Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s'estimant lésé a allégué qu'il a pris sa retraite en se fondant sur des renseignements erronés fournis par la Chambre des communes (l’<<employeur>>) et que l'employeur a violé ses droits de la personne - il a été informé que l'atelier d'habillement dans lequel il travaillait allait fermer et que son poste allait être transféré au sous-sol inférieur, où, selon ce qu'il a déclaré, il ne pourrait travailler pour des raisons de santé - croyant qu'il n'avait pas d'autres choix, il a pris sa retraite en juin2006 - il a déposé son grief en janvier2008 - l'employeur s'est opposé à la compétence de la Commission de trancher le grief, en arguant que celui-ci n'avait pas été présenté dans le délai prescrit et qu'il n'y avait pas eu de licenciement - le fonctionnaire s'estimant lésé a allégué que le grief avait été déposé dans le délai prescrit et, subsidiairement, a demandé une prorogation de délai fondée sur le fait qu'il n'avait pas contesté sa retraite forcée, au moment où il a pris celle-ci, parce qu'il éprouvait des problèmes de santé et qu'il n'avait pas été en mesure de confirmer que l'atelier d'habillement n'avait pas été fermé - il a déposé une plainte concernant les droits de la personne à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) en juillet 2007, dans laquelle il affirmait qu'il avait été victime d'une discrimination fondée sur son âge et son état de santé et qu'il avait été forcé de prendre sa retraite - l'arbitre de grief a conclu que le grief était irrecevable, car le fonctionnaire s'estimant lésé savait que l'atelier d'habillement n'avait pas été fermé au moment où il a présenté sa plainte à la CCDP, en juillet2007 - même si le fonctionnaire s’estimant lésé avait des problèmes de santé et qu'il a fourni une note de médecin, datée de septembre2007, qui indiquait que son état de santé l'avait empêché de déposé un grief durant l'année visée, cela était en contradiction avec le fait qu'il a présenté une plainte concernant les droits de la personne - l'arbitre de grief a également conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé avait pris connaissance dès juillet 2007 des circonstances ayant donné lieu à son grief et que, par conséquent, l'argument selon lequel il n'avait pris connaissance de ces circonstances que peu de temps avant le dépôt de son grief ne constituait pas une raison valide justifiant le retard - le grief a été présenté hors délai, et il n'y a aucune raison claire, logique et convaincante justifiant l'octroi d'une prorogation de délai. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations
de travail au Parlement

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-05-21
  • Dossier:  466-HC-366
  • Référence:  2010 CRTFP 69

Devant un arbitre de grief et
commissaire


ENTRE

NICOLA DE FRANCO

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CHAMBRE DES COMMUNES

employeur

Répertorié
De Franco c. Chambre des communes

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, arbitre de grief et commissaire

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lorenzo De Franco, représentant

Pour l'employeur:
Steven R. Chaplin, avocat, et Chantal Paquette

Décision rendue sur la base d'arguments écrits
déposés le 17 février, les 1er et 25 mars et les 6 et 16 avril 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief renvoyé à l'arbitrage

1 Nicola De Franco, le fonctionnaire s'estimant lésé (le « fonctionnaire »), a déposé en janvier 2008 un grief alléguant qu'il a pris sa retraite en raison de déclarations erronées faites par la Chambre des communes (l’« employeur »). Il a également allégué qu'il y a eu violation des droits de la personne. M. De Franco a pris sa retraite en 2006. L'employeur a rejeté son grief à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs au motif qu'il était hors délai, et il s'est opposé au renvoi du grief à l'arbitrage pour le même motif. M. De Franco soutient que son grief a été présenté dans le délai prescrit, et, subsidiairement, il a soumis une demande de prorogation du délai. J'ai déterminé que l'objection de l'employeur concernant la recevabilité du grief et la demande de prorogation du délai pouvaient être tranchées à partir d'arguments écrits.

2 La Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) a le pouvoir de proroger les délais en vertu de l'alinéa 79b) du Règlement et règles de procédure de la L.R.T.P., DORS/86-1140 (le « Règlement de la LRTP »). Par conséquent, j'ai donc été nommé à la fois comme arbitre de grief (pour trancher la question de la recevabilité du grief) et comme commissaire (pour trancher la question de la demande de prorogation du délai).

3 L'employeur a soulevé une objection supplémentaire concernant la compétence, au motif qu'il n'y avait pas eu licenciement. J'ai déterminé que l'objection relative à la recevabilité et la demande de prorogation du délai seraient traitées en premier.

4 M. De Franco a été représenté par Rick Cloutier durant la procédure de règlement des griefs. M. Cloutier a agi à titre personnel, et non pas en tant que représentant de l'agent négociateur. Lors de la procédure de règlement des griefs, M. Cloutier a fait savoir à l'employeur que l'agent négociateur de M. De Franco (l'Alliance de la Fonction publique du Canada) n'appuyait pas le grief.

II. Contexte

5 J'ai résumé les faits relatifs à l'objection concernant la recevabilité du grief et à la demande de prorogation du délai. Aux fins de la présente décision, j'ai supposé que les faits allégués par le fonctionnaire sont véridiques, sauf indication contraire. J'ai également reconnu comme vrais les faits allégués par l'employeur, sauf avis contraire.

6 Le délai pour le dépôt d'un grief est de 20 jours à partir de la date à laquelle le fonctionnaire prend connaissance des circonstances donnant lieu au grief (clause 32.07 de la convention collective conclue entre l'Alliance de la Fonction publique du Canada et la Chambre des communes à l'égard de l'unité de négociation du groupe Services de l'exploitation).

7 M. De Franco a commencé à travailler à la Chambre des communes en 1982 en tant que tailleur.

8 M. De Franco a été informé par son superviseur, en décembre 2005, que l'atelier d'habillement allait fermer et qu'il travaillerait dorénavant au sous-sol inférieur. De plus, on lui a dit qu'il devrait effectuer des travaux supplémentaires dans le service de rembourrage. On l'a informé du fait que ces changements auraient lieu le 9 janvier 2006. M. De Franco a fait part de ses préoccupations à son superviseur de vive voix et par écrit, mais il n'a reçu aucune réponse. M. De Franco mentionne qu'il ne pouvait pas travailler au sous-sol inférieur pour des raisons de santé, et que son employeur était au courant de ce fait. M. De Franco a cru qu'il n'avait d'autres choix que de prendre sa retraite. Il allègue que l'employeur était pleinement conscient qu'il prenait sa retraite contre son gré.

9 M. De Franco a pris sa retraite de la Chambre des communes le 30 juin 2006.

10 M. De Franco allègue qu'il n'a pas contesté sa « retraite forcée » en raison de problèmes de santé. Il a mentionné que sa santé s'est détériorée durant le reste de 2006 et en 2007, et il a fourni un certificat médical de son médecin, daté du 24 septembre 2007 et indiquant ce qui suit : [traduction] « [c]es problèmes ont persisté durant tout le reste de 2006 et durant toute l'année 2007. Selon moi, pendant cette période, les problèmes de santé de M. De Franco l'ont empêché de déposer un grief ou une plainte contre son employeur. »

11 En juin 2007, M. Cloutier, le représentant de M. De Franco, a rencontré Art St-Louis, gestionnaire principal, pour discuter de la situation de M. De Franco et obtenir son retour au travail. L'employeur allègue que, lors de cette rencontre, on a informé M. Cloutier que le délai pour le dépôt d'un grief avait expiré.

12 Le 12 juillet 2007, M. De Franco a déposé une plainte concernant les droits de la personne auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP). Il a signé le formulaire de plainte le 4 juillet 2007. Il a affirmé qu'il avait fait l'objet d'une discrimination en raison de son âge et de son état de santé, et qu'il a été obligé de prendre sa retraite. Il a indiqué ce qui suit dans sa plainte :

[Traduction]

[…]

Je crois comprendre que l'atelier d'habillement où je travaillais est toujours utilisé par les employés qui travaillent au Service des immeubles/locaux à bureaux – il n'a pas été officiellement « fermé », alors qu'on m'avait dit qu'il le serait. Cela m'amène à me poser la question suivante : Pourquoi ne pouvaient-ils me laisser atteindre mes 25 ans de service comme tailleur pour la Chambre des communes? Je crois que c'est parce qu'ils voulaient se débarrasser de moi en raison de mon âge.

[…]

13 La CCDP a fait parvenir la plainte à l'employeur, avec une lettre d'accompagnement, le 13 septembre 2007. La CCDP mentionnait ce qui suit dans la lettre :

[Traduction]

[…]

a) le plaignant indique qu'il était frappé d'incapacité au moment de l'incident allégué, en raison du stress, et qu'il n'était alors pas en mesure de déposer un grief ou une plainte; il a mentionné qu'il allait fournir un certificat médical à ce sujet;

b) le 21 août 2007, le représentant syndical, Rick Cloutier, a indiqué que le plaignant ne pouvait plus recourir au processus de règlement des griefs;

c) M. Cloutier a également confirmé que l'atelier d'habillement était toujours ouvert et qu'on continuait d'y accomplir les mêmes fonctions que celles qu'effectuait le plaignant. Ce fait vient appuyer les allégations du plaignant et donne à penser qu'il est dans l'intérêt public d'aller de l'avant avec la plainte.

[…]

14 Le 26 septembre 2007, la Chambre des communes a répondu à la CCDP et fait valoir que celle-ci n'avait pas compétence pour accueillir la plainte, en se fondant sur Canada (Chambre des Communes) c. Vaid, 2005 CSC 30. Cette décision a statué que les plaintes concernant les droits de la personne doivent être tranchées sous le régime de la Loi sur les relations de travail au Parlement (la « LRTP »).

15 M. De Franco a déposé son grief le 31 janvier 2008. Il a allégué dans celui-ci [traduction] « […] une violation des droits de la personne et de tout autre article pertinent […] » de la convention collective. Il a demandé que le grief soit renvoyé directement au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Durant la procédure de règlement des griefs, M. De Franco a été aidé par M. Cloutier, qui agissait à titre personnel.

16 Le fonctionnaire mentionne qu'après son départ à la retraite, il a entendu des rumeurs selon lesquelles l'atelier d'habillement existait toujours et se trouvait encore au même emplacement. Cependant, il a allégué qu'il n'avait pu confirmer ce fait que [traduction] « bien après son départ à la retraite » et peu de temps avant qu'il signe son grief, le 31 janvier 2008. Le fonctionnaire a fourni une déclaration signée de son représentant, M. Cloutier, datée du 14 juillet 2008, qui se lisait comme suit : [traduction] « J'ai également souligné que le fonctionnaire a été mis au courant pour la première fois que son lieu de travail particulier n'avait pas été "déménagé", comme l'avait indiqué la direction, dans les 15 jours qui ont précédé le dépôt de son grief (janvier 2008). » La déclaration a été soumise par M. Cloutier à la Chambre des communes, au troisième palier de la procédure de règlement des griefs.

17 Le 28 février 2008, M. De Franco a été informé, au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, que son grief était irrecevable. Au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, l'employeur a répondu que le grief ne respectait pas le délai prescrit. Il était mentionné dans la réponse que, même si l'employeur acceptait la preuve médicale (selon laquelle il y a eu une période où M. De Franco a pu ne pas être en mesure de songer à déposer un grief), il était évident que le fonctionnaire a été capable de traiter les questions en litige lorsqu'il a présenté sa plainte à la CCDP en juillet 2007, quelque sept mois avant le dépôt de son grief.

III. Résumé de l'argumentation

18 Les arguments écrits ont été versés au dossier de la CRTFP. J'ai reproduit ci-après les extraits pertinents des arguments.

A. Arguments du fonctionnaire s’estimant lésé

19 Dans les arguments qu'il a soumis à la CRTFP le 17 février 2010, le fonctionnaire a mentionné qu'il avait déposé son grief en retard pour des [traduction] « raisons de santé ».

20 Le représentant du fonctionnaire a soumis ce qui suit, le 25 mars 2010 :

[Traduction]

[…]

  1. Je ne peux pas soumettre un grief avant d'avoir eu connaissance des faits et des circonstances qui justifient une telle mesure. Ce principe est conforme à la clause 32.07 de la convention collective visant l'unité de négociation du groupe des Services de l'exploitation : « Au premier palier de la procédure, l'employé peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 32.04, au plus tard le vingtième (20e) jour qui suit la date à laquelle il […] prend connaissance, pour la première fois, de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief. » Comme l'a confirmé M. Cloutier dans sa déclaration du 14 juillet 2008, je n'ai pas pris connaissance du fait que l'atelier d'habillement était toujours en fonction avant janvier 2008.
  2. […] [les déclarations] que M. Cloutier a présentées, je crois, à divers paliers de la procédure de règlement du grief […] prouvent que j'ai fait preuve de diligence lorsque j'ai poursuivi l'affaire et mettent en exergue des raisons valables justifiant le délai qui s'est écoulé avant le dépôt du grief en janvier 2008.
  3. Il est ressorti des deux décisions prises à l'égard du grief le 28 février et le 17 juin 2008 […] que, puisque j'ai déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) le 4 juillet 2007, mon état de santé n'aurait pas dû m'empêcher de présenter un grief en juillet 2007. La plainte auprès de la CCDP alléguait une discrimination fondée sur l'âge et l'incapacité et ne portait pas sur un grief relevant des relations de travail. Comme il est mentionné […] plus haut, je n'ai pas été en mesure de confirmer avant janvier 2008 les circonstances pouvant donner lieu à un grief.
  4. Comme argument subsidiaire, j'allègue que s'il y a eu un retard, ce qui n'est pas un fait admis, il s'agit alors d'un retard peu important de six mois. La durée du retard a été confirmée dans la décision du 17 juin 2008 relative au grief, par le représentant autorisé de l'employeur, qui a convenu que mon état de santé constituait un motif pour ne pas avoir déposé de grief en 2006 et lors de la première moitié de 2007. Le représentant mentionne que j'aurais dû déposer mon grief en juillet 2007, le mois lors duquel j'ai présenté ma plainte à la CCDP. Dans le dernier paragraphe de la décision, le représentant indique ce qui suit : « […] je dois conclure que votre état de santé était assez bon pour vous permettre de déposer un grief au moins six mois avant le 30 janvier 2008 ».
  5. Je crois comprendre que l'atelier d'habillement où je travaillais est toujours utilisé par les employés qui travaillent au Service des immeubles/locaux à bureaux – il n'a pas été officiellement « fermé », alors qu'on m'avait dit qu'il le serait. Si l'on ne m'avait pas fait croire à tort que l'atelier d'habillement allait fermer, j'aurais pu travailler deux ans de plus et je n'aurais pas pris ma retraite aussi tôt. Le fait que l'atelier existe toujours, et que je n'en ai pas été informé et que je n'ai pas été rappelé, m'a convaincu qu'on m'a forcé à prendre ma retraite. L'employeur ne m'a jamais fait savoir que l'atelier d'habillement n'allait pas fermer.
  6. Le fait que j'aie été forcé de prendre ma retraite plus tôt que prévu a eu une incidence sur ma pension et sur ma situation financière dans son ensemble. J'ai exprimé mes préoccupations comme il se doit, mais elles n'ont pas été prises en compte de manière appropriée par mes supérieurs à la Chambre des communes. Avant que je prenne ma retraite, mon employeur ne m'a pas donné la possibilité de participer à des cours de préparation à la retraite qui m'auraient permis d'effectuer une transition vers une retraite plus enrichissante sur les plans personnel et financier. Les circonstances susmentionnées, lorsqu'on les additionne, donnent lieu à une injustice qui dépasse de loin tout préjudice qu'aurait pu subir l'employeur, si tant est qu'il ait subi. Dans l'intérêt de la justice, je demande une prorogation du délai en vertu […]

[…]

B. Arguments de l'employeur en réponse

21 Dans les arguments qu'il a présentés à la CRTFP le 1er mars 2010, l'employeur a indiqué ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] bien qu'il y ait pu avoir certains problèmes de santé, ce qui n'est pas un fait admis par l'employeur, ils ne justifient le délai excessif de plus de deux ans entre le moment où M. De Franco a décidé de prendre sa retraite et celui où il a déposé son grief […] L'employeur estime que les problèmes de santé évoqués par M. De Franco ne prouvent pas qu'il n'était pas en mesure de présenter un grief dans le délai prescrit […]

[…]

22  Dans les arguments qu'il a présentés à la CRTFP le 6 avril 2010, l'employeur a mentionné ce qui suit :

[Traduction]

  1. […] La position de l'employeur est que le grief est hors délai puisque les incidents ayant donné lieu au grief se sont produits entre le 14 décembre 2005 (date à laquelle M. De Franco a été informé des changements apportés à son emploi et a décidé qu'il allait prendre sa retraite) et le 9 janvier 2006 (date à laquelle il a décidé de prendre sa retraite) ou le 30 juin 2006 au plus tard (date à laquelle il a pris sa retraite). Son grief a été déposé le 31 janvier 2008. Aux termes de la convention collective s'appliquant à M. De Franco au moment des faits, celui-ci était tenu de présenter son grief dans les 20 jours suivant les circonstances ayant donné lieu au grief […]
  2. Dans la présente affaire, il s'est écoulé un délai allant de 19 à 25 mois entre les faits allégués à l'origine du grief et le dépôt du grief.

[…]

  1. La Commission dispose du pouvoir discrétionnaire de proroger le délai prescrit pour le dépôt d'un grief. La jurisprudence de la Commission établit clairement les critères de base sur lesquels il faut se fonder pour déterminer s'il convient d'exercer ce pouvoir discrétionnaire. Les critères sont :
  • la durée du retard;
  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la diligence raisonnable du fonctionnaire s'estimant lésé;
  • l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

[Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, citée et appliquée dans Chan c. Conseil du Trésor (Bureau du directeur général des élections), 2008 CRTFP 86.]

La durée du retard

  1. Le grief de M. De Franco repose sur le fait qu'il aurait été l'objet d'une discrimination fondée sur l'âge et l'incapacité et qu'il aurait été forcé de prendre sa retraite en juin 2006. Tout au long de la procédure de règlement du grief, ainsi que dans les plus récents arguments écrits présentés, M. De Franco et ses représentants ont reconnu que les faits ayant donné lieu au grief se sont produits avant qu'il prenne sa retraite en juin 2006, moment auquel il a cessé d'être un employé de la Chambre des communes.

a) Dans une plainte concernant les droits de la personne datée du 4 juillet 2007, M. De Franco a allégué avoir fait l'objet d'une discrimination et avoir été forcé de prendre sa retraite pour cette raison; […]

b) Dans son rapport initial daté du 13 septembre 2007, le sous-secrétaire général par intérim de la Commission canadienne des droits de la personne a écrit ce qui suit à la greffière de la Chambre des communes : « La plainte est fondée sur des faits qui ont eu lieu entre décembre 2005 et le 9 janvier 2006. » La plainte était jointe à la lettre;

c) Après la décision rendue au deuxième palier de la procédure de règlement du grief, M. Rick Cloutier, le représentant de M. De Franco, a écrit, dans sa lettre demandant que la question du respect du délai soit renvoyée au troisième palier, que « le fonctionnaire s'estimant lésé était frappé d'incapacité au moment de l'incident [en faisant référence à la lettre médicale] » et que « les pratiques discriminatoires de travail ont commencé vers 2004 et se sont poursuivies jusqu'à son départ à la retraite » […]

  1. Il n'y a aucune preuve ni aucun détail concernant des agissements, des omissions ou des commentaires par l'employeur après la date de la retraite de M. De franco en 2006 qui donnent à penser qu'il pourrait y avoir un grief continu.
  2. Dans ses arguments datés du 23 mars 2010, le fonctionnaire s'estimant lésé a tenté dans une certaine mesure de repousser le « moment auquel il a pris connaissance des circonstances donnant lieu au grief » pour l'établir à quelques jours avant le dépôt du grief, en affirmant ce qui suit : « J'ai entendu des rumeurs selon lesquelles l'atelier d'habillement où j'avais travaillé existait toujours et se trouvait encore au même emplacement. Cependant, je n'ai pu confirmer ce fait que bien après mon départ à la retraite et peu de temps avant le dépôt de mon grief, le 31 janvier 2008 », et « Je n'ai pas pris connaissance du fait que l'atelier d'habillement était toujours en fonction avant janvier 2008 ». La preuve montre clairement que ce n'est pas vrai, c'est-à-dire que le fonctionnaire s’estimant lésé était au courant des circonstances et a tenté de prendre des mesures relatives à celles-ci beaucoup plus tôt. Dans sa déclaration soumise à Commission canadienne des droits de la personne, signée le 4 juillet 2007, il mentionne ce qui suit : « Je crois comprendre que l'atelier d'habillement où je travaillais est toujours utilisé par les employés qui travaillent au Service des immeubles/locaux à bureaux – il n'a pas été officiellement "fermé", alors qu'on m'avait dit qu'il le serait. » […] Dans le même ordre d'idées, M. Cloutier, le représentant de M. De Franco, à peu près au même moment, a « confirmé que l'atelier d'habillement était toujours ouvert et qu'on continuait d'y accomplir les mêmes fonctions que celles qu'effectuait le plaignant » […]
  3. Nous estimons que le moment auquel M. De Franco a déterminé que l'atelier d'habillement était toujours ouvert après son départ à la retraite, ou le fait même qu'il ait déterminé que l'atelier était toujours ouvert, n'a aucune pertinence en ce qui concerne le grief, car la question à trancher ici est l'allégation de « départ à la retraite forcé » en décembre 2005, retraite qui a été prise le 30 juin 2006. Si M. De Franco allègue qu'il a été, dans l'essence, obligé de décider de prendre sa retraite en décembre 2005 en raison d'une information erronée, on peut se demander pourquoi il n'a pas réagi au fait que l'atelier d'habillement était toujours ouvert lorsqu'il a réellement pris sa retraite (en juin 2006), étant donné qu'il avait supposément été informé en décembre 2005 que l'atelier allait fermer le 9 janvier 2006 […]
  4. Lorsqu'elle détermine le délai dans lequel un grief peut et doit être déposé, la Commission doit tenir compte du moment auquel le fonctionnaire s'estimant lésé a pris connaissance du fait que la décision de la direction avait des conséquences négatives pour lui ainsi que du moment approprié pour le dépôt du grief. Dans le cas qui nous occupe, une date précise peut être déterminée. M. De franco conteste essentiellement le fait qu'il a été forcé de prendre sa retraite […] À quel moment cette question a-t-elle commencé à le préoccuper? À quel moment a-t-il eu pour la première fois la possibilité de contester la décision? Dans sa lettre à la direction datée du 20 décembre 2005, il a écrit que « ce changement [lui] donnait l'impression d'être "chassé de son poste" ».
  5. La preuve montre clairement que les incidents donnant lieu au grief se sont déroulés de décembre 2005 au 9 janvier 2006, ou au 30 juin 2006 au plus tard, et que M. De Franco disposait de plus d'information qu'il n'en fallait pour déposer un grief durant cette période ou à l'intérieur d'un délai de 20 jours. Subsidiairement, il y a une preuve abondante montrant qu'au 4 juillet 2007 (soit presque sept mois avant la date du dépôt du grief, le 31 janvier 2008), le fonctionnaire s'estimant lésé disposait de toute l'information nécessaire, et qu'il savait notamment que l'atelier d'habillement servant la Chambre des communes était toujours en fonction et se trouvait encore au même endroit.

Le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

  1. Lorsqu'il s'agit d'établir si le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes, nous estimons que la première étape consiste à déterminer le moment auquel le grief aurait dû ou aurait pu raisonnablement être déposé, et à examiner, s'il y a lieu, les motifs évoqués pour justifier le fait qu'il n'a pas été déposé à ce moment.
  2. Dans la présente affaire, il y a diverses dates que le Commission peut et devrait examiner.
  3. La première période est celle allant du 20 décembre 2005 au 9 janvier 2006. Il ressort clairement de la lettre de M. De Franco datée du 20 décembre 2005 que celui-ci était préoccupé par le fait qu'il était « chassé de son poste » et que ses problèmes de santé l'inquiétaient (une question concernant la prise possible de mesures d'adaptation raisonnables). Il n'a pas déposé de grief à ce moment, et rien ne vient expliquer ce fait.
  4. La seconde période est celle allant de janvier 2006 au 30 juin 2006, date à laquelle il a pris sa retraite. Tout au long de cette période, M. De Franco a continué de travailler pour la Chambre des communes, et son emploi était visé par une convention collective. Durant tout ce temps, s'il l'avait voulu, il aurait eu les moyens et la capacité d'évaluer le fait que, vraisemblablement, la décision de déménager l'atelier d'habillement avait été retardée et que l'atelier continuait de fonctionner. Tout au long de cette période, il a eu la possibilité de demander que la date de sa retraite soit reportée, étant donné que les circonstances avaient changé (le cas échéant). Il ne l'a pas fait. Cependant, durant toute cette période, les faits sur lesquels reposent les allégations contenues dans son grief n'ont pas changé. S'il avait eu l'impression qu'il était chassé de son poste et que la direction le poussait d'une certaine façon à prendre sa retraite en lui faisant savoir que l'atelier d'habillement allait déménager (ce qui n'a pas été le cas), il aurait pu déposer un grief à n'importe quel moment avant son départ à la retraite. Il ne l'a pas fait, et la seule explication fournie est un vague renvoi à une lettre médicale indiquant qu'il souffrait de stress.
  5. Si l'on considère que l'élément déclencheur d'un grief est la « cessation » d'emploi, en dépit des faits susmentionnés, l'emploi de M. De Franco a pris fin au moment de son départ à la retraite le 30 juin 2006. M. De Franco n'a pas indiqué à l'employeur qu'il souhaitait revoir sa décision de prendre sa retraite ou revenir au travail avant la réunion qui a eu lieu avec la direction (M. Art St. Louis) en juin 2007. Ce retard semble être justifié par une preuve, que la Commission peut évaluer et qui a été examinée au troisième palier, selon laquelle l'état de santé de M. De Franco l'a empêché de déposer un grief. La lettre contient peu de détails indiquant comment ou pourquoi l'état de santé de M. De Franco l'a empêché de présenter un grief. Il revient à la Commission de déterminer si la preuve à cet égard est suffisante, dans le contexte général des faits relatifs à la présente affaire. Lorsqu'on examine les conclusions du médecin et qu'on détermine l'importance qu'il faut leur accorder, on constate qu'il a écrit en septembre que l'incapacité du fonctionnaire s'estimant lésé de traiter l'affaire avait persisté durant toute l'année 2007. Comme il est indiqué dans le prochain paragraphe, cela n'a pas été le cas, même en septembre.
  6. Les faits montrent clairement que l'état de santé de M. De Franco ne l'empêchait pas de déposer un grief en juin 2007, lorsqu'il a engagé un représentant pour discuter de sa situation avec la direction, et de façon tout à fait certaine le 4 juillet 2007, lorsqu'il a été en mesure de faire préparer et de signer une plainte concernant les droits de la personne soumise à la Commission canadienne des droits de la personne. Par conséquent, même si l'on accepte la preuve médicale, il y a eu un délai de près de sept mois avant le dépôt du grief, et le fonctionnaire s'estimant lésé est tenu de justifier le retard par des raisons claires, logiques et convaincantes. Les arguments présentés par le fonctionnaire s’estimant lésé ne fournissent aucune explication permettant de justifier le retard.
  7. Dans ses arguments, le fonctionnaire s'estimant lésé a mentionné que « s'il y a eu un retard […], il s'agit alors d'un retard peu important de six mois ». Une période de six mois constitue un retard important et nécessite clairement d'être justifiée par une explication et des raisons claires, logiques et convaincantes. Aucune raison ni explication n'est donnée. Le fardeau de la preuve incombe au fonctionnaire s'estimant lésé, et il ne s'est pas acquitté de celui-ci.

La diligence raisonnable du fonctionnaire s'estimant lésé

  1. Pour les diverses raisons susmentionnées concernant les différentes occasions qu'a eues le fonctionnaire s'estimant lésé de traiter les questions en litige au moment où il a été informé de la situation (décembre 2005), durant tout le temps où il a été en poste et pendant plus d'un an après son départ à la retraite […]
  2. Il convient également de noter que le fonctionnaire s'estimant lésé ou son représentant étaient au fait de la nécessité de déposer le grief durant l'été de 2007 lorsque informés par la direction, et selon ce qui a été déterminé par le représentant. Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé a admis auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, le 21 août 2007 ou vers cette date, que lui et le fonctionnaire savaient que l'affaire aurait pu faire l'objet d'un grief et que le délai pour le dépôt d'un grief avait expiré […]
  3. Nous estimons que la reconnaissance de ce fait par le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé peut être considérée comme une preuve que le fonctionnaire s’estimant lésé, à ce moment, avait décidé de ne pas déposer de grief relativement à l'affaire.
  4. Tout argument du fonctionnaire s'estimant lésé visant à montrer qu'il a fait preuve de diligence raisonnable à partir de juillet 2007 parce qu'il a porté l'affaire devant la Commission canadienne des droits de la personne devrait être rejeté. Un argument similaire a été présenté dans Chan c. Conseil du Trésor et a été rejeté par la Commission [paragraphe 14]. La question consiste à déterminer si le fonctionnaire s'estimant lésé a fait preuve de diligence raisonnable concernant le dépôt de son grief.

Préjudice subi par l'employeur

  1. Si la Commission conclut que le retard n'est pas justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes, alors la question du préjudice subi par l'employeur n'a pas à être tranchée. [Chan, paragraphe 20]
  2. Qu'il y ait ou non des raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard, les incidents dont il est question se sont produits il y a près de quatre ans. Il s'agit d'un très long délai pour les témoins et la direction qui doivent reconstituer les incidents et fournir une preuve en vue d'une audition éventuelle. Dans Chan, on a considéré que 15 mois constituait un délai considérable aux fins de la détermination du préjudice subi.
  3. Il faut également souligner qu'au moins deux témoins clés éventuels, soit M. André Sabourin (gestionnaire et destinataire de la lettre du 20 décembre 2005) et M. Art St. Louis (gestionnaire principal avec qui M. Cloutier a eu une rencontre en juin 2007), ont pris leur retraite de la Chambre des communes.

Les chances de succès du grief

  1. Bien qu'il n'y ait pas lieu dans les présents arguments de traiter du fond du grief, la Commission doit examiner la nature du grief et des allégations et déterminer les chances de succès du grief.
  2. Nous sommes d'avis que, ce faisant, la Commission doit tenir compte du fait que le grief repose essentiellement sur l'allégation selon laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas pris de son plein gré la décision de partir à la retraite en janvier 2006, retraite qui a été prise le 30 juin 2006. Dans la présente affaire, M. De Franco a disposé de six mois pour revoir sa décision de prendre sa retraite, et il ne l'a pas fait.
  3. Comme l'employeur l'a mentionné dans des arguments précédents, on doute grandement du fait qu'un arbitre de grief ait la compétence pour trancher un grief portant sur une décision de partir à la retraite. La compétence d'un arbitre de grief se limite à la cessation d'emploi, et il subsiste des questions réelles pour ce qui est de savoir si un départ à la retraite constitue une cessation d'emploi au sens de la Loi.
  4. Nous n'avons pas été en mesure de trouver une jurisprudence portant sur des départs à la retraite « forcés » qui auraient découlé d'une information erronée fournie aux employés. Il peut y avoir des affaires où l'on a fait valoir qu'un employé, s'estimant menacé d'un congédiement de nature disciplinaire, a choisi de prendre sa retraite et a déposé un grief alléguant une « mesure disciplinaire déguisée », mais il n'y a pas de telle allégation dans la présente affaire.
  5. Nous doutons fortement que le grief, tel qu'il est formulé, et qui dénonce essentiellement une violation des droits de la personne sans autres détails complémentaires, soit accueilli.

Conclusion

  1. Les incidents se sont produits environ deux ans avant le dépôt du grief.
  2. Il y a peu de preuves ou d'arguments de nature claire, logique et convaincante qui permettent d'expliquer le retard de deux ans.
  3. Dans le meilleur des cas, il y a peut-être une raison expliquant le délai jusqu'en juin ou au début de juillet 2007. Cependant, il est évident qu'à ce moment le fonctionnaire s'estimant lésé était en mesure de traiter les questions en litige, comme le montre la plainte, signée de sa main le 4 juillet 2007, qui a été soumise à la Commission des droits de la personne. Rien ne permet d'expliquer le retard d'environ sept mois qui a suivi.
  4. L'employeur subira un préjudice en raison du délai de quatre ans qui s'est écoulé, ce qui nuira à sa capacité de présenter un dossier complet, et notamment parce que, depuis les incidents, au moins deux témoins clés ont pris leur retraite et ne seront peut-être pas en mesure de témoigner.
  5. Enfin, étant donné sa nature, le grief ne correspond pas de prime abord aux genres de griefs qui sont entendus par des arbitres de griefs, et nous doutons fortement que l'affaire puisse aller de l'avant en vertu de la Loi compte tenu des faits sur lesquels elle repose. Les chances de succès sont minces.
  6. Par conséquent, la demande de prorogation du délai pour le dépôt d'un grief doit être rejetée et la Commission doit clore le dossier.

[…]

C. Arguments du fonctionnaire s’estimant lésé en réponse

23 Le fonctionnaire a soumis les arguments suivants le 15 avril 2010 :

[Traduction]

[…]

1.       […] Cette demande de prorogation de délai fait intervenir la détermination du moment auquel le fonctionnaire s'estimant lésé a eu connaissance pour la première fois des circonstances pouvant donner lieu à un grief. La réponse à cette question permettra d'établir si le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé le grief dans le délai prescrit et, dans la négative, si le retard relatif au dépôt du grief est raisonnable.

2.       Le fonctionnaire s'estimant lésé fait valoir que la décision de prendre sa retraite a été fondée sur le fait que l'atelier d'habillement allait fermer, une information qui lui avait été transmise par son superviseur. Le fonctionnaire s'estimant lésé a clairement indiqué à son superviseur qu'il aurait continué de travailler à l'atelier d'habillement jusqu'à ce qu'il atteigne 25 ans de service.

3.       Comme il est mentionné dans les arguments du fonctionnaire s'estimant lésé […],le fonctionnaire s’estimant lésé n'a été en mesure de confirmer les rumeurs selon lesquelles l'atelier d'habillement existait toujours que bien après son départ à la retraite et peu de temps avant le dépôt du grief, le 31 janvier 2008. Rick Cloutier a confirmé ce fait dans sa déclaration datée du 14 juillet 2008, qui mentionne ce qui suit : « J'ai également souligné que le fonctionnaire s’estimant lésé a été mis au courant pour la première que son lieu de travail particulier n'avait pas été "déménagé", comme l'avait indiqué la direction, dans les 15 jours qui ont précédé le dépôt de son grief (janvier 2008). » Cette lettre a été présentée au troisième palier de la procédure de règlement du grief. M. Cloutier peut comparaître comme témoin.

4.       Dans la décision du 17 juin 2008 relative au grief, le représentant autorisé de l'employeur a reconnu que l'état de santé du fonctionnaire s'estimant lésé justifiait le fait qu'il n'ait pas déposé de grief en 2006 et durant la première moitié de 2007. La décision stipulait que le grief aurait dû être déposé en juillet 2007. Dans le dernier paragraphe de la décision, le représentant mentionne ce qui suit : « […] je dois conclure que votre état de santé était assez bon pour vous permettre de déposer un grief au moins six mois avant le 30 janvier 2008 ». L'employeur confirme donc que, s'il y a eu un retard dans le dépôt de mon grief, il était de six mois. Compte tenu de cette décision de l'employeur, celui-ci ne peut affirmer que la durée du retard se situait entre 19 et 25 mois.

5.       L'employeur s'appuie sur des déclarations faites dans la plainte [soumise à la CCDP]. Cette plainte portait sur une allégation de discrimination fondée sur l'âge et l'incapacité. Il ne s'agissait pas d'un grief relatif au milieu de travail ni d'une plainte liée aux relations de travail. Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pu confirmer avant janvier 2008 les circonstances pouvant donner lieu à un grief. Le fonctionnaire s'estimant lésé a procédé immédiatement au dépôt du grief.

6.       L'employeur décrit […] la retraite du fonctionnaire s'estimant lésé comme un « départ à la retraite forcé » en décembre 2005, et il soutient qu'il s'agit de la question en litige. Selon le fonctionnaire s'estimant lésé, ce n'est pas le cas. Si l'atelier d'habillement avait fermé conformément aux dires de l'employeur, M. De Franco n'aurait eu aucune raison de déposer un grief. Or, l'atelier n'a jamais fermé. L'employeur a fait une déclaration erronée, et celle-ci constitue la question dont est saisie la Commission.

7.       La Commission dispose d'un pouvoir discrétionnaire considérable pour ce qui est d'accepter des demandes de prorogation de délai. Il n'est pas nécessaire que le fonctionnaire s'estimant lésé ait exprimé l'intention de déposer un grief avant l'expiration du délai. La Commission doit tenir compte de l'état d'esprit du fonctionnaire s'estimant lésé. Le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté une lettre du Dr Pitrobon concernant son état d'esprit. La durée du service du fonctionnaire s'estimant lésé est un autre facteur devant être pris en compte par la Commission. Le fonctionnaire s'estimant lésé a travaillé à la Chambre des communes pendant 24 ans.

Richard c. Agence du revenu du Canada, 2005 CRTFP 180).

8.       Une question d'équité est présente dans l'affaire dont est saisie la Commission. Un employé prend des décisions en fonction des informations que lui transmet l'employeur. Outre le départ à la retraite, de telles décisions peuvent porter, par exemple, sur des possibilités d'emploi. La relation employeur-employé et la confiance qui en résulte sont grandement menacées si l'on autorise les employeurs à faire des déclarations erronées concernant les circonstances ou à induire les employés en erreur. L'intégrité doit être maintenue en permanence.

9.       Dans les arguments concernant le « préjudice à l'employeur » […], l'employeur soutient que la reconstitution des incidents et de la preuve constitue un préjudice. Il en irait de crédibilité des témoins et de la valeur de leurs témoignages, ce qu'il incombe à la Commission de déterminer. Le seul préjudice qu'invoque l'employeur est le fait […] que deux témoins, André Sabourin et Art St. Louis, ont pris leur retraite de la Chambre des communes et qu'ils « ne seront peut-être pas en mesure de témoigner » […] L'employeur ne fournit aucune raison permettant d'expliquer pourquoi ils ne seront pas en mesure de témoigner, et ne précise pas s'ils sont indisponibles ou dans l'incapacité de le faire.

10.       Les arguments de l'employeur [sur les chances de succès du grief] […] portent sur le fond de l'affaire, une question dont serait saisie la Commission si une audience avait lieu en vue de trancher le grief au fond.

11.       En janvier 2008, le fonctionnaire s'estimant lésé a pris connaissance pour la première fois des circonstances pouvant donner lieu à un grief. Il a immédiatement procédé au dépôt de son grief.

12.       Si la Commission devait conclure que le fonctionnaire s'estimant lésé a pris connaissance des circonstances avant janvier 2008, le fonctionnaire s'estimant lésé fait valoir que son état de santé l'a empêché de déposer un grief. Ce fait a été confirmé dans la décision qu'a rendue l'employeur le 17 juin 2008 relativement au grief, dans laquelle il est mentionné ce qui suit : « […] je dois conclure que votre état de santé était assez bon pour vous permettre de déposer un grief au moins six mois avant le 30 janvier 2008. » Le retard de six mois était de nature raisonnable.

[…]

IV. Motifs

24 Le fonctionnaire a allégué que le grief était recevable, et, subsidiairement, il a demandé une prorogation du délai. J'ai conclu que le grief était irrecevable et qu'il n'était pas approprié, dans les circonstances, que j'exerce mon pouvoir discrétionnaire de proroger le délai.

A. Le grief a-t-il été déposé dans le délai prescrit?

25 Pour déterminer la recevabilité d'un grief, il est d'abord nécessaire d'établir ce sur quoi il porte. Le grief ne contient pas suffisamment de détails. On y allègue simplement qu'il y a eu violation des droits de la personne. Le renvoi à « d'autres articles pertinents » de la convention collective n'a pas à être pris en compte dans le cas qui nous occupe, car l'agent négociateur n'a pas appuyé le grief. Étant donné que le dépôt du grief a fait suite à la présentation d'une plainte concernant les droits de la personne, je peux supposer que le grief repose sur les mêmes motifs que la plainte. Dans ce contexte, je crois comprendre qu'on allègue dans le grief que, « n'eut été » des renseignements erronés fournis par l'employeur, le fonctionnaire aurait continué à travailler deux ans de plus. Il n'allègue pas qu'il y a eu une retraite involontaire, mais une retraite fondée sur de fausses prémisses. Par conséquent, le délai pour le dépôt d'un grief commence au moment où il a pris connaissance pour la première fois qu'on lui avait fourni une information erronée – en d'autres termes, au moment où il a pris connaissance que l'atelier d'habillement était toujours en service et n'avait pas été déménagé.

26 Il est difficile de déterminer la date réelle à laquelle le fonctionnaire a pris connaissance de ce fait. Étant donné que le déménagement était censé avoir lieu en janvier 2006 et que le fonctionnaire a travaillé jusqu'au 30 juin 2006, il a pu prendre connaissance de ce fait avant sa retraite. Cependant, dans sa plainte concernant les droits de la personne signée le 4 juillet et présentée le 12 juillet 2007, il mentionne que l'atelier d'habillement « n'a pas été officiellement "fermé", alors qu'on [lui] avait dit qu'il le serait ». Cela signifie que, au début de juillet 2007 au plus tard, il avait pris connaissance des circonstances ayant donné lieu à son grief. Le grief n'a donc pas été déposé dans le délai prescrit.

B. Doit-on accorder une prorogation du délai?

27 Aux termes de l'alinéa 79b) du Règlement de la LRTP, la Commission a le pouvoir de proroger le délai prescrit pour le dépôt d’un grief, sur demande, « […] selon les modalités que la Commission juge indiquées ». Les décisions antérieures rendues par la Commission concernant son pouvoir de proroger les délais dans le cadre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique s'avèrent pertinentes aux fins de l'évaluation de ce pouvoir discrétionnaire aux termes du Règlement de la LRTP, car le pouvoir exercé par la Commission est similaire dans les deux cas.

28 Les cinq critères suivants, qui servent à déterminer s'il convient d'exercer le pouvoir discrétionnaire d'accorder une prorogation de délai, sont bien connus (voir Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1) :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;
  • l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

29 Le fonctionnaire a invoqué deux motifs pour expliquer le retard dans le dépôt de son grief. Le premier est son état de santé, et le deuxième est qu'il s'est rendu compte qu'on lui avait fourni une information erronée peu de temps seulement avant le dépôt de son grief.

30 Le fonctionnaire a eu des problèmes de santé, et il a fourni une note d'un médecin confirmant ses problèmes de santé. La note médicale, datée du 24 septembre 2007, mentionnait que les problèmes de santé du fonctionnaire « l'ont empêché de déposer un grief ou une plainte » contre l'employeur durant « toute l'année 2007 ». Cette note est directement contredite par le fait non contesté que le fonctionnaire a déposé une plainte concernant les droits de la personne contre son employeur en juillet 2007. À ce moment, son état de santé était assez bon pour qu'il prépare et présente une plainte concernant les droits de la personne. Par conséquent, son état de santé ne constitue pas une raison claire, logique et convaincante justifiant le délai qui s'est écoulé entre juillet 2007 et janvier 2008.

31 J'ai déjà conclu que le fonctionnaire avait certainement été au courant des circonstances relatives à son grief en juillet 2007 au plus tard, puisqu'il les mentionne dans sa plainte concernant les droits de la personne. Il en découle que l'autre raison qu'il a donnée pour justifier le retard, soit qu'il avait pris connaissance des circonstances peu de temps seulement avant le dépôt de son grief, n'est pas valide.

32 Étant donné que j'ai déterminé qu'il n'y avait aucune raison claire, logique et convaincante justifiant le retard, je n'ai pas à évaluer les autres critères énoncés dans Schenkman.

33 Comme il n'y a pas de raison claire, logique et convaincante qui justifie le retard, je n'exercerai pas mon pouvoir discrétionnaire et je rejetterai la demande de prorogation du délai.

34 Étant donné que le grief est irrecevable et qu'aucune prorogation de délai ne sera accordée, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres objections de l'employeur en matière de compétence. Par conséquent, le grief sera rejeté.

35 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

36 La demande de prorogation de délai est rejetée.

37 Le grief est rejeté.

Le 21 mai 2010.

Traduction de la CRTFP

Ian R. Mackenzie,
arbitre de grief et commissaire

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.