Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu à la suite d’une allégation de comportement criminel dans le cadre d’un incident survenu hors des heures de travail - après avoir fait enquête sur l’affaire, l’employeur a révoqué la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé - l’employeur a soutenu que l’arbitre de grief n’avait pas compétence étant donné que les mesures prises étaient de nature administrative - le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que les mesures étaient de nature disciplinaire et, de plus, qu’elles avaient été imposées de mauvaise foi - l’arbitre de grief a conclu que les mesures étaient de nature administrative et qu’elle n’avait pas compétence pour entendre les griefs. Objection accueillie. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-05-14
  • Dossier:  566-02-1948 et 2166
  • Référence:  2010 CRTFP 63

Devant un arbitre de grief


ENTRE

PAUL W.J. BRAUN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Gendarmerie royale du Canada)

défendeur

Répertorié
Braun c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Josée Bédard, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lyle M. Smordin, avocat

Pour le défendeur:
Isabel Blanchard, avocate

Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba),
les 9 et 10 décembre 2009 et 14 et 15 avril 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), Paul W.J. Braun, occupait le poste de directeur des Services aux employés au bureau régional de la région nord-ouest de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC ou l’« employeur ») à Winnipeg, au Manitoba.

2 À la suite d’un incident au cours duquel le fonctionnaire a été appréhendé pour vol à l’étalage dans une épicerie, l’employeur a pris un certain nombre de décisions qui, finalement, ont mené au licenciement du fonctionnaire. D’abord, le 13 juillet 2006, l’employeur a suspendu la cote de fiabilité de la GRC (CFG) du fonctionnaire. Il a suspendu le fonctionnaire sans solde en date du 26 juillet 2006. Le 6 novembre 2007, l’employeur a révoqué la CFG du fonctionnaire et finalement, il a licencié celui-ci le 8 avril 2008. Le fonctionnaire a contesté chacune de ces décisions. Dans une décision provisoire, Braun c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2009 CRTFP 129, j’ai statué que trois de ces quatre griefs ont été renvoyés à juste titre à l’arbitrage, à savoir les griefs contre la suspension sans solde, contre la suspension de la CFG du fonctionnaire et contre la révocation de sa CFG et que par conséquent, je n’ai pas été saisie du grief contestant le licenciement du fonctionnaire.

3 La présente décision porte sur une objection de l’employeur à ma compétence d’entendre les trois griefs fondée sur le fait que ce ne sont pas des questions arbitrables en vertu de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Pour l’essentiel, l’employeur soutient qu’il s’agissait de décisions de nature administrative et qu’en conséquence, elles ne sont pas visées par les paramètres de l’article 209 de la Loi. Le fonctionnaire affirme quant à lui que les griefs sont arbitrables parce que les décisions de l’employeur équivalaient à des mesures disciplinaires déguisées. Le fonctionnaire prétend en outre que l’employeur a fait preuve de mauvaise foi et a enfreint son droit à l’équité procédurale.

II. Résumé de la preuve

4 Le 8 février 2006, le fonctionnaire a été appréhendé par deux agents de prévention des pertes (APP) dans un magasin Safeway à Winnipeg qui le soupçonnaient de vol à l’étalage. Les APP n’ont pas déposé d’accusations contre le fonctionnaire, mais lui ont fait signer une entente d’interdiction d’entrer dans le magasin.

5 Les APP n’ont pas témoigné à l’audience. Leurs déclarations écrites ont été fournies dans un rapport qu’ils ont dressé et qui a été présenté en preuve (pièce E-8). L’avocat du fonctionnaire s’est opposé au dépôt du rapport en faisant valoir qu’il renfermait une preuve par ouï-dire. J’ai rejeté l’objection parce que l’employeur avait le rapport en sa possession et a tenu compte de l’information qu’il renfermait lorsqu’il a pris ses décisions. Toutefois, j’ai précisé que les faits décrits dans les déclarations ne seraient pas réputés prouvés par le seul dépôt du rapport. Les APP ont également été interviewés les 13 et 14 février 2006 par deux enquêteurs du Groupe de la police criminelle de la GRC, et les transcriptions de ces entrevues ont été déposées en preuve dans le dossier de sécurité sur le fonctionnaire (pièce E-18). J’estime qu’il n’est pas nécessaire de reproduire leurs longues déclarations, mais certains extraits jouent un rôle primordial dans ce qui s’en est suivi.

6 La version des événements donnée par les APP peut être résumée comme suit. Le fonctionnaire a été observé en train de dissimuler des objets dans ses poches, puis de payer certains articles, mais non ceux qui étaient cachés dans ses poches. Lorsqu’il a atteint la sortie, le fonctionnaire s’est rendu compte qu’il était observé par un APP et plutôt que de quitter le magasin, il est revenu sur ses pas et a commencé à remettre les articles sur les rayons. C’est alors qu’il a été appréhendé. Les APP ont également déclaré que le fonctionnaire s’est présenté comme un agent d’infiltration de la GRC traité pour stress et dépression liés à son travail et qu’il les a référés à la Dre Mary Orr, de la GRC, pour une confirmation de ce renseignement. Les APP ont mentionné qu’ils ont contacté la Dre Orr, qui a confirmé que le fonctionnaire était un employé de la GRC, mais n’a fourni aucun renseignement de nature médicale. En outre, le fonctionnaire aurait censément fourni les noms de deux médecins qui l’auraient traité. Les APP ont cru le récit du fonctionnaire et ont décidé de ne pas porter d’accusations contre lui.

7 Le fonctionnaire a témoigné et a fourni une version de l’incident qui diffère, à plusieurs égards, de la version donnée par les APP. Il a mentionné que l’incident s’est produit au cours d’une période difficile de sa vie et que le 8 février 2006 suivait une mauvaise nuit. Il était fatigué et ne se sentait pas bien. Le fonctionnaire a décrit l’incident comme un épisode de détresse psychologique pendant lequel il a subi une crise de panique ayant déclenché un comportement étrange et affolé. Il a alors couru partout, mis des objets dans ses poches et pris des articles sur un rayon pour ensuite les placer ailleurs. Il a reconnu avoir mis des articles dans ses poches, mais a nié avoir eu l’intention de quitter le magasin avec des articles impayés. Il a également nié s’être présenté comme un agent d’infiltration. Toutefois, le fonctionnaire a reconnu que les APP avaient l’impression qu’il était un agent d’infiltration, et il a déclaré qu’ils lui ont demandé au moins quatre fois s’il était un agent d’infiltration. Il affirmait catégoriquement avoir répondu clairement chaque fois qu’il n’était pas un agent de police. Je reviendrai à une description plus détaillée de la version que donne le fonctionnaire de cette affaire dans mes motifs. Le fonctionnaire a également nié avoir donné le nom de la Dre Orr et a déclaré que les APP ont contacté la Dre Orr de leur propre initiative. Toutefois, il a reconnu avoir mentionné qu’il suivait un traitement avec le Dr Mulgrew, qui avait pris sa retraite, mais avec qui il avait prétendument déjà traité, et avoir mentionné le nom d’un collègue du Dr Mulgrew.

8 Quand son avocat l’a questionné sur la façon dont les APP en sont venus à penser qu’il était un agent d’infiltration, le fonctionnaire a dit que l’explication est venue plus tard, lorsqu’il a reçu le rapport de la GRC selon lequel l’un des APP avait téléphoné à une connaissance au sein de la police de Winnipeg, qui a confirmé qu’il connaissait un ancien combattant du nom de « Brown » qui était un agent d’infiltration. Le fonctionnaire croit qu’il y a eu confusion entre M. Brown et lui-même.

9 Le fonctionnaire a dit que plus tard le même jour, il a appelé la Dre Orr pour s’excuser de l’avoir impliquée dans l’incident, et il l’a invitée à le rencontrer le lendemain pour discuter de la situation.

10 Le fonctionnaire a signalé deux incidents similaires survenus antérieurement, un en 2004 dans un magasin Safeway de Calgary et un en 2005 dans une librairie et un centre commercial d’Edmonton. Il a expliqué qu’à ces deux occasions, il a subi des crises de panique et agi de manière étrange : il a couru dans les allées et a enlevé des articles sur des rayons pour les placer ensuite sur d’autres rayons. Il a nié avoir tenté de quitter les magasins avec des articles impayés.

11 Il a expliqué que l’incident du 8 février 2006 était de même nature que ces deux incidents précédents, mais a précisé qu’il était plus intense et avait plus d’ampleur, et il s’est rendu compte qu’il ne pouvait plus maîtriser la situation et avait besoin d’aide. Le lendemain, il s’est rendu au travail et a fait appel au Programme d’aide aux employés (PAE) pour obtenir du soutien.

12 Le fonctionnaire a expliqué que quelques jours après l’incident, il a consulté un psychologue référé par le PAE, qui était d’avis qu’il devrait consulter un psychiatre. Le psychologue lui a suggéré de se présenter à l’hôpital. Le fonctionnaire a mentionné qu’il s’est rendu à l’hôpital et qu’il a été examiné par le Dr Glen Lowther, psychiatre, qui, après avoir discuté avec lui, a établi un diagnostic de dépression majeure et a prescrit des médicaments. Le fonctionnaire a également indiqué qu’il a suivi un traitement avec le Dr Lowther pendant un certain temps, qu’il prend encore des médicaments et qu’il n’a subi aucune nouvelle crise.

13 Les événements qui suivent se sont déroulés après l’incident du 8 février 2006.

14 Garry Jay, qui occupe le poste d’agent des ressources humaines pour la région nord-ouest et qui était le supérieur hiérarchique du fonctionnaire, a témoigné. Il a déclaré qu’il a été avisé de l’incident la nuit du 8 février 2006 par la Dre Orr, qui est médecin-chef à Winnipeg et qui relevait directement du fonctionnaire. M. Jay a déclaré que la Dre Orr l’a appelé pour lui dire que plus tôt dans la journée, elle avait été contactée par un APP d’un magasin Safeway à Winnipeg. Il lui a dit qu’il avait appréhendé le fonctionnaire pour vol à l’étalage et que le fonctionnaire avait dit à son collègue et à lui-même qu’il était un agent d’infiltration en traitement en raison de son état causé par le stress. M. Jay a mentionné que la Dre Orr lui a dit que l’APP l’avait informée que le fonctionnaire avait donné son nom, en ajoutant qu’elle serait en mesure de confirmer le traitement médical du fonctionnaire. La Dre Orr a également dit à M. Jay que l’APP avait rapporté que le fonctionnaire avait mentionné qu’il suivait un traitement avec le Dr Mulgrew et un Dr Fletcher. La Dre Orr aurait informé M. Jay qu’elle avait dit à l’APP que le fonctionnaire était le directeur des services aux employés, qu’il était son superviseur et qu’elle n’était pas en mesure de fournir des renseignements de nature médicale à son sujet. M. Jay a déclaré que la Dre Orr a ajouté que la mention, par le fonctionnaire, qu’il recevait des traitements du Dr Mulgrew, son prédécesseur, la troublait parce qu’il était retiré depuis un certain nombre d’années. M. Jay a également affirmé que la Dre Orr lui a dit que le fonctionnaire l’a contactée à la maison plus tard ce soir-là pour s’excuser de l’avoir impliquée et elle lui a répondu qu’il devrait contacter M. Jay pour l’informer de la situation.

15 Le lendemain matin, M. Jay a informé le commissaire de l’incident. Il a également indiqué qu’il accordait au fonctionnaire 24 heures pour l’informer de la situation. Le 9 février 2006, comme le fonctionnaire ne l’avait pas contacté, il a décidé de se rendre au bureau de Winnipeg (son bureau est situé à Régina, en Saskatchewan) le lendemain pour rencontrer le fonctionnaire.

16 Le fonctionnaire a pour sa part déclaré qu’il n’a jamais pensé à informer M. Jay de l’incident pour les deux motifs suivants : premièrement, il tentait de faire face à sa situation en obtenant du soutien auprès du PAE, et deuxièmement, il ne voyait pas pourquoi il devrait informer son superviseur d’un incident qui est survenu dans la collectivité et non au travail et qui était imputable à un problème médical.

17 M. Jay a déclaré que pendant qu’il était en route vers Winnipeg, il a contacté André Laurendeau, directeur des relations de travail à Ottawa (Ontario), pour s’informer des différences au niveau du processus lorsqu’un incident implique un fonctionnaire qui occupe un poste de direction. Il s’est fait dire que la participation du Conseil du Trésor serait nécessaire si une mesure disciplinaire ou un licenciement était envisagé. M. Jay a déclaré que son propre pouvoir en matière de mesures disciplinaires se limitait à imposer une suspension sans solde pour une durée maximale de 10 jours. M. Jay a ajouté qu’à ce stade, il n’envisageait pas de mesure disciplinaire, mais qu’il se trouvait en mode d’enquête et qu’il estimait prudent de vérifier les limites de son pouvoir.

18 M. Jay et le fonctionnaire ont tenu une réunion le 10 février 2006. Leurs versions respectives de la réunion sont contradictoires.

19 M. Jay a donné la version suivante de la réunion. Quand il est arrivé au bureau du fonctionnaire, il avait l’impression que celui-ci était stupéfait de le voir. Le fonctionnaire lui a demandé le motif de sa présence, et il a répondu qu’il désirait discuter de l’incident du 8 février au magasin Safeway. Le fonctionnaire a reconnu d’emblée qu’il avait été appréhendé par un APP au magasin. Il a dit à M. Jay qu’il avait subi beaucoup de stress dernièrement et qu’il suivait un traitement contre le stress et la dépression depuis l’âge de 20 ans. M. Jay a également déclaré que le fonctionnaire lui a dit que c’était la première fois que le stress et la dépression se manifestaient sous cette forme.

20 M. Jay a mentionné qu’il a questionné le fonctionnaire sur le fait qu'il s'était identifié comme agent d’infiltration et que le fonctionnaire a répondu qu’il ignorait de quoi il parlait. M. Jay a déclaré qu’il a alors posé des questions au fonctionnaire concernant le Dr Mulgrew et qu’encore une fois, le fonctionnaire a répondu qu’il ne comprenait pas de quoi il parlait. M. Jay a mentionné qu’il a également demandé au fonctionnaire pourquoi il avait impliqué la Dre Orr dans cette situation. Le fonctionnaire a répondu que les APP ont contacté la Dre Orr de leur propre initiative.

21 M. Jay sentait que le fonctionnaire ne lui disait pas tout et ne cessait de poser des questions à ce dernier. Il a déclaré que lorsque le fonctionnaire se faisait poser des questions sur son identification comme agent d’infiltration, celui-ci a dit qu’il a pu affirmer être un agent d’infiltration ou donner aux APP l’impression qu’il était un agent d’infiltration et qu’il n’avait pas tenté de les amener à croire le contraire. M. Jay a déclaré qu’il a de nouveau demandé au fonctionnaire pourquoi il avait impliqué la Dre Orr et que le fonctionnaire lui a répondu qu’il voulait seulement que les questions cessent. M. Jay a ajouté qu’il a encore posé des questions au fonctionnaire concernant le Dr Mulgrew. Le fonctionnaire lui a encore répondu qu’il souhaitait que les questions cessent.

22 M. Jay a dit qu’à un moment donné, il a demandé au fonctionnaire pourquoi il ne lui avait pas fait part précédemment de ses préoccupations au sujet de sa dépression ou de son état de santé pour qu’il puisse recevoir du soutien. Il a mentionné que la réponse du fonctionnaire l’a troublé. Il a déclaré que le fonctionnaire a répondu : [traduction] « Ne soyez pas trop dur envers vous-même; j’ai trompé des gens et j’ai menti toute ma vie. J’ai appris à dire aux gens ce qu’ils veulent entendre. »

23 M. Jay a dit qu’un certain nombre de questions le préoccupaient :

- Il possédait certains renseignements au sujet de ce qui s’est produit pendant l’incident.

- Le fonctionnaire s’était censément identifié comme agent d’infiltration de la GRC en congé pour cause de stress.

- Le fonctionnaire avait faussement identifié les médecins qui lui auraient prodigué un traitement.

- Le fonctionnaire avait impliqué sa subalterne et avait faussement déclaré aux APP que la Dre Orr serait au courant de son traitement.

- Le fonctionnaire avait omis d’informer M. Jay de la situation.

- Le fonctionnaire a nié s’être identifié comme agent d’infiltration et avoir utilisé les noms des Drs Mulgrew et Fletcher et, après une série de questions, le fonctionnaire a fourni une version édulcorée de la question de son identification à titre d’agent de police.

24 Après avoir examiné toutes ces questions, M. Jay a décidé de placer le fonctionnaire en congé en attendant un complément d’enquête. À ce stade, le fonctionnaire était suspendu avec solde.

25 M. Jay s’est fait demander par l’avocat du fonctionnaire s’il a pris des notes sur sa réunion avec le fonctionnaire. M. Jay a confirmé avoir rédigé des notes après la réunion et celles-ci ont été produites en preuve à la demande de l’avocat du fonctionnaire. Les notes étaient conformes au témoignage de M. Jay, mais il n’était pas fait mention du prétendu commentaire du fonctionnaire selon lequel il avait menti toute sa vie. À la question de savoir pourquoi il n’avait pas consigné cette observation, M. Jay a indiqué que ce n’était pas nécessaire, parce qu’il s’en rappellerait toute sa vie.

26 Le fonctionnaire, quant à lui, a donné la description suivante de la réunion du 10 février 2006 : M. Jay s’est présenté à l’improviste à son bureau et lui a dit qu’il voulait discuter de l’incident du 8 février. Il a accepté et a résumé ce qui s’est produit.

27 Le fonctionnaire a mentionné qu’avant la fin de son résumé, M. Jay avait commencé à lui poser plusieurs questions. M. Jay n’écoutait pas; il posait des questions précises et l’interrogeait en ayant recours à des tactiques policières. Le fonctionnaire a en outre déclaré que M. Jay devenait de plus en plus frustré et qu’il lui a dit qu’il devrait entreprendre une enquête sur la question. Il a ajouté que pendant cette enquête, M. Jay le suspendrait pour des raisons administratives.

28 M. Jay a témoigné qu’au cours de sa réunion avec le fonctionnaire, il s’est rendu à l’unité des enquêtes internes et a demandé à des enquêteurs de communiquer avec le magasin Safeway pour obtenir des détails sur ce qui s’est passé et des déclarations des APP. Les enquêteurs ont interviewé les APP et la Dre Orr.

29 Le 14 février 2006, le fonctionnaire a fait parvenir une lettre à M. Jay dans laquelle il donnait sa version écrite de l’incident. Dans la lettre, le fonctionnaire décrivait les questions qui lui avaient été posées par les APP au sujet de son statut d’agent d’infiltration et admettait ne pas avoir dit clairement qu’il n’était pas un agent de police. Voici la teneur de la lettre :

[Traduction]

[…]

Comme suite à notre réunion du 10 février 2006, au cours de laquelle vous m’avez informé de ces allégations et m’avez dit qu’il serait souhaitable que je vous expose ma version des événements par écrit, voici un résumé des événements qui se sont produits, l’accent étant mis sur les allégations selon lesquelles je me suis présenté comme agent de police au personnel chargé de la sécurité du magasin SafeWay (Portage et Cavalier) le 8 février 2006.

[…]

Dans le salon des employés, on m’a demandé de vider mes poches (qui contenaient encore quelques articles) et de décliner mon identité. J’ai collaboré et on m’a demandé de fournir une pièce d’identité afin de vérifier mon identité. J’ai dit au personnel chargé de la sécurité que je n’avais pas mon portefeuille sur moi, mais que s’ils voulaient bien m’accompagner à mon véhicule, j’y récupérerais mon permis de conduire dans un sac dans mon coffre arrière. L’employé principal m’a répondu « N’avez-vous aucune pièce d’identité avec vous? » J’ai fouillé dans mes poches et j’ai trouvé une carte professionnelle dans la poche de mon veston, carte que je lui ai remise.

Par la suite, il l’a regardée, puis s’est tourné vers son partenaire et a dit « Eh bien, le croirais-tu : GRC ». Il a remis la carte professionnelle à son partenaire, s’est tourné vers moi et a dit « Vous devez avoir votre insigne et votre carte d’identité avec vous – montrez-les moi. » J’ai répondu « Je n’ai pas d’insigne, et je ne veux pas qu'il soit question de mon travail à la GRC dans cette affaire […] » et avant que je puisse poursuivre, il a dit « Vous êtes un agent d’infiltration, n’est-ce pas? » et il semblait très heureux et excité de cette situation. J’étais de plus en plus fâché de cette loufoquerie et je lui ai dit « Écoutez, cela n’a rien à voir avec mon travail – pourquoi n’allons-nous pas à ma voiture afin que je prenne ma carte d’identité et que nous allions de l’avant? » Il a accepté et m’a accompagné à mon véhicule.

[…]

Pendant qu’il faisait des appels de l’autre côté de la pièce, le type plus jeune a pris mon permis et a commencé à copier sur un formulaire de l’information provenant de mon permis. Il a subitement cessé, a pris mon permis et est allé voir son partenaire, qui était encore au téléphone. Comme ils étaient à moins de quinze pieds d’où j’étais assis, je pouvais entendre presque tous leurs propos. Le plus jeune des deux a dit « Regarde, son permis n’indique même pas la Classe 4, ce qui fait que personne ne peut dire qu’il fait partie de la GRC. » À ce moment-là, je ne savais pas de quoi ils parlaient et lorsque je me suis tourné vers eux pour écouter plus attentivement, ils se sont éloignés pour poursuivre leur conversation. En réfléchissant à la question, quelques jours plus tard, je me suis rendu compte que l’absence de grade policier sur mon permis les a confortés dans leur opinion selon laquelle j’étais un agent d’infiltration. Lorsque cet événement est survenu, je ne savais pas du tout de quoi ils parlaient.

Le plus âgé des deux hommes a continué à faire des appels avec son téléphone cellulaire et le plus jeune a commencé à remarquer que mon état se détériorait constamment. Il a tenté de discuter avec moi. Pendant cette conversation, il m’a posé un certain nombre de fois des questions au sujet de mon travail à la GRC. Chaque fois, je lui ai dit que je ne voulais pas parler de mon travail et que je voulais seulement partir pour aller me coucher. Je ne cherchais pas à me montrer récalcitrant ou vague, mais je sentais tout simplement que je perdrais la maîtrise et m’évanouirais si ce supplice devait durer plus longtemps. Il a répondu à mes dénégations « C’est d’accord, vous n’êtes probablement pas censé parler de votre travail de toute manière – je comprends. » Encore une fois, si j’avais su ce dont il parlait, je suis convaincu que j’aurais trouvé la force de réfuter ses idées erronées au sujet de mon statut d’emploi au sein de la GRC, mais à l’époque, je n’étais pas en mesure de saisir tout cela et de répondre de manière cohérente. Peu après, ils ont communiqué avec la Dre Orr, ils m’ont fait signer un document m’interdisant l’accès au magasin et ils m’ont emmené vers la sortie, d’où je me suis rendu à la maison.

Bref, je ne me suis jamais présenté comme un agent d’infiltration de la GRC. Cette idée était une pure invention, qui découlait des fausses perceptions des deux employés de la sécurité à qui j'ai eu affaire. Si j’avais été dans un meilleur état d’esprit, j’aurais pu être en mesure de saisir pleinement leurs idées erronées à l’époque et je me serais certes assuré de clarifier la situation et d'écarter tout doute dans leur esprit en ce qui concerne mon statut d’emploi à la GRC.

Je me rends compte maintenant que mon refus de répondre à leurs questions au sujet de mon emploi a probablement renforcé leurs idées erronées. Ce n’était pas intentionnel, mais tout simplement le reflet de ma volonté de mettre fin à l’entrevue dès que possible et de ne pas répondre à des questions dans l’affaire qui nous occupe […]

[…]

[Je souligne]

30 Le 20 février 2006, M. Jay a écrit au commissaire une note d’information concernant l’incident. Dans cette note, M. Jay décrivait sa réunion du 10 février 2006 avec le fonctionnaire, description qui correspondait à la version fournie à l’audience. La description révélait que l’enquête sur l’affaire se poursuivait et que la question du maintien de l’autorisation sécuritaire du fonctionnaire a été étudiée. M. Jay a également indiqué dans la note qu’il désirait obtenir une évaluation de l’état de santé du fonctionnaire, afin de déterminer si celle-ci a influé sur son comportement, avant de formuler des recommandations au sujet de mesures disciplinaires ou autres. Sur ce point, il a écrit ce qui suit :

[Traduction]

ÉLÉMENTS STRATÉGIQUES À CONSIDÉRER :

Le statut de cadre supérieur de ce gestionnaire nécessite que la question soit traitée de façon exhaustive. La nature de l’état de santé de ce fonctionnaire devra être étudiée afin de déterminer s’il a pu causer le comportement illégal « étrange » qui a été observé. Son lien de causalité possible avec le récit fait par M. Braun, selon lequel il était un agent d’infiltration et souffrait de stress lié au travail, sera également examiné. Ce renseignement peut également éclairer l’agent des ressources humaines de la région nord-ouest et la direction de la GRC quant à leur niveau de confiance à l’égard du maintien de l’emploi de ce fonctionnaire dans son rôle de gestion.

Ces évaluations seront terminées avant que des recommandations soient faites au Conseil du Trésor en ce qui concerne la mesure disciplinaire qui sera prise. D’autres notes d’information seront fournies.

31 Le 1er mai 2006, M. Jay et le fonctionnaire ont tenu une autre réunion. Le fonctionnaire a déclaré que M. Jay l’avait contacté la veille et lui avait dit qu’il devait terminer son évaluation de rendement pour l’exercice 2005-2006. M. Jay et le fonctionnaire ont donné des versions contradictoires de la réunion.

32 M. Jay a affirmé qu’au cours de la réunion, ils ont discuté de l’évaluation de rendement du fonctionnaire pour l’exercice 2005-2006, évaluation qui était satisfaisante. Il a indiqué qu’ils ont tous deux convenu de ne pas faire mention de l’incident du 8 février dans le rapport de rendement afin d’éviter de nuire à un rendement par ailleurs satisfaisant. Ils ont également discuté de l’incident. M. Jay a déclaré que le fonctionnaire lui a dit que s’il ne lui faisait plus confiance pour exercer son emploi, il demanderait la possibilité de chercher un autre emploi avant que M. Jay prenne des mesures disciplinaires ou modifie sa CFG. M. Jay a affirmé qu’il acceptait d’attendre avant d’acheminer le dossier du fonctionnaire à la Sous-direction de la sécurité. M. Jay a ajouté qu’il avait reçu le conseil de suspendre le fonctionnaire sans solde, mais qu’il a décidé d’attendre pour voir si le fonctionnaire pouvait obtenir un autre emploi avant d’aller de l’avant.

33 Le fonctionnaire, quant à lui, a déclaré que M. Jay lui a présenté une évaluation de rendement provisoire qui mentionnait l’incident du 8 février en insistant sur le fait qu’il était coupable de vol à l’étalage et de s’être fait passer pour un agent de police. Le fonctionnaire a affirmé qu’il a refusé de signer l’évaluation de rendement proposée et que M. Jay a alors accepté de biffer ces mentions.

34 Le fonctionnaire a mentionné que M. Jay l’a informé qu’il voulait également discuter de l’incident du 8 février 2006 et lui a dit qu’il ne voulait plus de lui dans son équipe et qu’en raison de l’incident, il estimait que le fonctionnaire n’était ni digne de confiance ni fiable et représentait un risque pour la sécurité. Le fonctionnaire a déclaré que M. Jay a ajouté qu’il lui donnait deux mois pour trouver du travail ailleurs, après quoi il serait licencié de la GRC. Le fonctionnaire a indiqué qu’il a dit à M. Jay qu’il n’avait pas à subir ce genre d’intimidation et que M. Jay n’avait aucunement le droit de tenir de tels propos. M. Jay lui aurait répondu qu’il « pouvait accepter cette façon de faire ou qu’ils pouvaient jouer à la dure. » Le fonctionnaire a affirmé qu’environ deux jours après cette réunion, un gendarme du Groupe des enquêtes criminelles l’a contacté pour l’informer que lui-même et un autre gendarme avaient été chargés de faire une enquête criminelle et qu’ils souhaitaient l’interviewer. Quand le fonctionnaire a demandé qui a donné ces instructions, le gendarme lui aurait répondu qu’il ne pouvait pas le dire.

35 En ce qui concerne l’évaluation médicale du fonctionnaire, M. Jay a témoigné qu’il entendait initialement avoir recours à Santé Canada, jusqu’à ce qu’il soit informé que l’évaluation ne lui fournirait pas l’information dont il avait besoin. Le mandat de Santé Canada était tourné vers l’avenir et serait axé sur la capacité du fonctionnaire de retourner au travail. Compte tenu du fait qu’une telle évaluation ne répondrait pas à la question de savoir si l’état de santé du fonctionnaire pouvait expliquer son comportement ou aurait pu influer sur son comportement de quelque façon que ce soit pendant l’incident du 8 février, il a été décidé de faire évaluer le fonctionnaire par un psychiatre judiciaire, le Dr Stanley Yaren. Un rendez-vous a d’abord été pris pour mai 2006, mais le fonctionnaire ne s’y est pas présenté. M. Jay a mentionné avoir été informé que le fonctionnaire avait avisé le Dr Yaren qu’il ne voulait pas prendre part à l’évaluation, parce qu’il n’avait pas encore reçu tout le matériel que la GRC était censée lui fournir. M. Jay a dit qu’il était étonné, parce qu’on lui a indiqué que tout le matériel pertinent avait été envoyé au fonctionnaire. Cependant, il a ajouté qu’il a contacté le fonctionnaire pour s’informer du matériel qui ne serait pas en sa possession. Il a organisé une réunion avec le fonctionnaire le 15 juin 2006 pour discuter des prochaines étapes avec lui et pour lui remettre une copie des documents, mais le fonctionnaire ne s’y est pas présenté, et M. Jay a laissé les documents à la réception à l’intention du fonctionnaire. Finalement, une autre rencontre a été prévue avec le Dr Yaren en septembre 2006.

36 Le fonctionnaire a déclaré, quant à lui, qu’il avait initialement accepté de subir une évaluation médicale par Santé Canada et qu’un rendez-vous avait été pris avec un médecin de Santé Canada en date du 24 mars 2006. Il a indiqué que quelques jours avant le rendez-vous, il a appelé au bureau du médecin et s’est fait dire par le commis que la GRC avait annulé le rendez-vous. Lorsqu’il a demandé le motif de l’annulation, il a été avisé que la GRC s’était informée de la nature de l’évaluation. Lorsque la GRC a été informée que la réunion serait axée sur le retour au travail, elle a annulé le rendez-vous. Le fonctionnaire a déclaré qu’il a trouvé la situation bizarre et qu’il a tenté de contacter M. Jay pour obtenir une explication, en vain. Ultérieurement, il a reçu un appel du gestionnaire des relations de travail à Edmonton, en Alberta, qui lui a demandé s’il accepterait de rencontrer un psychiatre judiciaire à Winnipeg. Le fonctionnaire a dit qu’il a accepté et qu’un rendez-vous a initialement été prévu pour mai 2006.

37 Le fonctionnaire a mentionné qu’avant le rendez-vous, le Dr Yaren a téléphoné pour revoir certains renseignements en vue de se préparer à l’évaluation. Le Dr Yaren a étudié le processus avec lui et a revu un certain nombre de documents qui lui avaient été remis par la GRC. Le fonctionnaire a indiqué qu’à un moment donné, le Dr Yaren a fait référence à des documents qui renferment des commentaires négatifs à son sujet, à savoir qu’il avait des antécédents de mesures disciplinaires et qu’il était manipulateur. Le fonctionnaire a déclaré qu’il a dit au Dr Yaren qu’il ignorait l’existence de ces observations et qu’il voulait obtenir des copies de celles-ci avant l’évaluation. Le fonctionnaire a dit qu’il a appelé M. Jay pour s’informer des documents et en obtenir des copies, mais il ne les a jamais reçues.

38 Le fonctionnaire a indiqué qu’il a finalement accepté l’évaluation parce que le Dr Yaren a promis qu’il n’utiliserait pas les documents litigieux.

39 Le 26 avril 2006, des enquêteurs de la Sous-direction des affaires criminelles de la GRC ont été chargés de mener une enquête statutaire sur des allégations de vol de moins de 5 000 $ et de s’être fait passer pour un agent de la paix en contravention du Code criminel (pages 44 et 45 du dossier de sécurité (pièce E-18). Le fonctionnaire a été interrogé le 10 mai 2006 et la transcription de cet interrogatoire se trouve dans le dossier de sécurité.

40 Des accusations au criminel ont été portées contre le fonctionnaire le 6 juillet 2006. Le 12 juillet 2006, M. Jay a reçu un bordereau d’acheminement de l’officier responsable de la Division des opérations criminelles qui mentionnait [traduction] « [c]ette question faisant l’objet d’une poursuite criminelle, vous voudrez peut-être étudier le statut de ce fonctionnaire et envisager une suspension de ses fonctions sans solde. » M. Jay a déclaré que lorsqu’il a été informé du dépôt d’accusations au criminel, il ne pouvait plus retarder la décision de suspendre le fonctionnaire sans solde et d’acheminer le dossier à la Sous-direction de la sécurité.

41 M. Jay a déclaré qu’il a été informé, le 13 juillet 2006, de la suspension de la CFG du fonctionnaire. Il a indiqué qu’il n’a pas participé à la décision de suspendre la CFG du fonctionnaire, mais qu’il a pris ce fait en compte lorsqu’il a décidé de suspendre le fonctionnaire sans solde, étant donné qu’une CFG valide est une exigence préalable pour occuper un poste à la GRC.

42 La lettre de suspension sans solde se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

Il est allégué que le 8 février 2006, vous vous êtes fait passer à tort pour un membre régulier de la Gendarmerie royale du Canada lorsque vous vous êtes fait arrêter dans un magasin Canada Safeway à Winnipeg par une équipe de prévention des pertes qui vous soupçonnait d’avoir commis un vol à l’étalage.

Ces allégations, si elles s’avéraient fondées, montreraient que vous avez commis un grave manquement à la sécurité et que vous êtes coupable d’inconduite. J’ai maintenant été informé de la suspension temporaire de votre cote de sécurité par les Services de sécurité de la Gendarmerie. Je dois vous informer que vous êtes relevé de vos fonctions indéfiniment dès maintenant, sans solde, en attendant l’ouverture d’une enquête sur cette question.

Pendant l’enquête, vous ne devez pas entrer dans les locaux de la GRC à moins que vous soyez tenu de le faire pour déposer une plainte ou pour assister à une réunion à ma demande […]

Une fois l’enquête terminée, vous serez informé promptement de la décision prise par la direction à cet égard.

43 M. Jay a déclaré que le fait de suspendre le fonctionnaire sans solde constituait une décision administrative ayant été prise conformément au manuel administratif de la GRC, en particulier le chapitre 13 qui porte sur les mesures disciplinaires à l’égard des fonctionnaires, notamment la section H.1.e., sur les directives à l’égard des gestionnaires, selon lequel :

[Traduction]

Si l’inconduite présumée le justifie, suspendre l’employé de ses fonctions immédiatement, obtenir sans tarder l’approbation requise et aviser l’employé qu’il a été suspendu de ses fonctions sans rémunération en attendant les résultats d’une enquête sur son inconduite présumée, et que cette décision lui soit confirmée par écrit.

NOTA : Une suspension sans solde en attendant les résultats de l’enquête est une mesure administrative et non une mesure disciplinaire. Elle doit être utilisée pour protéger le service, les personnes ou les biens quand la présence de l’employé au travail ne peut être tolérée ou pourrait miner l’enquête ou lui nuire.

44 M. Jay a dit qu’à ce moment, il n’avait pas encore décidé s’il recommanderait une mesure disciplinaire et qu’il attendait l’évaluation du Dr Yaren.

45 Le 13 juillet 2006, Robert Lanthier, directeur général de la Sous-direction de la sécurité ministérielle de la GRC, a suspendu la CFG du fonctionnaire. La lettre de suspension est ainsi rédigée :

[Traduction]

[…]

La présente vise à vous informer que j’ai examiné votre cote de fiabilité de la GRC après que l’information suivante a été portée à mon attention :

- Le 8 février 2006, des membres du personnel de sécurité vous ont vu quitter un magasin Safeway à Winnipeg alors que vous aviez en votre possession des articles cachés et non payés dont la valeur était évaluée à environ 40 $. Apparemment, vous avez dit aux employés de sécurité que vous étiez un agent d’infiltration de la GRC qui suivait un traitement pour cause de stress. À la suite de cet incident, des accusations criminelles seront portées contre vous pour vol de moins de 5 000 $ et pour avoir prétendu faussement être un agent de la paix.

Pour attribuer la cote de fiabilité de la GRC, on se fonde sur l’honnêteté, la loyauté, la fiabilité et l’intégrité d’une personne. Compte tenu de ce qui précède, je suspends votre cote de fiabilité de la GRC à compter de la date du présent document et il vous sera dorénavant interdit d’accéder aux installations de la GRC sans être accompagné.

J’effectuerai un autre examen des circonstances après la procédure au criminel pour établir si votre cote de fiabilité de la GRC peut demeurer valide ou si elle devrait être révoquée pour motif valable. Vous aurez l’occasion à une date ultérieure de me communiquer vos observations écrites avant que je prenne une décision définitive à cet égard.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original.]

46 M. Lanthier a témoigné. Il a expliqué qu’il est à la retraite depuis 2007 mais qu’en 2006, il était le directeur général de la Sous-direction de la sécurité ministérielle de la GRC. Il était chargé des divers aspects de la sécurité de l’organisation, des installations et du personnel et d’appliquer la Politique sur la sécurité du Conseil du Trésor et la Politique sur la sécurité personnelle de la GRC (la « Politique de la GRC »).

47 Il a expliqué l’objet de la Politique sur la sécurité du Conseil du Trésor et les responsabilités des ministères et a fait spécifiquement référence à la section 10.9, qui se lit en partie comme suit :

Le Gouvernement du Canada doit s’assurer que les individus qui ont accès à ses renseignements et biens sont fiables et dignes de confiance. Pour ce qui touche la sécurité nationale, le gouvernement doit vérifier la loyauté de ces personnes envers le Canada afin de se protéger du terrorisme et de la collecte de renseignements par des puissances étrangères. On doit tout particulièrement veiller à assurer la fiabilité et la loyauté continuelles de ces personnes et à prévenir tout acte malveillant et toute divulgation non autorisée de renseignements classifiés et protégés causés par le mécontentement de personnes en poste de confiance.

[…]

Les ministères doivent aussi :

[…]

e. refaire régulièrement les vérifications appropriées et renouveler les cotes;

f.   revoir, révoquer, suspendre ou déclasser pour un motif valable une cote précédemment accordée.

[…]

48 Il a également fait mention de la Politique de la GRCet a expliqué que chaque employé doit avoir une cote de fiabilité ou une habilitation sécuritaire valide d’un niveau qui convient au poste occupé par la personne et qu’une CFG est le niveau le plus bas et représente une condition d’emploi à quelque titre que ce soit (sections D.2 et F.3.a de la Politique de la GRC). Il a également fait mention de la section D.8, qui prévoit qu’une cote de fiabilité de la GRC peut être refusée, révoquée ou suspendue en tout temps pour un motif valable seulement par l’officier responsable de la Sous-direction de la sécurité ministérielle. À titre de directeur général de la Sous-direction, M. Lanthier était l'officier responsable au sens de la Politique de la GRC. Il a expliqué que dans le cadre de l’évaluation d’une personne, les facteurs qui sont pris en compte ont trait à l’honnêteté, à la fiabilité et à l’intégrité de la personne. Il a ajouté que le manuel administratif de la GRC dresse une liste des facteurs de risque qui sont associés à la sécurité et à la fiabilité.

49 À titre d’officier responsable de la Sous-direction de la sécurité ministérielle, M. Lanthier était la seule personne autorisée à suspendre ou révoquer une CFG. Il a précisé que ses décisions portaient uniquement sur des questions de sécurité et qu’il n’avait pas le pouvoir d’imposer des mesures disciplinaires. Il a ajouté que le mécanisme de sécurité et le mécanisme disciplinaire sont distincts et indépendants.

50 M. Lanthier a expliqué le processus qui est suivi quand la CFG d’un employé est remise en question pour un motif valable. Quand la Sous-direction de la sécurité ministérielle est avisée d’un risque possible pour la sécurité, l’officier chargé de la sécurité ministérielle au niveau régional effectue une enquête sur la question avec son équipe, ce qui signifie que les personnes concernées sont interviewées et que tous les documents pertinents sont analysés. À la fin de l’enquête, l’officier régional formule une recommandation au sujet du statut de l’employé. À la réception de la recommandation de l’officier régional, M. Lanthier fait sa propre étude du dossier et prend la décision finale. M. Lanthier a déclaré qu’il ne rencontre pas l’employé concerné ni ne discute avec lui et que sa décision se fonde sur un examen des documents contenus dans le dossier. L’officier régional s’occupe de la partie « enquête » du processus.

51 M. Lanthier a déterminé les facteurs de risque pour la sécurité dans la liste fournie dans le manuel administratif qui étaient pertinents dans le cas du fonctionnaire :

[Traduction]

[…]

c. Est très endetté ou a d’autres problèmes financiers.

[…]

e. Usage excessif d’alcool.

[…]

g. Problèmes personnels qui semblent faire subir à l’employé un degré élevé de stress.

h. Preuve d’une instabilité mentale ou émotionnelle apparente.

52 Le 7 juillet 2006, M. Lanthier a reçu du sgt Neil Dawes, l’officier responsable de la sécurité ministérielle pour la région nord-ouest, une recommandation de suspendre la CFG du fonctionnaire. La note envoyée à M. Lanthier par le sgt Dawes renfermait ce qui suit :

[Traduction]

À l’examen du dossier, j’ai certaines préoccupations concernant quatre questions :

1) La maladie psychologique déclarée de M. Braun est basée sur ses commentaires. Bien que l’on ait tenté d’effectuer une évaluation médicale de M. Braun et d’étayer ses commentaires selon lesquels il est atteint d’une maladie psychologique, je n’ai reçu aucun document à ce jour. La question n’a pas encore été clarifiée.

2) Les commentaires qui auraient été attribués à M. Braun selon lesquels il est un « agent d’infiltration de la GRC » ont influencé l’officier responsable de la sécurité dans sa décision de ne pas déposer d’accusation contre M. Braun (voir les déclarations de Troy OWENS en date du 13 février 2006 aux pages 22-24).

3) Les accusations criminelles portées contre M. Braun sont graves, étant donné, surtout, le poste de direction de M. Braun.

4) M. Braun n’a pas dit la vérité dans le formulaire d’entrevue en matière de sécurité (1020) lorsqu’en 2002, il a répondu « NON » aux questions 26 et 27, à savoir « Avez-vous déjà reçu un traitement psychiatrique ou psychologique? » et « Avez-vous déjà demandé des conseils de professionnel pour tout autre problème personnel? » Cela va à l’encontre de sa déclaration du 10 mai 2006 (page 12) selon laquelle il a consulté plusieurs médecins depuis l’âge de 23 ans pour son problème psychologique.

Recommandation :

Compte tenu des quatre éléments mentionnés précédemment, j’ai certaines craintes au sujet de la cote de fiabilité de la GRC (CFG) détenue par M. Braun et je recommande sa suspension en attendant de recevoir des documents médicaux et tout autre renseignement pertinent ainsi qu’en attendant l’issue de l’instance judiciaire. J’acheminerai alors un rapport final afin que vous preniez une décision sur l’avenir de la cote de fiabilité détenue par M. Braun.

[…]

[Sic dans l’ensemble]

53 M. Lanthier a indiqué qu’avant de décider de suspendre la CFG du fonctionnaire, il a étudié le dossier, y compris les déclarations de tous les témoins et du fonctionnaire. Cet examen l’a convaincu que la situation justifiait la suspension de la CFG du fonctionnaire jusqu’à ce que des développements surviennent. À ce stade, M. Lanthier était d’avis que l’honnêteté et la fiabilité du fonctionnaire étaient douteuses, mais qu’une enquête complémentaire était nécessaire avant qu’il puisse rendre une décision finale sur la CFG du fonctionnaire.

54 Après la suspension sans solde du fonctionnaire et la suspension de sa CFG, d’autres événements se sont produits.

55 Le fonctionnaire a expliqué qu’il s’est fait refuser des prestations d’assurance-emploi et qu’il a interjeté appel de la décision. Il a déclaré que M. Jay l’a invité à l’audience devant le Comité d’appel de l’assurance-emploi pour s’opposer à son appel.

56 M. Jay a témoigné qu’il a reçu un avis concernant l’audience devant le Comité d’appel de l’assurance-emploi et qu’il a été invité à y assister. Il s’est présenté à l’audience et a répondu aux questions qui lui ont été posées par le Comité au sujet de la suspension sans solde.

57 Le Dr Yaren a évalué le fonctionnaire le 29 septembre 2006. Au début de son rapport, le Dr Yaren a mentionné que l’évaluation avait été demandée pour aider l’employeur à [traduction] « […] établir la nature et l’ampleur des troubles psychiatriques qui pourraient avoir une incidence sur le comportement de M. Braun à l’égard de cet incident et sur sa situation professionnelle en général. »

58 Le Dr Yaren a décrit comme suit la version donnée par le fonctionnaire de l’incident du 8 février 2006 :

[Traduction]

[…]

[…] Il a reconnu d’emblée avoir tenté de voler certains articles. Il semble avoir posé ce geste de manière impulsive, sans réflexion ni planification approfondie, et certainement pas par nécessité, car M. Braun disposait d’assez d’argent pour payer les articles.

M. Braun a indiqué qu’il a tenté de se montrer coopératif avec le personnel de prévention des pertes du magasin, mais qu’il les a trouvés très insistants et importuns lorsqu’ils cherchaient à lui soutirer des renseignements personnels. M. Braun a nié expressément avoir prétendu qu’il était un membre ou un agent d’infiltration de la GRC. M. Braun nie avoir contacté la Dre Mary Orr; il mentionne que c’est l’agent de prévention des pertes qui est à l’origine de cet appel. M. Braun reconnaît qu’il a fourni de l’information trompeuse concernant ses antécédents de traitement en santé mentale et de fournisseurs de traitement. Il mentionne qu’à l’époque, il estimait que c’était la manière la plus rapide de se tirer de cette situation gênante.

[…]

59 Le Dr Yaren a également fait mention d’autres incidents similaires qui lui avaient été rapportés par le fonctionnaire :

[Traduction]

[…]

M. Braun a révélé qu’il a été impliqué dans un incident similaire dans un magasin Safeway de Calgary, en Alberta, il y a de cela environ dix-huit à vingt-quatre mois. À cette occasion, M. Braun rapporte que sous l’effet du stress, il a volé impulsivement des aliments et s’est fait appréhender par des agents de prévention des pertes. Aucune accusation criminelle n’a été portée, mais M. Braun s’est fait interdire de revenir au magasin. Un autre incident est survenu quelques mois plus tôt dans une librairie d’Edmonton. Bien que M. Braun n’a pas alors commis de vol à l’étalage, il a impulsivement et sans motif connu de lui déplacé de la marchandise de rayons en rayons dans la librairie. […]

[…]

60 Le Dr Yaren a formulé les commentaires suivants et a donné l’avis qui suit :

[Traduction]

[…] Le stress subi récemment, qui semble avoir précipité cet épisode de dépression, a trait à la femme de M. Braun qui a contracté une dette de jeu de 40 000,00 $ […] De plus, M. Braun ressentait passablement de stress dans son travail et il était enclin à s’automédicamenter avec de l’alcool et des médicaments en vente libre.

[…]

[…] Le Dr Lowther a indiqué que selon lui, c’est la dette de jeu qui a précipité cet épisode de dépression […]

Opinions

  1. Manifestement, il est faux de prétendre que M. Braun a suivi un traitement pour une dépression pendant plus de vingt ans comme il l’a soutenu précédemment. M. Braun reconnaît d’emblée que c’était faux, mais dit qu’il a fait ces déclarations pour se tirer d’une situation délicate et gênante […]
  2. Les facteurs qui ont contribué au comportement ayant mené à l’incident du 8 février 2006 comprennent la présence de la dépression précipitée par des agents de stress aigus dans le contexte d’une réaction mésadaptée se caractérisant par une consommation excessive d’alcool et de médicaments en vente libre. […] Le vol à l’étalage par des personnes déprimées, qui en temps normal ne commettraient pas ce type d'infraction, est un phénomène relativement fréquent. Il peut être motivé par […] un appel à l’aide […]

[…]

  1. Le pronostic de rétablissement, y compris le rétablissement d’une fonction professionnelle, est favorable avec un traitement adéquat et en faisant preuve d’une vigilance thérapeutique continue.

[…]

  1. Je crois que la probabilité de récidive pour ce qui est d’un vol à l’étalage a été réduite par le traitement et la cessation d’une consommation inappropriée d’alcool.
  2. Le risque de rechute peut être abaissé considérablement, mais non éliminé complètement, avec un traitement et un suivi adéquats […]

Conclusion et sommaire

M. Braun est une personne qui semble avoir souffert d’épisodes relativement légers de dépression pendant sa vie adulte. Bien qu’il ait reconnu ce fait il y a longtemps, il a évité les traitements par le passé. Dans le contexte d’agents stressants liés au travail et à la vie personnelle et familiale, il faisait face à la dépression en s’automédicamentant avec de l’alcool et des médicaments en vente libre; cela l’a amené à commettre des vols à l’étalage, ce qui ne lui ressemble pas du tout. Les commentaires trompeurs que M. Braun reconnaît avoir tenus aux agents de protection étaient motivés par une tentative de se sortir du pétrin et d’éviter tout autre embarras. Il nie expressément l’allégation selon laquelle il a prétendu être un agent d’infiltration. M. Braun continue à suivre un traitement pour sa dépression. Il représentera toujours un risque de récidive à long terme, mais ce risque peut être considérablement atténué et contrôlé au moyen d’une bonne intervention thérapeutique suivie.

[…]

61 Le 16 novembre 2006, les accusations contre le fonctionnaire ont été suspendues.

62 L’avocat du fonctionnaire a interrogé M. Jay sur les motifs pour lesquels, compte tenu du rapport du Dr Yaren et de la suspension des accusations criminelles, il n’a pas levé la suspension du fonctionnaire et réintégré le fonctionnaire dans ses fonctions. M. Jay a répondu qu’il a été informé que les accusations ont été suspendues surtout en raison du rapport du Dr Yaren, mais que malgré ce fait, la CRG du fonctionnaire n’avait pas été rétablie. M. Jay a ajouté qu’à titre de gestionnaire, il avait de sérieuses réserves quant à la confiance qu’il pouvait avoir dans la capacité du fonctionnaire d’accomplir son travail et de gérer des subalternes. Relativement à cette question, M. Jay a expliqué qu’à la lecture du rapport du Dr Yaren, il s’est rendu compte que le fonctionnaire lui avait menti sur les deux éléments suivants : premièrement, quand le fonctionnaire lui a dit qu’il suivait un traitement pour sa dépression depuis l’âge de 20 ans et deuxièmement, quand le fonctionnaire lui a mentionné qu’aucun incident similaire n’était survenu dans le passé. M. Jay a également déclaré qu’il demeurait troublé du fait que le fonctionnaire avait impliqué l’une de ses subalternes dans l’incident. Finalement, M. Jay n’a pas formulé de recommandation concernant la prise de mesures disciplinaires parce que la CFG du fonctionnaire a été révoquée et parce que le fonctionnaire a été licencié en raison de la perte de sa CFG.

63 En ce qui concerne la question de la sécurité, le sgt Dawes a mis son enquête à jour à la lumière de la suspension des accusations criminelles et du rapport du Dr Yaren. Il a recommandé la révocation de la CFG du fonctionnaire. Dans une note qu’il a écrite à M. Lanthier le 15 décembre 2006, il a expliqué sa recommandation dans les termes suivants :

[Traduction]

[…]

Voici une mise à jour de mon rapport initial du 7 juillet 2006, qui a entraîné votre lettre de suspension datée du 13 juillet 2006, laquelle a été signifiée à M. Braun le 26 juillet 2006. Dans mon rapport initial, j’ai déterminé quatre questions de sécurité qui me préoccupaient. Ce rapport fournit de l’information à jour sur ces préoccupations et d’autres renseignements qui n’étaient pas disponibles auparavant.

Préoccupation no 1 : Les prétentions de M. Braun selon lesquelles il a déclaré lui-même souffrir d’une maladie psychologique n’ont pas été confirmées.

Mise à jour : M. Braun a subi une évaluation à la demande de la GRC et a fait l’objet d’un rapport psychiatrique daté du 24 octobre 2006, établi par le Dr Stanley Yaren, psychiatre de Winnipeg. Ce rapport est joint à votre intention afin que vous l’examiniez. Voici les principaux éléments du rapport :

-M. Braun reconnaît avoir tenté de commettre un vol à l’étalage de certains articles le 8 février 2006.
-M. Braun nie avoir dit au personnel de sécurité du magasin qu’il était un agent de la GRC ou un agent d’infiltration.
-M. Braun a révélé qu’il a été impliqué dans un autre incident similaire dans un magasin Safeway de Calgary environ deux ans et demi auparavant; il a alors volé des articles et a été appréhendé par le personnel de sécurité du magasin (aucune accusation n’a été déposée).
-M. Braun reconnaît aussi un incident similaire survenu dans une librairie d’Edmonton deux mois avant; il n’a alors commis aucun vol, mais il déplaçait de la marchandise de rayons en rayons, ce qui a capté l’attention du personnel de sécurité du magasin.
-M. Braun suit actuellement un traitement pour un « épisode dépressif majeur » lié à la dette de jeu de 40 000 $ contractée par sa femme.
-M. Braun en est venu à trouver son emploi assez stressant et s’automédicamente en consommant de l’alcool et en prenant des somnifères en vente libre.
-M. Braun a des antécédents de symptômes thymiques épisodiques et d’épisodes de dépression au cours de sa vie adulte.
-Le pronostic de guérison est favorable si un traitement est suivi, mais M. Braun demeurera vulnérable aux rechutes.

Préoccupation no 2 : M. Braun aurait dit être un agent d’infiltration au personnel de sécurité du magasin.

Mise à jour : M. Braun a continué de nier cette allégation, ce qui est contredit par des déclarations du personnel de sécurité du magasin Safeway.

Préoccupation no 3 : Accusations aux termes du Code criminel :

Mise à jour : Une interrogation dans le SIRP en date du 2 décembre 2006 a révélé qu’il y a eu suspension des accusations aux termes du Code criminel de « vol de moins de 5 000 $ » (al. 334b) C.Cr.) et de « prétendre faussement être un agent de la paix » (al. 130a) C.Cr.). D’autres interrogations du système de la Division « D » des enquêtes criminelles le 15 décembre 2006 ont révélé qu’un procureur de la Couronne indépendant s’est dit d’avis que les accusations ont été « suspendues » sur la base de rapports psychiatriques selon lesquels la dépression non traitée de M. Braun aurait causé son comportement ou contribué à celui-ci et il n’était pas dans l’intérêt public qu’il soit donné suite aux accusations.

Préoccupation no 4 : M. Braun ne disait pas la vérité pendant son entrevue de sécurité de 2002 lorsqu’il a nié avoir suivi un traitement psychiatrique ou demandé d’autres conseils pour des problèmes personnels (questions 26 et 27).

Mise à jour : Il a été révélé dans le rapport du Dr Yaren (page 5) que M. Braun n’avait jamais reçu de conseils ni de traitement psychiatrique pendant plusieurs années, comme il l’a affirmé au personnel de sécurité du magasin quand il a été appréhendé le 8 février 2006. Il a formulé ces commentaires au personnel de sécurité du magasin pour se tirer du pétrin. Il semble que M. Braun a répondu avec sincérité aux questions 26 et 27 en 2002 pendant son entrevue de sécurité.

Préoccupations continues en matière de sécurité :

1) Les antécédents de M. Braun en matière de dépression et sa situation actuelle à cet égard comme l’indique le rapport du Dr Yaren.

2) La dette de jeu de 40 000 $ contractée par la femme de M. Braun.

Commentaires :

1) Le Dr Yaren indique, dans son rapport, que la dépression de M. Braun est un état dont il souffre depuis de nombreuses années, mais que le risque de récidive pourrait être considérablement diminué et mieux géré au moyen d’une intervention thérapeutique suivie. Toutefois, le risque de récidive à long terme est bel et bien présent.

2) La dette de jeu de 40 000 $ contractée par la femme de M. Braun constitue une préoccupation sur le plan de la sécurité parce qu’elle a été désignée comme un facteur probable ayant accéléré sa dépression et les événements survenus le 8 février 2006 au magasin Safeway. Bien que M. Braun n’était pas responsable de la dette de jeu, celle-ci exerce sans doute une pression financière importante sur la famille, pression à laquelle M. Braun devra continuer de faire face d’un point de vue émotif et financier. Tant que cette dette de jeu existe, elle soulève la question, dans le cadre de la détermination de la fiabilité d’un sujet, de « vérifier si la personne pourrait avoir des besoins d’argent susceptibles de lui faire perdre la confiance qu’on lui accorde à l’égard de ses fonctions » (Norme sur la sécurité du personnel (Appendice B); Politique du Conseil du Trésor).

3) Bien que les accusations criminelles portées contre M. Braun aient été « suspendues », il demeure que de son propre aveu, M. Braun a tenté de commettre le vol et a reconnu deux autres incidents similaires de vol à l’étalage au cours desquels le personnel de sécurité du magasin a dû intervenir. Cependant, aucune accusation n’a été portée.

[…]

64 M. Lanthier a témoigné qu’il était d’accord avec la recommandation du sgt Dawes. Il a déclaré que la suspension des accusations criminelles n’a pas changé son opinion sur la révocation de la CFG du fonctionnaire, car la décision qu’il devait prendre touchait des questions de sécurité, et non de responsabilité criminelle. Il a dit qu’il lui apparaissait clairement que selon la prépondérance des probabilités, il y avait eu vol et le fonctionnaire s’était fait passer pour un agent de police pour se tirer du pétrin. Il estimait que le fonctionnaire n’avait pas été honnête, n’avait pas dit la vérité et avait modifié sa version des événements à plusieurs reprises. M. Lanthier a déclaré qu’il a découvert des incohérences dans les documents et qu’il a conclu que les déclarations du fonctionnaire avaient été formulées de manière à le sortir du pétrin. M. Lanthier a perdu confiance dans le fonctionnaire en parcourant le dossier; il s’est rendu compte que le fonctionnaire modifiait sans cesse son récit. Sa préoccupation en matière de sécurité concernait l’honnêteté du fonctionnaire, et il a affirmé que son poste lui permettait d’accéder à des renseignements financiers et personnels ainsi qu'à d'autres données délicates au gouvernement.

65 Le 12 janvier 2007, M. Lanthier a écrit au fonctionnaire pour l’informer que la Sécurité ministérielle de la région nord-ouest avait recommandé la révocation de sa CFG et qu’il lui accordait 14 jours pour présenter des observations écrites avant de rendre une décision finale sur le rétablissement de sa CFG ou sa révocation pour un motif valable.

66 Après avoir reçu la lettre de M. Lanthier, l’avocat du fonctionnaire a soulevé une question de divulgation et a fait valoir que le fonctionnaire n’avait pas reçu tous les documents pertinents et qu’il lui fallait pour préparer ses arguments. Le 26 février 2007, M. Lanthier a écrit à l’avocat du fonctionnaire pour lui indiquer qu’il était étonné de l’allégation, parce qu’il avait cru comprendre que le fonctionnaire possédait tous les documents pertinents dont il avait besoin pour présenter des observations. Néanmoins, il a renvoyé le fonctionnaire à la Sous-direction de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels afin qu’il puisse obtenir des copies des documents qu’il recherchait. M. Lanthier a également mentionné dans sa lettre qu’il attendrait les observations du fonctionnaire avant de rendre sa décision finale.

67 Le fonctionnaire a témoigné qu’il a présenté une demande d’accès à l’information, mais qu’il n’a jamais reçu le dossier de sécurité (pièce E-18). En contre-interrogatoire, il a reconnu avoir reçu le rapport du sgt Dawes, qui fait partie du dossier de sécurité, mais il a déclaré l’avoir reçu seul et non avec le reste des documents contenus dans le dossier de sécurité.

68 Patrick Cost, analyste à la Sous-direction de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels de la GRC, a témoigné. Il a déclaré qu’une demande d’accès à l’information déposée par le fonctionnaire a été reçue le 21 mars 2007. Le fonctionnaire a demandé [traduction] « tous les renseignements liés à [sa] suspension et à la suspension subséquente de [son] autorisation de sécurité et la recommandation selon laquelle [son] autorisation doit être révoquée de façon permanente. » M. Cost a expliqué le processus qui est suivi lorsqu’une demande d’accès à l’information est présentée. La demande est envoyée à la section qui possède le matériel demandé, qui est recueilli, puis envoyé à la Sous-direction de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels. Tous les documents sont alors numérisés, puis le dossier est attribué à un analyste. Ce dernier revoit les documents et détermine ceux qui peuvent être divulgués et ceux qui devraient être retenus ou expurgés conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21.

69 M. Cost était l’analyste affecté à l’examen des documents demandés par le fonctionnaire. Il a expliqué que le dossier de sécurité (pièce E-18) renferme tous les documents qu’il a examinés. Il a déposé une recommandation qui décrivait les pages de la pièce E-18 qui étaient partiellement expurgées ou qui ne faisaient pas partie de la trousse préparée pour le fonctionnaire. Le dossier des activités révèle que le 17 mai 2007, le fonctionnaire a demandé qu'on lui indique où en était l’étude de sa demande. M. Cost a indiqué qu’il a préparé les documents pour le fonctionnaire et qu’il a posté le paquet par XpresspostTM le 5 juin 2007. M. Cost a confirmé qu’un seul paquet a été envoyé au fonctionnaire par la Sous-direction de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels. M. Cost a également expliqué qu’il ne peut pas confirmer avec certitude que le fonctionnaire a reçu le paquet. Toutefois, il a expliqué que lorsque XpresspostTM est utilisé, la personne qui reçoit le paquet doit signer au moment de la réception. Quand Postes Canada est incapable de livrer le paquet ou d’obtenir la signature du destinataire dans les deux semaines, le paquet est renvoyé à l’expéditeur. M. Cost a déclaré qu’il n’a pu obtenir de feuillet de signature de Postes Canada parce qu’ils ne conservent pas les dossiers aussi longtemps. Il a affirmé que le paquet n’a pas été renvoyé à son bureau et que le fonctionnaire n’a jamais contacté la Sous-direction de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels pour l’informer qu’il n’avait pas reçu les documents.

70 Le 7 août 2007, le fonctionnaire a fourni ses observations écrites. La lettre a été reçue à la GRC le 23 août 2007. À cette date, M. Lanthier avait pris sa retraite et avait été remplacé par Pierre Giguère.

71 M. Giguère a témoigné. Il a indiqué qu’il a reçu les observations écrites du fonctionnaire le 23 août 2007, observations qui renfermaient l’affirmation générale suivante :

[Traduction]

[…]

Pour faire suite à votre lettre datée du 12 janvier 2007 m’informant que le sous-officier responsable de la sécurité ministérielle pour la région du nord-ouest a recommandé la révocation de ma cote de fiabilité de la GRC, j’aimerais profiter de l’occasion qui s’offre à moi pour répondre à cette question, maintenant que nous avons reçu le rapport daté du 15 décembre 2006 grâce au processus d’accès à l’information.

Le sous-officier responsable de la sécurité ministérielle pour la région du nord-ouest, le s.é.-m. Neil Dawes, fonde sa recommandation sur trois « préoccupations continues en matière de sécurité » qui renferment des inexactitudes, de mauvaises interprétations et des lacunes au niveau de la logique, qui invalident individuellement et collectivement sa recommandation de révocation. De plus, son rapport n’inclut pas les facteurs les plus pertinents qui ont trait à ma cote de sécurité actuelle. Ce sont : mon engagement incessant à faire face aux facteurs de risque associés à mon état de santé, par un plan de traitement approuvé, la reconnaissance de l’absence de récidive des épisodes psychologiques depuis le début du traitement et mon dossier de fiabilité exemplaire en matière de sécurité en milieu de travail, étalé sur vingt-cinq ans.

[…]

72 Dans ses observations, le fonctionnaire a en outre commenté chacun des facteurs de risque indiqués dans le rapport du sgt Dawes.

73 En ce qui concerne le risque de récidive, le fonctionnaire a déclaré que le sgt Dawes a faussement représenté le pronostic du Dr Yaren de manière à laisser croire à un risque plus grand que le risque indiqué. Le sgt Dawes a omis de mentionner ou de prendre en compte que le fonctionnaire avait suivi activement un long traitement pendant plus de 18 mois, au cours desquels il n’a pas eu de récidive. Le fonctionnaire a déclaré qu’il a prouvé son engagement à long terme à faire face aux facteurs de risque associés à son état et que le traitement s’est révélé efficace pour maintenir un niveau de risque faible. Le fonctionnaire a en outre fait valoir que les commentaires du Dr Yaren et du Dr Lowther selon lesquels il devrait être considéré comme présentant un faible risque de récidive n’ont pas été bien pris en compte par le sgt Dawes.

74 En ce qui a trait aux pressions financières, le fonctionnaire a déclaré que le sgt Dawes a laissé entendre que la dette de sa femme avait créé des problèmes financiers importants pour lui et sa famille. Il a soutenu que c’était inexact, parce qu’il disposait de ressources adéquates pour faire face à la situation. Le fonctionnaire a mentionné le commentaire suivant du sgt Dawes : [traduction] « […] il faut se poser la question, lorsque l’on détermine la fiabilité d’un sujet, consistant à savoir si la personne fait l’objet de pressions financières qui pourraient influer sur le degré de confiance qu'on peut lui accorder relativement aux fonctions qu’il exerce? » Il a répondu ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Ces commentaires ne représentent rien d’autre que des spéculations non justifiées, qui ne s’appuient aucunement sur mon rendement. J’ai été gestionnaire de budget pendant plus de vingt-cinq ans au sein de l’administration publique fédérale. Au cours de cette période, j’ai géré des budgets nationaux, régionaux et provinciaux de plus de deux millions de dollars, toujours de façon compétente et professionnelle, ce qui m’a valu une grande reconnaissance, des prix nationaux et des promotions au niveau de la direction. L’affirmation selon laquelle la dette de ma femme pourrait faire en sorte que je sois impliqué dans des transactions financières inopportunes, ce qui représenterait un risque pour la GRC, est contredite par mon dossier et est donc tout à fait sans fondement.

[…]

75 En ce qui a trait au vol à l’étalage, le fonctionnaire a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Le s.é.-m. Dawes prétend que même si j’ai suivi et continue de suivre un traitement de longue durée pour mon état, je représente néanmoins un risque considérable du point de vue de la sécurité. Il en arrive à cette conclusion malgré le pronostic de médecins chevronnés comme les Drs Yaren et Lowther, qui ont tous deux établi que je représente un risque faible, et en dépit du fait que je n’ai pas été impliqué dans quelque comportement irrationnel similaire depuis plus de dix-huit mois. Le s.é.-m. Dawes n’est pas un expert en médecine et son rejet du pronostic des professionnels dans cette affaire discrédite son analyse et sa recommandation concernant le rapport et établit son manque d’objectivité et de connaissances au sujet de la nature des états dépressifs ou de la gestion réussie des facteurs de risque associés à ces types d’états par un traitement approprié.

[…]

76 Le fonctionnaire a également mentionné que le Dr Yaren s’était dit d’avis que le comportement erratique du fonctionnaire était un « appel à l’aide » et ne représentait pas une intention criminelle.

77 Le fonctionnaire a conclu en formulant les commentaires suivants :

[Traduction]

[…]

[…] L’affirmation selon laquelle je manque d’intégrité, de fiabilité et de loyauté témoigne d’une tentative de discréditer mon caractère et de criminaliser une question médicale. Je souffre d’un trouble de santé qui a été diagnostiqué, pour lequel je n’ai pas reçu de traitement auparavant, et qui a entraîné par le passé des épisodes psychotiques qui ont inclus divers « appels à l’aide ». J’ai pris volontairement des mesures pour gérer et maîtriser cet état et, au dire de tous, j’ai connu du succès et je continue d’en avoir.

De plus, le s.é.-m. Dawes omet de mentionner que je n’ai jamais été responsable d’une seule infraction à la sécurité en milieu de travail en vingt-cinq ans de carrière, même lorsque je n’étais pas traité pour soigner mon état de santé. Il est ridicule d’affirmer, maintenant que je suis un traitement complet, que je représente subitement un risque pour la sécurité. Il convient également de reconnaître que mon poste au sein de la GRC n’est pas un poste opérationnel critique, mais plutôt un poste administratif qui s’accompagne d’une cote de fiabilité administrative de base. Il est tout à fait ridicule de soutenir que l’on ne peut compter sur moi pour exercer les fonctions de ce poste, et malgré mon dossier exemplaire et la diminution du risque ayant résulté du traitement.

En conclusion, la recommandation du sous-officier responsable de la sécurité ministérielle pour la région du nord-ouest selon laquelle ma cote de fiabilité de la GRC doit être révoquée ne peut être justifiée sur la base des préoccupations soulevées. Ces « préoccupations » reposent sur de fausses déclarations, des spéculations générales, une analyse viciée et l’omission de facteurs importants qui ont un lien direct avec mon profil de risque […]

[…]

78 M. Giguère a expliqué qu’une fois reçues les observations du fonctionnaire, le dossier a été étudié par un analyste de la Sous-direction de la sécurité personnelle, Sylvain Lebel. Après avoir terminé son étude, M. Lebel a soumis son rapport à son supérieur, André Drouin, qui l’a revu et approuvé. M. Lebel a écrit une note à M. Giguère dans laquelle il traitait des éléments présentés par le fonctionnaire et fournissait sa recommandation selon laquelle la CFG du fonctionnaire devrait être révoquée.

79 M. Giguère a mentionné qu’avant de rendre la décision finale, il a également étudié le dossier lui-même et il a dit qu’il souscrivait à la recommandation de M. Lebel. M. Giguère a affirmé qu’il avait de sérieuses réserves au sujet de la sincérité du fonctionnaire. Il a indiqué que le problème ne résidait pas dans la question du vol à l’étalage, qui constituait selon lui un appel à l’aide. M. Giguère a mentionné que ce sont plutôt les questions suivantes qui lui posaient problème :

  • Le Dr Yaren a affirmé dans son rapport que la dette contractée par la femme du fonctionnaire constituait l’un des éléments à l’origine de l’incident; cependant, dans ses observations, le fonctionnaire a déclaré que ce n’était pas un problème.
  • Il a conclu que le fonctionnaire tentait d’atténuer l’importance de son poste. Toutefois, selon lui, le fonctionnaire occupait un poste important, qui donnait accès à de l’information protégée et délicate. En outre, la prise de position du fonctionnaire n’était pas conforme au rapport du Dr Yaren, qui soulignait que le fonctionnaire trouvait son poste stressant.
  • Le fonctionnaire a abordé la question du vol à l’étalage, mais a omis de traiter de la question de s’être fait passer faussement pour un agent de la paix. Toutefois, il était d’avis que le fonctionnaire s’était fait passer pour un agent de police.
  • Le fonctionnaire ne disait pas la vérité lorsqu’il a déclaré initialement qu’il n’y avait pas eu d’incidents similaires et qu’il avait suivi des traitements depuis vingt ans. De fait, il a attendu d’en être au troisième incident et de se trouver dans une situation délicate avant de s’engager à suivre un traitement.
  • Le fonctionnaire a impliqué la Dre Orr.
  • Le fonctionnaire n’a pas informé son supérieur hiérarchique de l’incident et a menti lorsqu’il a été confronté à ce dernier.

80 M. Giguère a également expliqué que lorsqu’il étudie un dossier, il se penche sur les éléments suivants : la question de savoir si la personne a reconnu ou nié les dommages causés à l’organisation et si elle a fait quelque chose pour atténuer ces dommages.

81 Le 6 novembre 2007, M. Giguère a écrit au fonctionnaire pour l’informer que sa CFG était révoquée. Cette lettre se lit comme il suit :

[Traduction]

[…]

Vous avez soulevé trois préoccupations dont je traiterai maintenant. Le « risque de récidive » est décrit par votre psychiatre, le Dr Lowther, comme [traduction] « un faible risque à l’heure actuelle ». Le Dr Yaren a déclaré que « M. Braun continue à suivre un traitement pour sa dépression. Il représentera toujours un risque de récidive à long terme, mais ce risque peut être considérablement atténué et contrôlé au moyen d’une bonne intervention thérapeutique suivie. » L’avis du Dr Yaren donne non seulement l’état, mais également la condition propice à l’atténuation du risque de récidive. Je dois en tenir compte dans ma décision finale.

La question des « pressions financières » a été soulevée à titre de préoccupation en matière de sécurité et de facteur possible ayant mené à l’incident de vol à l’étalage.

Le rapport du Dr Yaren mentionnait que « [l]es facteurs qui ont contribué au comportement ayant mené à l’incident du 8 février 2006 comprennent la présence de la dépression, précipitée par des agents de stress aigus […] ». Le rapport du Dr Yaren a également indiqué que « [l]e stress subi récemment, qui semble avoir précipité cet épisode de dépression, a trait à la femme de M. Braun qui a contracté une dette de jeu de 40 000,00 $ ». Néanmoins, vous nous indiquez maintenant que cette dette n’a pas donné lieu à une crise financière pour vous ou votre famille, parce que vous disposiez de suffisamment de ressources pour faire face à cette situation.

Je comprends de votre lettre que le « vol à l’étalage » constitue une forme d’« appel à l’aide » et que l’incident dans lequel vous avez été impliqué le 8 février 2006 était lié à des problèmes de santé. Je crois que tel était le cas. Cependant, j’estime que nombre de vos gestes qui ont précédé et suivi l’incident ne peuvent être attribués à votre état de santé.

Vous avez révélé au Dr Yaren que « [vous avez] été impliqué dans un incident similaire […] il y a de cela environ dix-huit à vingt-quatre mois » à la suite duquel il vous a été interdit de retourner au magasin, et dans un autre incident qui a entraîné un avertissement de la part du personnel de protection contre les pertes. Ces incidents se seraient produits à la fin de 2003 ou au début de 2004. Selon ce rapport, « vous avez contacté un spécialiste du PAE (Programme d’aide aux employés) et avez été aiguillé vers un psychologue, mais n’avez pas fait suivre cette visite d’un traitement. » Par conséquent, vous avez eu l’occasion, à ce moment-là, de régler votre problème de santé mais vous ne l’avez pas fait.

Vous avez également reconnu en parlant au Dr Yaren que vous avez fait de fausses déclarations sur un traitement que vous auriez suivi pour une dépression pendant plus de vingt ans « pour [vous] tirer d’une situation délicate et gênante » au moment de l’incident de février 2006. De plus, vous avez trompé les agents de prévention des pertes en affirmant que vous étiez un ancien agent d’infiltration.

Quand vous avez contacté la Dre ORR pour vous excuser de l’avoir impliquée dans l’affaire, elle a dit que vous devriez informer votre superviseur, mais vous avez omis de le faire. Le surintendant en chef Garry Jay s’est présenté à Winnipeg où vous avez indiqué d’emblée que vous avez été appréhendé. Toutefois, Jay a dû vous confronter pour obtenir tous les détails concernant l’incident. Par conséquent, vous n’étiez pas disposé à reconnaître les détails de l’incident.

J’ai étudié toute l’information ayant trait à votre dossier et je conclus que vos gestes ont soulevé des préoccupations au sujet de votre fiabilité. Je conclus donc qu’il existe un motif suffisant pour révoquer votre cote de fiabilité de la GRC à compter de la date de la présente lettre.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

82 Avant d’en terminer avec le résumé de la preuve, j’aimerais aborder une objection à la preuve que j’ai admise pendant le contre-interrogatoire de M. Jay et le témoignage en interrogatoire principal du fonctionnaire. L’avocat du fonctionnaire désirait interroger M. Jay et le fonctionnaire au sujet d’une réunion tenue le 23 août 2006 entre le fonctionnaire, son avocat, M. Jay et M. Laurendeau. L’avocate de l’employeur s’est opposée à ce type de question parce que la réunion a été tenue pour tenter de régler tous les conflits qui étaient survenus et que ces discussions de règlement étaient protégées. Initialement, l’avocat du fonctionnaire a nié que les discussions étaient des discussions de règlement, mais il a fini par reconnaître que les discussions portaient sur le règlement de la relation d'emploi du fonctionnaire et des griefs. La pièce E-13, qui est une lettre que l’avocat du fonctionnaire a envoyée à M. Jay et qui a déclenché la tenue de la réunion du 23 août, renferme les éléments suivants, qui donnent une indication de l’objet de la réunion :

[Traduction]

[…]

Dans le cadre d’une discussion exhaustive de la question avec M. Braun, bien qu’il aimerait reprendre son emploi actuel dès que possible, il reconnaît néanmoins qu’il y a eu rupture de la relation et que son retour au travail pourrait s'avérer difficile. Par conséquent, conformément à votre suggestion selon laquelle la Gendarmerie royale du Canada et le Conseil du Trésor pourraient être prêts à prendre part à des discussions sur la façon de mener cette affaire à une conclusion acceptable, M. Braun a indiqué qu’il donne son accord et qu’une autre solution pourrait peut-être faire l’objet d’une discussion entre les parties.

Par conséquent, nous serions prêts à vous rencontrer, peut-être en présence d’un représentant du Conseil du Trésor […] À ce moment-là, toutes les avenues peuvent être explorées.

[…]

83 Après avoir entendu les deux parties, j’ai statué que les discussions tenues pendant la réunion portaient sur le règlement de questions relatives aux griefs et à la relation d'emploi et qu’elles étaient protégées.

III. Résumé de l’argumentation

A. Plaidoirie de l’employeur

84 L’employeur a soutenu que je n’ai pas compétence sur les griefs.

85 Premièrement, l’employeur a fait valoir que la compétence d’un arbitre de grief en vertu de la Loi est limitée aux questions qui tombent sous le coup des paramètres de l’article 209. L’employeur a exposé comme suit les paragraphes spécifiques de cette disposition en vertu desquels le fonctionnaire a renvoyé ses griefs à l’arbitrage :

  • les griefs contestant la suspension et la révocation de la CFG du fonctionnaire ont été renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, portant sur « une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire » et
  • le grief contestant la suspension sans solde a été renvoyé à l’arbitrage en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi, qui porte sur « la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa12(1)e) de cette Loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite […] »

86 L’employeur a fait valoir qu’il est possible de statuer sur un grief seulement en vertu de la disposition précise aux termes de laquelle il a été renvoyé à l’arbitrage. Comme le grief à l’encontre de la suspension sans solde a été renvoyé à l’arbitrage en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi, il devrait être rejeté à sa face même pour absence de compétence parce que la mesure en litige n’est pas un licenciement. L’employeur a fait valoir que la suspension sans solde ne peut être considérée comme équivalente au licenciement du fonctionnaire. L’employeur a soutenu que le fonctionnaire, pendant sa suspension sans solde, est demeuré un employé de la GRC et qu’il n’y a pas eu de rupture de la relation d’emploi. La décision de licencier le fonctionnaire a été prise ultérieurement, en avril 2008, et a constitué une décision distincte.

87 Subsidiairement, et sous réserve de sa position énoncée au paragraphe 86, l’employeur a fait valoir que tant le grief qui conteste la suspension sans solde que les griefs qui contestent la suspension et la révocation de la CFG du fonctionnaire devraient être rejetés pour absence de compétence, parce qu’ils ne concernent pas des questions qui tombent sous le coup des paramètres de l’alinéa 209(1)b) de la Loi,qui traite des mesures disciplinaires.

88 L’employeur a soutenu que pour que j’aie compétence en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, le fonctionnaire doit prouver les deux éléments suivants : qu’une mesure disciplinaire a été prise et que la mesure a entraîné un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire. L’employeur a ajouté que la première condition doit être satisfaite avant que l’on examine ce qui a résulté de la mesure disciplinaire.

89 L’employeur a fait valoir que les trois décisions en question étaient de nature administrative. En ce qui concerne la distinction entre une mesure administrative et une mesure disciplinaire, l’employeur m’a renvoyé à Canadian Labour Arbitration, 4e édition, dans lequel les auteurs Brown et Beatty ont mentionné que la mesure disciplinaire est prise dans « […] l’intention de corriger la mauvaise conduite d’un employé en le punissant d’une certaine façon », tandis que « [l]orsque la conduite d’un employé est non coupable et/ou que l’objectif de l’employeur n’est pas de punir, toute mesure qui est prise sera généralement qualifiée de non disciplinaire. »

90 L’employeur a également fait valoir que la jurisprudence de la Commission a reconnu que la révocation de la cote de fiabilité est une décision administrative, et l’employeur a invoqué à cet égard Leblanc c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 166-02-25267 (19940615).

91 L’employeur a traité de chacune des trois décisions.

92 En ce qui concerne la décision de M. Lanthier de suspendre la CFG du fonctionnaire, l’employeur a soutenu qu’il a établi que la décision reposait sur des préoccupations de sécurité et qu’elle n’avait pas pour but d’imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire. En outre, M. Lanthier ne possédait même pas le pouvoir d’imposer une mesure disciplinaire et son seul pouvoir avait trait à la cote de sécurité des employés. L’employeur a mentionné que M. Lanthier a expliqué l’objet de la Politique sur la sécurité du Conseil du Trésor et la responsabilité qui incombe aux ministères de veiller à appliquer cette politique et à apaiser les préoccupations en matière de sécurité. L’employeur a également fait mention de la Politique de la GRCet a fait valoir que M. Lanthier a agi conformément à sa responsabilité prévue par les modalités de la Politique de la GRC et de la Politique sur la sécurité du Conseil du Trésor.

93 Quand M. Lanthier a décidé de suspendre la CFG du fonctionnaire, il a fondé sa décision sur les éléments suivants :

  • Le fonctionnaire avait été appréhendé pour vol à l’étalage.
  • Le fonctionnaire était soupçonné de s’être fait passer pour un agent de police.
  • Le fonctionnaire avait impliqué la Dre Orr, l’une de ses subalternes.
  • Des accusations criminelles de vol de moins de 5 000 $ et de s’être présenté faussement comme un agent de police avaient été déposées contre le fonctionnaire.

94 L’employeur a fait valoir que les allégations soulevaient de sérieuses réserves quant à la fiabilité, à l’honnêteté et à l’intégrité du fonctionnaire. L’employeur a soutenu que l’attribution de la CFG ne se fondait pas sur la capacité d’une personne d’exercer les fonctions rattachées à son poste, mais plutôt sur l’honnêteté et la fiabilité de la personne. L’employeur a ajouté que le mandat précis d’un service de police justifie une norme d’intégrité plus élevée pour tous ses employés.

95 L’employeur a également soutenu que la décision de suspendre la CFG du fonctionnaire était une décision provisoire qui reposait sur les renseignements dont il disposait à ce moment-là, ce qui justifiait de faire un complément d’enquête avant la prise d’une décision finale. L’employeur a fait valoir que cette décision avait été prise pour protéger les intérêts de la GRC, et non pour sanctionner le fonctionnaire ou prendre une mesure disciplinaire à son égard. L’employeur a soutenu que le fonctionnaire n’a pas prouvé que cette décision était de nature disciplinaire.

96 L’employeur a fait valoir que la preuve établissait également que la décision de M. Jay de suspendre le fonctionnaire sans solde était de nature administrative. L’employeur a soutenu que la décision était conforme au manuel administratif, en particulier le chapitre 13 qui porte sur les mesures disciplinaires à l’égard des fonctionnaires, notamment la section H.1.e., sur les directives à l’égard des gestionnaires.

97 L’employeur a également affirmé avec insistance que la formulation utilisée par le fonctionnaire dans son grief (« J’ai été placé en suspension administrative ») révélait que le fonctionnaire comprenait la nature administrative de la suspension.

98 L’employeur a invoqué Canada (Procureur général) c. Basra, 2008 CF 606 et Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176 concernant la nécessité de tenir compte de l’intention de l’employeur pour déterminer si une décision était de nature administrative ou disciplinaire. L’employeur a fait valoir que dans la présente affaire, tous les éléments de preuve indiquent qu’il s’agit d’une décision administrative.

99 L’employeur a soutenu que la suspension sans solde n’était pas motivée par le désir de prendre une mesure disciplinaire à l’égard du fonctionnaire, mais qu’elle a plutôt été déclenchée par les considérations administratives suivantes : la CFG du fonctionnaire avait été suspendue et, par conséquent, il ne satisfaisait plus à une condition d’emploi essentielle. Des accusations criminelles avaient été déposées contre lui et la question de l’impact de l’état de santé du fonctionnaire sur son comportement justifiait un complément d’enquête. L’employeur a fait valoir qu’au dire de M. Jay, lorsqu’il a décidé de suspendre le fonctionnaire sans solde, il ne disposait pas de toute l’information dont il avait besoin pour formuler une recommandation au sujet de la discipline, mais il a jugé que la situation était sérieuse et qu’il devait aller au fond des choses.

100 L’employeur a traité de l’allégation du fonctionnaire selon laquelle le 1er mai 2006, M. Jay lui a dit qu’il avait l’intention de le licencier. L’employeur a soutenu que la version du fonctionnaire contredisait celle de M. Jay et que je devrais tenir compte de la version de M. Jay, qui était plus crédible. L’employeur a ajouté que l’affirmation selon laquelle M. Jay avait déjà décidé de recommander le licenciement du fonctionnaire n’était pas cohérente avec sa décision de demander au fonctionnaire de subir une évaluation médicale et d’attendre les résultats de cette évaluation avant de formuler une recommandation en matière de mesure disciplinaire.

101 L’employeur a fait valoir que la décision de révoquer la CFG du fonctionnaire était également de nature administrative. L’employeur a soutenu que le rôle de M. Giguère ne consistait pas à prendre des mesures disciplinaires, mais plutôt à régler des questions de sécurité. L’employeur a souligné que le processus de sécurité est distinct et indépendant du processus disciplinaire.

102 L’employeur a soutenu que la décision de révoquer la CFG du fonctionnaire n’était pas motivée par l’intention de prendre une mesure disciplinaire à l’égard de celui-ci, mais plutôt par des considérations de sécurité réelles et sérieuses, et qu’elle protégeait les intérêts de la GRC.

103 L’employeur a également soutenu que le processus ayant mené à la décision de révoquer la CFG du fonctionnaire était juste et qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. Sur ce point, l’employeur a fait valoir que la décision a été prise à la suite d’une enquête approfondie menée par l’unité régionale de la sécurité ministérielle, enquête au cours de laquelle tout le matériel pertinent a été examiné, toutes les parties impliquées ont donné leurs versions des événements et la preuve médicale a été prise en compte. De plus, le fonctionnaire a eu l’occasion de présenter des observations avant que M. Giguère rende sa décision finale.

104 L’employeur a répliqué à l’allégation du fonctionnaire qu’il n’a pas reçu le dossier de sécurité après sa demande d’accès à l’information. L’employeur a soutenu que la preuve mène à la conclusion que le fonctionnaire a reçu le dossier. Toutefois, si l'on devait conclure qu’il ne l’a pas reçu, la preuve non contestée établit que le fonctionnaire possédait les documents clés, à savoir les déclarations des APP ainsi que les rapports du Dr Yaren et du sgt Dawes, qui permettaient au fonctionnaire de présenter des observations importantes et complètes, ce qu’il a fait dans sa lettre du 7 août 2007.

105 L’employeur a réfuté la proposition du fonctionnaire selon laquelle il y a eu manquement à l’équité procédurale parce que ni M. Lanthier ni M. Giguère n’ont rencontré le fonctionnaire avant de prendre leurs décisions. L’employeur a soutenu que l’équité procédurale n’est pas une notion fixe qui nécessite une entrevue directe dans toutes les circonstances. L’élément clé de l’équité procédurale est le droit d’être entendu, de vive voix ou au moyen d’observations écrites, et le fonctionnaire a eu l’occasion de présenter sa version des événements et de répliquer aux allégations de l’employeur formulées contre lui.

106 L’employeur m’a renvoyé à Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CRTFP 19, et a distingué les faits qui ont mené l’arbitre de grief dans cette affaire à conclure qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale d’après les faits de la présente affaire.

107 L’employeur a conclu que le recours adéquat pour contester les trois décisions en question aurait été une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Sur ce point, l’employeur a invoqué Myers c. Canada (Procureur général), 2007 CF 947.

B. Pour le fonctionnaire

108 Le fonctionnaire a soutenu que je devrais avoir compétence, parce que les griefs ont trait à des décisions de nature disciplinaire, malgré le fait qu’elles ont été décrites comme administratives par l’employeur. Pour le fonctionnaire, il est clair que les décisions de le suspendre sans solde, de suspendre et, finalement, de révoquer sa CFG étaient intentionnelles et qu’elles représentent des mesures disciplinaires déguisées.

109 L’avocat du fonctionnaire a fait valoir que le fonctionnaire s’est efforcé d’expliquer à l’employeur ce qui s’est produit au cours de l’incident du 8 février 2006 et que, en dépit d’une perception initiale possible de méfait, après une courte période, les mesures auraient dû être retirées et le fonctionnaire aurait dû être réintégré dans son poste. Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur n’a pas levé la suspension sans solde et n’a pas rétabli sa CFG parce que son intention était de nature disciplinaire. La preuve mène à une seule conclusion : le fonctionnaire allait être licencié d’une manière ou d’une autre.

110 Le fonctionnaire a soulevé plusieurs éléments qui, selon lui, mènent à la conclusion que l’employeur avait l’intention de prendre une mesure disciplinaire à son égard.

111 Premièrement, afin de demeurer indépendante, la GRC n’aurait pas dû mener l’enquête criminelle. Lorsqu’il était évident que le fonctionnaire niait les allégations de vol à l’étalage et de s’être fait passer pour un agent de police, la GRC aurait dû déférer l’enquête au Service de police de Winnipeg.

112 Deuxièmement, la preuve établit clairement que M. Jay, qui était l’acteur principal, avait l’intention dès le début de licencier le fonctionnaire. Du point de vue du fonctionnaire, l’intention de M. Jay d’imposer une sanction disciplinaire a ressorti dès février 2006, quand il a écrit ce qui suit au commissaire le 20 février 2006 : [traduction] « [c]es évaluations seront terminées avant que des recommandations soient faites au Conseil du Trésor concernant les mesures disciplinaires qui seront prises ». Le fonctionnaire a également fait référence au manuel administratif de la GRC, sur lequel l’employeur s’appuyait pour imposer une suspension sans solde (rubrique « Discipline ») et qui comporte des directives sur le processus disciplinaire.

113 L’avocat du fonctionnaire a également fait valoir que l’intention de M. Jay de licencier le fonctionnaire a été énoncée clairement pendant la réunion du 1er mai 2006, lorsqu’il a confronté le fonctionnaire, qui a refusé de démissionner. Le fonctionnaire a conclu que c’est son refus de démissionner qui a déclenché l’enquête criminelle. Le fonctionnaire était d’avis que lorsque M. Jay a transformé sa suspension avec solde en suspension sans solde, il voulait se venger de lui et lui imposer une sanction équivalente à un licenciement. Il ne recevait plus de salaire ni d’avantages et ne pouvait avoir accès à son bureau.

114 L’avocat du fonctionnaire a soutenu que la réaction de M. Jay lorsqu’il a été informé qu’une évaluation médicale menée par Santé Canada serait axée sur la capacité du fonctionnaire d’exercer ses fonctions révèle également son intention; il a annulé le rendez-vous parce qu’il ne voulait pas que le fonctionnaire soit réintégré dans son poste. L’avocat du fonctionnaire a fait valoir que le choix de M. Jay de faire faire l’évaluation par un médecin qui était sous contrat avec la GRC a établi un parti pris de sa part.

115 L’avocat du fonctionnaire a également prétendu que M. Jay s’est invité au Comité d’appel de l’assurance-emploi pour s’opposer aux demandes de prestations du fonctionnaire.

116 L’avocat du fonctionnaire a également invoqué les discussions initiales du fonctionnaire avec le Dr Yaren au cours desquelles le Dr Yaren a mentionné des commentaires préjudiciables et inexacts concernant le fonctionnaire qui ont été formulés par la GRC, à savoir qu’il avait des antécédents de mesures disciplinaires et qu’il était manipulateur.

117 L’avocat du fonctionnaire a soutenu qu’en novembre 2006, plusieurs éléments auraient dû mener à la réintégration du fonctionnaire dans son poste mais que néanmoins, l’employeur a choisi de maintenir la suspension sans solde et, ultérieurement, de révoquer sa CFG. À ce stade, les accusations criminelles avaient été suspendues, et les rapports du Dr Yaren et du Dr Lowther avaient établi clairement que le fonctionnaire suivait des traitements pour son état, qu’il n’avait subi aucune récidive et qu’il présentait maintenant un risque faible de récidive. La réaction de l’employeur au maintien du processus ayant mené à la révocation de la CFG du fonctionnaire révèle qu’il entendait licencier le fonctionnaire.

118 L’avocat du fonctionnaire a également prétendu qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale dans le cadre du processus qui a mené à la révocation de la CFG du fonctionnaire, ce qui établit clairement que l’intention était de nature disciplinaire. Relativement à cette question, le fonctionnaire a affirmé avec insistance qu’il n’a jamais été interviewé par MM. Lanthier ou Giguère et que par conséquent, il n’a pas eu d’occasion équitable de faire part de vive voix de ses observations avant la décision de l’employeur de révoquer sa CFG. Le fonctionnaire a ajouté que lorsqu’il s’est vu offrir une possibilité de présenter des observations écrites, M. Giguère a écarté ses explications et ses éclaircissements et a retenu les parties qui étaient inexactes. Le fonctionnaire a également soutenu qu’il n’a jamais reçu le dossier de sécurité qu’il a demandé dans sa requête d’accès à l’information, ce qui, selon lui, constitue un autre manquement à l’équité procédurale, parce qu’il n’avait pas accès à tout le matériel pertinent lorsqu’il a préparé ses observations écrites.

119 L’avocat du fonctionnaire a commenté la jurisprudence citée par l’employeur et a distingué ces décisions des faits de l’espèce.

C. Réfutation de l’employeur

120 L’employeur a affirmé avec insistance qu’aucune preuve ne vient étayer une conclusion de vengeance de la part de M. Jay contre le fonctionnaire. L’employeur a également fait valoir que l’enquête criminelle et l’enquête interne représentaient deux mécanismes distincts et séparés.

121 L’employeur a également rejeté l’allégation selon laquelle M. Jay avait un parti pris lorsqu’il a choisi de ne pas faire évaluer le fonctionnaire par Santé Canada, affirmant que la preuve n’étayait pas une telle allégation.

122 L’employeur a rejeté l’allégation selon laquelle M. Jay était présent à l’audition de l’appel sur les prestations d’assurance-emploi sans y avoir été invité et a insisté pour dire que la preuve établissait qu’il avait reçu un avis de l’audition et qu’il a été invité à comparaître.

IV. Motifs

123 La compétence des arbitres de grief est rigoureusement définie et limitée par la Loi. Bien que le législateur a conféré aux fonctionnaires le droit général de déposer des griefs, la liste des questions qui peuvent être renvoyées à l’arbitrage est beaucoup plus limitée.

124 L’article 208 de la Loi énonce dans les termes suivants les questions qui peuvent faire l’objet d’un grief de la part du fonctionnaire :

208. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) soit d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

(b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

[…]

[Je souligne]

125 L’article 209 de la Loi, quant à lui, précise les types de griefs qui peuvent être renvoyés à l’arbitrage. Cette disposition se lit comme suit :

209. Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) l’interprétation ou l’application, à son endroit, d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

[…]

126 Pour être arbitrable, un grief doit traiter de l’application ou de l’interprétation d’une convention collective ou d’une décision arbitrale, d’une mesure disciplinaire majeure, d’une rétrogradation, d’un licenciement ou d’une mutation. Un fonctionnaire qui dépose un grief concernant un « […] fait portant atteinte à ses conditions d’emploi » qui ne tombe pas sous le coup des paramètres de l’article 209 de la Loi ouvre droit à certains recours, mais le processus d’arbitrage de grief ne constitue pas le mécanisme approprié. Le fonctionnaire peut toujours demander, devant la Cour fédérale, un contrôle judiciaire de la décision de l’employeur au dernier palier du processus de règlement des griefs.

127 Je traiterai d’abord de la proposition de l’employeur selon laquelle le grief à l’encontre de la suspension sans solde peut être réglé seulement sous le régime du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi,qui régit les licenciements, parce que ledit grief a été renvoyé à l’arbitrage en vertu de cette disposition en particulier. L’employeur a ajouté à cette proposition que le grief devrait être rejeté à sa face même, parce qu’une suspension sans solde n’est pas un licenciement et n’équivaut pas à un licenciement.

128 D’abord, je n’estime pas que la suspension sans solde imposée au fonctionnaire équivalait au licenciement de celui-ci. J’ai déjà donné mon avis sur cette question dans la décision préliminaire, 2009 CRTFP 129. Pendant l’audience préliminaire, l’avocat du fonctionnaire a fait valoir que la suspension sans solde imposée au fonctionnaire équivalait à un licenciement et que par conséquent, le grief portant sur la suspension sans solde devrait être interprété comme un grief sur le « licenciement », qui a été clairement renvoyé à l’arbitrage et qui tombait sous le coup des paramètres de l’article 209 de la Loi. J’ai rejeté cette proposition et j’estime qu’il est utile de reproduire le paragraphe suivant de la décision :

[…]

44      En premier lieu, je suis en désaccord avec la proposition du fonctionnaire qu’une suspension sans solde pendant une période indéfinie équivaut à un licenciement, et que, par conséquent, le dépôt d’un grief contestant la suspension sans solde est identique à une contestation du licenciement. Dans le cas qui nous intéresse, l’employeur a rendu deux décisions distinctes, comme suit : il a pris une décision provisoire de suspendre le fonctionnaire sans solde en juillet 2006 et, ensuite, une décision définitive de congédier le fonctionnaire en avril 2008. Même si les deux décisions étaient liées à un ensemble unique d’événements et en découlaient, elles ont été prises à différents moments et ont eu des effets différents sur la relation d’emploi. Ainsi, les deux décisions nécessitent la présentation de griefs distincts et, dans les faits, des griefs séparés ont été déposés. Le fonctionnaire a déposé un grief contestant sa suspension sans solde le 28 août 2006, et un grief contestant son licenciement, le 18 avril 2008. Si le fonctionnaire était d’avis que le grief qu’il avait déposé à la suite de sa suspension sans solde incluait aussi son licenciement, pourquoi a-t-il déposé un autre grief le 18 avril 2008 pour contester le licenciement?

[…]

129 L’avocat du fonctionnaire a réitéré la même proposition pendant cette audience. Je m’en remets à ma décision initiale et j’aimerais ajouter les commentaires suivants. La preuve a établi que la suspension sans solde était une mesure provisoire déclenchée par les éléments suivants : les allégations de vol à l’étalage et de s’être fait passer pour un agent de police, la suspension de la CFG du fonctionnaire, et les accusations criminelles de vol et de s’être fait passer pour un agent de police. Bien que le fonctionnaire a été privé de son salaire, de ses avantages et du droit d’avoir accès aux locaux de l’employeur pendant sa suspension, la relation d’emploi n’a pas encore été rompue. Premièrement, M. Jay, qui a imposé la suspension sans solde, ne possédait pas le pouvoir de licencier le fonctionnaire. Deuxièmement, plusieurs éléments montrent que la décision de l’employeur n’était pas finale et que l’employeur attendait des renseignements additionnels avant de rendre une décision finale sur la relation d’emploi. Lorsque l’employeur a suspendu le fonctionnaire sans solde, il attendait l’évaluation médicale, les résultats de la poursuite pénale et la décision finale au sujet de la CFG du fonctionnaire. Troisièmement, le licenciement a été imposé après plusieurs événements, qui sont tous survenus après la décision de suspendre le fonctionnaire sans solde. Enfin, la décision de licencier le fonctionnaire était motivée par un facteur différent de la décision de le suspendre; elle reposait uniquement sur le fait que le fonctionnaire ne satisfaisait plus à une condition d’emploi essentielle en raison de la perte de sa CFG.

130 Pour ces motifs, je conclus que le grief à l’encontre de la suspension ne peut être jugé en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi parce qu’il n’a pas trait à un licenciement ou à une rétrogradation.

131 Toutefois, contrairement à l’employeur, je n’estime pas qu’il soit si clair que le grief à l’encontre de la suspension sans solde a été renvoyé à l’arbitrage seulement aux termes du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi. J’ai mentionné dans 2009 CRTFP 129 qu’il y a eu des incohérences et de la confusion au sujet des avis de renvoi à l’arbitrage et des documents qui y sont joints. J’estime qu’il n’est pas nécessaire de revenir sur la confusion; il suffit de mentionner que l’avis original de renvoi à l’arbitrage faisait référence à l’alinéa 209(1)b) et au sous-alinéa 209(1)c)(i). Par conséquent, le grief peut être examiné en vertu de l’alinéa 209(1)b).

132 Si j’avais conclu que le grief à l’encontre de la suspension sans solde avait été renvoyé à l’arbitrage seulement en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi, j’aurais néanmoins conclu que dans la présente affaire, cette situation résultait d’une irrégularité technique qui ne devrait pas, aux termes du paragraphe 241(1), invalider le renvoi à l’arbitrage.

133 Je traiterai maintenant de la question de savoir si les griefs peuvent être régis par l’alinéa 209(1)b) de la Loi, qui renvoie aux mesures disciplinaires.

134 Le fonctionnaire allègue que les trois décisions en litige étaient de nature disciplinaire. De plus, le fonctionnaire prétend que la décision de M. Jay de le suspendre sans solde a été prise de mauvaise foi et par esprit de vengeance à son égard. En ce qui concerne les décisions de suspendre, puis de révoquer la CFG du fonctionnaire, celui-ci soutient en outre que l’employeur a enfreint son droit à l’équité procédurale. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la preuve n’étaye pas les affirmations du fonctionnaire.

135  Il est généralement accepté qu’une suspension sans solde en attendant une enquête et la suspension ou la révocation d’une cote de fiabilité ne sont pas présumées constituer a priori des mesures disciplinaires. Toutefois, cette hypothèse générale n’exclut pas le concept de mesure disciplinaire déguisée. Comme l’expose la Cour fédérale dans Frazee :

[…]

[n]éanmoins, il est admis que la façon dont l’employeur choisit de qualifier sa décision ne peut pas être en soi un facteur déterminant. Le concept de mesure disciplinaire déguisée est un facteur déterminant bien connu et nécessaire qui permet à un arbitre de grief d’examiner les éléments sous-jacents au motif énoncé par l’employeur afin de déterminer quelle était sa véritable intention […]

[…]

136 Dans Canadian Labour Arbitration, Brown et Beatty traitent de la façon suivante de la différence entre les mesures disciplinaires et les mesures administratives :

[…]

Afin de déterminer si un employé a fait ou non l’objet d’une mesure disciplinaire, les arbitres examinent à la fois l’objet et l’effet de la mesure prise par l’employeur. La caractéristique essentielle de la mesure disciplinaire est une intention de corriger la mauvaise conduite d’un employé en le punissant d’une certaine façon. Une confirmation de l’employeur déclarant qu’il n’avait pas l’intention d’imposer une mesure disciplinaire suffit souvent, mais pas toujours, à régler la question.

Lorsque la conduite d’un employé est non coupable et/ou que l’objectif de l’employeur n’est pas de punir, toute mesure qui est prise sera généralement qualifiée de non disciplinaire. S’appuyant sur cette définition, des arbitres ont déterminé que les suspensions […] en attendant le règlement d’accusations criminelles […] [et] la révocation de la « cote de fiabilité » d’un fonctionnaire […] ont tou[te]s été qualifié[e]s de mesures non disciplinaires […]

[…]

137 La Cour fédérale dans Basra et dans Frazee a indiqué que le facteur principal pour déterminer si un employé a fait l’objet de mesures disciplinaires a trait à l’intention de l’employeur. Dans Frazee, la Cour a déclaré qu’« [i]l convient de se demander si l’employeur avait l’intention d’imposer une mesure disciplinaire et si la contestation de sa décision pouvait servir de fondement à une mesure disciplinaire ultérieure […] »

138 Pour statuer sur la question de la compétence, je dois déterminer si les décisions de suspendre le fonctionnaire sans solde, puis de suspendre et de révoquer sa CFG étaient des décisions administratives ou si elles équivalaient à des mesures disciplinaires déguisées.

139 Il importe de noter que mon rôle ne consiste pas à décider si je souscris aux décisions ou si elles étaient raisonnables. Je ne siège pas en appel ni ne suis saisi du contrôle judiciaire de ces décisions. J’examine une objection à ma compétence. La même situation a prévalu dans Frazee, affaire dans laquelle la Cour fédérale a formulé le commentaire suivant au sujet de la jurisprudence :

[…]

[21 ] La jurisprudence indique que la question n’est pas de savoir si la mesure prise par l’employeur est mal fondée ou mal exécutée mais plutôt si elle constitue une mesure disciplinaire visant la suspension […]

[…]

140 Je peux exercer ma compétence sur les griefs seulement si la preuve étaye une conclusion de mesure disciplinaire déguisée. En outre, comme l’a mentionné la Cour fédérale dans Frazee, « […] les sentiments d’un employé qui estime avoir été traité injustement n’ont pas pour effet de convertir une mesure administrative en mesure disciplinaire […] »

141 Outre son affirmation selon laquelle les décisions étaient de nature disciplinaire, le fonctionnaire a allégué que l’employeur a agi de mauvaise foi et qu’il y a eu de graves manquements à l’équité procédurale. Compte tenu du fait que la seule question sur laquelle je dois statuer consiste à déterminer si les décisions étaient de nature disciplinaire, j’estime que les allégations de mauvaise foi et de manquement à l’équité procédurale ne peuvent être prises en compte par elles-mêmes, mais pourraient être considérées comme des indicateurs de l’intention de l’employeur de prendre des mesures disciplinaires.

142 J’appliquerai maintenant ces principes aux trois décisions.

143 Le fonctionnaire a fait valoir que plusieurs éléments révèlent que M. Jay avait manifestement l’intention de prendre des mesures disciplinaires à son égard et qu’il voulait se venger.

144 Avant d’aborder chacun des arguments soulevés par le fonctionnaire, je traiterai d’une question de crédibilité. L’avocat du fonctionnaire a largement invoqué les versions données par le fonctionnaire des réunions du 10 février et du 1er mai pour appuyer l’allégation selon laquelle M. Jay voulait se venger ou entendait prendre une mesure disciplinaire à l’égard du fonctionnaire. Les versions respectives données par le fonctionnaire et par M. Jay de ces rencontres sont très différentes et je dois établir à quelle version des faits je souscrirai. Pour les motifs qui suivent, j’estime que le témoignage de M. Jay est plus crédible que celui du fonctionnaire.

145 D’abord, la crédibilité de M. Jay ne me pose aucun problème. Son rapport des versions des APP et de la Dre Orr est tout à fait conforme aux déclarations des APP et de la Dre Orr. La version de M. Jay de la réunion du 10 février 2006 avec le fonctionnaire correspond aux notes qu’il a prises après la réunion et à la note d’information envoyée au commissaire. Sa version de la rencontre du 1er mai était cohérente avec ses gestes. Premièrement, il avait demandé que le fonctionnaire soit évalué par un psychiatre pour que soit mesuré l’impact de l’état de santé du fonctionnaire sur son comportement, et il attendait le résultat de cette évaluation avant de formuler une recommandation de mesure disciplinaire. Deuxièmement, il a laissé le fonctionnaire en congé rémunéré jusqu’après le dépôt des accusations criminelles. Pourquoi M. Jay aurait-il laissé le fonctionnaire en suspension avec solde s’il avait eu l’intention de le licencier, compte tenu du fait que l’application des directives administratives aurait commandé une suspension sans solde? Enfin, je n’avais pas l’impression que M. Jay éprouvait de l’animosité envers le fonctionnaire ni qu’il voulait le licencier.

146 Toutefois, j’ai des réserves au sujet de la crédibilité du fonctionnaire. Certains éléments de son témoignage devant moi m’amènent à conclure qu’il ne dit pas toujours la vérité.

147 D’abord, je crois que le fonctionnaire ne disait pas la vérité pendant son témoignage lorsqu’il a décrit l’incident du 8 février 2006, en particulier lorsqu’il a témoigné au sujet de la question de se faire passer pour un agent de police. Avant son témoignage, le fonctionnaire avait donné sa version de l’incident du 8 février 2006 aux trois occasions suivantes : lorsqu’il a rencontré M. Jay le 10 février 2006, lorsqu’il a fourni sa version écrite dans sa lettre du 14 février 2006 adressée à M. Jay et lorsqu’il a été interviewé par les enquêteurs chargés de mener l’enquête criminelle. Quand il a écrit à M. Jay le 14 février 2006, et lorsqu’il a été interrogé par les enquêteurs, le fonctionnaire savait qu’il était soupçonné de s’être fait passer pour un agent de police et que les APP avaient déclaré qu’il s’était présenté comme un agent d’infiltration. Compte tenu de la situation, il était dans son intérêt de donner une version de l’incident qui était la plus détaillée possible et qui n’omettait rien qui pourrait réfuter la version de l’incident fournie par les APP. Néanmoins, dans chacune de ses versions précédentes, le fonctionnaire n’a jamais déclaré avoir dit clairement aux APP qu’il n’était pas un agent de police. Au contraire, les réponses données par le fonctionnaire aux questions des APP étaient évasives.

148 La version donnée par le fonctionnaire à ces occasions diffère beaucoup de celle qu’il a donnée à l’audience. Pendant son témoignage, le fonctionnaire a mentionné qu’il a dit clairement aux APP, à quatre reprises, qu’il n’était pas un agent de police. Il a énoncé les mêmes questions des APP que celles qu’il avait mentionnées dans ses versions précédentes, mais il m’a donné une version différente de ses réponses.

149 Le fonctionnaire a déclaré que lorsque l’APP a tiré sa carte professionnelle de la poche de son habit, l’APP lui a dit [traduction] « Oh, vous travaillez à la GRC, montrez-moi votre insigne. » Il a dit qu’il a répondu à l’APP qu’il n’était pas un agent de police et qu’il était le directeur des stratégies des employés. Le fonctionnaire a ajouté que l’APP a continué en lui demandant s’il était un agent d’infiltration. Il dit avoir répondu qu’il n’était pas un agent de police et que la situation n’avait rien à voir avec la GRC. L’APP lui aurait demandé en quoi consistait son travail à la GRC, et il a dit qu’il lui a donné un résumé de ses fonctions.

150 L’APP aurait alors demandé au fonctionnaire de l’accompagner à la voiture du fonctionnaire pour récupérer des pièces d’identité. Le fonctionnaire a dit que lorsqu’il a ouvert le coffre arrière de sa voiture pour prendre son portefeuille dans un sac, l’APP a vu l’emblème de la GRC sur le sac et a demandé s’il avait une arme à feu. Le fonctionnaire a déclaré avoir répondu qu’il ne possédait pas d’arme à feu, qu’il n’était pas un agent de police et qu’il était un fonctionnaire.

151 Le fonctionnaire a expliqué qu’à un moment donné, il est demeuré avec un autre APP. Quand le premier APP est revenu, il a dit au fonctionnaire qu’il savait qu’il était un agent d’infiltration, qu’il pouvait le lui dire et qu’il n’avait pas l’intention de nuire à sa carrière. Le fonctionnaire a déclaré qu’il a répété à l’APP qu’il n’était pas un agent d’infiltration.

152 J’ignore quelle version est véridique, le cas échéant, mais l’introduction aussi tardive dans ce processus d’une nouvelle version de l’incident qui présente les faits sous un angle beaucoup plus favorable pour le fonctionnaire m’amène à soupçonner que le fonctionnaire est prêt à modifier sa version des événements pour servir ses intérêts.

153 J’estime en outre que le témoignage du fonctionnaire concernant sa demande d’accès à l’information n’était pas véridique. Dans son témoignage, le fonctionnaire a déclaré qu’il n’a jamais reçu de matériel à la suite de sa demande d’accès à l’information. Néanmoins, en contre-interrogatoire, et après avoir été confronté à sa lettre du 7 août 2007 dans laquelle il déclarait « [. . .] j’aimerais profiter de l’occasion qui s’offre à moi pour répondre à cette question, maintenant que nous avons reçu le rapport daté du 15 décembre 2006 grâce au processus d’accès à l’information », le fonctionnaire a reconnu avoir reçu le rapport du sgt Dawes, mais a affirmé que c’est le seul document qu’il a reçu. J’estime qu’il est difficile de croire cette déclaration pour un certain nombre de motifs. D’abord, elle était contredite par le sgt Cost, qui n’avait nullement intérêt à présenter une version inexacte. Le sgt Cost a également déposé en preuve le dossier de la demande d’accès à l’information, qui cadrait avec son témoignage. Le sgt Cost a déclaré qu’un seul paquet a été envoyé au fonctionnaire, et que ce paquet renfermait le rapport du sgt Dawes et les autres documents qui se trouvaient dans le dossier de sécurité (pièce E-18). Compte tenu du fait que le fonctionnaire a reconnu avoir reçu le rapport du sgt Dawes en ayant recours au processus d’accès à l’information, la seule conclusion plausible est que le fonctionnaire a reçu le dossier de sécurité complet et non seulement le rapport du sgt Dawes. Je suis confortée dans mon opinion du fait que la demande présentée par le fonctionnaire portait sur de nombreux documents et qu’il attendait ces documents pour préparer ses observations à l’intention de M. Giguère. Il est peu probable que le fonctionnaire ait été satisfait de recevoir un seul document. Le fonctionnaire a fait un suivi de sa demande en mai 2007 et il n’a informé personne après ce suivi qu’il n’avait pas reçu le matériel demandé ou qu’il avait reçu seulement un document. Enfin, il a communiqué ses observations en août 2007. Ces éléments, ainsi que l’envoi du paquet par XpresspostTM et son non-retour par Postes Canada, m’incitent à conclure que la seule version plausible est que le fonctionnaire a reçu le paquet que lui a envoyé le sgt Cost et qui renfermait la plupart des documents inclus dans le dossier de sécurité (pièce E-18).

154 Troisièmement, la preuve établit que le fonctionnaire n’a pas dit la vérité aux occasions suivantes : lorsqu’il a dit à M. Jay qu’il suivait des traitements depuis l’âge de 20 ans, lorsqu’il a déclaré aux APP qu’il suivait des traitements avec le Dr Mulgrew et lorsqu’il a dit à M. Jay qu’aucun incident similaire n’était survenu avant le 8 février 2006.

155 De plus, pendant son témoignage, le fonctionnaire a tenté de minimiser sa fausse déclaration sur le traitement reçu pour soigner son état avant l’incident du 8 février 2006. Pendant le contre-interrogatoire, le fonctionnaire a déclaré qu’en différentes occasions et à différentes périodes de sa vie, il s’était informé sur son état de santé et avait consulté différents médecins et psychologues. Il a indiqué que le Dr Yaren et le Dr Lowther lui ont expliqué qu’il ne pouvait pas qualifier ces consultations de traitement. L’avocate de l’employeur a ensuite demandé au fonctionnaire si le passage suivant du rapport du Dr Yaren était inexact :

Manifestement, il est faux de prétendre que M. Braun a suivi un traitement pour une dépression pendant plus de vingt ans comme il l’a soutenu précédemment. M. Braun reconnaît d’emblée que c’était faux, mais dit qu’il a fait ces déclarations pour se tirer d’une situation délicate et gênante […]

156 Le fonctionnaire a nié avoir fait ces déclarations au Dr Yaren et a déclaré qu’il a demandé au Dr Yaren de modifier son rapport, en vain. J’ai de la difficulté à croire cette affirmation. Premièrement, le Dr Yaren n’avait pas intérêt à inventer que le fonctionnaire a reconnu avoir déclaré faussement qu’il a suivi des traitements pour se sortir du pétrin. Deuxièmement, j’ai de la difficulté à croire que le rapport du Dr Yaren renfermerait une inexactitude sur un point aussi important et qu’il refuserait de le corriger. Son rapport est très détaillé et présente la version et les déclarations qui lui ont été données par le fonctionnaire. L’exactitude de sa perception constituait la clé de son évaluation parce qu’il formulait un avis médical fondé sur le récit que lui a fait le fonctionnaire. Troisièmement, la déduction du fonctionnaire au sujet de son incompréhension de la signification de « traitement » contredit les réponses qu’il a fournies pendant son entrevue de sécurité en 2002, durant laquelle il a déclaré qu’il n’avait jamais suivi de traitement psychiatrique ou psychologique et qu’il n’avait jamais demandé de conseils professionnels pour des problèmes personnels (page 191 du dossier de sécurité (pièce E-18)).

157 Pendant son témoignage, le fonctionnaire a également tenté de minimiser l’incident précédent survenu à Calgary. Quand il a témoigné à ce sujet, il a déclaré qu’il n’a pas tenté de quitter le magasin avec des articles impayés et qu’il a simplement couru de manière désordonnée, déplaçant des articles et achevant son parcours dans la salle d’entreposage. Des employés l’ont alors aidé à se calmer, puis l’ont escorté jusqu’à la sortie. Cette version contredit la version présentée dans le rapport du Dr Yaren, dans lequel il écrit ce qui suit sur l’incident :

[Traduction]

[…]

[…] À cette occasion, M. Braun rapporte que sous l’effet du stress, il a volé impulsivement des aliments et s’est fait appréhender par des agents de prévention des pertes. Aucune accusation criminelle n’a été portée, mais M. Braun s’est fait interdire de revenir au magasin […]

[…]

158 Je conclus de toutes ces incohérences que le fonctionnaire n’hésite pas à adapter sa version des événements pour servir ses intérêts. En conséquence, je préfère les versions de M. Jay des réunions du 10 février et du 1er mai 2006 aux versions données par le fonctionnaire.

159 Je traiterai maintenant des points précis sur lesquels le fonctionnaire a fondé sa proposition selon laquelle M. Jay avait l’intention de lui imposer une mesure disciplinaire lorsqu’il l’a suspendu sans solde.

160 Le fonctionnaire a affirmé que l’intention de M. Jay est ressortie de sa note d’information du 20 février 2006 adressée au commissaire, en particulier dans le passage qui suit :

[Traduction]

Ces évaluations seront terminées avant que des recommandations soient faites au Conseil du Trésor en ce qui concerne la mesure disciplinaire qui sera prise. D’autres notes d’information seront fournies.

161 Cet extrait ne peut être isolé et doit être interprété dans le contexte du paragraphe précédent, dans lequel M. Jay a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Le statut de cadre supérieur de ce gestionnaire nécessite que la question soit traitée de façon exhaustive. La nature de l’état de santé de ce fonctionnaire devra être étudiée afin de déterminer s’il a pu causer le comportement illégal « étrange » qui a été observé. Son lien de causalité possible avec le récit fait par M. Braun, selon lequel il était un agent d’infiltration et souffrait de stress lié au travail, sera également examiné. Ce renseignement peut également éclairer l’agent des ressources humaines de la région nord-ouest et la direction de la GRC quant à leur niveau de confiance à l’égard du maintien de l’emploi de ce fonctionnaire dans son rôle de gestion.

162 Par conséquent, je conclus qu’il n’est pas raisonnable de déduire de la note d’information que M. Jay entendait prendre une mesure disciplinaire à l’égard du fonctionnaire.

163 Le fonctionnaire soutenait que les directives administratives sur lesquelles M. Jay s’appuyait pour le suspendre sans solde avaient nettement trait au processus disciplinaire. Même s’il est vrai que les lignes directrices renvoient au processus disciplinaire, la directive sur la suspension sans solde renvoie à une mesure provisoire devant être prise si l’on soupçonne une inconduite. Toutefois, elle indique clairement que l’employeur estime qu’une suspension en attendant une enquête dans ce contexte est une mesure administrative. La ligne directrice est ainsi rédigée :

[Traduction]

Si l’inconduite présumée le justifie, suspendre l’employé de ses fonctions immédiatement, obtenir sans tarder l’approbation requise et aviser l’employé qu’il a été suspendu de ses fonctions sans rémunération en attendant les résultats d’une enquête sur son inconduite présumée, et que cette décision lui soit confirmée par écrit.

NOTA : Une suspension sans solde en attendant les résultats de l’enquête est une mesure administrative et non une mesure disciplinaire. Elle doit être utilisée pour protéger le service, les personnes ou les biens quand la présence de l’employé au travail ne peut être tolérée ou pourrait miner l’enquête ou lui nuire.

164 Je conclus que les lignes directrices n’indiquent pas que M. Jay entendait prendre une mesure disciplinaire à l’égard du fonctionnaire.

165 Le fonctionnaire a fait valoir que M. Jay l’avait clairement informé lors de la réunion du 1er mai 2006 qu’il entendait le licencier s’il ne démissionnait pas. Comme je l’ai expliqué précédemment, j’ai préféré la version de M. Jay à celle qui a été présentée par le fonctionnaire. En conséquence, je conclus que pendant la réunion du 1er mai, M. Jay a dit au fonctionnaire que la situation était grave, qu’elle soulevait certaines préoccupations et qu’elle justifiait un complément d’enquête. Je ne conclus pas qu’à ce stade, M. Jay avait exprimé une opinion sur une mesure disciplinaire. En conséquence, je n’estime pas crédible l’affirmation selon laquelle M. Jay a dit au fonctionnaire qu’il le licencierait.

166 Pendant son témoignage, le fonctionnaire a déduit l’existence d’un lien entre la décision de lancer une enquête criminelle et son refus de démissionner à la réunion du 1er mai avec M. Jay. Premièrement, l’enquête criminelle a été lancée le 26 avril 2006, soit avant la réunion du 1er mai. Deuxièmement, aucune preuve ne permet d'affirmer que M. Jay a eu son mot à dire ou a exercé une quelconque influence relativement à la décision de lancer une enquête criminelle.

167 Le fonctionnaire a également prétendu que le fait que M. Jay ait changé d’avis sur l’évaluation du fonctionnaire par un médecin de Santé Canada lorsqu’il a été informé que l’évaluation serait axée sur son retour au travail révèle l’intention de M. Jay de le licencier. La preuve révèle que M. Jay a décidé d’avoir recours à un psychiatre judiciaire après avoir été informé que l’évaluation de Santé Canada serait axée sur la capacité du fonctionnaire de reprendre le travail parce qu’elle ne répondrait pas à la question de savoir si l’état de santé du fonctionnaire a eu une incidence sur son comportement pendant l’incident du 8 février 2006. Je ne vois rien de déraisonnable dans la décision de M. Jay, compte tenu du fait qu’il avait besoin de cette information pour déterminer s’il devait prendre une mesure disciplinaire. L’évaluation faite par Santé Canada aurait été inutile à cet égard.

168 Le fonctionnaire a également soutenu que M. Jay était partial lorsqu’il a décidé d’avoir recours aux services d’un psychiatre judiciaire qui était sous contrat avec la GRC. Rien ne vient étayer cette affirmation.

169 Le fonctionnaire a soutenu en outre que M. Jay s’est invité à l’audience du Comité d’appel de l’assurance-emploi pour s’opposer à l’appel du fonctionnaire. M. Jay a déclaré qu’il a reçu un avis concernant l’audience et qu’il a décidé d’être présent. Il a assisté à l’audience et a répondu aux questions qu’il s’est fait poser concernant la suspension sans solde. Aucune preuve n’étaye une conclusion selon laquelle M. Jay a fourni de l’information trompeuse au Comité. De plus, il avait le droit, à titre de représentant de l’employeur, d’assister à l’audience. Je conclus que la présence de M. Jay à l’audience ne révèle pas une intention de prendre une mesure disciplinaire à l’égard du fonctionnaire.

170 Le fonctionnaire a déclaré que le Dr Yaren a reçu des commentaires inexacts et préjudiciables à son sujet. Étrangement, le Dr Yaren n’a pas fait mention de ce point dans son rapport, qui est par ailleurs très détaillé. J’estime qu’il est également bizarre que le fonctionnaire n’ait pas étayé par écrit l’allégation selon laquelle il a demandé au Dr Yaren de modifier son rapport. Compte tenu de ma conclusion au sujet de la crédibilité du fonctionnaire, je ne retiens pas cette affirmation.

171 Le fonctionnaire a fait valoir que lorsque les accusations criminelles ont été suspendues et que le Dr Yaren a publié son rapport, il n’existait aucun motif de maintenir la suspension et que néanmoins, M. Jay ne l’a pas réintégré. M. Jay a expliqué que malgré la suspension des accusations, il avait encore certaines préoccupations. Premièrement, il s’est rendu compte, à la lecture du rapport du Dr Yaren, que le fonctionnaire lui avait menti lorsqu’il lui a dit qu’il suivait des traitements depuis l’âge de 20 ans et lorsqu’il lui a affirmé que c’était la première fois que son état de santé s’était manifesté sous cette forme. M. Jay a également mentionné que la CFG du fonctionnaire n’avait pas été rétablie et qu’il était encore troublé du fait que le fonctionnaire avait impliqué la Dre Orr. J’estime que les motifs de M. Jay d’avoir maintenu la suspension étaient véritables. Ils n’étaient pas déraisonnables et ne révèlent pas une intention de prendre une mesure disciplinaire à l’égard du fonctionnaire.

172 J’examinerai maintenant la décision de suspendre la CFG du fonctionnaire.

173 Pour les motifs qui suivent, je ne considère pas que la décision de suspendre la CFG du fonctionnaire visait à le punir ou à prendre une mesure disciplinaire à son égard. Il n’y a pas non plus de preuve étayant une conclusion que cette décision a été prise de mauvaise foi ou qu’il y a eu manquement à l’équité dans le processus ayant mené à la décision.

174 L’employeur était régi par la Politique sur la sécurité du Conseil du Trésor et la Politique de la GRC. M. Lanthier, à titre d’officier responsable de la sécurité ministérielle, avait pour mandat de s’assurer que les employés de la GRC qui avaient accès à de l’information et à des biens du gouvernement sont fiables et dignes de confiance. Une CFG valide est une condition d’emploi à quelque titre que ce soit au sein de la GRC (section F.3.a. de la Politique de la GRC), et la section 10.9 de la Politique sur la sécurité du Conseil du Trésor prévoit que les ministères doivent « revoir, révoquer, suspendre ou déclasser pour un motif valable une cote précédemment accordée […] » à un employé. Quand M. Lanthier a décidé de suspendre la CFG du fonctionnaire, il s’est prévalu du pouvoir qui lui était conféré.

175 La preuve révèle que sa décision était motivée par de véritables préoccupations de sécurité et non par des considérations disciplinaires ou d’autres motifs cachés.

176 Quand M. Lanthier a décidé de suspendre la CFG du fonctionnaire, il a fondé sa décision sur les éléments suivants :

  • Le fonctionnaire avait été appréhendé pour vol à l’étalage.
  • Le fonctionnaire était soupçonné de s’être fait passer pour un agent de police.
  • Le fonctionnaire avait impliqué la Dre Orr, l’une de ses subalternes.
  • Des accusations criminelles de vol de moins de 5 000 $ et de s’être présenté faussement comme un agent de police avaient été déposées contre le fonctionnaire.

177 M. Lanthier a souscrit à la recommandation du sgt Dawes, qui s’appuyait sur les quatre risques pour la sécurité qu’il a décrits comme suit :

[Traduction]

1) La maladie psychologique déclarée de M. Braun est basée sur ses commentaires. Bien que l’on ait tenté d’effectuer une évaluation médicale de M. Braun et d’étayer ses commentaires selon lesquels il est atteint d’une maladie psychologique, je n’ai reçu aucun document à ce jour. La question n’a pas encore été clarifiée.

2) Les commentaires qui auraient été attribués à M. Braun selon lesquels il est un « agent d’infiltration de la GRC » ont influencé l’officier responsable de la sécurité dans sa décision de ne pas déposer d’accusation contre M. Braun (voir les déclarations de Troy OWENS en date du 13 février 2006 aux pages 22-24).

3) Les accusations criminelles portées contre M. Braun sont graves, étant donné, surtout, le poste de direction de M. Braun.

4) M. Braun n’a pas dit la vérité dans le formulaire d’entrevue en matière de sécurité (1020) lorsqu’en 2002, il a répondu « NON » aux questions 26 et 27, à savoir « Avez-vous déjà reçu un traitement psychiatrique ou psychologique? » et « Avez-vous déjà demandé des conseils de professionnel pour tout autre problème personnel? » Cela va à l’encontre de sa déclaration du 10 mai 2006 (page 12) selon laquelle il a consulté plusieurs médecins depuis l’âge de 23 ans pour son problème psychologique.

[…]

178 M. Lanthier a témoigné que la situation a soulevé de graves préoccupations au sujet de l’honnêteté et de la loyauté du fonctionnaire et qu’elle justifiait un complément d’enquête avant le prononcé d’une décision finale.

179 Je ne considère pas que le processus qui a mené à la décision était empreint de mauvaise foi ou inéquitable. Le fonctionnaire a insisté sur le fait que M. Lanthier ne l’a pas rencontré avant de prendre sa décision, ce qui constituerait selon lui un manquement à l’obligation d’agir équitablement. Il est indéniable que M. Lanthier n’a pas rencontré le fonctionnaire. Cependant, ce n’était pas selon moi un manquement à l’équité procédurale. L’obligation d’agir équitablement ne comprend pas nécessairement le fait d’offrir à un fonctionnaire une audience devant la personne qui rend la décision. L’obligation d’agir équitablement varie selon les circonstances et doit, en tout temps, offrir à la personne la possibilité de se faire entendre. Ce droit d’être entendu comprend le droit d’être informé des allégations dont on fait l’objet, le droit d’avoir accès à toute l’information et à tout le matériel nécessaires pour offrir sa version des événements, et le droit d’expliquer, de réfuter ou de commenter les allégations. Le droit du fonctionnaire doit également être évalué à la lumière de la nature provisoire ou permanente de la décision.

180 En l’espèce, la décision de suspendre la CFG du fonctionnaire était une décision provisoire qui a été prise en attendant un complément d’enquête et du nouveau au sujet de l’évaluation médicale et de la procédure criminelle. Le fonctionnaire a eu trois occasions de donner sa version des incidents : lorsqu’il a rencontré M. Jay le 10 février 2006, lorsqu’il a fait parvenir sa version écrite de l’incident à M. Jay le 14 février 2006 et lorsqu’il a été interrogé par les enquêteurs chargés des affaires criminelles le 10 mai 2006.

181 M. Lanthier a pris sa décision après avoir procédé à un examen approfondi du dossier, qui renfermait les déclarations du fonctionnaire et des témoins, ainsi que tous les rapports et les recommandations.

182 Par conséquent, je conclus que la décision n’équivalait pas à une mesure disciplinaire déguisée et que le processus qui y a mené était équitable.

183 J’en viens à la même conclusion au sujet de la décision de révoquer la CFG du fonctionnaire.

184 Les événements suivants ont mené à la révocation de la CFG du fonctionnaire.

185 Le sgt Dawes, chargé de mener l’enquête de sécurité, a mis son analyse à jour à la lumière de la suspension des accusations criminelles et de l’information contenue dans le rapport du Dr Yaren. Dans une note adressée à M. Lanthier le 15 décembre 2006, il a justifié sa recommandation de révoquer la CFG du fonctionnaire malgré la suspension de la procédure et les conclusions du Dr Yaren.

186 La preuve m’amène à conclure que malgré la suspension des accusations criminelles et le résultat de l’évaluation médicale, l’employeur avait encore certaines craintes au niveau de la sécurité. Celles-ci étaient véritables et justifiées et correspondaient aux facteurs de risque pour la sécurité énoncés dans la Politique de la GRC. Rien ne m’amène à conclure qu’elles étaient motivées par de la mauvaise foi et elles ne révèlent aucune intention de prendre une mesure disciplinaire à l’égard du fonctionnaire.

187 M. Lanthier a expliqué pourquoi il croyait que la CFG du fonctionnaire devrait être révoquée malgré l’annulation de la poursuite pénale et les conclusions du Dr Yaren. Premièrement, il a indiqué que la décision qu’il devait prendre portait sur des questions de sécurité, et non sur la responsabilité criminelle. Deuxièmement, il a déclaré qu’il lui apparaissait clairement que selon la prépondérance des probabilités, un vol avait été commis et le fonctionnaire s’était fait passer pour un agent de police pour se sortir du pétrin. Il estimait que le fonctionnaire n’avait pas été honnête, n’avait pas dit la vérité et avait modifié sa version des événements à plusieurs reprises. Sa préoccupation en matière de sécurité concernait l’honnêteté.

188 M. Giguère a rendu la décision finale de révoquer la CFG du fonctionnaire.

189 M. Giguère a mentionné qu’avant de rendre la décision finale, il a étudié le dossier lui-même. M. Giguère a affirmé qu’il avait de sérieuses réserves au sujet de la sincérité du fonctionnaire. Il a indiqué que le problème ne résidait pas dans la question du vol à l’étalage, qui constituait selon lui un appel à l’aide. M. Giguère a mentionné que ce sont plutôt les questions suivantes qui lui posaient problème :

  • Le Dr Yaren a affirmé dans son rapport que la dette contractée par la femme du fonctionnaire constituait l’un des éléments à l’origine de l’incident; cependant, dans ses observations, le fonctionnaire a déclaré que ce n’était pas un problème.
  • M. Giguère a conclu que le fonctionnaire tentait d’atténuer l’importance de son poste. Toutefois, selon lui, le fonctionnaire occupait un poste important, qui donnait accès à de l’information protégée et délicate. En outre, la prise de position du fonctionnaire n’était pas conforme au rapport du Dr Yaren, qui soulignait que le fonctionnaire trouvait son poste stressant.
  • Le fonctionnaire a abordé la question du vol à l’étalage, mais a omis de traiter de la question de s’être fait passer faussement pour un agent de la paix. Toutefois, il était d’avis que le fonctionnaire s’était fait passer pour un agent de police.
  • Le fonctionnaire ne disait pas la vérité lorsqu’il a déclaré initialement qu’il n’y avait pas eu d’incidents similaires et qu’il avait suivi des traitements depuis vingt ans. De fait, il a attendu d’en être au troisième incident et de se trouver dans une situation délicate avant de s’engager à suivre un traitement.
  • Le fonctionnaire a impliqué la Dre Orr.
  • Le fonctionnaire n’a pas informé son supérieur hiérarchique de l’incident et a menti lorsqu’il a été confronté à ce dernier.

190 M. Giguère a également expliqué que lorsqu’il étudie un dossier, il se penche sur les éléments suivants : la question de savoir si la personne a reconnu ou nié les dommages causés à l’organisation et si elle a fait quelque chose pour atténuer ces dommages.

191 Encore une fois, ces questions constituaient de véritables préoccupations en matière de sécurité. Elles ne révèlent pas une intention de prendre une mesure disciplinaire à l’égard du fonctionnaire.

192 Je traiterai maintenant de l’allégation sur l’équité procédurale, parce que le fonctionnaire l’a soulevée longuement pendant l’audience. Je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale, mais si un tel manquement s’était produit, la jurisprudence a établi qu’une audience devant un arbitre de grief permet de rectifier tout manquement à l’équité dans le cadre du processus. Voir Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.) (QL).

193 Le fonctionnaire a obtenu une occasion de déposer des observations écrites avant que l’employeur rende une décision finale au sujet de sa CFG. Le 12 janvier 2007, M. Lanthier a informé le fonctionnaire de la recommandation de révoquer sa CFG, et il l’a invité à présenter des observations écrites avant le prononcé d’une décision finale. Après avoir reçu la lettre de M. Lanthier, le fonctionnaire a soulevé une question de divulgation et a allégué qu’il n’avait pas reçu tout le matériel nécessaire pour pouvoir présenter ses observations. M. Lanthier a renvoyé le fonctionnaire à la Sous-direction de l’accès à l’information et a accepté de retarder sa décision jusqu’à ce que le fonctionnaire ait reçu le matériel demandé et ait fourni ses observations. Le 7 août 2007, le fonctionnaire a envoyé ses observations, indiquant qu’il répondait à la lettre du 12 janvier 2007 de M. Lanthier maintenant qu’il avait obtenu accès au rapport du sgt Dawes daté du 15 décembre 2006 « […] au moyen du processus d’accès à l’information. »

194 Le fonctionnaire a fait valoir qu’il n’avait pas reçu le matériel qu’il avait demandé dans le cadre du processus d’accès à l’information. Comme je l’ai mentionné précédemment, il y avait des preuves contradictoires au sujet du matériel reçu par le fonctionnaire à la suite de sa demande d’accès à l’information. Précédemment, j’ai conclu que la seule version plausible dont je pourrais tenir compte était la version selon laquelle le fonctionnaire a reçu le dossier de sécurité, et non le seul rapport du sgt Cost.

195 Même si j’avais conclu que le fonctionnaire n’avait pas reçu le dossier de sécurité, j’aurais conclu quand même que le fonctionnaire avait en sa possession tout le matériel nécessaire pour présenter des observations significatives et exhaustives. De son propre aveu, le fonctionnaire avait les déclarations des APP, le rapport du Dr Yaren et le rapport du sgt Dawes, dans lesquels il avait justifié sa recommandation de révoquer la CFG du fonctionnaire. De fait, le fonctionnaire a présenté des observations de fond dans lesquelles il a commenté chacun des arguments soulevés par le sgt Cost et répliqué à ceux-ci. En conséquence, je conclus que le fonctionnaire avait accès à tout le matériel dont il avait besoin pour présenter des observations significatives et complètes avant le prononcé d’une décision finale. J’ai mentionné précédemment que je ne considérais pas que le droit d’être entendu s’accompagne toujours du droit à une discussion en personne ou d’une entrevue avec la personne ou l’organisme qui prend la décision. Dans la présente affaire, j’ai conclu que la possibilité de présenter des observations écrites a donné au fonctionnaire une véritable occasion de répondre à chacune des réserves de l’employeur en matière de sécurité et que le fait que le fonctionnaire n’a pas rencontré M. Giguère ne représentait pas un manquement à l’équité procédurale.

196 Le processus qui a mené à la décision de M. Giguère était rigoureux. Le sgt Dawes a mis son rapport à jour, et le dossier a été étudié par un analyste, M. Lebel, qui a formulé des recommandations. Le rapport de M. Lebel a été revu par son supérieur, M. Laurendeau, avant d’être remis à M. Giguère. Ce dernier a reçu le dossier complet et il a examiné minutieusement tout le matériel qui s’y trouvait, y compris les déclarations et les observations du fonctionnaire, avant de rendre sa décision.

197 Le fonctionnaire a soutenu que la décision de M. Giguère se fondait sur de l’information inexacte et que M. Giguère a écarté ses commentaires et ses explications. La preuve a établi que bien que M. Giguère n’a pas retenu les observations et les explications du fonctionnaire, il a passé celles-ci en revue avant de les écarter.

198 Je conclus par conséquent qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

199 Le fonctionnaire était en désaccord avec la décision de révoquer sa CFG et a prétendu qu’elle reposait sur des considérations déraisonnables. Je répète que je ne siège pas en appel de la décision. Mon rôle ne consiste pas à déterminer si je suis d’accord ou en désaccord avec la décision, ni à établir si elle était raisonnable. Je dois plutôt décider si elle reposait sur une intention de prendre une mesure disciplinaire à l’égard du fonctionnaire.

200 En conclusion, je considère que les décisions de suspendre le fonctionnaire sans solde et de suspendre, puis de révoquer sa CFG étaient de nature administrative. Je considère également que l’employeur a agi équitablement, qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale et que la preuve n’étaye pas une allégation selon laquelle les décisions ont été prises de mauvaise foi. Par conséquent, les griefs déposés contre ces trois décisions ne tombent pas sous le coup des paramètres de l’article 209 de la Loi.

201 Pour tous ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

202 Les griefs sont rejetés faute de compétence.

Le 14 mai 2010.

Traduction de la CRTFP

Marie-Josée Bédard,
arbitre de grief

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