le journal conservé au poste. Il a de nouveau maintenu qu’il avait fait part de ses préoccupations à M. Simons à propos de la façon de procéder pour enfiler et retirer la combinaison de protection et lui avait dit que le manque de formation adéquate créait un danger pour lui.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

72 Le défendeur a fait valoir que la Commission devait répondre aux trois questions suivantes : 1) Le plaignant a-t-il refusé de travailler aux termes de l’article 128 du Code? 2) Les mesures prises par le défendeur sont-elles du même type que celles qui sont décrites à l’article 147? 3) Les mesures prises par le défendeur étaient-elles contraires à l’article 147?

73 Si la réponse à la première question est négative, la Commission est dès lors sans compétence et l’analyse doit s’arrêter là. Si la réponse est affirmative, la plainte doit être rejetée si la Commission répond par la négative à la deuxième ou à la troisième question.

1. Le plaignant a-t-il refusé de travailler aux termes de l’article 128 du Code?

74 Selon le défendeur, la jurisprudence a établi les trois éléments essentiels d’un refus de travailler aux termes de l’article 128 du Code comme suit : 1) l’employé doit signaler clairement qu’il refuse de travailler en raison d’un danger perçu; 2) il doit être raisonnablement fondé à exercer ce droit; 3) il doit y avoir un lien entre le refus et le moment où il est communiqué. Voir Gaskin c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 96, au paragraphe 84, Boivin c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 94, au paragraphe 127, et le paragraphe 128(6) du Code qui dispose qu’un employé fait « […] sans délai rapport sur la question à son employeur ».

75 Le défendeur a résumé les deux versions contradictoires des événements du 11 juillet 2008 qui se dégagent de la preuve. Il a soutenu que la Commission devait résoudre les divergences en appliquant les principes établis dans Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 en matière d’appréciation de la crédibilité. Comme il est indiqué dans F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, la preuve relative à la crédibilité doit être examinée selon la prépondérance des probabilités en tenant compte de tout le contexte.

76 En 2006, le défendeur a été confronté à un refus de travailler aux termes de l’article 128 du Code pour le même motif. Selon le témoignage de M. Harrison, cette situation a produit les trois résultats suivants : 1) des agents correctionnels ont examiné le contenu de l’installation d’évacuation de la drogue de temps à autre; 2) le défendeur a fourni l’EPP requis; 3) le défendeur a répondu aux besoins en matière de formation en affichant les [traduction] « Instructions pour enfiler et retirer les bio-combinaisons » (pièce R-1, onglet 7). Le défendeur estime que la question a été résolue. M. Muise a déclaré, lors de la réunion syndicale-patronale du 19 février 2008, qu’il était satisfait du règlement (pièce C-1). M. Simons et M. MacLeod ont déclaré qu’ils estimaient que la question avait été résolue. Le syndicat a toutefois continué de pousser la question.

77 Après avoir été informé de la situation, le 11 juillet 2008, M. Simons a examiné les circonstances qui existaient ce jour-là et s’est demandé s’il s’agissait d’un refus valide de travailler aux termes de l’article 128, ce à quoi il a répondu par la négative. Il a déclaré qu’il n’avait jamais pensé un seul instant que le refus du plaignant d’examiner le contenu de l’installation d’évacuation de la drogue était lié à la situation survenue en 2006.

78 Le défendeur a déclaré que la Commission devra décider si le plaignant a signalé assez clairement à M. Simons qu’il se prévalait de son droit de refuser de travailler aux termes de l’article 128 du Code. Le défendeur a soutenu qu’il devait être en mesure de faire la distinction entre un refus de travailler aux termes de l’article 128 et un simple refus d’accomplir le travail. Pour que le défendeur reconnaisse l’existence d’un danger, il ne suffit pas que l’employé déclare seulement qu’[traduction] « il y a un 128 ». Le plaignant a présumé que M. Simons savait de quoi il parlait, mais il ne lui a pas exprimé un refus de travailler de manière suffisante ce jour-là pour qu’il comprenne que le plaignant invoquait l’article 128 et pour quels motifs il le faisait. Il ne suffisait pas pour le plaignant de déclarer qu’il invoquait « un 128 ». Il devait expliquer pourquoi il croyait à l’existence d’un danger.

79 Le défendeur a également soutenu que le lien requis entre la communication du refus et la situation ayant donné lieu à ce refus n’existe pas en l’occurrence. M. Simons a déclaré que le plaignant avait invoqué l’article 128 durant le quatrième échange seulement. À ce moment-là, M. Simon considérait que l’acte du plaignant constituait strictement un refus de travailler. La direction avait déjà examiné le contenu de l’installation d’évacuation de la drogue pour repérer des objets interdits et relevé le plaignant de ses fonctions à la cellule sèche. Lorsque le plaignant a invoqué l’article 128, il n’avait plus de travail à accomplir.

80 Le défendeur a posé la question suivante : [traduction] « Le plaignant avait-il un motif raisonnable de refuser de travailler? » Il a observé que le plaignant avait admis que les [traduction] « Instructions pour enfiler et retirer les bio-combinaisons » affichées à la cellule sèche expliquaient comment enfiler et retirer la combinaison de protection. Le plaignant a admis que ces instructions fournissaient le nom de la personne à contacter en cas de problème. Il a également admis que rien ne pressait pour examiner le contenu de l’installation d’évacuation de la drogue et qu’il pouvait prendre tout le temps nécessaire pour enfiler la combinaison. Il a confirmé que des procédures étaient en place en cas de contamination (c’est-à-dire se rendre à l’hôpital pour [traduction] « prendre un cocktail »). Pour finir, il a admis que le risque d’exposition aux maladies faisait partie intégrante de son travail.

81 Le défendeur a soutenu qu’il y avait quelque chose en place pour répondre à toutes les préoccupations du plaignant. Le défendeur s’est demandé si le plaignant croyait réellement qu’il y avait un problème de sécurité ce jour-là. Le plaignant n’a-t-il pas plutôt invoqué l’article 128 du Code en raison de la situation survenue en 2006 et de la position du syndicat voulant que le défendeur ait accepté puis refusé de donner de la formation?

82 Le défendeur a renvoyé la Commission à Verville c. Canada (Service correctionnel), 2004 CF 767, qui donne la définition d’une condition normale d’emploi aux termes de l’alinéa 128(2)b) du Code. Le défendeur a soutenu que, pris ensemble, l’Ordre permanent 569, [traduction] Surveillance spéciale – Détenu qui dissimule des objets interdits dans une cavité corporelle - « VERSION PROVISOIRE », Annexe A : Procédure à suivre pour la cellule sèche (pièce R-1, onglets 5 et 6), la formation donnée aux agents correctionnels sur la manipulation d’objets interdits et les [traduction] « Instructions pour enfiler et retirer les bio-combinaisons » (pièce R-1, onglet 7) démontrent que le défendeur a ramené le risque associé au fonctionnement de l’installation d’évacuation de la drogue à un niveau qui rendait cette tâche acceptable comme condition de travail courante; voir Pépin v. Bell Canada, [2003] C.L.C.A.O.D. no 10 (QL).

83 En résumé, le défendeur a fait valoir que le plaignant n’avait pas signalé de manière assez claire qu’il se prévalait de son droit de refuser de travailler aux termes de l’article 128 du Code. La Commission doit donc conclure que le refus de travailler n’était pas valide.

2. Les mesures prises par le défendeur sont-elles du même type que celles qui sont décrites à l’article 147?  

84 Le défendeur a soutenu qu’il n’avait pas congédié, suspendu, mis à pied ou rétrogradé le plaignant. Il a observé que les parties avaient expressément indiqué que le défendeur n’avait pas appliqué de sanctions pécuniaires. Si M. Simons a fait référence à quatre reprises aux mesures disciplinaires prévues par l’entente globale lors de ses échanges avec le plaignant, ces sanctions n’ont jamais été imposées dans les faits.

85 Le défendeur a déclaré que c’est pour éviter les surprises qu’il informe les employés qu’ils feront l’objet de mesures disciplinaires. En informant le plaignant des sanctions prévues par l’entente globale, M. Simons n’a pas [traduction] « menacé de prendre des mesures disciplinaires » au sens de l’article 147 du Code ni tenté de l’empêcher, par l’intimidation, de présenter un refus de travailler aux termes de l’article 128. M. Simons a interprété le refus du plaignant de quitter les lieux comme un refus d’obéir aux ordres. Dans ce contexte, il a fait référence à l’entente globale [traduction] « en toute bonne foi ».

3. Les mesures prises par le défendeur étaient-elles contraires à l’article 147?

86 Si la Commission conclut que le défendeur a menacé de prendre des mesures disciplinaires, le défendeur a fait valoir, subsidiairement encore, que la menace de prendre des mesures disciplinaires n’avait aucun lien avec les motifs décrits à l’article 147 du Code.

87 Les alinéas 147a) et b) du Code ne s’appliquent pas en l’occurrence.

88 La preuve démontre que l’alinéa 147c) du Code ne s’applique pas non plus. M. Simons a déclaré qu’il avait fait référence aux mesures disciplinaires prévues par l’entente globale parce que le plaignant refusait d’obéir à son ordre de quitter les lieux. La question du refus du plaignant d’obéir à cet ordre est complètement distincte de son présumé refus de travailler aux termes de l’article 128. Dans son témoignage, le plaignant a admis que M. Simons avait fait référence à l’entente globale parce que le plaignant refusait d’obéir à l’ordre de retourner chez lui.

89 Même si le plaignant a invoqué l’article 128 du Code à bon droit, il ne peut pas utiliser son refus de travailler pour couvrir d’autres actes ou fautes de conduite qui pourraient entraîner des mesures disciplinaires. Il ne peut pas non plus utiliser le droit de refuser de travailler pour attirer l’attention sur d’autres questions actuelles de travail; voir Alexander c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2007 CRTFP 110.

4. Résumé

90 En résumé, le défendeur a soutenu que le plaignant n’avait pas invoqué un refus de travailler qui satisfaisait aux exigences de l’article 128 du Code. Les documents datant d’après l’incident, tel le courriel de Mme Arsenault à M. Mancini (pièce C-10), ne suffisent pas pour prouver qu’il y a eu un refus valide de travailler aux termes de l’article 128, le 11 juillet 2008.

91 Subsidiairement, aucune des mesures prises par le défendeur n'est du même type que celles qui sont énumérées à l’article 147 du Code.

92 Subsidiairement encore, les mesures prises par le défendeur ne résultent pas d’un refus de travailler aux termes de l’article 128 du Code, mais plutôt d’une autre situation survenue le même jour.

93 Bref, la Commission devrait rejeter la plainte. Si la Commission accueille la plainte, la mesure corrective devrait se limiter à une mesure de réparation déclaratoire.

B. Pour le plaignant

94 Le plaignant a déclaré que la thèse du défendeur en l’occurrence reposait sur les deux propositions suivantes : 1) le plaignant n’a pas communiqué un refus valide de travailler aux termes de l’article 128 du Code, puisqu’il avait été relevé de ses fonctions au moment où il a tenté d’invoquer cette disposition; 2) étant donné que la direction avait examiné le contenu de l’installation d’évacuation de la drogue, il n’existait plus de situation dangereuse. Le plaignant a soutenu que ces deux propositions sont fondamentalement erronées et que le défendeur a agi en contravention totale du Code, le 11 juillet 2008.

95 Le plaignant a attiré l’attention sur ce qu’il a décrit comme la position « très bizarre » du défendeur sur la question des mesures disciplinaires. Le défendeur a imposé des mesures disciplinaires, le 11 juillet 2008, mais il a ensuite informé le plaignant, à l’audience, qu’il avait abandonné ces mesures. Quoi qu’il en soit, le défendeur a soutenu dans les faits, tout au long de l’audience, que les mesures disciplinaires imposées par M. Simons étaient justifiées, puisque le plaignant avait commis un acte d’insubordination.

96 Le plaignant a qualifié de dangereux et d’arrogant l’argument du défendeur selon lequel l’employeur peut relever un employé de ses fonctions sur-le-champ lorsqu’il est confronté à un refus de travailler aux termes de l’article 128 du Code et prétendre après cela qu’il n’y a pas eu de refus valide de travailler aux termes de l’article 128. En acceptant cette position, la Commission anéantirait un droit crucial que le Code confère aux employés. Les employeurs pourraient faire obstacle au droit de refuser de travailler aux termes de l’article 128 en renvoyant les employés chez eux parce qu’ils refusent d’obéir à un ordre, transformant d’un seul coup un refus de travailler en un acte d’insubordination. De même, l’employeur pourrait décider d’envoyer un gestionnaire pour remplacer l’employé qui invoque l’article 128, lui faire accomplir le travail et soutenir ensuite qu’il n’y a pas eu de refus de travailler aux termes de l’article 128, puisque le danger n’existe plus. Ces scénarios laissent les employés totalement à la merci de leur employeur.

97 Le plaignant a vivement contesté l’argument selon lequel il n’a pas exprimé clairement un refus de travailler aux termes de l’article 128. S’appuyant sur son interprétation de la pratique habituelle par suite de la situation visée à l’article 128 survenue en 2006, le plaignant a communiqué avec M. Simons et lui a demandé d’envoyer un gestionnaire pour ouvrir le récipient de l’installation d’évacuation de la drogue et en examiner le contenu. Le plaignant n’avait pas été adéquatement formé pour accomplir cette tâche parce que le directeur avait fermement refusé de donner de la formation, comme en témoigne le procès-verbal de la réunion syndicale-patronale du 19 février 2008. À un moment donné, le plaignant a expressément dit qu’il invoquait l’article 128. Le plaignant a soutenu que M. Simons avait certainement compris, dès leur premier échange, que son refus de travailler était lié au manque de formation. M. Simons s’est d’ailleurs immédiatement entretenu avec l’équipe de gestion. Il est impossible de croire que M. Simons n’avait pas parfaitement compris, à l’issue de ces discussions, que la véritable nature du problème était le manque de formation du plaignant sur la façon d’utiliser l’EPP pour se protéger contre les biorisques.

98 Fait à noter, M. Simons n’a pas posé de questions au plaignant durant le premier échange. Lorsqu’un employé dit à un gestionnaire qu’il ne veut pas accomplir une tâche donnée, il est dans l’ordre normal des choses que le gestionnaire demande pourquoi et tente de déterminer la nature du problème. M. Simons n’en a rien fait. Sa réaction immédiate a été de déclarer [traduction] « C’est moi le patron et vous allez le faire, un point c’est tout. » Ce n’est pas la réaction attendue en vertu du Code.

99 Même si M. Simons n’était pas sûr que le plaignant refusait de travailler aux termes de l’article 128 du Code après le premier échange, ses doutes se sont rapidement dissipés lorsque le plaignant a explicitement mentionné l’article 128 durant un échange ultérieur. Le témoignage du plaignant a établi qu’il avait expressément fait référence à l’article 128 à l’intérieur de 20 à 30 minutes.

100 Le plaignant a avancé que la jurisprudence indique expressément qu’il n’est pas nécessaire d’invoquer l’article 128 du Code de manière très formelle; voir Snyder, The 2009 Annotated Canada Labour Code, Thomson Canada Limited, 2008, page 706. À partir du moment où le plaignant a invoqué l’article 128, le défendeur avait en toute bonne foi la charge de comprendre la cause de ce refus de travailler.

101 Selon le plaignant, la preuve démontre de manière indéniable que le défendeur lui a imposé quatre sanctions disciplinaires, contrairement à ce que soutient le défendeur. L’employé qui se prévaut du droit de refuser d’accomplir un travail dangereux aux termes de l’article 128 du Code ne peut pas se faire imposer immédiatement une sanction disciplinaire. L’article 147 vise précisément à empêcher l’employeur d’exercer des pressions sur les employés en les menaçant de prendre des mesures disciplinaires pour les dissuader de se prévaloir de leurs droits. L’objet du Code était de protéger le plaignant, le 11 juillet 2008. Au lieu de cela, le défendeur a tenté d’intimider le plaignant; comme si ce n’était pas assez, il l’a ensuite fait escorter à l’extérieur de l’établissement pour offrir un exemple aux autres agents correctionnels.

102 Le plaignant a renvoyé la Commission à Lequesne et Travailleurs unis du transport, section locale 1271 c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2004] CCRI no 276; Chaney c. Auto Haulaway Inc., [2000] CCRI no 47; Baker c. Polymer Distribution Inc., [2000] CCRI no 75.

103 Sur la question de l’application de l’alinéa 128(2)b) du Code, le plaignant a soutenu qu’il est reconnu que le travail accompli par un employé peut comporter une certaine part de risque si l’employeur a pris toutes les mesures requises pour protéger l’employé contre ce risque. Le défendeur n’a pas fait cela en l’occurrence. Le plaignant a avancé l’argument qu’obliger un employé à faire fonctionner l’installation d’évacuation de la drogue sans avoir reçu la formation nécessaire pour utiliser l’EPP ne constitue pas une condition normale d’emploi. Établissant une analogie avec la formation que le défendeur donne aux agents correctionnels sur l’utilisation des armes à feu, le plaignant a déclaré comme suit : [traduction] « [o]n ne leur donne pas seulement une arme, on leur montre comment s’en servir en toute sécurité ».

104 Pour conclure, le plaignant a fait valoir que la mesure corrective la plus importante requise de la Commission est une ordonnance enjoignant au défendeur de cesser et de s’abstenir de contrevenir à l’article 147 du Code. Le plaignant veut également que le défendeur soit tenu de l’indemniser pour les heures supplémentaires non payées qu’il a effectuées avant de quitter l’établissement, à 14 h 45, le 11 juillet 2008.

IV. Motifs

105 La plainte a été présentée en vertu de l’article 133 du Code, qui est libellé en partie comme suit :

133.(1) L’employé — ou la personne qu’il désigne à cette fin — peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

(2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance — ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance — de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

(3) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa présentation est subordonnée, selon le cas, à l’observation du paragraphe 128(6) par l’employé ou à la notification à l’agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 128(13).

[…]

(6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

106 Le plaignant a allégué que le défendeur a violé l’article 147 du Code, qui est libellé comme suit :

147.Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

107 La plainte porte sur les mesures qui ont été prises par le défendeur après que le plaignant a censément refusé de travailler aux termes de l’article 128 du Code. Cette disposition est libellée en partie comme suit :

128.(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

(2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas :

a) son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une autre personne;

b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.

[…]

(6) L’employé qui se prévaut des dispositions du paragraphe (1) ou qui en est empêché en vertu du paragraphe (4) fait sans délai rapport sur la question à son employeur.

[…]

(8) S’il reconnaît l’existence du danger, l’employeur prend sans délai les mesures qui s’imposent pour protéger les employés; il informe le comité local ou le représentant de la situation et des mesures prises.

(9) En l’absence de règlement de la situation au titre du paragraphe (8), l’employé, s’il y est fondé aux termes du présent article, peut maintenir son refus; il présente sans délai à l’employeur et au comité local ou au représentant un rapport circonstancié à cet effet.

(10) Saisi du rapport, l’employeur fait enquête sans délai à ce sujet en présence de l’employé et, selon le cas :

a) d’au moins un membre du comité local, ce membre ne devant pas faire partie de la direction;

b) du représentant;

c) lorsque ni l’une ni l’autre des personnes visées aux alinéas a) et b) n’est disponible, d’au moins une personne choisie, dans le même lieu de travail, par l’employé.

[…]

108 L’article 129 du Code décrit le rôle de l’agent de santé et de sécurité dans les cas où les parties continuent de diverger d’opinion à propos d’un refus de travailler. Cette disposition est libellée en partie comme suit :

129.(1) Une fois informé, conformément au paragraphe 128(13), du maintien du refus, l’agent de santé et de sécurité effectue sans délai une enquête sur la question en présence de l’employeur, de l’employé et d’un membre du comité local ayant été choisi par les employés ou du représentant, selon le cas, ou, à défaut, de tout employé du même lieu de travail que désigne l’employé intéressé, ou fait effectuer cette enquête par un autre agent de santé et de sécurité.

[…]

(4) Au terme de l’enquête, l’agent décide de l’existence du danger et informe aussitôt par écrit l’employeur et l’employé de sa décision.

[…]

109 J’ai structuré les présents motifs autour des trois questions suivantes :

1) La Commission a-t-elle compétence pour considérer le refus du plaignant d’accomplir une tâche comme un refus de travailler au sens de l’article 128 du Code?

2) Si la réponse à la question 1 est affirmative, le défendeur a-t-il prouvé que, selon la prépondérance des probabilités, il n’a pas contrevenu à l’article 147 du Code?

3) Si le défendeur n’a pas prouvé qu’il n’a pas contrevenu à l’article 147 du Code, quelle est la mesure corrective appropriée?

A. La Commission a-t-elle compétence pour considérer le refus du plaignant d’accomplir une tâche comme un refus de travailler au sens de l’article 128 du Code?   

110 Le défendeur estime que la Commission n’a pas compétence pour trancher la plainte parce qu’il n’y a pas eu un refus valide de travailler aux termes de l’article 128 du Code. Le défendeur a avancé plusieurs arguments pour étayer son objection. Il a fait valoir 1) que le plaignant n’avait pas signalé un refus de travailler qui indiquait suffisamment la nature du danger qu’il percevait; 2) que le plaignant n’était pas raisonnablement fondé à percevoir l’existence d’un danger; 3) que le lien requis entre le refus de travailler et le moment où le plaignant a communiqué ce refus au défendeur n’était pas présent; 4) que, de toute manière, la tâche que le plaignant avait été chargé d’accomplir comportait un danger qui constitue une condition normale de son emploi au sens de l’alinéa 128(2)b).

111 À mon humble avis, la position du défendeur à l’audience voulant qu’il n’y ait pas eu un refus valide de travailler aux termes de l’article 128 du Code ne s’accorde pas avec les mesures prises par ses représentants dans les jours suivant le 11 juillet 2008. Deux documents mis en preuve nous fournissent directement des indications sur l’état d’esprit du défendeur à ce moment-là. Le 26 juillet 2008, M. Muise, le dirigeant principal du défendeur à Springhill, a écrit au plaignant [traduction] « […] que les CX ne sont pas obligés d’examiner les selles jusqu’à ce que le 128 soit résolu » (pièce C-4). Dans ces conditions, il ne fait aucun doute que le « 128 » non résolu auquel le directeur faisait référence est l’incident survenu à la cellule sèche le 11 juillet 2008. Deux jours après la lettre de M. Muise, Mme Arsenault a écrit à l’avocat de UCCO-SACC-CSN du plaignant, M. Mancini, pour le compte du défendeur, pour l’informer de ce qui suit (pièce C-10) :

[Traduction]

[…]

[…] après un nouvel examen, nous avons décidé d’aller de l’avant avec le processus et l’enquête sur le refus de travailler (art. 128 de la partie 2 du CCT), survenu le 10 juillet 2008 [sic] à l’établissement Springhill, concernant l’examen de matières fécales humaines et mettant en cause l’agent correctionnel Denis LeClair.

[…]

112 Ni M. Muise ni Mme Arsenault n’ont témoigné à l’audience. Les témoins qui ont témoigné pour le compte du défendeur ont fourni très peu d’éléments de preuve sur les mesures prises par le défendeur après l’incident de la cellule sèche. M. Simons ne semble pas être intervenu après le jour de l’événement, sauf pour soumettre un rapport le lendemain. M. MacLeod a déclaré qu’il était parti en vacances. S’il s’est rappelé que le défendeur avait ultérieurement convoqué une réunion du comité SST pour examiner la situation de la cellule sèche, il n’était pas certain si le défendeur avait effectué une enquête en vertu de l’article 128. Par conséquent, je peux seulement m’appuyer sur ce que M. Muise et Mme Arsenault ont écrit dans les pièces C-4 et C-10 pour comprendre comment le défendeur a réellement traité le présumé refus de travailler après l’intervention de M. Simons. À en juger par cette preuve, le défendeur a admis le refus de travailler aux termes de l’article 128 et entrepris d’y donner suite. Il n’existe aucune preuve qu’il a indiqué, après le 11 juillet 2008, que le refus de travailler n’était pas valide ou que le défendeur ne pouvait pas l’admettre. La seule indication que nous avons qu’un représentant du défendeur a contesté le bien-fondé du refus de travailler aux termes de l’article 128 nous vient du témoignage de M. Simons quant aux propos qu’il a tenus au fonctionnaire s’estimant lésé le 11 juillet 2008. Dans leur échange de correspondance ultérieur, M. Muise et Mme Arsenault ont à toute fins utiles abandonné la position de M. Simons.

113 Je note également que le défendeur n’a pas contesté la validité du refus de travailler du plaignant aux termes de l’article 128 du Code lorsqu’il a soumis officiellement sa position sur la plainte à la Commission, le 12 septembre 2008. Le seul moyen de défense qu’il a offert à ce moment-là est que la plainte était devenue sans objet, puisque le défendeur n’avait pas imposé de mesures disciplinaires.

114 Le processus d’enquête prévu par l’article 128 du Code est enclenché par un acte de l’employé. Il ne se passe rien tant qu’un employé ne communique pas à l’employeur un refus de travailler aux termes de l’article 128. Dans le cas qui nous occupe, le fait que les représentants du défendeur ont confirmé au plaignant et à son représentant qu’il y avait un refus de travailler aux termes de l’article 128 non résolu découlant des événements du 11 juillet 2008 et que le défendeur avait l’intention de le résoudre doit être considéré comme une preuve solide que — dans l’esprit du défendeur — le plaignant avait invoqué l’article 128 et qu’il avait communiqué suffisamment le motif pour lequel il l’avait fait pour que le défendeur le comprenne et entreprenne de faire le suivi. Sur ce dernier point, les pièces C-4 et C-10 démontrent clairement que le défendeur connaissait la cause du refus de travailler en juillet 2008. M. Muise mentionne expressément l’[traduction] « examen […] des selles » et Mme Arsenault parle de l’[traduction] « […] l’examen de matières fécales […] mettant en cause l’agent correctionnel Denis LeClair ».

115 Au vu de la preuve, je dois considérer comme un fait avéré que le défendeur a décidé, en juillet 2008, d’admettre le refus de travailler aux termes de l’article 128 du plaignant et d’y donner suite, qu’il a suffisamment compris le motif de ce refus et qu’il n’a pas nié que le plaignant s’était prévalu de son droit aux termes du Code — indépendamment de ce que M. Simons a dit ou fait le 11 juillet 2008.

116 En dépit de la preuve irréfutable contenue dans les pièces C-4 et C-10, le défendeur a soutenu, à l’audience, que je devais, en fait, faire abstraction de ce que les représentants du défendeur avaient dit ou fait après le 11 juillet 2008. Il a avancé que je devais baser mes conclusions uniquement sur ce qui s’était réellement passé le 11 juillet 2008 et que, dans cette analyse, je devais accorder plus de crédibilité aux témoignages de M. Simons et de M. MacLeod qu’à la version des événements survenus ce jour-là présentée par le plaignant. Cela étant dit, il a soutenu que le plaignant n’avait pas refusé de travailler aux termes de l’article 128 du Code de manière régulière.

117 Si j’examine la preuve relative aux événements survenus le 11 juillet 2008 à la lumière du critère énoncé dans Faryna v. Chorny, comme le plaignant m’y exhorte, je ne peux pas dire que cette preuve démontre que le plaignant n’a pas invoqué l’article 128 du Code de manière régulière. La jurisprudence indique clairement que l’employé doit communiquer à l’employeur qu’il croit à l’existence d’un danger de façon assez claire pour que l’employeur sache qu’il invoque l’article 128. Il n’y a pas de formule magique à prononcer pour ce faire. Une chose est certaine, il n’est pas nécessaire que l’employé mentionne expressément l’article 128. Selon le libellé du paragraphe 128(1), l’employé doit avoir « […] des motifs raisonnables de croire […] » à l’existence d’un danger. L’interprétation retenue dans la jurisprudence est que l’employé doit prouver qu’il avait des motifs raisonnables de croire à l’existence du danger. Dès lors que l’employé démontre qu’il a des motifs raisonnables et que la preuve établit qu’il les a communiqués à l’employeur, l’application de l’article 128 est enclenchée de façon régulière.

118 Le défendeur a soutenu que l’employé devait être « raisonnablement fondé » à se prévaloir du droit de refuser de travailler. J’estime que cette formulation va au-delà de l’obligation qui est faite à l’employé de prouver qu’il a des motifs raisonnables de croire à l’existence du danger. Au lieu d’apprécier le caractère raisonnable des motifs pour lesquels l’employé croit à l’existence du danger, la formulation du défendeur semble exiger une preuve directe de l’existence raisonnable du danger. Selon l’interprétation que je fais de la jurisprudence, la formulation du défendeur en demande plus que ce qu’exige l’article 128 du Code. Par souci de clarté, je crois que la jurisprudence admet qu’un employé peut avoir tort de croire à l’existence d’un danger, pour autant que les motifs pour lesquels il croit à l’existence de ce danger soient raisonnables en soi.

119 Dans le même ordre d’idées, la jurisprudence dit qu’il ne faut pas que la charge qui est imposée à l’employé de faire la preuve des motifs pour lesquels il croit à l’existence d’un danger soit trop lourde. Par exemple, dans Chaney c. Auto Haulaway, Inc., [2000] CCRI no 47, le Conseil canadien des relations industrielles a écrit ceci :

[…]

26.     Dans les cas de ce genre, il importe particulièrement de déterminer si l’employé qui a exercé le droit de refuser de travailler avait des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger. À cet égard, le Conseil a toujours retenu l’interprétation la plus large possible du concept de motifs raisonnables.

27.     Le but de la législation est de prévenir les accidents et les blessures au travail. Cet objectif ne peut être atteint si les employés sont dissuadés de signaler des conditions dangereuses possibles parce que la charge d’établir le bien-fondé de leurs craintes est trop lourde. Lorsque les employés se plaignent que des mesures de représailles ont été prises à leur endroit parce qu’ils ont exercé leur droit de refuser de travailler aux termes du Code, il faudrait en premier lieu chercher à connaître les raisons pour lesquelles l’employeur a décidé de prendre des mesures disciplinaires au lieu de s’interroger sur le caractère raisonnable du refus de l’employé […]

[…]

La jurisprudence indique en général qu’il suffit à l’employé d’établir que son refus de travailler est fondé sur des craintes véritables liées à la sécurité : voir, par exemple, Sabourin c. Société canadienne des postes, [1987] CCRI no 618. Certaines décisions indiquent en outre qu’il faut accorder le bénéfice du doute à l’employé lorsqu’on apprécie la sincérité de ses préoccupations : voir Société canadienne des postes c. Jolly, [1992] CCRI no 941.

120 Dans ce cas-ci, le plaignant a déclaré dans son témoignage qu’il croyait que sa sécurité était menacée parce qu’il n’avait pas reçu de formation pour utiliser l’EPP. Il a indiqué que les [traduction] « Instructions pour enfiler et retirer les bio-combinaisons » (pièce R-1, onglet 7) étaient insuffisantes parce qu’elles ne fournissaient pas d’information sur les conséquences de la contamination. Il a déclaré qu’il craignait, de ce fait, de s’exposer à des biorisques en ouvrant le récipient de l’installation d’évacuation de la drogue et en en examinant le contenu. Il craignait également d’être contaminé s’il revêtait la bio-combinaison incorrectement. En contre-interrogatoire, M. Simons a confirmé qu’il y avait une prévalence de maladies telles que l’hépatite B et C et le SIDA à Springhill.

121 Même si le plaignant a déclaré, dans son témoignage, qu’il disposait de certains moyens pour parer au risque perçu ou pour l’atténuer — comme demander l’aide du gardien pour enfiler et retirer l’EPP ou se rendre à l’hôpital s’il croyait avoir été exposé à des contaminants — j’estime néanmoins qu’il a établi que, selon la prépondérance des probabilités, il avait des motifs de croire à l’existence d’un danger le 11 juillet 2008. Je ne dispose certainement d’aucune preuve concluante qui met en doute la possibilité qu’il ait été confronté à un danger le 11 juillet 2008. (Sur ce point, je note que le CCRI a statué dans Lequesne c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2004] CCRI no 276, qu’il faut supposer qu’un plaignant avait des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger, faute d’opinion contradictoire d’un agent de santé et de sécurité.) Le défendeur a répliqué que le plaignant avait peut-être invoqué l’article 128 [traduction] « […] en raison de la position du syndicat voulant que le défendeur ait accepté puis refusé de donner de la formation ». C’est une possibilité, certes, mais cela ne prouve pas non plus que les préoccupations du syndicat — et les préoccupations du plaignant — à propos de la formation n’étaient pas attribuables au fait qu’il avait des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger possible si un employé faisait fonctionner l’installation d’évacuation de la drogue sans avoir reçu la formation nécessaire.

122 En ce qui concerne la question de savoir ce que le plaignant a communiqué au défendeur et à quel moment il l’a communiqué, le témoignage de M. Simons révèle que le plaignant a expressément établi un lien entre son refus d’examiner le contenu de l’installation d’évacuation de la drogue et l’exercice de son droit de refuser de travailler aux termes de l’article 128 du Code au plus tard lors de leur quatrième échange. Malgré le manque de précisions quant à l’heure exacte, cet échange doit avoir eu lieu dans les soixante minutes qui ont suivi le premier appel du plaignant à M. Simons, ou très peu de temps après. Bref, il s’est écoulé un court laps de temps, tout au plus.

123 Même si le plaignant n’a pas expressément invoqué l’article 128 durant les trois premiers échanges, comme le soutient M. Simons, il est acquis qu’il a refusé de travailler lors du tout premier échange et qu’il a fait rapport des circonstances essentielles de son refus à ce moment-là, à savoir qu’il refusait de travailler parce qu’on lui demandait d’ouvrir le récipient de l’installation d’évacuation de la drogue et d’en examiner le contenu. Rappelons encore une fois que la jurisprudence ne dit pas que le plaignant doit avoir invoqué expressément l’article 128, ou même le Code, pour se prévaloir de sa protection.

124 Le plaignant a déclaré qu’il avait fourni des renseignements suffisants durant le premier échange pour permettre au défendeur de comprendre que la situation était un refus de travailler aux termes de l’article 128 et la raison de ce refus de travailler. Le plaignant a affirmé qu’il avait établi un lien dès le départ entre son refus et l’incident visé à l’article 128 survenu en 2006 — un incident qui se rapportait explicitement au danger d’exposition à des biorisques auquel les agents correctionnels étaient censément confrontés lorsqu’ils faisaient fonctionner l’installation d’évacuation de la drogue. Même si je mettais sérieusement en doute l’exactitude de ce que le plaignant se souvient avoir dit à M. Simons lors de leur premier échange ou de ce qu’il dit avoir réitéré lors des échanges suivants, je ne peux pas croire que M. Simons n’a pas rapidement compris la nature de la situation, surtout après en avoir discuté avec les membres de l’équipe de gestion. Le procès-verbal de la réunion syndicale-patronale du 19 février 2008 (pièce C-1) indique que M. Muise et M. MacLeod, qui étaient l’un et l’autre présents, ne peuvent pas ne pas avoir compris que le refus de la part d’un agent correctionnel — et plus particulièrement un refus de la part de ce plaignant — d’accomplir une tâche dans la cellule sèche avait quelque chose à voir avec des préoccupations à propos de la formation et du danger de faire fonctionner l’installation d’évacuation de la drogue. Peut-être que ces préoccupations ne leur paraissaient pas légitimes, mais dire que l’équipe de gestion ne savait pas que ces préoccupations existaient toujours, surtout dans l’esprit du plaignant, me semble une interprétation déraisonnable de la preuve. Je crois que l’équipe de gestion a pratiquement reconnu d’emblée que la situation survenue le 11 juillet 2008 constituait un refus réel ou potentiel de travailler aux termes de l’article 128, qu’elle savait que la question de la formation entrait en jeu et qu’elle a donné des directives à M. Simons en conséquence. De ce point de vue, le défendeur aurait dû comprendre très clairement dès le début qu’il y avait un lien entre le refus initial de travailler du plaignant et l’article 128.

125 Le témoignage de M. Simons a révélé qu’il comprenait très bien la position du défendeur sur la question de la formation et de l’installation d’évacuation de la drogue. Il a déclaré qu’il croyait que le problème avait été résolu. Il a affirmé que [traduction] « […] tous les agents correctionnels reçoivent de la formation pour accomplir la tâche dans le cadre de leur formation de base et [qu’]aucune autre formation n’est nécessaire ». Ce témoignage concorde presque en tous points avec ce que M. Muise a déjà déclaré pour les fins du dossier. Selon le procès-verbal de la réunion de consultation du 19 février 2008 (pièce C-1), M. Muise a observé que les instructions sur l’utilisation de l’EPP que le défendeur avaient affichées lui paraissaient « très adéquates » et qu’il n’était [traduction] « […] pas prêt à consacrer une journée, une demi-journée ou une heure à donner de la formation à des gens sur la façon de s’habiller ».

126 Au vu de la preuve, j’estime que M. Simons aurait très bien pu indiquer, le 11 juillet 2008, que le défendeur ne croyait pas à l’existence d’un danger, et expliquer pourquoi, comme le défendeur en avait le droit aux termes du paragraphe 128(8) du Code. Il aurait pu invoquer des raisons fondées sur l’article 128 pour justifier le rejet du refus de travailler du plaignant, mais il ne l’a pas fait. Il semble que le défendeur avait une tout autre stratégie en tête. Après que le plaignant eut confirmé, durant le quatrième échange, qu’il invoquait l’article 128, M. Simons a déclaré qu’il avait aussitôt répondu qu’il refusait d’admettre un refus de travailler aux termes du Code. Il ne semble pas avoir posé de questions sur la situation. Il n’a pas discuté du présumé danger ou de l’absence de danger. S’il a signalé que les dangers que le plaignant encourait constituaient [traduction] « […] une condition normale d’emploi […] » en lui disant : [traduction] « […] c’est votre travail et vous devez le faire […] », ce n’est pas la raison pour laquelle il a refusé d’admettre le refus de travailler aux termes de l’article 128. Sur ce point, le témoignage de M. Simons est explicite. Il a dit au plaignant qu’il refusait d’admettre son refus aux termes de l’article 128 parce qu’il avait relevé le plaignant de ses fonctions et lui avait donné l’ordre de quitter l’établissement.

127 Je ne nie pas que M. Simons ait agi en conformité avec les pouvoirs qui lui étaient dévolus lorsqu’il a décidé de relever le plaignant de ses fonctions, mais utiliser cette décision comme raison pour ne pas prendre en considération un refus de travailler aux termes de l’article 128 me semble contraire à l’esprit et à l’objet du Code. La jurisprudence offre des exemples explicites de cas où l’employeur a rejeté à bon droit un refus de travailler aux termes de l’article 128 et a subséquemment obtenu la confirmation de cette décision, pour des raisons de procédure ou de fond, comme l’envisage l’article 128. Cela étant dit, la jurisprudence indique également que l’employeur doit s’appliquer, de manière active et raisonnable, à évaluer, d’une façon ou d’une autre, les circonstances d’un présumé refus de travailler avant de le rejeter. La réaction de M. Simons ne répond pas à cette norme. Le plaignant était en poste lorsqu’il lui a communiqué son refus de travailler. Sur les conseils de l’équipe de gestion, M. Simons a immédiatement ordonné au plaignant, durant le deuxième échange, de terminer la rédaction de son rapport sur le recours à la force et de rentrer chez lui s’il persistait dans son refus. La ligne de conduite de M. Simons était bien arrêtée et rien de ce que le plaignant a dit par la suite, y compris sa mention de l’article 128, ne l’a fait dévier de cette ligne de conduite. La preuve établit ainsi à ma satisfaction que — sur les conseils d’autres ou de sa propre initiative —, M. Simons n’a jamais réellement été ouvert à la possibilité qu’il devrait admettre un refus de travailler aux termes de l’article 128. Le fait de relever le plaignant de ses fonctions a certes eu pour effet d’éloigner le plaignant du danger possible dans l’immédiat, mais cela n’a pas changé la réalité, c’est-à-dire que le plaignant avait refusé de travailler et que le défendeur savait, ou aurait raisonnablement dû savoir, que le refus donnait lieu à une situation visée à l’article 128. Lorsque le plaignant a confirmé le lien avec l’article 128, la situation n’a pas cessé d’exister parce que M. Simons avait ordonné au plaignant de rentrer chez lui dans l’intervalle. La situation n’a pas non plus cessé d’exister parce que M. Simons avait trouvé quelqu’un d’autre pour faire le travail.

128 Je ne crois pas que le défendeur puisse avancer de manière crédible, au soutien de son objection quant à la compétence de la Commission, une interprétation des faits qui est contredite par les actes et les déclarations de ses propres représentants. Mon examen de la preuve révèle que le défendeur n’a pas communiqué, le 11 juillet 2008 ou dans les semaines qui ont suivi l’événement, les réserves qui l’ont amené à avancer, pour la première fois, à l’audience 1) que le plaignant n’avait pas signalé un refus de travailler qui indiquait suffisamment la nature du danger qu’il percevait; 2) que le plaignant n’était pas raisonnablement fondé à percevoir l’existence d’un danger; 3) que le lien requis entre le refus de travailler et le moment où le plaignant a communiqué ce refus au défendeur n’était pas présent.

129 Au contraire — et, semble-t-il, en contradiction avec la position que M. Simons a adoptée le 11 juillet 2008 — les quelques éléments de preuve disponibles sur l’après-incident démontrent que le défendeur a décidé de reconnaître que le plaignant avait présenté un refus de travailler aux termes de l’article 128 de façon régulière et que le défendeur comprenait suffisamment la nature de l’événement déclencheur pour s’engager à faire enquête.

130 J’estime que la charge du défendeur doit être d’opposer une défense à la plainte basée sur ces moyens. Même si je reconnais qu’une partie peut généralement soulever une objection à la compétence même après le début de l’audience, la crédibilité d’une objection sera mise en doute si les déclarations et les actes des représentants ne concordent pas avec la théorie que la partie tente de mettre de l’avant par la suite. La preuve dans le présent cas établit que le défendeur a reconnu que le plaignant avait présenté un refus de travailler aux termes de l’article 128, malgré ce qu’affirme M. Simons, et qu’il a alors entrepris d’y donner suite. Rien n’empêchait ensuite le défendeur de conclure à l’absence de danger, comme c’était son droit en vertu du paragraphe 128(6) du Code. Il aurait pu soutenir qu’il avait résolu les problèmes de sécurité grâce aux mesures prises à la suite de la situation visée à l’article 128 survenue en 2006. Or, il n’existe aucune preuve que le défendeur a communiqué une position semblable au plaignant ou à son représentant — avant la tenue de l’audience. Dans les cas où l’employeur ne reconnaît pas l’existence d’un danger, des mesures supplémentaires sont prévues par l’article 128 pour résoudre la situation. Il semble que le défendeur n’a pris aucune de ces mesures. Le comportement de ses représentants en l’occurrence a privé le plaignant de la possibilité de déterminer s’il devait se prévaloir des autres recours prévus par l’article 128. M. Simons a commencé par faire obstacle au processus envisagé par l’article 128 en niant d’emblée que le plaignant — qui avait été relevé de ses fonctions — eût qualité pour invoquer l’article 128. Puis, pour des motifs qui demeurent inexpliqués, M. Muise et Mme Arsenault ont abandonné la position de M. Simons et communiqué qu’ils admettaient que le plaignant avait refusé de travailler aux termes de l’article 128. On ne sait à peu près rien de ce qui s’est passé par la suite. Le défendeur n’a offert pratiquement aucun élément de preuve quant aux mesures qu’il a prises en conformité avec l’article 128. Tout bien considéré, il est probable qu’il n’a rien fait.

131 Je suis dès lors convaincu que les déclarations et les actes des représentants du défendeur dans ce cas-ci minent la crédibilité de son objection à la compétence. J’estime que le défendeur a décidé d’admettre le refus de travailler du plaignant après coup et qu’il devrait maintenant avoir la charge d’opposer une défense à la plainte basée sur ces moyens. Le défendeur savait, ou aurait dû raisonnablement savoir, que ce que le plaignant a communiqué dès son premier échange avec M. Simons concernait une situation réelle ou potentielle visée à l’article 128. Le défendeur aurait dû concentrer son attention sur ses responsabilités en vertu de l’article 128 puis agir de façon cohérente conformément au processus établi par l’article 128 — ne serait-ce que pour expliquer les raisons pour lesquelles il rejetait le refus de travailler.

132 Il reste l’argument du défendeur — fondé sur l’Ordre permanent 569, [traduction] Surveillance spéciale – Détenu qui dissimule des objets interdits dans une cavité corporelle - « VERSION PROVISOIRE », Annexe A : Procédure à suivre pour la cellule sèche (pièce R-1, onglets 5 et 6), la formation donnée aux agents correctionnels sur la manipulation d’objets interdits et les [traduction] « Instructions pour enfiler et retirer les bio-combinaisons » (pièce R-1, onglet 7) — voulant qu’il ait ramené le risque associé au fonctionnement de l’installation d’évacuation de la drogue à un niveau qui rendait cette tâche acceptable comme condition de travail courante. Selon la thèse du défendeur, le danger associé à l’examen du contenu de l’installation d’évacuation de la drogue constituait une [traduction] « condition normale d’emploi » au sens de l’alinéa 128(2)b) du Code. Bref, il existait une exception qui limitait l’exercice du droit du plaignant de refuser de travailler, le 11 juillet 2008, ou qui y faisait obstacle.

133 En réplique à cet argument, le plaignant a déclaré que le travail accompli par un employé peut comporter une certaine part de risque si l’employeur a pris toutes les mesures nécessaires pour protéger l’employé contre ce risque — ce que le défendeur n’a pas fait en l’occurrence. Le plaignant a avancé l’argument qu’obliger un employé à faire fonctionner l’installation d’évacuation de la drogue sans avoir reçu la formation nécessaire pour utiliser l’EPP ne constitue pas une condition normale d’emploi.

134 Au vu de la nature fondamentale de la présente affaire, je ne suis pas convaincu que je dois décider si l’examen du contenu de l’installation d’évacuation de la drogue constituait une « condition normale d’emploi » au sens de l’alinéa 128(2)b) du Code — ou même que j’ai la compétence pour me prononcer sur cette question dans les circonstances. La principale allégation dans ce cas-ci est que le défendeur a pris des mesures disciplinaires contre le plaignant parce qu’il refusait de travailler aux termes de l’article 128. S’agissant d’une plainte présentée en vertu de l’article 133, la Commission ne peut exercer son pouvoir que pour déterminer si les mesures disciplinaires constituent des mesures de représailles interdites par l’article 147. Le paragraphe 133(1), qui est libellé comme suit, énonce clairement cet objectif :

133.(1) L’employé — ou la personne qu’il désigne à cette fin — peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

La décision Chaney, entre autres, confirme que dans un cas semblable, il faut chercher en premier lieu « […] à connaître les raisons pour lesquelles l’employeur a décidé de prendre des mesures disciplinaires […] » (paragraphe 27).

135 Lorsqu’une plainte visée à l’article 133 découle de l’exercice d’un droit aux termes de l’article 128 du Code, le paragraphe 133(3), qui est libellé comme suit, pose une condition préalable :

133. (3) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa présentation est subordonnée, selon le cas, à l’observation du paragraphe 128(6) par l’employé ou à la notification à l’agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 128(13).

Le paragraphe 128(6) est libellé comme suit :

128. (6) L’employé qui se prévaut des dispositions du paragraphe (1) ou qui en est empêché en vertu du paragraphe (4) fait sans délai rapport sur la question à son employeur.

À dire vrai, j’ai déjà statué que le plaignant en l’occurrence avait « […] fait sans délai rapport sur la question à son employeur ».

136 J’estime que rien dans le texte de l’article 133 du Code ne dit que la Commission doit se prononcer sur l’existence d’un danger au sens de l’article 128 ou à déterminer si un tel danger constituait une « condition normale d’emploi » avant d’examiner les prétendues mesures de représailles prises par l’employeur. Aux articles 128 et 129, le Code attribue la responsabilité fondamentale d’évaluer l’existence d’un danger à d’autres — à l’employeur d’abord et ensuite, au besoin, à un membre du comité local ou au représentant et, pour finir, à l’agent de santé et de sécurité en vertu de l’article 129. Aux termes d’une version antérieure du Code, la Commission aurait pu être appelée à examiner la décision de l’agent de santé et de sécurité quant à l’existence d’un danger ou à déterminer si ce danger constituait une condition normale d’emploi : voir, par exemple, les décisions du Conseil canadien des relations du travail dans Lalonde c. Société canadienne des postes, 77 di 9 (CCRT no 731); Almeida c. Via Rail Canada Inc., 82 di 10 (CCRT no 818); Spadafora c. Lignes aériennes Canadien International ltée, 90 di 157 (CCRT no 981). Le Code a été modifié depuis et cette situation ne s’applique pas ici.

137 J’ai conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le plaignant avait des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger, qu’il existait un lien entre cette perception et son refus de travailler (qu’il a communiqué « sans délai ») et que le défendeur a reconnu que le plaignant avait refusé de travailler aux termes de l’article 128. Ces conclusions suffisent, selon moi, pour que j’entreprenne de déterminer, en application de l’article 133, si le défendeur a pris des mesures disciplinaires contraires à l’article 147. En affirmant que l’examen du contenu de l’installation d’évacuation de la drogue constituait une « condition normale d’emploi » au sens de l’alinéa 128(2)b), le défendeur avance, au soutien d’une objection à la compétence, un argument de fond qui appartient à un autre scénario. Dans ce type de scénario, le défendeur aurait répondu au refus de travailler en déclarant formellement que l’exception relative à la « condition normale d’emploi » prévue à l’alinéa 128(2)b) s’appliquait. Informé de cette position, le plaignant aurait alors été obligé de décider s’il maintenait son refus, comme l’y autorise le paragraphe 128(9). S’il avait fait ce choix, les autres processus prévus par l’article 128 pour déterminer l’existence d’un danger auraient pu être appliqués, dont l’intervention possible d’un agent de santé et de sécurité en vertu de l’article 129. Dans les premiers stades de ce scénario, on aurait procédé à une analyse de l’existence d’un danger et à un examen de l’application de l’exception relative à la « condition normale d’emploi ». Si le défendeur avait été en désaccord avec les résultats et qu’il avait insisté pour dire que l’exception relative à la « condition normale d’emploi » s’appliquait, il aurait pu invoquer ce moyen pour poursuivre sa cause, dans la mesure permise par le Code.

138 Ce n’est pas ainsi que cela s’est passé en l’espèce. Je ne crois pas que le défendeur peut demander aujourd’hui à la Commission, dans le contexte d’une objection à la compétence pour statuer sur une plainte visée à l’article 133 du Code, de se livrer à une analyse de fond qui aurait dû être effectuée par d’autres dès le départ, si les processus prévus par les articles 128 et 129 avaient été suivis. Dans ce cas-ci, les processus habituels ont été court-circuités par les actes du défendeur — ou, s’ils ne l’ont pas été, je ne dispose d’aucune preuve, autre que la promesse de l’employeur, dans les pièces C-4 et C-10, de faire enquête, pour établir de quelle manière l’employeur s’est conformé à ces processus. D’ordinaire, les plaintes visées à l’article 133 sont présentées après que ces processus ont été appliqués et que les questions de fond qui peuvent être soulevées aux termes de l’article 128 ont été soulevées, y compris la position qu’un danger constitue une « condition normale d’emploi ». Le fait que le défendeur semble avoir court-circuité les processus en l’espèce complique le présent cas et lui confère un caractère inhabituel, mais cela ne change rien au fait qu’il s’agit d’une plainte visée à l’article 133 portant sur des mesures de représailles et non de l’examen d’une décision prise en vertu de l’article 128 ou 129 quant à l’existence d’un danger.

139 Bref, je ne crois pas que le défendeur soit fondé à faire valoir que l’examen du contenu de l’installation d’évacuation de la drogue constituait une « condition normale d’emploi » dans le contexte d’une objection quant à ma compétence pour statuer sur le bien-fondé de la présente plainte visée à l’article 133.

140 Pour les motifs susmentionnés, je rejette l’objection du défendeur quant à la compétence de la Commission pour examiner la plainte. Aux fins de trancher la plainte visée à l’article 133 du Code, je conclus que le plaignant a invoqué l’article 128 à bon droit et que le défendeur a admis qu’il s’agissait d’un refus de travailler aux termes de l’article 128.

B. Le défendeur a-t-il prouvé que, selon la prépondérance des probabilités, il n’a pas contrevenu à l’article 147 du Code?   

141 Ayant conclu que la plainte découlait de l’exercice d’un droit aux termes de l’article 128 du Code, le défendeur a la charge d’établir, en vertu du paragraphe 133(6), qu’il n’a pas contrevenu à l’article 147.

142 Le défendeur a soutenu qu’aucune des mesures qu’il a prises n’était du même type que celles qui sont décrites à l’article 147 du Code. Je ne suis pas d’accord.

143 La preuve est limpide. M. Simons a déclaré qu’il avait fait référence, dans ses échanges avec le plaignant, à chacun des quatre niveaux de mesures disciplinaires prévus par l’entente globale. Le plaignant a témoigné dans le même sens. M. Simons n’a pas fait référence à ces mesures pour la forme. Le plaignant a correctement déduit que M. Simons était déterminé à prendre des mesures disciplinaires. La preuve a d’ailleurs démontré que M. Simons avait reçu instruction de la part de M. Muise d’imposer des sanctions disciplinaires conformément à l’entente globale si le plaignant refusait de rentrer chez lui.

144 Le 16 juillet 2008, M. Muise a avisé le plaignant qu’il instituait une enquête disciplinaire (pièce C-6). La preuve a également démontré qu’un enquêteur disciplinaire avait convoqué le plaignant à une réunion par la suite.

145 Les mesures prises par le défendeur peuvent à tout le moins être interprétées comme une menace d’imposer des mesures disciplinaires au sens de l’article 147 du Code. La position initiale du défendeur voulant qu’aucune sanction disciplinaire n’ait été imposée et que, partant, la plainte soit devenue sans objet, est elle-même sans objet. Il n’est pas nécessaire, pour l’application de l’article 147, que le défendeur ait réellement pris des mesures disciplinaires. Il suffit qu’il ait menacé d’en prendre.

146 Je rejette l’objection du défendeur voulant que la plainte soit devenue sans objet et je conclus que la mesure prise par le défendeur en l’espèce est une mesure décrite à l’article 147 du Code.

147 La véritable question que je dois trancher est celle de savoir si le défendeur a menacé de prendre des mesures disciplinaires contre le plaignant parce qu’il « […] a observé les dispositions de la présente partie ou chercher à les faire appliquer » au sens de l’alinéa 147b) du Code. Le défendeur a soutenu (subsidiairement) que toute mesure disciplinaire qu’il a imposée ou menacé d’imposer était liée une situation différente survenue le même jour — le refus du plaignant d’obéir à l’ordre de se faire remplacer, de terminer la rédaction de son rapport sur le recours à la force et de rentrer chez lui — plutôt qu’à un refus de travailler aux termes de l’article 128.

148 Au vu de la preuve, je dois dire que la position du défendeur n’est pas dénuée de fondement. M. Simons a maintenu tout au long de son témoignage qu’il avait fait mention des mesures disciplinaires prévues par l’entente globale parce que le plaignant refusait d’obéir à son ordre de quitter la cellule sèche et de rentrer chez lui. En contre-interrogatoire, le plaignant a admis qu’on lui avait appliqué chacun des quatre niveaux de mesures disciplinaires prévus par l’entente globale parce qu’il refusait d’obéir à un ordre direct de retourner chez lui.

149 Y a-t-il des raisons de pousser cette analyse plus loin? Il y en a selon moi et elles se trouvent principalement dans la lettre que M. Muise a envoyée au plaignant le 16 juillet 2008 (pièce C-6) pour l’informer qu’il instituait une enquête disciplinaire. M. Muise a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

J’ai reçu des renseignements qui me portent à croire que vous pourriez vous être livré à des activités inappropriées dans le contexte d’un ordre direct d’examiner les déchets corporels produits par [le détenu G]. Vous avez refusé de le faire. Cela est contraire à l’OP 569 intitulé « Cellule sèche ». Il s’ensuit que vous avez été relevé de vos fonctions et informé que votre quart était terminé. Vous avez refusé de quitter les lieux après en avoir reçu l’ordre du gestionnaire correctionnel de quart.

Cet acte, s’il est avéré, constitue un grave manquement aux Règles de conduite professionnelle ou au Code de discipline du SCC […]

[…]

Si l’enquête disciplinaire établit que ces allégations sont fondées, des mesures disciplinaires seront prises.

[…]

150 Le libellé de la lettre crée une certaine confusion. On pourrait croire que les mots « [c]et acte » (qui pourrait constituer un grave manquement au code de discipline), au deuxième paragraphe, font référence au refus du plaignant d’[traduction] « examiner les déchets corporels » ou à la mention que le plaignant a [traduction] « […] refusé de quitter les lieux après en avoir reçu l’ordre […] ». J’estime, pour deux raisons, que M. Muise voulait désigner le refus du plaignant d’examiner les déchets corporels comme une infraction disciplinaire possible. Ma première raison est qu’il indique immédiatement que ce refus constitue une violation de l’Ordre permanent 569, un motif possible, en soi, pour imposer une sanction disciplinaire. Ma seconde raison réside dans le libellé de la dernière phrase, où M. Muise parle de « ces allégations » au pluriel et indique que des mesures disciplinaires seront prises si [traduction] « ces allégations sont fondées ». La lettre ne contient que deux allégations. Il est indéniable que l’une d’elles avait trait à l’examen du contenu de l’installation d’évacuation des drogues pour y repérer de la drogue.

151 Je rappelle encore une fois que le défendeur n’a pas appelé M. Muise à témoigner. Je ne dispose donc d’aucune preuve directe qui contredise le contenu de sa lettre à première vue ou qui la situe dans une perspective différente.

152 Le 16 juillet 2008, le plaignant peut seulement avoir interprété la lettre de M. Muise comme indiquant que la menace de sanctions disciplinaires à laquelle il faisait face découlait, du moins en partie, de son refus d’examiner le contenu de l’installation d’évacuation de la drogue le 11 juillet 2008 — l’objet de son refus de travailler aux termes de l’article 128. Il semble que le défendeur ait laissé planer formellement la menace d’imposer des sanctions disciplinaires au plaignant pendant plus d’un an, jusqu’à la tenue de la présente audience, en même temps qu’il soutenait devant la Commission, en septembre 2008, qu’aucune mesure disciplinaire n’avait été imposée.

153 Le défendeur doit être lié par la lettre de M. Muise datée du 16 juillet 2008. Cette lettre constitue l’élément déterminant de la présente affaire. Je conclus que le défendeur a menacé de prendre des mesures disciplinaires contre le plaignant, en partie du moins, parce qu’il avait refusé, aux termes de l’article 128 du Code, d’examiner le contenu de l’installation d’évacuation de la drogue, le 11 juillet 2008.

C. Quelle est la mesure corrective appropriée?

154 Le plaignant m’a demandé de déclarer que le défendeur a violé l’article 147 du Code. Il a cependant souligné que la mesure corrective la plus importante serait une ordonnance enjoignant au défendeur de cesser et de s’abstenir de violer l’article 147.

155 Une ordonnance de cesser et de s’abstenir est une mesure corrective pratique et justifiée dans les cas où le décideur a des motifs raisonnables de croire qu’un défendeur continuera de violer le Code. Bien que le plaignant ait donné à entendre dans son témoignage que le défendeur avait contrevenu à l’article 147 du Code à quelques reprises dans le passé dans sa façon de traiter des refus de travailler aux termes de l’article 128, je n’ai aucune raison valable de présumer qu’il y aura d’autres violations similaires si je ne rends pas une ordonnance de cesser et de s’abstenir. J’estime que la Commission est fondée à croire que le défendeur prendra au sérieux les conclusions de la présente décision et qu’il agira en conséquence à l’avenir. Dans cette mesure, j’estime qu’une déclaration selon laquelle le défendeur a violé l’article 147 du Code suffit en l’espèce.

156 Le plaignant réclame également un dédommagement pour les heures supplémentaires non payées qu’il a effectuées en sus de celles consignées sur la fiche d’heures supplémentaires dans le bureau de M. Simons, le 11 juillet 2008, autrement dit, pour la période allant de 13 h 30 à 14 h 45. Puisque j’ai conclu que le plaignant avait invoqué l’article 128 du Code à bon droit, il est raisonnable d’avancer qu’il ne devrait pas être pénalisé pour le court laps de temps additionnel où il est demeuré au lieu de travail à attendre, selon lui, d’être relevé de ses fonctions de manière appropriée. Sans pour autant donner raison au plaignant au sujet de la procédure appropriée de remplacement, j’estime que l’ordre de quitter immédiatement le lieu de travail constitue un des aspects du refus du défendeur d’appliquer le processus prévu par l’article 128. Dans les circonstances, il convient selon moi que le défendeur indemnise le plaignant conformément aux dispositions applicables de la convention collective pertinente jusqu’au moment où il a quitté l’établissement.

157 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

158 L’objection du défendeur quant à la compétence de la Commission pour trancher la plainte est rejetée.

159 L’argument du défendeur voulant que la plainte soit devenue sans objet est rejeté.

160 Je déclare que le défendeur a contrevenu à l’article 147 du Code.

161 Le défendeur indemnisera le plaignant conformément aux dispositions relatives aux heures supplémentaires de la convention collective pertinente pour la période allant de 13 h 30 et 14 h 45, le 11 juillet 2008.

Le 1er avril 2010.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
commissaire

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.