Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a déposé un grief dans lequel elle demandait à recevoir une rémunération d’intérim au niveau PE-03 et elle a renvoyé le grief à l’arbitrage quand l’employeur a rejeté son grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs - elle a renvoyé son grief aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, qui traite des griefs faisant suite à une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire - l’employeur a soulevé une objection concernant la compétence de l’arbitre de grief d’entendre le grief, en alléguant que la fonctionnaire s’estimant lésée avait changé, à l’étape de l’arbitrage, les motifs sur lesquels reposait son grief et qu’elle n’avait jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire de la part de l’employeur - l’arbitre de grief a statué que le grief découlait de la déception qu’avait ressentie la fonctionnaire s’estimant lésée à l’issue du processus de reclassification et qu’à aucun moment durant celui-ci, l’une ou l’autre des parties n’avait traité le grief comme résultant d’une mesure disciplinaire - la loi précise clairement qu’uniquement la question énoncée dans le grief peut être renvoyée à l’arbitrage - le raisonnement suivi dans Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), s’appliquait - la fonctionnaire s’estimant lésée ne pouvait établir un lien entre ce qu’elle considérait comme des lacunes dans le processus de reclassification et la mesure disciplinaire dont elle estimait avoir fait l’objet. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-05-14
  • Dossier:  566-02-2789
  • Référence:  2010 CRTFP 62

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MARGARET LAUGHLIN WALKER

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Pêches et des Océans)

employeur

Répertorié
Laughlin Walker c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
George Filliter, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Elle-même

Pour l'employeur:
Anne-Marie Duquette, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 7 et 8 avril 2010
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief renvoyé à l’arbitrage

1 Margaret Laughlin Walker, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), est employée par le ministère des Pêches et des Océans (l’« employeur »). La fonctionnaire a déposé un grief, le 22 février 2008, dans lequel elle demandait la mesure corrective suivante : [traduction] « Une rémunération d’intérim à titre de PE-03, rétroactivement à février 2002 au moins, conformément au document ci-joint. » Le 2 février 2009, l’employeur a rejeté le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

2 Le 18 mars 2009, la fonctionnaire a renvoyé le grief à l’arbitrage. Sur la formule, elle a indiqué qu’il s’agissait d’un renvoi en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). La formule fait expressément mention d’une « [m]esure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ».

3 Tout au long de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a soulevé la question du caractère tardif du grief, mais il a retiré son objection avant la tenue de l’audience. Cela dit, l’employeur a soulevé une objection quant à ma compétence et il a demandé que la question soit tranchée avant la tenue de l’audience. J’ai conclu que la meilleure façon de statuer sur les objections de l’employeur était de réserver la première journée d’audience à cette fin.

4 Le deuxième jour, j’ai repris l’audience et j’ai indiqué que je n’avais pas compétence pour statuer sur la présente affaire. J’ai avisé les parties que j’étais arrivé à cette conclusion après avoir examiné leurs arguments en détail. Les motifs de ma décision sont exposés ci-après.

II. Questions à trancher

5 Pourquoi n’ai-je pas la compétence pour instruire le présent grief? Les objections de l’employeur s’entrecroisent quelque peu, mais elles consistent en deux grands points.

6 En premier lieu, l’employeur a fait valoir que le grief proprement dit et les arguments présentés par la fonctionnaire tout au long de la procédure de règlement des griefs se rapportaient à un grief de classification. Sur ce point, l’employeur a soutenu que ce n’est qu’au moment du renvoi du grief à l’arbitrage que la fonctionnaire a indiqué qu’il portait sur une mesure disciplinaire. À ce propos, l’employeur a déclaré que la jurisprudence indique expressément que le fonctionnaire s’estimant lésé ne peut pas modifier l’objet du grief à un stade aussi tardif. Donc, la question que je dois trancher est celle de savoir si la fonctionnaire pouvait renvoyer son grief à l’arbitrage en vertu de la disposition de la LRTFP portant sur les mesures disciplinaires.

7 En deuxième lieu, l’employeur a fait valoir que, même si je rejetais le premier argument, peu importe la manière dont on qualifiait ce qui est arrivé à la fonctionnaire, il ne s’agissait pas d’un grief disciplinaire et que la fonctionnaire n’avait pas subi une perte pécuniaire. Par conséquent, je dois déterminer si la fonctionnaire a été l’objet d’une mesure disciplinaire et si cela lui a occasionné une perte pécuniaire.

III. Positions des parties

A. L’employeur

8 L’employeur a défendu la position qu’avant le renvoi du grief à l’arbitrage, la fonctionnaire n’avait jamais allégué qu’elle avait été l’objet d’une mesure disciplinaire. Au soutien de sa position, l’employeur a mis quatre documents en preuve, avec le consentement de la fonctionnaire (pièce 1 – le grief et les trois réponses; pièce 2 – le renvoi du grief de la fonctionnaire à l’arbitrage; pièce 3 – la lettre datée du 7 mai 2009 de la fonctionnaire au personnel de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP); pièce 4 – un courriel daté du 19 mai 2009, encore une fois de la fonctionnaire au personnel de la CRTFP).

9 L’employeur a soumis que la fonctionnaire se plaignait en fait de ne pas avoir été traitée de manière juste et équitable durant un processus de reclassification de son poste. Sur ce point, la fonctionnaire a indiqué qu’on lui avait promis de reclassifier son poste à un niveau supérieur et que cette promesse n’avait pas été tenue. L’employeur m’a renvoyé à un document préparé par la fonctionnaire et intitulé : [traduction] « Présentation au troisième palier de la procédure de règlement des griefs – 3 décembre 2008 », qui était annexé à la pièce 3. L’avocate de l’employeur a déclaré que l’examen de ce document indique clairement que la fonctionnaire allègue qu’elle a été traitée de manière injuste durant le processus de reclassification et non pas qu’elle a été l’objet d’une mesure disciplinaire.

10 L’employeur a soumis l’argument que la fonctionnaire n’avait pas le droit de soulever la question de la mesure disciplinaire dans son renvoi à l’arbitrage, puisqu’elle ne l’avait pas fait durant la procédure de règlement des griefs. Au soutien de sa position, l’employeur a attiré mon attention sur les décisions suivantes : Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 C.F. 109 (C.A.); Johnston c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2009 CRTFP 53; Lee c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2008 CRTFP 5.

11 L’avocate de l’employeur a noté que la fonctionnaire était en fait insatisfaite et déçue des résultats du processus de reclassification, qu’elle a qualifié d’inéquitable. L’avocate de l’employeur a soumis que la fonctionnaire avait eu la possibilité de demander le contrôle judiciaire de la décision rendue à l’issue du processus de reclassification, en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, mais qu’elle ne l’avait pas fait.

12 L’employeur a également fait valoir que, même si je ne suis pas convaincu que la fonctionnaire n’avait pas le droit de renvoyer son grief en le présentant comme un grief disciplinaire, il n’en demeure pas moins qu’elle ne peut pas prouver qu’une mesure disciplinaire lui a été imposée. L’employeur m’a renvoyé à l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP et a défendu la position que la fonctionnaire doit prouver qu’elle a été l’objet d’une mesure disciplinaire ayant entraîné une sanction pécuniaire.

13 La fonctionnaire a soutenu que les actes de l’employeur constituaient en fait une mesure disciplinaire déguisée. L’employeur a répondu à cela qu’il ne suffit pas, pour la fonctionnaire, de spéculer que les actes de l’employeur constituent une mesure disciplinaire (voir Sharaf c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada), 2010 CRTFP 34).

14 L’employeur a également fait valoir que la fonctionnaire doit établir que, si l’employeur a imposé une mesure disciplinaire, c’était nécessairement pour sévir à une infraction à la discipline ou une inconduite (voir Synowski c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2007 CRTFP 6).

15 L’employeur a soutenu que la fonctionnaire ne peut pas prouver qu’elle a été l’objet d’une mesure disciplinaire parce que l’employeur considérait et considère toujours la fonctionnaire comme une employée estimée et respectée. Bref, l’employeur a soutenu que la fonctionnaire n’avait commis aucun acte fautif, ni aucune infraction à la discipline ni aucun écart de conduite.

16 L’employeur a également fait valoir que la fonctionnaire n’avait pas subi une sanction pécuniaire, le second point qui doit être établi pour qu’un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP soit recevable. L’employeur a noté que la fonctionnaire n’avait pas été rétrogradée; en fait, elle exerce toujours les fonctions du poste qu’elle occupe depuis quelque temps déjà.

17 L’employeur a déclaré qu’il avait été déterminé qu’un manque à gagner ne constituait pas une sanction pécuniaire (voir Savage c. la Chambre des communes, dossier de la CRTFP 467-H-140 (19930615)). De plus, la sanction pécuniaire doit être reliée à une mesure disciplinaire (voir Andrews c. Brent et al., [1981] 1 C.F. 181 (C.A.)).

B. La fonctionnaire s’estimant lésée

18 La fonctionnaire a pour sa part expliqué qu’elle n’avait pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de classification parce que, selon elle, cela représentait des dépenses beaucoup trop élevées pour une mère qui élève seule ses deux enfants.

19 La fonctionnaire a déclaré qu’elle estimait avoir été l’objet d’une mesure disciplinaire et que la décision de ne pas reclassifier son poste constituait en fait une mesure disciplinaire déguisée.

20 Tout a commencé en 2002. La fonctionnaire a indiqué qu’elle avait reçu une offre d’emploi dans un autre ministère à un niveau de classification supérieur, mais qu’elle avait décidé de ne pas quitter son employeur parce qu’on lui avait dit que son poste allait être reclassifié. Or, le poste n’a pas été reclassifié.

21 De plus, en 2002, durant les négociations collectives, la fonctionnaire a donné des avis sur des « postes exclus » qui ont déplu à un certain directeur avec lequel elle n’avait pas de relation de subordination. La fonctionnaire n’a pas réagi à ce qu’elle a décrit comme des pressions de sa part, mais elle a plutôt fait appel à l’aide d’un gestionnaire de programme et la question des postes exclus a finalement été résolue sans conflit. Selon la fonctionnaire, le directeur a envoyé une note de service indiquant qu’il était mécontent du peu d’appui qu’il avait reçu de la fonctionnaire en 2002. La note de service n’a pas été mise en preuve.

22 La fonctionnaire a déclaré qu’elle a appris, en 2004, que son nouveau superviseur avait pris connaissance de la note de service et que cela pouvait l’avoir influencé. Dans ses arguments, elle a déclaré qu’elle avait le sentiment d’avoir été traitée de manière différente après cela.

23 Elle a allégué que son poste avait été soumis à un processus de reclassification en 2004. Elle s’occupait de nouveau de questions d’exclusion, à ce moment-là, dans le cadre d’une nouvelle ronde de négociations collectives. Le 1er juillet 2004, sa demande de reclassification a été rejetée en dépit de l’appui du directeur général des ressources humaines. Cela dit, ce n’est qu’en octobre 2004 que la fonctionnaire a été informée de la décision. Quand elle a fait enquête sur la question, elle a relevé un certain nombre d’incohérences y compris l’absence de certains éléments dans sa description de travail.

24 La fonctionnaire a indiqué qu’elle avait déposé un grief, en novembre 2004, pour contester le processus de reclassification. La réponse au dernier palier, rejetant le grief, a été reçue en 2006. Après cette décision, la fonctionnaire a tenté de faire corriger de manière interne les inexactitudes et le manque d'équité du processus, mais sans succès. Après avoir appris, au cours d’une discussion avec son superviseur, en janvier 2008, que la décision était définitive, la fonctionnaire a déposé le grief qui est l’objet de la présente procédure d’arbitrage.

25 Pour finir, la fonctionnaire a déclaré que certaines tâches lui avaient été retirées en 2007 et que son superviseur lui avait dit un jour qu’elle n’avait pas le droit d’accomplir la moindre partie de ces tâches. On a fini par lui réattribuer les tâches en 2009. La fonctionnaire a déclaré qu’elle estimait que cela constituait une autre mesure disciplinaire déguisée.

26 La fonctionnaire m’a renvoyé à la décision suivante pour étayer ses arguments : Stevenson c. Agence du revenu du Canada, 2007 CRTFP 43.

IV. Analyse

27 Pour commencer, j’estime que le présent grief découle du fait que la fonctionnaire est déçue du résultat du processus de reclassification. Après avoir examiné les pièces justificatives, je suis convaincu qu’en aucun temps durant la procédure de règlement des griefs, l’une ou l’autre partie n’a traité le présent grief comme un grief disciplinaire. J’ai trouvé fort intéressant le document rédigé par la fonctionnaire et intitulé : [traduction] « Présentation au troisième palier de la procédure de règlement des griefs – 3 décembre 2008 », qui fait partie de la pièce 3. Le document de sept pages décrit en détail à quel point la fonctionnaire est frustrée du processus de reclassification et de son manque d’équité ainsi que le volume et le type de travail qu’elle accomplissait. Il ne contient toutefois aucune mention d’une mesure disciplinaire déguisée ou autre.

28 J’estime que la loi est limpide en ce qui concerne le renvoi de griefs à l’arbitrage. La jurisprudence indique clairement que seule la question énoncée dans le grief peut être renvoyée à l’arbitrage (voir Burchill et Lee). Ce principe est basé sur de bonnes raisons de principe, car il est logique sur le plan des relations de travail que l’employeur sache avec précision sur quoi porte le grief du fonctionnaire s’estimant lésé afin de prendre les mesures appropriées.

29 En l’occurrence, le grief portait sur le processus de reclassification et les défauts inhérents que lui attribuait la fonctionnaire. Rendue au stade de l’arbitrage, la fonctionnaire a modifié l’objet de son grief, qu’elle a transformé en grief disciplinaire. J’estime que cela ne peut pas être autorisé.

30 Cela me suffit pour conclure que je n’ai pas compétence.

31 Il convient de noter que la fonctionnaire n’a pas abordé ce point, sauf pour dire que Burchill pourrait être écarté. J’estime pour ma part que même si les faits sont différents, le principe énoncé dans Burchill s’applique. Après avoir examiné les faits dans Lee, j’estime, encore une fois, qu’ils se comparent aux faits dont je dispose, même s’ils ne sont pas identiques.

32 Au cas où je ferais erreur, j’analyserai le reste des arguments de l’employeur. Le deuxième jour de l’audience, j’ai avisé les parties que, aux fins de cette partie de l’analyse, j’accepterais que les faits avancés par la fonctionnaire soient établis par des éléments de preuve crédibles et pertinents.

33 Or, même si j’avais conclu que j’avais la compétence, je n’aurais toujours pas été capable de conclure que la fonctionnaire a été l’objet d’une mesure disciplinaire ou qu’elle a véritablement subi une sanction pécuniaire.

34 La fonctionnaire a déclaré qu’elle croyait que son nouveau superviseur, en 2004, avait été influencé par la lecture du rapport rédigé par le directeur qui avait mal accueilli ses avis sur les postes exclus en 2002. Quand on l’a interrogée à ce sujet, la fonctionnaire a admis qu'il s’agissait d’une hypothèse et qu’elle ne possédait pas de preuve concrète que le rapport avait influencé le moindrement l’opinion de son superviseur.

35 De plus, la fonctionnaire a admis en toute franchise qu’elle était incapable d’établir un lien entre ce qu’elle considérait comme les incohérences, les inexactitudes et le manque d’équité général du processus de classification, d’une part, et la mesure disciplinaire dont elle estimait avoir été l’objet, d’autre part.

36 Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que je n’ai pas compétence pour instruire la présente affaire.

37 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

38 Le grief est rejeté.

Le 14 mai 2010.

Traduction de la CRTFP

George Filliter,
arbitre de grief

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