Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a allégué que des changements ont été apportés à la classification de son poste - elle a renvoyé son grief à l’arbitrage au motif qu’il portait soit sur une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire, soit sur une rétrogradation ou un licenciement non disciplinaire - l’administrateur général a contesté la compétence d’un arbitre de grief d’entendre le grief - l’arbitre de grief a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’a présenté aucune allégation de fait qui, si elle était prouvée, justifierait qu’il prenne compétence pour entendre le grief en vertu de l’alinéa 209b) ou du sous-alinéa209(1)c)(i) de la Loi. Objection accueillie. Dossier clos.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-06-16
  • Dossier:  566-02-3440
  • Référence:  2010 CRTFP 79

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SAWSAN A. SHARAF

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence de la santé publique du Canada)

défendeur

Répertorié
Sharaf c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésée:
Elle-même

Pour le défendeur:
Jeff Laviolette et Virginie Emiel-Wildhaber, Secrétariat du Conseil du Trésor

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 4 et 15 mars, le 10 mai et le 2 juin 2010.
(Traduction de la CRTFP)

Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le 22 janvier 2010, Sawsan A. Sharaf, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») a déposé un grief contre l’Agence de la santé publique du Canada (le « défendeur »). Elle a renvoyé son grief à l’arbitrage le 4 février 2010 en vertu de l’alinéa 209(1)b) et du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). La fonctionnaire occupe un poste de direction dans le groupe et au niveau PM-06, et elle n’est pas visée par une convention collective ni représentée par un agent négociateur.

2 Dans son grief, la fonctionnaire a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le présent grief a pour objet de demander réparation et l’annulation de la décision prise concernant la classification de mon poste. De plus, le grief vise à souligner le manque de cohérence entre deux courriels écrits au nom de l’administrateur général. Cette action montre clairement qu’il y a eu mauvaise foi de la part de l’employeur et est considérée au mieux comme une mesure disciplinaire déguisée et un abus de pouvoir.

MESURES DEMANDÉES

  • Annulation de la décision de changer le niveau de mon poste et annulation des changements connexes (dont je n’ai pas encore connaissance)
  • Communication de toute information pertinente sur laquelle s’est fondé l’employeur pour en arriver à une telle décision et notamment le rapport et l’évaluation du comité de classification

3 Le 1er février 2010, Charles Jamieson, un conseiller principal en relations de travail du défendeur, a écrit à la fonctionnaire au sujet de son grief. M. Jamieson a déclaré qu’à son avis, il n’y avait aucune raison légitime pour le dépôt du grief et que le défendeur soulèverait une objection contestant la compétence d’un arbitre de grief si la fonctionnaire décidait de renvoyer son grief à l’arbitrage. M. Jamieson a mentionné aussi que le défendeur accepterait que la fonctionnaire soumette des arguments écrits à l’appui de ses allégations et que ces arguments devraient être présentés au premier palier de la procédure de règlement des griefs.

Objection à la compétence

4 Le 4 mars 2010, le défendeur a soulevé une objection selon laquelle un arbitre de grief n’a pas la compétence de rendre une décision concernant le grief puisque celui-ci porte strictement sur une question de classification. En vertu du paragraphe 209(1) de la Loi, un employé qui occupe un poste de direction peut seulement renvoyer à l’arbitrage les griefs qui ont trait à une mesure disciplinaire, à une rétrogradation ou à un licenciement. La fonctionnaire n’a pas été disciplinée, rétrogradée ou licenciée. Le défendeur a fait valoir par ailleurs que le grief était hors délai parce que la fonctionnaire avait connaissance des incidents à l’origine du grief en mai 2008. Finalement, le défendeur a soumis que la fonctionnaire n’a pas présenté son grief jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Le 18 février 2010, le défendeur a rendu une décision concernant le grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs. La fonctionnaire n’a pas transféré son grief ni au deuxième ni au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Elle l’a renvoyé plutôt directement à l’arbitrage le 4 février 2010, après avoir reçu la lettre de M. Jamieson.

5 Le 20 avril 2010, les parties ont été informées de la décision de l’arbitre de grief d’examiner les objections du défendeur sur la base d’arguments écrits.

6 Le 10 mai 2010, le défendeur a essentiellement reformulé les objections qu’il avait soulevées le 4 mars 2010.

7 Le 2 juin 2010, la fonctionnaire a indiqué qu’elle avait pris connaissance des incidents à l’origine de son grief seulement le 18 novembre 2009. Elle a aussi déclaré que les griefs de classification devraient être présentés directement au dernier palier de la procédure individuelle de règlement des griefs. Elle avait suivi cette procédure, mais le défendeur avait refusé de répondre à son grief à ce niveau. Il y a répondu plutôt au premier palier de la procédure de règlement des griefs, après que le grief avait été renvoyé à l’arbitrage.

8 La fonctionnaire n’a pas répondu directement à l’objection soulevée par le défendeur à ma compétence d’entendre le grief en vertu du paragraphe 209(1) de la Loi. Au lieu de cela, pour résumer sa position sur ce point, je reproduirai ci-dessous quelques extraits de ses arguments, qui aideront à définir la nature de son grief :

[Traduction]

[…]

Le 18 novembre 2009, j’ai reçu la toute première notification de classification et de mes droits, si je n’étais pas satisfaite, de présenter un grief pour contester les changements proposés à la classification de mon poste. Il s’agissait là de la première tentative de respecter le « devoir d’avertir ». Le 19 novembre 2009, l’employeur a mis fin à son obligation concernant son « devoir d’avertir ». Cette façon d’agir de la part de l’employeur était empreinte de tromperie. Au lieu de me traiter équitablement en me faisant parvenir l’avis officiel de classification, il a affirmé qu’il s’agissait d’une « erreur ». L’omission de transmettre cette notification officielle est un manquement à l’obligation de respecter le « devoir d’avertir » et est considérée comme de la « mauvaise foi », puisque ce grief n’aurait pas pu aboutir à une classification ascendante. L’employeur a-t-il jamais envoyé à la fonctionnaire s’estimant lésée un quelconque avis officiel à cet effet? La réponse est un NON catégorique. Ces changements apportés au niveau du poste et à la relation hiérarchique constituent des changements significatifs et pourraient dans les faits conduire à une classification vers le bas à un niveau inférieur à celui de PM-06.

[…]

On pourrait soutenir que, pour l’instant, le poste demeure au niveau PM-06; toutefois, il n’y a aucune garantie que ce soit vrai à l’avenir. Ces changements proposés pourraient aboutir à l’évaluation/classification de la nouvelle description de travail (pour reprendre les propos du superviseur) et il pourrait s’ensuivre une déclassification du poste à un niveau inférieur. À la suite de ce changement, mes responsabilités diminuées ne se sont pas encore traduites par une déclassification, une rétrogradation et une éventuelle perte de rémunération; or, il s’agit clairement du processus entamé par une notification officielle de classification. Il s’agit d’une situation similaire à celle dans Lebœuf c. CT (ministère des Transports) CRTFP 27 (2007), où le grief n’aurait pas pu mener à une classification ascendante. En réalité, le poste avait été classifié à un niveau inférieur à la suite d’une modification de la description de travail. Je suis d’avis que c’est l’intention derrière les changements apportés à ma description de travail. S’étant empressé de changer sa position à plusieurs reprises, l’objectif de l’employeur est assez clair. La stratégie de l’employeur est de réduire les fonctions énoncées dans ma description de travail sans l’indiquer ouvertement, c’est-à-dire de me rétrograder, puis de demander une déclassification en se fondant sur une nouvelle description de travail. Cette façon d’agir est considérée comme de la mauvaise foi. L’employeur ne peut pas et ne devrait pas qualifier de « frivole » la mesure prise par la fonctionnaire s’estimant lésée.

Cette notification de classification était liée directement aux changements proposés dans les fonctions de mon poste et au refus de l’employeur de me fournir une description de travail par écrit (omission qui fait l’objet d’un autre grief, dossier de la CRTFP 566-02-2868); car il serait simple de prouver une rétrogradation déguisée si l’employeur avait fourni une description de travail écrite; celle-ci aurait été envoyée aux fins de classification et aurait donné lieu à une déclassification vers les bas.

[…]

Il n’y a rien qui empêche l’arbitre de grief de rendre une décision concernant l’omission de l’employeur de suivre le principe de l’équité procédurale sur lesquels reposent « le devoir d’informer, le devoir d’examiner et le devoir d’avertir ». En accueillant le grief de la fonctionnaire s’estimant lésée, l’arbitre de grief n’annulerait pas la décision de la direction de procéder à une classification dans le cadre d’une restructuration et il respecterait les alinéas 209(1)b) et c) de la Loi. Ce grief ne porte pas sur une question contraire à l’« article 7 ». Ce grief ne porte aucunement sur la reclassification du poste de la fonctionnaire s’estimant lésée ou l’organisation de la fonction publique. Ce grief concerne les modalités et conditions de mon emploi en vertu desquelles il faut respecter à mon égard le devoir d’« informer », d’« examiner » et d’« avertir » et il porte donc sur l’omission de respecter ces modalités et conditions. J’estime que la Commission a la compétence voulue pour entendre le bien-fondé de ce cas. L’employeur avait le « devoir d’examiner » ces changements proposés à mon poste, et partant, si l’obligation mentionnée avait été respectée.

Si l’on se fonde sur la position adoptée par l’employeur dans cette affaire, on peut seulement arriver à une conclusion négative, à savoir qu’après avoir imposé aux employés des changements considérables à leurs fonctions et après avoir attribué la classification correspondante au poste et aux fonctions définies exclusivement par l’employeur, celui-ci peut ensuite, en faisant traîner la procédure de classification, obtenir le consentement des employés simplement en retardant cet acte, ou pire, en cachant entièrement la mesure de classification, en espérant que l’employé ne s’en rendra pas compte. Il s’agit là d’une notion qui du point de vue philosophique est similaire à celle de la « mauvaise foi ».

Je ne demande pas une reclassification/déclassification de mon poste ou une restructuration de mon employeur, mais plutôt le respect de mes droits de soumettre un grief de classification en réponse au « devoir d’avertir » et en réponse à la « mauvaise foi » inhérente manifestée par l’employeur en annulant sa notification de classification officielle et puis, en répondant à la fonctionnaire s’estimant lésée au premier palier de la procédure de règlement des griefs; au lieu de cela, je demande qu’on protège mes droits de soumettre un grief de classification et d’être traitée avec équité dans le cadre du processus. L’arbitre de grief doit rendre que l’article 7 ne s’applique pas à ce grief particulier et ne doit pas renoncer à sa compétence aux termes des alinéas 209(1)b) et c) de la Loi. Je demande réparation dans le contexte des modalités et conditions de mon emploi et par conséquent, l’arbitre de grief devrait accepter qu’il a compétence en la matière.

[…]

[Les passages soulignés et en évidence le sont dans l’original]

Motifs

9 Le défendeur a soulevé trois objections au grief. Il a fait valoir que le grief est hors délai, que la fonctionnaire n’a pas suivi la procédure de règlement des griefs et que le grief ne traite pas d’une question qui peut être renvoyée à l’arbitrage. Le dernier point est lié directement au paragraphe 209(1) de la Loi. En l’espèce, la fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) et du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi, qui se lisent comme suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale,

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite […].

10 Aux termes de l’alinéa 209(1)b) et du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi, j’aurais compétence dans ce cas uniquement si le grief portait sur une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ou s’il portait sur une rétrogradation ou un licenciement non disciplinaire. Même si la fonctionnaire allègue dans son grief que la mesure prise par le défendeur devrait être considérée comme une mesure disciplinaire déguisée, elle n’a présenté aucune allégation entourant des faits qui, s’ils étaient prouvés, justifieraient que j’assume la compétence aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la Loi d’entendre ce grief comme traitant d’une mesure disciplinaire ayant entraîné le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire, ou aux termes de l’alinéa 209(1)c)(i), comme traitant d’une rétrogradation ou d’un licenciement non disciplinaire. Par ailleurs, dans ses propres arguments, la fonctionnaire a indiqué qu’elle n’avait pas été rétrogradée et que le défendeur ne lui avait imposé aucune sanction pécuniaire. Elle a indiqué plutôt que le défendeur pourrait à un certain moment la rétrograder.

11 Il est manifeste que la fonctionnaire est mécontente des changements apportés à ses fonctions, de sa description de travail ou de l’absence d’une telle description, du niveau de son poste et du processus de classification du défendeur. Elle a peut-être des préoccupations tout à fait légitimes, mais je ne puis les examiner parce que ces préoccupations ne sont pas incluses dans les questions auxquelles renvoient l’alinéa 209(1)b) et le sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi.

12 Compte tenu du fait que je n’ai pas compétence pour entendre le grief, il n’est pas nécessaire pour moi de me prononcer sur les autres objections soulevées par le défendeur.

13 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

14 Je déclare que je n’ai pas compétence pour entendre le grief.

15 J’ordonne la fermeture du dossier.

Le 16 juin 2010.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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