Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était gestionnaire - il a été l’objet d’une plainte de harcèlement - l’administrateur a fait faire une enquête sur la plainte et sur le climat de travail dans l’unité gérée par le fonctionnaire s’estimant lésé - à la suite de l’enquête, l’administrateur général a imposé au fonctionnaire s’estimant lésé une suspension de 15 jours et une réaffectation indéterminée à des tâches de niveau inférieur à un autre lieu de travail, avec protection salariale, jusqu’à ce qu’il accepte un plan de redressement - le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté des griefs à l’encontre de ces mesures et a réclamé des dommages - après le renvoi à l’arbitrage de ces griefs, l’administrateur général a remplacé la suspension par une lettre de réprimande - l’administrateur général s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief dans cette affaire - l’arbitre de grief a conclu que la substitution de la suspension par une lettre de réprimande après que cette mesure disciplinaire a été renvoyée à l’arbitre ne pouvait lui faire perdre compétence à cet égard - elle a de plus conclu qu’elle avait compétence pour traiter de la réaffectation du fonctionnaire s’estimant lésé puisqu’elle constituait une rétrogradation disciplinaire - elle a conclu que la plainte de harcèlement n’était pas fondée et que les mesures imposées au fonctionnaire s’estimant lésé n’étaient pas justifiées - elle a aussi conclu que, dans le traitement de la plainte, l’administrateur général avait manqué à ses devoirs de transparence, de diligence, de prudence et d’impartialité - l’arbitre de grief a réintégré le fonctionnaire s’estimant lésé dans son poste de gestionnaire et lui a octroyé des dommages compensatoires et punitifs. Griefs accueillis. Compétence conservée à l’égard de l’évaluation des dommages.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-05-27
  • Dossier:  566-02-420, 421, 710 et 1777
  • Référence:  2010 CRTFP 70

Devant un arbitre de grief


ENTRE

RAYMOND ROBITAILLE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Transports)

défendeur

Répertorié
Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Fernand Guérette, avocat

Pour l'autre partie au grief:
Adrian Bieniasiewicz, avocat

Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 8 au 11 janvier, du 26 au 28 février, les 25 et 26 mars, du 6 au 8 mai, du 2 au 4 et
du 9 au 11 juillet, du 26 au 29 août, du 7 au 10 et du 28 au 30 octobre et le
3 novembre 2008 et les 7, 8, 20, 21 et 23 janvier et le 16 février 2009.


  1. Introduction [1] à [4]
  2. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage [5] à [9]
  3. Objection à la compétence d’un arbitre de grief [10] à [15]
  4. Procédure de novo [16] à [17]
  5. Personnes qui ont témoigné [18] à [22]
  6. Questions en litige [23] et [24]
  7. Chronologie des événements [25] à [56]
  8. Témoignage de l’enquêtrice et des gestionnaires qui
    ont donné suite aux conclusions de l’enquête [57] à [98]
    1. Mme Brouillette [57] à [60]
    2. Mme Pageot [61] à [66]
    3. Mme Paris [67] à [76]
    4. Mme Gagnon [77] à [80]
    5. M. Lapointe [81] à [83]
    6. M. Giguère [84] à [90]
    7. Mme Montminy [91] à [98]
  9. Allégations de la plainte [99] à [189]
    • Allégation 1 [101] à [108]
    • Allégation 2 [109] à [142]
    • Allégation 3 [143] à [158]
    • Allégation 4 [159] à [170]
    • Allégation 5 [171] à [185]
    • Allégation 6 [186] à [189]
  10. Climat organisationnel [190]
  11. Résumé de l’argumentation des parties [191]
    1. Pour le fonctionnaire [192] à [199]
    2. Pour l’employeur [200] à [213]
    3. Réplique du fonctionnaire [214]
  12. Motifs [215] à [347]
    1. Compétence de l’arbitre de grief [215] à [230]
    2. Norme de preuve et règles applicables
      à l’évaluation de la crédibilité des témoins [231] à [235]
    3. Allégations de la plainte [236] à [277]
      • Allégation 1 [237] à [239]
      • Allégation 2 [240] à [247]
      • Allégation 3 [248] à [257]
      • Allégation 4 [258] à [270]
      • Allégation 5 [271] à [276]
      • Allégation 6 [277]
    4. Évaluation de la crédibilité des témoignages [278] à [288]
    5. Traitement de la plainte [289] à [321]
    6. Circonstances entourant le témoignage
      de Mme Deslauriers [322] à [324]
    7. Cadre disciplinaire [325] à [327]
    8. Mesures de réparation [328] à [347]
  13. Ordonnance [348] à [355]


I. Introduction

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé, Raymond Robitaille (le « fonctionnaire »), est gestionnaire, Direction Surface de la région du Québec du ministère des Transports (« Transports Canada » ou l’ « employeur » selon le contexte). Le fonctionnaire travaille pour Transports Canada depuis 1990. Il est classifié au niveau TI-08, un poste exclu de l’unité de négociation.

2 La section gérée par le fonctionnaire se compose de deux équipes de trois inspecteurs ferroviaires. L’équipe de l’exploitation comprend Monique Blais, Pierre Pilon et Colette Deslauriers. L’équipe du matériel roulant comprend André Sauvé, Claude Rollet et Alain Richer. M. Sauvé est le conjoint de Mme Deslauriers.

3 Le 16 avril 2004, Mme Deslauriers dépose une plainte de harcèlement contre le fonctionnaire (« la plainte »). La plainte fait l’objet d’une enquête qui conclut que les allégations de la plainte sont fondées. Le fonctionnaire reçoit une sanction disciplinaire de 15 jours de suspension sans solde et est affecté sans son consentement à d’autres tâches sans supervision d’employés, à Dorval, alors que son lieu habituel de travail est dans le centre-ville de Montréal. À la suite d’un grief, la gestionnaire déléguée au palier final de la procédure de règlement des griefs transforme la suspension de 15 jours en une lettre de réprimande, mais l’affectation à d’autres tâches demeure toujours. Trois autres griefs sont rejetés. Plus de deux ans plus tard, l’employeur propose au fonctionnaire la possibilité de retourner à son poste de gestionnaire s’il accepte un « plan de redressement ». Le fonctionnaire refuse la proposition de l’employeur pour des motifs qui sont expliqués plus loin.

4Quatre griefs individuels du fonctionnaire font l’objet de cette décision.

II. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

5Le premier grief (dossier de la CRTFP 566-02-421) conteste le rapport final de l’enquête menée sur les allégations de la plainte. Le fonctionnaire allègue un manque d’équité procédurale, la partialité des enquêteurs, un rapport incomplet et, par conséquent, des conclusions non fondées. Le fonctionnaire demande sa réintégration dans son poste de gestionnaire, le retrait de toute référence à la plainte de son dossier personnel et le remboursement des frais, déboursés et honoraires professionnels engagés pour se défendre.

6Le deuxième grief (dossier de la CRTFP 566-02-420) conteste la mesure disciplinaire de 15 jours de suspension à la suite du rapport d’enquête déclarant comme étant fondées les allégations de harcèlement déposées contre le fonctionnaire. Le fonctionnaire demande sa réintégration dans son poste de gestionnaire et le remboursement des pertes pécuniaires, présentes et futures.

7Le troisième grief (dossier de la CRTFP 566-02-710) conteste les conclusions d’une lettre de réprimande qui a remplacé la suspension de 15 jours, que le fonctionnaire allègue comme étant une mesure disciplinaire déguisée parce qu’elle reprend et traite d’incidents prescrits et qui ont été écartés par la décision rendue sur le grief portant le numéro 566-02-420 au dernier palier de la procédure applicable aux griefs individuels. Le fonctionnaire demande la cessation des tactiques d’acharnement et de discrimination envers lui suite à l’enquête, une déclaration que l’enquête et ses conclusions sont viciées, le retrait de la réprimande écrite, sa réintégration dans son poste de gestionnaire et le remboursement de toutes les pertes pécuniaires subies.

8Le quatrième grief (dossier de la CRTFP 566-02-1777) conteste le plan de redressement du 3 octobre 2007 que l’employeur veut imposer au fonctionnaire comme condition d’une possible réintégration dans son poste de gestionnaire. Le fonctionnaire allègue que le plan de redressement est directement lié aux conclusions viciées du rapport d’enquête concernant la plainte et en vertu duquel le fonctionnaire a déjà reçu une mesure disciplinaire définitive 29 mois plus tôt. Le fonctionnaire allègue qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire déguisée et d’une double pénalité qui a des conséquences pécuniaires. Le fonctionnaire demande l’octroi de dommages au montant de 112 000 $, le remboursement de tous les crédits de congé de maladie qu’il a pris depuis avril 2004, sa réintégration dans son poste de gestionnaire, une déclaration que l’enquête est viciée, le retrait de toute référence à la plainte ou de ses séquelles de ses dossiers personnels, le remboursement des frais, déboursés et honoraires professionnels encourus pour se défendre, la remise d’une lettre d’excuse pour les sévices qu’il a subis et des dommages compensatoires, exemplaires et punitifs de l’ordre de 1 895 000 $.

9Puisque les questions soulevées par les griefs sont liées les unes aux autres, les dossiers ont été réunis pour fin d’audience.

III. Objection à la compétence d’un arbitre de grief

10 L’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief pour entendre tous les griefs au motif qu’ils ne répondent pas aux critères de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). Le premier grief conteste le rapport d’enquête, qui n’est pas une mesure disciplinaire ou une rétrogradation. Le deuxième grief conteste une mesure disciplinaire de 15 jours de suspension qui a été renversée au dernier palier de la procédure applicable aux griefs individuels et remplacée par une lettre de réprimande. Une lettre de réprimande ne cause pas de perte financière au sens de la LRTFP. L’employeur plaide qu’il est libre de modifier une mesure disciplinaire en tout temps, même après le renvoi du grief à l’arbitrage. Le fonctionnaire a reçu un remboursement de salaire pour les 15 jours en question. Le grief concernant la mesure disciplinaire de 15 jours de suspension est devenue sans objet, puisque celle-ci n’existe plus. L’employeur fait valoir que ses gestionnaires n’étaient pas au courant du renvoi du deuxième grief à l’arbitrage au moment de l’émission de la décision au dernier palier de la procédure applicable au grief.

11 L’employeur ajoute qu’en vertu de son droit de gérance, il peut assigner un employé à d’autres fonctions. Le fonctionnaire occupe toujours son poste substantif. Le fonctionnaire a été muté à d’autres fonctions en raison des faits troublants concernant son style de gestion, tel que révélé dans le rapport d’enquête. L’employeur a tenté par tous les moyens d’aider le fonctionnaire à se ré-outiller pour qu’il développe de bonnes compétences en gestion, de là l’imposition d’un plan de redressement. Comme le fonctionnaire n’a pas voulu coopérer, l’employeur considère qu’il n’est pas apte à réintégrer des fonctions de gestionnaire.

12 Enfin, l’employeur plaide que l’arbitrage de grief est une procédure de novo qui permet à un arbitre de grief de décider si les mesures imposées étaient des mesures disciplinaires ou non, s’il a compétence pour les entendre et, le cas échéant, si les mesures disciplinaires étaient justifiées.

13 Le fonctionnaire répond que l’élément déterminant quant à la compétence d’un arbitre de grief est l’état du grief au moment de son renvoi à l’arbitrage. Le fonctionnaire soulève que l’employeur a modifié la sanction disciplinaire après que le grief a été renvoyé à l’arbitrage uniquement dans le but d’éteindre son droit de présenter ses griefs à l’arbitrage. Le fonctionnaire ajoute qu’il a accordé à deux reprises une prorogation de délai à l’employeur pour rendre sa décision au dernier palier de la procédure applicable aux griefs individuels à l’égard du deuxième grief. Il a refusé une troisième demande de prorogation le 2 juin 2006.

14 Le fonctionnaire soutient que l’affectation contre son gré à un poste de classification inférieure, même si son salaire est maintenu, est effectivement une rétrogradation et, par conséquent, une mesure disciplinaire déguisée. Le fonctionnaire ajoute que le fait de lui enlever toutes ses responsabilités, et de l’assigner à des tâches dévalorisantes est une suspension au même titre que si l’employeur l’avait renvoyé chez lui. Cette rétrogradation a eu des conséquences pécuniaires importantes, dont la perte de primes, la perte de rémunération du temps supplémentaire qu’il travaillait régulièrement dans ses tâches de gestion, le temps mis à voyager au travail à tous les jours et les déboursés importants pour le transport avec son véhicule personnel à son nouveau lieu de travail.

15 J’ai pris l’objection de l’employeur sous réserve d’entendre la preuve.

IV. Procédure de novo

16 La procédure d’arbitrage de grief en est une de novo (voir Tipple c.Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.) (QL)), c’est-à-dire que je ne dois aucune déférence aux conclusions formulées soit par un décideur qui a décidé du grief au dernier palier soit par les enquêteurs qui ont évalué la plainte de harcèlement. En rendant ma décision, je ne dois tenir compte que de la preuve qui m’a été présentée à l’audience.

17 L’audience a duré 36 jours, sans compter plusieurs journées fixées pour audience qui ont servi ici et là à la préparation des procureurs pour présenter certaines parties de la preuve. Plusieurs milliers de pages de documents ont été déposées, dont la correspondance et des centaines de courriels échangés entre les parties, le rapport des enquêteurs, les documents du fonctionnaire qui ont servi à justifier sa position devant les enquêteurs et la transcription des déclarations des personnes qui ont été rencontrées par les enquêteurs. Les témoignages à l’audience n’ont pas été enregistrés.

V. Personnes qui ont témoigné

18 La complexité de ce dossier m’amène à souligner le rôle des personnes impliquées. Les gestionnaires suivants ont été responsables de la prise de décisions et ont témoigné à l’audience :

  • Linda Brouillette, directrice générale des ressources humaines de Transports Canada, est la gestionnaire déléguée qui a décidé en dernière instance des 4 griefs du fonctionnaire et qui a renversé la suspension de 15 jours;
  • Nicole Pageot, directrice générale de Transports Canada pour la région du Québec, était la gestionnaire déléguée aux fins de la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail (la « politique »);
  • Carole Paris, directrice des relations de travail de Transports Canada pour la région du Québec, est la personne qui a conseillé Mme Deslauriers et les intervenants de l’employeur au dossier;
  • Hélène Gagnon, directrice, Surface de Transports Canada pour la région du Québec, est la supérieure hiérarchique du fonctionnaire, qui a imposé les sanctions disciplinaires au fonctionnaire et qui a élaboré le plan de redressement proposé;
  • André Lapointe, directeur général de Transports Canada pour la région du Québec, est le gestionnaire qui a approuvé l’imposition d’un plan de redressement au fonctionnaire comme condition d‘une possible réintégration dans son poste de gestionnaire;
  • Sylvain Giguère, directeur général de Transports Canada pour la région des prairies et du Nord, était directeur général de Transports Canada pour la région du Québec et le supérieur hiérarchique du fonctionnaire au moment où Mme Deslauriers a annoncé qu’elle entendait déposer une plainte.

19 Mmes Brouillette, Pageot, Paris et Gagnon n’ont pas fait de déclaration aux enquêteurs, mais ont joué un rôle de premier plan dans le déroulement du dossier. Seul M. Giguère a fait une déclaration aux enquêteurs. Nicole Houle, chef des relations de travail pour Transports Canada, a témoigné à l’audience concernant le déroulement de la procédure de grief au dernier palier qui a mené au renvoi des griefs du fonctionnaire à l’arbitrage. Maryse Montminy, l’enquêtrice principale a témoigné en ce qui concerne la démarche du processus d’enquête.

20En plus du fonctionnaire et de Mme Deslauriers, les personnes suivantes, rencontrées dans le cadre de l’enquête, ont témoigné à l’audience : Mme Blais, M. Pilon, Venance Boucher, M. Sauvé et Nathalie Belliveau. Comme l’arbitrage de grief est une procédure de novo, je n’ai pas tenu compte de la déclaration des personnes suivantes, qui ont été rencontrées par les enquêteurs mais qui n’ont pas témoigné à l’audience : Hervé Hogues, M. Rollet, Anna Maria Leyton, M. Richer, Luc Bourdon, Martin Boulanger et Olivier Gibault.

21 Linda Savoie, directrice, Accès, vie privée et réexamen pour Transports Canada, a témoigné concernant les difficultés encourues par le fonctionnaire quant à l’obtention de documents par l’entremise de ses demandes d’accès à l’information. Puisque la question de la production de documents non caviardés a été réglée en cours d’audience, ce témoignage n’est pas rapporté.

22 Martine Quintin, chef de l’administration pour la Direction surface de Transports Canada de la région du Québec, a témoigné sur la façon dont le bureau du fonctionnaire a été vidé. Comme ce témoignage ne fait que corroborer celui d’autres témoins, il ne figure pas dans ma décision.

VI. Questions en litige

23 Les griefs soulèvent les questions suivantes :

  • Les mesures disciplinaires, l’affectation du fonctionnaire à d’autres fonctions et l’imposition d’un plan de redressement ont-elles entraîné la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire au sens de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP?
  • Le cas échéant, les mesures disciplinaires imposées au fonctionnaire étaient-elles justifiées?
  • Le cas échéant, le fonctionnaire a-t-il droit aux redressements demandés?

24 Afin de mieux comprendre la preuve qui traite de chacune des questions en litige, j’ai choisi, dans un premier temps de regrouper en ordre chronologique les événements relevés de la preuve qui ont mené à l’enquête, aux sanctions disciplinaires et à la mesure dite administrative. Dans un deuxième temps, j’ai résumé la partie pertinente des témoignages des gestionnaires qui ont donné suite aux conclusions de l’enquête ainsi que le témoignage de l’enquêtrice principale. Dans un troisième temps, j’ai résumé les témoignages qui traitent des allégations de Mme Deslauriers et chacun des incidents qui ont fait partie du rapport d’enquête. Finalement, je traite de la preuve entourant le climat organisationnel de la section gérée par le fonctionnaire.

VII. Chronologie des événements

25 Le fonctionnaire est le supérieur immédiat de Mme Deslauriers, une inspectrice ferroviaire qui travaille sous sa direction depuis 1995.

26 Dans un courriel en date du 11 décembre 2003, le fonctionnaire souligne à celle-ci qu’un dossier dont elle est chargée n’a pas été traité de façon satisfaisante : l’analyse du dossier a manqué de rigueur et la recommandation donnée aux autorités décisionnelles de Transports Canada n’a pas été communiquée ou discutée avec le fonctionnaire avant d’être expédiée par courriel. Mme Blais et M. Pilon, membres de l’équipe de travail de Mme Deslauriers, ont reçu une copie du courriel en question. Le 19 décembre 2003, Mme Deslauriers se plaint informellement auprès du supérieur hiérarchique du fonctionnaire à l’époque, M. Giguère. Elle ne s’entend plus avec le fonctionnaire; elle perçoit le courriel du 11 décembre 2003 comme une réprimande et, elle entend déposer une plainte de harcèlement contre le fonctionnaire. Mme Deslauriers dit à M. Giguère que, pour faire avancer les choses, elle ne voit aucune autre solution que de déposer une plainte formelle. À la question de M. Giguère qui lui demande ce qu’a fait le fonctionnaire, elle lui répond que « [c’est] pas mal du dénigrement », et que le fonctionnaire aurait eu un comportement semblable il y a quelques années, mais que cela s’est atténué avec le temps. Selon elle, le dénigrement avait recommencé depuis deux semaines. Elle demande à M. Giguère d’intervenir, car elle ne veut plus travailler sous la direction du fonctionnaire.

27 Le 24 décembre 2003, Mme Deslauriers demande que le fonctionnaire ne soit plus son supérieur hiérarchique, ce à quoi M. Giguère acquiesce. Après avoir parlé au fonctionnaire, M. Giguère informe Mme Deslauriers qu’il va la prendre sous sa charge temporairement. Le 5 janvier 2004, après avoir parlé à son représentant syndical, Mme Deslauriers refuse une intervention de médiation proposée par Mme Paris et en informe M. Giguère. C’est alors que M. Giguère discute avec Mme Pageot d’une plainte formelle de Mme Deslauriers.

28 Comme Mme Deslauriers tarde à déposer la plainte, M. Giguère demande à M. Boulanger d’assurer la supervision de Mme Deslauriers. Il y a des accrocs concernant les modalités de la supervision et la transmission de documents à Mme Deslauriers, mais un protocole pour régler cette situation intervient à la fin de février 2004.

29 Le 16 avril 2004, Mme Deslauriers écrit à Tony Valeri, alors le ministre des Transports, et lui expose les motifs de la plainte contre le fonctionnaire. La plainte comprend cinq allégations d’événements qui ont eu lieu de juin 1995 au 11 décembre 2003. Après avoir accusé réception de la plainte le 8 juin 2004, Mme Pageot communique la plainte au fonctionnaire le 6 juillet 2004.

30 Le 19 avril 2004, Mme Belliveau dépose auprès de M. Valeri une plainte de harcèlement, semblable à celle de Mme Deslauriers, alléguant des événements qui remontent à 1992. La plainte est rejetée par l’employeur au motif qu’elle est hors délai. Cette plainte n’est pas communiquée au fonctionnaire. Mme Belliveau est représentante syndicale depuis le début de l’année 2004.

31 Le 6 août 2004, Mme Paris s’adresse au Bureau des enquêtes en matière de harcèlement du ministère de la Défense nationale (MDN) afin d’entamer une démarche d’enquête sur la plainte. À la Garnison de St-Jean, le MDN dispose d’une équipe d’enquête en matière de harcèlement dont peuvent se prévaloir les ministères fédéraux pour effectuer leurs enquêtes. Le 13 août 2004, Mme Deslauriers et le fonctionnaire sont informés que Mme Montminy a été nommée enquêtrice à l’égard de la plainte. L’enquête doit commencer en début de septembre 2004, mais est retardée parce que la plainte n’est pas suffisamment précise. La démarche d’enquête reprend en novembre 2004. Yvon Brooks est ajouté comme deuxième enquêteur. Mme Paris donne un double mandat d’enquête aux enquêteurs : la plainte de Mme Deslauriers et l’évaluation du climat organisationnel de l’équipe gérée par le fonctionnaire. Le double mandat d’enquête n’est communiqué ni au fonctionnaire ni à Mme Deslauriers.

32 En septembre 2004, Mme Paris et Mme Deslauriers et son représentant syndical, Claude Faust, tiennent des discussions concernant des allégations d’agression sexuelle survenue en 1995 que Mme Deslauriers veut ajouter à la plainte. Après avoir obtenu des précisions écrites de Mme Deslauriers, Mme Paris l’informe que l’employeur accepte d’enquêter sur toutes ses allégations, y compris celles d’agression sexuelle. Une lettre de clarification est envoyée aux enquêteurs le 30 septembre 2004, dans laquelle Mme Paris les informe que l’enquête porte sur les allégations qui remontent jusqu’à 1995, y compris des allégations d’agression sexuelle. Le 15 novembre 2004, Mme Paris communique au fonctionnaire deux allégations d’agression sexuelle qui ont été ajoutées à la plainte.

33 En novembre 2004, Mme Montminy demande à Mme Paris des précisions concernant la plainte. Avec l’aide de Mme Paris, Mme Deslauriers prépare un résumé chronologique des événements survenus depuis le 3 avril 1995, y compris des incidents survenus après le dépôt de la plainte. Mme Paris lui fournit un bureau et un ordinateur pour qu’elle puisse y travailler. Mme Paris transmet le document à Mme Montminy. À la suite d’une deuxième demande de Mme Montminy de préciser les allégations de harcèlement, Mme Paris aide Mme Deslauriers à préparer un autre document qui fait état de 16 incidents regroupés en six allégations, qui est envoyé à Mme Montminy le 8 décembre 2004. Le 4 janvier 2005, le fonctionnaire reçoit ce document avec l’annonce qu’une enquête débutera le 5 janvier 2005. Dans les faits, l’enquête débute le 10 janvier 2005 et se termine le 25 janvier 2005. Quinze personnes sont rencontrées, dont Mme Deslauriers, le 10 janvier 2005, et le fonctionnaire, le 24 janvier 2005.

34 Le 18 février 2005, Mme Paris demande à Mme Deslauriers et au fonctionnaire de ne pas se présenter au travail, mais de travailler à partir de leur domicile jusqu’à l’émission du rapport final d’enquête. Le rapport préliminaire, caviardé et sans conclusions, est envoyé à Mme Deslauriers et au fonctionnaire le 7 mars 2005 et ces derniers ont deux semaines pour faire parvenir leurs commentaires aux enquêteurs.

35 Le 16 mars 2005, le fonctionnaire commence un congé de maladie indéterminé pour cause de stress et d’épuisement professionnel.

36 Le même jour, Mme Pageot reçoit le rapport final d’enquête qui fait droit aux allégations de la plainte.

37 Une copie du rapport final d’enquête est remise au fonctionnaire le 26 avril 2005, avec la mention que Mme Gagnon, la supérieure hiérarchique du fonctionnaire, prendra des mesures correctives appropriées.

38 Le 5 mai 2005, le fonctionnaire envoie un courriel à Mme Paris lui demandant quels sont ses recours pour contester le rapport d’enquête. Mme Paris lui répond qu’elle n’est pas la meilleure conseillère, mais qu’elle lui reviendra sur cette question. Mme Paris ne donne pas suite à cette demande.

39 Le 18 mai 2005, Mme Gagnon et Mme Paris (devenue la directrice des ressources humaines de Transports Canada pour la région du Québec) rencontrent le fonctionnaire, accompagné de son procureur, pour discuter des conclusions de l’enquête. Il est question de mesures disciplinaires, mais surtout du fait que la décision a été prise que le fonctionnaire ne réintégrera pas son poste de gestionnaire au retour de son congé de maladie. Le 26 mai 2005, le fonctionnaire dépose un premier grief individuel (dossier de la CRTFP 566-02-421) qui conteste l’iniquité de la procédure d’enquête et la décision de ne pouvoir réintégrer son poste de gestionnaire. Il réclame aussi des dommages.

40 Le 7 juin 2005, Mme Gagnon envoie une lettre au fonctionnaire l’informant d’une sanction disciplinaire de 15 jours de suspension sans solde qui sera purgée lorsqu’il retournera au travail. La lettre disciplinaire fera partie du dossier personnel du fonctionnaire pour une période de deux ans, ou plus longtemps s’il y a récidive. Le 22 juin 2005, le fonctionnaire dépose un deuxième grief individuel (dossier de la CRTFP 566-02-420) contestant la suspension de 15 jours et la décision de ne pouvoir réintégrer son poste de gestionnaire. Il réclame aussi des dommages.

41 Le 16 août 2005, après une rencontre du fonctionnaire avec Mme Pageot au deuxième palier de la procédure applicable à ses deux premiers griefs individuels, se tient une seconde rencontre avec le fonctionnaire, Mme Paris et M. Giguère, pendant laquelle Mme Paris dit au fonctionnaire qu’il ne pourra retourner à son poste de gestionnaire en raison des lacunes concernant son style de gestion qui ont été relevées dans le rapport d’enquête. Mme Paris lui demande d’accepter une mutation dans un autre poste excluant la supervision d’employés. Le fonctionnaire refuse une telle mutation. C’est alors que Mme Paris offre au fonctionnaire une affectation au Programme de rémunération d’affectation spéciale (PRAS) pour un « projet spécial » au niveau TI-06, qui permettrait au fonctionnaire de conserver son niveau salarial pour une période de deux ans. Pendant cette période, le fonctionnaire devra se trouver un poste permanent ailleurs, sinon il sera mis en disponibilité à la fin de l’affectation. Le fonctionnaire refuse de participer à ce programme. Mme Paris souligne au fonctionnaire que l’employeur pourrait faire émettre un décret d’exemption qui permet sa mutation involontaire s’il ne consent pas à une mutation volontaire.

42 Les deux premiers griefs du fonctionnaire sont rejetés au deuxième palier de la procédure applicable aux griefs le 26 août 2005. Mme Pageot informe le fonctionnaire qu’il ne réintégrera pas son poste de gestionnaire.

43 Le 29 août 2005, le fonctionnaire informe Mme Gagnon qu’il est apte à revenir au travail le 6 septembre 2005. Par courriel daté du 31 août 2005, Mme Gagnon lui répond qu’il servira ses 15 jours de suspension du 12 au 30 septembre 2005, et lui ordonne de se présenter aux bureaux de Transports Canada à Dorval le 6 septembre 2005, plutôt qu’à son lieu de travail habituel au centre-ville de Montréal, sous peine d’être considéré en absence non autorisée. Le fonctionnaire doit occuper un poste à la Direction sûreté et préparatifs d’urgence dans la section de l’aviation et du transport maritime et éventuellement le développement du transport ferroviaire des passagers. Le fonctionnaire se présente à Dorval le 6 septembre 2005 tel qu’ordonné. La charge de travail assignée au fonctionnaire est minime, pour ne pas dire inexistante. Il occupe un bureau à aire ouverte, directement en face du déchiqueteur, d’une imprimante et du télécopieur.

44 Le 9 octobre 2005, Mme Paris rencontre le fonctionnaire et lui offre encore une fois une affectation dans le cadre du PRAS pour un poste temporaire de deux ans au niveau TI-06, qui mènera à une déclaration d’employé excédentaire après 18 mois. Mme Paris dit alors au fonctionnaire que s’il n’accepte pas volontairement une mutation, Transports Canada entend demander un décret d’exemption auprès de la Commission de la fonction publique (CFP) pour le muter sans son consentement dans un poste de TI-06 de façon indéterminée. Le 24 octobre 2005, le fonctionnaire refuse l’offre d’affectation dans le cadre du PRAS.

45 Le 9 novembre 2005, Mme Pageot demande à la Direction générale des ressources humaines d’obtenir un décret d’exemption de la CFP afin de pouvoir muter le fonctionnaire sans son consentement. Le 8 décembre 2005, la directrice générale intérimaire des ressources humaines transmet une demande officielle à cet égard à la CFP. Le 27 février 2006, la CFP répond qu’un décret d’exemption ne peut être obtenu puisque la mesure a été décidée avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Le porte-parole de la CFP ajoute que la CFP n’a jamais mis émis un tel décret mais que la menace de le faire est le plus souvent utilisée comme tactique pour encourager la coopération d’un fonctionnaire récalcitrant. Mme Paris et Mme Gagnon tentent à nouveau de convaincre le fonctionnaire d’accepter l’affectation dans le cadre du PRAS sous menace d’engager la procédure du décret d’exemption. Le fonctionnaire refuse de nouveau. Mme Brouillette, nouvellement nommée directrice générale des ressources humaines de Transports Canada, retire la demande d’un décret d’exemption, parce que ce mécanisme n’est plus disponible depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

46 En décembre 2005, Mme Gagnon annonce, lors d’une réunion de gestion nationale, qu’elle entend afficher le poste du fonctionnaire en vue de le remplacer. En novembre 2005, Mme Gagnon avait fait vider les effets personnels du bureau du fonctionnaire et les avait fait entreposer. En février 2006, le processus pour combler le poste du fonctionnaire est mis en suspens pendant la procédure de grief engagée par le fonctionnaire.

47 Le 4 juillet 2006 le fonctionnaire renvoi ses deux premiers griefs à l’arbitrage (dossiers de la CRTFP 566-02-420 et 421).

48 Le 6 juillet 2006, dans la décision qu’elle rend au dernier palier de la procédure applicable aux griefs individuels, Mme Brouillette renverse la décision de Mme Gagnon d’imposer au fonctionnaire une sanction disciplinaire de 15 jours de suspension sans solde et lui substitue une lettre de réprimande, signée par Mme Gagnon le 13 juillet 2006, tout en maintenant la réaffectation du fonctionnaire. Le 14 juillet 2006, l’employeur est avisé du renvoi des deux premiers griefs à l’arbitrage. Le 24 juillet 2006, Mme Gagnon rencontre le fonctionnaire pour lui remettre sa lettre de réprimande. Le 24 août 2006, le fonctionnaire dépose un troisième grief individuel (dossier de la CRTFP 566-02-710) contestant la lettre de réprimande et sa réaffectation. Il réclame aussi des dommages.

49 Le 29 novembre 2006, Mme Gagnon rencontre le fonctionnaire pour lui parler d’un éventuel retour à son poste de gestionnaire dans la mesure où il accepte de corriger les comportements relevés dans le rapport d’enquête. Le fonctionnaire demande à Mme Gagnon de mettre par écrit les comportements qui lui sont reprochés. Cette demande demeure sans réponse. Toutefois, le 10 décembre 2006, Mme Gagnon informe le fonctionnaire qu’elle lui a choisi une « coach ».

50 Le 18 décembre 2006, le fonctionnaire renvoi son troisième grief à l’arbitrage (dossier de la CRTFP 566-02-710).

51 Le fonctionnaire rencontre la « coach » le 18 janvier 2007 en vue de s’entendre sur les modalités du coaching. Sa prochaine rencontre avec la « coach » a lieu le 29 mai 2007. Après quelques rencontres, le coaching se termine. Comme partie du coaching, la « coach » recommande que le fonctionnaire ait l’occasion de superviser des employés, ce que refuse Mme Gagnon.

52 Le 27 août 2007, le fonctionnaire rencontre M. Lapointe, le nouveau directeur général. M. Lapointe lui dit que, puisqu’il a été conclu que le fonctionnaire a commis du harcèlement pendant plusieurs années, il ne sera pas réintégré dans un poste de gestionnaire dans un avenir rapproché et sa gestionnaire le rencontrera prochainement pour lui présenter un plan de redressement.

53 Le 13 septembre 2007, les parties sont avisées de la mise au rôle des trois premiers griefs du fonctionnaire pour une audience d’arbitrage du 7 au 10 janvier 2008.

54 Le 3 octobre 2007, Mme Gagnon rencontre le fonctionnaire pour lui remettre un document intitulé « Plan d’amélioration en vertu d’une réintégration », accompagnée d’une lettre explicative, qui prévoit que le fonctionnaire pourrait éventuellement réintégrer son poste de gestionnaire, à certaines conditions, dont le fait que le fonctionnaire reconnaisse les torts relevés dans le rapport d’enquête. Le 17 octobre 2007, le fonctionnaire refuse le plan de redressement proposé au motif que l’employeur tente par des moyens détournés de l’empêcher d’aller de l’avant avec l’arbitrage de ses griefs. Le 24 octobre 2007, il dépose un quatrième grief individuel (dossier de la CRTFP 566-02-1777) contestant l’imposition d’un plan de redressement et sa réaffectation. Il y réclame aussi des dommages.

55 Le 25 janvier 2008, le fonctionnaire renvoi son quatrième grief à l’arbitrage (dossier de la CRTFP 566-02-1777).

56 Au moment de l’audience, le fonctionnaire occupe toujours le poste à la Direction sûreté et préparatifs d’urgence à Dorval.

VIII. Témoignage de l’enquêtrice et des gestionnaires qui ont donné suite aux conclusions de l’enquête

A. Mme Brouillette

57 En plus d’être directrice générale des ressources humaines à Transports Canada, Mme Brouillette est la déléguée du sous-ministre pour entendre les griefs au dernier palier de la procédure applicable aux griefs individuels. Mme Brouillette a justifié sa décision de maintenir deux mesures distinctes. La lettre de réprimande était une mesure disciplinaire découlant des conclusions de l’enquête quant aux gestes de harcèlement du fonctionnaire pendant l’année précédant le dépôt de la plainte. La mutation à d’autres fonctions était une mesure administrative qui découlait des gestes du fonctionnaire pendant les années précédant la plainte et qui mettait en question les compétences du fonctionnaire.

58 Quand elle a décidé de réduire la mesure disciplinaire de 15 jours à une lettre de réprimande, Mme Brouillette a tenu compte du fait qu’il n’y avait pas de continuité dans les événements qui allaient au-delà de la période d’un an, que les évaluations de rendement du fonctionnaire étaient supérieures, que les commentaires à l’égard du fonctionnaire étaient positifs et que son dossier disciplinaire était vierge. Toutefois, Mme Brouillette a décidé de maintenir la réaffectation parce que la gestion régionale demeurait libre de prendre des mesures administratives à la suite de ce qu’avait révélé le rapport d’enquête et de maintenir un milieu de travail sain et productif.

59 Mme Brouillette a reconnu qu’une mutation involontaire n’était pas un moyen légitime de déplacer le fonctionnaire. Mme Brouillette était d’avis que les allégations graves soulevées par la plainte justifiaient l’enquête. Mme Brouillette n’a pu citer d’autres exemples d’une enquête sur des faits antérieurs de plusieurs années.

60 Quant au délai pour décider le grief de suspension au dernier palier de la procédure applicable aux griefs individuels, Mme Brouillette a dit qu’elle était peut-être au courant que le délai pour répondre était le 2 juin 2005, mais qu’elle n’était pas en mesure de respecter cette date. Elle a appris que le grief concernant la suspension de 15 jours avait été renvoyé à l’arbitrage après avoir rendu sa réponse.

B. Mme Pageot

61 Mme Pageot a travaillé avec le fonctionnaire en 1995. Elle s’occupait des dossiers de conflit de travail. La section gérée par le fonctionnaire était stable et sans conflits sérieux. Mme Pageot n’a pas été mise au courant d’une plainte quelconque de Mme Deslauriers à ce moment-là. Le 23 mars 1995, Mme Deslauriers a accepté un détachement d’un an pour travailler dans la section du fonctionnaire. L’entente comportait une clause de résiliation qui permettait à Mme Deslauriers de demander en tout temps un retour dans son poste d’attache moyennant un préavis de 30 jours. Le détachement était dans le cadre d’un programme permettant aux femmes de faire l’essai d’un travail non traditionnel.

62 Au moment du dépôt de la plainte, Mme Pageot était la gestionnaire déléguée aux fins de l’administration d’une plainte de harcèlement en vertu de la politique. La plainte lui a été transmise par le bureau du ministre des Transports parce qu’elle émanait de la région du Québec.

63 Mme Pageot se souvient avoir reçu une plainte de Mme Belliveau à la même époque. Mme Pageot a rencontré Mme Belliveau pour lui expliquer pourquoi sa plainte n’était pas retenue et ne ferait pas l’objet d’une enquête. Mme Pageot ne se souvient pas d’avoir comparé la plainte de Mme Belliveau à celle de Mme Deslauriers et n’a pas remarqué si elles étaient semblables ou non.

64 Dans son rôle de gestionnaire déléguée, Mme Pageot a jugé, après avoir consulté Mme Paris et des personnes expertes, que la plainte était sérieuse et qu’il y avait lieu de procéder à une enquête sur tous les éléments. Selon elle, l’existence de faits continus était une circonstance aggravante qui permettait de faire enquête au-delà de la période d’une année prévue dans la politique.

65 La plainte de Mme Deslauriers a évolué au fil des mois en fonction des demandes de précision des enquêteurs. Mme Deslauriers avait fait savoir qu’elle ne voulait pas déposer une plainte criminelle, mais voulait une enquête administrative sur tous les incidents. Mme Pageot a dit ne pas s’être attardée aux mots utilisés par Mme Deslauriers dans sa plainte; une agression sexuelle pouvait tout aussi bien être du harcèlement sexuel. Mme Pageot s’attendait à ce que les enquêteurs apportent des clarifications. Pendant la période qui a précédé la plainte, Mme Pageot a eu des communications avec M. Faust et Richard Côté, un autre représentant syndical de Mme Deslauriers, après que cette dernière ait dit qu’elle ferait une plainte. Ils ont demandé à Mme Pageot du temps pour formuler la plainte écrite.

66 À la fin du processus d’enquête, Mme Pageot a eu un entretien avec les enquêteurs. Comme l’enquête avait été menée par des enquêteurs chevronnés, elle a accepté les conclusions du rapport comme étant plausibles. Les conclusions du rapport l’ont convaincue que le fonctionnaire s’était livré à des comportements inappropriés sur une longue période de temps et que son style de gestion était inacceptable. Elle a aussi décidé que Mme Deslauriers et le fonctionnaire devaient travailler à partir de la maison jusqu’à l’émission du rapport final d’enquête, pour éviter la possibilité de représailles. Après l’émission du rapport d’enquête, Mme Pageot a rencontré Mme Deslauriers pour la rassurer que le fonctionnaire ne réintégrerait pas son poste de gestionnaire de la section de Mme Deslauriers.

C. Mme Paris

67 Mme Paris est la gestionnaire qui a administré la démarche d’enquête de la plainte au nom de Mme Pageot à compter du mois de mai 2004. Elle a proposé la médiation à Mme Deslauriers et au fonctionnaire en décembre 2003 et en mai 2004, mais Mme Deslauriers a refusé cette initiative. Mme Paris a eu des discussions avec M. Faust avant que la plainte soit déposée. Ce dernier lui a dit que la plainte était très sérieuse et très importante. Mme Paris s’est dite très préoccupée du retard du dépôt de la plainte écrite.

68 Lorsqu’elle a reçu la plainte, Mme Paris l’a évaluée comme un tout, plutôt que comme une suite d’allégations individuelles. Elle n’avait pas remarqué que la politique excluait une enquête sur des allégations d’agression sexuelle. Les allégations de la plainte n’étaient pas prescrites parce que, selon elle, la continuité des incidents permettait de faire enquête au-delà de l’année prévue dans la politique.

69 Mme Paris a appris que le MDN offrait des services experts en matière d’enquête de harcèlement et qu’il effectuait régulièrement des enquêtes pour d’autres ministères fédéraux. Le 5 août 2004, Mme Paris a initié des discussions avec le MDN au sujet de l’utilisation de leurs services pour faire enquête sur la plainte de Mme Deslauriers. Le MDN se disait prêt à suivre la politique.

70 Après des mises en garde du MDN, Mme Paris a rencontré les représentants syndicaux de Mme Deslauriers concernant la portée de l’enquête. Elle a été convaincue d’accepter que les allégations d’agression sexuelle soient traitées comme du harcèlement sexuel. Elle a alors demandé au MDN l’ajout d’un enquêteur masculin.

71 Mme Paris a été le porte-parole de Mme Pageot et la personne-ressource pour Mme Deslauriers; elle a aidé cette dernière à préparer une chronologie des faits depuis 1995 et à mieux définir sa plainte en vue de l’enquête. Elle a rencontré les représentants syndicaux de Mme Deslauriers à quelques reprises en décembre 2004.

72 Mme Paris a accepté les enquêteurs proposés par le MDN, a défini leur mandat et a négocié le contrat de service. Elle a accepté que le mandat des enquêteurs porte non seulement sur les allégations de Mme Deslauriers, mais sur l’examen du climat organisationnel de la section gérée par le fonctionnaire, tel qu’il se faisait habituellement dans la démarche d’enquête du MDN. Mme Paris a vu son rôle comme étant celui de faire acheminer le dossier le plus rapidement possible.

73 À la fin de mars 2005, une fois les conclusions des enquêteurs connues, Mme Paris a discuté avec Mme Gagnon des mesures correctives à l’endroit du fonctionnaire. Mme Gagnon jugeait qu’il y avait eu bris de confiance empêchant le fonctionnaire de reprendre ses tâches de supervision.

74 Le 18 mai 2005, Mme Paris a rencontré le fonctionnaire et son procureur avec Mme Gagnon. La rencontre faisait suite à la lettre de Mme Pageot et avait comme but de déterminer les mesures disciplinaires à prendre compte tenu des conclusions de l’enquête. À l’audience, Mme Paris a témoigné de sa rencontre comme suit :

Il était assez clair pour nous qu’il ne pourrait pas retourner à son poste de gestionnaire. D’abord on lui a communiqué nos préoccupations [et] qu’on considérait pas le retourner dans son poste de gestion. On ne voulait pas lui imposer une mutation, mais il fallait qu’il sorte de son poste. […] Après tout ce qu’on avait vu et entendu, on ne se sentait pas confortable de le retourner dans son poste. […] Avec 10 allégations sur 16 maintenues, il y avait de bonnes raisons de lui imposer d’autres mesures. […] On lui a parlé d’un poste non volontaire, sans son consentement, par la suite. […] M. Robitaille a mentionné que le rapport était pas équitable, un «gang up», que certaines parties étaient erronées ou n’avaient pas tenu compte de certaines informations. Il a dit que tout dans le rapport était faux. J’étais très déçue. […] M. Robitaille a dit qu’il avait fourni un document aux enquêteurs. […] Après la rencontre, des discussions ont eu lieu avec les enquêteurs qui ont dit qu’ils en avait tenu compte mais que ça n’ajoutait rien au rapport.

75 Mme Paris a communiqué avec la CFP pour discuter des conditions d’émission d’un décret d’exemption. La CFP lui a répondu qu’un fonctionnaire ne pouvait être muté sans lui offrir un poste indéterminé. Le seul poste indéterminé sans supervision d’employés qui satisfaisait aux compétences du fonctionnaire était un poste TI-06, comportant une baisse de salaire de 15 000 $. Selon Mme Paris, si le fonctionnaire avait accepté l’affectation dans le cadre du PRAS, sa mutation aurait été considérée volontaire et l’employeur aurait été en mesure de le remplacer de façon permanente comme gestionnaire. Mme Paris a admis que le fonctionnaire est actuellement assigné à des tâches sans son consentement.

76 Le fonctionnaire a demandé à Mme Paris quels étaient ses recours pour contester le rapport d’enquête. Mme Paris en était incertaine. Mme Paris a témoigné qu’elle se sentait mal à l’aise de lui donner des conseils sur le « meilleur recours », car l’employeur aurait pu lui reprocher d’avoir aidé le fonctionnaire à contester une décision de la gestion. De toute façon, le fonctionnaire s’était aussi adressé ailleurs pour obtenir ce renseignement.

D. Mme Gagnon

77 En février 2005, Mme Gagnon a reçu un appel de Mme Pageot qui lui demandait de s’assurer que le fonctionnaire et Mme Deslauriers n’aient pas de contacts l’un avec l’autre jusqu’à ce que le résultat de l’enquête soit connu. Mme Gagnon a pris connaissance de la plainte au moment où elle a lu le rapport d’enquête. Elle a rencontré le fonctionnaire le 18 mai 2005, en présence de Mme Paris, l’objet étant de permettre au fonctionnaire de reconnaître ses comportements inappropriés avant de lui imposer une mesure disciplinaire, de lui communiquer la mesure administrative qu’il n’allait pas être réintégré dans son poste de gestionnaire et qu’il devait se trouver un poste ailleurs.

78 Mme Gagnon a accepté les conclusions du rapport d’enquête parce qu’elle jugeait ne pas avoir à refaire le travail d’enquêteurs professionnels. Elle a décidé que le fonctionnaire ne réintégrerait pas son équipe de travail et devait réorienter sa carrière. Pour répondre aux actes de harcèlement, Mme Gagnon a décidé d’une mesure disciplinaire de 15 jours de suspension sans solde. Pour tenir compte d’un comportement inapproprié comme gestionnaire pendant plusieurs années, elle a décidé comme mesure administrative d’assigner le fonctionnaire à d’autres tâches sans la supervision d’employés. Elle a ensuite entamé un concours visant à remplacer le fonctionnaire comme gestionnaire de son équipe. Elle a annoncé à une réunion nationale et aux employés de la section que le fonctionnaire ne réintégrerait pas son poste de gestionnaire. À la demande de Mme Paris, Mme Gagnon a suspendu le processus de dotation pendant le traitement des griefs présentés par le fonctionnaire.

79 À la fin novembre 2006, Mme Gagnon a rencontré le fonctionnaire pour lui faire connaître les comportements inacceptables qui l’empêchaient de réintégrer son poste de gestionnaire. Le fonctionnaire lui a demandé de mettre ses points par écrit. Mme Gagnon a jugé que cette demande était l’aveu que le fonctionnaire ne voulait pas reconnaître ses comportements inappropriés. Elle a donc développé un plan de redressement de deux ans en consultation avec Mme Pageot, M. Lapointe, Mme Paris et trois conseillers en relations de travail à l’administration centrale de Transports Canada, dont Mme Houle, qui se fondait sur les comportements suivants du fonctionnaire rapportés par les enquêteurs : il pouvait isoler un employé puis l’ignorer; il médisait; il n’adhérait pas à des heures de travail strictes; il favorisait les activités sociales en dehors des heures de travail; il négligeait l’encadrement de nouveaux employés et, à une occasion, il avait fait faire l’évaluation d’un employé par un autre.

80 Hormis ces comportements mentionnés dans le rapport d’enquête, Mme Gagnon n’avait rien d’autre à reprocher au fonctionnaire quant à la qualité de son travail.

E. M. Lapointe

81 Lorsqu’il est devenu directeur général de Transports Canada pour la région du Québec en 2007, M. Lapointe a pris connaissance du rapport d’enquête et de la correspondance au dossier. Il a trouvé curieux qu’une suspension de trois semaines soit réduite à une lettre de réprimande. Il a constaté qu’il n’y avait pas de faits continus dans les allégations reprochées au fonctionnaire. Par contre, ce qui était documenté était fort sérieux et les comportements du fonctionnaire étaient inacceptables. M. Giguère, le gestionnaire sortant, lui avait communiqué qu’il s’entendait bien avec le fonctionnaire, mais que la situation de ce dernier présentait des défis même s’il « avait payé sa dette ». M. Lapointe a admis que la réintégration du fonctionnaire comme gestionnaire de la section de Mme Deslauriers avait été discutée à au moins une réunion patronale-syndicale. M. Côté lui avait fait connaître ses inquiétudes à ce sujet. M. Lapointe a répondu à M. Côté qu’avec le dossier du fonctionnaire, il ne voyait pas la possibilité de le réintégrer comme gestionnaire de la section.

82 M. Lapointe a rencontré le fonctionnaire le 17 août 2007 pour lui assigner de nouvelles tâches; il lui a dit à ce moment-là que sa réintégration dans son poste de gestionnaire n’était pas possible pour l’instant. Le fonctionnaire devait d’abord reconnaître ses torts et démontrer de la bonne volonté. M. Lapointe a témoigné que son opinion était fondée sur le fait que le rapport d’enquête contenait beaucoup de conclusions autres que celles concernant le harcèlement, qu’il devait en tenir compte et leur donner suite. Selon lui, en n’acceptant pas le plan de redressement proposé par Mme Gagnon, le fonctionnaire ne démontrait pas de bonne volonté.

83 M. Lapointe a admis que, s’il avait la preuve que les éléments reprochés au fonctionnaire étaient faux, il corrigerait la situation immédiatement.

F. M. Giguère

84 M. Giguère a été directeur général de Transports Canada pour la région du Québec d’avril 2003 à avril 2004. À son arrivée en poste, il a rencontré tous les employés sous sa direction. Le fonctionnaire a été une des premières personnes rencontrées. Le fonctionnaire était en poste depuis de nombreuses années. Il l’a trouvé franc, direct et cordial; un gestionnaire qui connaissait parfaitement sa matière et savait donner l’heure juste. Le fonctionnaire menait bien ses dossiers et cernait rapidement une problématique. Sans être parfait, il donnait un excellent rendement.

85 À l’été 2003, M. Giguère a rencontré les employés de l’équipe du fonctionnaire. Mme Blais s’est montrée enthousiaste pour son travail; elle était contente de sa carrière et s’entendait bien avec son équipe de travail, y compris le fonctionnaire. M. Pilon était très compétent et espérait avoir une carrière à vie dans son poste; il aimait travailler avec son équipe et s’entendait bien avec le fonctionnaire; il n’avait eu qu’un accrochage mineur avec le fonctionnaire. Mme Deslauriers s’est montrée très enthousiaste au sujet du fonctionnaire. Elle appréciait l’équipe de travail. Elle a dit être heureuse dans son travail et bien s’entendre avec son gestionnaire. « C’est positif d’un bout à l’autre! » s’est-elle exclamée.

86 Le 19 décembre 2003, Mme Deslauriers est venue se plaindre que rien n’allait plus; son gestionnaire ne l’écoutait pas et ne lui parlait pas. Elle a dit se sentir dénigrée par le courriel du 11 décembre 2003 et ne pas être traitée comme les autres. Elle a mentionné qu’elle avait des antécédents avec le fonctionnaire, sans donner plus de détails. M. Giguère a discuté du courriel du 11 décembre avec le fonctionnaire et, après avoir compris les circonstances entourant son envoi, n’a rien trouvé à redire.

87 Au moment de l’émission du rapport d’enquête, M. Giguère n’était plus le gestionnaire du fonctionnaire. Il était directeur du Centre des transports – Sûreté et travaux de préparation d’urgence situé à Dorval. Mme Pageot a communiqué avec lui pour l’informer des résultats du rapport d’enquête et lui dire qu’elle n’entendait pas réintégrer le fonctionnaire dans son poste de gestionnaire. Mme Pageot a demandé à M. Giguère s’il acceptait de superviser le fonctionnaire pour une période d’environ six mois, même si la situation continuait à évoluer. M. Giguère a accepté de rencontrer le fonctionnaire et de le superviser, mais a trouvé fort curieux qu’il se fasse offrir une assignation dans le cadre du PRAS. D’après son expérience, ce type d’affectation était pour faciliter une fin de carrière en vue de permettre le transfert de compétences à la personne appelée à remplacer l’employé qui prend sa retraite.

88 Le fonctionnaire a refusé l’assignation dans le cadre du PRAS, mais s’est quand même présenté à Dorval à la suite des instructions de Mme Gagnon en septembre 2005. M. Giguère a assigné au fonctionnaire du travail de formation d’employés en sécurité ferroviaire pour lui permettre de garder ses compétences à jour.

89 M. Giguère a souligné qu’à l’automne 2003, Mme Deslauriers a traité un dossier ferroviaire avec lui. Elle était très professionnelle, mais M. Giguère l’a trouvé excessivement exigeante dans ses attentes envers les clients. Lorsqu’elle demandait quelque chose, elle acceptait difficilement se faire dire « non ».

90 M. Giguère a cité l’incident suivant comme exemple de l’émotivité de Mme Deslauriers. En janvier 2004, M. Giguère a remanié les espaces de travail pour satisfaire au besoin d’un nouvel employé, en donnant des espaces avec fenêtre aux employés qui passaient le plus de temps au bureau. Un espace de travail sans fenêtre a été assigné à Mme Deslauriers, puisqu’elle était rarement au bureau. Mme Deslauriers est devenue très mécontente de ce changement, puisque M. Giguère ne lui avait pas donné ce qu’elle voulait. M. Giguère a demandé à Mme Deslauriers de lui proposer une autre solution, mais elle n’a pas répondu à cette demande. M. Giguère a aussi constaté qu’un froid s’était créé entre Mme Deslauriers, Mme Blais et M. Pilon après le dépôt de la plainte.

G. Mme Montminy

91 Au début juillet 2004, une rencontre s’est tenue entre Mme Montminy, Mme Paris et le major Richard Lecompte, le responsable du Bureau des enquêtes en harcèlement du MDN. Dans un courriel en date du 20 juillet 2004, le major Lecompte a suggéré à Mme Paris de tenir compte de deux éléments avant la tenue d’une enquête : les allégations étaient-elles suffisamment précises et les parties avaient-elles été informées que certaines allégations n’étaient pas conformes aux exigences de la politique. Le 21 septembre 2004, Mme Montminy a informé Mme Paris que certaines allégations étaient prescrites et qu’il fallait que le fonctionnaire soit mis au courant de tous les incidents reprochés. Mme Montminy a demandé à Mme Paris de communiquer le mandat d’enquête aux parties, ce que Mme Paris a refusé de faire parce qu’il s’agissait d’une entente entre le MDN et Transports Canada.

92 Le 22 septembre 2004, Mme Deslauriers a informé Mme Montminy qu’à la suite d’une discussion avec Mme Paris, elle voulait que les allégations d’agression sexuelle de 1995 fassent partie de l’enquête. Dans une conversation téléphonique subséquente, Mme Montminy a informé Mme Paris que, s’il s’agissait effectivement d’une agression, la politique était très claire : la démarche d’enquête devait être suspendue. Mme Paris s’est dite très surprise que la politique en fasse mention. Mme Montminy lui a précisé que, non seulement la politique l’indiquait clairement, mais que c’était tout à fait logique. Le 24 septembre 2004, Mme Paris a dit à Mme Montminy que Mme Deslauriers ne voulait plus qu’on enquête sur ses allégations. Le 26 septembre 2004, Mme Deslauriers a fait volte-face et a demandé que les agressions sexuelles fassent partie de l’enquête. Mme Paris a alors mis fin au mandat d’enquête.

93 Le 8 novembre 2004, Mme Paris a communiqué avec Mme Montminy pour rouvrir l’enquête, maintenant qu’elle avait en main une plainte plus précise. Le 6 décembre 2004, Mme Montminy a dit à Mme Paris que la plainte n’était pas encore assez ciblée et qu’elle ne commencerait pas l’enquête. Mme Montminy a demandé à Mme Paris que Mme Deslauriers précise ses allégations selon les recommandations qu’elle allait lui envoyer par courriel. Le 7 décembre 2004, Mme Paris a demandé à Mme Montminy pourquoi les entrevues ne pouvaient commencer sans toutes les précisions, quitte à le faire en cours d’enquête ou bien à enquêter seulement sur les allégations qui étaient claires. Mme Montminy lui a répondu qu’il y avait trop de risque que l’enquête s’élargisse et qu’il y ait une apparence de parti pris en faveur de Mme Deslauriers. Le 8 décembre 2004, Mme Paris a informé Mme Montminy qu’elle acceptait que toutes les allégations fassent partie de l’enquête. Mme Montminy a pris connaissance du troisième document préparé par Mme Deslauriers et a dit à Mme Paris que, malgré des allégations encore imprécises, elle allait commencer l’enquête.

94 Mme Paris a éventuellement confirmé verbalement à Mme Montminy que l’enquête devait comprendre toutes les allégations mises de l’avant par Mme Deslauriers même si elles remontaient à plus d’un an et que les allégations criminelles devaient être traitées de façon administrative. Le 22 décembre 2004, Mme Montminy a demandé à Mme Paris de communiquer toutes les allégations au fonctionnaire avant le début des entrevues.

95 Mme Deslauriers a été la première rencontrée par les enquêteurs et le fonctionnaire, le 13e. Les enquêteurs ont choisi les témoins en fonction du contenu de la plainte et de l’organigramme de la section fournie par Mme Paris. Toutefois, Mme Paris a demandé aux enquêteurs de rencontrer Mme Belliveau, même si elle ne travaillait plus dans la section gérée par le fonctionnaire depuis 1997. Mme Deslauriers a présenté ses documents à l’appui de la plainte le jour de son entrevue.

96 Les entrevues ont été enregistrées, puis transcrites. Chaque personne rencontrée a eu l’occasion de lire sa déclaration, de la corriger et de la signer. Le fonctionnaire s’est présenté à l’entrevue avec une réponse écrite pour chaque incident faisant partie des allégations, accompagnée d’un cartable de documents à l’appui de sa réponse. En réponse à certaines questions, le fonctionnaire répondait en lisant sa réponse écrite. La réponse aux questions posées par les enquêteurs a été enregistrée et transcrite, mais l’enregistrement a été interrompu lorsque le fonctionnaire lisait une réponse écrite ou parlait à partir de ses notes. Par conséquent, la réponse à chaque incident préparée par le fonctionnaire ne fait pas partie de la transcription de la déclaration du fonctionnaire. Les enquêteurs avaient reçu une directive de minimiser les coûts de la transcription et n’ont donc pas enregistré les introductions, avertissements et certains commentaires des témoins. Par contre, la déclaration de Mme Deslauriers a été enregistrée et transcrite en entier.

97 Mme Montminy a témoigné que, le 6 janvier 2005, elle a communiqué avec un agent de la Sûreté du Québec au sujet des allégations de nature sexuelle de Mme Deslauriers. Celui-ci lui a confirmé que ces allégations pouvaient être considérées comme une agression à caractère sexuel et que Mme Deslauriers pourrait avoir à la fois un recours criminel et un recours civil contre le fonctionnaire, même si l’employeur appliquait des mesures disciplinaires. Mme Montminy a communiqué cette information par téléphone à Mme Deslauriers le même jour.

98 Les déclarations des personnes rencontrées ont été évaluées sur une prépondérance de la preuve, c’est-à-dire, que la preuve devait démontrer qu’il était plus probable qu’improbable que l’événement allégué soit arrivé. Dans le cas où il n’y avait pas de témoin direct, les enquêteurs ont retenu une preuve d’incidents semblables pour soutenir une allégation. Les éléments circonstanciels ont joué en faveur du bien-fondé d’une allégation. Les incidents semblables ont été regroupés pour donner plus de poids à une allégation. Mme Montminy a témoigné qu’avec le recul, elle aurait traité chaque incident comme une allégation individuelle. Mme Montminy a témoigné que les enquêteurs n’ont pas tenu compte des photos de voyage d’affaires soumises par le fonctionnaire au soutien de sa version des faits parce que celles-ci ne remplaçaient pas une déclaration. Le fonctionnaire a soulevé des faits nouveaux au soutien de sa réponse à la plainte, mais les enquêteurs ont jugé qu’ils n’avaient pas à réinterroger les témoins déjà rencontrés concernant ces faits. Mme Montminy a admis que les enquêteurs avaient donné plus de poids à la déclaration de Mme Belliveau, qui a raconté des incidents semblables à ceux mis de l’avant par Mme Deslauriers, et aux témoins qui confirmaient les dires de Mme Deslauriers.

IX. Allégations de la plainte

99 Voici le texte de la plainte déposée le 16 avril 2004 :

[…]

Objet : Plainte de harcèlement

La présente constitue une plainte contre monsieur Raymond Robitaille, Gestionnaire, Exploitation et matériel roulant, Groupe Surface, pour abus d’autorité et harcèlement sexuel.

Je suis à l’emploi de la fonction publique depuis juillet 1974 et j’occupe les fonctions d’inspecteur, Exploitation ferroviaire, depuis le 3 avril 1995.

Le 11 décembre 2003, monsieur Robitaille m’a communiqué, par écrit et copie conforme à mes collègues de travail, des reproches sans fondement. Quelques jours auparavant, il m’avait demandé à son bureau afin de connaître si j’étais prête pour un concours d’inverse au mérite dans notre section. Après vérification auprès de mes collègues et le directeur régional, monsieur Sylvain Giguère, il n’a jamais été question de coupure de postes au sein de notre section et mes collègues n’avaient pas été saisis de cette situation.

Ces derniers évènements ont été pour moi l’élément déclencheur pour que je consulte mon employeur et mon syndicat concernant les agissements de ce gestionnaire à mon égard.

Ces situations ont débuté en juin 1995, lors d’un voyage d’affaires au Lac St-Jean où il m’a agressé. A partir de ce moment, n’ayant pas répondu positivement à son agression, il n’a jamais cessé d’abuser de son autorité vis-à-vis moi et de me diminuer auprès de mes collègues de travail.

Étant sous sa responsabilité comme employée, il a été pendant plusieurs mois, pour ne pas dire années, sans m’adresser la parole. Après plusieurs tentatives de ma part de tenter de rétablir la communication, il me répondait qu’il ne voulait pas me parler.

J’ai donc dû apprendre au cours des années à travailler avec mes collègues seulement et j’ai subi au cours de ces années plusieurs préjudices tel que, je n’ai jamais eu de responsabilité autre que mes fonctions d’inspecteurs contrairement à mes collègues qui ont pu participer à toutes sortes de rencontres, de comités, de projets spéciaux, etc..

J’ai eu l’obligation d’être en détachement durant une année dans un autre ministère à sa demande à lui, (du 7 avril 1997 au 27 mars 1998).

Aujourd’hui, avec neuf belles années de carrière devant moi, je ne peux plus subir ses représailles, je ne suis plus capable d’accepter l’attitude de monsieur Robitaille, à savoir, me nuire, me contrôler, m’intimider et nuire à ma réputation.

Je ne supporte plus d’être victime de manipulations malveillante, d’être diminué auprès de mes collègues de travail, d’être victime d’intimidation et d’abus d’autorité dont fait preuve monsieur Raymond Robitaille à mon égard. Je demande à être traité de façon équitable et respectueuse. Je demande que des mesures correctives soient prises afin que monsieur Raymond Robitaille cesse toute forme de harcèlement à mon égard.

Colette Deslauriers

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[Je souligne]

100 Voici les six allégations qui ont fait l’objet de l’enquête à compter du 10 janvier 2005, chacune fondée sur plusieurs incidents. Les incidents sont regroupés après chacune des allégations, suivi des témoignages qui ont été entendus à l’audience.

Allégation 1 - Mme Deslauriers s’est sentie intimidée par le fonctionnaire.

Cette allégation comprend deux incidents.

Incident #1 : En août 2001, le fonctionnaire a avisé Mme Deslauriers d’un voyage d’inspection en Gaspésie, dont le départ était prévu pour dimanche, le 3 septembre 2001.

Incident #2 : Le 8 décembre 2003, lors d’une rencontre, le fonctionnaire a questionné Mme Deslauriers sur sa façon de mener ses dossiers et a fait mention d’un « concours d’inverse au mérite ». [Note : Bien que l’expression « évaluation inverse du mérite » est l’expression correcte, j’utilise l’expression « concours d’inverse au mérite » utilisée unanimement par les témoins.]

Incident #1

101 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #1. En août 2001, Mme Deslauriers a voulu éviter un voyage d’inspection d’une semaine en Gaspésie parce que le fonctionnaire avait planifié quitter le dimanche, alors qu’elle préférait voyager le lundi. Elle trouvait le voyage inutile et ne voulait pas voyager avec le fonctionnaire parce que ces voyages étaient généralement désagréables pour elle. De plus, elle ne voulait pas voyager avec Thomas Picard, un autre inspecteur ferroviaire, parce qu’il était un ami du fonctionnaire. Une dizaine de jours avant le voyage, M. Bourdon, le directeur général de Transports Canada pour la sécurité ferroviaire de la région de Québec, est venu à son bureau et elle lui a dit qu’elle devait partir en voyage avec le fonctionnaire. Spontanément, M. Bourdon lui a proposé le faux prétexte qu’il aurait besoin d’elle pour une réunion de santé et sécurité au travail pendant la semaine du voyage. Elle a donc réussi à éviter de faire le voyage en Gaspésie. Mme Deslauriers s’est sentie intimidée par l’obligation de quitter le dimanche.

102 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #1. L’inspection des trains dans un territoire éloigné (Abitibi, Lac Saint-Jean, Côte-Nord et Gaspésie) se fait habituellement par une équipe (trois employés ou plus) pour une période de cinq jours, communément appelée « blitz », pour éviter qu’un seul employé ait à se déplacer en région pendant plusieurs semaines. Le départ pour ce genre d’inspection peut se faire le dimanche et le retour le samedi afin de terminer l’inspection. Le fonctionnaire accompagne souvent ces blitz afin de garder un contact avec les clients qui font l’objet de l’inspection et de participer à l’inspection au besoin. En août 2001, un tel blitz a été organisé pour couvrir le Bas St-Laurent et la Gaspésie, nécessitant des arrêts à la Matapédia, Gaspé, Campbellton, New Richmond et Mont-Joli. Bref, il s’agissait d’un très long voyage. On a décidé à l’avance de procéder à cette inspection et celle-ci a été planifiée conjointement avec les compagnies ferroviaires. Mme Deslauriers souhaitait effectuer le voyage avec son véhicule personnel, alors que le fonctionnaire lui a dit qu’il serait préférable de voyager en train et de louer des véhicules sur place afin d’augmenter le ratio de productivité de la tournée d’inspection. Ce scénario n’a pas plu à Mme Deslauriers, qui a exprimé son grand mécontentement. Une semaine avant la date prévue du voyage, le fonctionnaire a reçu un courriel de M. Bourdon, lui demandant s’il était possible pour Mme Deslauriers de l’accompagner à une réunion liée à la santé et la sécurité au travail. Étant donné qu’il s’agissait de la demande d’un supérieur, le fonctionnaire a accepté que Mme Deslauriers ne fasse pas partie du voyage d’inspection. Mme Deslauriers n’a pas autrement communiqué au fonctionnaire qu’elle ne voulait pas voyager avec lui.

103 Voici la version de M. Sauvé de l’incident #1. Mme Deslauriers ne voulait pas faire le trajet en Gaspésie parce que le fonctionnaire avait décidé que l’équipe devait quitter le dimanche. Elle préférait ne pas quitter le dimanche. Elle en avait parlé à M. Bourdon, et ce dernier avait trouvé une excuse pour éviter qu’elle se déplace cette semaine-là.

Incident #2

104 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #2. Le 8 décembre 2003, le fonctionnaire l’a convoqué à son bureau pour avoir ses commentaires sur la tenue d’un concours d’inverse au mérite. Elle était surprise et a voulu en savoir plus, mais le fonctionnaire ne pouvait répondre à ses questions. Elle s’est alors adressée à M. Giguère, qui lui a dit qu’un tel concours n’était pas prévu; rien n’est survenu par la suite. Quand le fonctionnaire lui a parlé du concours d’inverse au mérite, Mme Deslauriers a pensé qu’il allait y avoir des coupures de poste et qu’elle allait devoir se requalifier.

105 Le fonctionnaire lui a ensuite demandé si elle connaissait bien ses dossiers, et lui a signalé qu’il s’attendait à ce qu’elle prenne le « lead », soit la gouverne de ses dossiers, et tout particulièrement une demande récente d’exemption par la compagnie ferroviaire Quebec North Shore and Labrador (QNS&L) en vertu de l’alinéa 5.1.1b) des Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d’exploitation ferroviaire (les « Règles »). Mme Deslauriers a été étonnée de l’attitude du fonctionnaire, puisque les demandes d’exemption étaient habituellement traitées par Mme Blais. Mme Blais possédait une bonne expérience des exemptions de chemin de fer, à la suite d’une collaboration spéciale avec l’administration centrale de Transports Canada quelques années auparavant. Une demande semblable avait été traitée à l’automne 2003 par Mme Blais, Mme Deslauriers et M. Pilon. Comme Mme Blais avait organisé une rencontre avec QNS&L et lui avait donné les renseignements nécessaires, Mme Deslauriers se disait en contrôle de son dossier. Le 8 décembre 2003, Mme Deslauriers ne comprenait pas ce qu’elle croyait être un reproche du fonctionnaire concernant la gouverne de ses dossiers. Selon Mme Deslauriers, c’est une habitude de Mme Blais de s’accaparer les dossiers, tout particulièrement un dossier de QNS&L parce qu’elle connaît bien l’entreprise. Mme Deslauriers a admis qu’elle n’avait pas peur de perdre son emploi mais qu’elle s’est sentie « menacée » et « insécurisée » par l’attitude du fonctionnaire pendant cette conversation.

106 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #2. Le 8 décembre 2003, Mme Deslauriers est venue d’elle-même le rencontrer à son bureau afin de discuter de certains dossiers qu’elle devait traiter. Pendant cette réunion, elle lui a demandé s’il avait des nouvelles au sujet du retrait de l’implication de l’unité Surface au programme de santé et sécurité au travail rattaché à l’industrie ferroviaire : en vertu d’un mémoire d’entente entre Transports Canada et le ministère du Développement des ressources humaines et du Développement des compétences, Transports Canada est chargé de l’application de la Partie II du Code canadien du travail pour les employés travaillant à bord des trains. Mme Deslauriers était la personne-ressource attitrée à ce dossier. Plusieurs scénarios de réaménagement opérationnels étaient envisagés, mais cela sans coupure de poste. M. Pilon avait déjà soulevé ce sujet avec M. Giguère et s’était fait confirmer qu’aucune coupure de personnel n’était envisagée pour l’unité Surface. Mme Deslauriers a alors fait part au fonctionnaire qu’elle souhaitait que cela n’en vienne jamais à un concours d’inverse au mérite, tel que vécu par la section d’ingénierie à la fin des années 1980. En tant que gestionnaire de la section de l’administration à l’époque, Mme Deslauriers avait trouvé ce processus très pénible pour les gens concernés. Le fonctionnaire lui a dit qu’un concours d’inverse au mérite était peu probable, puisque plusieurs personnes de l’unité étaient admissibles à la retraite et qu’une offre de retraite anticipée serait la voie privilégiée, sans compter que le facteur démographique d’une pénurie de personnel qualifié jouait en faveur d’une plus grande rétention des employés d’expérience.

107 Mme Deslauriers a enchaîné cette conversation en se plaignant que M. Pilon faisait peu de travail et que Mme Blais s’accaparait de tous les dossiers, au point de s’ingérer dans son travail. Puisque ce n’était pas la première fois que Mme Deslauriers se plaignait de cette situation, le fonctionnaire a suggéré qu’elle règle la situation directement avec ses collègues. Le fonctionnaire lui a alors mentionné qu’il avait observé lors d’un récent voyage à Sept-Îles son manque d’intérêt envers les initiatives de l’administration centrale relativement aux révisions du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada et les demandes d’exemption, ainsi que son manque d’implication aux discussions avec ses collègues. Le fonctionnaire est alors revenu sur la question de concours d’inverse au mérite, en soulignant que même si un tel concours n’était pas envisagé, Mme Deslauriers avait tout intérêt à évaluer sa performance par rapport aux autres et à garder ses connaissances à jour. Ce à quoi Mme Deslauriers a répondu que ce n’était pas sa faute, mais celle de ses collègues qui s’ingéraient dans ses dossiers. Le fonctionnaire a souligné qu’il avait eu à intervenir récemment à trois reprises concernant des désaccords entre Mme Deslauriers et ses collègues de travail, dont Mme Blais, M. Pilon et M. Boucher.

108 Voici la version de M. Giguère de l’incident #2. À l’automne 2003, M. Giguère a annoncé des compressions budgétaires aux gestionnaires de son équipe. Certains employés se sont sentis anxieux. Plusieurs sont venus le voir concernant la possibilité d’un concours d’inverse au mérite, dont M. Pilon. Mme Deslauriers était peut-être parmi ces employés, mais il ne s’en souvient pas. M. Giguère a dit à M. Pilon, comme à tous les employés qui sont venus le voir, qu’il n’y aurait pas de tel concours et qu’il y avait d’autres façons d’envisager les choses, dont, le cas échéant, de procéder par attrition.

Allégation 2 : À plusieurs occasions, Mme Deslauriers s’est sentie dénigrée, abaissée et humiliée.

Cette allégation comprend cinq incidents.

Incident #1 : Du 29 septembre au 5 octobre 1996, à Moncton au Nouveau-Brunswick, lors d’une formation avec d’autres collègues, le fonctionnaire ne lui a pas adressé la parole. Pendant le déplacement aller-retour en fourgonnette, le fonctionnaire a complètement nié sa présence.

Incident #2 : En mars 2002, lors d’un voyage d’une semaine à Gananoque en Ontario, le fonctionnaire l’a ignorée pendant le trajet et l’a évitée pendant la semaine de formation.

Incident #3 : Le 11 décembre 2003, le fonctionnaire lui a envoyé un courriel dans lequel il lui reproche sa façon de traiter un dossier. Les collègues de Mme Deslauriers ont reçu une copie conforme du courriel.

Incident #4 : Le 19 décembre 2003, Mme Deslauriers a fait une demande de congé compensatoire. Le fonctionnaire lui a répondu sur un ton fort et agressif devant d’autres employés.

Incident #5 : Le 26 janvier 2004, le fonctionnaire a demandé à M. Pilon de présenter Mme Deslauriers à Pierre Delorme plutôt que de le faire lui-même.

Incident #1

109 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #1. Pendant un voyage à Moncton du 29 septembre au 2 octobre 1996, avec Mme Blais, M. Pilon, M. Sauvé et le fonctionnaire, ce dernier ne lui a pas beaucoup adressé la parole; il s’en est tenu à des propos généraux. Mme Deslauriers était assise dans la troisième rangée de la fourgonnette avec M. Sauvé alors que le fonctionnaire était le chauffeur. Mme Deslauriers a ajouté que c’était bien connu au bureau que le fonctionnaire ne lui adressait pas la parole.

110 À l’audience, Mme Deslauriers a expliqué le sens de sa plainte comme suit :

Je voulais clarifier son attitude à mon égard par rapport aux autres. Il ne s’adressait pas à moi. Il parlait aux autres. Lors des voyages, il ne m’adressait pas la parole. Il parlait à mes collègues mais pas à moi. Il n’y avait rien d’amical entre lui et moi.C’était juste professionnel. Je me sentais mise à part.

[Je souligne]

111 Selon Mme Deslauriers, le froid entre elle et le fonctionnaire n’était pas apparent aux yeux des autres voyageurs. Après ce voyage, elle a invité le fonctionnaire à prendre le café quelques fois; il n’a accepté qu’une fois.

112 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #1. Le fonctionnaire dit se souvenir très bien du voyage à Moncton. Le but était d’assister à une formation ponctuelle sur le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada, l’outil de travail principal de l’équipe d’exploitation. Mme Blais, M. Pilon, M. Sauvé et Mme Deslauriers étaient aussi de la partie. Étant originaire du Nouveau-Brunswick, le fonctionnaire a organisé des visites en soirée dans les environs de Moncton, dont la côte magnétique de Moncton, le Fort Beauséjour, et une dégustation de homard. Le fonctionnaire a déposé en preuve plusieurs photos des employés prises lors de son voyage, où tous semblent bien s’amuser.

113 Voici la version de Mme Blais de l’incident #1. Mme Blais a témoigné que le voyage a été très agréable, qu’ils ont eu beaucoup de plaisir, et que ceci se voit sur les photos prises par le fonctionnaire.

114 Voici la version de M. Sauvé de l’incident #1. Le voyage au Nouveau-Brunswick a été sans incident et Mme Deslauriers ne s’en est jamais plaint.

Incident #2

115 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #2. Pendant un voyage à Gananoque, où étaient présents M. Pilon, Mme Blais, M. Richer, M. Rollet, le fonctionnaire et elle-même, le fonctionnaire l’a évité alors qu’il parlait à d’autres employés et a pris les déjeuners et pauses-café avec Mme Blais et M. Pilon. Mme Deslauriers a tenté de lui adresser la parole sans succès. Elle s’est sentie seule, mais n’a pas soulevé cette situation avec le fonctionnaire avant de déposer sa plainte. Mme Deslauriers a témoigné que le fonctionnaire ne s’adressait pas beaucoup à elle, mais recherchait la compagnie de Mme Blais, M. Pilon et M. Roy. C’était très désagréable pour elle.

116 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #2. La formation à Gananoque se tenait du lundi matin au vendredi après-midi et, par conséquent, les employés devaient voyager le dimanche. Le fonctionnaire a précisé qu’il a eu un désaccord avec M. Sauvé, avant le départ, concernant le mode de déplacement. En raison d’une activité familiale le dimanche, la soirée du départ, M. Sauvé voulait voyager avec son véhicule personnel au taux de déplacement de 0,42 $ le kilomètre et arriver tard en soirée au lieu de voyager avec le groupe en camionnette louée. Le fonctionnaire lui a donné deux options: prendre le train le lendemain matin ou voyager avec son véhicule personnel au taux de 0,13 $ le kilomètre, le taux prévu comme étant le déplacement à la demande de l’employé. M. Sauvé a informé le fonctionnaire qu’il n’assisterait à la formation que s’il lui était permis de voyager au taux de 0,42 $ le kilomètre ou s’il pouvait louer un véhicule. Le fonctionnaire a considéré la demande de M. Sauvé inacceptable puisque les autres employés voyageaient à bord d’un véhicule commun loué pour l’occasion. Il a été convenu que M. Sauvé resterait au bureau et suivrait la formation à une date ultérieure. Au début de la semaine de formation, Mme Deslauriers a informé le fonctionnaire que son conjoint entendait déposer une plainte de harcèlement à l’égard du fonctionnaire en raison du refus d’accéder à la demande de déplacement. Le fonctionnaire a été troublé par la déclaration de Mme Deslauriers et a décidé de se tenir à l’écart d’elle afin d’éviter tout autre incident. Le fonctionnaire a dit qu’il a rencontré M. Sauvé par la suite; ils se sont expliqués et la situation s’est résorbée.

117 Voici la version de M. Pilon de l’incident #2. M. Pilon n’a rien remarqué d’anormal entre le fonctionnaire et Mme Deslauriers. La fourgonnette était bien pleine, au point d’être inconfortable, mais tout s’est déroulé sans incident.

118 M. Pilon a ajouté qu’en 2003, l’équipe a fait un voyage à Vancouver en Colombie-Britannique pour une conférence. Les employés avaient le choix de quitter soit le samedi, afin de réduire les frais de déplacement, soit le lundi. Mme Deslauriers a choisi, comme tous les autres, de passer la fin de semaine à Vancouver afin de participer aux visites organisées par le fonctionnaire. Après les visites, le fonctionnaire a soupé avec des amis. Les autres employés sont allés prendre l’apéritif et le souper, puis se sont rendus dans une discothèque. La soirée a été bien arrosée et les photos que M. Pilon a prises de Mme Deslauriers l’attestent.

Incident #3

119 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #3. Le 11 décembre 2003, le fonctionnaire lui a envoyé un courriel lui reprochant son manque de rigueur dans l’analyse d’une demande d’exemption de QNS&L. Mme Deslauriers a été offusquée des reproches du fonctionnaire parce que, selon elle, ce dossier avait été discuté lors d’un voyage de groupe à Sept-Îles en octobre 2003. Jacques Clavette, la personne-ressource de Mme Deslauriers chez QNS&L, lui avait téléphoné en août et le voyage avait comme but de « régler ces problèmes-là ». Une fois rendue sur les lieux, l’équipe a suggéré à M. Clavette de faire une demande d’exemption pour régler la situation.

120 Mme Deslauriers a consulté Mme Blais et M. Pilon avant d’envoyer sa réponse par courriel le 10 décembre 2003 à M. Hunter à l’administration centrale. Une demande semblable de VIA Rail avait été acceptée récemment. Selon Mme Deslauriers, la demande d’exemption était pleinement justifiée par la soumission détaillée de QNS&L. Mme Deslauriers a considéré le courriel du 11 décembre 2003 comme une réprimande injustifiée, qui l’humiliait face à ses collègues.

121 Le 19 décembre 2003, Mme Deslauriers attendait l’arrivée du fonctionnaire pour discuter avec lui de l’échange de courriels du 11 décembre 2003. Le jour précédent, Mme Deslauriers avait rencontré M. Faust et lui avait mentionné la situation qu’elle vivait avec le fonctionnaire. Le 19 décembre 2003, elle a eu une conversation avec le fonctionnaire pour lui demander un congé pour le lundi suivant. Le fonctionnaire le lui a accordé sur un ton qu’elle a considéré déplaisant et il n’a pas été question de l’échange de courriels. Le fonctionnaire est retourné dans son bureau et en a fermé la porte. Le fonctionnaire a ensuite quitté le bureau pour la fête de Noël, sans lui adresser la parole. Dans le but d’amenuiser ce qu’elle comprenait être une mésentente de travail, Mme Deslauriers a rencontré M. Giguère et a marché avec lui vers le restaurant où se tenait la fête de Noël ce jour-là. Elle espérait que M. Giguère puisse régler la situation pour elle. À la fête de Noël, Mme Deslauriers faisait partie de la même équipe de quilles que le fonctionnaire; tout s’est bien déroulé, sans qu’il y ait mention de l’incident des courriels.

122 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #3. Le voyage à Sept-Îles en octobre 2003 était un voyage avec toute l’équipe de l’exploitation (le fonctionnaire, Mme Blais, M. Pilon et Mme Deslauriers). Ils ont discuté de la « Règle 82.1 » concernant la période de repas obligatoire, le sujet d’une autre demande d’exemption de QNS&L. Mme Deslauriers s’est peu intéressée à la discussion. Le 12 novembre 2003, Transports Canada a reçu une demande d’exemption, en vertu de l’alinéa 5.1.1b) des Règles visant le temps de travail et de repos du personnel d’exploitation ferroviaire. Comme cette demande relevait de la région du Québec, elle a été envoyée au fonctionnaire pour étude et recommandation. Cette demande étant associée au territoire de Mme Deslauriers, le fonctionnaire la lui a assignée. Par coïncidence, la demande d’exemption est arrivée peu de temps avant la rotation de territoire entre les membres de l’équipe de l’exploitation. Le 8 décembre 2003, Mme Deslauriers a demandé au fonctionnaire que la demande de QNS&L soit assignée à M. Pilon, puisqu’il était le prochain responsable du territoire. Le fonctionnaire a décidé que Mme Deslauriers devait compléter l’étude du dossier parce que la demande était arrivée pendant sa rotation.

123 Lors de cet entretien, la conversation a dévié sur la question des responsabilités de Mme Deslauriers en tant que responsable de santé et sécurité au travail (10 % de ses fonctions) en raison d’un éminent réaménagement centralisé des effectifs dans ce domaine d’activités. Mme Deslauriers était inquiète que son poste soit affecté. Le fonctionnaire l’a rassurée que le changement affecterait la répartition de ses tâches, mais pas son poste. Il lui a dit qu’elle avait intérêt à garder ses connaissances à jour et à s’impliquer dans ses dossiers, et qu’il avait le devoir comme gestionnaire de le lui rappeler. À la fin de cet entretien, Mme Deslauriers s’est dite fort mécontente d’avoir à compléter le dossier de la demande d’exemption.

124 Le fonctionnaire a expliqué que la pratique habituelle veut que la personne assignée à un dossier consulte ses collègues de la section pour obtenir leurs commentaires et produise une analyse détaillée qui permette à l’administration centrale de faire une évaluation du risque lié à la demande. La réponse doit faire l’objet d’une consultation avec le fonctionnaire avant d’être envoyée. Le 8 décembre 2003, plutôt que de suivre la pratique habituelle, Mme Deslauriers a répondu à la demande d’exemption en faisant référence à une exemption accordée à une autre entreprise ferroviaire, sans fournir une analyse spécifique à l’opération de QNS&L. Devant ce manque d’information, le fonctionnaire a demandé à Mme Deslauriers de fournir une explication détaillée de ses arguments concernant le dossier. Les collègues de Mme Deslauriers ont reçu une copie du courriel en raison de leur participation au dossier.

125 Dans un retour de courriel, Mme Deslauriers s’est plainte d’un « revirement d’attitude à son égard ». Le fonctionnaire lui a répondu qu’il s’agissait d’une « mise au point pour action future ». Dans un courriel en date du 16 décembre 2003, Mme Deslauriers lui a écrit qu’elle ne comprenait pas le sens de sa demande de précision puisque le raisonnement était compris dans le document provenant de l’entreprise ferroviaire déjà transmis à l’administration centrale. Le 17 décembre 2003, Mme Deslauriers a téléphoné au fonctionnaire, alors qu’il était en réunion à Ottawa, pour discuter de cette question et se plaindre d’une réprimande. Le fonctionnaire lui a dit qu’il ne s’agissait pas d’une réprimande et a offert d’en discuter avec elle à son retour au bureau. Le fonctionnaire est retourné au bureau le 19 décembre 2003, jour de la fête de Noël, et il n’a pas eu le temps d’en discuter avec elle. Le fonctionnaire et Mme Deslauriers faisait partie de la même équipe de quilles et tout le monde s’est amusé sans que cet incident soit soulevé.

126 Le fonctionnaire a précisé qu’une demande d’exemption à une règle de sécurité peut avoir des conséquences graves et qu’elle doit être analysée en fonction des paramètres opérationnels de l’entreprise en question. Dans le cas de QNS&L, l’entreprise ferroviaire exploitait un chemin de fer en région éloignée entre Sept-Îles et Shefferville, tandis que la demande de VIA Rail accordée précédemment concernait un train de voyageurs interurbain à grande vitesse. Puisque le travail de chaque inspecteur a un impact sur l’uniformité des décisions prises au niveau régional et national, le partage de l’analyse d’une situation avant d’émettre une opinion permet d’harmoniser l’ensemble des décisions que prennent les inspecteurs. Même si la recommandation de Mme Deslauriers était d’accorder la demande d’exemption, Mme Deslauriers devait tout de même faire l’analyse du dossier au regard des besoins opérationnels particuliers de QNS&L.

127 Voici la version de Mme Blais de l’incident #3. Mme Deslauriers sollicitait beaucoup l’aide de Mme Blais et du fonctionnaire dans l’analyse de ses dossiers. Elle demandait systématiquement à Mme Blais de revoir ses lettres. Mme Blais devait revoir non seulement les erreurs de grammaire et d’orthographe de Mme Deslauriers, mais souvent le contenu de la lettre, au point où il lui semblait faire le travail de Mme Deslauriers. Mme Deslauriers s’est plainte au fonctionnaire que Mme Blais s’accaparait de ses dossiers, puis l’a nié à Mme Blais. Quant à la demande d’exemption de QNS&L du 12 novembre 2003, Mme Blais a donné son opinion à Mme Deslauriers, mais sa participation s’est arrêtée là parce qu’elle était « tannée » de faire le travail de Mme Deslauriers. À son avis, la réponse de Mme Deslauriers à la demande d’exemption « manquait de viande ». Selon Mme Blais, il était coutume de revoir toute opinion concernant une demande d’exemption avec le gestionnaire avant de l’envoyer au responsable de la réponse officielle à l’administration centrale.

128 Mme Blais a témoigné qu’il ne pouvait être question de discuter de la demande d’exemption de QNS&L en vertu de l’alinéa 5.1.1b) des Règles au moment du voyage à Sept-Îles, en octobre, puisque la demande a été reçue le 12 novembre 2003. Lors du voyage, les demandes d’exemption de QNS&L ont été discutées généralement, mais pas celle-là. Mme Blais a donné une opinion à Mme Deslauriers concernant ce dossier, mais il revenait à Mme Deslauriers de préparer la justification selon les circonstances propres au chemin de fer, même si, en bout de ligne, l’exemption était recommandée. Mme Blais était habituée au style télégraphique des courriels du fonctionnaire et celui adressé à Mme Deslauriers ne l’aurait pas offusquée.

129 Voici la version de M. Pilon de l’incident #3. M. Pilon a témoigné qu’il consultait le fonctionnaire avant d’émettre une opinion concernant une demande de dérogation aux Règles. La pratique était que les inspecteurs se consultaient entre eux avant d’émettre une opinion. Mme Deslauriers dépendait beaucoup de ses deux collègues pour l’analyse de ses dossiers et les aidait peu avec leurs dossiers. La justification demandée à Mme Deslauriers concernant la demande de dérogation ne l’a pas surpris parce que la réponse ne comprenait aucune analyse. Une réponse contient habituellement une élaboration des motifs pour la recommandation et la façon dont les Règles doivent s’appliquer. La réponse de Mme Deslauriers n’expliquait rien. De plus, QNS&L était un chemin de fer très surveillé.

130 M. Pilon n’a pas été surpris que le fonctionnaire demande à Mme Deslauriers de justifier sa réponse. Il a vu la demande de justification comme une prise en charge des lacunes de Mme Deslauriers qui, lors d’un changement de territoire, transmettait des dossiers souvent incomplets ou inachevés, contrairement à Mme Blais, qui tenait sans exception des dossiers impeccables.

131 M. Pilon a dit qu’effectivement, lui et Mme Blais avaient collaboré avec Mme Deslauriers concernant la réponse à la demande d’exemption de QNS&L, mais de façon limitée. M. Pilon s’est retenu de participer pleinement parce qu’à plusieurs reprises Mme Deslauriers n’avait pas participé à ses demandes. Selon M. Pilon, Mme Deslauriers participait généralement peu dans les dossiers et dépendait de l’opinion du fonctionnaire, de ses collègues, et très souvent de M. Sauvé, pour des renseignements techniques, même si ce n’était pas le travail de ce dernier.

132 M. Pilon a témoigné que, pendant le voyage à Sept-Îles en octobre 2003, il y a eu des discussions sur plusieurs demandes d’exemption, et en particulier, sur une demande provenant de l’Association des chemins de fer. La demande ne venait pas de QNS&L. Il ne pouvait être question d’une demande de QNS&L en vertu de l’alinéa 5.1.1b) des Règles parce que cette demande n’a été reçue que le 12 novembre 2003. Si Mme Deslauriers était au courant d’une demande, elle n’en a parlé à personne. Lors du voyage, Mme Deslauriers n’a pas participé à la discussion des dossiers; elle lisait des journaux.

Incident #4

133 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #4. Mme Deslauriers a reproché au fonctionnaire de lui avoir parlé sur un ton agressif le 19 décembre 2003 pour ce qui est d’une demande de congé. Le fonctionnaire lui a demandé de voir à se faire remplacer durant son absence, puis a autorisé le congé sans revenir sur cette question.

134 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #4. À la suite de la réussite d’un projet pilote régional nommé « Inspecteur mobile » dans la section Transports de marchandises dangereuses, le directeur régional a demandé aux gestionnaires, lors d’une réunion de gestion en novembre 2003, de sonder le terrain avec les employés de chaque section en vue de la mise en œuvre d’un projet semblable, mais adapté. Le concept d’inspecteur mobile suppose que chaque inspecteur est équipé d’un télécopieur, d’un modem et d’un photocopieur à la maison et peut y travailler pour traiter certains dossiers. Les employés de la section gérée par le fonctionnaire ont adopté cette façon de travailler. La venue d’un nouveau ministre posait toutefois certains défis, dont celui d’être en mesure de répondre ponctuellement aux demandes de renseignements et de fournir un support aux questions ministérielles posées par l’administration centrale. En consultation avec les employés, un horaire a été établi pour qu’à tour de rôle, dans chacune des deux équipes de l’unité, un employé soit présent au bureau en tout temps pendant les heures normales de travail. Le fonctionnaire a demandé que les heures normales de travail soient entre 8 h et 16 h afin de répondre aux demandes qui arrivaient tard en après-midi. La plupart des employés avaient un horaire entre 7 h et 17 h. Toutefois, Mme Deslauriers et M. Sauvé travaillaient depuis un certain temps de 6 h à 14 h, malgré certains avertissements du fonctionnaire de se conformer aux heures établies. Après discussions, un compromis a été négocié, permettant aux employés de travailler à compter de 7 h, mais en travaillant plus tard si une demande urgente survenait.

135 Mme Deslauriers a exprimé son mécontentement concernant ces heures de travail, car, disait-elle, cet horaire était en conflit avec ses cours de natation et d’aérobie, qui débutaient à 15 h 30. Le fonctionnaire a jugé que cette raison était injustifiée pour modifier les heures normales de travail et a maintenu un horaire débutant à 7 h.

136 Après la mise en œuvre de cette nouvelle procédure de travail, Mme Deslauriers a fait une demande de congé. Le fonctionnaire lui a mentionné qu’elle devait l’aviser s’il y avait un conflit entre le congé et son assignation au bureau, afin qu’il puisse couvrir les urgences en son absence. Le fonctionnaire a dû donner beaucoup d’explications à Mme Deslauriers avant qu’elle comprenne le sens de sa demande. Il nie qu’il ait élevé le ton ou manqué de politesse envers elle.

137 Voici la version de M. Giguère de l’incident #4. M. Giguère a témoigné que le fonctionnaire est un homme imposant qui peut parler sur un ton sec, sans toutefois être fâché. M. Giguère occupait le bureau adjacent à celui du fonctionnaire et non loin de celui de Mme Deslauriers. Il était présent au bureau le matin du 19 décembre 2003. Il a dit ne pas avoir entendu le fonctionnaire ou Mme Deslauriers élever la voix. Mme Deslauriers ne lui a fait aucune mention de cet incident lorsqu’ils ont marché ensemble pour se rendre à la fête de Noël.

138 Voici la version de M. Sauvé de l’incident #4. M. Sauvé dit avoir entendu l’échange entre le fonctionnaire et Mme Deslauriers concernant la demande de congé compensatoire le 19 décembre 2003. Le fonctionnaire a répondu d’un ton sec, mais pas agressif. Mme Deslauriers était agitée.

139 Voici la version de M. Pilon de l’incident #4. M. Pilon dit ne pas se souvenir d’un échange entre le fonctionnaire et Mme Deslauriers concernant une demande de congé.

Incident #5

140 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #5. Le 26 janvier 2004, lors de la visite de M. Delorme dans leur unité, le fonctionnaire a présenté tous les autres employés, mais, rendu à Mme Deslauriers, il a demandé à M. Pilon de le faire. Mme Deslauriers a considéré ce geste comme un manque de professionnalisme et s’est sentie mise de côté.

141 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #5. Le 26 janvier 2004, M. Delorme, gestionnaire attitré au programme de santé et de sécurité au travail de l’administration centrale, était dans les bureaux de la section pour donner une formation. En tant que première responsable des dossiers de santé et de sécurité au travail, Mme Deslauriers faisait souvent affaire avec lui. Le fonctionnaire est allé chercher M. Delorme à la porte et a commencé à le présenter à certains employés. Lorsque M. Pilon s’est joint à eux, le fonctionnaire lui a demandé de continuer les présentations parce qu’il avait une urgence à couvrir. Le fonctionnaire dit qu’il aurait de toute façon été inconfortable de présenter Mme Deslauriers, compte tenu qu’elle lui avait fait connaître un mois plus tôt son intention de déposer une plainte de harcèlement contre lui. De plus, il n’était plus son supérieur hiérarchique. Le fonctionnaire ne s’est pas souvenu de la nature de l’urgence qu’il a eu à traiter.

142 Voir la version de M. Pilon de l’incident #5. M. Pilon a dit qu’il était mal à l’aise de devoir présenter Mme Deslauriers car ils ne se parlaient plus depuis l’annonce qu’elle allait déposer une plainte de harcèlement contre le fonctionnaire.

Allégation 3 : Mme Deslauriers s’est sentie mise de côté par le fonctionnaire et celui-ci lui a nui intentionnellement dans son travail.

Cette allégation comprend cinq incidents.

Incident #1 : À compter de janvier 2004, le fonctionnaire n’envoyait pas les courriels ou documents nécessaires à Mme Deslauriers pour effectuer son travail.

Incident #2 : En octobre 2004, le fonctionnaire a retenu sans justification des renseignements dont Mme Deslauriers avait besoin pour une rencontre.

Incident #3 : Depuis 1995, le fonctionnaire n’a pas proposé à Mme Deslauriers de faire partie de comités et de rencontres avec des clients, et ne lui a pas confié de projets.

Incident #4 : Le fonctionnaire n’a pas avisé les collègues de travail de Mme Deslauriers au moment du décès de sa belle-mère.

Incident #5 : Le fonctionnaire utilisait les collègues de Mme Deslauriers pour lui transmettre des renseignements plutôt que de les lui dire directement.

Incident #1

143 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #1. Mme Deslauriers a allégué que le fonctionnaire a volontairement retiré son nom de la liste de distribution des courriels de la Section de l’exploitation, ce qui l’a empêchée de bien faire son travail et d’être pleinement préparée pour certaines rencontres. Après le changement de supervision, les documents acheminés par le fonctionnaire devaient passer par le superviseur temporaire de Mme Deslauriers avant de lui être acheminé, soit, M. Giguère entre janvier et avril 2004, M. Boulanger entre avril et l’automne 2004 et Mme Gagnon depuis l’automne 2004.

144 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #1. Depuis que Mme Deslauriers avait demandé d’être supervisée par un autre gestionnaire, il envoyait de façon systématique toute l’information pertinente à son superviseur afin qu’il puisse coordonner ses activités. En mars 2004, M. Giguère préparait son départ pour un autre emploi et a demandé au fonctionnaire d’acheminer l’information directement à Mme Deslauriers pendant la période de transition. En avril 2004, M. Boulanger a pris la relève de M. Giguère. M. Boulanger et le fonctionnaire se sont entendus pour que le fonctionnaire envoie l’information directement à M. Boulanger comme suit :

[…]

TRANSFERT DU TERRITOIRE NUMÉRO II À M. BOULANGER

À partir de vendredi le 16 avril 2004, madame Colette Deslauriers se rapporte au gestionnaire des Systèmes de gestion de la sécurité, monsieur Martin Boulanger.

Le présent document a pour but de délimiter les responsabilités de gestion pour les deux gestionnaires, ainsi que d’assurer l’uniformité d’application du programme régional de l’Exploitation ferroviaire.

1.0) Responsabilité du territoire numéro II de l’exploitation ferroviaire

Monsieur Boulanger sera responsable de la supervision du territoire numéro II […] en entier. Lorsque des plaintes seront acheminées à monsieur Robitaille, concernant le territoire desservi pas madame Deslauriers, celui-ci en avisera monsieur Boulanger qui prendra les mesure nécessaires au traitement de la plainte. Monsieur Robitaille sera copié sur toute correspondance vis-à-vis le traitement des plaintes traitées par madame Deslauriers. Quand monsieur Boulanger recevra les plaintes liées au territoire numéro II, il copiera monsieur Robitaille conformément.

[…]

4.0) Partage des informations liées à la section Exploitation

Lors de demandes de l’administration centrale pour des commentaires vis-à-vis des règles à approuver ou modifier. Monsieur Robitaille fournira l’information à monsieur Boulanger qui fera en sorte madame Deslauriers fournisse l’information pertinente et appropriée. Monsieur Boulanger fournira ensuite l’information se rapportant à la requête à monsieur Robitaille pour que celui-ci fasse un suivi approprié du dossier. Copie conforme des dénouements du dossier sera fournie à monsieur Boulanger.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[Je souligne]

Cette entente est toujours en vigueur. Les responsabilités ont été transférées à Mme Gagnon, qui est maintenant la directrice de la section.

145 Voici la version de M. Giguère de l’incident #1. Lorsque M. Giguère a décidé que Mme Deslauriers allait relever de lui, il croyait que ce serait à court terme et, donc, n’avait impliqué personne d’autre que lui-même. La supervision de Mme Deslauriers n’avait rien de formel à ce moment-là. M. Giguère a demandé au fonctionnaire de continuer à envoyer le matériel électronique directement à Mme Deslauriers. Un peu plus tard, le fonctionnaire s’est mis à acheminer le matériel directement à M. Giguère, pour transmission à Mme Deslauriers. M. Giguère ne s’est pas souvenu s’il a omis de transmettre certains renseignements à Mme Deslauriers ou s’il n’avait pas reçu le matériel du fonctionnaire.

146 Après quelques semaines, se disant que le conflit entre Mme Deslauriers et le fonctionnaire n’allait pas se régler de sitôt, M. Giguère a décidé de demander l’aide d’un autre gestionnaire. Il a demandé à M. Boulanger d’assumer la supervision de Mme Deslauriers et M. Boulanger a accepté. À une ou deux reprises, M. Boulanger lui a souligné qu’il ne recevait pas tout le matériel à envoyer à Mme Deslauriers; de là l’entente pour régler cette situation. Il a fallu du temps pour s’entendre sur un modus operandi, puisque M. Boulanger et le fonctionnaire ne partageaient pas toujours les mêmes opinions.

Incident #2

147 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #2. Le fonctionnaire a omis de lui transmettre une nouvelle étiquette d’avertissement de danger qu’il aurait obtenu à une réunion où elle n’était pas présente.

148 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #2. Le fonctionnaire a mentionné qu’il a reçu, à la suite d’une réunion en octobre 2004, une nouvelle étiquette à utiliser dans des cas où un agent de santé et de sécurité déclarait une machine non-utilisable, une situation qui ne s’est pas produite depuis les 15 ans qu’il travaille à Transports Canada. Après la réunion, il a remis l’étiquette à M. Pilon, en lui demandant de communiquer avec Mme Gagnon, puisque ni celle-ci ni Mme Deslauriers était présente à cette réunion. Lorsque Mme Gagnon a demandé par courriel au fonctionnaire quelques semaines plus tard où étaient passée l’étiquette, le fonctionnaire a répondu qu’il l’avait remise à M. Pilon. La nouvelle étiquette, a-t-il expliqué, n’était qu’une réimpression de l’ancienne avec des changements mineurs. Elle n’invalidait pas l’ancienne étiquette. Ce changement n’avait aucun impact sur la sécurité des chemins de fer ou le travail d’un inspecteur de sécurité ferroviaire.

149 Voici la version de M. Pilon de l’incident #2. L’étiquette d’avertissement de danger n’a jamais servi. Elle s’applique dans le cas d’un refus de travail et ne s’applique pas au travail des inspecteurs de l’exploitation puisqu’elle sert à empêcher le fonctionnement des machines fixes. Il a dit avoir retardé à faire circuler l’étiquette. M. Pilon a témoigné que le fonctionnaire pouvait être inconstant dans l’envoi de ses courriels et que, quelques fois, le fonctionnaire oubliait de mettre certains employés en copie conforme, même M. Pilon. Ses collègues de travail lui passaient l’information sans autre formalité.

Incident #3

150 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #3. Mme Deslauriers s’est plainte de ne pas avoir eu la chance de participer à des activités professionnelles ou des projets au même titre que les autres employés de la section et que M. Pilon et Mme Blais ont eu plus d’occasions qu’elle.

151 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #3. Le fonctionnaire a témoigné qu’il consulte l’employé qui est le principal responsable d’un secteur d’activité, au besoin. Dans le cas de Mme Deslauriers, il la consultait pour ce qui est des aspects liés à la santé et sécurité au travail. Le fonctionnaire a démontré qu’au contraire, Mme Deslauriers avait participé à plusieurs activités, dont les suivantes, qui ont fait partie de sa déclaration aux enquêteurs :

[…]

a) En 2003, la plaignante a participé à des vérifications au niveau des systèmes de gestion de la sécurité d’un exploitant ferroviaire majeur. Elle était sous la supervision de monsieur Martin Boulanger, Gestionnaire – examen des systèmes de sécurité du bureau. Ce détachement a permis à la plaignante de se familiariser et de contribuer à une nouvelle approche du Ministère en matière de contrôle de la sécurité ferroviaire.

b) En février 2001, la plaignante a travaillé à plein temps sur l’élaboration d’un bref de poursuite avec monsieur André Sauvé de la section Matériel roulant ferroviaire. Un effort considérable a du être déployé à cet effet.

c) Pendant l’exercice financier 2000/2001, la plaignante a effectué un projet spécial de plusieurs mois sur la protection des travaux en voie (Règle 40.1 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada). Pendant cette période, elle a travaillé avec monsieur Venance Boucher, de la section Ingénierie, à évaluer le niveau de sécurité des pratiques de diverses compagnies ferroviaires.

d) En février 2000, la plaignante a participé en tant que membre active au comité national sur l’élaboration d’un système informatique lié à l’application du programme santé et sécurité de la sécurité ferroviaire. Ce comité était chapeauté par le bureau chef.

e) La plaignante est Coprésidente (délégué les employés) du comité local de santé et sécurité au travail de notre bureau. À titre de Coprésidente, elle est la personne ressource pour les employés en ce qui à trait à la responsabilité de l’employeur vis-à-vis la partie II du Code canadien du travail. Elle a aussi participé à la conception d’une vidéo visant la santé et sécurité au travail en collaboration avec le bureau chef.

f)   La plaignante a agi à titre de gestionnaire intérimaire des sections Exploitation et matériel roulant ferroviaire à au moins 2 reprises.

g) La plaignante est la coordonnatrice en ce qui a trait à la disponibilité des agents de sécurité lors des fins de semaine. Une rotation est établie parmi les employés qui se portent volontaire, afin d’assurer un service d’urgence en dehors des heures régulières de bureau. Elle est aussi responsable des rapports trimestriels relatifs à la santé et sécurité au travail

h) La plaignante est membre active du comité technique interministériel régional en santé et sécurité au travail du ministère des Ressources humaines et développement des compétences Canada (RHDCC) depuis mai 2000.

i)   La plaignante est membre active du Comité sur les procédures d’enquêtes de RHDCC depuis octobre 1998. Ce comité se rencontre semi-annuellement et la dernière rencontre a eu lieu en février 2004.

j)   La plaignante est déléguée régionale sur le comité de refonte visant le programme de santé et de sécurité au travail. Cette initiative, qui a débutée en 2004, est chapeautée par notre bureau chef et effectuée conjointement avec des délégués de chaque région.

     […] elle a été invitée et a participé à tous les colloques de la section Exploitation ferroviaire, dont le dernier s’est tenu à Victoria en Colombie Britannique en mai 2003. Elle a aussi participé à une conférence nationale des inspecteurs tenue à Ottawa en juin 1999 […] [et] aux colloques sur la sécurité ferroviaire du Groupe TRAQ (Transports sur rails au Québec) tenus à Ste-Foy annuellement.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

Incident #4

152 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #4. Lors du décès de sa belle-mère, Mme Deslauriers en a avisé le fonctionnaire, mais celui-ci n’a pas donné suite à cette annonce. Elle a donc été privée à cette occasion de la présence de ses collègues de travail et d’une reconnaissance du comité social.

153 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #4. Le fonctionnaire n’a aucun souvenir du décès de la belle-mère de Mme Deslauriers ou d’avoir omis d’informer les collègues de Mme Deslauriers de ce décès.

Incident #5

154 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #5. Mme Deslauriers a allégué qu’elle a tenté de rétablir les relations avec le fonctionnaire à plusieurs reprises depuis 1995, mais sans succès. Bien que d’autres employés de la section étaient au courant de la situation, ils ne s’en mêlaient pas; ils lui transmettaient l’information qui leur parvenait du fonctionnaire. Le fonctionnaire évitait de lui parler, sauf pour les rencontres liées à l’évaluation annuelle du rendement où le fonctionnaire ne lui demandait que sa signature sur le document.

155 Mme Deslauriers a admis qu’elle n’a jamais eu une mauvaise évaluation du rendement de la part du fonctionnaire, qu’il lui a permis de suivre des formations, qu’il lui autorisait du temps supplémentaire et des congés compensatoires, sinon plus que les autres, et qu’elle l’a remplacé au moins une fois pendant ses absences.

156 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #5. Le fonctionnaire a expliqué qu’en l’absence d’exemples concrets, il ne pouvait répondre à l’allégation qu’il utilisait les collègues de travail de Mme Deslauriers pour lui transmettre de l’information afin d’éviter de lui parler directement. Le fonctionnaire souligne que cette allégation est en contradiction avec celle de Mme Deslauriers selon laquelle elle exprime que c’est en décembre 2003 qu’il y a eu un changement d’attitude à son égard.

157 Le fonctionnaire a ajouté que l’allégation à l’effet qu’il ne discutait pas avec Mme Deslauriers du contenu de son évaluation annuelle de rendement contredit sa pratique habituelle de demander à tous ses employés s’ils ont des commentaires ou quelque chose à ajouter à l’évaluation. Mme Deslauriers ne lui a jamais reproché ce défaut avant de déposer sa plainte.

158 Voici la version de Mme Blais de l’incident #5. Tout allait bien dans l’équipe jusqu’en décembre 2003. Par contre, le fait que M. Sauvé donnait très souvent son opinion concernant les dossiers de Mme Deslauriers créait passablement de difficultés au sein de l’équipe.

Allégation 4 : Le fonctionnaire a harcelé et agressé sexuellement Mme Deslauriers.

Cette allégation comprend deux incidents.

Incident #1 : Le 4 avril 1995, dans un motel de Grand-Mère, le fonctionnaire a agressé sexuellement Mme Deslauriers.

Incident #2 : Le 12 juin 1995, dans un train de VIA Rail Canada, le fonctionnaire a tenté d’embrasser Mme Deslauriers à trois reprises.

Incident #1

159 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #1. Mme Deslauriers a admis avoir eu des relations amicales avec le fonctionnaire jusqu’en 1995. Ils allaient souvent déjeuner ensemble. Après le souper de Noël en 1994, ils seraient même allés voir un « peep show » et ils se sont embrassés. Lorsqu’elle a accepté l’entente de détachement en 1995 pour devenir inspectrice ferroviaire, elle savait qu’elle allait être sous l’autorité du fonctionnaire. Ils étaient à ce moment-là de bons amis et les choses allaient bien. Elle savait aussi qu’elle devait voyager avec lui dans le cadre de ses nouvelles fonctions.

160 Le 3 avril 1995, le fonctionnaire lui a proposé le voyage à Grand-Mère pour le lendemain, alors qu’elle commençait son détachement dans l’unité du fonctionnaire. Le 4 avril 1995, ils ont travaillé pendant la journée et se sont rencontrés pour un apéritif et le souper. Le souper a été accompagné de vin. Après le souper, ils ont joué aux fléchettes. Le fonctionnaire a téléphoné à M. Sauvé pendant la soirée pour lui dire qu’ils s’amusaient bien. Le fonctionnaire a raccompagné Mme Deslauriers à sa chambre et, lorsqu’elle a ouvert la porte, il a tenté de l’embrasser et lui faire des attouchements. Elle l’a repoussé, il est parti sans insister. Ils sont revenus vers Montréal le lendemain en automobile, sans trop discuter. Elle a espéré qu’un tel incident ne se reproduise pas.

161 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #1. Le fonctionnaire a témoigné qu’il connaît Mme Deslauriers depuis 1990 alors qu’elle était la gestionnaire de la Section de l’administration pour la région du Québec. Ils ont siégé ensemble au comité de gestion. Ils ont voyagé, parfois seuls et d’autres fois avec d’autres personnes, pour suivre des formations. En 1994, le fonctionnaire lui a dit qu’il s’intéressait à elle. Il lui a écrit une lettre et lui a acheté un cadeau. Mme Deslauriers a déchiré la lettre devant lui et lui a dit qu’elle ne partageait pas ses sentiments. Le fonctionnaire a dit avoir mis fin à son intérêt à ce moment-là et avoir gardé ses distances.

162 Après que Mme Deslauriers soit devenue inspectrice en 1995, ils sont allés prendre un café et le déjeuner ensemble quelques fois quand ils étaient au bureau. Un samedi, le fonctionnaire est allé avec sa conjointe voir la fille de Mme Deslauriers jouer à la ringuette, alors que la partie se jouait tout près de chez lui. Mme Deslauriers et le fonctionnaire ont participé aux soirées de Noël du bureau, comme tous les autres employés. En 1995 et 1996, il y a eu des sorties sociales avec leurs conjoints respectifs. La transition de Mme Deslauriers d’un conjoint à un autre (de son ex-mari à M. Sauvé) a refroidi, puis éteint les relations sociales du fonctionnaire et de Mme Deslauriers à l’extérieur des heures de travail.

163 Le fonctionnaire a témoigné que la seule personne à qui il a confié son intérêt initial pour Mme Deslauriers a été M. Sauvé, qui était son grand ami.

164 Voici la version de M. Sauvé de l’incident #1. Le fonctionnaire a téléphoné à M. Sauvé alors qu’il était à Grand-Mère à une date qu’il ne peut préciser. Le fonctionnaire lui a parlé en riant du fait que Mme Deslauriers le battait au jeu de fléchettes. La relation amicale entre M. Sauvé et le fonctionnaire s’est détériorée lorsque le fonctionnaire a appris que M. Sauvé entretenait une relation intime avec Mme Deslauriers.

Incident #2

165 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #2. Lors d’un voyage au Lac-Saint-Jean avec le fonctionnaire en 1995 (allégué comme étant le 12 juin 1995), Mme Deslauriers et le fonctionnaire voyageaient dans un wagon de VIA Rail Canada presque vide. Ils revenaient de faire une inspection. Elle était assise à côté du fonctionnaire, du côté de l’allée. Le fonctionnaire a tenté de l’embrasser à trois reprises. Elle l’a repoussé. Ils ont continué à travailler pendant le reste du voyage et sont restés au même hôtel pendant cette semaine sans autre incident. Mme Deslauriers n’en a plus fait mention.

166 Mme Deslauriers témoigne qu’elle n’a pas porté plainte concernant ce qu’elle considère des gestes d’agression sexuelle parce qu’elle ne voulait pas nuire à sa carrière. Elle et son conjoint de l’époque ont eu une sortie sociale avec le fonctionnaire et sa conjointe. Un jour, Mme Deslauriers a fait mention que sa fille allait jouer à la ringuette un samedi; le fonctionnaire et sa conjointe se sont présentés pour la partie. Mme Deslauriers s’est séparée de son conjoint en septembre 1995. Mme Deslauriers ne s’est pas souvenu d’avoir été accompagnée de M. Sauvé lors de rencontres sociales avec le fonctionnaire et sa conjointe, hormis une soirée passée dans un terrain de camping où était aussi présente Mme Blais.

167 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #2. Le fonctionnaire a témoigné que la plainte du 16 avril 2004 faisait état d’une agression qui aurait eu lieu en juin 1995. Puis, le 15 novembre 2004, Mme Paris lui a fait part de deux supposées allégations d’agression sexuelle. Il a nié avoir agressé Mme Deslauriers de quelque façon que ce soit. Le fonctionnaire a mis en doute les allégations concernant ces incidents; après 10 ans, il n’était pas en mesure de vérifier les dates des voyages en question, puisque les reçus ont été détruits.

168 Il a mis en doute la date d’un voyage avec Mme Deslauriers comme étant le 12 juin 1995 parce qu’il détient une preuve qu’il était au bureau à Montréal cette semaine-là (envoi de courriels de son poste de travail) et que Mme Deslauriers a participé à une réunion à Montréal concernant un accident de travail avec blessures fatales (copie d’un rapport d’enquête à l’appui). Il a appris lors de son entrevue avec les enquêteurs, que Mme Deslauriers n’était plus certaine des dates de l’agression alléguée et qu’il s’agissait maintenant d’une date quelconque en 1995. Il a témoigné que la date du 4 avril 1995 est improbable comme date d’un voyage à Grand-Mère parce que c’était la deuxième journée de travail de Mme Deslauriers dans son unité. De toute façon, il ne pouvait répondre à une allégation aussi vague.

169 À l’audience, lors du contre-interrogatoire du fonctionnaire, l’employeur l’a confronté avec une réclamation de voyage pour la période du 10 au 13 juillet 1995 au Lac-Saint-Jean et d’une autre réclamation de voyage de Mme Deslauriers pour la même période au Lac-Saint-Jean. Le fonctionnaire a répondu qu’il ne s’agissait pas là d’une preuve d’agression à bord d’un train. Le fonctionnaire a souligné qu’au moment des agressions alléguées, Mme Deslauriers était mariée à un enquêteur du service de police et trouvait étonnant qu’elle n’ait pas soulevé des gestes aussi sérieux avec ce dernier ou qu’elle ne se soit plainte directement au service de police.

170 Voici la version de M. Sauvé de l’incident #2. Mme Deslauriers et lui ont rencontré le fonctionnaire et sa conjointe lors d’une activité sociale en juillet 1995 dans un terrain de camping. Il n’a pas appris les détails d’une agression avant que Mme Deslauriers le lui avoue à la suite du dépôt de sa plainte.

Allégation 5 : Le fonctionnaire a abusé de son autorité envers Mme Deslauriers.

Cette allégation comprend quatre incidents.

Incident #1 : Du 3 avril 1995 au 29 mars 1996, Mme Deslauriers n’a pas reçu la formation et l’encadrement nécessaires pour devenir inspectrice ferroviaire.

Incident #2 : En mars 1997, le fonctionnaire a avisé Mme Deslauriers, sans lui demander son avis, qu’elle irait en détachement dans un autre ministère.

Incident #3 : À la fin août 2001, le fonctionnaire a avisé Mme Deslauriers qu’elle serait responsable de la campagne Centraide pour l’année 2001.

Incident #4 : En 2003, le fonctionnaire a limité les déplacements de Mme Deslauriers et lui a refusé un déplacement à Mont-Joli alors qu’il l’a accordé à M. Picard. Le fonctionnaire a donné comme excuse à Mme Deslauriers que le budget était restreint.

Incident #1

171 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #1. Mme Deslauriers a témoigné que ce sont surtout ses collègues de travail et M. Sauvé qui lui ont fourni sa formation professionnelle et qu’elle obtenait peu de conseils du fonctionnaire dans l’exécution de son travail. Le fonctionnaire répondait à ses questions techniques, mais évitait de tenir des conversations sociales. Mme Deslauriers ne se sentait pas traitée comme les autres employés de la section et voulait le même traitement qu’eux.

172 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #1. Le fonctionnaire gère deux équipes de travail. Une équipe est responsable de l’exploitation, soit les inspections liées aux règlements ferroviaires et les demandes d’exemption à ce sujet et l’autre équipe est responsable de la surveillance et de l’inspection du matériel roulant ferroviaire. Mme Deslauriers fait partie de l’équipe de l’exploitation, avec Mme Blais et M. Pilon, deux inspecteurs chevronnés.

173 Mme Deslauriers a commencé dans sa section le 3 avril 1995, en vertu d’une entente de détachement qui prenait fin le 29 mars 1996. Elle y est allée pour des fins de perfectionnement et de croissance professionnelle, en plus de satisfaire aux besoins opérationnels de l’unité du fonctionnaire. Le poste d’attache de Mme Deslauriers était gestionnaire de la Section de l’administration pour la région du Québec. Elle a obtenu un poste permanent comme inspectrice de la sécurité ferroviaire dans l’unité du fonctionnaire en février 1996, à la suite d’un concours visant un poste d’une durée indéterminée comme agent d’exploitation ferroviaire.

174 Une partie du programme de perfectionnement de Mme Deslauriers comprenait le voyage à bord des trains pour observer l’inspection des trains. Il était commun pour le fonctionnaire de voyager avec ses employés. Parfois il voyageait seul, parfois en groupe, selon les mandats de travail. Mme Deslauriers n’était pas la première à voyager seule avec lui. De plus, comme Mme Deslauriers n’avait aucune expérience dans le domaine ferroviaire, le fonctionnaire lui avait assigné un mentor, soit M. Sauvé, et elle a acquis ses connaissances à même l’expérience de son travail et des formations spécialisées.

175 Le fonctionnaire a dit avoir consulté régulièrement Mme Deslauriers concernant son domaine d’expertise, soit la santé et la sécurité au travail. Par ailleurs, Mme Deslauriers a participé assidûment et de façon continue à au moins 10 comités, projets ou rencontres spéciales dont l’importance et la description parlent d’eux-mêmes (voir la liste précitée au paragraphe 151 de la présente décision). De plus, Mme Deslauriers a participé à tous les colloques de la Section de l’exploitation ferroviaire, dont le dernier s’est tenu à Victoria en Colombie-Britannique en mai 2003, et aux colloques annuels sur la sécurité ferroviaire du groupe du transport sur rail à Québec.

176 Le fonctionnaire a témoigné qu’entre le 3 avril 1995 et le 29 mars 1996, il a donné l’encadrement nécessaire en ce qui concerne le perfectionnement, tel que prévu dans l’entente de détachement. En ce sens, Mme Deslauriers a été accompagnée de façon soutenue par M. Sauvé, qui a pris en charge son développement technique. Le fonctionnaire a estimé avoir bien fait sa tâche, puisque Mme Deslauriers s’est qualifiée pour un concours et a obtenu un poste pour une durée indéterminée comme agent de l’exploitation ferroviaire en février 1996.

177 Voici la version de M. Giguère de l’incident #1. Quand M. Giguère est devenu directeur de la Section surface pour la région du Québec, il a rencontré tous les employés, y compris le fonctionnaire et Mme Deslauriers. Mme Deslauriers lui a dit qu’elle adorait son travail, que le fonctionnaire l’avait prise en charge, l’avait formée, et qu’en plus, elle avait reçu une excellente formation avec ses collègues et son gestionnaire. C’était une des employés qui étaient les plus enthousiastes. Il ne lui restait que sept ou huit ans à travailler et elle voulait terminer sa carrière dans cette équipe. Elle se sentait appréciée par le groupe, par les clients. Elle a déclaré : « C’était positif d’un bout à l’autre. »

Incident #2

178 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #2. En 1997, le fonctionnaire a annoncé à Mme Deslauriers qu’elle irait en détachement dans un autre ministère sans qu’elle ait été consultée. Elle trouvait qu’une absence d’un an, alors qu’elle occupait son poste depuis seulement un an, était prématurée. Elle ne s’est pas opposée au détachement, parce qu’elle croyait que le fonctionnaire voulait se défaire d’elle. Mme Belliveau l’a encouragée à accepter le détachement. Mme Deslauriers a rencontré Camille Boileau pour signer l’entente de détachement, mais n’a pas discuté de ses préoccupations avec elle. Après son retour de détachement, le fonctionnaire lui a fait un commentaire au sujet de sa relation avec M. Sauvé, qu’elle a jugé négatif. Par la suite, le fonctionnaire a quitté pour son propre détachement et elle n’a pas eu de communications avec lui pendant plus d’un an.

179 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #2. Dans son évaluation de rendement de 1996, Mme Deslauriers a identifié la santé et la sécurité au travail comme étant un domaine d’intérêt pour de la formation. Peu après, une possibilité de détachement avec Développement des ressources humaines Canada (DRHC), du 1er avril 1997 au 31 mars 1998, a été annoncée. Les détachements étaient fortement encouragés par la directrice générale de l’époque, Mme Boileau, pour des fins d’avancement. Mme Deslauriers a exprimé un intérêt pour ce détachement et a négocié une entente directement avec Mme Boileau sans l’intervention du fonctionnaire, sauf pour sa signature de l’entente pour accepter la demande de détachement. Le fonctionnaire a soulevé qu’un employé ne peut être forcé d’accepter un détachement contre son gré, car son consentement est obligatoire. À son retour, Mme Deslauriers a dit au fonctionnaire qu’elle avait beaucoup apprécié l’expérience et que DRHC lui avait offert un poste permanent. Toutefois, elle préférait revenir à la Section de l’exploitation ferroviaire, car elle y était mieux traitée.

180 Voici la version de Mme Blais de l’incident #2. En ce qui concerne les détachements, le fonctionnaire procédait d’abord par un appel d’intérêt et ceux qui étaient intéressés lui en faisait part. À son retour de détachement en 1997, Mme Deslauriers a dit à Mme Blais qu’elle avait beaucoup appris et que l’année avait été positive.

181 Voici la version de M. Sauvé de l’incident #2. M. Sauvé n’a jamais su que Mme Deslauriers ne voulait pas aller en détachement en 1997; au contraire, elle lui a dit que c’était pour elle l’occasion d’apprendre autre chose.

Incident #3

182 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #3. À la fin août 2001, le fonctionnaire lui a annoncé qu’elle serait responsable de la campagne de Centraide pour la Section de l’exploitation et du matériel roulant. Mme Deslauriers estimait qu’elle s’était suffisamment occupée de cette campagne par le passé et que ce n’était pas à son tour, puisque d’autres employés de la section n’avaient pas encore eu cette responsabilité. Le fonctionnaire lui aurait mentionné que, si elle refusait d’en prendre la responsabilité, il demanderait à son conjoint, M. Sauvé, de s’en occuper et qu’il lui dirait que c’est en raison de son refus.

183 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #3. Le fonctionnaire a présenté une liste préparée par la section de l’administration de la région du Québec qui relève le nom des personnes responsables pour la campagne Centraide depuis 1990. Le nom de Mme Deslauriers ne figure qu’une fois, en 2001-2002.

Incident #4

184 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident #4. Mme Deslauriers a allégué que le fonctionnaire a limité ses déplacements en 2003, dont un voyage à Mont-Joli, et aurait plutôt envoyé M. Picard, prétextant que le voyage n’était pas nécessaire et que le budget était restreint. Mme Deslauriers a vu cet incident comme du favoritisme parce que M. Picard était un ami du fonctionnaire.

185 Voici la version du fonctionnaire de l’incident #4. Le fonctionnaire a témoigné qu’en l’absence de dates précises, cette allégation est trop générale pour y répondre. Il s’est souvenu que le budget de l’exploitation ferroviaire avait toujours permis aux inspecteurs de couvrir leur territoire. À quelques occasions à la fin de l’exercice financier, certains voyages avaient été reportés au début de l’exercice financier suivant. L’allégation que le fonctionnaire donnait préférence au travail de M. Picard en raison de leur amitié est sans fondement.

Allégation 6 : Le fonctionnaire a tenu des commentaires désobligeants à plusieurs reprises à l’égard de Mme Deslauriers.

Cette allégation comprend un seul incident.

186 Voici la version de Mme Deslauriers de l’incident. Mme Deslauriers a allégué trois épisodes. 1) En décembre 1999, le fonctionnaire aurait fait des commentaires au sujet de la relation intime qu’entretenait Mme Deslauriers et M. Sauvé comme suit : « Ils sont encore ensemble ces deux-là. » 2) À un autre moment, le fonctionnaire aurait questionné l’intérêt de Mme Deslauriers pour M. Sauvé. 3) Alors qu’il visionnait une image de Shania Twain à l’écran de l’ordinateur d’un collègue, le fonctionnaire aurait fait le commentaire suivant tout en regardant Mme Deslauriers : « Ça c’est une belle femme! » Mme Deslauriers a présumé que le fonctionnaire trouvait Mme Twain plus belle qu’elle et ce commentaire l’a blessée.

187 Voici la version du fonctionnaire de l’incident. Le fonctionnaire a accepté un détachement pour un projet spécial à Ottawa de mai 1998 à décembre 1999. Sauf pour le mois d’avril 1998, il n’a pas supervisé Mme Deslauriers pendant 32 mois (du 1er mai 1997 au 31 décembre 1999). Pendant son détachement, il s’est fait remplacé par Mme Blais pour six mois, par M. Gibaud brièvement, et le reste du temps, par M. Sauvé. Pendant l’absence du fonctionnaire, M. Sauvé a permis à Mme Deslauriers de faire uniquement des dossiers de santé et sécurité au travail et de délaisser ses autres dossiers. Cet arrangement permettait à Mme Deslauriers de voyager avec M. Sauvé dans le cadre de leur travail.

188 À son retour comme gestionnaire de la section, le fonctionnaire a dû faire le point avec Mme Deslauriers et lui donner des tâches d’inspection. C’est alors qu’il a décidé de répartir les tâches d’inspection en trois territoires pour le Québec et le Nouveau-Brunswick et d’assigner les inspecteurs en rotation de 18 mois dans chaque territoire. Mme Deslauriers a exprimé son mécontentement par rapport à ce changement parce qu’elle ne pouvait plus voyager aussi librement qu’elle le faisait alors que M. Sauvé était gestionnaire intérimaire. À son retour, le fonctionnaire a dû intervenir concernant la quantité d’appels entre Mme Deslauriers et M. Sauvé avec leurs téléphones cellulaires fournis par Transports Canada (plus de 900 minutes par mois). Quand il a soulevé la question avec Mme Deslauriers, la tension a monté. La situation s’est rétablie à un niveau acceptable d’appels. Avec un certain recul, le fonctionnaire a constaté que sa relation professionnelle avec Mme Deslauriers s’est détériorée à compter de ce moment-là.

189 Voici la version de M. Giguère de l’incident. M. Giguère a noté que M. Sauvé et Mme Deslauriers étaient conjoints, mais qu’ils évitaient d’en parler. Le fonctionnaire a dit à M. Giguère, à plus d’une reprise, que c’était parfois difficile de gérer le travail de M. Sauvé et de Mme Deslauriers en raison de cette relation et qu’il n’avait pas une même relation d’amitié avec M. Sauvé qu’avant.

X. Climat organisationnel

190 L’étude du climat organisationnel a servi d’introduction au rapport d’enquête et comme preuve du bien-fondé des allégations. Les observations des enquêteurs peuvent être résumées comme suit : certains employés trouvaient que le fonctionnaire avait une humeur changeante; certains employés ont reproché au fonctionnaire un manque de leadership; d’autres ont dit que les voyages d’affaires n’étaient pas toujours pertinents et que le fonctionnaire aimait faire la fête après les heures de travail; certains employés ont observé des discordes entre le fonctionnaire et certains de ses employés; le fonctionnaire pouvait être intimidant, parfois même manipulateur, et il parlait en mal des gens en leur absence; le fonctionnaire faisait preuve d’iniquité dans l’attribution des tâches et de favoritisme par rapport aux employés qui faisaient partie de son « clan ». Les enquêteurs ont suggéré que des employés auraient quitté la section en raison de conflits avec le fonctionnaire. Les enquêteurs ont rapporté que les déclarations suggèrent que le fonctionnaire pourrait être coupable d’autres actes de harcèlement envers d’autres employés. Les personnes rencontrées par les enquêteurs ont témoigné des connaissances, de l’intelligence, de la rapidité d’action et du potentiel d’avancement du fonctionnaire.

XI. Résumé de l’argumentation des parties

191 Compte tenu de l’objection de l’employeur concernant la compétence de l’arbitre de grief de décider des griefs renvoyés à l’arbitrage, il a été convenu que la preuve du fonctionnaire serait présentée en premier et que l’argumentation des parties suivrait le même ordre.

A. Pour le fonctionnaire

192 Le fonctionnaire plaide qu’il a tout perdu en raison d’une plainte injustifiée. Avant le dépôt de la plainte, il était gestionnaire de premier niveau, avait un dossier sans reproche, d’excellentes évaluations de rendement et avait même gagné un prix pour l’excellence de son travail à Transports Canada, un prix très peu accordé. Tout au long de cette saga, l’employeur lui a reproché de se défendre plutôt que de s’être plié aux sanctions qui lui étaient imposées. Les irrégularités qu’il a soulevées sont tombées dans l’oreille d’un sourd.

193 Les gestionnaires de Transports Canada ont témoigné qu’ils avaient à cœur de maintenir un milieu de travail sain et productif, sans toutefois appliquer ce principe au fonctionnaire. Selon lui, l’employeur a tenté par tous les moyens de détruire sa réputation, sa carrière, sa vie privée, sa vie sociale et sa motivation. Il est un condamné depuis cinq ans. Sa situation financière est ruinée.

194 Le fonctionnaire explique qu’il s’est rendu compte de nombreuses erreurs de l’employeur au fur et à mesure de ses demandes d’accès à l’information. L’employeur s’est replié sur le cadre législatif pour éviter qu’il connaisse la vérité. Les documents lui ont été remis au compte goutte et étaient lourdement caviardés. Il a fallu avoir recours à une ordonnance de production de l’arbitre de grief pour avoir droit à des versions non caviardées essentielles à la poursuite de ses griefs. Entre autres, il a appris que le MDN avait souligné que la plainte n’était pas conforme à la politique, que Mme Paris avait collaboré avec Mme Deslauriers et son agent négociateur pour étoffer la plainte, que des précisions le concernant ne lui avaient pas été communiquées et que Mme Belliveau avait déposé une plainte de harcèlement contre lui.

195 Le fonctionnaire a qualifié de magouilles les négociations pour faire témoigner la principale intéressée, Mme Deslauriers. Pour venir témoigner, Mme Deslauriers a reçu une compensation importante en règlement d’un grief et son conjoint, M. Sauvé, a reçu une promotion.

196 Bien qu’une mesure disciplinaire ne soit valable que pour deux ans, cinq ans plus tard, le fonctionnaire est toujours en affectation à Dorval. À ce jour, il ne connaît toujours pas les comportements qui ont justifié son déplacement à Dorval, sauf l’existence d’un rapport d’enquête. Après l’émission du rapport final de l’enquête, l’employeur a pris la décision de ne jamais plus le réintégrer à son poste de gestionnaire. Cette intention s’est poursuivie en lui offrant une affectation dans le cadre du PRAS selon lequel il serait mis en disponibilité après 18 mois. Lorsque le fonctionnaire a refusé l’affectation, l’employeur a fait la demande d’un décret d’exemption pour le muter contre son gré, alors que cette procédure était illégale. Sa supérieure immédiate, Mme Gagnon, a amorcé un concours pour le remplacer de façon permanente, a fait une annonce de son départ à une réunion nationale, puis elle a fait vider son bureau. Un peu plus tard, elle lui a assigné une « coach », mais a refusé la recommandation de la « coach » qu’il ait l’occasion de superviser des employés afin de compléter son coaching. Plus de deux ans plus tard, Mme Gagnon a demandé au fonctionnaire de reconnaître ses torts et d’accepter de se soumettre à un plan de redressement fondé sur la discrétion de l’employeur de le retourner ou non dans son poste de gestionnaire. En d’autres mots, on l’a dégoûté pour qu’il quitte.

197 Le fonctionnaire relève que l’employeur n’a pas suivi les politiques sur lesquelles sont fondées son pouvoir disciplinaire, entre autres :

  • ne pas avoir évalué la plainte de Mme Deslauriers lorsqu’elle a été déposée;
  • avoir mené une enquête injustifiée, compte tenu des incidents mineurs qui s’étaient produits dans l’année précédant le dépôt de la plainte;
  • avoir manqué de transparence et de neutralité en s’ingérant dans la démarche d’enquête;
  • avoir fait enquête sur des incidents criminels clairement exclus de la politique;
  • avoir fait enquête sur des incidents prescrits par la politique ou qui se sont produits avant que la politique entre en vigueur;
  • avoir fait enquête sur son style de gestion, quant au « climat organisationnel » sans le lui communiquer;
  • avoir omis d’intervenir activement pour tenter de régler la plainte à l’amiable avant de procéder à l’enquête;
  • avoir accepté que la plainte soit modifiée après son dépôt;
  • avoir retardé de communiquer des allégations complètes jusqu’à quelques jours seulement avant le début de l’enquête;
  • avoir omis de communiquer des renseignements essentiels au cours de l’enquête;
  • avoir illégalement sous-délégué à Mme Paris l’autorité de gestionnaire déléguée en vertu de la politique;
  • ne pas avoir effectué l’enquête de la plainte dans les six mois prévus dans la politique;
  • avoir jugé le fonctionnaire fautif sur la base d’une preuve inadéquate;
  • avoir imposé au fonctionnaire trois mesures disciplinaires pour le même événement;
  • avoir imposé au fonctionnaire une mesure disciplinaire pour abus de pouvoir, alors que cet élément ne fait pas partie de la politique;
  • avoir réduit une mesure disciplinaire de 15 jours à une lettre de réprimande en vue de lui faire perdre son droit à l’arbitrage;
  • avoir décidé d’une sanction disciplinaire sans avoir tenu d’entrevue disciplinaire;
  • avoir menacé le fonctionnaire d’une suspension s’il n’acceptait pas une assignation involontaire;
  • avoir sans justification gardé actif le dossier disciplinaire du fonctionnaire au-delà de la période de deux ans mentionnée dans la mesure disciplinaire et les politiques de l’employeur.

198 Le fonctionnaire soutient que l’employeur a agi de mauvaise foi et qu’il ne s’agissait pas d’omissions involontaires de sa part, mais de fautes distinctes. Le fait que les enquêteurs étaient « des enquêteurs chevronnés » n’excuse pas le manque de jugement de l’employeur dans son évaluation du dossier, ni son ingérence dans la démarche d’enquête.

199 Le fonctionnaire demande d’être remis dans l’état où il se serait retrouvé en décembre 2003 n’eut été de la plainte, de l’enquête, des mesures disciplinaires et de son affectation involontaire. Il demande sa réintégration sans condition dans son poste de gestionnaire et une indemnisation pour toutes les pertes pécuniaires que lui ont occasionnées ces événements telles que mises de l’avant dans ses griefs et dans son témoignage plus les intérêts. Le fonctionnaire demande que je tienne compte de l’impact fiscal sur les montants qu’il a dû retirer de ses REER pour assumer les frais de son procureur. Le fonctionnaire demande que je demeure saisie du dossier pour une période de deux ans après son retour au travail pour éviter des représailles de l’employeur une fois qu’il sera revenu au travail.

B. Pour l’employeur

200 L’employeur plaide qu’il était justifié d’imposer au fonctionnaire des sanctions pour ses gestes fautifs et une mesure administrative pour le comportement relevé au cours de l’enquête. Le fonctionnaire n’a pas démontré que l’affectation à d’autres fonctions était une mesure disciplinaire déguisée. Le fonctionnaire n’a pas été rétrogradé parce qu’il conserve le même niveau et le même traitement. Il occupe encore son poste d’attache même s’il n’est plus gestionnaire et n’a subi aucune sanction pécuniaire au sens de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Le fait d’avoir à voyager plus loin pour se rendre au travail n’est pas une sanction pécuniaire. Le temps supplémentaire n’est pas un droit contractuel et ne peut donc constituer une sanction pécuniaire.

201 Le fonctionnaire a été réaffecté à Dorval à la lumière du rapport d’enquête. L’objectif était de s’assurer qu’il n’ait pas de fonctions de supervision d’employés et d’assainir le milieu de travail. La suspension disciplinaire de 15 jours était la punition, l’affectation à d’autres tâches était une conséquence administrative qui avait comme objectif de l’aider à redevenir gestionnaire, puisque l’employeur a pris la peine de lui trouver une « coach » et de lui fournir un plan d’amélioration afin qu’il puisse réintégrer son poste. C’est le fonctionnaire qui n’a pas collaboré. L’employeur souligne que l’offre d’une « coach » et d’un plan d’amélioration demeure toujours valide.

202 L’employeur soutient que la procédure de novo devant un arbitre de grief permet de corriger les erreurs de l’enquête ministérielle. L’arbitre de grief est en mesure d’évaluer les témoignages, de décider si le comportement allégué est appuyé par une prépondérance de la preuve et de décider si l’employeur était justifié d’imposer les mesures qu’il a imposées.

203 L’employeur soutient que Mmes Pageot, Paris et Gagnon ont été d’avis qu’il y avait des circonstances atténuantes qui justifiaient de retourner plusieurs années en arrière, dont la continuité des événements et le sérieux des incidents allégués. Mme Deslauriers a allégué dans sa plainte que le comportement harcelant du fonctionnaire n’avait jamais cessé. La politique n’interdit pas de faire une enquête administrative des plaintes à caractère sexuel ou alléguant des voies de fait. L’employeur ne pouvait ignorer de tels comportements lorsqu’ils ont été portés à son attention. Mme Deslauriers avait le choix de demander une enquête sur les agressions dont elle accusait le fonctionnaire dans le cadre d’une procédure soit criminelle, soit administrative.

204 L’employeur soutient que la plainte n’était pas suffisamment détaillée et que, par conséquent, il avait le devoir de demander des clarifications. Les allégations de la plainte déposée le 16 avril 2004 sont restées les mêmes, mais des précisons ont été apportées sous la forme d’incidents à l’appui de chacune des allégations.

205 L’employeur soutient que le fonctionnaire a reçu une copie des allégations détaillées en janvier 2005, avant le début de l’enquête. Il a été rencontré le 13e parce qu’il n’était pas disponible pour être rencontré en second, ce qui lui a donné plus de temps pour préparer une défense. Il a eu l’occasion de remettre une réponse écrite au soutien de sa position sur chacune des allégations et a présenté une réponse écrite au rapport préliminaire des enquêteurs, accompagnée d’un volumineux cartable de documents. Par conséquent, le fonctionnaire a eu l’occasion de présenter une défense pleine et entière.

206 L’employeur défend l’implication de Mme Pageot dans la démarche d’enquête en soulignant que Mme Paris agissait en consultation avec Mme Pageot. Mme Paris a aidé Mme Deslauriers à rédiger sa plainte en regroupant les incidents afin de permettre à l’enquête de commencer. Elle n’a pas influencé le contenu des allégations.

207 L’employeur soutient que le fonctionnaire a été informé le 18 mai 2005 de la conduite qu’on lui reprochait, soit l’ensemble des comportements relevés dans le rapport d’enquête. L’employeur est d’avis que Mme Paris n’avait pas à conseiller le fonctionnaire sur ses recours puisqu’il était représenté par un avocat et qu’il s’était aussi adressé ailleurs.

208 L’employeur nie qu’il a utilisé la demande d’un décret d’exemption comme prétexte tactique pour obtenir la coopération du fonctionnaire pour qu’il accepte une affectation volontaire. L’employeur était motivé uniquement par les conclusions du rapport d’enquête. L’offre d’affectation dans le cadre du PRAS n’était pas une pénalité, parce qu’il n’y avait pas de diminution de classification ou de salaire. Mme Brouillette a été très transparente lorsqu’elle a mis fin à la demande du décret d’exemption.

209 L’employeur soutient que, pour décider le grief concernant la suspension disciplinaire de 15 jours, les points soulevés par le fonctionnaire à la rencontre au dernier palier de la procédure applicable ont été discutés avec les enquêteurs. L’employeur était justifié d’accepter une preuve d’actes similaires et, par conséquent, la déclaration de Mme Belliveau était tout à fait pertinente.

210 L’employeur soutient que le fonctionnaire n’a pas fait une preuve médicale de cause à effet entre les certificats médicaux présentés à l’appui des congés de maladie qu’il a pris en 2006 et le stress causé par les agissements de l’employeur. L’employeur maintient que le fonctionnaire avait déjà reçu un diagnostic d’une condition médicale semblable. Le fonctionnaire ne peut donc être compensé pour cette perte.

211 L’employeur plaide que, pour avoir droit à des dommages, le fonctionnaire doit faire la preuve que l’employeur a commis une faute distincte dans le contexte d’un congédiement, ce dont le fonctionnaire n’a pas fait la preuve. L’employeur dit avoir agi de façon diligente, avoir fait des vérifications auprès des enquêteurs et avoir été de bonne foi. L’absence de bonne foi n’est pas une faute civile distincte qui donne ouverture à des dommages. Le recours pour un vice de procédure est un grief. L’employeur soutient que le fait d’avoir annoncé la tenue d’un concours pour remplacer le fonctionnaire n’est pas une faute. Il n’y a aucun témoignage voulant que la réputation du fonctionnaire ait été entachée. Le fonctionnaire n’a pas fait la preuve que l’employeur s’est livré à un comportement extrême.

212 L’employeur s’oppose à la compétence d’un arbitre de grief pour compenser des pertes salariales, car il n’y en a pas, ainsi que pour octroyer des dommages compensatoires, exemplaires ou punitifs et le remboursement des frais de représentation ou les intérêts.

213 L’employeur soutient que la question d’un congédiement déguisé n’apparaît pas dans le libellé des griefs et que le fonctionnaire ne peut changer la nature de son grief une fois rendu à l’arbitrage. L’employeur plaide que l’employeur a le devoir de maintenir un milieu de travail sain et productif et qu’il doit pouvoir compter sur ses gestionnaires pour ce faire. Le fonctionnaire n’a jamais reconnu ses torts et c’est ce qui a empêché l’employeur de le réintégrer dans son poste de gestionnaire. L’employeur demande que les griefs du fonctionnaire soient rejetés.

C. Réplique du fonctionnaire

214 Le fonctionnaire répond que l’employeur s’acharne à nier les fautes qu’il a commises et à lui faire porter le blâme d’une enquête mal faite. Il soutient que la plaidoirie de l’employeur ne tient pas compte de la preuve. Le fonctionnaire soutient qu’il continue à être puni parce qu’il a choisi de se défendre d’accusations non corroborées. La version des faits de Mme Deslauriers est contredite par tous les autres témoins et n’est pas crédible. L’employeur s’est dit généreux, mais a tenté par tous les moyens de lui retirer la possibilité de présenter son dossier à l’arbitrage de grief. Le fonctionnaire demande que ses griefs soient accueillis.

XII. Motifs

A. Compétence d’un arbitre grief

215 L’employeur s’est objecté à ma compétence comme arbitre de grief pour décider des griefs, car aucun d’eux n’entraîne une sanction pécuniaire ou une rétrogradation. L’alinéa 209(1)b) de la LRTFP se lit comme suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

216 La paragraphe 209(1) de la LRTFP limite les griefs qui peuvent être renvoyés à l’arbitrage. Seules les mesures disciplinaires sévères, soit celles entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire relèvent de la compétence d’un arbitre de grief.

217 Je rejette la thèse de l’employeur voulant que l’annulation, après le renvoi à l’arbitrage de grief, de la mesure disciplinaire qui fait l’objet d’un grief fait perdre toute compétence à un arbitre de grief à l’égard de cette question. L’employeur peut modifier une mesure disciplinaire pendant la procédure applicable au grief ou au moment de la décision rendue au dernier palier. Toutefois, cette décision ne peut avoir pour effet de soustraire de la compétence d’un arbitre de grief un grief renvoyé à l’arbitrage dans le respect des dispositions de la LRTFP. Je partage l’avis exprimé dans Puxley c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-22284 (19940705), voulant que l’employeur ne peut unilatéralement éteindre la compétence d’un arbitre de grief en choisissant de modifier la sanction imposée après que le grief ait été renvoyé à l’arbitrage. Une fois le grief renvoyé à l’arbitrage, le recours approprié pour soustraire le grief de la compétence d’un arbitre de grief est de le régler à l’amiable ou de le retirer.

218 Au moment de son renvoi à l’arbitrage, le deuxième grief (dossier de la CRTFP 566-02-420) comportait une mesure disciplinaire et, par conséquent, j’ai la compétence pour en décider.

219 Le lien entre tous les griefs est la réaffectation du fonctionnaire à des fonctions de niveau TI-06. Le fonctionnaire a plaidé que cette réaffectation constitue une rétrogradation même s’il maintenait son niveau de salaire : il n’accomplit plus les tâches rattachées à son niveau salarial et il n’est plus en mesure de maintenir les connaissances rattachées à son poste substantif. Il ne supervise plus d’employés.

220 L’employeur a présenté une preuve visant à démontrer la gravité des comportements du fonctionnaire relevés dans le rapport d’enquête pour justifier sa décision de le retirer de son poste de gestion. L’employeur s’est fié à des politiques internes concernant le profil de compétences des gestionnaires, les valeurs et l’éthique pour soutenir sa position.

221 Mmes Brouillette et Gagnon ont témoigné que les conclusions des enquêteurs concernant le climat organisationnel justifiaient l’imposition d’une mesure administrative pour réaffecter le fonctionnaire à d’autres fonctions, contre son gré.

222 Je suis d’avis que les extraits de correspondance suivants attestent toutefois d’une toute autre intention de l’employeur :

  • Assignation du fonctionnaire par Mme Gagnon à des fonctions à Dorval le 31 août 2005, par courriel :

[…]

Tu as été informé à plusieurs reprises de la décision que tu ne retournerais pas dans ton poste d’attache et de l’option retenue de t’offrir un poste à la direction sûreté et préparatifs d’urgence. Une offre écrite te sera faite sous peu à ce sujet. La gestion s’attend donc à ce que tu te présentes le 6 septembre à 9h30 à Dorval auprès de M. Giguère, sans quoi tu seras considéré en absence non autorisé [sic].

De plus, la mesure disciplinaire consistant en 15 jours de suspension qui t’a été communiquée par lettre le 7 juin 2005 prendra effet le 12 septembre jusqu’au 30 septembre inclusivement. Tu ne dois pas te présenter au travail durant cette période.

[…]

  • Décision au dernier palier de la procédure applicable au deuxième grief en date du 6 juillet 2006 :

[…]

Monsieur Robitaille,

La présente fait suite au grief que vous avez déposé le 22 juin 2005. Celui-ci a été présenté au palier final de la procédure ministérielle de règlements des griefs le 2 mars 2006 en vertu de l’article 225 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et suite à l’entente signée entre l’Employeur et votre délégué. Dans ce grief, vous vous plaignez de la suspension de 15 jours qui vous a été imposée le 7 juin 2005 et le fait que vous avez subi une double mesure disciplinaire pour un même événement.

J’ai revu en détails tous les points et arguments soulevés par vous et votre délégué, Me Fernand Guérette lors des rencontres de consultation tenues les 17 mars et 21 avril 2006. De plus, j’ai discuté des faits avec la direction régionale à Dorval.

Après avoir revu le rapport final d’enquête et les documents de référence dans ce dossier, j’ai décidé de ne tenir compte que des allégations jugées fondées datant d’un an et moins de la date du dépôt de la plainte de harcèlement contre vous. Également, j’ai considéré d’autres facteurs atténuants tels que les évaluations de rendement à votre dossier personnel et le fait que vous n’avez pas eu de mesures disciplinaires antérieures. Conséquemment, j’ai décidé de réduire la mesure disciplinaire de 15 jours de suspension sans rémunération à une réprimande écrite.

Nonobstant ce qui précède, le rapport démontre que vous avez affiché à plusieurs reprises des comportements inappropriés démontrant de l’abus de pouvoir et un manque de respect envers la plaignante. Dans votre rôle de gestionnaire, vous aviez comme responsabilité de promouvoir des relations de travail respectueuses, de contribuer de manière constructive à la résolution de conflits et d’entretenir un milieu de travail non propice au harcèlement. Je considère que vous avez démontré de sérieuses lacunes en tant que gestionnaire et que vos agissements ne correspondent pas aux valeurs du ministère ni de la fonction publique.

Également, lors de vos rencontres avec la gestion, vous n’avez aucunement reconnu que vos comportements étaient inappropriés ni avez démontré une volonté de faire une réflexion personnelle envers cette situation. Ceci a eu pour la gestion une conséquence d’accentuer une perte de confiance, celle-ci déjà créée suite à l’enquête, face à vos compétences et habiletés à vous maintenir dans votre poste substantif de Gestionnaire, Matériel roulant et exploitation ferroviaire. De ce fait, je suis en accord avec la décision de la gestion que vous continuerez donc d’être affecté à votre groupe et niveau sous la direction de Monsieur Sylvain Giguère.

Veuillez noter que cette affectation n’est pas considérée comme ‘une mutation sans votre consentement’, mais bien une mesure administrative temporaire en vertu des droits de la gestion de vous assigner d’autres fonctions suite à ses préoccupations envers vos compétences en gestion.

J’encourage donc un dialogue entre vous et la gestion afin qu’elle puisse vous appuyer par des outils qui vous permettront de développer les compétences requises dans le but de rétablir le niveau de confiance nécessaire à la réintégration dans votre poste substantif. Je laisse à la gestion régionale le soin de décider du moment opportun où vous rencontrerez leurs attentes afin de vous remettre dans votre poste au sein du groupe de Surface.

À la lumière des faits, votre grief est alloué en ce qui concerne la suspension de 15 jours. Par contre, les autres mesures correctives énumérées dans votre énoncé de grief sont refusées.

Je vous prie d’agréer, monsieur Robitaille, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

(signé) Linda Brouillette

Directrice générale, Ressources humaines.

[…]

[Je souligne et ajoute le caractère gras]

  • La lettre de réprimande de Mme Gagnon au fonctionnaire, en date du 13 juillet 2006 :

[…]

J’ai revu soigneusement les éléments du rapport d’enquête daté de mars 2005 découlant de la plainte de harcèlement logée à votre endroit. Ce rapport a conclu que vous avez eu des comportements sérieusement inappropriés envers la plaignante incluant l’abus de pouvoir et manque de respect.

Pour les raisons soulevées par Mme Brouillette, il a été déterminé que les mesures correctives imposées contre vous se limiteront à une réprimande écrite. Toutefois, je veux réitérer que vous avez démontré de sérieuses lacunes dans votre rôle de gestionnaire et vos comportements ne correspondent pas aux valeurs du ministère ni de la fonction publique. Néanmoins, je suis d’avis que la mesure disciplinaire vous fera bien comprendre que vos agissements pendant les dernières années étaient tout à fait inappropriés et intolérables dans le milieu de travail.

Dans un prochain temps, nous saisirons l’opportunité de discuter avec vous des attentes de la gestion et d’identifier des outils qui vous aideront à développer les compétences requises d’un gestionnaire et à regagner la confiance de la gestion à vous réintégrer dans votre poste au sein du groupe de Surface.

[…]

[Je souligne]

  • La lettre du 3 octobre 2007 de Mme Gagnon au fonctionnaire concernant l’imposition d’un plan de redressement :

[…]

Par la présente, je désire vous présenter le plan d’amélioration annexé à la présente lettre, qui a été développé en vertu d’une réintégration possible de votre poste substantif. Les objectifs de ce plan sont, dans un premier temps, de vous appuyer par des outils qui vous permettront de développer les compétences de gestion requises pour un poste de gestionnaire et dans un deuxième temps, de rétablir le niveau de confiance avec la gestion, essentielle à la réintégration dans votre poste substantif. Ce plan appuie les décisions rendues par le troisième palier de la procédure de grief dont voici quelques extraits :

Décision du grief numéro 1851-05-P-1197G datée du 6 juillet 2006 :

[…] le rapport démontre que vous avez affiché à plusieurs reprises des comportements inappropriés démontrant de l’abus de pouvoir et un manque de respect envers la plaignante. Dans votre rôle de gestionnaire, vous aviez comme responsabilité de promouvoir des relations de travail respectueuses, de contribuer de manière constructive à la résolution de conflits et d’entretenir un milieu de travail non propice au harcèlement. Je considère que vous avez démontré de sérieuses lacunes en tant que gestionnaire et que vos agissements ne correspondent pas aux valeurs du ministère ni de la fonction publique.

Également, lors de vos rencontres avec la gestion, vous n’avez aucunement reconnu que vos comportements étaient inappropriés ni avez démontré une volonté de faire une réflexion personnelle envers cette situation. Ceci a eu pour la gestion une conséquence d’accentuer une perte de confiance, celle-ci déjà créée suite à l’enquête, face à vos compétences et habiletés à vous maintenir dans votre poste substantif de Gestionnaire, Matériel roulant et exploitation ferroviaire. De ce fait, je suis en accord avec la décision de la gestion que vous continuerez d’être affecté à votre groupe et niveau sous la direction de Monsieur Sylvain Giguère.

J’encourage donc un dialogue entre vous et la gestion afin qu’elle puisse vous appuyer par des outils qui vous permettront de développer les compétences requises dans le but de rétablir le niveau de confiance nécessaire à la réintégration dans votre poste substantif. Je laisse à la gestion régionale le soin de décider du moment opportun où vous rencontrerez leurs attentes afin de vous remettre dans votre poste au sein du groupe de Surface.

Décision du grief numéro 1851-06-P-1307G datée du 28 novembre 2006 :

[…] je vous ai aussi fait part des préoccupations de la gestion en ce qui concerne les comportements inappropriés qui ont été soulevés à la conclusion de l’enquête.

J’aimerais réitérer que vous demeurez toujours titulaire du poste de Gestionnaire, Exploitation et matériel roulant ferroviaire mais continuerez d’être en affectation à votre groupe et niveau de TI-08 avec le groupe de M. Sylvain Giguère. Tel qu’indiqué dans la réponse du 3ième palier, référence au grief 2005-P-1197, la gestion développera avec vous un plan d’amélioration en vertu d’une réintégration à votre poste substantif à un moment opportun.

Ce plan comporte plusieurs activités associées à des mesures de rendement. La réussite de l’ensemble de ce plan est essentielle à une réintégration éventuelle dans votre poste substantif ainsi que votre engagement à vouloir y adhérer.

Je vous demande donc d’en prendre connaissance et à me communiquer d’ici le 17 octobre 2007 votre décision relativement à l’engagement attendu de votre part et ce, en complétant la partie ci-dessous.

[…]

[Je souligne]

  • La première activité prévue au « plan d’amélioration en vue d’une intégration » du 3 octobre 2007 :

[…]

ACTIVITÉS

1-) Identifier et communiquer à M Robitaille les écarts de comportements découlant de lacunes reliées à ses compétences en gestion qui ont été identifiés dans le cadre de l’enquête de harcèlement.

DÉMARCHE

  • Révision par H. Gagnon du rapport d’enquête.
  • Identification des lacunes ressorties.
  • Communication des dites lacunes à M. Robitaille par le biais de rencontres.
  • 1ière rencontre : 29 novembre 2006

MESURES DE RENDEMENT

  • […]
  • Reconnaissance de M Robitaille de certains comportements.
  • Démonstration de sa volonté à travailler et modifier ces comportements.

[…]

[Je souligne]

223 Les éléments relevés dans ces extraits de correspondance indiquent que le fonctionnaire a été relevé de son poste de gestionnaire pour des comportements que l’employeur jugeait fautifs. Même si la suspension de 15 jours a été annulée, l’affectation du fonctionnaire à d’autres tâches sans son consentement demeure. L’employeur a soutenu que le fonctionnaire occupe toujours son poste d’attache et, par conséquent, l’assignation à d’autres tâches est une mesure administrative.

224 J’estime que cet argument de l’employeur ne reflète pas la réalité. L’employeur a adopté les conclusions d’un rapport d’enquête selon lesquelles le fonctionnaire était coupable d’actes de harcèlement. Le rapport associe la plainte à des comportements inappropriés du fonctionnaire quant à la gestion des employés de sa section. L’affectation d’un employé à d’autres tâches peut être raisonnablement interprétée comme un geste administratif lorsqu’il s’agit de satisfaire à des besoins opérationnels. Par exemple, un employé pourrait être affecté à des tâches subalternes en raison d’un manque de personnel.

225 L’affectation du fonctionnaire à d’autres fonctions dans les circonstances de cette affaire n’était pas liée à des besoins opérationnels, mais aux résultats d’une enquête qui a critiqué le comportement du fonctionnaire. L’employeur a qualifié sa décision de disciplinaire pour punir les gestes de harcèlement relevés dans le rapport d’enquête et d’administrative pour justifier la réaffectation du fonctionnaire à d’autres fonctions suivant les observations des enquêteurs concernant le climat de travail.

226 J’adopte le raisonnement de la Cour fédérale dans Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, qui a conclu que la façon dont l’employeur choisit de qualifier sa décision n’est pas en soi un facteur déterminant :

[…]

[23] […] Le concept de mesure disciplinaire déguisée est un facteur déterminant bien connu et nécessaire qui permet à un arbitre de grief d’examiner les éléments sous-jacents au motif énoncé par l’employeur afin de déterminer quelle était sa véritable intention. Par conséquent, dans la décision Gaw c. Conseil du Trésor (Service national de libération conditionnelle) (1978), 166-2-3292 (CRTFP), la tentative de l’employeur de justifier la suspension de l’employé comme étant nécessaire pour permettre la tenue d’une enquête a été rejetée à la lumière de la preuve convaincante qui établissait que la véritable motivation de l’employeur était de nature disciplinaire : voir aussi la décision Re Canada Post Corp. et Canadian Union of Postal Workers (1992), 28 L.A.C. (4th) 366.

[24] Le problème de la mesure disciplinaire déguisée peut aussi être abordé par l’examen des effets de la mesure sur l’employé. Lorsque l’incidence de la décision de l’employeur est grandement disproportionnée par rapport au motif administratif qui est invoqué, la décision peut-être considérée comme disciplinaire […]

[25] Parmi les autres facteurs servant à définir la mesure disciplinaire dans le contexte de l’emploi figurent les répercussions de la décision sur les perspectives de carrière de l’employé et les questions de savoir si l’incident en cause ou le point de vue de l’employeur à cet égard peut sembler être lié à la conduite de l’employé pouvant être rectifiée ou à sa conduite coupable, si la décision prise était de nature corrective et si la mesure de l’employeur a eu un effet préjudiciable immédiat sur l’employé […]

[…]

[Je souligne]

227 À l’audience, l’employeur a soutenu que le fonctionnaire avait manqué gravement à la politique. Par contre, M. Giguère et M. Lapointe ont tous deux témoigné qu’à leur avis, une lettre de réprimande ne correspondait pas à la gravité des reproches. Mme Brouillette a reconnu que l’enquête n’avait pas suivi la politique, et a réduit la mesure disciplinaire à une lettre de réprimande.

228 L’intention bien arrêtée d’affecter le fonctionnaire à d’autres tâches pour une durée indéterminée a été communiquée au fonctionnaire lorsqu’il a été rencontré le 18 mai 2005. Mme Paris et Mme Gagnon lui ont offert une affectation dans le cadre du PRAS pour deux ans et il devait se chercher un nouvel emploi pendant cette période, faute de quoi il serait mis en disponibilité après 18 mois. Ensuite, le fonctionnaire a été menacé d’un décret d’exemption qui l’aurait réaffecté de façon permanente s’il n’acceptait pas une mutation, alors que cette mesure était illégale. Mme Gagnon a réaffecté le fonctionnaire à Dorval sous la menace d’être considéré en congé non autorisé s’il ne se présentait pas à la date indiquée. Mme Gagnon lui a offert les services d’une « coach », mais n’a pas consenti aux dernières recommandations de la « coach ». Mme Gagnon a proposé un plan de redressement, fondé sur des comportements relevés par l’enquête, qui dépendait entièrement de sa bonne volonté. Eu égard à ces circonstances, je suis d’avis que l’assignation à des tâches à Dorval était une mesure disciplinaire.

229 Même si le fonctionnaire maintenait sa classification, l’aspect punitif de sa réaffectation se dégageait du fait que le fonctionnaire ne supervisait plus d’employés; il n’accomplissait aucune activité de son poste d’attache; il était isolé de son lieu habituel de travail; les tâches qui lui étaient assignées avaient peu de valeur; il était souvent à rien faire; il était relégué à un bureau de subalterne. Le maintien de la classification ne donne pas libre cours à un employeur de réaffecter un fonctionnaire contre son gré à des tâches dévalorisantes. Somme toute, la réaffectation du fonctionnaire à d’autres tâches était une rétrogradation même si son niveau de classification a été maintenu et, par conséquent, elle équivalait à une deuxième mesure disciplinaire déguisée.

230 Une rétrogradation disciplinaire relève de la compétence d’un arbitre de grief.

B. Norme de preuve et règles applicables à l’évaluation de la crédibilité des témoins

231 Avant de procéder à l’analyse des allégations de Mme Deslauriers et de la démarche d’enquête, il y a lieu d’analyser l’application de la norme de preuve et les règles concernant la crédibilité des témoins.

232  Dans F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, la Cour suprême du Canada a remis les pendules à l’heure concernant la norme de preuve dans les affaires civiles. La Cour a rappelé qu’il n’existe qu’une seule norme de preuve en matière civile, soit celle de la prépondérance des probabilités : de toute vraisemblance, le fait allégué a-t-il eu lieu? Voici ce qu’a statué la Cour à ce sujet :

[…]

[46] De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. […] aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. Dans le cas d’une allégation grave comme celle considérée en l’espèce, le juge peut être appelé à apprécier la preuve des faits qui se seraient produits de nombreuses années auparavant, une preuve constituée essentiellement des témoignages du demandeur et du défendeur. Aussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était à ses yeux suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités.

[…]

[49] En conséquence, je suis d’avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu.

[…]

233 Pour évaluer la crédibilité d’un témoin, la personne qui entend la preuve ne doit pas se fier uniquement à l’impression laissée par le témoin, mais doit fonder son jugement sur un examen de la manière dont le témoignage donné s'inscrit dans l’ensemble de la preuve, compte tenu des autres témoignages, des faits établis, d’une probabilité raisonnable des événements et de son expérience des affaires humaines. Cet extrait de Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A.C.-B.), est souvent cité à l’appui des principes qui s’appliquent dans l’évaluation de la crédibilité des témoins :

[Traduction]

[…]

11. On ne peut évaluer la crédibilité des témoins intéressés, notamment lorsque la preuve est contradictoire, en se demandant seulement si, par son comportement, le témoin donne l’impression de dire la vérité. Sa version des faits doit faire l’objet d’un examen raisonnable visant à établir si elle concorde avec les probabilités entourant les conditions qui existaient alors. Bref, ce qui permet de vérifier réellement si le témoin dit la vérité en pareil cas, c’est que son témoignage doit être compatible avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et bien renseignée reconnaîtrait aisément comme raisonnable dans ce lieu et dans ces conditions. C’est seulement alors qu’un tribunal peut évaluer de façon satisfaisante la crédibilité de témoins expérimentés et confiants à l’esprit vif ainsi que de personnes passées maîtres dans l’art de dire des demi-mensonges et de combiner l’exagération bien calculée avec la suppression partielle de la vérité. Par ailleurs, le témoin peut déclarer ce qu’il croit sincèrement être vrai en pouvant très honnêtement se tromper. Le juge de première instance qui déclare avoir cru le témoin parce qu’il estimait l’avoir entendu dire la vérité arrive à la conclusion en ne tenant compte que de la moitié du problème. En réalité, cela peut être un jugement personnel dangereux.

[…]

La jurisprudence arbitrale a repris ce principe dans McMaster University c. Service Employees International Union, Local 532 (1972), 24 L.A.C. 265, et dans plusieurs autres affaires.

234 Dans McDougall, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de l’évaluation de la crédibilité des témoins dans une affaire civile et a conclu ce qui suit :

[57] Au paragraphe 5 de ses motifs, la juge du procès tient compte du jugement de la juge Rowles dans l'affaire R. c. R.W.B. (1993), 24 B.C.C.A. 1, par. 28 et 29, portant sur la crédibilité d'un témoignage qui est entaché de contradictions et que la preuve n'étaye pas par ailleurs. Même si la juge Rowles se prononçait dans le contexte pénal, à l'instar de la juge du procès, j'estime que ses remarques sont pertinentes dans le cas présent :

[TRADUCTION] En l'espèce, il existait un certain nombre de contradictions dans le témoignage de la plaignante de même qu'entre son témoignage et celui d'autres témoins. Bien que de légères contradictions n'entachent pas indûment la crédibilité d'un témoin, une suite de contradictions peut constituer un facteur non négligeable et semer un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits quant à la crédibilité du témoignage. Aucune règle ne permet de déterminer dans quels cas des contradictions susciteront un tel doute, mais le juge des faits doit à tout le moins les examiner dans leur ensemble pour déterminer si le témoignage en question est digne de foi. C'est particulièrement vrai en l'absence de corroboration sur la principale question en litige, comme c'était le cas en l'espèce. [par. 29]

[58] Comme l'a estimé la juge Rowles à l'égard de la norme de preuve pénale, lorsque la norme applicable est la prépondérance des probabilités, il n'y a pas non plus de règle quant aux circonstances dans lesquelles les contradictions relevées dans le témoignage du demandeur amèneront le juge du procès à conclure que le témoignage n'est pas crédible ou digne de foi. En première instance, le juge ne doit pas considérer le témoignage du demandeur en vase clos. Il doit plutôt examiner l'ensemble de la preuve pour déterminer l'incidence des contradictions sur les questions de crédibilité touchant au cœur du litige.

[…]

235 Dans l’évaluation de la crédibilité des témoins, je dois donc tenir compte des témoignages et de la façon dont ils s’inscrivent dans l’ensemble de la preuve, compte tenu des autres témoignages, des faits établis, d’une probabilité raisonnable des événements et de mon expérience.

C. Allégations de la plainte

236  Dans cette section de mes motifs, je reprends toutes les allégations qui ont fait l’objet de l’enquête de la plainte. Chaque allégation est soutenue par un ou plusieurs incidents. Selon la méthode d’analyse des enquêteurs, toutes les allégations ont été trouvées bien fondées, bien que certains incidents n’ont pas été retenus comme du harcèlement selon la politique. Les enquêteurs ont exprimé des commentaires concernant le comportement du fonctionnaire pour chacun des incidents.

Allégation 1 - Mme Deslauriers s’est sentie intimidée par le fonctionnaire.

Incident #1 : En août 2001, le fonctionnaire a avisé Mme Deslauriers d’un voyage d’inspection en Gaspésie, dont le départ était prévu pour dimanche, le 3 septembre 2001.

237 Même si cet incident n’a pas été retenu par les enquêteurs comme étant du harcèlement, les enquêteurs questionnent le jugement du fonctionnaire en disant que selon Mme Deslauriers, « il avait tendance à quitter le dimanche » alors que celui-ci explique un motif plausible d’un départ le dimanche. Les enquêteurs déclarent que les départs du dimanche ne sont que pour des urgences ou des « blitz » et commentent le fait que le fonctionnaire ne se souvient pas si le voyage en question revêtait une urgence quelconque, alors que cet aspect ne fait pas partie de l’allégation. Les enquêteurs ajoutent que le fonctionnaire avait une propension à terminer le travail tôt lorsqu’il voyageait et à faire la fête, alors que ceci n’a aucun rapport avec cet incident. Même si l’incident n’est pas retenu comme étant du harcèlement, ces commentaires gratuits dénigrent le fonctionnaire. Cet incident tel que rapporté par Mme Deslauriers est peu crédible car il n’a pas été confirmé par le témoignage de M. Bourdon et a été contredit par M. Sauvé. De plus, cet incident de 2001 est hors délai selon la politique. L’employeur n’a pas expliqué pourquoi il a jugé bon d’enquêter sur cette allégation qui, à sa face même, ne correspond à aucun des éléments de la définition de harcèlement citée dans la politique.

Incident #2 : Le 8 décembre 2003, lors d’une rencontre, le fonctionnaire a questionné Mme Deslauriers sur sa façon de mener ses dossiers et a fait mention d’un concours d’inverse au mérite.

238 Les enquêteurs ont trouvé cet incident fondé. Bien qu’il n’y ait aucun témoin de cet échange entre le fonctionnaire et Mme Deslauriers, les enquêteurs citent l’opinion de « témoins » qui appuient la version de Mme Deslauriers. Par exemple, ils attribuent à M. Boulanger des commentaires sur la qualité du travail de Mme Deslauriers. Les enquêteurs citent les évaluations de rendement de Mme Deslauriers au soutien de cette allégation, sans ajouter qu’elles ont été faites par le fonctionnaire, qui a toujours donné une cote satisfaisante au travail de Mme Deslauriers. Les enquêteurs citent aussi une évaluation de rendement de Mme Belliveau, alors que l’évaluation n’est ni contemporaine, ni assimilable à l’incident allégué. Les enquêteurs imputent des intentions malveillantes au fonctionnaire, en donnant foi à la déclaration de Mme Belliveau, qui traite d’une tout autre question. Les enquêteurs n’expliquent pas comment le fait d’avoir une discussion concernant le travail de Mme Deslauriers est un geste d’intimidation ou de harcèlement au sens de la définition de la politique. Mme Deslauriers n’a pas été menacée de perdre son emploi. M. Giguère a témoigné que les craintes de Mme Deslauriers étaient mal fondées et le fonctionnaire l’a rassurée qu’il n’y aurait pas de concours d’inverse au mérite. Il n’y aucune preuve que le fonctionnaire ait manqué de respect envers Mme Deslauriers. La politique énonce que l’évaluation du travail, le sujet de cette allégation, ne constitue généralement pas du harcèlement.

239 De plus, les deux incidents qui font partie de cette allégation ne sont pas continus, contrairement à ce que l’employeur allègue. Le premier incident de cette allégation a eu lieu en août 2001, tandis que le deuxième a eu lieu en décembre 2003. Plus de deux ans les séparent. Que le deuxième incident ait été jugé crédible et que l’ensemble de l’allégation d’intimidation ait été jugé fondée en raison de cet incident est une conclusion injustifiée.

Allégation 2 :À plusieurs occasions, Mme Deslauriers s’est sentie dénigrée, abaissée et humiliée.

Incident #1 : Du 29 septembre au 5 octobre 1996, à Moncton au Nouveau-Brunswick, lors d’une formation avec d’autres collègues, le fonctionnaire ne lui a pas adressé la parole.  Pendant le déplacement aller-retour en fourgonnette, le fonctionnaire a complètement nié sa présence.

Incident #2 : En mars 2002, lors d’un voyage d’une semaine à Gananoque en Ontario, le fonctionnaire l’a ignorée pendant le trajet et l’a évitée pendant la semaine de formation.

240 J’ai choisi d’analyser ensemble les deux premiers incidents qui font partie de cette allégation. Bien que ces deux incidents aient été jugés comme étant du harcèlement par les enquêteurs, je suis d’avis qu’ils ne constituent pas du harcèlement, et ce pour les raisons suivantes. Concernant le voyage à Moncton, les personnes qui ont fait le voyage étaient Mme Blais, M. Pilon, M. Sauvé, le fonctionnaire et Mme Deslauriers. Par conséquent, ils sont les seuls témoins de l’incident. Mme Blais n’a pas été questionnée par les enquêteurs concernant ce voyage. M. Pilon n’a aucun souvenir de ce voyage et a dit qu’il lui faudrait consulter ses notes. Les enquêteurs n’ont pas donné suite à cette possibilité de vérification. M. Sauvé a dit aux enquêteurs qu’il n’a rien remarqué d’anormal concernant ce voyage. Les déclarations de M. Pilon et de M. Sauvé ne sont pas mentionnées dans le rapport des enquêteurs.

241 Les personnes qui faisaient partie du voyage à Gananoque étaient M. Pilon, Mme Blais, M. Richer, M. Rollet, le fonctionnaire et Mme Deslauriers. Mme Blais et M. Pilon n’ont pas été questionnés concernant cet incident. MM. Richer et Rollet, qui ont été rencontrés par les enquêteurs, n’ont rien remarqué d’anormal. Par contre, les enquêteurs rapportent comme éléments de « preuve » que M. Rollet et Mme Belliveau, qui n’était pas présente, « corroborent le fait » que le fonctionnaire ignorait Mme Deslauriers. Bien que M. Bourdon et Mme Leyton, une employée qui a fait un stage de six mois en 1998, ne faisaient pas partie du voyage, les enquêteurs viennent à la conclusion qu’eux aussi « confirment » que le fonctionnaire avait l’habitude d’ignorer certains employés, un commentaire tout à fait gratuit. Un incident rapporté par Mme Leyton est cité hors contexte et suggère une mauvaise conduite du fonctionnaire, alors que cet incident ne faisait pas partie de l’enquête. Mme Leyton n’a jamais prétendu que le fonctionnaire s’était comporté de façon inappropriée envers elle. Les commentaires des enquêteurs concernant les expériences de Mme Belliveau et Mme Leyton sont non seulement injustifiés, mais tendancieux.

242 Questionnée à l’audience sur l’omission de la déclaration de M. Sauvé comme élément de preuve, Mme Montminy a dit qu’elle ignorait ce qu’avait dit M. Sauvé, parce que c’est l’enquêteur Brooks qui a traité cette partie de l’enquête. Elle ne pouvait expliquer pourquoi Mme Blais ou M. Pilon n’avaient pas été questionnés concernant ces voyages. Elle a admis qu’il s’agissait d’une faille dans l’enquête. Je suis d’avis que les enquêteurs ont mal interprété la preuve, au détriment du fonctionnaire. Les déclarations ne soutiennent aucun geste harcelant envers Mme Deslauriers, si ce n’est la perception de celle-ci que le fonctionnaire entretenait de meilleurs liens d’amitié avec d’autres employés. La preuve soutient la version du fonctionnaire. L’explication donnée par le fonctionnaire est plausible et n’a pas été contredite. Les perceptions de Mme Deslauriers ne constituent pas du harcèlement. De plus, les deux incidents sont non seulement hors délais, ils ne sont pas de nature continue contrairement à ce que prétend l’employeur (Moncton en 1996 et Gananoque en 2002). Enfin, ces allégations ne faisaient pas partie de la plainte déposée le 16 avril 2004.

Incident #3 : Le 11 décembre 2003, le fonctionnaire lui a envoyé un courriel dans lequel il lui reproche sa façon de traiter un dossier. Les collègues de Mme Deslauriers ont reçu une copie conforme du courriel.

243 Les enquêteurs ont conclu que cet incident était du harcèlement. Je suis d’avis que les faits retenus pour faire droit à cet incident sont contraires aux déclarations faites aux enquêteurs et à la preuve. Mis à part Mme Deslauriers, les témoins sont unanimes pour dire que la demande d’exemption de QNS&L, dont il est question dans le courriel du fonctionnaire en date du 11 décembre 2003, n’a pu être traitée lors du voyage d’octobre 2003, parce qu’elle est datée du 12 novembre 2003.

244 L’échange de correspondance entre M. Clavette et Mme Deslauriers, et les courriels entre le fonctionnaire et Jean-Pierre Boucher qui s’échelonnent du 5 septembre au 3 novembre 2003, renvoient au paragraphe 5.1.5 des Règles et non l’alinéa 5.1.1b). Entre autres, dans une lettre du 17 septembre 2003, Mme Deslauriers écrit « [il] est dans l’intention de l’Association des chemins de fer du Canada de soumettre un amendement à cet article [Je souligne] ». Cette preuve appuie la version des faits du fonctionnaire, ainsi que celle de M. Pilon et Mme Blais, que ce n’est pas la demande en vertu de l’alinéa 5.1.1b) des Règles qui a été discuté lors du voyage à Sept-Îles, mais bien une demande en vertu du paragraphe 5.1.5.

245 L’explication du fonctionnaire concernant les répercussions sur la sécurité ferroviaire d’une réponse à une demande d’exemption, l’analyse qui doit servir à la justifier ainsi que l’impact d’une réponse sur l’uniformité des décisions prises au niveau régional et national est non seulement crédible mais incontestable. En demandant à Mme Deslauriers de justifier sa réponse à la demande d’exemption, le fonctionnaire exerçait ses responsabilités de gestionnaire. Le courriel du 11 décembre 2003 ne peut être interprété comme une réprimande. Il n’y a eu aucune conséquence disciplinaire sur Mme Deslauriers. Comme tout dossier d’exemption a un impact sur le travail de l’équipe de l’exploitation, il était raisonnable que les collègues de travail de Mme Deslauriers reçoivent une copie du courriel. Les enquêteurs n’ont pas expliqué pourquoi l’autorité d’un gestionnaire de demander des précisions dans de pareilles circonstances devait s’incliner devant les susceptibilités de Mme Deslauriers. La politique prévoit précisément que le fait d’exiger un rendement conforme aux normes de travail n’est pas du harcèlement. Par conséquent, cet incident ne correspond pas à la définition de harcèlement de la politique et l’incident allégué n’est pas du harcèlement.

Incident #4 : Le 19 décembre 2003, Mme Deslauriers a fait une demande de congé compensatoire. Le fonctionnaire lui a répondu sur un ton fort et agressif devant d’autres employés.

246 Les enquêteurs concluent que ce quatrième incident constitue du harcèlement. Leur conclusion est contraire à la preuve. Mme Deslauriers est la seule à dire que le fonctionnaire lui a parlé sur un ton agressif. Le dictionnaire encyclopédique Larousse définit le mot « agressif » comme étant du caractère d’une agression; l’agression est définie comme étant une attaque brutale et soudaine, non provoquée. M. Giguère, qui occupe un bureau à proximité du fonctionnaire et de Mme Deslauriers, dit n’avoir jamais entendu le fonctionnaire ou Mme Deslauriers élever la voix. M. Pilon, qui a son bureau à côté de Mme Deslauriers, ne se souvient de rien. M. Sauvé a dit que le ton du fonctionnaire n’était pas amical. Mme Deslauriers n’a pas fait mention de cet incident lors de sa conversation avec M. Giguère, lorsqu’elle l’a rencontré à 10 h 30 ce matin-là. Aucune preuve ne confirme le comportement dont se plaint Mme Deslauriers. Dans leur rapport, les enquêteurs rapportent des sautes d’humeur du fonctionnaire, telles qu’observées par certains employés, ce qui n’a aucun rapport avec cet incident. Ces observations ne servent qu’à miner la crédibilité du fonctionnaire. Cet incident ne correspond pas à la définition de harcèlement au sens de la politique et n’est pas du harcèlement.

Incident #5 : Le 26 janvier 2004, le fonctionnaire a demandé à M. Pilon de présenter Mme Deslauriers à M. Delorme plutôt que de le faire lui-même.

247 Les enquêteurs ont jugé que cet incident constituait du harcèlement. Le fait qu’un gestionnaire demande à un autre employé de continuer la présentation d’un visiteur n’est pas un comportement offensant en soi et ne correspond pas à la définition de la politique. Le malaise de M. Pilon, parce qu’il ne parlait plus à Mme Deslauriers, reflète son propre inconfort et n’est pas imputable au fonctionnaire. Cet incident ne fait pas état de paroles ou d’un acte qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne. De plus, le fonctionnaire était justifié de vouloir minimiser les contacts avec Mme Deslauriers puisque celle-ci avait demandé de rompre la relation supérieur/subordonnée en prévision du dépôt de sa plainte. Cet incident ne peut être qualifié de harcèlement.

Allégation 3 : Mme Deslauriers s’est sentie mise de côté par le fonctionnaire et celui-ci lui a nui intentionnellement dans son travail.

Incident #1 : À compter de janvier 2004, le fonctionnaire n’envoyait pas les courriels ou documents nécessaires à Mme Deslauriers pour effectuer son travail.

248 Les enquêteurs ont jugé que cet incident était du harcèlement. L’allégation de Mme Deslauriers voulant que le fonctionnaire a intentionnellement retiré le nom de cette dernière de la liste de distribution des courriels de la Section de l’exploitation, ce qui l’aurait empêchée de bien faire son travail et d’être pleinement préparée pour certaines rencontres, est imprécise. La seule preuve concrète d’une omission du nom de Mme Deslauriers sur la liste de distribution tient à deux courriels, un de Mme Eburn en date du 29 juillet 2004 et un deuxième, de M. Hunter, daté du 10 septembre 2004, qui ont été déposés en preuve. J’ignore quel travail n’a pu être bien fait ou pour quelles rencontres Mme Deslauriers n’a pas pu bien se préparer en raison de l’omission de lui envoyer ces deux courriels. M. Giguère a expliqué que le changement de supervision de Mme Deslauriers avait d’abord été informel et, comme le conflit perdurait, il a été décidé de structurer cette supervision au moyen d’une entente qui a pris un certain temps à prendre effet. Par ailleurs, l’entente limitait l’information pertinente et appropriée que le fonctionnaire devait transmettre à M. Boulanger pour retransmission à Mme Deslauriers, aux demandes de l’administration centrale pour des commentaires concernant des règles à approuver ou modifier. Mme Deslauriers n’a pas démontré que le fonctionnaire avait omis de lui transmettre cette information ou qu’il l’avait délibérément exclue de toute autre liste de distribution.

249 Cet incident ne constitue pas du harcèlement selon la définition de la politique, soit que le comportement était offensant, qu’il diminuait et qu’il dépréciait ou causait une humiliation ou un embarras personnel. Cet incident ne fait pas partie de la plainte déposée par Mme Deslauriers le 16 avril 2004 et n’est pas une « précision », contrairement à ce qu’a plaidé l’employeur.

Incident #2 : En octobre 2004, le fonctionnaire a retenu sans justification des renseignements dont Mme Deslauriers avait besoin pour une rencontre.

250 Cet incident a aussi été jugé comme étant du harcèlement. L’allégation voulant que le fonctionnaire ait retenu sans justification des renseignements dont Mme Deslauriers avait besoin pour une rencontre est fondée sur un seul incident, soit qu’en octobre 2004, le fonctionnaire n’aurait pas transmis à Mme Deslauriers une nouvelle étiquette d’avertissement de danger. Mme Deslauriers n’a pas expliqué comment l’absence de cette nouvelle étiquette avait nui à son travail ou même sa pertinence. La preuve veut que Mme Deslauriers n’était pas à la réunion lorsqu’on a distribué l’étiquette et que, par conséquent, le fonctionnaire l’a remise à M. Pilon pour distribution. C’est M. Pilon qui a tardé à la donner à Mme Deslauriers. Le changement à l’étiquette était mineur. Il n’a pas été contredit que l’étiquette n’avait jamais servi dans le passé. J’ignore comment l’omission de M. Pilon de remettre l’étiquette à Mme Deslauriers pourrait être un geste de harcèlement de la part du fonctionnaire.

251 La version de M. Giguère quant au temps qu’a pu prendre la mise en place du changement de supervision de Mme Deslauriers est une explication plausible du retard ou de l’omission de lui transmettre certains documents. De toute façon, selon Mme Blais et M. Pilon, ils transmettaient régulièrement à Mme Deslauriers les documents pertinents à son travail. Mme Deslauriers n’a pas expliqué pourquoi elle avait attendu 10 mois pour soulever cette question plutôt que de l’avoir soulevée immédiatement avec M. Giguère et M. Boulanger.

252 Tout comme l’incident précédent, cet incident ne constitue pas du harcèlement selon la définition de la politique, soit que le comportement était offensant, qu’il diminuait et qu’il dépréciait ou causait une humiliation ou un embarras personnel. Cet incident ne fait pas partie de la plainte déposée par Mme Deslauriers le 16 avril 2004 et n’est pas une « précision », contrairement à ce qu’a plaidé l’employeur.

Incident #3 : Depuis 1995, le fonctionnaire n’a pas proposé à Mme Deslauriers de faire partie de comités et de rencontres avec des clients, et ne lui a pas confié de projets.

253 Cet incident n’a pas été retenu par les enquêteurs comme étant du harcèlement, faute de preuve. L’employeur n’a pas expliqué pourquoi cette allégation faisait partie de l’enquête. Le fonctionnaire a présenté une liste d’au moins 11 activités de développement professionnel de Mme Deslauriers entre 1999 et 2003. Cette liste est une preuve non contredite qui déboute l’allégation de Mme Deslauriers. Son exactitude aurait pu être vérifiée par l’employeur et par les enquêteurs s’ils la mettaient en doute. Toutefois, dans leur rapport, les enquêteurs affirment que la liste des activités fournies par le fonctionnaire « n’a pu être validée officiellement ». Les enquêteurs relèvent dans leur analyse les commentaires de M. Pilon, de Mme Belliveau et de plusieurs autres employés, qui n’ont aucune pertinence avec cet incident. Les enquêteurs rapportent de façon négative les nombreuses opportunités données par le fonctionnaire à Mme Deslauriers et laissent planer un doute sur les compétences du fonctionnaire.

254 Cette allégation ne faisait pas partie de la plainte et elle ne constitue ni une « précision » ni un fait continu.

Incident #4 : Le fonctionnaire n’a pas avisé les collègues de travail de Mme Deslauriers au moment du décès de sa belle-mère.

255 Le comportement mal venu ou offensant qui fait l’objet de cette allégation n’est pas expliqué par Mme Deslauriers et ses dires ne sont corroborés par personne. Les enquêteurs ont eu raison de rejeter cet incident qui ne constitue pas du harcèlement. Cette allégation ne fait pas partie de la plainte, ne constitue pas une « précision » et n’aurait pas dû faire partie de l’enquête. Il ne s’agit pas d’un fait continu qui peut être relié à une autre allégation de la plainte.

Incident #5 : Le fonctionnaire utilisait les collègues de Mme Deslauriers pour lui transmettre des informations plutôt que de les lui dire directement.

256 Cet incident, si imprécis soit-il, a été retenu par les enquêteurs comme étant du harcèlement. Compte tenu de l’organisation du travail qui a été mise en preuve pour la section, cet incident ne peut constituer du harcèlement de la part du fonctionnaire. Tous les inspecteurs étaient fréquemment sur la route ou étaient en télétravail. Ils ne se présentaient au bureau que s’ils étaient en devoir ou avaient à compléter des rapports qui nécessitaient leur présence au bureau. De plus, les trois membres de chacune des deux équipes travaillaient de très près les uns avec les autres. Il n’est donc pas surprenant si le fonctionnaire communiquait une certaine information à la personne présente au bureau et lui demandait de la communiquer aux autres membres de l’équipe afin d’assurer une uniformité dans le travail. Dans ce contexte, la procédure adoptée par le fonctionnaire ne peut faire l’objet de reproche.

257 Mme Deslauriers n’a pas expliqué comment cette façon de travailler lui nuisait dans son travail. Compte tenu du manque de précisions, cette allégation ne peut être considérée comme un comportent mal venu ou offensant au sens de la définition de harcèlement dans la politique. Cette allégation ne faisait pas partie de la plainte et ne constitue pas une « précision ».

Allégation 4 : Le fonctionnaire a harcelé et agressé sexuellement Mme Deslauriers.

Incident #1 : Le 4 avril 1995, dans un motel de Grand-Mère, le fonctionnaire a agressé sexuellement Mme Deslauriers.

Incident #2 : Le 12 juin 1995, dans un train de VIA Rail Canada, le fonctionnaire a tenté d’embrasser Mme Deslauriers à trois reprises.

258 Au paragraphe 176 de leur rapport, les enquêteurs observent qu’il n’y a aucun témoin des deux incidents allégués par Mme Deslauriers. Par conséquent, il s’agit d’une question de crédibilité entre le témoignage de Mme Deslauriers et celui du fonctionnaire.

259 Les enquêteurs consacrent sept longs paragraphes à décrire des expériences non corroborées de Mme Belliveau, qui remontent à septembre 1991 et qui ne concernent pas l’expérience décrite par Mme Deslauriers, sauf l’intérêt présumé du fonctionnaire à son égard, ce que le fonctionnaire a nié à l’audience.

260 Les événements décrits par Mme Belliveau n’ont pas été signalés au fonctionnaire pendant son entrevue pour qu’il puisse y répondre. Les enquêteurs acceptent comme véridiques les récits de Mme Belliveau qui corroborent la déclaration de Mme Deslauriers. Il est évident à partir de la transcription de la déclaration de Mme Belliveau que les enquêteurs ont même encouragé ces bavardages dont ils se sont servis pour appuyer leurs conclusions d’un milieu de travail malsain.

261 À l’audience, j’ai entendu le témoignage de Mme Belliveau, et j’y accorde peu de foi. Entre autres histoires, Mme Belliveau a raconté un prétendu incident qui se serait déroulé au Québec Inn pendant un 5 à 7 le jour de son anniversaire en 1991. Mme Belliveau avait consommé une quantité importante d’alcool en raison du spécial 2 pour 1 des consommations au bar de l’hôtel pendant une période de deux heures, car chacun des six collègues présents lui a offert une consommation double. Les circonstances de ce qui se serait passé par après, qu’elle a décrit dans son témoignage, démontrent une perspective et un manque de jugement attribuable à un état d’ébriété. À l’audience, l’incident a été contredit de façon crédible par le témoignage du fonctionnaire.

262 Les enquêteurs ont considéré la déclaration de Venance Boucher comme étant une corroboration de l’agression de Mme Deslauriers qui se serait produite à Grand-Mère. À l’audience, M. Boucher ne se souvenait pas des dates de ce présumé voyage. L’employeur n’a déposé aucune preuve que ce voyage avait effectivement eu lieu. En conséquence, il n’y a aucune preuve directe de ce voyage. L’appel téléphonique du fonctionnaire à M. Sauvé n’est pas la preuve d’une allégation aussi grave. Les attouchements décrits par les enquêteurs ne sont pas ceux décrits par Mme Deslauriers à l’audience.

263 J’ai entendu le témoignage de M. Boucher et il est évident qu’il avait un parti pris pour Mme Deslauriers. Celle-ci lui a demandé de témoigner à l’appui de sa plainte alors qu’elle l’avait appuyé lors du dépôt de sa propre plainte de harcèlement quelques années plus tôt. Contrairement à ce que rapportent les enquêteurs, le fonctionnaire a témoigné ne s’être jamais confié à M. Boucher. La supervision de M. Boucher lui avait été imposée à la suite du dépôt de sa plainte de harcèlement et le fonctionnaire n’avait aucun intérêt à se confier à lui.

264 Les enquêteurs ont accordé une importance indue à la déclaration de Mme Leyton. Mme Leyton a été stagiaire pour une période de 6 mois en 1998, soit trois ans après les incidents. Après avoir entendu les histoires de Mme Belliveau et de Mme Deslauriers, elle a jugé, avec le recul, que le fonctionnaire avait peut-être eu des intentions moins innocentes à son égard. Elle n’a jamais accusé le fonctionnaire de gestes inappropriés ou harcelants.

265 J’ai entendu le témoignage de Mme Deslauriers concernant ces deux incidents. Je suis d’avis que sa mémoire des événements s’est atténuée avec le temps. Est-ce parce qu’elle avait consommé de l’alcool le soir de la présumée agression à Grand-Mère ou parce qu’elle nourrit encore des rancunes à l’égard du fonctionnaire? Je ne le sais pas. Compte tenu de la gravité de l’allégation, je ne peux accepter une preuve purement circonstancielle comme étant suffisamment claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités.

266 Quant à l’incident à bord d’un train de VIA Rail Canada en 1995, cet incident est encore moins digne de foi que le premier. Tout d’abord, la date du 12 juin 1995 qui apparaît dans les précisions fournies par Mme Deslauriers est fausse. Mme Deslauriers a eu huit mois pour vérifier l’exactitude de cette date avant de rédiger ses précisions et elle ne s’est pas donné la peine de le faire. Le fonctionnaire a déposé une preuve documentaire, qu’il a fournie aux enquêteurs, qui démontre qu’il n’a pas voyagé au Lac-Saint-Jean le 12 juin 1995 et que Mme Deslauriers participait à une réunion à Montréal cette semaine-là. De plus, les faits décrits par Mme Deslauriers sont peu plausibles. Elle aurait été assise du côté de l’allée dans un train presque vide. Pourquoi ne s’est-elle pas levée pour changer de place? Pourquoi n’a-t-elle pas communiqué l’inopportunité de ses gestes de façon directe au fonctionnaire? Mme Deslauriers n’avait aucune réponse à ces questions.

267 Bien que le fonctionnaire ait effectivement voyagé entre le 10 et le 13 juillet 1995, la réclamation de voyage de celui-ci n’indique pas que Mme Deslauriers et lui aient voyagé dans le même train. Le fonctionnaire a soutenu que souvent les inspecteurs ne voyageaient pas dans le même train ou dans les mêmes wagons en raison de leurs travaux d’inspection. Ce n’est pas parce que Mme Deslauriers et le fonctionnaire se sont rendus au même endroit et aux mêmes dates qu’il y a présomption de l’agression alléguée par Mme Deslauriers.

268 L’employeur a présenté au fonctionnaire pour la première fois à l’audience une déclaration de dépenses de voyage à Grand-Mère entre le 10 et le 13 juillet 1995. Je suis d’avis que cette réclamation ne fait pas la preuve d’une agression et j’accorde donc peu de foi à cet élément de preuve comme corroboration des dires de Mme Deslauriers.

269 Malgré le peu de preuve qui appuyait la deuxième agression alléguée, les enquêteurs ont retenu cet incident comme étant du harcèlement parce que « l’incident étant du même type et clairement démontré, il devient par extension un élément de preuve pour le second ». Cette conclusion est non seulement injustifiée mais équivaut à une « preuve de réputation », c’est-à-dire que, si le premier incident est bien-fondé, il peut servir de motif pour conclure que le second l’est lui aussi.

270 Bref, les enquêteurs ont jugé de la véracité d’incidents graves sur la base de preuve purement circonstancielle. Une preuve claire, crédible et convaincante était nécessaire pour conclure que le fonctionnaire avait commis des gestes aussi graves. Une preuve purement circonstancielle, sans autre élément de corroboration, n’est pas une preuve claire, crédible et convaincante qui fait pencher la prépondérance de la preuve en faveur de Mme Deslauriers. Le fait de conclure qu’un deuxième incident est survenu au seul motif qu’il est « du même type que le premier » relève de l’arbitraire et va à l’encontre de toute norme de probabilité.

Allégation 5 : Le fonctionnaire a abusé de son autorité envers Mme Deslauriers.

Incident #1 : Du 3 avril 1995 au 29 mars 1996, Mme Deslauriers n’a pas reçu la formation et l’encadrement nécessaires pour devenir inspectrice ferroviaire.

271 Cet incident n’a pas été retenu comme étant fondé. Par contre, les enquêteurs ont accordé beaucoup d’importance à la déclaration de Mme Belliveau et à celle d’autres employés qui ne sont pas concernés par cet incident, ceci malgré les propos crédibles et vérifiables du fonctionnaire. Les enquêteurs devaient s’en tenir aux faits. Cet incident n’était pas mentionné dans la plainte. Il a été ajouté comme une « précision ». De toute façon, il est hors délai et ne fait partie d’une continuité d’incidents. Cet incident n’aurait pas dû faire partie de l’enquête.

Incident #2 : En mars 1997, le fonctionnaire a avisé Mme Deslauriers, sans lui demander son avis, qu’elle irait en détachement dans un autre ministère.

272 Cet incident a été retenu par les enquêteurs comme un geste de harcèlement. Les enquêteurs accordent beaucoup d’importance aux perceptions de Mme Belliveau, aux observations de Mme Leyton, qui n’était pas encore employée à ce moment-là, ainsi qu’aux commentaires de M. Boucher, même si ces employés n’ont eu aucune connaissance des faits. Mme Deslauriers leur aurait avoué n’avoir confié à personne ses sentiments concernant cet incident. Le fait que Mme Deslauriers était nouvellement nommée à la Section de l’exploitation ne fait pas en sorte qu’elle ait été forcée d’accepter un détachement.

273 Il n’y a aucune preuve à l’appui de ce qu’allègue Mme Deslauriers, sauf qu’elle aurait préféré ne pas accepter le détachement. Je n’ai relevé aucun élément de coercition entourant la signature de l’entente de détachement. Mme Deslauriers doit assumer la conséquence de ses gestes. Si elle ne voulait pas aller en détachement, elle aurait pu le souligner à Mme Boileau, avec qui elle entretenait de bonnes relations.

274 Je suis d’avis que Mme Deslauriers voyait dans son détachement une occasion de promouvoir sa carrière. Elle avait fait mention au fonctionnaire, lors de sa première évaluation de rendement, qu’elle voulait une formation en santé et sécurité au travail. Par ailleurs, un détachement n’était rien de nouveau, puisque Mme Deslauriers s’était initiée au travail d’inspectrice dans l’unité du fonctionnaire en 1995 par voie d’un détachement recommandé par Mme Boileau. Enfin, cet incident est prescrit en vertu de la politique.

Incident #3 : À la fin août 2001, le fonctionnaire a avisé Mme Deslauriers qu’elle serait responsable de la campagne Centraide pour l’année 2001.

275 La preuve du fonctionnaire réfute carrément l’allégation de Mme Deslauriers et aurait pu être vérifiée par l’employeur sans avoir recours à une enquête. Même si les enquêteurs ne retiennent pas cet incident comme du harcèlement, ils suggèrent dans une note en post-scriptum que le fonctionnaire a fait preuve de mauvais jugement en ne demandant pas à un autre employé d’assumer la charge de Centraide pour l’année 2001. Cet incident est non seulement un fait qui ne fait pas partie de la plainte, mais il est prescrit. Il ne s’agit pas d’un fait continu.

Incident #4 : En 2003, le fonctionnaire a limité les déplacements de Mme Deslauriers et lui a refusé un déplacement à Mont-Joli alors qu’il l’a accordé à M. Picard. Le fonctionnaire a donné comme excuse à Mme Deslauriers que le budget était restreint.

276 Les enquêteurs ont jugé que cet incident n’était pas du harcèlement, ce à quoi je souscris. Malencontreusement, en l’absence de preuve pertinente, les enquêteurs rapportent en détail d’autres « souvenirs » de personnes rencontrées, qui n’ont aucun rapport avec cet incident et qui font douter de la compétence du fonctionnaire.

Allégation 6 : Le fonctionnaire a tenu des commentaires désobligeants à plusieurs reprises à l’égard de Mme Deslauriers.

277 Les enquêteurs ont jugé cet incident comme étant du harcèlement. Je suis d’avis que, si le fonctionnaire a fait des commentaires désobligeants concernant la relation entre Mme Deslauriers et M. Sauvé, ces commentaires étaient déplacés et le fonctionnaire méritait d’être rappelé à l’ordre. Par contre, Mme Deslauriers n’a jamais dit au fonctionnaire que ses propos étaient grossiers, dégradants ou offensants. Les incidents allégués par Mme Deslauriers sont vagues. Les déclarations des personnes rencontrées par les enquêteurs sont truffées de ouï-dire. Quant au commentaire du fonctionnaire concernant la beauté de Mme Twain, j’ai du mal à comprendre les susceptibilités de Mme Deslauriers concernant un incident aussi banal. Il est malheureux que les enquêteurs aient accordé une importance à un tel incident au point de le trouver un geste de harcèlement. Les allégations de Mme Deslauriers, entremêlées avec les commentaires désobligeants des collègues de travail du fonctionnaire relevés par les enquêteurs, ne permettent pas pour ainsi dire de séparer le bon grain de l’ivraie. Le dénigrement n’a pas sa place, quel que soit le milieu et, sur ce point, l’employeur a raison de vouloir maintenir un milieu de travail respectueux. Toutefois, dans la présente affaire, je considère que les allégations de Mme Deslauriers sont trop vagues pour permettre au fonctionnaire d’y répondre et elles sont prescrites selon la politique.

D. Évaluation de la crédibilité des témoignages

278 De toute la jurisprudence soumise par les parties, Bédirian c. Conseil du Trésor (Justice Canada), 2002 CRTFP 89 (Bédirian I), et Bédirian c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2006 CRTFP 4 (Bédirian II), sont les exemples les plus pertinents à la présente analyse. M. Bédirian a contesté une décision de l’employeur, à la suite des conclusions d’une enquête de harcèlement, de lui imposer une suspension de trois jours, de le relever de son poste de gestionnaire et de l’assigner à un poste sans responsabilité de gestion d’employés. Bédirian I a mis au point une analyse en six volets en vue de déterminer s’il y avait eu harcèlement : 1) la totalité de la preuve entourant la conduite reprochée a-t-elle été recueillie, considérée et évaluée? 2) la preuve a-t-elle démontré de façon claire, concise et convaincante que les actes reprochés ont bel et bien été commis? 3) la conduite reprochée consistait-elle en des gestes ou paroles persistants et répétitifs ou d’un seul acte grave? 4) la version respective de la victime alléguée et de la personne visée par la plainte est-elle crédible en soi et, quelle version est la plus crédible selon une prépondérance des probabilités? 5) est-ce que les faits sont compatibles avec ce que reconnaîtrait d’emblée une personne pratique et informée qui se trouverait dans ce lieu et dans ces conditions? 6) est-ce qu’une personne raisonnable verrait la conduite visée comme étant répréhensible, non désirée et de nature sexuelle?

279 L’analyse des allégations ci-dessus m’a convaincu que toutes les questions posées dans Bédirian I doivent être répondues par la négative, et que la preuve a démontré que la version du fonctionnaire est plus crédible, selon une prépondérance des probabilités, que celle avancée par Mme Deslauriers.

280 Concernant l’ensemble des incidents que je viens d’analyser, les témoignages de Mme Deslauriers et du fonctionnaire sont contradictoires et certains incidents ont eu lieu en privé. Je dois donc trancher quelle preuve m’a convaincue.

281 Mme Deslauriers a témoigné avec beaucoup d’émotion et semblait bien convaincue de ce qu’elle disait. Dans sa plainte déposée le 16 avril 2004, elle dit ce qui suit :

[…]

Ces situations ont débuté en juin 1995, lors d’un voyage d’affaires au Lac St-Jean où il m’a agressé. A partir de ce moment, n’ayant pas répondu positivement à son agression, il n’a jamais cessé d’abuser de son autorité vis-à-vis moi et de me diminuer auprès de mes collègues de travail.

Étant sous sa responsabilité comme employée, il a été pendant plusieurs mois, pour ne pas dire années, sans m’adresser la parole. Après plusieurs tentatives de ma part de tenter de rétablir la communication, il me répondait qu’il ne voulait pas me parler.

[…]

[Je souligne]

282 Mme Deslauriers se plaint que le harcèlement de la part du fonctionnaire a débuté en 1995. Elle allègue que le fonctionnaire n’a jamais cessé d’abuser de son autorité envers elle. Elle dit également qu’il a été « pendant plusieurs mois, pour ne pas dire des années » à ne pas lui adresser la parole. À l’audience, Mme Deslauriers a témoigné qu’elle n’avait jamais soulevé auprès du fonctionnaire les incidents qui font l’objet de sa plainte ou des précisions. De plus, les allégations qu’elle soulève sont contredites par les faits.

283 D’abord, Mme Deslauriers a eu l’occasion à au moins trois reprises de se soustraire de la supervision du fonctionnaire entre 1995 et 1998. Le 23 mars 1995, elle a accepté un détachement, à titre d’essai, dans un poste d’inspecteur, auquel elle pouvait mettre fin en tout temps. Après que se soient produits deux présumées agressions le 4 avril et le 12 juin 1995, elle a postulé un poste permanent sous la supervision du fonctionnaire, qu’elle a obtenu en février 1996. Pendant son détachement auprès de DRHC, (entre le 7 avril 1997 et le 27 mars 1998), DRHC lui a offert un poste qu’elle a refusé, parce qu’elle se disait être mieux traitée dans la section du fonctionnaire. Elle est revenue travailler dans la section du fonctionnaire pendant six ans avant de déposer sa plainte.

284 Ensuite, en contre-interrogatoire, Mme Deslauriers a admis qu’à la fin de juillet 1995, elle a été invitée par Mme Blais à une soirée entre amis à un terrain de camping où cette dernière, le fonctionnaire et sa conjointe avaient chacun une roulotte. Mme Deslauriers revenait d’un voyage d’inspection avec M. Sauvé. À la fin d’une soirée bien arrosée, Mme Deslauriers et M. Sauvé se sont retirés dans la roulotte du fonctionnaire pour la nuit et ont partagé le coin salon/salle à dîner. Mme Deslauriers est repartie le lendemain matin pour des vacances familiales avec son mari. Dans son témoignage, M. Sauvé n’a pas nié ces faits.

285 Par ailleurs, les photos prises par le fonctionnaire et M. Pilon concernant des activités sociales pendant les voyages d’affaires et à l’extérieur des heures de bureau déposées en preuve n’appuient pas la version des faits de Mme Deslauriers. Sans exception, les photos montrent Mme Deslauriers qui a l’air de bien s’amuser : par exemple, Mme Deslauriers sur la moto du fonctionnaire, dans divers endroits touristiques au Nouveau-Brunswick et en Colombie-Britannique, dans un bar, dans une discothèque et ainsi de suite.

286 Je trouve incroyable le fait qu’après une première présumée agression le 4 avril et une deuxième présumée agression le 12 juillet, Mme Deslauriers ait accepté de participer, deux semaines plus tard, à une activité sociale au terrain de camping où elle s’est retrouvée avec le fonctionnaire et sa conjointe et a couché dans leur roulotte.

287 L’appréciation de la crédibilité d’un témoin ne relève pas d’une science exacte. L'enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l'observation et de l'audition des témoins amène nécessairement la conciliation des différentes versions des faits. Donner foi à un témoignage par rapport à un autre est une question de jugement. Cette tâche a été particulièrement ardue dans les circonstances de la présente affaire en raison de la période de temps qui s’est écoulée depuis les événements. À la lumière de l’analyse ci-dessus, j’estime que le témoignage de Mme Deslauriers ne concorde pas avec celui d'autres témoins et l’ensemble de la preuve qui m’a été présentée.

288 J’ai trouvé que les explications données par le fonctionnaire en réponse aux incidents allégués étaient plausibles et le plus souvent corroborées par les témoins. Voici quelques exemples concrets : le voyage d’inspection en Gaspésie (allégation #1, incident #1), la discussion concernant le concours d’inverse au mérite (allégation #1, incident #2), le voyage de formation à Gananoque (allégation 2, incident #2), l’envoi du courriel du 11 décembre 2003 (allégation 2, incident #3), l’omission d’envoyer des courriels et documents (allégation 3, incidents #1 et #2), le manque de participation à des comités, rencontres et projets (allégation 3, incident #3), le manque d’encadrement (allégation 5, incident #2), les commentaires désobligeants au retour du fonctionnaire de son détachement (allégation 6). Par conséquent, selon une prépondérance des probabilités, il est plus probable que les incidents se soient produits tels que décrits par le fonctionnaire.

E. Traitement de la plainte

289 Il va sans dire que l’employeur ne peut être tenu responsable du fait qu’une employée dépose une plainte. Par contre, peut-il être tenu responsable de la façon dont il a traité la plainte et a géré l’enquête? Était-il justifié d’imposer des sanctions disciplinaires au fonctionnaire dans les circonstances de l’affaire devant moi?

290 Le but de la politique est de fournir aux employés un climat de travail qui engendre la confiance et le respect mutuel. La politique vise à favoriser un dénouement rapide des conflits afin d’éviter que les problèmes entre employés ne dégénèrent en conflits plus sérieux. Dans son essence, la politique définit ce que l’employeur considère comme un comportement inopportun. La politique prévoit une démarche précise pour régler les plaintes de harcèlement. En suivant cette démarche, l’employeur vise à assurer le respect des droits de chacune des parties et le maintien de la neutralité qui doit entourer l’enquête d’une plainte. Les exigences de la politique suivent de très près la jurisprudence en la matière.

291 Voici la définition de harcèlement au sens de la politique :

Harcèlement (harassment) – se définit comme tout comportement inopportun et injurieux, d’une personne envers une ou d’autres personnes en milieu de travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[Je souligne]

La politique donne aussi les exemples suivants pour clarifier ce qui constitue du harcèlement :

[…]

Annexe – Guide pour déterminer ce qui constitue du harcèlement

Certaines questions peuvent aider à déterminer si un comportement (acte, propos ou exhibition) constitue du harcèlement :

Le comportement est-il mal venu ou offensant?

Une personne raisonnable considérerait-elle ce comportement mal venu ou offensant?

Est-ce qu’il diminue, déprécie ou cause une humiliation ou un embarras personnel?

S’agit-il d’un seul incident grave?

S’agit-il d’une série d’incidents échelonnés sur une certaine période?

[…]

Voici quelques exemples, non exhaustifs, pour clarifier ce qui constitue du harcèlement.

Ce qui en général constitue du harcèlement

Ce qui peut constituer du harcèlement

Ce qui en général ne constitue pas du harcèlement

· Remarques grossières dégradantes ou offensantes, soit graves ou répétées, comme des taquineries sur les caractéristiques physiques d’une personne ou son apparence, des critiques ou des insultes.

· Affichage de photos ou d’affiches ou envoi de courriels de nature sexiste, raciale ou autre renvoyant aux onze motifs illicites dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

· Critique d’un employé en public

·Répartition de la charge de travail.

· Suivi des absences au travail.

· Exigence d’un rendement conforme aux normes de travail.

· Prise de mesures disciplinaires.

· Incident unique ou isolé comme une remarque déplacée ou des manières abruptes.

· Isolement répété d’un employé en lui confiant des tâches sans intérêt ou ingrates qui ne font pas partie de ses fonctions normales.

· Exclusion d’un emploi en fonction des exigences professionnelles nécessaires à l’exécution du travail de façon sûre et efficace.

· Menaces, intimidation ou représailles contre un employé, y compris un employé ayant exprimé des préoccupations au sujet de comportements au travail lui paraissant contraires à l’éthique ou illégaux.

· Mesures prises contre un employé qui est négligent dans son travail, notamment dans la manipulation de documents secrets.

· À l’endroit d’un subalterne, invitations importunes à des activités sociales à connotation sexuelle ou flirt importun.

· Avances sexuelles mal venues.

· Relations sociales bienvenues des deux parties.

· Gestes amicaux entre collègues come une tape dans le dos.

Les agressions sexuelles et physiques sont régies par le Code criminel.

[…]

[Je souligne]

292 La politique prévoit entre autres « [qu’une] plainte doit donner la nature des allégations, […] la date du ou des incidents, leur description et, s’il y a lieu, le nom des témoins […] » et que « [l]’’information sera aussi précise et concise que possible ». La politique prévoit également une date butoir et une deuxième étape, comme suit :

[…]

  Étape 2 – Évaluation de la plainte et accusé de réception

Sur réception d’une plainte, le gestionnaire délégué évalue la plainte et en accuse réception. Les critères utilisés dans cette évaluation sont les suivants :

La plainte doit être déposée dans l’année qui suit le prétendu harcèlement ayant conduit au dépôt de la plainte, à moins qu’il n’y ait des circonstances atténuantes;

La plainte doit comporter les renseignements énumérés à l’étape 1.

Si ces critères sont respectés, le gestionnaire délégué avise le mis en cause qu’une plainte a été reçue et l’informe, par écrit, des éléments de la plainte, notamment des allégations.

Si ces critères ne sont pas respectés, le gestionnaire délégué informe le plaignant, par écrit, du rejet de la plainte. S’il y a lieu, le gestionnaire délégué suggère au plaignant d’autres moyens de régler la question.

  Étape 3 – Étude de la plainte

Une fois qu’il a accepté la plainte, le gestionnaire délégué l’étudie et, au besoin, demande de l’information additionnelle pour déterminer si les allégations portent sur du harcèlement.

[…]

[Je souligne]

293 Les critères de la politique sont repris dans le Guide destiné à l’intention des gestionnaires délégués (le « guide ») où l’on retrouve les étapes à suivre pour traiter une plainte de harcèlement :

[…]

Rôle des gestionnaires délégués et attentes à leur égard

[…]

Étape 2 : Évaluation de la plainte et accusé de réception

Votre première tâche consiste à établir si la plainte répond aux critères mentionnés à l’étape 1. Si certains des renseignements requis ne sont pas fournis, vous devriez communiquer avec le plaignant et l’informer par écrit que ces renseignements sont nécessaires pour donner suite à la plainte.

Si la plainte répond aux critères […]

[…]

[Je souligne]

294 Le guide énonce aussi le rôle important que doit jouer un gestionnaire délégué qui agit au nom de l’administrateur général :

[…]

Rôle des gestionnaires délégués et attentes à leur égard

Comme tout autre gestionnaire, vous devez offrir à vos employés un milieu de travail exempt de harcèlement. Cela signifie entre autres que vous devez intervenir promptement pour régler toute situation de harcèlement, qu’une plainte qui été formulée ou non.

À titre de gestionnaire délégué, il vous incombe en outre de surveiller le déroulement du processus de plainte suivant le dépôt d’une plainte de harcèlement. Le processus comporte les six étapes suivantes : le dépôt, la réception de la plainte; l’évaluation et l’accusé de réception; l’étude de la plainte; la médiation; l’enquête; la décision. (À l’étape de l’étude de la plainte, vous devrez évaluer cette dernière et déterminer la procédure à suivre, de même que veiller à ce que les mesures appropriées soient appliquées pour résoudre la situation.)

Les plaintes de harcèlement sont très coûteuses, tant pour les organisations que pour les personnes concernées. Leur prix au plan émotionnel, de même que leurs implications financières – qu’il s’agisse de travail pour les spécialistes des ressources humaines, de baisse de productivité, de coûts d’enquête et autres – justifient une réponse rapide et adéquate à toute plainte de harcèlement.

En raison des implications légales des plaintes, il est essentiel également que les réponses à ces dernières soient équitables, appropriées et conformes à la Politique du Conseil du Trésor. À titre de gestionnaire délégué, vous jouez un rôle crucial dans le bon déroulement du processus de plainte.

[…]

  3) Informer les parties

Il importe de maintenir des communications claires, en temps opportun, avec toutes les parties concernées et tout au cours du processus. Dans la politique du Conseil du Trésor, des attentes ont été énoncées à l’égard des plaignants, des mis en cause et des témoins. Vous devez veiller, dans votre rôle de gestionnaire délégué, à ce que toutes ces attentes soient respectées. Les parties concernées devraient être informées de tout développement dans le dossier. Vous devriez demander au plaignant et au mis en cause quel genre de soutien ou d’aide ils auront besoin tout au cours du processus et les diriger vers les ressources appropriées. […]

[…]

  Le processus d’enquête

Vous devez d’abord choisir un enquêteur, définir son mandat et lui préciser vos attentes. On remet ensuite à l’enquêteur tous les documents relatifs à la plainte, y compris une copie des allégations et tout autre renseignement pertinent.

[…]

[Je souligne]

295 De plus, Transports Canada s’est doté d’un « Addenda » comme document complémentaire à la politique qui précise la responsabilité et l’autorité ultime relativement à l’application de la politique. Entre autres responsabilités, les gestionnaires délégués doivent :

[…]

§ être impartiaux dans tout processus de plainte auquel ils participent

§ suivre les étapes définies dans le processus de plainte

[…]

§ assigner un mandat aux enquêteurs et veiller à ce que ces derniers satisfassent aux critères du Profil de compétences […] qu’ils soient impartiaux, […] et ne soient pas en situation de conflit d’intérêts

[…]

§ veiller à ce que la procédure établie soit suivie afin que les parties aient la possibilité de faire connaître leur position et de répondre à la position des autres parties

[…]

§ veiller à ce que les parties reçoivent l’information à laquelle elles ont droit

[…]

296 Ainsi, le cadre d’enquête développé par l’employeur prévoit que, lorsqu’une situation de conflit se présente, un gestionnaire délégué doit assumer un rôle proactif.

297 La politique souligne qu’une plainte doit donner la nature des allégations, la date du ou des incidents, leur description et, s’il y a lieu, le nom des témoins. Autres que des allégations générales, la plainte déposée le 16 avril 2004 ne contenait pas les éléments d’une plainte conforme à la politique. Quatre des cinq allégations étaient prescrites. L’allégation d’agression sexuelle était précisément exclue du processus d’enquête selon le libellé de la politique.

298 Mme Deslauriers n’a présenté aucune circonstance, que ce soit au moment du dépôt de la plainte ou à l’audience, pour expliquer le délai à déposer la plainte. Le guide donne comme exemple d’une circonstance expliquant un retard, un congé de maladie prolongé. L’employeur a plaidé que l’existence de faits continus et la gravité des allégations justifiaient le dépôt tardif de la plainte. L’existence de faits continus n’est pas une circonstance qui empêchait Mme Deslauriers de déposer la plainte plus tôt et la gravité des allégations n’en est pas une circonstance atténuante non plus.

299 La seule allégation non prescrite traitait de l’exigence d’un rendement conforme à une norme de travail, un élément exclu de la définition du harcèlement.

300 Le 8 décembre 2004, Mme Paris a accepté que 11 nouveaux incidents, appelés des « précisions », fassent partie de la plainte. Les nouveaux incidents ont été communiqués au fonctionnaire le jour avant le début de l’enquête. Aucun des incidents ajoutés en décembre 2004 n’a fait l’objet d’une évaluation, d’une étude ou d’une offre de médiation et, par conséquent, ces incidents n’ont jamais été traités selon la procédure prévue à la politique.

301 Mme Paris a influencé le traitement de la plainte à plus d’une reprise. Elle a rencontré les représentants syndicaux de Mme Deslauriers pour discuter de la plainte avant qu’elle ne soit déposée. Pendant la période qui a précédé l’enquête, elle a eu plusieurs rencontres et conversations téléphoniques avec Mme Deslauriers et ses représentants syndicaux concernant les limites de l’enquête. À trois reprises, Mme Paris a aidé Mme Deslauriers à préciser ses allégations soit : les allégations d’agression sexuelle le 30 septembre 2004; le résumé chronologique des incidents liés à la plainte le 29 novembre 2004; et la reformulation des allégations le 18 décembre 2004, pour qu’elles soient conformes aux recommandations fournies par Mme Montminy. Mme Paris a communiqué régulièrement avec Mme Montminy concernant le progrès du dossier et le contenu de la plainte.

302 Par contre, entre le début de juillet 2004 et l’entrevue du 24 janvier 2005, et l’entrevue du fonctionnaire par les enquêteurs, les contacts entre l’employeur et le fonctionnaire se sont limités à quatre communications écrites : une lettre du 6 juillet 2004, l’informant qu’une plainte de harcèlement avait été déposée contre lui; une lettre du 13 août 2004, l’informant de la nomination de Mme Montminy comme enquêteur; une lettre du 15 novembre 2004, l’informant de l’ajout de deux allégations d’agression sexuelle remontant à 1995; et une lettre du 23 décembre 2004, lui fournissant des précisions quant aux allégations découlant de la plainte de Mme Deslauriers.

303 Mme Paris a aussi cherché à influencer les résultats de l’enquête en demandant la participation de Mme Belliveau après que les rencontres avec les témoins aient débuté. Il y a lieu de rappeler que Mme Belliveau a été inspectrice ferroviaire dans la section du fonctionnaire de 1991 à 1997, sauf pour un an, où elle a été en détachement. Le 19 avril 2004, soit cinq jours après Mme Deslauriers, Mme Belliveau a déposé une plainte de harcèlement contre le fonctionnaire en y alléguant des événements qui remontent à 1992. L’employeur a rejeté cette plainte sans enquête, au motif qu’elle était hors délai, sans la communiquer au fonctionnaire. Le 11 janvier 2005, Mme Paris a demandé aux enquêteurs de rencontrer Mme Belliveau. Voici la transcription des notes personnelles contemporaines de Mme Montminy concernant la conversation avec Mme Paris au sujet de rencontrer Mme Belliveau :

[…]

[conversation téléphonique] avec Mme Paris    11-01-05

Dossier 04-008

Me demande si je me souviens de la 2e personne qui avait déposé une plainte contre M.R. pour [harcèlement sexuel] et que la gestion n’avait pas retenu parce que les incidents remontaient à trop loin et aucune situation survenu dans la dernière année : Mme Nathalie Béliveau R. oui

Mme Paris veut savoir si [nous] la rencontrerons, oui. La gestion a l’intention de lui acheminer une lettre mentionnant qu’elle aura l’occasion de discuter de sa situation vécue [dans] le cadre de notre enquête. R. je spécifie que l’important est de ne pas ouvrir la porte trop large à savoir de ne pas enquêter sur son cas en détails car notre mandat concerne la plainte de Mme D., ne pas créer de fausses attentes : par l’entrevue à titre de témoin et à travers les questions des [enquête de harcèlement], elle pourra relater certains incidents liés à l’une ou l’autre des parties.

Mme Paris me demande si on [ferait une enquête] si elle nous le demanderait. R. : il faudrait un nouveau mandat, nouvelle motif etc. Ils vont donc (décision de Mme P. après discussion) simplement envoyer leur lettre avec précautions.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[Je souligne]

304 La plainte de Mme Belliveau n’a pas été communiquée au fonctionnaire, ni le fait que l’employeur avait demandé que Mme Belliveau soit rencontrée dans le cadre de l’enquête. Mme Belliveau n’était témoin d’aucun des incidents allégués par Mme Deslauriers et elle n’était pas mentionnée dans la plainte de Mme Deslauriers. Néanmoins, la déclaration de Mme Belliveau a revêtu une grande importance dans l’analyse des enquêteurs.

305 Une comparaison entre la plainte de Mme Deslauriers et celle de Mme Belliveau ne laisse aucun doute qu’il y a eu une collaboration entre elles quant à la rédaction de leurs plaintes. Les deux plaintes sont adressées à M. Valeri, alors que la politique prévoit qu’une plainte est déposée auprès du gestionnaire délégué; l’organisation et le style de composition des deux lettres ainsi que le vocabulaire utilisé est trop semblable pour relever du hasard. Ces faits me portent à croire qu’il y a eu collusion entre Mmes Deslauriers et Belliveau dans le but de nuire au fonctionnaire. Le fait que Mme Paris songe tout à coup à rouvrir la plainte de Mme Belliveau pour l’associer à celle de Mme Deslauriers, et ce sans communiquer ces renseignements au fonctionnaire, n’est pas un geste involontaire et démontre la partialité de l’employeur dans ce dossier.

306 À ceci, il y a lieu d’ajouter que Mme Montminy a aussi fait preuve de partialité lorsqu’elle a fait des recommandations à Mme Paris, pour le bénéfice de Mme Deslauriers, quant à la structure de la plainte et lorsqu’elle a accepté de procéder à une enquête qu’elle savait ne pas être conforme à la politique. Mme Montminy a aussi fait preuve de partialité pendant l’enquête lorsqu’elle a été persuadée par Mme Paris de rencontrer Mme Belliveau, lorsqu’elle a communiqué avec un agent de la Sûreté du Québec et qu’elle a communiqué cette information directement à Mme Deslauriers. Les enquêteurs ont montré leur partialité lorsqu’ils ont accepté que Mme Deslauriers change la date d’une allégation d’agression sexuelle, sans avertissement au fonctionnaire avant de le rencontrer. Mme Paris, qui communiquait régulièrement avec Mme Montminy, ne pouvait ignorer ces circonstances.

307 L’ordre des témoins a été préjudiciable au fonctionnaire. Mme Deslauriers a été rencontrée en premier et le fonctionnaire, le treizième de quinze. En raison de cet ordre, l’enquête a été incomplète et biaisée. Mme Deslauriers a donné sa version des faits en premier et les témoins qui sont venus par la suite ont été interrogés en tenant compte de cette seule version. En réponse à certaines allégations, le fonctionnaire a donné une toute autre version des faits avec des documents à l’appui de ses dires. Les témoins déjà entendus n’ont pas été réinterrogés concernant les faits avancés par le fonctionnaire. L’employeur n’a pas traité avec le sérieux qui leur était dû les explications apportées par le fonctionnaire.

308 Un autre élément préjudiciable au fonctionnaire a été la transcription partielle des déclarations et l’information qui a été transmise à la gestionnaire déléguée. Selon le témoignage de Mme Montminy, les enquêteurs ont eu le mandat de minimiser les coûts de transcription et, par conséquent, pour éviter un débordement des coûts, certaines parties des entrevues, jugées non essentielles par les enquêteurs, n’ont pas été enregistrées, sauf la déclaration de Mme Deslauriers qui a été enregistré en entier. Mme Montminy n’a pas expliqué pourquoi les enquêteurs avaient appliqué cette distinction.

309 L’omission d’enregistrer toute la déclaration du fonctionnaire a eu un impact sérieux. Le fonctionnaire avait préparé une réfutation écrite à toutes les allégations transmises avant le début de l’enquête. Les enquêteurs ont jugé que ce texte était trop long pour être reproduit à même les transcriptions et ont arrêté l’enregistrement à chaque fois que le fonctionnaire renvoyait à son texte préparé ou le lisait. Ce texte, qui est une partie vitale de sa déclaration, n’est pas reproduit comme faisant partie de sa déclaration. De fait, il n’apparaît nulle part, sauf ici et là quand les enquêteurs réfèrent à l’existence d’un texte écrit. La conséquence de cette omission est que les justifications du fonctionnaire contenues dans ce texte écrit ne font pas partie de l’analyse des enquêteurs. Les enquêteurs ont carrément ignoré des parties importantes de cette déclaration écrite. De plus, la transcription des déclarations a été remise à la gestionnaire déléguée, mais pas le document du fonctionnaire à l’appui de sa réfutation des allégations. Ce document n’a fait surface qu’à l’audience. Par conséquent, les personnes qui ont pris connaissance du rapport d’enquête et le peu de personnes qui ont pris la peine de lire les déclarations disposaient d’une information incomplète pour une prise de décision. Par conséquent, l’employeur a imposé une mesure disciplinaire au fonctionnaire sur la base de renseignements incomplets.

310 Le fonctionnaire a soulevé les iniquités du rapport d’enquête lorsqu’il a été rencontré le 18 mai 2005 et pendant la procédure de grief, mais il appert que l’employeur ne les a pas prises aux sérieux.

311 L’enquête d’une plainte, même si elle est menée par des tiers, demeure attribuable à l’employeur qui engage leurs services. La gestionnaire déléguée ne peut abdiquer ses responsabilités de révision avant la prise de décision en se fiant uniquement à la réputation d’enquêteurs qui agissent en son nom, comme elle l’a fait ici. En raison des conséquences très sérieuses des conclusions de l’enquête, il lui revenait de s’assurer que le rapport était de « haute qualité », tel qu’en fait mention le guide, avant de recommander l’imposition d’une mesure disciplinaire au fonctionnaire.

312 J’estime que l’employeur a manqué à son devoir de transparence et a indûment favorisé les allégations de Mme Deslauriers dans le traitement de la plainte. Je suis persuadée que si l’employeur avait pris la peine d’analyser les allégations de la plainte, de rencontrer les parties, de vérifier les faits à partir d’une documentation qu’il détenait déjà, de suivre les conseils du MDN, d’accepter la rigueur de la politique à l’égard de la prescription et des limites d’une enquête et de se tenir à l’écart du travail des enquêteurs, cette affaire se serait soldée tout autrement. En exigeant une enquête sans avoir fait ses devoirs, l’employeur a amorcé une chasse aux sorcières.

313 Je considère particulièrement aggravant d’avoir permis l’ajout de 11 allégations à la plainte déposée le 16 avril 2004 en passant outre la politique, d’avoir fait enquête sur des allégations exclues de la politique ― parce qu’elles étaient prescrites, relevaient d’une enquête criminelle ou avaient eu lieu avant l’entrée en vigueur de la politique ―, d’avoir donné un mandat d’enquête sur le climat organisationnel sans avertissement au fonctionnaire et de l’avoir discipliné sur cet aspect de l’enquête, ainsi que d’avoir encouragé une déclaration de Mme Belliveau pour soutenir la plainte de Mme Deslauriers sans avertissement au fonctionnaire alors que l’employeur avait déjà rejeté la plainte de Mme Belliveau.

314 L’impression laissée par toute cette affaire est que Mme Pageot, Mme Paris, Mme Gagnon et même Mme Montminy se sont laissées prendre par le caractère sensationnel des allégations et ont oublié de s’attarder aux faits. J’ajoute qu’avec l’importance démesurée donnée aux incidents les plus mineurs, il m’a semblé entendre une série dramatique dont les épisodes devenaient de plus en plus scabreux avec chaque témoin entendu. Le fait que les allégations remontaient maintenant à presque 15 ans à la date de l’audience a sûrement contribué à cet effet.

315 J’en viens maintenant à la partie de l’enquête qui traite du climat organisationnel.

316 Mme Paris a donné un mandat aux enquêteurs de faire rapport du climat organisationnel comme toile de fond de la plainte de Mme Deslauriers. Selon Mme Montminy, l’étude du climat organisationnel qui fait partie d’une enquête du MDN sert à l’amélioration des pratiques de gestion, mais ne sert pas à imposer des mesures disciplinaires.

317 Le mandat d’enquête sur le climat organisationnel que Mme Paris a donné aux enquêteurs se lit comme suit :

[…]

Analyse

[…]

c. évaluer l’ensemble de la situation dans le milieu de travail en question et en rendre compte afin de cerner les facteurs sous-jacents qui pourraient avoir contribué à la plainte et avoir des répercussions négatives sur le climat de travail.

[…]

318 Dans leurs constatations générales au début du rapport d’enquête, les enquêteurs cadrent le climat organisationnel comme une expression d’un abus de pouvoir de la part du fonctionnaire en plus de suggérer que le fonctionnaire pourrait être coupable d’actes de harcèlement envers d’autres employés. Après avoir pris connaissance des déclarations des personnes rencontrées par les enquêteurs, j’estime que l’ensemble des observations des enquêteurs sont fondées sur des potins et des racontars, des impressions généralisées et, en raison de la preuve à l’audience, de faussetés. Les commentaires négatifs des employés ont été encouragés par les questions posées par les enquêteurs, tout particulièrement dans le cas de la déclaration de Mme Belliveau. Plutôt que de s’en tenir à une liste de questions structurées, les enquêteurs se sont engagés dans une discussion à bâtons rompus avec les personnes rencontrées. Si la portée de l’enquête assurait de mettre le premier clou dans le cercueil du fonctionnaire, l’exposé du climat et des relations de travail visait son enterrement.

319 De façon contradictoire, le mandat d’enquête précise que le rapport final des enquêteurs devait tenir compte uniquement des éléments liés à la plainte :

[…]

Rapport final

(1) Rédiger le rapport final en utilisant le rapport provisoire et en y ajoutant l’information décrite aux points (e) et (f) ci-bas :

(a) un résumé de la plainte de harcèlement;

(b) une description de l’allégation ou des allégations;

(c) une description du contexte et des éléments de preuve qui justifient et qui ne justifient pas, chaque allégation;

(d) une analyse des éléments de preuve relativement à chaque allégation;

(e) une déclaration selon laquelle chaque allégation est fondée ou non;

(f) une décision à savoir si le comportement décrit dans chaque allégation constitue ou non du harcèlement.

320 Une plainte de harcèlement attire une stigmatisation qui s’attache au soi-disant harceleur pendant des années et parfois la vie durant. Ces allégations ne doivent pas être traitées à la légère. Le fonctionnaire avait sûrement ses torts, mais les faits de cette affaire ne justifient pas le traitement qu’il a subi. Aucune des cinq allégations de la plainte de la fonctionnaire déposée le 16 avril 2004 ne justifiait de donner aux enquêteurs un mandat pour une enquête généralisée du comportement du fonctionnaire. L’employeur ne m’a présenté aucun motif pouvant justifier la tenue d’une enquête sur le climat organisationnel; ce genre d’enquête ne fait pas partie de la politique.

321 Pour toutes ce raisons, je conclus que toute mesure disciplinaire ou administrative imposée au fonctionnaire était injustifiée.

F. Circonstances entourant le témoignage de Mme Deslauriers

322 Les circonstances entourant la façon dont Mme Deslauriers a été appelée à présenter son témoignage à l’audience devant moi révèle sous un autre angle la partialité de l’employeur par rapport à l’enquête de la plainte. Le premier jour de l’audience, l’employeur a demandé que Mme Deslauriers puisse témoigner hors de la présence du fonctionnaire, en raison de sa fragilité. Mme Deslauriers revenait d’un congé de maladie. J’ai refusé cette demande de l’employeur. L’employeur a réitéré sa demande après plusieurs jours d’audience. Mme Deslauriers avait présenté une note médicale à l’employeur voulant qu’elle ne puisse témoigner. L’employeur m’a demandé d’accepter sa déclaration devant les enquêteurs comme des faits avérés, puisqu’elle était la plaignante. J’ai rejeté cette demande au motif que Mme Deslauriers était le témoin principal et que le fonctionnaire avait le droit de la contre-interroger. L’employeur a ensuite demandé que j’entende Mme Deslauriers par téléconférence pour éviter le stress d’avoir à être confrontée par le fonctionnaire. J’ai rejeté cette demande pour des raisons d’équité procédurale en raison des principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 S.C.R. 471. L’audience a été retardée à deux reprises en raison de ces demandes. Mme Deslauriers s’est éventuellement conformée à une assignation à comparaître dans les circonstances qui suivent.

323 Mme Deslauriers a déposé un grief individuel le 25 avril2006 contestant le fait qu’elle avait pris un congé de maladie de plusieurs mois pour épuisement professionnel à cause de la procédure d’enquête de harcèlement et, par conséquent, avait épuisé sa banque de congés de maladie. Le grief a été rejeté au deuxième palier de la procédure applicable. Pendant que se déroulait l’audience, l’employeur a choisi de régler le grief avec Mme Deslauriers en retour d’une compensation importante. L’offre de règlement a été signée par Mme Deslauriers le 9 juillet 2008, alors que l’audience était en cours. Le fonctionnaire a soutenu que le témoignage de Mme Deslauriers avait été « acheté » et que je devais tenir compte de cet élément dans l’évaluation de sa crédibilité. L’employeur a soutenu que ce règlement n’avait rien à voir avec le fait que Mme Deslauriers acceptait de venir témoigner et m’a demandé de ne pas en tenir compte. Des documents concernant le règlement du grief de Mme Deslauriers ont été déposés en preuve et ont été scellés.

324 À l’audience, Mme Deslauriers a eu besoin d’un aide-mémoire, composé pendant la préparation de son témoignage avec le procureur de l’employeur, pour se rappeler de certains faits essentiels à son témoignage, dont la date de la présumée agression du 12 juin 1995. Les autres contradictions dans le témoignage de Mme Deslauriers sont relevées dans mon analyse des allégations de la plainte.

G. Cadre disciplinaire

325 Lorsque l’employeur décide d’exercer son pouvoir disciplinaire, il doit informer l’employé des motifs qui font l’objet de la mesure et lui donner la chance d’y répondre avant de prendre une décision de le sanctionner.

326 Il est évident dans cette affaire que l’employeur avait déjà pris sa décision d’imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire avant même de le rencontrer le 18 mai 2005. L’objet de cette rencontre était de le persuader de se trouver un nouvel emploi, sinon, l’employeur entendait le faire à sa place.

327 L’intention bien arrêtée de ne pas retourner le fonctionnaire à son poste de gestionnaire est devenue très évidente lorsque Mme Gagnon a témoigné concernant le plan de redressement qu’elle a proposé au fonctionnaire le 3 octobre 2007, soit plus de deux ans après la conclusion de l’enquête. Mme Gagnon a déposé en preuve un document dans lequel elle avait fait la liste des écarts du fonctionnaire relevés dans le du rapport d’enquête. Elle a reconnu n’avoir pas encore communiqué au fonctionnaire les écarts de conduite qui, à ses yeux, justifiaient le plan de redressement. Le plan ne comprenait aucun critère objectif d’évaluation ou une date précise de retour du gestionnaire dans ses fonctions de gestion. L’évaluation de Mme Gagnon du progrès du fonctionnaire en vue du retour à ses fonctions antérieures dépendait entièrement de la bonne volonté de celle-ci.

H. Mesures de réparations

328 Le fonctionnaire a plaidé qu’il avait droit à des redressements importants. Il a soutenu que l’employeur avait fait preuve de mauvaise foi en tentant par tous les moyens de mettre fin à son recours à l’arbitrage de grief, y compris la substitution de la suspension par une lettre de réprimande et la proposition d’un plan de redressement s’il acceptait de reconnaître ses torts.

329 Le fonctionnaire a fait valoir que sa rétrogradation lui a fait subir un retard important dans sa carrière et une sanction pécuniaire au sens de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Le fonctionnaire a engagé des frais de déplacement importants pour se rendre au travail maintenant qu’il doit se déplacer à Dorval. Son temps de déplacement est de plus de deux heures par jour, alors qu’il était d’une demi-heure à l’aller et au retour; il doit utiliser sa voiture personnelle au lieu du transport en commun. Le fonctionnaire a allégué que sa qualité de vie a été grandement affectée par le déplacement contre son gré. Il n’est plus en mesure d’être rémunéré pour le temps supplémentaire qu’il accomplissait régulièrement et il ne bénéficie plus du remboursement des dépenses pour les nombreux déplacements à l’extérieur du bureau qu’il engageait à titre de gestionnaire.

330 L’employeur a soutenu que le fonctionnaire n’a subi aucune sanction pécuniaire au sens de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP et a cité au soutien de sa position les décisions Bobinski c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.J. no 244 (C.A.) (QL), et St-Onge c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossier de la CRTFP 166-02-16481 (19871112).

331 Dans Bobinski, la Cour d’appel fédérale a décidé que l’expression « peine pécuniaire » comprenait l’obligation de payer une somme d’argent à titre de sanction pour un manquement à la discipline et comprenait une amende.

332 Dans St-Onge, l’arbitre de grief a été d’avis qu’une réclamation pour logement, kilométrage et autres frais liés à un déplacement à la suite d’une sanction disciplinaire étaient des déboursés et non une sanction pécuniaire au sens de l’ancienne LRTFP. M. St-Onge avait été muté pour une période temporaire pour des motifs disciplinaires. Pendant cette période de mutation, il conservait son classement, son salaire et ses avantages sociaux. Il bénéficiait aussi du droit de réclamer toutes les dépenses qui s’y rattachaient. La mutation est devenue permanente et l’employeur lui a offert tous les avantages que comporte une mutation. M. St-Onge a décidé de ne pas s’en prévaloir. Au moment de l’arbitrage de son grief, il n’avait jamais réclamé les dépenses en question. L’arbitre de grief a été d’avis que les déboursés encourus par M. St-Onge n’étaient pas une peine pécuniaire reliée à une mesure disciplinaire mais des dépenses personnelles.

333 Je suis d’avis que St-Onge se distingue amplement de la présente affaire. En l’espèce, l’employeur n’a pas consulté le fonctionnaire avant de lui ordonner de se présenter à Dorval, situé à une distance importante de son lieu de travail habituel, ne lui a pas offert le remboursement de ses dépenses de déplacement, ne lui a pas offert de l’aider pour tenir compte du doublement de son temps de déplacement à tous les jours. Le fonctionnaire n’a eu de choix que d’utiliser sa voiture personnelle pour se rendre à sa nouvelle assignation à Dorval et d’encourir des frais de déplacement exceptionnels. La situation dans laquelle s’est retrouvé le fonctionnaire n’est pas assimilable à une mutation volontaire où l’employé choisit de ne pas déménager ou de faire des arrangements personnels qui ne tiennent pas compte de son lieu de travail.

334 Le fonctionnaire a soumis la preuve de ses pertes personnelles et financières causées par les agissements de l’employeur. Il a soutenu qu’il avait souffert moralement et physiquement de l’épreuve qu’a été les cinq dernières années et réclame des dommages compensatoires, punitifs et exemplaires. L’employeur n’a pas vraiment contesté le montant des dommages subis par le fonctionnaire, mais plutôt leur pertinence à cette affaire.

335 Comme je l’ai déjà mentionné, la preuve m’a convaincue que le fonctionnaire a fait l’objet d’une rétrogradation injustifiée. En date de la présente décision, le fonctionnaire aura subi un retard de plus de cinq ans de carrière, ce qui est énorme compte tenu de ses compétences admises par tous les témoins. Le manque de progression pendant cette période a aussi nui à ses prestations de retraite. Le fonctionnaire a perdu tous ses moyens personnels et financiers en raison de cette affaire. Il a été profondément humilié et toute forme de compensation ne remplacera jamais les moments difficiles qu’il a vécus.

336 En tant que personne exclue de l’unité de négociation, le fonctionnaire a encouru des frais pour se défendre. J’ai été persuadée que la complexité de cette affaire justifiait que le fonctionnaire obtienne des conseils professionnels et se fasse représenter par un avocat. Le manque de célérité de l’employeur à traiter la plainte et les conséquences de l’enquête sont des facteurs que je juge aggravants. Pour soutenir les honoraires et frais de son avocat, le fonctionnaire a vendu sa maison à perte, sa moto et une deuxième voiture. Il a aussi encaissé ses REER. J’estime que les manquements de l’employeur justifient que le fonctionnaire soit indemnisé pour ces pertes. Dans la présente affaire, l’employeur a contribué largement à la longueur des procédures, que ce soit dans le traitement de la plainte ou l’enquête, de la procédure de grief et de l’arbitrage.

337 Le fonctionnaire a témoigné que la longueur des procédures et le stress relié à l’enquête a fait en sorte qu’il a fait une dépression majeure au point d’épuiser sa banque de congés de maladie. Sa conjointe l’a quitté en raison du stress familial causé par toute cette affaire. Au moment de l’audience, le fonctionnaire habitait dans une pension. Il est ruiné. Bien qu’une preuve médicale puisse s’avérer utile pour démontrer une atteinte physique ou psychologique, elle n’est pas essentielle pour démontrer le caractère grave et nocif de conduite de l’employeur, ni l’atteinte à la dignité du fonctionnaire. Le fonctionnaire avait droit à un milieu de travail exempt de malice et de mauvaise foi, soit un milieu sain et productif comme l’a préconisé l’employeur.

338 Dans Baillie c. Technologies Digital Shape inc., 2008 QCCRT 549, la Commission des relations du travail du Québec s’est exprimée ainsi concernant le droit à la dignité :

[…]

[37] Il est vrai que Marine Baillie n’a pas été frappée physiquement. Mais elle a été effectivement démolie sur le plan professionnel. Comme Félix Leclerc l’a écrit : « La meilleure façon de tuer un homme c’est de lui donner un salaire à rien faire ». La meilleure façon de démolir Marine Baillie était de ne pas lui donner de travail.

[38] Dans Breton c. Compagnie d’échantillons National ltée, 2006 QCCRT 601 (CanLII), 2006 QCCRT 0601, la Commission s’exprime comme suit :

[155] Selon la jurisprudence et la doctrine, la dignité réfère au respect, l’estime de soi et l’amour-propre d’une personne. La dignité renvoie aussi aux dimensions fondamentales et intrinsèques de l’être humain. Par exemple, cette notion vise le traitement injuste, la marginalisation ou la dévalorisation. La dignité implique aussi, toujours à titre d’exemples, le droit d’être traité avec pudeur, discrétion, retenue, égards, estime, considération, respect, déférence et de façon respectueuse. Pour qu’il y ait atteinte à la dignité, il n’est pas nécessaire qu’il y ait des séquelles définitives.

[…]

339 L’audience de la présente affaire m’a persuadée que Mmes Brouillette, Pageot, Paris et Gagnon n’ont pas agi par omission ou par ignorance, que ce soit au niveau de l’enquête ou des sanctions imposées au fonctionnaire. Toutes quatre ont témoigné avoir reçu des conseils spécialisés avant de prendre leurs décisions, voire même les conseils du MDN. Les manquements relevés dans cette décision sont inexcusables. Le fonctionnaire a été démoli sur le plan personnel et professionnel en raison de leurs agissements.

340 Somme toute, l’employeur a manqué à son devoir de diligence, de prudence et d’impartialité. L’acharnement avec lequel il s’est livré pour faire craquer le fonctionnaire et provoquer son départ est injustifiable. Que ces gestes aient été posés par des hauts gestionnaires de l’employeur est un élément particulièrement aggravant. Le caractère abusif des mesures prises par l’employeur et le manque d’impartialité dans le cadre de l’enquête sont condamnables et indignes des responsabilités qui sont accordées à la haute gestion.

341 Traditionnellement, les législateurs et les tribunaux civils ont maintenu que l’objectif des lois du travail est de favoriser le dialogue et l’entente dans le milieu de travail et que la compétence d’une arbitre de grief se limite à compenser une partie pour ses pertes et non de punir la partie fautive. Cette approche a d’ailleurs été entérinée par la Cour d’appel dans Bédirian.

342 Par ailleurs, la Cour suprême du Canada a statué à aux moins deux reprises que l’ensemble d’un différend dont l’essence découle de l’interprétation, de l’administration ou de la violation de la convention collective était de la compétence de l’arbitre de grief (voir à ce sujet Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42 et Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11). Pour concrétiser cette tendance, les arbitres de griefs doivent aussi disposer du pouvoir de créer des mesures de réparation qui tiennent compte de cette compétence élargie.

343 Rappelons qu’en vertu du paragraphe 228(2) de la LRTFP, un arbitre de grief tranche le grief par l’ordonnance qu’il juge indiquée. En anglais, le texte se lit comme suit : « […] the adjudicator must render a decision and make the order that he or she considers appropriate in the circumstances ». Cette nouvelle disposition, à mon avis, va dans le même sens que ce qu’a décidé la Cour suprême dans Parry Sound et Vaughan.

344 La notion de dommages punitifs est bien encadrée par la common law. Les comportements doivent être durs, vengeurs, répréhensibles et malicieux. Il n’existe toutefois aucun critère précis pour déterminer ce qui constitue de la malice. Toutefois, dans Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39 ¶62, la Cour suprême du Canada a déclaré que des dommages peuvent être accordés uniquement lorsque « l’acte fautif délibéré est si malveillant et inacceptable qu’il justifie une sanction indépendante ». Ainsi, les dommages punitifs sont accordés dans le cas d’une faute donnant elle-même ouverture à un droit d’action. Dans Keays, la Cour suprême du Canada a fait deux mises-en-garde, soit que le pouvoir discrétionnaire devait s’exercer avec une grande prudence et de façon exceptionnelle. Je suis aussi consciente du fait que la Cour d’appel fédérale, dans Bédirian c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 221, a refusé d’accorder de tels dommages.

345 C’est dans cette optique que je dois examiner les circonstances de la présente affaire. Dans un premier temps, je suis d’avis que, compte tenu des principes énoncés par la jurisprudence précitée, l’enquête d’une plainte de harcèlement qui suit fidèlement les principes énoncés dans la politique, que la plainte soit fondée ou non, n’est pas en soi un comportement malveillant et inacceptable, ni susceptible d’engendrer des dommages punitifs. La politique vise le traitement équitable et transparent d’une plainte et d’une réponse à la plainte afin que les parties concernées puissent faire valoir pleinement leurs moyens. Par contre, dans les cas où l’employeur s’écarte des principes de la politique, il s’expose à une demande de réparation de la part d’une partie qui n’a pas eu la possibilité de se défendre pleinement et qui a reçu une mesure disciplinaire jugée non justifiée.

346 Après avoir pris connaissance de la jurisprudence qui m’a été soumise, et en particulier l’affaire Bédirian, je suis d’avis que les faits de la présente affaire démontrent que les représentants de l’employeur ont agi délibérément et avec malice à l’égard du fonctionnaire en procédant comme suit :

  • en faisant mener une enquête sans vérification des faits et sans expliquer au fonctionnaire pourquoi l’enquête portait sur des incidents : a) qui ne faisaient pas partie de la plainte originale (16 incidents alors que la plainte en comptait 5); b) exclus de la définition de sa politique (comme l’abus de pouvoir); c) prescrits par sa politique (c’est-à-dire qui ont eu lieu plus d’un an avant le dépôt de la plainte); d) clairement exclus du pouvoir d’enquête (l’agression sexuelle);  et e) qui se sont produits avant que la politique n’entre en vigueur (les incidents qui précèdent le 1er juin 2001);
  • en ne communiquant au fonctionnaire les éléments essentiels à la plainte que quelques jours avant la tenue de l’enquête et en ne lui communiquant ni la plainte de Mme Belliveau ni le document chronologique des événements préparé par Mme Deslauriers au soutien de ses allégations;
  • en favorisant Mme Deslauriers, soit : en rencontrant le délégué syndical de celle-ci avant qu’elle dépose une plainte formelle; en rencontrant Mme Deslauriers et son délégué syndical en septembre 2004 en vue d’accepter de faire enquête sur des allégations d’agression sexuelle; en rencontrant Mme Deslauriers à trois reprises pour l’aider à formuler une plainte conforme aux attentes des enquêteurs; en demandant aux enquêteurs de rencontrer Mme Belliveau au motif que sa déclaration pourrait soutenir les allégations de Mme Deslauriers, alors que l’employeur avait rejeté la plainte de Mme Belliveau;
  • en décidant de mener une enquête concernant l’ensemble du « climat organisationnel » de la section gérée par le fonctionnaire, sans le lui communiquer et sans lui permettre de s’expliquer;
  • en jugeant le fonctionnaire coupable d’actes de harcèlement sans évaluer pleinement le dossier;
  • en tentant de persuader le fonctionnaire d’accepter une rétrogradation en le menaçant avec un décret d’exemption que l’employeur savait être illégal, puis, lorsque le fonctionnaire a refusé d’être intimidé, en le relevant de ses fonctions de gestionnaire et en l’affectant à des tâches dévalorisantes;
  • en continuant de maintenir dans le dossier personnel du fonctionnaire une mesure disciplinaire devenue désuète, et de s’en servir pour imposer au fonctionnaire un « plan de redressement » dont le succès dépendait entièrement de la bonne volonté de Mme Gagnon, le tout sans expliquer au fonctionnaire les lacunes qui lui étaient reprochés;
  • en réaffectant le fonctionnaire à un lieu de travail à plus de deux heures de route de son domicile tous les jours, avec la menace d’une mesure disciplinaire s’il ne se présentait pas au travail, et ce, sans le consulter ou tenter d’atténuer les effets sur sa vie personnelle;
  • en tentant de soustraire le fonctionnaire de son droit à l’arbitrage par le renversement d’une suspension de 15 jours en une lettre de réprimande.

J’estime que tous ces gestes étaient destinés à nuire au fonctionnaire et n’étaient pas la simple conséquence de l’enquête ou de la discipline et qu’ils constituent un comportement malveillant en soi. L’employeur ne m’a fourni aucune explication raisonnable pour avoir procédé de la sorte. Les mesures disciplinaires injustifiées, dont la réaffectation à des fonctions ne comportant pas de gestion, ont nui indûment à l’avancement du fonctionnaire qui, jusqu’au moment du dépôt de la plainte, avait des évaluations de rendement supérieures, était apprécié de ses supérieurs et avait un dossier disciplinaire vierge. Je suis donc d’avis qu’en raison de ces circonstances, le fonctionnaire a droit à des mesures réparatrices monétaires visant à l’indemniser pleinement pour toutes ses pertes dues à ce que je qualifie être la malice de l’employeur.

347 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

XIII. Ordonnance

348 Les griefs sont accueillis.

349 À l’égard de l’imposition de mesures disciplinaires injustifiées, dont une rétrogradation, j’ordonne ce qui suit :

  • le fonctionnaire est réintégré dans son poste de gestionnaire – Exploitation et matériel roulant ferroviaire au centre-ville de Montréal, rétroactivement au 6 septembre 2005, et ce sans pénalité ou autre conséquence;
  • toutes les mesures faisant l’objet des griefs sont annulées, comme si elles n’avaient jamais existées;
  • l’administrateur général doit retirer toute mention de la plainte de Mme Deslauriers et de l’enquête du dossier personnel du fonctionnaire ainsi que de tout autre dossier le concernant;
  • l’administrateur général doit indemniser le fonctionnaire pour toute perte de temps supplémentaire, depuis le 6 septembre 2005, par une somme calculée sur la moyenne du temps supplémentaire des trois années qui ont précédé sa réaffectation à Dorval.

350 En ce qui concerne l’atteinte à la santé du fonctionnaire causée par le stress d’une enquête injustifiée, j’ordonne à l’administrateur général de rembourser les crédits dans la banque de congés de maladie pris par le fonctionnaire entre le 16 mars et le 6 septembre 2005.

351 En ce qui concerne les pertes encourues pour le temps de déplacement journalier et les dépenses de transport, j’ordonne à l’administrateur général de payer au fonctionnaire ce qui suit :

  • les frais de kilométrage du fonctionnaire entre le domicile du fonctionnaire et son bureau à Dorval depuis le 6 septembre 2005;
  • le temps de déplacement, jusqu’à deux heures par jour, pour chaque journée travaillée à Dorval depuis le 6 septembre 2005.

352 En ce qui concerne la carrière du fonctionnaire, j’ordonne à l’administrateur général de faire faire, à ses frais, une évaluation monétaire de la perte de perspective d’avancement de carrière du fonctionnaire depuis le 6 septembre 2005 par un spécialiste en ressources humaines et de rembourser au fonctionnaire toute perte de salaire et de bénéfices, y compris la pension, qui en a résulté.

353 En ce qui concerne la perte des biens personnels encourue par le fonctionnaire afin de payer les honoraires et frais de son procureur, j’ordonne que soit faite une évaluation actuarielle, aux frais de l’administrateur général, de la perte encourue, et j’ordonne à l’administrateur général de rembourser au fonctionnaire la valeur actuarielle de cette perte.

354 En ce qui concerne les actes fautifs de l’administrateur général, soit avoir eu un comportement malveillant, répréhensible et malicieux à l’endroit du fonctionnaire, j’ordonne à l’administrateur général de payer au fonctionnaire la somme de 50 000 $ à titre de dommages punitifs.

355 Je demeure saisie de cette affaire pour une période de 90 jours suivant l’émission de cette décision pour trancher tout désaccord entre les parties, y compris le choix d’un spécialiste en ressources humaines, d’un actuaire, des valeurs actuarielles et du calcul des montants ordonnés.

Le 27 mai 2010.

Michele A. Pineau,
arbitre de grief

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