Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) a présenté une demande en vertu de l’article43 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique visant à ce que la Commission révise une décision antérieure regroupant 15 unités de négociation dans l’unité de négociation unique du groupe Services de l’exploitation (SV) - l’AFPC a voulu redéfinir l’unité de négociation SV en en retranchant les employés du groupe Équipages de navires (SC) de manière à établir une unité de négociation distincte pour eux - afin de réviser la structure de l’unité de négociation, la Commission doit tenir compte de la classification des postes établis par l’employeur et des personnes qu’il emploie et définir des unités correspondant à ces groupes, sauf dans les cas où ces unités ne permettraient pas une représentation satisfaisante des employés - preuve abondante pour prouver que les SC ont des conditions de travail uniques et qu’ils constitueraient une unité de négociation viable ayant une solide communauté d’intérêts - l’AFPC n’avait pas à prouver que des changements étaient survenus depuis la création de l’unité de négociation - elle devait prouver que la structure n’avait pas permis une représentation satisfaisante des SC - l’AFPC a représenté adéquatement les SC - quatre rondes de négociation, c’est peu pour conclure qu’une unité de négociation ne permet pas une représentation satisfaisante d’un groupe d’employés, surtout lorsque deux de ces rondes de négociation ne peuvent pas être considérées comme <<normales>> - la structure de l’unité de négociation n’est que l’un des facteurs qui contribuent à la représentation satisfaisante des employés, et l’AFPC n’a pas prouvé que la structure en place n’avait pas permis une représentation satisfaisante des SC - l’existence de solutions de rechange comme des sous-comités, l’amélioration conjointe du milieu de travail, des études sur la rémunération, la négociation à deux niveaux et des modes substitutifs de règlement des différends permettant d’obtenir des conditions de travail particulières étayait la conclusion de l’arbitre de grief voulant que la structure actuelle permette une représentation satisfaisante des SC. Demande rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-04-26
  • Dossier:  525-02-19
  • Référence:  2010 CRTFP 57

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demanderesse

et

CONSEIL DU TRÉSOR

défendeur

Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor

Affaire concernant une demande d’exercice par la Commission de l’un ou l’autre des pouvoirs prévus à l’article 43 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, commissaire

Pour la demanderesse:
Andrew Raven, avocat

Pour le défendeur:
Sean F. Kelly, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 15 au 18 mars 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant la Commission

1 Le 31 mars 2009, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « demanderesse » ou l’« AFPC ») a présenté une demande à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») en vertu de l’article 43 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi ») afin que soit réexaminée une décision antérieure de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission »), dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 142-02-338 (19990616). Cette décision regroupait 15 unités de négociation existantes pour constituer la seule unité de négociation du groupe Services de l’exploitation (SV). La demande a pour but de redéfinir cette unité de négociation en en retranchant les fonctionnaires du groupe Équipages de navire (SC) et de considérer les SC comme une unité habile à négocier collectivement. La demande fait directement référence aux dispositions suivantes de la Loi :

[…]

43. (1)La Commission peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances ou réentendre toute demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.

[…]

70.(1) Dans les cas où elle révise la structure des unités de négociation, la Commission tient compte, pour décider si le groupe de fonctionnaires constitue une unité habile à négocier collectivement, de la classification des postes établis par l’employeur et des personnes qu’il emploie, notamment des groupes ou sous-groupes professionnels qu’il a établis.

(2) La Commission est tenue de définir des unités correspondant aux groupes ou sous-groupes professionnels établis par l’employeur, sauf dans le cas où elles ne constitueraient pas des unités habiles à négocier collectivement au motif qu’elles ne permettraient pas une représentation adéquate des fonctionnaires qui en font partie.

[…]

2 Dans le dossier de la CRTFP 142-02-338, l’ancienne Commission s’est acquittée de son obligation de constituer l’unité de négociation du groupe SV comme l’exige le paragraphe 103(2) de la Loi sur la réforme de la fonction publique, L.C. 1992, ch. 54 (la « LRFP »), qui est ainsi rédigé :

103. (2) La Commission modifie les termes de l’accréditation visée au paragraphe (1), en ce qui touche la définition de l’unité de négociation qu’elle représente, en conformité avec la définition des groupes professionnels effectuée en application de l’article 101. De plus, dans le cas où l’agent négociateur représente plusieurs unités de négociation du groupe en question, elle procède à la fusion de celles-ci.

3 Conformément à l’article 101 de la LRFP, le Conseil du Trésor (le « défendeur » ou l’« employeur ») a précisé et défini le groupe professionel des SV, avec effet le 18 mars 1999, tel qu’il est publié dans la Gazette du Canada, partie I, volume 133, no 13. À la page 814, le groupe SV était défini de la façon suivante :

Le groupe Services de l’exploitation comprend les postes qui sont principalement liés à la fabrication, l’entretien, la réparation, l’utilisation et la protection d’appareils, d’équipement, de véhicules ainsi que d’installations et de structures du gouvernement, dont les immeubles, les navires, les installations fixes ou flottantes, les entrepôts, les laboratoires et l’équipement; et la prestation de services d’alimentation, de services personnels et de services d’appui à la santé.

[…]

4 En créant le groupe SV, l’employeur a fusionné 15 groupes professionnels existants, dont les SC. Dans le dossier de la CRTFP 142-02-338, l’ancienne Commission a révoqué les 15 certificats existants et a remplacé ceux-ci par un nouveau certificat pour le groupe SV. L’AFPC était l’agent négociateur de ces 15 groupes et est devenue l’agent négociateur du groupe SV nouvellement constitué.

5 L’unité de négociation du groupe SV est formée de fonctionnaires des groupes professionnels suivants : manoeuvres et hommes de métier (GLT), services divers (GS), services hospitaliers (HS), chauffage et force motrice (HP), gardiens de phare (LI), pompiers (FR), services d’imprimerie (PR) et équipages de navire (SC). L’unité de négociation du groupe SV inclut les fonctionnaires syndiqués non-surveillants et surveillants de toutes ces professions, sauf les PR non-surveillants, qui ne font pas partie du groupe professionel des SV. Les PR non-surveillants font partie d’une unité de négociation distincte.

6 Si cette demande est accueillie, les SC deviendraient une unité de négociation distincte, et l’unité de négociation du groupe SV serait modifiée en conséquence.

II. Résumé de la preuve

7 La demanderesse a présenté de la preuve substantielle et testimoniale abondante portant surtout sur la nature du travail et des conditions de travail des SC et sur l’historique de la négociation collective du groupe SV et des SC. La demanderesse a convoqué Randy Sanderson, Donald Drapeau, David Walsh, Gary Fraser, Michael McNamara et Liam McCarthy comme témoins.

8 M. Sanderson est un SC qui travaille à la Garde côtière canadienne (GCC) en Colombie-Britannique. Il est un SC depuis 1985. M. Sanderson est un dirigeant syndical local et il a pris part à la négociation collective à l’échelon national à toutes les rondes de la négociation depuis 2000. M. Drapeau est un SC qui travaille à la GCC au Québec. Il est un SC depuis 1985. M. Drapeau est un dirigeant syndical régional et il a participé à la négociation collective à l’échelon national, notamment à la dernière ronde de négociation de 2009. M. Walsh est un SC qui travaille à la GCC en Nouvelle-Écosse. Il est un SC depuis 1981. M. Walsh a pris part à la négociation collective à l’échelon national au cours de la deuxième ronde de négociation en 2009. M. Fraser était un SC ayant travaillé au ministère de la Défense nationale (MND) pendant plus de 30 ans. Il a pris sa retraite en 2006. M. Fraser était un dirigeant syndical local et il a participé à la négociation collective à l’échelon national à toutes les rondes de négociation entre 1985 et 2003. M. McNamara et M. McCarthy sont des employés à temps plein de l’AFPC. M. McNamara est un négociateur de l’AFPC depuis 1990. Il a négocié les conventions collectives des SV de 2000 à 2007. M. McCarthy est agent de recherche principal à la Direction de la négociation collective de l’AFPC. Il a négocié la dernière convention collective du groupe des SV.

9 La plupart des preuves écrites, orales ou vidéo produites par les parties faisaient référence aux conditions de travail des SC ou à l’expérience acquise par les SC en matière de négociation collective. Je la résumerai sous les deux titres qui suivent.     

A. Les conditions de travail spécifiques des SC

10 MM. Sanderson, Drapeau, Walsh et Fraser ont décrit en détail ce qui est unique dans le travail et les conditions de travail des SC. Leur témoignage était étayé par une preuve vidéo établie sur des navires et par des documents élaborés par la GCC. D’après la demande, il y a 1 100 SC. Selon l’un des témoins, on compte 1 900 SC. D’après les documents de la GCC, 1 385 SC travaillent à la GCC. Environ 85 % des SC travaillent à la GCC, et les autres travaillent au MDN.

11 Les SC exerçent un métier distinct dans la fonction publique fédérale et ce groupe est reconnu comme tel par un plan de classification distinct. Les SC travaillent sur des navires de la GCC et du MDN. Avec les officiers de navire (SO), les SC de la GCC se consacrent à des missions en mer. Le travail des SC sur les navires est très diversifié, compte tenu du fait qu’un navire en mer doit se suffire à lui-même. Les SC exécutent généralement leur travail dans les domaines suivants : sur le pont, dans la salle des machines, comme responsables du fonctionnement de l’équipement, comme spécialistes ou chargés de l’approvisionnement. Sur le pont, les SC font le guet debout et prennent part à la direction, à l’arrimage, au meulage et à la peinture, à des manœuvres de gréage et de treuillage, à la manutention des vêtements et de l’équipement anti-pollution, au nettoyage des déversements, et à la mise à l’eau et à l’extraction de l’équipement scientifique. Les SC qui travaillent dans la salle des machines aident les mécaniciens à lubrifier les parties mobiles, à démonter et à assembler de nouveau la machinerie, ainsi qu’à nettoyer et à peinturer. Les SC qui s’occupent de faire fonctionner l’équipement exploitent et entretiennent la machinerie à bord du navire. Les SC qui exerçent des métiers spécialisés sont des machinistes, des charpentiers ou des électriciens, entre autres. Les SC responsables de l’approvisionnement sont chargés de stocker des fournitures, de tenir les dossiers, de préparer et de servir la nourriture, de fournir d’autres services personnels et de gérer et d’identifier le matériel à bord du navire. Les SC qui travaillent à la GCC accomplissent la majeure partie de leur travail en mer, parfois à des centaines ou à des milliers de kilomètres de la rive.

12 Les SC participent aux opérations de recherche et sauvetage en mer qui consistent notamment à chercher et à aider des gens, des navires ou d’autres embarcations confrontés à un danger imminent ou qu’on croyait être confrontés à un tel danger. Les SC prennent part aux opérations de nettoyage de tous les déversements causés par des navires et déversements mystères dans le milieu marin, dans les eaux de la compétence du Canada. Les SC participent aux opérations d’aide à la navigation de la GCC en fournissant aux marins des navires transiteurs sûrs, accessibles et efficaces en eaux canadiennes. Les SC sont également affectés à des opérations de déglaçage de la GCC. En outre, ils offrent des services de soutien à des missions gouvernementales de recherche et d’activités scientifiques en mer.

13 Au cours d’une journée typique, les SC aident la GCC à sauver 8 vies et prêtent main forte à 55 personnes dans 19 opérations de recherche et de sauvetage, s’occupent de 3 cas de pollution déclarés, soutiennent 3 missions hydrographiques et 8 relevés scientifiques, gèrent 2 325 déplacements de navires de commerce, s’occupent de l’entretien de 60 aides à la navigation, traitent 1 547 contacts radio maritimes, sondent 5 kilomètres de fond de chenal maritime, escortent 4 navires de commerce à travers la glace, et effectuent 12 patrouilles de pêche.

14 Afin d’illustrer en quoi consiste l’effectif d’un navire, M. Sanderson a donné l’exemple d’un gros navire de recherche marine. Ce navire compte 40 employés, dont 24 sont des SC et les autres sont des SO. Le navire est en mer 28 jours à la fois. Il y a rotation du personnel tous les 28 jours. Les SC et les SO travaillent pendant 28 jours, puis sont en jours de relâche pendant 28 jours. En d’autres termes, il y a 20 employés à la fois sur le navire. Pendant qu’ils sont en mer, les SC travaillent 12 heures par jour, 7 jours par semaine. Les SC sont captifs sur le navire même pendant leurs 12 heures de repos. Au cours de ces 28 jours en mer, ils accumulent des jours de relâche qu’ils écoulent pendant les 28 jours qu’ils ne sont pas en mer. Certains SC ont un horaire différent, mais la plupart sont régis par le système des jours de relâche.

15 Pendant que les SC sont en mer, il leur est parfois impossible de se prévaloir de certaines dispositions de la convention collective. Par exemple, un SC qui est en mission loin en mer ne peut demander de jour de congé pour prendre soin d’un membre de sa famille qui est malade ou pour assister à des funérailles. Les SC sont souvent absents lorsque surviennent des événements familiaux positifs ou négatifs qui revêtent de l’importance. En outre, si un SC est malade pendant qu’il est en mer, les autres doivent absorber son travail. Dans ces conditions, les gens ont tendance à travailler même s’ils sont malades.      

16 Les conditions de travail et les conditions de vie sur un navire peuvent être très difficiles, essentiellement en raison de la mauvaise température. Si un employé ne fait pas attention, il peut mourir. La santé et la sécurité constituent le problème principal. Des problèmes au niveau de l’eau potable et des conditions atmosphériques peuvent survenir. Des navires peuvent mener des opérations dans certains des endroits les plus éloignés au monde dans des conditions environnementales extrêmes. Les SC qui sont sur un navire ne peuvent exercer le droit de refuser un travail dangereux parce qu’ils ne possèdent pas ce droit qu’ont d’autres SV en vertu du Code canadien du travail. Ils doivent obéir au capitaine du navire.

17 D’après les témoins, le moral des SC est très bas. Ils estiment qu’ils sont sous-payés. Les conditions de travail sont difficiles, mais personne ne semble s’en soucier. Les SC se sentent parfois abandonnés et non appuyés par leurs supérieurs. Sur ce point, M. Walsh a témoigné au sujet des événements de l’Acadien II, qui a chaviré et a coulé au large de la côte du cap Breton les 28 et 29 mars 2008.

B. Expérience passée des SC en matière de négociation collective

18 La demanderesse était accréditée comme agent négociateur de l’unité de négociation des SC en 1968. Pendant plus de 30 ans, la demanderesse a négocié des conventions collectives distinctes pour l’unité de négociation des SC. En 1999, la demanderesse a été accréditée pour représenter l’unité de négociation des SV nouvellement constituée. Cette accréditation a suivi la décision de l’employeur de fusionner 15 groupes professionnels, dont les SC, en un seul groupe, à savoir le groupe SV. Toutefois, avant la création du groupe SV, la demanderesse et le défendeur avaient convenu de négocier conjointement pour la plupart de ces 15 groupes, y compris les SC, même si les 15 groupes étaient encore 15 unités de négociation distinctes.

19 Depuis la création de l’unité de négociation du groupe SV en 1999, la demanderesse et le défendeur ont négocié quatre conventions collectives. Les témoins de la demanderesse ont appelé ces rondes de négociation la « ronde de 2000 », la « ronde de 2001-2003 », la « ronde de 2003-2007 » et la « ronde de 2007-2011 ».

20 En 2000, les parties ont décidé de prolonger d’un an l’ancienne convention collective en prévoyant une hausse salariale pour cette année-là. Cette décision a été prise parce qu’une nouvelle norme générale de classification (NGC) devait être instaurée sous peu. Elle aurait pu avoir un impact important sur la structure salariale dans la fonction publique fédérale, et les parties estimaient qu’il convenait d’attendre les détails de la nouvelle norme avant de se lier à des taux de rémunération à plus long terme. Certains SC espéraient que la nouvelle norme puisse les aider à obtenir une hausse salariale substantielle. D’après les témoins, les SC n’ont pas été en mesure de régler leurs problèmes au niveau du système des jours de relâche pendant cette ronde de négociation.

21 Dès le début de la ronde de 2001-2003, il est apparu clairement que la NGC ne serait pas mise en œuvre, et que par conséquent, les préoccupations de nature salariale des SC ne seraient pas réglées au moyen de changements apportés au système de classification de la fonction publique. Toutefois, le bureau de conciliation a recommandé qu’une étude sur la rémunération soit effectuée pour chaque profession faisant partie de l’unité de négociation du groupe SV, dont les SC. Les problèmes relatifs aux jours de relâche n’ont pas été réglés durant cette ronde, et les membres autres que les SC n’ont pas appuyé l’examen de ces questions. Les SC se sentaient extrêmement frustrés à la fin du processus.

22 Les résultats de l’étude sur la rémunération recommandée au cours de la ronde précédente ont été connus peu après le début de la ronde de 2003-2007. Le taux de réponse pour les employeurs utilisés pour établir la comparaison de la rémunération des SC était très faible et l’échantillon n’était pas représentatif du marché de la main-d’œuvre extérieur des SC. Par conséquent, l’étude a recommandé une faible hausse salariale pour les SC. En ce qui concerne les autres professions faisant partie de l’unité de négociation du groupe SV, l’étude a recommandé des hausses salariales substantielles. L’employeur a accepté d’augmenter les taux de rémunération de 40 % de ce que l’étude recommandait. Des améliorations au système des jours de relâche ont été demandées pour les SC, mais cette question n’était pas couverte par l’offre finale de l’employeur. En raison de la hausse salariale substantielle qui a été offerte aux membres autres que les SC de l’unité de négociation du groupe SV, la majorité des SV ont accepté l’offre finale. 

23 En ce qui concerne la ronde de 2007-2011, les parties ont convenu de constituer un sous-comité de l’équipe de négociation pour régler certains enjeux des SC. Le sous-comité ne possédait pas le pouvoir de modifier la convention collective, mais avait seulement le droit de soumettre à l’équipe de négociation complète des changements dont le sous-comité avait convenu. Au départ, les SC étaient heureux de l’existence du sous-comité, parce qu’ils estimaient que l’employeur les comprendraient. Toutefois, rien n’a résulté des travaux du sous-comité parce que l’équipe de négociation syndicale devait accepter l’offre finale de l’employeur en raison de la menace d’une loi spéciale de suspension de la négociation collective. Aucun changement n’a été apporté aux conditions de travail des SC. L’offre finale renfermait les taux de rémunération nationaux pour la majeure partie de l’unité de négociation du groupe SV, qui a constitué une priorité pendant des années pour la plupart des SV. Toutefois, les SC n’ont réalisé aucun gain dans cette offre finale, parce qu’ils avaient été rémunérés à des taux nationaux depuis les années 1980. La majorité des SV ont accepté l’offre.       

24 Les témoins ont déclaré que les SC opteraient pour la voie de l’arbitrage s’ils ne pouvaient conclure une convention collective avec l’employeur. Presque tous les SC sont désignés essentiels et ils ne peuvent exercer leur droit de grève. Tel n’est pas le cas des autres SV, qui privilégient la voie de la conciliation plutôt que le droit de vote. Les SC privilégieraient également l’arbitrage, parce qu’ils ont été témoins de ce que leurs collègues de travail SO ont obtenu de cette façon. En 2000, les salaires des SC correspondaient à 86,9 % des salaires des SO, et en 2010, les SC recevaient 77,1 % des salaires des SO. La différence en dollars s’établissait à 5 617 $ en 2000 et à 14 034 $ en 2010. De plus, en ce qui concerne les éléments de classification comparables sur une échelle commune, les SC sont sous-payés comparativement aux SO.

25 MM. Sanderson et McNamara ont expliqué comment l’AFPC élabore ses propositions de négociation. D’abord, l’AFPC appelle ses éléments et ses sections locales pour leur demander des propositions de négociation. Des délégués locaux et régionaux discutent de ces propositions dans des conférences régionales. Après celles-ci, les propositions sont revues par des délégués à une conférence nationale. Celle-ci décide quelles propositions seront soumises à l’employeur. Elle choisit également les membres de l’équipe de négociation qui négocieront avec l’employeur. L’équipe de négociation comprend en outre un négociateur professionnel et un chercheur nommé par l’AFPC. L’équipe de négociation travaille en consensus, et le négociateur organise les discussions. Depuis la constitution de l’unité de négociation du groupe SV, un membre des SC a toujours été choisi au sein de l’équipe de négociation des SV.

26 Les conventions collectives négociées par les parties entre 1999 et 2010 ont été produites en preuve. Les propositions de négociation de l’AFPC et certaines observations faites à un bureau de conciliation ont également été soumises en preuve. À chaque ronde de négociation, l’AFPC a présenté des propositions particulières pour améliorer les conditions de travail des SC. Certaines des propositions ou des observations portaient directement sur l’amélioration du système des jours de relâche. Au cours des quatre rondes de négociation (de 2000 à 2011), ces propositions ont entraîné des changements à la convention collective des SV. Parmi ces changements, plus de 20 ont été faits à l’« Appendice G », qui renferme des dispositions propres aux SC. Dans la convention collective de 2007-2011, cet appendice comptait 50 pages. La demanderesse a décrit ces changements comme mineurs. Pour le défendeur, ils représentent des améliorations substantielles aux conditions de travail des SC.

27 D’après les témoins, tous les SC désirent avoir une unité de négociation distincte. Les professions exercées en mer sont une occupation unique comportant des tâches et des besoins uniques. Les SC estiment qu’ils ont réalisé des gains importants lorsqu’ils négociaient seuls, mais ils ont été laissés sur la touche depuis qu’ils font partie de l’unité de négociation du groupe SV. Les autres membres de l’unité de négociation offrent très peu de soutien concernant les problèmes spécifiques des SC, comme les taux de rémunération et les jours de relâche.

28 La demanderesse a produit en preuve une résolution adoptée à sa convention triennale de 2006 qui appuie une unité de négociation distincte pour les SC. La résolution se justifie du fait que les SC estiment faire l’objet de discrimination par rapport aux SO, qui ont leur propre unité de négociation, et que les SC se sentent écartés de l’unité de négociation du groupe SV parce qu’ils n’ont rien en commun avec eux.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la demanderesse

29 La demanderesse demande une ordonnance de la Commission pour que soit redéfinie l’unité de négociation du groupe SV et pour que soit créée une unité de négociation distincte pour les SC. La structure actuelle de l’unité de négociation ne permet pas une représentation adéquate des SC. L’AFPC présente cette demande au nom des SC et aucun autre agent négociateur n’est impliqué. L’AFPC est l’agent négociateur pour l’unité de négociation du groupe SV et elle continuera d’être l’agent négociateur de l’unité de négociation du groupe SV redéfinie et de l’unité de négociation des SC nouvellement constituée.

30 Ce cas diffère des décisions antérieures de la Commission parce qu’à l’opposé de celles-ci, la présente demande ne suppose pas de changement d’agent négociateur, n’a pas été présentée en raison de la création d’un nouvel employeur et ne provenait pas d’un employeur. En l’espèce, la demande provenait d’un agent négociateur, qui vise à modifier la structure de négociation pour ses propres membres. La Commission devrait présumer que l’agent négociateur connaît les intérêts des employés qu’il représente. Dans le cas des SC, il s’agit de leur propre unité de négociation. Sur ce point, l’AFPC, à sa convention nationale triennale de 2006, a adopté une résolution prévoyant que les SC auront leur propre unité de négociation.

31 La preuve testimoniale produite par la demanderesse n’a pas été contredite par le défendeur. Cette preuve établit que les SC n’ont pas été en mesure de réaliser des gains substantiels à la table de négociation depuis qu’ils font partie de l’unité de négociation du groupe SV. Leurs priorités ont cédé le pas à celles des autres employés, qui constituent la majorité de l’unité de négociation.

32 Les SC étaient accrédités comme unité de négociation en 1968. Pendant plus de 30 ans, ils ont négocié leurs propres conventions collectives distinctes. Cette situation a changé en 1999, année au cours de laquelle l’ancienne Commission a décidé de les fusionner aux 15 autres anciennes unités de négociation à la suite de la création du groupe Services de l’exploitation par l’employeur. À ce moment-là, l’ancienne Commission n’avait pas analysé la situation ni discuté de la pertinence de sa décision et de ses conséquences sur les relations de travail.

33 Il n’existe pas de communauté d’intérêt entre les SC et les autres employés de l’unité de négociation du groupe SV. Les SC travaillent sur des navires en mer, mais les autres SV ne le font pas. Contrairement aux autres employés de l’unité de négociation du groupe SV, la plupart des SC ont un horaire de 28 jours consécutifs en mer, loin de la maison. Cela signifie que leurs conditions de travail sont uniques au sein de l’unité de négociation du groupe SV et que leurs exigences à la table de négociation sont uniques.

34 Depuis que les SC ont été fusionnés à l’unité de négociation du groupe SV en 1999, ils n’ont pas été en mesure de régler leurs problèmes de manière appropriée à la table de négociation. De fait, ils n’ont pas réalisé de gains substantiels depuis 1989-1990. Pendant la majeure partie des années 1990, il n’y a pas eu de négociation collective. Après 1999, ils ont été fusionnés à l’unité de négociation du groupe SV; ils forment seulement une faible proportion des employés de cette unité. Pour eux, il est devenu très difficile de faire examiner leurs enjeux. À chaque ronde de négociation, la plupart des employés du groupe SV désiraient surtout obtenir des taux de rémunération nationaux. Les priorités des SC ont été mises de côté en vue d’obtenir des taux de rémunération nationaux pour la majorité, ce qui a été réalisé pendant la dernière ronde de négociation.

35 De nombreux éléments de preuve ont été produits pour soutenir le caractère unique du travail des SC. Le seul autre groupe d’employés auquel ils pourraient être comparés est l’unité de négociation des SO. Cette unité n’a jamais été fusionnée à aucune autre unité, et elle négocie sa propre convention collective.            

36 Les désirs des employés représentent un critère important dans une décision de la Commission de constituer une unité de négociation distincte. Au cours de leurs témoignages, les témoins ont mentionné clairement que les SC souhaitent avoir leur propre unité de négociation. La preuve a révélé que les salaires des SO ont davantage augmenté que ceux des SC au cours des 10 dernières années. En 2000, l’écart salarial s’établissait à 5 617 $ en faveur des SO. En 2010, cet écart était de 14 034 $. De plus, l’évaluation des relations entre les emplois des deux groupes révèle que pour des points de classification communs équivalents, les taux horaires des SC sont constamment plus bas que ceux des SO.

37 Tant la demanderesse que le défendeur ont reconnu le caractère unique des SC en acceptant de mettre en place un sous-comité de l’équipe de négociation pour régler les questions et les propositions de négociation propres aux SC. Toutefois, cette démarche s’est révélée vaine, et aucun changement n’a été apporté aux conditions de travail spécifiques des SC à la suite des travaux du sous-comité.

38 L’unité de négociation du groupe SV a opté pour la voie de la conciliation avec droit de grève pour régler les conflits qui surviennent pendant la négociation collective. La plupart des employés de l’unité de négociation du groupe SV qui ne sont pas des SC ne sont pas désignés comme essentiels pour assurer la sécurité du public. À l’opposé, presque tous les SC sont désignés comme essentiels, et aucun d’eux ne peut exercer son droit de grève. Si les SC avaient leur propre unité de négociation, ils pourraient choisir l’arbitrage pour régler des conflits qui surviennent pendant la négociation collective. Le fait de faire partie de l’unité de négociation des SV élargie les empêche d’exercer ce droit.

39 Les SC ont des conditions de travail uniques. Ils effectuent un travail dangereux sur les navires, mais contrairement à d’autres groupes, ils ne bénéficient pas de certaines des protections en matière de santé et de sécurité contenues dans le Code canadien du travail. Ce sont les seuls éléments de l’unité de négociation du groupe SV qui sont captifs sur un navire pendant 28 jours et qui sont régis par le système des jours de relâche. Pendant qu’ils sont en mer, certaines dispositions de leur convention collective ne peuvent être utilisées. Ils sont sous-payés comparativement aux SO et aux autres métiers de l’unité de négociation du groupe SV.

40 Si la demande est accueillie par la Commission, l’unité de négociation du groupe SV continuera d’exister sans les SC. Elle demeurera une unité viable. Les SC seront également une unité viable, comme ils l’ont été pendant plus de 30 ans.

41 Les SC ont un plan de classification distinct, leur propre norme de classification et leurs propres taux de rémunération, ce qui vient étayer l’argument selon lequel leur communauté d’intérêts est distincte de celle de l’unité de négociation du groupe SV. Les SV n’ont ni plan de classification, ni norme de classification, ni taux de rémunération.

42 Pour étayer ses arguments, la demanderesse m’a renvoyé aux décisions suivantes : Association des experts maritimes, des inspecteurs et des enquêteurs de marine de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 142-02-321 (19980608); Société canadienne des postes c. Syndicat canadien des postiers (1988), 73 di 66; Musée canadien des civilisations c. Alliance de la Fonction publique du Canada et al. (1992), 87 di 185; Canadian Union of Operating Engineers c. Canada (Conseil du Trésor) (Groupe Chauffage, force motrice et opération de machines fixes – Catégorie de l’exploitation), dossiers de la CRTFP 146-02-138 et 140 à 142 (19701211); Conseil des syndicats des arts graphiques de la Fonction publique du Canada et al. c. Groupe Communication Canada, dossiers de la CRTFP 142-28-302 à 310 et 161-28-702 et 705 (19940329); Chambre des communes c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada et al., 2009 CRTFP 23; Fraternité internationale des ouvriers en électricité, local 2228 c. Conseil du Trésor, 2000 CRTFP 52; Office national de l’énergie c. Alliance de la Fonction publique du Canada et Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2003 CRTFP 79; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 142-02-274 (19880108); Alliance de la Fonction publique du Canada et al. c. Office national de l’énergie, dossiers de la CRTFP 142-26-297 à 301 (19931108); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 1297.

B. Pour le défendeur

43 Le défendeur a fait valoir que la demanderesse a le fardeau d’établir, au moyen de preuves suffisamment claires, convaincantes et solides, que l’unité de négociation du groupe SV devrait être fragmentée. La demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver qu’un changement important a rendu insatisfaisante la structure de l’unité de négociation du groupe SV existante et d’établir que la structure empêche une représentation adéquate des SC. Par conséquent, la demande devrait être rejetée.

44 La demanderesse n’a pas produit de preuve pour appuyer le fait que, depuis la création de l’unité de négociation du groupe SV en 1999, des changements importants ont été apportés à l’organisation du travail, aux conditions de travail ou à toute autre question organisationnelle qui pourrait affecter les SC et justifier la fragmentation de l’unité de négociation existante. Dans ses décisions antérieures, la Commission a établi que de tels changements doivent être apportés avant l’étude d’une demande d’examen d’une unité de négociation.

45 Les SC ne font pas partie d’un groupe ou sous-groupe professionnel distinct. Pour que la Commission s’écarte de l’obligation légale de constituer des unités de négociation qui correspondent aux groupes professionnels, elle doit conclure que l’unité de négociation du groupe SV actuelle empêche une représentation adéquate des SC. Dans le cadre de sa démarche, la Commission doit prendre en compte des facteurs comme son aversion à l’égard de la fragmentation des unités de négociation, la conduite de la demanderesse, l’historique de la négociation collective, l’impact de toute loi sur les restrictions salariales et la communauté d’intérêts.

46 Comme le faisait l’ancienne Commission, la Commission actuelle a toujours évité de fragmenter les unités de négociation parce que des relations de travail solides nécessitent des unités de négociation ayant une base importante. Les risques d’impasse dans les négociations, d’arrêts de travail et de conflits de compétence s’en trouvent ainsi limités. Les SC pourraient avoir certains intérêts spécifiques, mais ils ne sont pas uniques. L’un des principes qui sous-tend le processus de la négociation est que les agents négociateurs se doivent de prendre en considération et de concilier les intérêts divergents de leurs membres.

47 Le défendeur a soutenu que la demanderesse a représenté efficacement les SC jusqu’à présent. Il n’y a pas de preuve de défaut ou d’hésitation, de la part de la demanderesse, d’apaiser les préoccupations des SC. Au contraire, la demanderesse a interviewé les SC pour établir quels sont leurs objectifs et leurs préoccupations à chaque ronde de négociation. Ces préoccupations ont fait l’objet de discussions aux conférences sur les négociations et ont été soumises à l’employeur à chaque ronde de négociation. Les mémoires de conciliation en faisaient également état. La demanderesse a toujours inclus les SC dans l’équipe de négociation des SV. En outre, pendant la dernière ronde de négociation, la demanderesse et le défendeur ont convenu de disposer d’un sous-comité de l’équipe de négociation formé de SC qui s’occuperait des questions propres aux SC.

48 Le défendeur a fait valoir que l’historique de la négociation collective montre une représentation adéquate. Au cours de la ronde de 1997-1999, avant la constitution de l’unité de négociation du groupe SV, la demanderesse a négocié collectivement les questions propres aux SC avec d’autres unités de négociation. En avril 1999, un vote de ratification global a été tenu pour les 15 unités de négociation, dont les SC, malgré que l’ancienne Commission n’avait pas fusionné l’unité de négociation du groupe SV avant juin 1999. Depuis la création de l’unité de négociation du groupe SV, les SC ont réalisé des gains importants à la table de négociation. De plus, le soi-disant obstacle se dressant devant les intérêts des SC n’existe plus, car la majorité des SV étaient en quête de taux de rémunération nationaux et les ont obtenu au cours de la dernière ronde de négociation.

49 Le défendeur a fait valoir que la législation sur les restrictions salariales, telle que la Loi sur le contrôle des dépenses, a affecté la négociation collective. Ce type de loi complique l’établissement d’une conclusion définitive sur l’efficacité de la structure de négociation actuelle au cours de la période de contrôle.

50 Le défendeur a soutenu que les SC partagent une communauté d’intérêts avec tous les autres employés de l’unité de négociation du groupe SV. Les SC, comme d’autres employés de l’unité qui ne sont pas des SC, se font demander d’exécuter des travaux de charpenterie et d’électricité, certains travaux de manœuvres, des travaux d’entretien et de réparation de machinerie et d’équipement, des travaux de construction d’installations et de structures, d’offrir des services d’entretien ménager et de conciergerie, de préparer et de servir des repas, de faire fonctionner de la machinerie, d’exercer des fonctions de magasinier, et des travaux de lutte contre les incendies.

51 Le défendeur a fait valoir que la volonté des SC ne représente pas un facteur déterminant dans la décision de fragmenter l’unité de négociation. La preuve sous forme d’opinion produite par les témoins à l’audience n’établit pas que la structure actuelle de l’unité de négociation ne permet pas une représentation adéquate des SC.

52 Le défendeur a soutenu que la Commission devrait rejeter la demande. À l’appui de ses arguments, le défendeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, décision de la CRTFP 142-02-338 (19990616); Association des experts maritimes, des inspecteurs et des enquêteurs de marine de la fonction publique du Canada; F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53; Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes c. Union des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 864, décision de la CRTFP 125-18-78 (19981104); Office national de l’énergie; Chambre des communes; Agence Parcs Canada c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada et al., 2000 CRTFP 109; Association des juristes du ministère de la Justice et al. c. Conseil du Trésor et al., 2006 CRTFP 45; Agence des douanes et du revenu du Canada c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2001 CRTFP 127; Fraternité internationale des ouvriers en électricité, local 2228; Centre de la sécurité des télécommunications, Ministère de la Défense nationale c. Alliance de la Fonction publique du Canada et Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2001 CRTFP 14.

IV. Motifs

53 La demanderesse demande à la Commission de revoir la structure de l’unité de négociation du groupe SV en retirant les SC de cette unité et en créant une nouvelle unité de négociation pour eux. En vertu des articles 70 et 71 de la Loi, la Commission, dans le cadre de son examen des structures de l’unité de négociation, tient compte de la classification des postes établis par l’employeur et des personnes qu’il emploie, notamment des groupes et sous-groupes professionnels qu’il a établis. La Commission doit former des unités qui correspondent à ces groupes et sous-groupes, sauf dans les cas où ces unités ne permettraient pas une représentation adéquate des fonctionnaires et, pour ce motif, ne seraient pas habiles à négocier collectivement.

54 Même si les SC ont leurs propres normes de classification, ils ne forment pas un groupe professionnel. Ils font partie du groupe professionnel des SV. Le groupe des SV n’a pas de sous-groupe. Comme les SC ne sont ni un groupe professionnel ni un sous-groupe, ils ne peuvent être une unité de négociation, sauf si la Commission conclut que la structure de l’unité de négociation du groupe SV ne permet pas une représentation adéquate et ne confère pas l’habileté à négocier collectivement pour eux. Il incombe à la demanderesse d’établir cette preuve.

55 La demanderesse a produit beaucoup d’éléments de preuve pour établir que les SC ont des conditions de travail uniques. Ils forment le seul groupe de fonctionnaires au sein de l’unité de négociation du groupe SV dont le travail en mer les retient loin de la maison pendant des semaines à la fois. Ces modalités de travail supposent des règles et des conditions de travail uniques, dont le système des jours de relâche. Même si une grande partie des tâches des SC sont comparables à celles des GLT, des GS ou des FR, les conditions dans lesquelles ces tâches sont accomplies diffèrent considérablement.

56 La demanderesse a également produit la preuve que les SC pourraient former une unité de négociation viable au sein de laquelle il pourrait exister une solide communauté d’intérêts. Selon la demanderesse, cette communauté d’intérêts serait beaucoup plus grande qu’elle ne l’est actuellement au sein de l’unité de négociation du groupe SV.

57 Je suis d’accord avec la demanderesse au sujet de ces arguments. Les SC sont uniques, leurs conditions de travail sont différentes et ils pourraient former une unité de négociation unifiée viable. Toutefois, ces critères ne sont pas ceux sur lesquels je dois me fonder pour statuer sur la présente affaire. En vertu de la Loi, je dois déterminer si la structure actuelle de l’unité de négociation ne permet pas une représentation adéquate, et non si celle qui est proposée la permettrait.

58 Les parties ont soumis beaucoup de jurisprudence pour étayer leurs arguments respectifs. Toutefois, l’ancienne Commission ou la Commission actuelle n’a accepté, dans aucune de ces décisions, de fragmenter une unité de négociation ou d’en créer une qui ne correspondait pas aux groupes ou sous-groupes professionnels. Si la présente demande était accueillie, il s’agirait d’une première tant pour l’ancienne Commission que pour la présente Commission.

59 Dans Association des experts maritimes, l’ancienne Commission a rejeté une demande visant à fragmenter l’unité de négociation de l’inspection technique. L’ancienne Commission a réitéré son hésitation à fragmenter une unité de négociation existante. Elle était également d’avis que l’agent négociateur existant n’avait pas omis de déployer des efforts pour représenter les experts maritimes. Dans Canadian Union of Operating Engineers, l’ancienne Commission a rejeté une demande visant à créer une nouvelle unité de négociation pour représenter des employés de quatre lieux de travail en Ontario déjà visés par une unité de négociation nationale. Dans Fraternité internationale des ouvriers en électricité, local 2228, l’ancienne Commission a rejeté une demande visant à faire passer un groupe d’employés d’une unité de négociation à une autre. L’ancienne Commission a conclu que la définition actuelle du groupe de l’unité de négociation correspondait mieux pour ces employés que la définition de l’unité de négociation proposée.

60 Dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada, cas qui portait sur le sous-groupe Examen des brevets, l’ancienne Commission a accueilli une demande de fragmentation d’une unité de négociation existante et de création d’une unité de négociation distincte pour l’un des sous-groupes professionnels existants défini par l’employeur. Ce cas diffère du présent cas parce que les SC ne sont pas un sous-groupe du groupe SV, car l’Examen des brevets était un sous-groupe du groupe Réglementation scientifique.

61 Les autres cas présentés portaient sur des demandes de l’employeur de fusionner des unités de négociation ou sur des demandes relatives à des organisations nouvellement constituées. Dans Société canadienne des postes, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT) a décidé de réduire de 26 à 4 le nombre d’unités de négociation après la constitution de la Société canadienne des postes. Dans Musée canadien des civilisations, le CCRT devait constituer la structure de l’unité de négociation après que le Musée canadien des civilisations soit devenu une société d’État. Le CCRT a décidé qu’il y aurait 2 unités de négociation pour les employés qui faisaient partie des 21 anciennes unités de négociation. Dans Conseil des syndicats des arts graphiques de la Fonction publique du Canada, l’ancienne Commission devait établir la structure de l’unité de négociation duGroupe Communication Canada lorsqu’il est devenu un employeur distinct. L’ancienne Commission a rejeté la proposition de l’employeur d’une unité de négociation unique pour tous les fonctionnaires et a plutôt décidé de créer deux unités de négociation. Dans Chambre des communes, la Commission a rejeté une demande de l’employeur de fusionner toutes les unités de négociation existantes en une seule unité de négociation. Dans Office national de l’énergie, l’ancienne Commission a accepté la proposition de l’employeur de fusionner deux unités de négociation existantes en une seule.

62 En se fondant sur les décisions rendues dans Chambre des communes et dans Office national de l’énergie, le défendeur a fait valoir qu’il devait y avoir un changement important qui rendait inadéquate une structure de négociation existante pour que la Commission l’examine. Dans ces décisions, la Commission a mentionné des changements survenus au sein d’organisations qui ont rendu inadéquate la structure actuelle de l’unité de négociation. Dans les deux cas, la demanderesse était l’employeur, qui a demandé une fusion des unités de négociation existantes. Dans ce contexte, la présence ou l’absence d’un changement organisationnel important est devenue un facteur important pour justifier les décisions de la Commission. La Commission désirait une certaine stabilité dans la structure de l’unité de négociation. Après avoir pris la décision de constituer une unité particulière, la Commission accepterait de la modifier seulement si la situation de base qu’elle avait analysé initialement avait évoluée. En l’espèce, la demanderesse est l’agent négociateur, et elle demande la fragmentation d’une unité. L’ancienne Commission n’a fait aucune analyse avant de constituer l’unité de négociation du groupe SV. Le paragraphe 103(2) de la LRFP ordonnait à l’ancienne Commission de créer cette unité.  

63 Dans le contexte du présent cas, la demanderesse n’est pas tenue de prouver que des changements substantiels ont été apportés depuis la création de l’unité de négociation du groupe SV; il lui faut plutôt établir que l’unité de négociation du groupe SV n’a pas permis, depuis sa création en 1999, la représentation adéquate des SC et qu’elle n’est donc pas habile à négocier collectivement.

64 En l’espèce, il s’agit de décider si la structure de l’unité de négociation du groupe SV permet une représentation adéquate des SC et non si la structure de l’unité de négociation du groupe SV a satisfait aux attentes des SC au cours de son histoire relativement brève.

65 Les trois témoins des SC et les deux négociateurs de l’AFPC ont déclaré que les SC n’ont pas accompli ce qu’ils voulaient réaliser au cours des quatre dernières rondes de négociation en raison de la structure de l’unité de négociation du groupe SV. Ils n’ont pu réaliser des gains importants en termes de salaires et d’avantages liés au système des jours de relâche. D’après eux, l’une des raisons était que les questions propres aux SC ont recueilli peu de soutien au sein de l’équipe de négociation de l’AFPC.

66 J’ai examiné avec soin les changements apportés aux dispositions sur les jours de relâche de la convention collective au cours des quatre dernières rondes de négociation. La plupart d’entre eux semblent relativement mineurs. En ce qui concerne les salaires, les SO ont obtenu de bien meilleures conditions au cours des quatre dernières rondes de négociation que les SC. Les GLT et les GS, qui sont les deux plus grands groupes de l’unité de négociation du groupe SV, ont également obtenu bien davantage que les SC. Ils ont bénéficié d’un meilleur rajustement salarial pendant la ronde de 2003-2007, et ont obtenu des taux nationaux de rémunération durant la ronde de 2007-2011.

67 Ces seuls faits suffisent à expliquer pourquoi les témoins croient que la structure de l’unité de négociation du groupe SV ne satisfaisait pas aux attentes des SC. Toutefois, ils ne prouvent pas que la structure de l’unité de négociation du groupe SV ne permet pas une représentation adéquate des SC. En fait, depuis 2000, les SC ont été bien représentés par la demanderesse, qui a présenté en leur nom un grand nombre de propositions de négociation qui auraient beaucoup augmenté leurs salaires et leurs conditions de travail particulières si l’employeur les avait acceptées.

68 Quatre rondes de négociation représentent une courte période pour conclure qu’une unité de négociation ne permet pas la représentation adéquate d’un groupe d’employés, en particulier lorsque deux de ces rondes ne peuvent être considérées comme « normales ». Au cours de la ronde de 2000, les parties ont négocié une entente de un an et ont prorogé la plupart des conditions de travail en tenant compte de la mise en œuvre prévue du système de classification universel. Au cours de la ronde de 2007-2011, les négociations ont soudainement pris fin en raison de la menace d’une loi à venir qui imposerait un plafond aux hausses salariales. Pendant cette ronde, les SC ont commencé à discuter de leurs propres enjeux en sous-comité, mais ces discussions ont pris fin avec l’accord provisoire et la loi à venir.

69 Je crois la demanderesse lorsqu’elle affirme que les SC ne sont pas satisfaits de ce qu’ils ont obtenu au cours des quatre dernières rondes à la table de négociation. Cela ne prouve pas que la structure de l’unité de négociation du groupe SV est inadéquate. La structure de l’unité de négociation constitue un seul des facteurs qui contribue à la représentation adéquate des fonctionnaires et, en définitive, à l’obtention de résultats appropriés ou adéquats dans la négociation collective.

70 Dans le cas d’un groupe de fonctionnaires comme les SC, la structure de l’unité de négociation doit leur permettre d’élaborer des propositions de négociation satisfaisantes et de présenter ces propositions à l’employeur. La preuve révèle que les SC peuvent le faire au sein de l’unité de négociation du groupe SV. Ces propositions ne constituaient peut-être pas des priorités absolues pour les autres membres de l’équipe de négociation des SV, mais cela ne signifie pas que la structure de négociation actuelle empêche les SC de réaliser leurs objectifs légitimes. Sur ce point, la demanderesse pourrait être en mesure d’exercer une certaine influence sur son équipe de négociation des SV, étant donné que la question des taux nationaux de rémunération qui s’appliquent à la majeure partie de l’unité est maintenant réglée.

71 Un autre facteur très important qui s’applique aux résultats satisfaisants de la négociation collective est la volonté de l’employeur de régler les problèmes soulevés par l’agent négociateur et d’augmenter considérablement les salaires qui accusent du retard. Dans le contexte de la fonction publique, dans lequel l’employeur et le législateur sont deux volets du même organisme, ce facteur revêt encore plus d’importance. Pendant la moitié des 20 dernières années, une loi spéciale a imposé un plafond aux augmentations de salaire maximales permises. Aucune structure d’unité de négociation ne peut modifier cette réalité des relations de travail dans la fonction publique.

72 D’autres facteurs qui ne sont pas liés à la structure de l’unité de négociation, comme les contextes démographiques, économiques et politiques, peuvent également influencer l’obtention de résultats adéquats dans la négociation collective. Par exemple, en situation de main-d’œuvre vieillissante, l’employeur pourrait être confronté à des difficultés de recrutement et de maintien en poste si les conditions de travail et les salaires ne sont pas concurrentiels. Il pourrait se produire la même chose dans une conjoncture du marché du travail favorable aux employés. Des décisions politiques, telles qu’une présence beaucoup plus forte en Arctique, pourraient faire augmenter la demande de SC et exercer de la pression pour que les conditions de travail soient améliorées.

73 La demanderesse ne m’a pas convaincu selon la prépondérance des probabilités que la structure actuelle de l’unité de négociation des SV ne permet pas une représentation adéquate des SC. Toutefois, elle m’a persuadé que les conditions de travail des SC sont uniques. Après examen de la preuve, j’ai également tendance à croire que les SC n’ont pas obtenu leur juste part de hausses salariales au cours des 10 dernières années comparativement aux SO, avec lesquels ils travaillent quotidiennement, et avec la plupart de leurs collègues SV, qui sont régis par la même convention collective.

74 En toute équité pour les SC, je crois que les parties, et en particulier le défendeur, devraient se pencher sérieusement sur cette situation et déployer de véritables efforts pour la régler dans les limites de la structure actuelle de l’unité de négociation.

75 Premièrement, la convention collective des SV prend fin le 4 août 2011, et les parties pourraient entreprendre des négociations formelles dans moins d’un an. Les parties pourraient tenter de nouveau de discuter de certaines questions propres aux SC dans le contexte d’un sous-comité comme elles avaient commencé à le faire lors de la dernière ronde de négociation. Rien n’empêche les parties de commencer maintenant à discuter du mandat et du mode de fonctionnement du sous-comité afin qu’il soit prêt à entreprendre ses travaux peu après la signification de l’avis de négocier.

76 Deuxièmement, en vertu des articles 9 et 10 de la Loi, les parties pourraient élaborer ensemble des améliorations au milieu de travail qui toucheraient expressément l’horaire et l’organisation du travail des SC. Les articles 9 et 10 se lisent comme suit :

9. Pour l’application de la présente section, « amélioration conjointe du milieu de travail » s’entend de la consultation entre les parties sur les questions liées au milieu de travail et de leur participation à la formulation des problèmes relatifs à celui-ci, et à l’élaboration et à l’étude de solutions en vue de l’adoption de celles dont elles conviennent.

10. L’employeur et l’agent négociateur, ou l’administrateur général et l’agent négociateur, peuvent travailler à l’amélioration conjointe du milieu de travail.

77 Troisièmement, les parties pourraient entreprendre conjointement une étude sur la rémunération des SC pour avoir un meilleur portrait de la situation de leur rémunération que celui qu’elles ont obtenu au début de la ronde de négociation de 2003-2007. Elles pourraient le faire avec ou sans le soutien des services d’analyse et de recherche en matière de rémunération de la Commission avant la prochaine ronde de négociation. Les résultats de cette étude pourraient être utilisés pour faciliter la négociation des salaires des SC en 2011.

78 Quatrièmement, en vertu de l’article 110 de la Loi, les parties et les administrateurs généraux de la GCC et du MDN pourraient s’engager conjointement dans un processus de négociation à deux niveaux pour les SC. Dans le cadre de ce processus, elles pourraient décider de négocier conjointement les modalités et conditions d’emploi des SC, même si les SC font partie de l’unité de négociation élargie des SV. L’article 110 se lit comme suit :

110. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l’employeur, l’agent négociateur d’une unité de négociation et l’administrateur général responsable d’un ministère figurant à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques ou d’un autre secteur de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe IV de cette loi peuvent décider conjointement d’entamer des négociations collectives sur toutes conditions d’emploi de tout fonctionnaire de l’unité de négociation employé au sein du ministère ou de l’autre secteur.

(2) Les négociations visées au paragraphe (1) ne peuvent avoir lieu à l’égard de plus d’un ministère ou un autre secteur de l’administration publique fédérale que si chacun des administrateurs généraux concernés a décidé d’y participer.

(3) Les parties qui ont décidé d’entamer des négociations collectives au titre du paragraphe (1) doivent sans retard,

a) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

b) faire tout effort raisonnable pour s’entendre sur les conditions d’emploi en cause.

79 Cinquièmement, en vertu de l’article 182 de la Loi, les parties pourraient convenir de renvoyer à un mode substitutif de règlement des différends toute modalité et condition d’emploi des SC, y compris les salaires. Même si l’unité de négociation du groupe SV continue de choisir la voie de la conciliation pour régler des différends de négociation, les parties à la convention collective des SV pourraient renvoyer certaines conditions de travail des SC, dont les salaires, à un processus décisionnel final et exécutoire similaire à l’arbitrage exécutoire. Les paragraphes 182(1) et (2) sont particulièrement intéressants. Ils se lisent comme suit :

182. (1) Par dérogation aux autres dispositions de la présente partie, l’employeur et l’agent négociateur représentant une unité de négociation peuvent, à toute étape des négociations collectives, convenir de renvoyer à toute personne admissible, pour décision définitive et sans appel conformément au mode de règlement convenu entre eux, toute question concernant les conditions d’emploi des fonctionnaires de l’unité pouvant figurer dans une convention collective.

(2) Le mode de règlement des différends applicable à toute condition d’emploi non renvoyée à la personne en question pour décision définitive et sans appel demeure le renvoi à la conciliation.

80 Ces cinq suggestions ne constituent pas une liste exhaustive de toutes les options existantes dans la structure de l’unité de négociation pour régler les questions spécifiques qui touchent les SC. Toutefois, elles pourraient certes contribuer à les régler. Leur existence même appuie ma conclusion selon laquelle la structure de l’unité de négociation pourrait permettre aux SC d’être représentés de façon adéquate.

81 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

82 La demande est rejetée.

Le 26 avril 2010.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
commissaire

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