Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé est membre d’une équipe d’intervention en cas d’urgence de l’employeur - les membres de cette équipe doivent suivre un cours de recyclage chaque année - le fonctionnaire s’estimant lésé a participé à une séance de formation de 7h à 15h durant son jour de repos et on lui a payé du temps supplémentaire - le fonctionnaire s’estimant lésé devait commencer son quart à 18h30, mais il a appelé le gestionnaire responsable de l’établissement des horaires pour l’informer qu’il allait se présenter au travail à 22h30 - le gestionnaire responsable de l’établissement des horaires a indiqué que le fonctionnaire s’estimant lésé était absent au travail, c’est-à-dire qu’il était réputé être au travail même s’il n’y était pas - la convention collective dit que l’employeur prend toutes les mesures raisonnables possibles pour ne pas fixer le début du quart de travail d’un employé dans les huit heures qui suivent la fin du quart de travail précédent - quelques jours plus tard, l’employeur a informé le fonctionnaire s’estimant lésé qu’il n’avait pas droit au congé et qu’il devait prendre les quatre heures en congé annuel - le fonctionnaire s’estimant lésé s’est conformé à la demande et a déposé un grief - la disposition de la convention collective en question s’appliquait exclusivement aux quarts prévus à l’horaire et non pas aux quarts effectués en heures supplémentaires - le fonctionnaire s’estimant lésé a participé de son plein gré à la séance de formation, qui ne coïncidait pas avec un quart prévu à l’horaire régulier - il n’avait pas le droit d’appliquer cette disposition de la convention collective - cependant, le principe de la préclusion promissoire s’appliquait, puisque l’employeur avait informé le fonctionnaire s’estimant lésé qu’il avait droit à quatre heures de congé et que c’est sur la foi de cette information que le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’était pas présenté au travail avant 22h30. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-04-23
  • Dossier:  566-02-1861
  • Référence:  2010 CRTFP 56

Devant un arbitre de grief


ENTRE

CHRIS MUNROE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Munroe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Michel Bouchard, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Pour l'employeur:
Michel Girard, avocat

Affaire entendue à Kingston (Ontario),
le 15 avril 2010.
(Traduction de la CRTFP)

Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Chris Munroe, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est agent correctionnel à l’Établissement de Bath à Bath, en Ontario. Le 25 avril 2007, il a déposé un grief alléguant que le Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») a contrevenu à la convention collective, conclue entre le Conseil du Trésor et le Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN relativement à l’unité de négociation des Services correctionnels le 26 juin 2006 (la « convention collective »).

2 L’employeur a demandé au fonctionnaire d’assister à une séance de formation de 7 h à 15 h le 20 avril 2007. Le fonctionnaire ne devait pas travailler au cours de ces heures et il a été rémunéré en heures supplémentaires. Ce jour-là, le fonctionnaire était censé commencer son quart de travail à 18 h 30. Le fonctionnaire a informé l’employeur qu’il se présenterait au travail à 22 h 30. Compte tenu du fait que la convention collective prévoit qu’il doit s’écouler huit heures sans travailler entre les quarts, le fonctionnaire soutient qu’il avait droit à un congé payé entre 18 h 30 et 22 h 30 le 20 avril 2007. L’employeur prétend que le fonctionnaire n’avait pas droit à ces quatre heures de congé, et il a demandé au fonctionnaire de prendre un congé annuel en guise de compensation de ces quatre heures. Le fonctionnaire demande que l’employeur lui crédite ces quatre heures de congé annuel.

3 Le grief porte sur l’interprétation de la clause 21.02b) de la convention collective, qui est ainsi rédigée :

21.02 Lorsque les heures de travail des employé-e-s sont établies suivant un horaire irrégulier ou par roulement :

a) elles doivent être établies de façon à ce que les employé-e-s :

(i) travaillent une moyenne de (40) heures par semaine,

et

(ii) travaillent huit virgule cinq (8,5) heures par jour.

b) l’Employeur prendra toutes les mesures raisonnables possibles :

(i) pour ne pas fixer le début du quart de travail dans les huit (8) heures qui suivent la fin du quart de travail précédent de l’employé-e,

(ii) pour veiller à ce qu’un-e employé-e affecté à un cycle de quarts réguliers ne doive pas changer de quart plus d’une fois au cours de ce cycle de quarts sans son consentement, sauf en situation d’urgence survenant dans un pénitencier. Un changement de quart suivi du retour au quart d’origine ne constitue qu’un seul changement.

Quart veut dire heures de travail régulières de l’employé-e portées à l’horaire conformément à l’article 21.03a) et non le poste de travail auquel l’employé-e est affecté.

et

(iii) pour éviter toute variation excessive de la durée du travail;

[…]

Résumé de la preuve

4 Les parties ont produit quatre documents en preuve. Le fonctionnaire a témoigné. L’employeur a convoqué Robert Cummings et Dan Thompson comme témoins. M. Cummings est gestionnaire correctionnel à l’Établissement de Bath. Depuis août 2008, M. Cummings y travaille comme gestionnaire des horaires. Dans le cadre de ses fonctions, il lui incombe de gérer les horaires, les heures de travail, les heures supplémentaires et les congés. M. Thompson est le coordonnateur des opérations correctionnelles à l’Établissement de Bath depuis 2003. Il surveille la sécurité de l’établissement, y compris l’équipe d’intervention en cas d’urgence (ÉIU).

5 Le fonctionnaire travaille à l’Établissement de Bath comme agent correctionnel depuis 2001. Il est membre de l’ÉIU de l’Établissement de Bath depuis 2006-2007. L’ÉIU est formée d’employés qui sont choisis par l’employeur parmi les candidats qui ont manifesté volontairement de l’intérêt. Après avoir été retenus au sein de l’ÉIU, les employés reçoivent une formation spécialisée d’une durée de 10 jours. Ils doivent également assister à 10 journées de mise à jour des connaissances ou séances de formation supplémentaire chaque année. Les dates de ces séances de formation d’une journée sont connues plusieurs mois d’avance. Les membres de l’ÉIU participent habituellement à ces journées de formation. S’ils manquent une journée, ils peuvent habituellement suivre la formation à un autre moment si elle est offerte.   

6 Le 20 avril 2007, le fonctionnaire a pris part à une séance de formation de l’ÉIU durant une journée qui a débuté à 7 h et s’est terminée à 15 h. Au cours de ces heures de formation, le fonctionnaire n’était pas censé travailler et a été rémunéré en heures supplémentaires pour avoir participé à la séance de formation.Le fonctionnaire a informé le gestionnaire des horaires qu’il se présenterait au travail seulement à 22 h 30 plutôt qu’à 18 h 30, tel qu’il était prévu initialement, étant donné que sa formation a pris fin à 15 h. Le gestionnaire des horaires a indiqué ce qui suit dans le tableau de service en ce qui concerne ce quart de travail, à côté du nom du fonctionnaire : « AA 23 h ». AA signifie « absence autorisée ». Cela signifie que le fonctionnaire était censé être au travail de 18 h 30 à 23 h même s’il n’y était pas.         

7 Le fonctionnaire croyait que l’employeur lui avait accordé quatre heures de repos rémunéré avant le début de son quart le 20 avril 2007. Le fonctionnaire a déclaré que l’employeur lui avait déjà accordé ces heures dans des situations similaires. Toutefois, l’employeur lui a demandé quelques jours plus tard de remplir une formule de demande de congé annuel pour ces quatre heures non travaillées entre 18 h 30 et 22 h 30 le 20 avril 2007. Le fonctionnaire s’est conformé à la demande de l’employeur et a rempli la formule le 25 avril 2007. Le même jour, il a déposé le présent grief.

8 M. Cummings a témoigné que des gestionnaires correctionnels accordent parfois le statut d’AA à l’Établissement de Bath. Toutefois, il n’a jamais autorisé un tel statut dans une situation qui se compare à celle de ce grief. Lorsque l’employeur s’est fait demander pourquoi le gestionnaire correctionnel qui a approuvé le statut d’AA pour le fonctionnaire en date du 20 avril 2007 n’a pas témoigné à l’audience, l’employeur a répondu que le gestionnaire avait pris sa retraite.

Résumé de l’argumentation

9 Le fonctionnaire a fait valoir que conformément à la clause 21.02b) de la convention collective, l’employeur aurait dû lui accorder huit heures de repos entre la fin de la séance de formation du 20 avril 2007 et le début de son quart de travail. Compte tenu du fait que la formation a pris fin à 15 h, le fonctionnaire avait le droit de ne pas travailler avant 23 h. L’employeur a inscrit la formation à l’horaire. Il a également inscrit les heures de travail du fonctionnaire. Il était tenu de composer avec ses besoins et de lui accorder quatre heures de congé rémunéré afin qu’il dispose de huit heures de congé avant le début de son quart de travail.

10 Le fonctionnaire a soutenu qu’il devait prendre part à la séance de formation à titre de membre de l’ÉIU. Même s’il était en heures supplémentaires entre 7 h et 15 h, ces heures ne peuvent pas être considérées comme des heures supplémentaires volontaires en raison de l’obligation de suivre la formation. Ces heures devraient être considérées comme des heures inscrites à l’horaire, suivant la convention collective.  

11 Le fonctionnaire a prétendu que l’employeur lui avait initialement accordé le statut d’AA pour quatre heures le 20 avril 2007. Le fonctionnaire a justifié sa décision de ne pas se présenter au travail avant 22 h 30 en affirmant qu’il croyait avoir obtenu le statut d’AA pour ces heures et en invoquant la pratique antérieure de l’employeur qui consistait à accorder ces heures. Le principe de la préclusion s’applique à la présente affaire.

12 Le fonctionnaire a fait valoir que les faits de la présente affaire diffèrent de ceux de Lauzon c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 126.

13 Pour l’employeur, il importe d’établir une distinction entre les quarts travaillés en heures supplémentaires et les quarts de travail faits en heures régulières. La clause 21.02b) de la convention collective s’applique seulement aux situations dans lesquelles les deux quarts sont des quarts de l’horaire régulier. Dans un tel cas, l’employeur doit s’efforcer de ne pas laisser moins de huit heures entre les deux quarts de travail. Dans le présent cas, l’employeur n’a pas prévu de quart pour le fonctionnaire entre 7 h et 15 h. Le fonctionnaire a travaillé en heures supplémentaires. Cette question avait déjà été étudiée dans Lauzon, affaire dans laquelle l’arbitre de grief a statué que la restriction des huit heures ne s’applique pas entre un quart en heures supplémentaires et un quart régulier.

14 L’employeur a reconnu que le gestionnaire correctionnel avait d’abord approuvé quatre heures de statut d’AA pour le fonctionnaire entre 18 h 30 et 22 h 30 le 20 avril 2007. Toutefois, la décision du gestionnaire correctionnel était incorrecte, et le directeur adjoint l’a annulée quelques jours plus tard.

Motifs

15 Ce grief soulève deux questions. Je dois établir en premier lieu si la clause 21.02b) de la convention collective s’applique. Je dois décider en deuxième lieu si l’employeur était tenu de respecter sa décision initiale d’accorder au fonctionnaire quatre heures de statut d’AA le 20 avril 2007.

16 La clause 21.02 de la convention collective s’applique lorsque les heures de travail des employés sont établies suivant un horaire irrégulier ou par roulement. Pour ces employés, l’employeur doit s’efforcer de ne pas prévoir le début d’un quart de travail moins de huit heures après la fin du quart précédent. Cette règle ne s’applique pas aux quarts faits en heures supplémentaires; elle s’applique plutôt aux quarts réguliers. De fait, la convention collective n’empêche pas un employé de faire un quart en heures supplémentaires qui débute ou se termine dans les huit heures d’un quart régulier. Sur ce point, l’arbitre de grief a écrit ce qui suit dans Lauzon :

[…]

19      Toutefois, je ne conviens pas avec l’employeur que la restriction incluse dans la clause 21.02 de la convention collective, laquelle préconise un intervalle de huit heures entre des quarts réguliers, s’applique aux quarts de travail supplémentaire. En fait, en appliquant cette restriction à la clause 21.10, l’employeur a unilatéralement décidé que le fonctionnaire n’était pas disponible pour travailler en temps supplémentaire.

[…]

23      Un employé visé par la convention collective travaille en moyenne 40 heures par semaine. Les clauses 21.01 à 21.09 ont notamment trait à la façon dont cet horaire de travail est fixé. La clause 21.02b)(i) impose à l’employeur une restriction quant à la fixation des heures de travail, en sorte qu’un employé, lorsque des mesures raisonnables peuvent être prises à cet effet, ne soit pas obligé de commencer un quart de travail moins de huit heures après la fin de son quart précédent. Une logique différente s’applique à la disponibilité des heures supplémentaires; c’est l’employé qui prend la décision d’être disponible, et non l’employeur. L’employé peut donc décider de se rendre disponible à n’importe quel moment, même si c’est moins de huit heures après la fin d’un quart précédent. Si les parties avaient voulu imposer pareille restriction aux employés, elles l’auraient spécifiée dans la clause 21.10 ou dans une autre clause de l’article 21 traitant des heures supplémentaires; or, elles ne l’ont pas fait.

[…]

17 Le fonctionnaire n’était pas obligé de faire des heures supplémentaires le 20 avril 2007. Il a décidé d’assister à une formation en sachant qu’il était censé travailler ce soir-là. Comme les heures qu’il a travaillées entre 7 h et 15 h le 20 avril 2007 ne s’inscrivaient pas dans un quart régulier, l’employeur n’était pas tenu de le faire commencer à travailler à 18 h 30, comme il l’a fait. Si je basais ma décision seulement sur cette interprétation de la convention collective, je rejetterais le grief.

18 Toutefois, la preuve non contestée qui a été produite à l’audience a établi que l’employeur avait informé le fonctionnaire qu’il avait droit à quatre heures du statut d’AA le 20 avril 2007. Je souscris à la position du fonctionnaire selon laquelle le principe de la préclusion promissoire s’applique dans le présent cas.

19 Une prétention de préclusion doit satisfaire aux trois conditions suivantes : 1) une partie a transmis un message, soit en utilisant des mots, soit en affichant une certaine conduite; 2) l’autre partie était censée agir en réponse à cette communication; 3) l’autre partie s’est, dans les faits, fiée à la communication en question. 

20 L’employeur a informé le fonctionnaire qu’il serait considéré comme ayant le statut d’AA entre 18 h 30 et 22 h 30 le 20 avril 2007. L’employeur a écrit sur le tableau de service que le fonctionnaire aurait le statut en question au cours de ces heures. Sur la base de ces renseignements, le fonctionnaire ne s’est pas présenté au travail avant 22 h 30 le 20 avril 2007. Cinq jours plus tard, l’employeur a réclamé ces quatre heures au fonctionnaire. Le 20 avril 2007, l’employeur aurait dû informer le fonctionnaire qu’il n’avait pas droit au statut d’AA pour les quatre heures en question et qu’il aurait dû se servir de ses congés annuels s’il avait voulu se reposer avant de venir travailler. L’employeur a plutôt mal informé le fonctionnaire, et ce dernier a basé sa décision de se présenter au travail à 22 h 30 sur l’information obtenue.

21 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

22 Le grief est accueilli.

23 L’employeur doit créditer au fonctionnaire quatre heures de congé annuel.

Le 23 avril 2010.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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