Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a allégué que l’employeur a fait preuve de discrimination à son endroit en permettant l’éclosion d’un climat de travail empoisonné en réaction à ses croyances religieuses - une mesure d’adaptation a d’abord été prise afin de permettre à la fonctionnaire s’estimant lésée de s’absenter du travail pour s’acquitter de ses obligations religieuses - la mesure est devenue plus restrictive, et l’employeur a reçu de la correspondance haineuse mettant en cause la fonctionnaire s’estimant lésée et sa religion - l’employeur a mené une enquête qui n’a donné aucun résultat - finalement, l’employeur a mis fin au détachement de la fonctionnaire s’estimant lésée plus tôt que prévu - l’arbitre de grief a jugé que l’employeur n’avait pas empêché le harcèlement et la discrimination en milieu de travail et a ordonné que les parties s’entendent sur des mesures de réparation, aux termes de la LCDP. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-05-18
  • Dossier:  566-02-1499
  • Référence:  2010 CRTFP 65

Devant un arbitre de grief


ENTRE

VALÉRY LABRANCHE

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur)

employeur

Répertorié
LaBranche c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Lionel Saurette, agent de relations de travail

Pour l'employeur:
Sean F. Kelly, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 29 avril au 1er mai ainsi que des 13 au 15, 20 au 22 et 27 au 28 octobre 2009.
(Traduction de la CRTFP)

Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 À la date de présentation de son grief, Valéry LaBranche, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), occupait le poste d’analyste principale des politiques internationales (à titre intérimaire, dans le groupe et au niveau ES-05) à la Direction des programmes internationaux de Passeport Canada (l’« employeur » ou l’« organisme » selon le contexte). Passeport Canada est un organisme du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI).

2 La fonctionnaire a déposé un grief, le 23 janvier 2007, qui était libellé comme suit :

[Traduction]

J’allègue que l’employeur a contrevenu à l’article 16 de la convention collective et à la Loi canadienne sur les droits de la personne. J’allègue que l’employeur ne s’est pas acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à mon égard et que cela constitue une violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de l’article 16 de la convention collective.

3 La fonctionnaire demande les mesures correctives suivantes :

[Traduction]

[…]

Je demande :

- une déclaration que l’article 16 de la convention collective a été violé;

- une déclaration que la Loi canadienne sur les droits de la personne a été enfreinte;

- une déclaration que l’employeur a omis de prendre des mesures d’adaptation à mon égard, en violation des articles 7 et 15 de la Loi et de la convention collective;

- l’approbation du plan pour composer avec mes besoins découlant d’une déficience;

- l’indemnisation intégrale de la perte de salaire et d’avantages (y compris le rétablissement des régimes d’avantages) et des dépenses et frais que j’ai engagés par suite de la violation commise par l’employeur, avec intérêts, conformément à l’article 53 de la Loi;

- une indemnité pour le préjudice moral que j’ai subi à la suite de la violation commise par l’employeur, conformément aux paragraphes 53(2) et (3) de la Loi;

- toute autre indemnité et mesure corrective que la Commission des relations de travail dans la fonction publique jugera indiqué d’accorder.

[…]

4 Le grief a été rejeté par l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le 18 octobre 2007.

II. Résumé de la preuve

A. Témoignage de Valéry LaBranche

5 La fonctionnaire a été détachée par le MAECI à Passeport Canada, le 31 octobre 2005. Elle relevait de Leslie Crone, directrice des Programmes internationaux pour l’hémisphère occidental. Le détachement devait initialement être d’une durée d’un an et se terminer le 31 octobre 2006. La fonctionnaire était responsable de l’élaboration des politiques dans le cadre d’un projet d’envergure portant sur les exigences en matière de passeport pour les Canadiens qui voyagent aux États-Unis ainsi que d’une initiative de partenariat pour la sécurité et la prospérité avec les États-Unis et le Mexique concernant la normalisation et la sécurité des documents.

6 La fonctionnaire s’est convertie au judaïsme en 1997; elle est pratiquante en ce qu’elle observe les lois du judaïsme, suit le calendrier juif et porte des vêtements sobres. Dans son témoignage, la fonctionnaire a décrit ses obligations religieuses, qui comprennent l’observation obligatoire du sabbat chaque semaine, un jour de repos et d’enrichissement spirituel. L’observation du sabbat est l’obligation rituelle la plus importante du judaïsme. Le vendredi soir, à divers moments selon la saison, les juifs pratiquants quittent leur travail avant le coucher du soleil afin d’entamer les préparatifs du sabbat.

7 Au début de son détachement, la fonctionnaire a sollicité des mesures d’adaptation qui lui permettraient de remplir ses obligations religieuses. Mme Crone a accédé à sa demande sans trop de formalités. Ainsi donc, la fonctionnaire quittait le travail plus tôt le vendredi après-midi et s’absentait pour les fêtes religieuses. Même si la convention collective stipule que le temps libre dont un employé a besoin pour remplir ses obligations religieuses doit être compensé dans les six mois, la fonctionnaire accumulait habituellement des congés compensateurs avant de prendre un congé. Mme Crone n’a jamais remis en cause les absences de la fonctionnaire ni la méthode utilisée pour en rendre compte. Gary McDonald, le directeur général des politiques et de la planification et aussi le supérieur de Mme Crone, avait également approuvé cette entente informelle.

8 Les obligations religieuses sont régies par l’article 50 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor du Canada et l’Association canadienne des employés professionnels – groupe Économique et services de sciences sociales (date d’expiration : le 21 juin 2007), qui était en vigueur à la date de présentation du grief :

Article 50
OBLIGATIONS RELIGIEUSES

50.01 L'employeur fait tout effort raisonnable pour tenir compte des besoins de l'employé qui demande un congé pour remplir ses obligations religieuses.

50.02 Les employés peuvent, conformément aux dispositions de la présente convention, demander un congé annuel, un congé compensateur, un congé non payé pour d'autres motifs ou un échange de postes (dans le cas d'un travailleur posté) pour remplir leurs obligations religieuses.

50.03 Nonobstant le paragraphe 50.02, à la demande de l'employé et à la discrétion de l'employeur, du temps libre payé peut être accordé à l'employé afin de lui permettre de remplir ses obligations religieuses. Pour compenser le nombre d'heures payées ainsi accordé, l'employé devra effectuer un nombre équivalent d'heures de travail dans une période de six (6) mois, au moment convenu par l'employeur. Les heures effectuées pour compenser le temps libre accordé en vertu du présent article ne sont pas rémunérées et ne doivent pas entraîner de frais supplémentaires pour l'employeur.

50.04 L'employé qui entend demander un congé ou du temps libre en vertu du présent article doit prévenir l'employeur le plus longtemps d'avance possible et, dans tous les cas, au moins quatre (4) semaines avant le début de la période d'absence demandée.

9 En décembre 2005, Renée Lévesque est devenue l’adjointe administrative de Mme Crone et de deux autres directeurs, dont Lisa Pezzack. Une partie du travail de Mme Lévesque consistait à faire le suivi des congés et des absences sous la supervision des directeurs. Selon la fonctionnaire, Mme Lévesque a remis en cause ce qu’elle considérait comme le privilège dont bénéficiait la fonctionnaire de quitter le travail plus tôt le vendredi et de s’absenter les jours de fête religieuse. Mme Lévesque a insisté pour que la fonctionnaire remplisse des formulaires de demandes de congé lorsqu’elle prenait des congés religieux et qu’elle consigne les heures compensatoires accumulées sur des formulaires d’heures supplémentaires. Aucun des formulaires ne permettait de demander du temps libre pour remplir ses obligations religieuses ou de compenser ce congé par un nombre équivalent d’heures (contrairement aux heures supplémentaires qui s’accumulent à taux majoré de moitié ou à taux double). Cette méthode de tenue des dossiers était très différente de l’entente informelle que la fonctionnaire avait conclue avec Mme Crone.

10 La fonctionnaire a déclaré s’être sentie humiliée d’avoir à justifier des absences légitimes à une subordonnée alors qu’elle avait déjà conclu une entente de fait avec Mme Crone. Exaspérée par la situation, la fonctionnaire a envoyé plusieurs courriels à Mme Crone, avec copie à Mme Lévesque, dans lesquels elle demandait formellement du temps libre pour remplir ses obligations religieuses et rappelait à Mme Crone que celle-ci avait convenu de lui accorder du temps libre pour remplir ses obligations religieuses. Le 31 mars 2006, la fonctionnaire a envoyé par courriel à Mme Crone un compte rendu des discussions qu’elles avaient eues à ce sujet. La fonctionnaire a déclaré que c’est le moyen qu’elle avait trouvé pour aviser Mme Crone qu’elle considérait comme un problème le fait de devoir rendre compte de ses absences dans le détail à Mme Lévesque depuis l’arrivée de cette dernière.

11 À la fin du printemps, deux employés, qui ont requis l’anonymat, se sont plaints à Mme Crone de l’éthique professionnelle de la fonctionnaire concernant l’observation des fêtes religieuses juives, de sa façon de s’exprimer et de son langage corporel. Mme Crone a rencontré la fonctionnaire pour lui faire part de ces critiques. Après la réunion, la fonctionnaire s’est excusée de ses fautes à tous ceux qu’elle avait pu offensés.

12 À la fin du printemps ou au début de l’été, Mme Lévesque a fait remarquer à la fonctionnaire qu’elle faisait bande à part en ne participant pas aux vendredis du décontracté et aux sorties au restaurant. La fonctionnaire a expliqué, à l’audience, que, en tant que juive pratiquante, elle ne possédait pas de vêtements appropriés pour les vendredis en tenue décontractée et que ses restrictions alimentaires l’empêchaient de manger dans les restaurants populaires que fréquentaient ses collègues. Elle a expliqué que le judaïsme enseigne notamment qu’il ne faut pas dire du mal de son prochain; c’est pourquoi elle ne se plaignait pas de la manière dont on la traitait. Elle avait décidé d’envoyer des courriels au lieu de déposer une plainte, car elle espérait que Mme Crone finirait par se rendre compte de la façon dont Mme Lévesque la traitait.

13 La fonctionnaire a déclaré que, pour réduire le nombre de plaintes, Mme Crone lui avait demandé de prendre la parole durant une réunion avec les membres de son groupe de travail pour leur expliquer le sens de ses obligations religieuses. La fonctionnaire s’est exécutée, mais elle s’est sentie profondément humiliée de devoir attirer l’attention sur elle et expliquer en quoi elle était différente des autres employés.

14 En juin 2006, la fonctionnaire s’est vu confier la responsabilité d’organiser les activités de la Semaine de la fonction publique. Mmes Pezzack et Lévesque se sont plaintes à Mme Crone du manque singulier d’enthousiasme de la fonctionnaire dans la conduite de cette tâche. Peu de temps après, Mme Pezzack a indiqué qu’elle désapprouvait la décision de la fonctionnaire de ne pas porter de tenue décontractée le vendredi, comme tout le monde.

15 Le 31 août 2006, la fonctionnaire a avisé Mme Crone par courriel de son intention de demander un congé le 2 octobre 2006 pour remplir ses obligations religieuses. Le même jour, la fonctionnaire a consulté son médecin de famille parce qu’elle souffrait d’anxiété concernant sa capacité à composer avec certaines personnes au travail.

16 Le 21 septembre 2006, le détachement de la fonctionnaire a été prolongé jusqu’au 30 avril 2007.

17 En novembre 2006, à la demande de Mme Crone, la fonctionnaire a participé à une conférence internationale à Paris à titre de représentante de Passeport Canada. Sa participation et ses frais de voyage ont été approuvés à l’avance par Gérald Cossette, le président-directeur général (PDG). Comme la fin de la conférence coïncidait avec le début du sabbat, la fonctionnaire a obtenu l’autorisation de prolonger son séjour à Paris jusqu’au dimanche au lieu de revenir au Canada dès la conférence terminée. L’époux de la fonctionnaire l’accompagnait lors de ce voyage, aux frais de cette dernière. Mme Lévesque a repris le travail, après un congé de maladie prolongé, juste au moment où la fonctionnaire rentrait de son voyage à Paris. Mme Lévesque a jugé que « la fin de semaine à Paris » constituait une violation de la politique de l’employeur sur les voyages et a demandé à la fonctionnaire de rembourser les frais relatifs à la prolongation de son voyage jusqu’au dimanche. La fonctionnaire a signalé le problème à Mme Crone. Elle était humiliée de devoir justifier ses dépenses à Mme Lévesque et elle croyait que Mme Crone avait fait peu de cas d’une situation sérieuse.

18 Le 21 novembre 2006, Mme Crone a discuté avec la fonctionnaire des commentaires reçus d’une personne dont l’identité n’a pas été dévoilée et selon lesquels Aaron Akitt, un employé temporaire relevant de la fonctionnaire, avait décidé de quitter son poste parce qu’il n’aimait pas être supervisé par la fonctionnaire et parce qu’elle avait pris connaissance de sa correspondance et fouillé dans son poste de travail. La fonctionnaire a nié les accusations et expliqué comment elle supervisait M. Akitt. Elle était troublée par les fausses accusations. Le 13 décembre 2006, Mme Crone a dit à la fonctionnaire que les commentaires avaient été faits par Mme Lévesque.

19 Le 1er décembre 2006, Mme Crone et M. McDonald ont reçu chacun de leur côté une lettre de menace rédigée comme suit :

[Traduction]

Méfiez-vous de Mme LaBranche. C’est une agente du Mossad.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

20 Le 8 décembre 2006, la fonctionnaire a rencontré Mme Crone pour lui dire qu’elle croyait que certaines personnes à Passeport Canada n’aimaient pas les juifs. Mme Crone n’a pas mentionné la lettre du 1er décembre 2006. Elle a rappelé l’existence de la politique de tolérance zéro de Passeport Canada en matière de discrimination et a invité la fonctionnaire à déposer une plainte officielle au besoin. La fonctionnaire a dit n’avoir pas déposé de plainte immédiatement parce que les preuves d’antisémitisme qu’elle possédait à ce moment-là étaient circonstancielles.

21 Une deuxième lettre est arrivée dans la matinée du 14 décembre 2006; en voici le texte :

[Traduction]

LA JUIVE S’ABREUVE DE VOTRE SANG : NE VOUS LAISSEZ PAS LEURRER. OU BIEN VOUS LA FAITES PARTIR RAPIDEMENT OU BIEN NOUS LA FERONS PARTIR LENTEMENT ET PÉNIBLEMENT!

22 Dans l’après-midi du 14 décembre 2006, M. McDonald et Mme Crone ont rencontré la fonctionnaire pour l’informer de l’existence des lettres anonymes. La fonctionnaire a été très troublée par les menaces que renfermaient ces lettres. Elle a considéré que ces menaces compromettaient son emploi et sa sécurité personnelle et a voulu que Passeport Canada intervienne. L’employeur n’avait pas de plan pour réagir aux menaces, si ce n’est de communiquer avec la direction de la sécurité. Le lendemain, la fonctionnaire s'est présentée au travail, puis a de nouveau exprimé ses préoccupations dans un courriel adressé à M. McDonald et à Mme Crone.

23 À 13 h 26, le 15 décembre 2006, un courriel anonyme provenant, semble-t-il, de M. McDonald a été envoyé à Mme Crone à partir du site Web du New York Post. Le courriel résumait de manière peu flatteuse les difficultés que la fonctionnaire avait éprouvées au travail au cours des derniers mois. En voici le texte :

[Traduction]

NEW YORK POST

gary a pensé que ce texte provenant de NYPOST.COM pourrait vous intéresser :

Chère Leslie, il faut que je vous parle de Valerie, mais je ne peux pas le faire ouvertement, car c’est elle qui tire les ficelles. Je redoute sa colère et l’influence qu’elle a. Le climat de travail est insoutenable parce que sa conduite offense tout le monde au travail. Son manque de chaleur et de respect et son attitude corporelle agressive (elle fait planer la menace de répercussions, s’exprime en charabia, se tient trop près, déplace des objets avec force, se croise les bras devant nous) offensent tous les collègues, moi compris, et nous empêchent de donner notre plein rendement. Elle a en fait une personnalité égoïste, asociale et antisociale. Elle socialise rarement avec nous et ne participe jamais aux activités privées; elle a l’air snob et hautain et affiche un comportement du même type (avec ses confections exclusives et ses bijoux en apparence luxueux – pourquoi a-t-elle besoin de travailler de toute manière?) en plus de faire honte à ses collègues avec ses propos arrogants. Elle s’exprime surtout en anglais (pourquoi une native du Québec renie-t-elle ses origines?) et dénigre ceux qui semblent avoir moins d’instruction. Elle arrive souvent en retard et part avant l’heure (dès 14 h le vendredi pour le sabbat juif et d’autres fêtes juives dont le nombre semble drôlement élevé). Elle a passé la fin de semaine (11 et 12 nov.) à Paris (avec son époux, semble-t-il) aux frais de notre gouvernement au lieu de reprendre l’avion le jour même où elle a terminé son travail. Sa conduite témoigne d’un manque de professionnalisme et ne correspond à ce qu’on attend d’une personne qui travaille pour le gouvernement du Canada. Elle lit et ouvre le courrier des autres (A. dit maintenant que c’est faux parce qu’il a peur) et N. veut également partir. (Elle refuse de l’admettre, bien entendu!) S’il vous plaît, nous avons beaucoup de respect pour vous (je crois personnellement que vous êtes une excellente gestionnaire!) Vous devez toutefois regarder la réalité en face et prendre acte du véritable caractère déprimant de V. Nous ne pouvons pas continuer à travailler avec une loque sociale qui perturbe notre milieu de travail au point de le rendre dysfonctionnel. Nous vous en prions, faites quelque chose pour nous aider à rétablir un milieu de travail sain.

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

24 La fonctionnaire a pris connaissance du courriel l’après-midi même, lors d’une réunion avec Jody Thomas, directrice générale de la sécurité, un agent des ressources humaines, Mme Crone et M. McDonald. Il était évident pour la fonctionnaire que le contenu du courriel était antisémite et que son auteur faisait assurément partie d’un petit groupe de personnes à Passeport Canada qui avait une connaissance intime des renseignements personnels qu’il contenait. La fonctionnaire a demandé qu’on la protège de ces menaces. L’employeur lui a demandé de déposer une plainte au service de police de Gatineau. Il l’a placée en congé administratif et renvoyée chez elle après la réunion en lui donnant l’assurance que son absence ne nuirait pas à son détachement ni ne serait déduite de ses crédits de congé de maladie. La fonctionnaire a consulté un psychologue à la suite de ces événements.

25 Le 20 décembre 2006, la fonctionnaire a reçu un appel de Nadine Larcher-Auger, la directrice des relations de travail, et de Daniel Champagne, un agent des relations de travail, qui voulaient savoir où en était la plainte à la police. Ils lui dont dit que, si elle ne signalait pas les menaces à la police d’ici le lendemain, elle serait rappelée au travail, et que l’organisme ne pousserait pas l’affaire plus loin. Ils l’ont avisée de ne pas faire une plainte frivole ou vexatoire. Elle a eu l’impression que l’organisme cherchait bien plus à sauvegarder sa réputation qu’à assurer son bien-être à elle. La fonctionnaire a donc déposé sa plainte au service de police de Gatineau le 21 décembre 2006. Le même jour, elle a avisé son représentant syndical qu’elle ne voulait avoir de contacts qu’avec les personnes directement en charge de l’enquête et qu’elle était émotionnellement incapable de participer à une enquête pour l’instant. La fonctionnaire a demandé d’être informée de toute activité ou fait nouveau ayant un lien avec les incidents.

26 Le 22 décembre 2006, Mme Larcher-Auger a demandé à la fonctionnaire de fournir un certificat médical pour justifier son absence continue du travail après le 21 décembre 2006. Mme Larcher-Auger lui a mentionné que l’employeur ne lui fournirait pas de représentation juridique. Si la fonctionnaire voulait déposer une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne ou une plainte de harcèlement au travail, elle devait consulter son dirigeant syndical. Le 23 décembre 2006, la fonctionnaire a avisé Mme Larcher-Auger qu’elle avait obtenu un certificat médical et lui a demandé s’il y aurait une enquête administrative avant la conduite d’une enquête criminelle. Elle s’est aussi enquise du nombre de crédits de congé de maladie qu’il lui restait.

27 Le 27 décembre 2006, la fonctionnaire a envoyé un courriel au sous-ministre et à d’autres personnes à Passeport Canada pour leur faire part de ses préoccupations concernant les lettres anonymes et faire la chronologie des incidents d’antisémitisme survenus depuis son arrivée à Passeport Canada. Elle indiquait qu’elle était incapable de travailler en raison des incidents survenus et demandait à l’employeur de faire la lumière sur ces incidents et d’assurer sa sécurité au travail.

28 Le 29 décembre 2006, Mme Larcher-Auger a demandé à la fonctionnaire de confirmer qu’elle était apte à participer à une enquête préliminaire sur son milieu de travail actuel, compte tenu de son état de santé. Mme Larcher-Auger a expliqué qu’une enquête préliminaire n’était pas la même chose qu’une enquête criminelle et qu’une enquête officielle pourrait faire suite à l’enquête préliminaire.

29 Le 3 janvier 2007, le médecin de la fonctionnaire a confirmé qu’elle était apte à collaborer à une enquête sur des questions liées au travail. La fonctionnaire a transmis cette information à Mme Larcher-Auger, à Mme Crone et à son représentant syndical, le 4 janvier 2007. Le 15 janvier 2007, la fonctionnaire a appris qu’elle ne s’était pas classée au concours ES-05.

30 Le 19 janvier 2007, le médecin de la fonctionnaire lui a remis un certificat médical indiquant qu’elle était toujours incapable de reprendre ses fonctions habituelles. Le 23 janvier 2007, la fonctionnaire a déposé le grief qui est l’objet de la présente procédure d’arbitrage. Le grief a été contresigné par Mme Larcher-Auger, au nom de l’employeur, le jour même. Le 24 janvier 2007, la fonctionnaire a reçu un courriel de Mme Crone l’avisant que son détachement prenait fin le 7 février 2007.

31 Le 2 février 2007, le médecin de la fonctionnaire a fourni un autre certificat médical indiquant que son retour travail était reporté au 19 février 2007. Le 1er février 2007, la fonctionnaire a été avisée par écrit que la Commission canadienne des droits de la personne avait décidé de ne pas examiner la plainte déposée le 27 décembre 2006 tant que tous les recours prévus par la procédure de règlement des griefs n’auraient pas été épuisés. L’employeur a reçu copie de cette lettre. Le 20 février 2007, la fonctionnaire a commencé un détachement de courte durée à l’Agence des services frontaliers du Canada, où elle a pu reprendre progressivement le travail. Le 16 avril 2007, la fonctionnaire a accepté une mutation intérimaire dans un poste ES-05 à Citoyenneté et Immigration Canada, où elle travaille toujours aujourd’hui.

32 Le 28 février 2007, M. Cossette a écrit à la fonctionnaire pour l’informer que l’enquête préliminaire n’avait pas permis d’identifier l’auteur des lettres et courriels anonymes et qu’il n’y aurait pas d’autre enquête, à moins que des faits nouveaux ne soient mis au jour. M. Cossette a informé la fonctionnaire qu’il avait rencontré tous les employés du Bureau des politiques et de la planification pour leur rappeler l’existence de la politique de tolérance zéro de Passeport Canada en matière de harcèlement au travail.

33 La fonctionnaire a déclaré qu’elle considérait l’ordre de reprendre le travail le 21 décembre 2006 et la demande subséquente de justifier son absence continue comme un refus complet de tenir compte du traumatisme que lui avait causé la correspondance anonyme. Elle estimait que l’enquête administrative avait été instituée dans le seul but de protéger les intérêts de Passeport Canada et d’éviter de prêter le flanc à la critique et non par véritable souci d’assurer son bien-être. Personne ne lui demandait comment elle faisait face à la situation; la préoccupation de l’employeur semblait être de la convaincre de signaler l’incident à la police, de manière à pouvoir faire enquête sur les faits.

34 La fonctionnaire a déclaré que, même si on lui avait demandé de fournir un certificat attestant qu’elle était apte à participer à une enquête, personne n’avait communiqué avec elle jusqu’à ce qu’on l’avise par écrit, le 28 février 2007, que les résultats de l’enquête n’étaient pas concluants. À part préparer une chronologie des faits qui a été intégrée dans une plainte à la police, la fonctionnaire n’a pas participé à l’enquête. On ne l’a pas autorisée à prendre connaissance des déclarations des personnes interrogées par les services de sécurité de l’organisme ni permis d’y répondre. La fonctionnaire a déclaré qu’elle éprouvait un sentiment d’abandon et d’impuissance et que rien n’avait été fait pour faciliter son retour au travail. Au lieu de cela, son détachement s’est terminé plus tôt que prévu. Pire encore, elle a été soumise à une étroite surveillance le jour où elle s’est présentée au lieu de travail pour récupérer ses effets personnels. Même si cela ne faisait pas partie de son grief, la fonctionnaire a ajouté qu’elle avait fait les frais, sur le plan pécuniaire, de la décision de mettre fin prématurément à son détachement parce que le poste qu’elle occupait par intérim à Passeport Canada était de niveau ES-05, tandis que son poste d’attache était de niveau ES-04. À la fin de son détachement à Passeport Canada, la fonctionnaire a été obligée de se chercher prématurément du travail alors qu’elle se sentait vulnérable.

35 La fonctionnaire a admis que le deuxième détachement à Passeport Canada prévoyait un préavis de deux semaines et que le détachement avait été prolongé le 30 octobre 2006 parce que ses projets et le processus de dotation permanente n’étaient pas terminés. Elle a noté que son second détachement avait pris fin avant la date prévue même si ses projets n’étaient pas terminés et que Passeport Canada avait été incapable de pourvoir tous les postes vacants ES-05 à l’issue du processus de dotation. Elle a été avisée, le 15 janvier 2007, que sa candidature n’avait pas été retenue à l’issue du concours ES-05.

36 La fonctionnaire a été interrogée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC), mais elle n’a pas été informée des conclusions de cette enquête avant la présente audience. Elle a été avisée des conclusions du rapport des services de technologie de l’information (TI) fin décembre 2006. L’origine du courriel du New York Post n’avait pas pu être établie. La fonctionnaire a obtenu les résultats de l’enquête administrative grâce à une demande d’accès à l’information qu’elle a faite en prévision de l’audience. Elle a été particulièrement troublée de découvrir qu’on avait communiqué avec ses anciens employeurs, sans son autorisation, pour savoir si des incidents similaires s’étaient produits chez eux et pour tenter de trouver une explication aux incidents survenus à Passeport Canada.

B. Témoignage de René Gervais

37 Au moment des incidents ayant donné lieu au grief, René Gervais était conseiller principal en relations de travail à Passeport Canada. Il a été nommé directeur par intérim des relations de travail en avril 2007, puis directeur des relations de travail. Il relevait de Mme Larcher-Auger, la directrice des relations de travail, qui relevait pour sa part de Danielle Marquis, la directrice générale des ressources humaines.

38 M. Gervais a appris l’existence de la correspondance anonyme en janvier 2007, lorsque Mme Larcher-Auger lui a demandé de participer à l’enquête administrative en remplacement de M. Champagne, l’agent des relations de travail qui était en charge du dossier. L’enquête visait à recueillir de l’information sur les trois lettres anonymes reçues. Les enquêtes de ce genre ne sont pas régies par des règles particulières. M. Gervais a également été chargé de traiter le grief déposé le 23 janvier 2007 et de faire un compte rendu hebdomadaire de la question au PDG.

39 L’enquête administrative a été instituée par la directrice générale de la sécurité et la directrice générale des ressources humaines. Les entrevues se sont terminées le 15 février 2007. La fonctionnaire n’a pas été interrogée, mais les intervieweurs ont tenu compte de sa chronologie des événements. M. Gervais savait que la fonctionnaire avait fourni un certificat médical indiquant qu’elle était apte à participer à l’enquête, mais il ne voulait pas l’importuner chez elle pendant son congé de maladie. Mme Marquis n’avait pas demandé à ce que la fonctionnaire soit interrogée et personne ne soupçonnait cette dernière d’avoir envoyé la correspondance anonyme. Mmes Crone et Pezzack ont fourni leur propre chronologie des événements. Les personnes suivantes ont été interrogées : Carol Bowers (directrice, Opérations à l’étranger), Lucie Moniz (adjointe administrative), Johanne Séguin (agente chargée de l’administration et des finances), Mme Lévesque (adjointe administrative), Mme Crone (directrice, Programmes internationaux), M. McDonald (directeur général, Direction générale des politiques et de la planification), M. Akitt (titre du poste inconnu) et Mme Pezzack (directrice, Politique stratégique). Chaque personne a eu la possibilité d’examiner et de parapher ses réponses et M. Gervais a transmis ses notes des entrevues à l’enquêteur en chef, Sylvain Cormier.

40 Le 16 février 2007, M. Gervais a indiqué à Mme Marquis que les résultats de son enquête n’étaient pas concluants. Il a appris par la suite que l’enquête de la GRC n’avait pas non plus été concluante. La fonctionnaire a été avisée des conclusions de l’enquête préliminaire, le 28 février 2007. Le rapport final a été produit le 11 mai 2007.

41 M. Gervais a confirmé que la chronologie fournie par la fonctionnaire avait servi de point de départ à une enquête administrative sur la correspondance anonyme et non pas à une plainte de harcèlement. Faute de savoir qui avait rédigé la correspondance, il était impossible de déterminer s’il s’agissait d’un cas de harcèlement au travail. Selon M. Gervais, la politique sur le harcèlement au travail s’applique aux plaintes de harcèlement contre le personnel interne de l’organisme et non aux personnes ou aux menaces provenant de l’extérieur.

C. Témoignage de Malcolm Eales

42 Malcolm Eales est le directeur de l’application de la loi et de la lutte anti-fraude à Passeport Canada. Durant l’enquête sur la correspondance anonyme, il était le directeur de la sécurité interne. À ce titre, il était responsable de la sécurité opérationnelle, des enquêtes et de l’intégrité des documents (enquête sur les fraudes de passeport). M. Eales relevait de Mme Thomas, la directrice générale de la sécurité.

43 M. Eales a appris l’existence des lettres anonymes peu de temps après le 15 décembre 2006. Il les a examinées sous l’angle de leur incidence sur la sécurité opérationnelle. Une copie des lettres a été envoyée à titre d’information au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), ainsi qu’à la GRC. Le SCRS n’a pas communiqué de conclusions; la GRC a pour sa part écrit à M. Cossette, le 7 juillet 2008, pour lui faire savoir que son enquête n’était pas concluante.

44 M. Eales a été chargé de déterminer quelles mesures l’organisme devait prendre face aux menaces à la sécurité et de transmettre le courriel du New York Post au groupe de sécurité de la TI afin de déterminer s’il provenait d’un ordinateur interne.

45 M. Eales a insisté pour que la fonctionnaire signale rapidement l’affaire à la police pendant que la preuve était encore fraîche et avant que la nouvelle se répande dans l’organisme. Les 15 et 18 décembre 2006, la fonctionnaire a fait savoir qu’elle recevait des courriels inappropriés sur son Blackberry. Deux enquêtes internes ont été instituées. La première a été menée par la section de la TI et visait à déterminer si on pouvait relier le courriel du New York Post ou les courriels reçus sur le Blackberry de la fonctionnaire à une activité sur les serveurs de l’organisme. L’enquête n’a pas donné de résultats concluants. Le rapport d’enquête a été communiqué à Mme Larcher-Auger puis versé au dossier de l’enquête policière.

46 La deuxième enquête a porté sur les faits contenus dans la chronologie fournie par la fonctionnaire et n’a pas non plus donné de résultats concluants. M. Eales ne savait pas que la fonctionnaire avait été déclarée médicalement apte à participer à l’enquête, car Mme Larcher-Auger lui avait dit qu’elle ne pouvait pas être interrogée. Tous les renseignements contenus dans le rapport sont tirés de la chronologie fournie par la fonctionnaire.

47 Au terme d’une discussion avec le service de police de Gatineau, M. Eales a conclu que toutes les mesures nécessaires avaient été prises pour protéger adéquatement les employés de Passeport Canada en cas d’incidents semblables à l’avenir, puisque l’accès à l’édifice était strictement contrôlé et que les commissionnaires exerçaient une surveillance au moyen d’un système de vidéo en circuit fermé. M. Eales a déterminé qu’il y avait suffisamment de mesures en place pour parer à toute infraction à la sécurité.

D. Témoignage de Danielle Marquis

48 Mme Marquis était la directrice générale des ressources humaines à Passeport Canada et relevait du PDG. Elle a appris l’existence de la correspondance anonyme peu de temps après sa réception. Au cours d’une réunion avec Mme Thomas et MM. McDonald et Cossette, le 15 décembre 2006, la décision fut prise d’instituer une enquête, conformément aux politiques sur la prévention du harcèlement de Passeport Canada et du Conseil du Trésor. La principale préoccupation de Mme Marquis était d’identifier l’auteur de la correspondance anonyme. Mme Marquis a demandé à Mme Larcher-Auger de désigner un agent des relations de travail aux fins de l’enquête et Mme Thomas a désigné un enquêteur de son unité. Il n’y avait pas de mandat écrit définissant les paramètres de l’enquête, sauf que la chronologie écrite fournie par la fonctionnaire devait servir de point de départ. Le grief n’a pas été examiné dans le cadre de l’enquête. Mme Marquis n’a pas considéré la chronologie fournie par la fonctionnaire comme une plainte officielle de harcèlement. Elle était convaincue que toutes les mesures nécessaires avaient été prises pour protéger la fonctionnaire contre tout danger. On lui avait remis des bons de taxi pour rentrer chez elle, un représentant de l’organisme l’avait accompagnée pour déposer sa plainte au service de police de Gatineau et Passeport Canada avait demandé à la GRC de mener une enquête criminelle.

E. Témoignage de Nadine Larcher-Auger

49 Mme Larcher-Auger était la directrice des relations de travail et relevait de Mme Marquis au moment où la correspondance anonyme a été reçue. Elle a communiqué avec le MAECI et le ministère de la Défense nationale pour savoir si des incidents similaires étaient survenus lorsque la fonctionnaire travaillait chez eux. Elle a également participé à une réunion avec la fonctionnaire et d’autres personnes, le 15 décembre 2006. On avait informé la fonctionnaire que son ancien ministère avait été mis au fait des incidents et qu’elle était mise en congé administratif payé. On lui avait également remis des bons de taxi pour ses transports personnels durant l’enquête. Le ministère de la Justice devait en outre lui apporter son aide. On avait demandé à la fonctionnaire de préparer une chronologie des événements entourant la menace et tout autre incident connexe et de déposer une plainte officielle au service de police de Gatineau. Lorsque l’enquête de la TI a révélé que la menace ne provenait pas de Passeport Canada, la fonctionnaire a été rappelée au travail. Elle a déclaré qu’elle était trop ébranlée pour reprendre le travail et qu’elle était suivie par un médecin. Durant une téléconférence, le 21 décembre 2006, Mme Larcher-Auger et M. Champagne ont dit à la fonctionnaire qu’elle devait obtenir l’aide de son représentant syndical pour déposer une plainte, si tel était son souhait. Mme Larcher-Auger a expliqué à la fonctionnaire les grandes lignes de la politique sur le harcèlement de l’organisme. Comme elle ne pouvait pas reprendre le travail, la fonctionnaire a été priée de fournir un certificat médical pour justifier son absence et établir qu’elle était apte à participer à une enquête interne.

50 Mme Larcher-Auger a préparé les questions de l’entrevue et dressé la liste des personnes à interroger à partir des noms contenus dans la chronologie de la fonctionnaire. Mme Larcher-Auger a reçu le certificat médical indiquant que la fonctionnaire était apte à participer à l’enquête interne. Mme Larcher-Auger a toutefois quitté son poste à Passeport Canada avant le début de l’enquête, de sorte qu’elle ne savait pas à qui l’information avait été communiquée. Elle a refusé d’admettre qu’elle avait dit à M. Eales que la fonctionnaire n’était pas apte à participer à l’enquête interne. La fonctionnaire s’est fait offrir du counselling psychologique dans le cadre du Programme d’aide aux employés (PAE), ce qui était considéré comme une mesure appropriée. Mme Larcher-Auger a également rencontré le représentant syndical de la fonctionnaire, le 15 décembre 2006. Mme Larcher-Auger a changé d’idée à propos de la décision de maintenir la fonctionnaire en congé administratif, après s’être entretenue avec Claude House au MAECI et avoir obtenu l’assurance qu’il n’y avait pas de situation de danger de mort qui justifiait que la fonctionnaire reste à la maison.

51 En contre-interrogatoire, Mme Larcher-Auger a admis que l’enquête administrative était un processus de collecte de faits qui permettait à l’employeur d’interroger des personnes dans le lieu de travail et d’étudier les allégations de la fonctionnaire, sans avoir à la rencontrer. Le certificat médical était simplement une mesure préventive au cas où il aurait été nécessaire de la rencontrer. Mme Larcher-Auger a admis que la chronologie fournie par la fonctionnaire aurait pu être considérée comme une plainte formelle nécessitant l’intervention de l’employeur. Mme Larcher-Auger croyait que, pour déposer une plainte formelle, la fonctionnaire devait nécessairement obtenir l’aide de son agent négociateur. La principale tâche de Mme Larcher-Auger était de constituer une équipe pour faire enquête sur les allégations de la fonctionnaire.

F. Témoignage de Renée Lévesque

52 Mme Lévesque est l’adjointe administrative des trois directeurs des programmes internationaux, dont Mme Crone, la supérieure de la fonctionnaire, et Mme Pezzack, depuis le 28 novembre 2005. Elle avait la responsabilité de préparer les budgets, d’examiner les factures, de mettre à jour les données sur les ressources humaines et d’accomplir d’autres tâches administratives. Elle a déclaré qu’elle avait eu deux désaccords avec la fonctionnaire. Le premier concernait une réunion pour organiser les activités de la Semaine nationale de la fonction publique en juin 2006. Mme Lévesque a rapporté à Mme Crone que la fonctionnaire avait agi de manière irrespectueuse envers d’autres employés après avoir été contrainte d’accepter cette tâche. Mme Lévesque ne voulait pas être associée au dédain que les activités de cette semaine-là semblait inspirer à la fonctionnaire. Le second incident concernait la demande de remboursement de frais de la fonctionnaire pour participer à une conférence internationale à Paris, en novembre 2006. Lorsque la fonctionnaire lui a signalé qu’elle avait obtenu l’autorisation de prolonger son voyage en raison du sabbat, Mme Lévesque lui a présenté ses excuses et a informé Mme Crone de l’incident. Mme Lévesque a déclaré qu’elle n’était pas au courant de l’autorisation préalable parce qu’elle revenait d’un congé de maladie prolongé. Mme Lévesque a affirmé que ces conflits n’avaient pas de lien avec la religion juive de la fonctionnaire. Elle a déclaré qu’elle ne connaissait pas le détail des obligations religieuses de la fonctionnaire.

53 Mme Lévesque a indiqué que chaque fois que la fonctionnaire prenait un congé religieux, elle devait consigner les heures utilisées et les compenser. Mme Lévesque ne comprenait pas pourquoi elle recevait une copie des courriels que s’échangeaient Mme Crone et la fonctionnaire à propos des congés religieux et elle n’y prêtait pas beaucoup d’attention. Mme Lévesque a déclaré qu’elle ne suivait pas de très près le calendrier des congés religieux de la fonctionnaire et les heures effectuées pour compenser ces congés parce que la fonctionnaire avait souvent des réunions à l’extérieur du bureau. Mme Lévesque a refusé d’admettre qu’elle avait demandé à la fonctionnaire de remplir des formulaires de demande de congé pour prendre un congé religieux. Les seuls formulaires demandés étaient ceux relatifs aux congés annuels et aux congés de maladie.

54 Mme Lévesque a été interrogée par M. Gervais et deux autres personnes durant l’enquête interne, ainsi que par la GRC. Elle a déclaré qu’elle n’avait jamais vu de copies de la correspondance anonyme avant la présente audience. Mme Crone ne lui a jamais demandé de consigner les congés religieux de la fonctionnaire ou d’en faire le suivi. Elle a déclaré qu’elle ne se rappelait pas ce qu’elle avait dit aux enquêteurs et qu’elle n’avait jamais été mise au courant de l’existence du rapport final. Mme Lévesque a admis qu’elle avait dit à Mme Crone que ce n’était pas une bonne idée d’attribuer le poste de directeur par intérim à la fonctionnaire avant la fin du concours ES-05 parce que la fonctionnaire aurait accès à des renseignements confidentiels sur le concours. Mme Lévesque a rapporté tous les incidents mettant en cause la fonctionnaire à Mme Crone, y compris ce qu’elle avait entendu dire à propos de M. Akitt. Elle a déclaré qu’elle n’avait parlé de ces incidents à personne d’autre.

G. Témoignage de Lisa Pezzack

55 Mme Pezzack était la directrice de la politique stratégique en 2006-2007 et relevait de M. McDonald. La fonctionnaire travaillait avec des membres de son personnel. Mme Pezzack examinait les rapports que la fonctionnaire préparait pour le ministre. La fonctionnaire était dévouée à la tâche, mais elle refusait souvent de tenir compte des suggestions que lui faisait Mme Pezzack pour améliorer ses compétences en rédaction. La première plainte contre la fonctionnaire est survenue quand Mme Lévesque a rapporté à Mme Pezzack qu’elle avait été offensée par le comportement de la fonctionnaire durant une réunion visant à organiser les activités de la Semaine nationale de la fonction publique. Seule Mme Lévesque s’était plainte. Mme Pezzack a fait part de ces préoccupations à Mme Crone. Mme Pezzack ne savait pas que la fonctionnaire était juive avant que la correspondance anonyme arrive. Elle a admis qu’elle avait fait deux commentaires sur le style vestimentaire de la fonctionnaire. La première fois, elle lui avait dit de s’habiller plus chaudement après l’avoir croisée dans la rue, vêtue d’une jupe, durant une tempête de neige. La seconde fois, elle lui avait fait des observations à propos de son style vestimentaire classique les vendredis du décontracté. Mme Pezzack a déclaré qu’elle n’aurait jamais fait ces commentaires si elle avait été au courant des détails de la religion de la fonctionnaire à ce moment-là.

56 Mme Pezzack était membre du jury pour le concours ES-05. L’avis préliminaire à l’intention des personnes proposées pour une nomination a été préparé le 15 janvier 2007. Des erreurs sont survenues dans le processus de dotation — la première grille de notation utilisée était trop généreuse et plusieurs candidats qui auraient dû être éliminés au début du processus ne l’ont été qu’après la vérification des références. Il y avait au moins 15 candidats pour sept postes. Cinq se sont classés. Des contrôles des références ont été utilisés pour vérifier les qualités personnelles. La fonctionnaire fait partie des candidats qui ne se sont pas classés. Mme Pezzack n’a pas reçu de plainte de la fonctionnaire à propos du processus de dotation. Le processus de dotation a duré six mois; le retard a été causé par la vérification des références.

57 La correspondance anonyme est arrivée pendant que Mme Pezzack occupait le poste de directrice générale par intérim, en l’absence de M. McDonald. Mme Pezzack et Mme Crone ont convenu qu’il était nécessaire d’en aviser les services de sécurité et des relations de travail. Durant l’enquête administrative, Mme Pezzack a fourni une chronologie des événements et répondu aux questions des intervieweurs. Elle a rempli un questionnaire pour l’enquête de la GRC et s’est entretenue avec l’enquêteur en chef.

H. Témoignage de Leslie Crone

58 Mme Crone a été la directrice des programmes internationaux pour l’hémisphère occidental à Passeport Canada d’avril 2005 à juillet 2009. Elle relevait de M. McDonald. À titre de responsable de divers programmes, elle faisait notamment partie d’un groupe de travail composé de représentants de pays du G-8 chargé d’élaborer une politique sur les passeports pour l’aviation civile. À l’automne de 2005, Mme Crone a accueilli la fonctionnaire, Nicoletta Bowman et d’autres en détachement pour travailler à divers projets parce que les postes de sa nouvelle organisation n’avaient pas encore été classifiés. Une fois la classification terminée, les postes devaient être pourvus par voie de concours. Les employés en détachement ont été invités à participer au processus de concours.

59 Mme Crone a embauché la fonctionnaire après l’avoir rencontré au MAECI, où elle travaillait. Mme Crone avait été impressionnée par la fonctionnaire et lui avait envoyé une note l’invitant à envisager la possibilité de faire carrière à Passeport Canada. La fonctionnaire avait répondu à cette expression d’intérêt en lui envoyant son curriculum vitæ. À l’issue d’une rencontre, Mme Crone avait offert un détachement à la fonctionnaire dans le groupe et au niveau ES-05 à compter du 31 octobre 2005. L’entente de détachement prévoyait que l’une ou l’autre partie pouvait mettre fin au détachement avec deux semaines de préavis. Mme Crone était satisfaite du travail de la fonctionnaire et avait fourni une justification pour que prolonger son détachement du 31 octobre 2006 au 30 avril 2007.

60 Le processus d’entrevue et de vérification des références pour les concours ES-04 et ES-05 s’est terminé début décembre 2006, mais les résultats n’ont été communiqués aux candidats que le 15 janvier 2007, afin de permettre au personnel des ressources humaines de régler tous les détails des dossiers. La fonctionnaire et Mme Bowman ne s’étant pas classées, on les a avisées, le 24 janvier 2007, que leur détachement prenait fin le 7 février 2007. Même si le processus de dotation n’avait pas produit un nombre suffisant de candidats pour combler tous les postes vacants, il n’y avait pas de budget pour autoriser les employés en détachement à mener leur détachement à terme; c’est pourquoi la fonctionnaire et Mme Bowman ont reçu un préavis de deux semaines. Mme Bowman a trouvé un autre emploi à Passeport Canada peu de temps après.

61 Mme Crone a déclaré qu’elle était au courant des pratiques de la religion juive parce qu’il y a des juifs dans sa famille. Lorsque la fonctionnaire lui a demandé une mesure d’adaptation pour remplir ses obligations religieuses, Mme Crone a conclu une entente informelle aux termes de laquelle la fonctionnaire effectuait des heures supplémentaires et prenait des congés religieux en nombre équivalent des heures accumulées. Elle informait Mme Crone par courriel des heures effectuées et des congés utilisés. Mme Crone n’a jamais remis en cause ou rejeté les demandes de congé religieux reçues de la fonctionnaire.

62 Mme Crone ne se rappelait pas que des employés s’étaient plaints du fait que la fonctionnaire s’absentait du travail les jours de fête religieuse ou qu’elle partait plus tôt le vendredi. La fonctionnaire ne s’est jamais plainte de la manière dont les congés étaient administrés. Mme Crone croyait que Mme Lévesque recevait une copie des courriels qu’elle échangeait avec la fonctionnaire parce que Mme Lévesque tenait le calendrier des présences et des absences au bureau. Mme Lévesque avait également la responsabilité de faire le suivi mensuel des présences et de s’assurer que les demandes de congé étaient remplies. Mme Crone a déclaré qu’elle avait été surprise de recevoir un courriel de la fonctionnaire, le 22 mars 2006, à propos de la discussion qu’elles avaient eue la veille, car le fait que la fonctionnaire prenait des congés religieux n’avait jamais posé de problème. Mme Crone n’avait aucune objection à ce que la fonctionnaire prenne le congé proposé. Mme Crone ne croyait pas que ses rapports avec la fonctionnaire étaient entachés de discrimination, puisque ses demandes de congé religieux étaient approuvées.

63 La demande de soumettre des demandes au titre des congés inutilisés pour l’exercice se terminant le 31 mars 2006 était une formalité annuelle visant à s’assurer que toutes les demandes de congé avaient été remplies et ne visait pas exclusivement la fonctionnaire. La fonctionnaire ne pouvait pas soumettre ses demandes de congé par voie électronique parce qu’elle n’était pas une employée permanente de Passeport Canada. On devait consigner ses congés par écrit et envoyer les formulaires au MAECI pour la mise à jour de son dossier personnel.

64 Mme Crone a constaté, pendant le détachement de la fonctionnaire, que celle-ci possédait de solides compétences analytiques mais que ses habiletés en communications interpersonnelles laissaient à désirer. Des membres du personnel s’en étaient plaints, de même que des personnes de l’extérieur de l’organisme avec lesquels la fonctionnaire avait des échanges dans le cadre de réunions interministérielles. Mme Crone a fait part de ces plaintes à la fonctionnaire; elle lui a prodigué des conseils et offert de la formation, que la fonctionnaire a acceptée. La question des lacunes à corriger au chapitre des communications interpersonnelles a été abordée avec la fonctionnaire lors de son évaluation du rendement pour l’année 2006, mais rien n’a été mis par écrit parce que Mme Crone estimait qu’il fallait d’abord aviser la fonctionnaire du problème et lui donner la chance de s’améliorer avant de consigner des observations de ce genre dans une évaluation du rendement. La fonctionnaire s’est également fait offrir de la formation sur les techniques d’entrevue en prévision du concours ES-05.

65 Mme Crone a déclaré que l’apparence physique de la fonctionnaire pouvait intimider le personnel de soutien parce que c’est une belle personne, qu’elle est toujours tirée à quatre épingles et qu’elle s’exprime avec beaucoup d’aisance. Selon Mme Crone, cela peut être perçu comme de l’abus de pouvoir de la part d’une personne habilitée à requérir des services. Mme Crone a discuté de ces perceptions avec la fonctionnaire. Elle n’avait pas souvenance d’une réunion au cours de laquelle la fonctionnaire avait été obligée d’expliquer ses convictions religieuses; elle a précisé qu’il n’était pas dans sa nature de solliciter pareille chose d’un employé, surtout dans le cas de la fonctionnaire, qui avait demandé que ses convictions religieuses soient tenues confidentielles.

66 En ce qui concerne le voyage de la fonctionnaire à Paris, Mme Crone a déclaré que les mesures spéciales de déplacement avaient été approuvées au préalable par M. Cossette. La conduite de Mme Lévesque pouvait toutefois s’expliquer par le fait qu’elle revenait d’un congé de maladie et qu’elle n’était probablement pas au courant de ces mesures. Mme Lévesque avait la responsabilité de vérifier toutes les demandes de remboursement de frais de voyage du personnel de l’unité afin de s’assurer que les règles étaient appliquées. La fonctionnaire avait été très contrariée que Mme Lévesque remette en cause sa demande de remboursement.

67 Le 21 novembre 2006, la fonctionnaire a appelé Mme Crone pour lui dire qu’elle avait le sentiment d’être victime d’antisémitisme au travail et que quelqu’un avait décidé d’avoir sa peau. Mme Crone lui a dit que Passeport Canada avait une politique de tolérance zéro et lui a demandé de fournir des détails. La fonctionnaire n’a pas voulu donner de renseignements supplémentaires. Le lendemain, Mme Crone a rencontré la fonctionnaire pour discuter du problème et lui a suggéré de déposer une plainte. La fonctionnaire a demandé que la question de la discrimination fasse l’objet d’une discussion avec le personnel, mais elle ne voulait pas déposer une plainte officielle. Mme Crone a fait part de ses préoccupations aux services des relations de travail et de la sécurité.

68 Mme Crone et M. McDonald ont reçu une copie identique de la première lettre anonyme, dans des enveloppes séparées, le 1er décembre 2006. Mme Crone s’est empressée d’en informer Mme Larcher-Auger et Mme Thomas, qui lui ont dit de communiquer avec M. Eales. On a prié Mme Crone de ne pas montrer immédiatement la lettre à la fonctionnaire parce que les services de sécurité voulaient l’examiner de plus près. La deuxième lettre anonyme, envoyée exclusivement à Mme Crone, est arrivée le 13 décembre 2006. Mme Crone en a avisé M. McDonald, Mme Larcher-Auger et les services de sécurité. La fonctionnaire a été informée de l’existence des lettres le 14 décembre 2006. La deuxième lettre a été jugée plus alarmante parce qu’elle contenait une menace de mort. Le PDG a été mis au courant de l’existence des lettres. À 13 h 20, le 15 décembre 2006, Mme Crone a reçu un courriel, provenant en apparence de M. McDonald, qui contenait d’autres menaces. Mme Crone a toutefois constaté que l’adresse électronique n’était pas celle de M. McDonald parce qu’elle n'était pas conforme au protocole de l’organisme consistant à tronquer les adresses électroniques. Mme Crone et d’autres personnes ont rencontré la fonctionnaire cet après-midi-là pour lui dire que sa sécurité était primordiale. La fonctionnaire a été renvoyée chez elle, mais elle a pris l’autobus au lieu d’utiliser les bons de taxi qu’on lui avait remis.

69 L’horaire de travail de la fonctionnaire était consigné sur le calendrier de Mme Crone. Mme Lévesque et tous ceux qui remplaçaient Mme Crone de temps à autre, comme Mme Pezzack, Mme Bowman ou la fonctionnaire, pouvaient consulter ce calendrier, mais personne de l’extérieur de Passeport Canada n’y avait accès. Mme Crone a admis que le courriel du New York Post contenait de l’information que seule une personne travaillant à Passeport Canada pouvait connaître. Le contenu de la correspondance anonyme était très alarmant. Mme Crone a admis qu’il n’était pas nécessaire d’avoir reçu une plainte officielle pour appliquer la politique sur le harcèlement. La fonctionnaire ne pouvait pas fournir de faits concrets pour étayer ses allégations d’antisémitisme. Mme Crone a tout de même communiqué ces préoccupations au service des relations de travail et aux services de sécurité. Elle a également communiqué avec les Ressources humaines au sujet de la possibilité de dispenser une formation en valeurs et éthique et a rencontré les membres de son personnel après le départ de la fonctionnaire. Mme Crone n’a pas traité la chronologie des événements fournie par la fonctionnaire comme une plainte mais comme un résumé des faits et de l’interprétation qu’en faisait la fonctionnaire.

70 Mme Crone a déclaré qu’on lui avait demandé, durant l’enquête interne, si elle savait qui pouvait avoir envoyé la correspondance anonyme. Elle avait répondu que c’était peut-être Mme Lévesque puisqu’elle était l’une des rares personnes à connaître tous les faits contenus dans le courriel du New York Post. Après avoir discuté avec la GRC de la manière dont le profil de cas serait établi, Mme Crone en est arrivé à la conclusion que sa réponse reposait sur des suppositions et en a discuté avec M. Girard. M. Girard lui a dit qu’elle n’aurait pas dû faire de suppositions et qu’elle devait réviser sa réponse. Mme Crone a donc demandé à M. Gervais de modifier sa réponse. Une nouvelle réponse indiquant qu’elle ne savait pas qui avait envoyé la correspondance anonyme a été substituée à sa réponse précédente et est devenue partie intégrante de ses réponses à l’entrevue.

71 Mme Crone a déclaré que la fonctionnaire ne s’était pas classée au processus de dotation parce qu’elle avait échoué à l’une des questions essentielles et à deux aspects des qualités personnelles. Mme Crone a indiqué que, même si la correspondance anonyme visait à miner les chances de succès de la fonctionnaire au concours, elle avait été reçue trop tard, car l’issue du concours avait déjà été décidée même si les résultats n’avaient pas encore été communiqués aux candidats. La seule étape qui n’avait pas encore été franchie était celle de la vérification des références des candidats. Seuls Mme Crone, Mme Pezzack, Mme Lévesque et un consultant externe savaient où en était le processus. Mme Crone était d’avis que le libellé du courriel ne correspondait pas au niveau de connaissance de l’anglais de Mme Lévesque, mais elle a admis que, dans la mesure où l’information n’avait pas été communiquée à quelqu’un de l’extérieur, elle était la seule, avec deux autres personnes, à avoir accès à l’information contenue dans le courriel du New York Times.

I. Témoignage de Gérald Cossette

72 M. Cossette était le PDG de Passeport Canada à l’époque où la correspondance anonyme a été reçue. Avant ces incidents, M. Cossette avait rencontré la fonctionnaire lors de séances d’information; il avait trouvé que c’était une personne charmante et qu’elle connaissait très bien ses dossiers.

73 Le 15 décembre 2006, M. Cossette a pris part à une réunion pour discuter des deux premières lettres anonymes. Il a décidé qu’il était nécessaire d’en aviser la GRC, parce que les lettres contenaient des propos haineux, ainsi que le MAECI, parce que c’était un organisme de grande taille muni de meilleures ressources pour faire face à une situation de ce genre. M. Cossette a convenu que la fonctionnaire devait être retirée du lieu de travail et qu’elle devrait éviter d’utiliser les transports en commun pendant la tenue d’une enquête. L’enquête de sécurité qui a été instituée n’a pas permis d’identifier l’auteur du courriel.

74 M. Cossette a avisé la fonctionnaire et le syndicat des résultats de l’enquête interne, le 28 février 2007. Même si le rapport final n’a été produit qu’en mai 2007, M. Cossette jugeait important d’aviser la fonctionnaire que les résultats n’étaient pas concluants.

75 Le 30 janvier 2007, le bureau de M. Cossette a reçu une quatrième lettre anonyme, qui a été envoyée aux enquêteurs de l’équipe d’enquête interne au lieu d’être remise à la fonctionnaire. Comme pour les autres lettres, son auteur n’a pas été identifié. M. Cossette a admis avoir envisagé, fin décembre 2006, de mettre fin au détachement de la fonctionnaire parce que les relations entre la fonctionnaire et ses superviseurs étaient devenues tendues depuis la réception des lettres anonymes et qu’il ne croyait pas que la situation était susceptible de s’améliorer dans l’avenir. Mettre fin au détachement semblait la solution la plus acceptable à ce moment-là. Cela n’avait rien à voir avec la religion de la fonctionnaire. M. Cossette a admis qu’il était assez inhabituel de recevoir de la correspondance anonyme et que le ministre Peter MacKay avait été informé de la gravité de la situation. Selon M. Cossette, l’enquête visait à déterminer qui avait envoyé la correspondance anonyme; il n’était donc pas nécessaire que la fonctionnaire réponde aux accusations contenues dans ces lettres.

J. Témoignage de Gary McDonald

76 M. McDonald était le directeur général des politiques et de la planification à Passeport Canada et relevait de M. Cossette à l’époque où la correspondance anonyme a été reçue. M. McDonald savait que la fonctionnaire était une juive pratiquante parce que Mme Crone lui avait dit qu’elle lui accordait du temps libre pour remplir ses obligations religieuses. M. McDonald était très satisfait du travail de la fonctionnaire; il savait également qu’elle faisait des heures supplémentaires pour compenser le temps libre qui lui était accordé pour remplir ses obligations religieuses. La fonctionnaire ne s’est jamais plainte à lui qu’elle était victime de discrimination pour motifs religieux.

77 La correspondance anonyme est arrivée pendant que M. McDonald était en voyage d’affaire. Mme Crone l’a mise au courant de la situation à son retour. Elle a expliqué les mesures qu’elle avait prises pendant son absence. La fonctionnaire a été convoquée à une réunion le lendemain. Lorsque Mme Crone a reçu le courriel du New York Post, dont M. McDonald était prétendument l’auteur, ce dernier en a informé M. Cossette et les services des ressources humaines. Comme M. McDonald était désormais mêlé à l’affaire en raison du courriel du New York Post, il s’est retiré de l’enquête, mais il a répondu aux questions des enquêteurs. Il a déposé une plainte au service de police au sujet du courriel du New York Post. Il a participé à l’enquête de la GRC en remplissant un questionnaire, mais on ne l'a pas interrogé.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

78 La fonctionnaire avance que les mesures correctives mises en place après la réception de la correspondance anonyme visaient à protéger l’organisme mais ne lui apportaient absolument rien. Le présent grief a pour objet l’obtention de mesures correctives expressément destinées à la fonctionnaire. La fonctionnaire allègue que l’employeur a contrevenu aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) parce qu’il n’est pas intervenu après avoir été avisé que la fonctionnaire était victime de discrimination du fait de sa confession religieuse, qu’il n’a pas fait enquête sur ses plaintes et qu’il n’a pris aucune mesure pour tenir compte de ses besoins au travail après que la discrimination eut porté atteinte à sa santé et à sa dignité personnelle.

79 La fonctionnaire soutient également que l’employeur a aggravé la violation de ses droits en revenant sur sa décision de lui accorder un congé administratif pendant la tenue de l’enquête interne, en la forçant à utiliser ses congés de maladie et en ne lui donnant pas la possibilité de présenter sa version des faits durant le processus d’enquête.

80 La fonctionnaire allègue que l’employeur a mis fin prématurément à son détachement après l’enquête administrative parce qu’il n’a pas compris le traumatisme qu’elle avait subi et qu’il n’a pas voulu s’attaquer au problème de la discrimination pour motifs religieux dans le milieu de travail. La fonctionnaire allègue que la conclusion du processus de dotation était un prétexte commode pour mettre fin à son détachement avant la date prévue, vu que ses projets n’étaient pas encore terminés et que le processus de dotation n’avait pas produit le nombre souhaité de réussites pour doter tous les postes permanents à pourvoir.

81 La fonctionnaire fait observer que la correspondance anonyme coïncide avec ses plaintes à Mme Crone, le processus de dotation, son retrait du lieu de travail et son congé de maladie. Je devrais en déduire que ces incidents ont un lien avec la décision de mettre fin à son détachement. La fonctionnaire avance que le rapport de l’enquête administrative a servi uniquement à propager de fausses rumeurs et impressions, sans lui offrir la possibilité de donner son avis et d’expliquer de quelle manière ses besoins pourraient être pris en considération. La fonctionnaire soutient qu’elle continue de souffrir des effets psychologiques de la discrimination.

82 La fonctionnaire avance que la décision de mettre fin prématurément à son second détachement témoigne d’un manque persistant de compassion pour le traumatisme qu’elle venait de subir, ainsi que d’un refus persistant de tenir compte de son bien-être mental et physique.

83 La fonctionnaire plaide que l’employeur avait une politique en matière de harcèlement et qu’il ne l’a pas appliquée; il a fait intervenir un autre type de processus – inconnu de la fonctionnaire et de ses représentants – qui ne lui permettait pas de participer ou d’avoir un représentant présent. M. Gervais prétexte qu’il n’a pas interrogé la fonctionnaire parce qu’il ne voulait pas la déranger chez elle; cela n’est pas convaincant, puisque la fonctionnaire a reçu une demande expresse de fournir un certificat médical attestant qu’elle était apte à participer à l’enquête administrative et qu’elle a fourni ce certificat.

84 La fonctionnaire émet l’avis que l’employeur ne comprenait absolument pas en quoi consistait une plainte de harcèlement et de discrimination. Il n’est pas nécessaire de trouver un coupable pour qu’une plainte soit fondée, dans la mesure où la discrimination et le harcèlement s’exercent au travail. La fonctionnaire soutient que l’employeur a refusé de tenir compte de la preuve évidente que la correspondance anonyme était l’œuvre d’un membre du personnel de l’organisme. Le courriel du 15 décembre 2006 et la lettre anonyme reçue par M. Cossette le 30 janvier 2007 contiennent des renseignements personnels que seule une personne travaillant dans l’unité de la fonctionnaire pouvait connaître. M. Eales a admis dans son témoignage que le contenu de la correspondance était relié à l’emploi.

85 La fonctionnaire affirme que sa plainte de harcèlement et de discrimination n’a pas été prise au sérieux qu’après le dépôt de son grief. Organiser une rencontre avec les employés après que la fonctionnaire eut quitté le lieu de travail n’est pas une réponse adéquate de la part de l’employeur. Par-dessus le marché, l’employeur a étalé sa plainte sur la place publique en la transmettant à la GRC, au SCRS et à d’autres, à son insu et sans son autorisation.

86 La fonctionnaire avance que le témoignage de Mme Lévesque n’est pas crédible et qu’il a été contredit par celui de ses superviseurs. Par exemple, Mme Lévesque a affirmé n’être pas au courant de la confession religieuse de la fonctionnaire bien qu’elle eût reçu copie de nombreux courriels portant sur ce point, qu’elle gérait le dossier des présences et absences de la fonctionnaire et qu’elle avait accès au calendrier de Mme Crone, sur lequel étaient consignées les allées et venues de la fonctionnaire. Mme Lévesque a refusé d’admettre qu’elle possédait de l’information sur le classement de la fonctionnaire au processus de nomination et, lorsque des documents attestant le contraire ont été produits en preuve, elle a déclaré qu’elle ne se souvenait pas. Mme Lévesque a dit n’avoir parlé qu’à Mme Crone du voyage de la fonctionnaire à Paris et de la raison du départ de M. Akitt. Ces détails corroborent l’hypothèse que la correspondance anonyme provenait d’un petit groupe personnes au sein de l’organisme, et fort probablement de Mme Lévesque.

87 Les chronologies de Mme Pezzack et de Mme Crone font directement allusion à des caractéristiques personnelles de la fonctionnaire. Le fait que Mme Bowman et la fonctionnaire aient été avisées le même jour que leur détachement prenait fin avant la date prévue ne constitue pas un moyen de défense pour justifier la discrimination exercée contre la fonctionnaire, puisqu’elles n’étaient pas dans la même situation. La fonctionnaire a été blâmée de manière disproportionnée pour des incidents dont elle n’était absolument pas responsable.

88 Les commentaires de Mme Pezzack à propos du style vestimentaire de la fonctionnaire et ceux de Mme Crone selon lesquels le style vestimentaire et le comportement de la fonctionnaire pouvaient être intimidants, les demandes insistantes de Mme Lévesque pour que la fonctionnaire remplisse des formulaires de demande de congé pour justifier ses congés religieux et la remise en cause par Mme Lévesque des dépenses de voyage de la fonctionnaire constituent des preuves de discrimination basées sur des caractéristiques personnelles, en l’occurrence des caractéristiques associées au judaïsme. Le fait qu’il n’y avait aucun avantage à envoyer la correspondance anonyme, comme le soutient l’employeur, ne soustrait pas l’employeur à l’obligation d’intervenir. L’enquête administrative a été menée de manière superficielle, ce qui équivalait à ne pas faire enquête du tout.

89 À titre de réparation, la fonctionnaire demande les mesures suivantes : une indemnité de  pour le préjudice subi jusqu’à concurrence du montant maximal de 20 000 $; la mise en œuvre d’une entente ou d’un plan spécial pour tenir compte de ses besoins; un montant équivalant à la perte subie au titre de la rémunération intérimaire jusqu’à la fin du détachement; une indemnité au titre des menues dépenses relatives aux services d’un psychologue, d’un massothérapeute et aux frais administratifs; la restitution des avantages et des crédits de congé de maladie; une réparation au titre de la violation de la convention collective; une indemnité pour le non-respect des règles d’équité procédurale et de la convention collective; et toute autre réparation que l’arbitre de grief jugera indiquée.

90 La fonctionnaire a cité les cas suivants à l’appui de son argumentation : Charlton v. Ontario (Ministry of Community Safety and Correctional Services), 2007 CanLII 24192 (ON P.S.G.B.); Lamarche c. Marceau, 2007 CRTFP 18; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Moore c. Canada (Procureur général), 2005 CF 13; Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 (O’Malley); Hinds c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), 1988 CanLII 109 (T.C.D.P.); Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Adga Group Consultants Inc. v. Lane (2008), 295 D.L.R. (4e) 425 (Ont. S.C.D.C.); et Uzoaba c. Canada (Service correctionnel), 1994 CanLII 1636 (T.C.D.P.).

B. Pour l’employeur

91 L’employeur avance que les griefs soulèvent deux questions. La première consiste à déterminer si la fonctionnaire a été victime de discrimination ou de harcèlement du fait de sa religion, en violation de l’article 16 de la convention collective. Si la réponse à cette question est affirmative, la seconde question consiste à déterminer si l’employeur doit être tenu responsable.

92 L’employeur soutient que les incidents présumés ne se sont pas produits. Subsidiairement, si ces incidents se sont produits, ils ne constituent pas de la discrimination ou du harcèlement au sens de la LCDP. Si j’en arrive à la conclusion que les incidents se sont réellement produits, l’employeur ne doit pas en être tenu responsable, puisqu’il en ignorait l’existence. L’employeur ne peut pas être tenu responsable d’actes commis par des personnes dont il ne connaît pas l’identité. Il n’a pas approuvé les prétendus incidents. L’employeur plaide qu’il a exercé une diligence raisonnable pour prévenir ces actes et qu’il en a limité les effets.

93 L’employeur avance que la fonctionnaire ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve en établissant que les présumés incidents s’étaient produits, puisque sa version des faits a été contredite par les témoins de l’employeur. L’employeur soutient qu’il a tenté par tous les moyens de trouver l’auteur de la correspondance anonyme, sans y parvenir. Il a également remis des rapports hebdomadaires au PDG, déposé deux rapports de police, mené deux enquêtes, en plus d’accorder un congé de direction à la fonctionnaire, de lui proposer l’aide du PAE et de lui remettre des bons de taxi pour rentrer chez elle.

94 L’employeur soutient que la décision de mettre fin au détachement de la fonctionnaire n’était pas discriminatoire, vu que d’autres employés qui ne se sont pas classés au concours ont également été avisés que leur détachement prenait fin à la même date. Cela n’avait rien à voir avec la confession juive; de plus, le recours prévu en cas de mesure de dotation irrégulière est une plainte devant le Tribunal de la dotation de la fonction publique. De même, le préavis de deux semaines mettant fin au détachement faisait partie des conditions de détachement et la fonctionnaire en connaissait parfaitement l’existence. Il est regrettable que la fin prématurée du détachement de la fonctionnaire ait coïncidé avec le dépôt de son grief, mais il n’en reste pas moins que le processus de dotation s’est terminé en décembre 2006, avant la réception de la correspondance anonyme. Le fait que les résultats du concours aient été communiqués aux participants en janvier 2007 ne signifie pas que les lettres anonymes ont eu une incidence sur ces résultats. De même, le fait que la fonctionnaire eût accompli les fonctions du poste avec satisfaction ne constituait pas une garantie qu’elle réussirait au concours pour combler ce poste.

95 L’employeur affirme qu’il n’avait nullement la responsabilité de prendre des mesures d’adaptation pour tenir compte d’une déficience, étant donné que la fonctionnaire ne l’a jamais informé de sa déficience et qu’il n’existe aucune preuve de ses symptômes. Les notes du médecin de la fonctionnaire ne constituent que du ouï-dire, car aucun document médical n’a été produit. L’employeur n’était pas en mesure de vérifier que la fonctionnaire avait une déficience. La fonctionnaire n’a pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire à cause de sa déficience. Les dispositions de la convention collective relatives aux congés de maladie priment sur celles visant d’autres types de congés payés lorsqu’un employé est malade.

96 Lorsqu’on lui a demandé de revenir au travail, le 21 décembre 2006, la fonctionnaire a déclaré qu’elle était trop malade pour travailler. Elle a obtenu plusieurs certificats médicaux pour justifier ses absences jusqu’à la mi-février 2007. Il n’est pas discriminatoire de la part de l’employeur d’exiger un certificat médical pour justifier une absence pour des raisons de santé. Quoi qu’il en soit, la fonctionnaire n’était pas en mesure de reprendre immédiatement ses fonctions à temps plein; elle pouvait seulement travailler trois jours par semaine dans un autre poste.

97 L’employeur fait valoir que les incidents rapportés par la fonctionnaire ne se sont pas produits ou qu'ils ne constituent pas du harcèlement. Un acte isolé peut constituer du harcèlement, mais en règle générale il faut observer un comportement persistant. Des contrariétés et des tensions professionnelles ne constituent pas du harcèlement. Les conflits que la fonctionnaire avait au travail n’étaient pas reliés à sa confession religieuse. Il y a des conflits dans tous les lieux de travail et cela ne constitue automatiquement du harcèlement.

98 Les plaintes contre la fonctionnaire qu’a reçues Mme Crone émanaient de membres du personnel de l’organisme et de personnes provenant l’extérieur. Elle en a discuté avec la fonctionnaire, lui a donné de la formation et a tenté de l’aider à tirer son épingle du jeu. L’employeur soutient que, de par leur nombre, les plaintes reçues renfermaient certainement une part de vérité. Les superviseures de la fonctionnaire ont été invitées à fournir une chronologie des événements parce que la fonctionnaire formulait de graves accusations qui auraient pu ruiner leur carrière.

99 L’employeur n’a jamais réussi à trouver qui était l’auteur de la correspondance anonyme. La fonctionnaire n’a pas déposé de plainte pour protester contre les commentaires sur son style vestimentaire ni fait savoir qu’ils n’étaient pas appréciés. Ces commentaires ne constituaient pas du harcèlement. L’allégation de la fonctionnaire selon laquelle on l’aurait obligée à expliquer ses convictions religieuses durant une réunion avec le personnel n’a été corroborée par aucun des témoins.

100 Le fait que l’employeur demande à un employé de produire des demandes de congés afin de contrôler l’assiduité ne constitue pas du harcèlement. Mme Lévesque ne se rappelait pas avoir demandé à la fonctionnaire de remplir des demandes de congé, à l’exception des formulaires habituels de demande de congé annuel ou de maladie. Tous les employés en détachement doivent remplir des formulaires papier parce que seuls les employés permanents ont accès aux formulaires électroniques de demande de congé. Les formulaires papier servent également à aviser le ministère d’attache des congés pris par son employé. La fonctionnaire ne s’est pas plainte, dans ses courriels, de ce qu’on l’obligeait à remplir des demandes de congé; Mme Lévesque recevait copie des courriels envoyés à Mme Crone à titre d’information seulement. Mme Lévesque avait la responsabilité de vérifier les demandes de remboursement de frais de voyage et c’est exactement ce qu’elle a fait dans le cas du voyage de la fonctionnaire à Paris pour participer à une conférence. Elle s’est ensuite excusée pour son erreur. Pour regrettable qu’ait pu être la réaction de Mme Lévesque, elle n’en constituait pas pour autant du harcèlement. Les erreurs de procédure qui surviennent dans l’administration journalière d’une unité de travail ne constituent pas de la discrimination.

101 S’il n’y a pas eu de harcèlement, rien ne sert de s’attarder sur la conduite de l’employeur durant l’enquête. L’employeur avance que la preuve produite à l’audience n’est pas différente de celle que les enquêteurs ont entendue durant leur enquête. En dehors de sa chronologie des événements, la fonctionnaire n’a pas fourni de renseignements supplémentaires qui auraient permis d’identifier l’auteur de la correspondance anonyme. Même s’il y a eu des erreurs de procédure durant l’enquête, rien ne prouve que les enquêteurs auraient découvert quelque chose d’autre.

102 Une erreur de procédure n’est discriminatoire que dans la mesure où il y avait une intention d’établir une distinction. Bien que l’envoi de la correspondance anonyme constitue un acte condamnable et inacceptable, l’employeur ne saurait en être tenu responsable. Le droit en matière de droits de la personne exige que l’employeur intervienne, mais il ne l’oblige pas à maintenir un milieu de travail parfait. L’employeur ne peut pas être tenu responsable d’incidents qui se sont produits à son insu ni intervenir pour y mettre fin. Si le courriel anonyme du 15 décembre 2006 contenait un grand nombre de renseignements personnels, l’employeur a été incapable d’établir qu’il provenait d’un membre du personnel interne.

103 Les fonctionnaires sont obligés de signaler à leur employeur tout cas de harcèlement. Les opinions de la fonctionnaire sur la pratique du judaïsme ne la soustrayaient pas à son obligation d’informer l’employeur, rapidement, des incidents qui survenaient dans le lieu de travail. La fonctionnaire n’a jamais déposé de plainte officielle. Il n’existe aucune preuve que l’employeur ait toléré les actes répréhensibles. La fonctionnaire a été avisée des résultats des deux enquêtes peu de temps après la conclusion de chacune. Aucune n’est arrivée à des résultats concluants. Le 28 février 2007, le PDG a demandé à la fonctionnaire si elle souhaitait formuler des commentaires sur les conclusions de l’enquête. La fonctionnaire n’a pas répondu à la lettre. L’employeur me demande de rejeter le grief.

104 L’employeur plaide que, indépendamment de son argument selon lequel le grief devrait être rejeté, je devrais tenir compte du fait que la politique sur le harcèlement ne fait pas partie intégrante de la convention collective. Par conséquent, le grief ne porte pas sur l’interprétation ou l’application de la convention collective en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP et n’est pas du ressort de l’arbitre de grief.

105 L’employeur a cité les cas suivants à l’appui de son argumentation : Durrer c. Banque canadienne impériale de commerce, 2007 TCDP 6; Dawson c. Société canadienne des postes, 2008 TCDP 41; Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354; F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53; Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4; Brown c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 127; Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43; Gibson c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68; Canada (Procureur général) c. Demers, 2008 CF 873; Calgary District Hospital Group v. United Nurses of Alberta (1992), 28 C.L.A.S. 86; Sysco Foodservices of Toronto v. Teamsters, Local 419, [2009] O.L.A.A. No. 320 (QL); Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39; Lévesque c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CRTFP 154; Bencharski c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 75; Ryan c. Canada (Procureur général), 2005 CF 65; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Forces armées canadiennes), [1999] 3 C.F. 653 (1re inst.); Joss c. Conseil du Trésor (Agriculture et Agroalimentaire Canada), 2001 CRTFP 27; Zehrs Markets Inc., a Division of Zehrmart Ltd. v. United Food and Commercial Workers International Union, Local 175, [2007] O.L.A.A. No. 43 (QL); Spooner c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 60; Richmond c. Canada (Procureur général), [1997] 2 C.F. 946 (C.A.); Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. Lâm, 2008 CF 874; Hinds c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1988] D.C.D.P. no 13 (QL); Warman c. Lemire, 2009 TCDP 26; François c. Canadien Pacifique Ltée, 1988 CanLII 113 (T.C.D.P.); Hill c. Air Canada, 2003 TCDP 9; et Fleet Industries v. International Association of Machinists and Aerospace Workers, Local 171, [1997] O.L.A.A. No. 791 (QL).

C. Réplique de la fonctionnaire s’estimant lésée

106 La fonctionnaire réplique qu’aucune des mesures prises par l’employeur après le dépôt de son grief ne constitue une mesure d’atténuation ni ne justifie les actes qu’il a posés. Contrairement à ce que l’employeur allègue, la fonctionnaire s’est plainte à plusieurs reprises, au cours du printemps 2006, le 21 novembre ainsi que les 8 et 27 décembre 2006, mais ses plaintes n’ont pas été prises au sérieux. L’employeur a décidé de renvoyer la fonctionnaire chez elle le 15 décembre 2006; ce n’était pas la décision de la fonctionnaire. La fonctionnaire n’est jamais retournée au lieu de travail par la suite. Lorsque son détachement a pris fin, la fonctionnaire a été humiliée de se faire surveiller de près, comme si elle était coupable de quelque chose, pendant qu’elle récupérait ses effets personnels. Les renseignements médicaux fournis par la fonctionnaire n’ont jamais été contestés; ce n’est plus le moment de les remettre en cause à l’arbitrage de grief.

IV. Motifs

A. Le droit applicable

107 Le présent grief découle d’une série d’incidents qui se sont produits dans le lieu de travail. La fonctionnaire allègue qu’ils constituent de la discrimination, en violation de l’article 16 de la convention collective et des dispositions de la LCDP, et que l’employeur n’a pas pris de mesure pour corriger la situation.

108 La clause 16.01 de la convention collective se lit ainsi :

[…]

16.01 Il n'y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire d'exercée ou d'appliquée à l'égard d'un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale et physique, son adhésion au syndicat ou son activité dans celui-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l'employé a été gracié.

109 De même, l’objet de la LCDP est décrit comme suit :

[…]

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée.

[…]

110 La religion est l’un des motifs illicites de discrimination énumérés au paragraphe 3(1) de la LCDP, qui est ainsi libellé :

3.(1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

111  L’alinéa 7b) de la LCDP interdit de défavoriser un individu en cours d’emploi pour un motif de distinction illicite, comme il est indiqué ci-après :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

[…]

b) de [...] défavoriser [un individu] en cours d’emploi.

112 La LCDP ne définit pas ce qu’est la « discrimination ». En revanche, la citation suivante tirée de Andrews demeure le point de référence fondamental :

[…]

[…] J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société […]

[…]

[Je souligne]

113 Autrement dit, le plaignant (en l’occurrence, la fonctionnaire) qui allègue une violation des droits de la personne a le fardeau de prouver ses allégations selon la prépondérance des probabilités (O’Malley). Dès lors que la fonctionnaire a établi une preuve prima facie ou apparente de discrimination, le fardeau de la preuve est inversé et le défendeur, en l’occurrence l’employeur, doit alors prouver, en fournissant une explication raisonnable, que la raison pour laquelle il a traité la fonctionnaire comme il l’a fait n’était pas reliée à un motif de distinction illicite. En d’autres termes, si les allégations sont jugées dignes de foi et que l’employeur ne peut justifier ses actes de manière satisfaisante, le grief sera accueilli.

114 Pour établir une preuve prima facie, la fonctionnaire doit avancer autre chose que de simples allégations ou la certitude personnelle que la conduite était discriminatoire. Cela dit, les tribunaux des droits de la personne ont reconnu qu’une preuve directe de discrimination pouvait être difficile à établir, car les actes discriminatoires ne sont généralement pas flagrants. Une preuve circonstancielle peut cependant être jugée suffisante lorsqu’elle contribue à démontrer que les allégations de discrimination sont probablement plus crédibles que les autres hypothèses possibles. (Voir Brooks c. Procureur général, 2006 CF 1244.)

115 La décision Marinaki c. Canada (Développement des ressources humaines), 2000 CanLII 11403 (T.C.D.P.), a établi le principe que, pour qu’une plainte soit accueillie, il n'est pas nécessaire que des considérations discriminatoires soient le seul motif des actes du défendeur, puisque l’intention d’établir une distinction n’entre pas en ligne de compte pour déterminer s’il y a eu de la discrimination. (Voir également Nova Scotia (Human Rights Commission) v. Play it Again Sports Ltd., 2004 NSCA 132.)

116 La LCDP ne définit pas non plus ce qu’est le harcèlement. Dans Hill, il est écrit que l’aspect le plus grave d’une accusation de harcèlement réside dans la création d'un climat de travail hostile qui porte atteinte à la dignité personnelle du plaignant.

B. L’opposition de l’employeur à l’arbitrabilité du grief

117 Avant d’en venir au bien-fondé de la plainte de la fonctionnaire, je dois me pencher sur l’objection que l’employeur a soulevée pour la première fois dans sa thèse et selon laquelle sa politique sur le harcèlement ne fait pas partie intégrante de la convention collective et que, de ce fait, le grief n’est pas arbitrable.

118 Le droit d’un fonctionnaire de renvoyer un grief à l’arbitrage prend sa source dans la législation et non dans la convention collective. L’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) dresse la liste exhaustive des questions qui peuvent être portées à l’arbitrage. En règle générale, une plainte relative aux droits de la personne n’est pas arbitrable en soi, sauf si elle est visée aux alinéas 209(1)a), b), c) ou d). La présente affaire porte sur l’application ou l’interprétation d’une convention collective au sens de l’alinéa 209(1)a). L’article 16 de la convention collective prévoit que tout employé est en droit d’être traité également et de ne faire l’objet d’aucune discrimination, avec pour obligation correspondante que l’employeur doit gérer tous ses employés de la même manière et sans faire de discrimination. Il faut en conclure que cette disposition confère un droit fondamental aux fonctionnaires et donne ouverture au dépôt d’un grief.

119 Les alinéas 226(1)g) et h) de la LRTFP disposent que l’arbitre de grief peut « interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne […] »et « rendre les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ».

120 Je partage l’opinion exprimée dans Souaker c. Commission canadienne de sûreté nucléaire, 2009 CRTFP 145, selon laquelle, lorsqu’un fonctionnaire allègue qu’une décision influant sur ses conditions d’emploi a reposé sur des considérations discriminatoires et que la convention collective interdit toute discrimination au travail, le grief porte sur l’application de la convention collective au sens de l’alinéa 209(1)a) de la Loi. Dans ce cas-là, l’allégation de discrimination constitue un grief arbitrable. Il en résulte qu’un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP relève à tous égards de la compétence d’un arbitre de grief.

121 De plus, la clause 50 de la convention collective accorde un droit fondamental aux employés en imposant à l’employeur l’obligation de prendre toutes les mesures raisonnables possibles pour accorder les congés que sollicite un fonctionnaire soucieux de remplir ses obligations religieuses.

122 Par conséquent, je rejette l’objection de l’employeur selon laquelle l’arbitre de grief n’a pas compétence pour trancher le présent grief.

C. Les incidents allégués par la fonctionnaire se sont-ils produits? Le cas échant, constituent-ils de la discrimination? 

123 L’employeur défend sa position que la fonctionnaire ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve parce que les présumés incidents de discrimination ne se sont pas produits ou ont été infirmés par les témoins de l’employeur.

124 La fonctionnaire réplique qu’elle a signalé de nombreux cas de discrimination à l’employeur.

125 Le premier incident cité par la fonctionnaire est celui où Mme Lévesque a agi de manière discriminatoire en remettant en cause une autorisation préalable accordée à la fonctionnaire pour remplir ses obligations religieuses et en obligeant cette dernière à consigner ses heures et à remplir des formulaires de temps supplémentaire ainsi que des demandes de congé alors que Mme Crone avait déjà fait valider auprès de son supérieur, M. McDonald, l’autorisation accordée à la fonctionnaire, aux termes d’une entente informelle, d’obtenir du temps libre pour remplir ses obligations religieuses.

126 Mme Crone était la superviseure de la fonctionnaire et de Mme Lévesque. Elle avait l’autorité incontestable de conclure une entente de détachement avec la fonctionnaire, d’évaluer son rendement, de lui accorder des congés, de l’autoriser à assumer ses propres fonctions en son absence et de mettre fin au détachement. Compte tenu de l’autorité que Mme Crone exerçait sur la fonctionnaire et du fait que celle-ci lui a fait part de ses préoccupations à plusieurs reprises, j’estime que l’employeur a été informé de l’ingérence de Mme Lévesque et qu'il a décidé de ne pas intervenir. En tolérant les actes de Mme Lévesque, l’employeur a agi de manière discriminatoire à l’égard de la fonctionnaire du fait de sa confession religieuse.

127 L’argument de l’employeur selon lequel les incidents ne se sont pas produits va à l’encontre de la preuve et des témoignages. Le témoignage de Mme Lévesque ne me paraît pas crédible lorsqu’elle affirme que, jusqu’à la fin de l’automne 2006, elle n’était pas au courant de la confession religieuse de la fonctionnaire parce qu’elle ne prenait pas connaissance des courriels dont elle recevait copie. Son témoignage ne concorde pas avec celui de Mme Crone; Mme Lévesque est une personne méticuleuse qui supervisait l’administration de l’unité de travail et qui connaissait bien les règles et les politiques de l’organisme. Qui plus est, aux dires de Mme Crone, elle était aussi responsable de tenir le calendrier du bureau. Pour ce faire, Mme Lévesque devait nécessairement suivre de près les allées et venues de la fonctionnaire. Le courriel que la fonctionnaire a adressé le 21 mars 2006 à Mme Lévesque au sujet de la consignation des heures supplémentaires contredit le témoignage de Mme Lévesque selon lequel elle n’était pas au courant de la confession religieuse de la fonctionnaire. Au surplus, ce n’est pas la seule fois où cela s’est produit; la fonctionnaire s’est enquise à plusieurs reprises de la possibilité de quitter le travail à divers moments de la journée et d’aménager son horaire en sorte de pouvoir remplir ses obligations religieuses. J’estime que la fonctionnaire a été l’objet de discrimination de la part de l’employeur du fait de sa confession religieuse.

128 Le deuxième incident cité par la fonctionnaire est celui où Mme Lévesque a remis en cause le fait que la fonctionnaire avait prolongé un voyage à l’étranger afin d’observer le sabbat alors que cela avait déjà été approuvé par M. Cossette. La chronologie de Mme Crone datée du 30 décembre 2006 nous fournit des renseignements utiles dans ce cas-ci (pièce E-96) :

[Traduction]

[…]

13 déc. 2006 […] J’ai une réunion avec Valéry pour discuter apparemment de la création d’un poste ES-1 […] Elle mentionne également durant cette réunion que ses rapports avec Renée Lévesque sont difficiles et qu’elle a mal à l’estomac chaque fois qu’elle doit lui parler. C’est la première fois, me semble-t-il, que Valéry signale qu’elle a des problèmes avec Renée. Elle mentionne que Renée a remis en cause sa demande de remboursement de frais de voyage en lui demandant d’expliquer pourquoi elle était restée à Paris le vendredi. Valéry dit qu’elle a expliqué que le PDG avait approuvé son autorisation de voyage et que Renée n’avait pas de raison de la remettre en question après coup. J’ai proposé de parler à Renée afin de savoir pourquoi elle pose la question, puisque tout est clairement indiqué dans la justification du voyage, mais peut-être que Renée n’en a pas pris connaissance. Valéry me demande avec insistance de ne pas parler à Renée. J’accepte de ne pas intervenir pour le moment.

[…]

129 Cet incident n’est pas le fruit de l’imagination de la fonctionnaire; il est consigné dans la chronologie des événements de Mme Crone. Mme Lévesque a déclaré à l’audience qu’elle revenait d’un long congé de maladie et que, n’étant pas au courant de l’entente spéciale préalablement conclue par la fonctionnaire, elle avait remis en cause les frais engagés cette dernière pour participer à la conférence à Paris. Elle a présenté ses excuses à la fonctionnaire lorsque celle-ci lui a fait part de son mécontentement. Mme Crone a corroboré le témoignage de Mme Lévesque selon lequel, du fait qu’elle revenait d’un congé de maladie, elle pouvait ne pas être au courant de l’autorisation préalable des dépenses par le PDG. Cette explication ne me paraît pas plausible pour justifier les remarques de Mme Lévesque. Les autorisations de voyage qui sont préparées pour justifier un voyage d’affaire sont approuvées à l’avance par le gestionnaire autorisé. C’est le document auquel la demande de remboursement de frais de voyage est ensuite rapprochée après le retour du voyageur. Les dépenses extraordinaires ou les ententes spéciales y sont consignées. En l’occurrence, le fait que la fonctionnaire prenait un vol un autre jour afin de remplir ses obligations religieuses aurait été consigné sur le document pour justifier qu’elle poursuivait son voyage pendant la fin de semaine. Lorsque Mme Lévesque a examiné la demande de remboursement de frais de voyage de la fonctionnaire, elle aurait dû savoir que son autorisation de voyage avait été approuvée et justifiée non pas par Mme Crone ou M. McDonald, mais par M. Cossette, le PDG. L’explication fournie par Mme Lévesque pour avoir remis en cause le pouvoir de M. Cossette de prolonger le voyage de la fonctionnaire et demandé à la fonctionnaire de rembourser l’employeur ne tient pas la route. Par conséquent, j’estime que cet incident constitue une preuve de discrimination à l’égard de la fonctionnaire.

130 Le troisième incident mentionné par la fonctionnaire est celui où Mme Lévesque a fait la remarque que la fonctionnaire faisait bande à part parce qu’elle ne participait pas aux vendredis du décontracté ni aux sorties au restaurant avec les autres employés. Mme Lévesque a refusé d’admettre qu’elle avait fait une telle remarque à la fonctionnaire. Aucune preuve extrinsèque n’a été produite pour corroborer les propos de Mme Lévesque. Si cette remarque constituait un cas isolé, je n’y aurais pas accordé beaucoup d’importance. Or Mme Pezzack et Mme Crone ont l’une et l’autre admis qu’elles avaient fait des commentaires sur le style vestimentaire de la fonctionnaire. Cette allégation dénote donc l’existence d’un comportement répétitif.

131 Le quatrième incident mentionné est celui où Mme Pezzack a fait des remarques sur le style vestimentaire de la fonctionnaire, lequel est relié à ses pratiques religieuses. Dans son témoignage, Mme Pezzack a admis qu’elle avait fait des remarques sur le style vestimentaire de la fonctionnaire à deux reprises, une fois en ayant dit à la fonctionnaire qu’elle ne devrait pas porter de jupe pendant une tempête de neige et l’autre fois en faisant observer que la fonctionnaire ne portait pas de tenue décontractée le vendredi, contrairement aux autres employés. Mme Pezzack a déclaré qu’elle n’aurait pas fait ces remarques si elle avait été au courant des obligations religieuses de la fonctionnaire.

132 Même si Mme Pezzack n’avait pas de mauvaises intentions en faisant ces remarques, il reste qu’elle les a faites. L’intention d’établir une distinction n’entre pas en ligne de compte pour déterminer s’il y a eu discrimination. Lesdites remarques constituaient de la discrimination à l’égard de la fonctionnaire.

133 Le cinquième incident cité par la fonctionnaire est celui où Mme Crone a fait des commentaires sur l’effet de l’apparence et du comportement de la fonctionnaire, lesquels étaient liés à ses pratiques religieuses. Les documents suivants se rapportent  à cette allégation :

  • La chronologie de Mme Crone, datée du 30 décembre 2006, aux pages 2 et 3 (pièce E-96) :

    [Traduction]

    […]

    Je lui dis qu’elle doit être attentive au fait qu’elle peut intimider les gens, car elle est belle, intelligente, bien vêtue et très sûre d’elle. Je lui explique qu’il faut être attentif à cela surtout en présence du personnel subalterne avec qui les rapports de force sont différents.

    […]

  • La chronologie de Mme Crone, datée du 30 décembre 2006, à la page 4 (pièce E-96) :

    [Traduction]

    […]

    Juillet 2006 […] Elle (la fonctionnaire) explique qu’elle va adopter une autre approche. Elle ne porte pas de maquillage, contrairement à son habitude et elle a adopté une tenue plus décontractée. Elle explique, je crois, que son époux lui a suggéré de garder un profil bas. Je comprends que cela signifie qu’elle doit éviter de se faire remarquer.

    […]

134 Mme Crone a reconnu, dans son témoignage, qu’elle avait fait ces commentaires. Les remarques de Mme Crone portent sur des caractéristiques personnelles de la fonctionnaire, d’autant plus que Mme Crone a admis qu’elle était au courant des obligations de la religion juive. À l’instar de Mme Pezzack, Mme Crone n’avait probablement pas l’intention d’établir une distinction à l’égard de la fonctionnaire, mais il n’est pas nécessaire de faire entrer son intention en ligne de compte pour conclure que ses remarques étaient discriminatoires. La fonctionnaire n’aurait pas dû être obligée de modifier son style vestimentaire pour faire plaisir à sa supérieure. J’estime que les remarques de Mme Crone ont contribué à créer un milieu de travail discriminatoire.

135 Le sixième incident décrit par la fonctionnaire est celui où Mme Lévesque a faussement indiqué à Mme Crone qu’elle s’interrogeait sur la qualité de la supervision que la fonctionnaire donnait à M. Akitt, un étudiant qui relevait de la fonctionnaire. M. Akitt s’est plus d’une fois inscrit en faux contre les interrogations de Mme Lévesque. N’empêche que Mmes Crone et Pezzack se sont servies de cet incident pour évaluer les qualités personnelles de la fonctionnaire en vue d’une nomination à un poste ES-05. Cet incident a également été évoqué dans le cadre de l’enquête administrative sur la correspondance anonyme. Voici quelques extraits de la preuve écrite dans laquelle cet incident est mentionné :

  • Les réponses de Mme Pezzack à la deuxième et à la septième question des enquêteurs durant l’enquête interne (pièce E-91) : [traduction] « Aaron avait décidé de partir à cause de Val. Aaron a nié cela. » [Je souligne]

  • La chronologie de Mme Crone, datée du 30 décembre 2006, à la page 5 (pièce E-96) :

    [Traduction]

    […]

    Renée est venue me voir à mon bureau pour me faire part d’une discussion qu’elle a surprise au bureau. Elle rapporte qu’elle a entendu dire entre les branches qu’Aaron Akitt (qui relève directement de Valéry) n’aimait pas beaucoup travailler pour Valéry et que c’est en fait la raison pour laquelle il avait décidé de quitter son poste pour aller travailler ailleurs […] À ce qu’elle dit […]

    […]

    [Je souligne]

  • La chronologie de Mme Crone, datée du 30 décembre 2006, à la page 5 (pièce E-96) :

    [Traduction]

    […]

    4 au 11 nov. 2007 [sic] […]. J’ai rencontré Aaron cette semaine pour une entrevue informelle de fin d’emploi […] Il dit qu’il n’a aucun problème avec Valéry et que s’il quitte son poste à Passeport Canada, c’est uniquement parce qu’il a trouvé un emploi intéressant au MAECI.

    […]

    [Je souligne]

  • La chronologie de Mme Crone, datée du 30 décembre 2006, à la page 6 (pièce E-96) :

    [Traduction]

    […]

    21 nov. 2006 […] Je rencontre Valéry pour discuter de l’information que j’ai reçue au sujet d’Aaron, de la lettre de celui-ci et de la rencontre que j’ai eue par la suite avec lui. Je ne révèle pas à Valéry, à ce moment-là, qui m’a communiqué l’information à son sujet; je lui dis seulement que cette information provient d’une source anonyme. Plus tard, le 13 décembre, je lui dis que c’est Renée […] 

    […]

    [Je souligne]

  • La chronologie de Mme Crone, datée du 30 décembre 2006, à la page 6 (pièce E-96) :

    [Traduction]

    […]

    Après avoir écouté Renée et parlé à Aaron, je m’entretiens avec Gary McDonald pour l’informer des événements. Gary me dit que quelqu’un d’autre lui a déjà parlé d’Aaron et de Valéry et qu’il croit comprendre que c’est à cause de Valéry qu’Aaron a décidé de quitter Passeport Canada. Je lui réponds que j’ai eu cette discussion avec Aaron et que ce n’est pas ce qu’il m’a dit. Nous discutons également du processus de sélection en cours, étant donné que Valéry fait partie des candidats et que les qualités personnelles constituent un élément important du processus.

    […]

    [Je souligne]

  • Le rapport de l’enquête administrative daté du 11 mai 2007, à la page 5 (pièce E-50) : [traduction] « Aaron est allé voir Gary pour lui dire qu’il n’avait pas de conflits avec Valéry […] » et à la page 7 : [traduction] « Quand Aaron a appris l’existence des lettres, il est allé voir Gary McDonald pour lui dire qu’il aimait travailler pour Valéry et qu’il serait prêt à travailler de nouveau pour elle ».

    [Je souligne]

136 Si cette allégation n’est pas strictement reliée à des convictions religieuses, elle atteste néanmoins d’une série d’ingérences non justifiées de la part de Mme Lévesque pour discréditer la fonctionnaire. Les faits rapportés par Mme Lévesque constituent du ouï-dire non fondé; n’empêche que la plupart des témoins ont indiqué que ce prétendu incident avait joué contre la fonctionnaire au moment de la notation des « qualités personnelles » durant le processus de concours. Personne n’a expliqué pourquoi cet incident a été pris au sérieux, alors que M. Akitt a toujours nié les propos de Mme Lévesque. J’estime que l’ingérence de Mme Lévesque dans cet incident, ainsi que les autres incidents de discrimination pour des motifs religieux ont contribué à créer un climat de travail hostile pour la fonctionnaire.

137 L’employeur a soutenu que la fonctionnaire était nécessairement la cause des conflits au travail rapportés par Mmes Crone et Pezzack parce qu’il y avait eu d’autres plaintes à son sujet qui n’avaient rien à voir avec sa confession religieuse. On lui avait également signalé qu’elle devait améliorer ses habiletés en communications interpersonnelles. Je rejetterai rapidement cet argument. L’employeur ne peut pas utiliser les plaintes contre la fonctionnaire ou son prétendu manque d’habiletés en communications interpersonnelles comme prétexte pour fermer les yeux sur la discrimination au travail ou comme faux-fuyant pour ne pas admettre sa responsabilité. Pour couronner le tout, l’employeur a produit une preuve par ouï-dire à propos des plaintes en question. Il est inacceptable de prétendre, comme le fait l’employeur, que les plaintes de la fonctionnaire résultaient de simples « contrariétés professionnelles » ou « tensions au travail ».

138 Le septième incident de discrimination mentionné par la fonctionnaire est celui où on lui a demandé, lors d’une réunion avec ses collègues, d’expliquer ses convictions religieuses. La seule preuve de cette allégation dont je dispose est le témoignage de la fonctionnaire. Aucune preuve n’a été produite quant à la date de cette réunion et aux personnes qui y ont participé. Aucune autre preuve corroborante n’a été produite. Aucun autre témoin ne se souvenait de cette réunion. Même si je n’ai pas de raison de mettre en doute la parole de la fonctionnaire sur ce point, il reste qu’elle ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

D. La fonctionnaire a-t-elle communiqué une plainte de discrimination et de harcèlement au travail?

139 L’employeur plaide que la correspondance anonyme constituait toute l’étendue de la discrimination au travail et qu’il a fait enquête sur ces incidents. La fonctionnaire a été informée rapidement des résultats de chacune des deux enquêtes. Aucune des enquêtes n’est arrivée à des résultats concluants, puisque l’employeur a été incapable d’identifier le(s) auteurs(s) de la correspondance. La fonctionnaire, pour sa part, n’a ni informé l’employeur des actes discriminatoires ni déposé de plainte officielle. Le 28 février 2007, le PDG lui a demandé si elle souhaitait formuler des commentaires sur les conclusions de l’enquête administrative, mais elle n’a pas répondu à la lettre.

140 La fonctionnaire réplique que l’employeur n’a pas pris au sérieux les premiers incidents de discrimination pour motifs religieux qu’elle a signalés, plus particulièrement les conflits avec Mme Lévesque, et qu’il n’a pas fait enquête sur la plainte écrite que constituait sa chronologie des événements. La fonctionnaire avance que l’employeur a agi sans se préoccuper de son bien-être et sans tenter de prendre des mesures pour tenir compte des troubles médicaux que lui avait causés le harcèlement au travail.

141 La fonctionnaire allègue en premier lieu qu’on ne l’a pas immédiatement informée de la correspondance anonyme, alors qu’elle avait mentionné à plusieurs reprises à Mme Crone qu’elle croyait qu’il y avait de l’antisémitisme au travail.

142 Dans leurs témoignages, Mme Crone et M. Cossette ont tous deux admis que la correspondance anonyme faisait allusion aux convictions religieuses de la fonctionnaire et qu’elle contenait des menaces. L’explication qu’ils ont fournie pour justifier leur décision de ne pas informer la fonctionnaire des deux premières lettres anonymes est que l’employeur voulait d’abord faire enquête sur les incidents parce qu’il considérait que la correspondance anonyme constituait surtout une menace pour la sécurité. Le courriel a été communiqué à la fonctionnaire le jour même de sa réception. Aucune explication n’a été fournie pour justifier la décision de ne pas communiquer la quatrième lettre à la fonctionnaire.

143 La fonctionnaire a signalé dès le 21 novembre 2006 qu’elle croyait qu’il y avait de l’antisémitisme au travail. La première lettre anonyme est arrivée le 1er décembre 2006 et la deuxième, le 14 décembre 2006. L’employeur a expliqué qu’il n’avait pas communiqué immédiatement cette correspondance à la fonctionnaire parce qu’il voulait  mener une enquête interne. Cela me semble un motif raisonnable à première vue. Cependant, après mûre réflexion, j’estime que l’employeur a compromis inutilement la santé mentale et physique de la fonctionnaire, étant donné que la correspondance anonyme confirmait les soupçons de la fonctionnaire et que les menaces reçues comportaient un élément de sévices corporels. J’estime que la décision de ne pas informer immédiatement la fonctionnaire de la correspondance anonyme reçue constitue de la discrimination et contrevient à l’article 16 de la convention collective.

144 La fonctionnaire allègue en deuxième lieu que l’employeur n’a pas donné suite à sa plainte directe de discrimination et de harcèlement pour motifs religieux. L’employeur réplique qu’il a pris tous les moyens dont il disposait pour identifier l’auteur de la correspondance anonyme et que son obligation s’arrêtait là.

145 Selon M. Gervais, l’enquête administrative visait à recueillir de l’information sur trois lettres anonymes et non pas à répondre à une plainte au titre de la politique de prévention du harcèlement. M. Eales a déclaré que l’enquête interne visait à examiner la chronologie de la fonctionnaire afin de permettre aux personnes dont le nom était mentionné de présenter leur version des faits. Mme Marquis a déclaré que l’enquête devait être menée conformément aux politiques de prévention du harcèlement de Passeport Canada et du Conseil du Trésor et qu’elle avait pour but d’identifier l’auteur de la correspondance anonyme. Mme Larcher-Auger a déclaré que l’enquête administrative était un processus de recherche des faits qui permettait à l’employeur d’interroger des membres du personnel et d’étudier les allégations de la fonctionnaire. Mme Larcher-Auger croyait que, pour faire enquête sur une allégation de discrimination et de harcèlement au travail, l’employeur devait avoir reçu une plainte écrite officielle par l’entremise de l’agent négociateur et qu’aucune plainte de ce genre n’avait été déposée dans ce cas-ci. M. Cossette a déclaré que l’enquête interne visait à déterminer qui était à l’origine de la correspondance anonyme et qu’il n’était pas nécessaire que la fonctionnaire se défende contre les accusations contenues dans cette correspondance.

146 La fonctionnaire a déclaré dans son témoignage que ses plaintes de discrimination et de harcèlement au travail étaient consignées par écrit dans sa chronologie intitulée [traduction] « Une chronologie des actes haineux commis à Passeport Canada ». Cette chronologie se termine comme suit :

[Traduction]

[…]

Pendant plusieurs mois, j’ai été la cible d’actes de harcèlement insidieux, planifiés et particulièrement malveillants visant à détruire ma réputation et à nuire à mes chances de carrière à Passeport Canada. Cette situation est malheureusement un cancer qu’on a laissé se propager sans limites, voire facilité.

[…]

147 La fonctionnaire a plaidé que, si ses plaintes verbales n’étaient pas suffisantes pour convaincre l’employeur d’intervenir, sa chronologie constituait sans contredit une plainte qui débordait largement le cadre de la correspondance anonyme et à laquelle l’employeur aurait dû donner suite.

148 Au vu de la preuve, j’estime qu’il ressort de la déposition des témoins de l’employeur et des documents produits en preuve que l’employeur n’a pas considéré les courriels et la chronologie de la fonctionnaire comme une plainte et que les enquêtes menées n’étaient pas ciblées. Le rapport d’enquête de la TI décrit le processus comme une enquête technique dont l’objet se limitait à trouver la source du courriel envoyé le 15 décembre 2006 à Mme Crone. Les conclusions du rapport portent sur les failles décelées dans les systèmes de TI de Passeport Canada et contiennent des recommandations visant à réduire la probabilité que de semblables incidents se reproduisent. L’enquête s’est terminée le 21 décembre 2006.

149 L’enquête administrative était un effort de recherche de faits déployé conjointement par le service des ressources humaines et la direction générale de la sécurité. L’enquêteur en chef était M. Cormier, de la direction générale de la sécurité. Le rapport d’enquête décrit brièvement les chronologies écrites de la fonctionnaire, de Mme Crone et de Mme Pezzack, ainsi que les entrevues avec plusieurs personnes, à l’exclusion de la fonctionnaire, qui, selon la section 4 du rapport, n’a pas pu être interrogée pour des raisons de santé. Le rapport ne renferme aucune conclusion, si ce n’est que les enquêteurs ont été incapables d’identifier le ou les coupables.

150 Je n’arrive pas à comprendre pourquoi l’employeur défend la position que la fonctionnaire n’a jamais déposé de plainte de discrimination et de harcèlement pour motifs religieux ou que les incidents allégués ne se sont pas produits. Les faits contredisent nettement cette position. Voici quatre exemples qui attestent l’intention de la fonctionnaire de déposer une plainte.

1) Un courriel daté du 27 décembre 2006 joint à la chronologie de la fonctionnaire, qui disait ceci :

[Traduction]

[…]

Je vous écris pour attirer votre attention, au cas où on ne l’aurait pas déjà fait, sur un horrible cas d’antisémitisme qui vient tout juste de se produire à Passeport Canada. En tant que victime de cet antisémitisme, je me suis rendue au service de police vendredi dernier, dans la matinée, pour remettre ma chronologie des événements. Une enquête criminelle doit être instituée. J’ai annexé au présent courriel les trois documents qui serviront de point de départ à l’enquête criminelle et qui constituent, selon moi, le point culminant des attaques diffamatoires dont j’ai été la cible pendant sept mois. Je joins également ma chronologie des événements pour votre gouverne.

Mon employeur m’a demandé de revenir au travail le vendredi 22 décembre. Vous comprendrez, je crois, qu’en plus de ne pas être prête, émotionnellement, à reprendre le travail dans l’immédiat, le lieu de travail n’est pas un endroit sûr pour moi à l’heure actuelle. Je suis donc à la maison en congé de maladie.

J’espère que vous accorderez à cette situation toute l’attention qu’elle mérite et vous remercie d’avance de faire le nécessaire pour vous assurer que mon lieu de travail soit un endroit sûr où je puisse dispenser des services au public.

[…]

[Je souligne]

2) Un courriel daté du 4 janvier 2007 de la fonctionnaire à Mme Larcher-Auger, qui dit ceci :

[…]

De plus, en prévision de mon retour au travail, j’aimerais être informée des mesures qui ont été prises ou qui sont envisagées ou proposées afin d’assurer ma sécurité au travail. Vous comprendrez, je crois, que je m’inquiète pour ma sécurité, vu les faits qui existent actuellement.

[…]

3) Le grief daté du 23 janvier 2007, qui faisait valoir ce qui suit :

[Traduction]

J’allègue que l’employeur a contrevenu à l’article 16 de la convention collective et à la Loi canadienne sur les droits de la personne. J’allègue que l’employeur ne s’est pas acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à mon égard et que cela constitue une violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de l’article 16 de la convention collective.

4) L’avis du 21 décembre 2006 que la fonctionnaire a adressé à l’employeur pour l’informer qu’elle sollicitait les conseils de la Commission canadienne des droits de la personne et l’avis de cette dernière, daté du 1er février 2007, dont M. Cossette et Mme Marquis ont reçu copie, indiquant que la fonctionnaire devait d’abord se prévaloir de la procédure de règlement des griefs pour soumettre une plainte avant d’en déposer une devant la Commission canadienne des droits de la personne.

151 Ni la convention collective ni la LCDP ne prescrivent de procédure à suivre pour présenter une plainte. Si l’on avait pu, avant le 27 décembre 2006, nourrir des doutes quant à l’intention de la fonctionnaire de déposer une plainte, on ne pouvait plus en douter après cette date.

152 Le passage suivant de la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, datée du 18 octobre 2007, nous montre que l’employeur ne comprenait pas bien la plainte de la fonctionnaire ni le sens de ses obligations aux termes de la LCDP et de la convention collective :

[Traduction]

[…]

Il est important de noter qu’après réception de la correspondance anonyme à l’édifice de l’administration centrale de Passeport Canada, en décembre 2006, Passeport Canada a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer votre sécurité et pour déterminer d’où provenait cette correspondance. On a ordonné la tenue d’une enquête administrative et sollicité l’aide de la Gendarmerie royale du Canada (Division « A »). L’enquête administrative n’a pas permis de trouver l’auteur ou de l’une ou l’autre des lettres anonymes ni d’identifier un employé qui aurait eu un motif d’envoyer pareille correspondance ou qui en aurait tiré un avantage. Certains aspects des mêmes incidents font actuellement l’objet d’une enquête de la Gendarmerie royale du Canada.

De plus, j’ai personnellement rencontré tous les employés pour les informer que Passeport Canada prenait cette situation très au sérieux, qu’il nous importait avant toute chose d’assurer la sécurité de tous les employés, que Passeport Canada était résolu à offrir un lieu de travail exempt de discrimination ou de harcèlement et qu’aucun comportement ce genre ne serait toléré.

On m’a également informé que, pendant que vous travailliez à Passeport Canada, la direction a fait tous les efforts raisonnables pour assouplir vos horaires ou vous accorder du temps libre en vue de remplir vos obligations religieuses.

Compte tenu de ce qui précède, j’estime que Passeport Canada a pris les mesures nécessaires pour corriger la situation. Par conséquent, votre grief est rejeté.

[…]

153 L’obligation imposée par l’article 16 de la convention collective n’est pas simplement celle de réagir aux plaintes; c’est une obligation continuelle d’agir avec diligence. La fonctionnaire aurait certainement pu agir de manière plus formelle, mais cela ne dégage pas l’employeur de son obligation de faire enquête sur une situation qui lui a été clairement communiquée. C’est à l’employeur qu’il incombe d’éliminer la discrimination au milieu de travail et non à la fonctionnaire. L’employeur doit donner suite aux préoccupations d’un employé dès qu’il en est informé. Il doit également s’appliquer à mettre en place des mécanismes efficaces pour contrôler les actes discriminatoires qui lui sont signalés, ainsi que faire enquête sur tous les incidents de discrimination et apporter les correctifs nécessaires. L’employeur ne peut pas se retrancher simplement derrière une politique de tolérance zéro en matière de discrimination au travail et espérer que le milieu de travail sera exempt de discrimination sans rien faire par ailleurs pour atteindre cet objectif. La tenue de rencontres avec les employés après le fait dans ce cas-ci était une mesure vide de sens. Fait à noter, depuis l’aboutissement de la présente affaire, l’employeur a mis en place, à l’intention des employés, un programme d’orientation fort bien conçu sur les valeurs, les politiques et l’éthique.

154 En l’occurrence, la fonctionnaire évoquait beaucoup plus que la correspondance anonyme; elle évoquait un milieu de travail malsain. On ne peut pas prétendre que l’employeur n’était pas au fait de la conduite offensante. Il a tout simplement décidé de limiter son enquête à l’identification du ou des auteurs de la correspondance anonyme, sans se soucier des autres incidents signalés par la fonctionnaire. J’en conclus donc que l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour offrir un milieu de travail exempt de discrimination à la fonctionnaire.

E. Y avait-il une obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire s’estimant lésée?

155 La fonctionnaire allègue que l’employeur n’a pas pris de mesures pour tenir compte des troubles médicaux que lui a causés son harcèlement au travail. Après avoir déposé sa plainte au service de police, le 21 décembre 2006, la fonctionnaire a été rappelée immédiatement au travail parce qu’aucune autre menace n’avait été reçue. Lorsque la fonctionnaire a informé l’employeur qu’elle n’était pas en mesure de retourner au travail dans les circonstances, l’employeur l’a mise en congé de maladie et lui a demandé de fournir un certificat pour justifier son absence à partir du 21 décembre 2006.

156 L’employeur défend la position que la correspondance anonyme n’a jamais été à l’origine de la déficience de la fonctionnaire et qu’aucune preuve médicale d’expert n’a été produite pour établir que les symptômes dont elle souffrait avaient un lien avec cette correspondance. Après avoir été rappelée au travail le 21 décembre 2006, la fonctionnaire a fourni un certificat médical pour justifier son absence jusqu’à la mi-février 2007; elle n’a pas mentionné qu’elle voulait bénéficier de mesures d’adaptation. Exiger un certificat médical pour justifier un congé de maladie n’est pas une mesure discriminatoire et, de toute façon, la fonctionnaire était incapable de reprendre le travail à plein temps.

157 La preuve révèle que l’employeur n’a pas remis en cause la légitimité des certificats médicaux fournis par la fonctionnaire à partir du 21 décembre 2006, ni au moment où ils ont été soumis ni à l’audience. Les témoins de l’employeur ont accepté d’emblée que l’absence de la fonctionnaire pour des raisons de santé fût imputable aux lettres de menace. Par conséquent, je ne vois aucune raison de ne pas retenir la déclaration de la fonctionnaire voulant qu’elle ait souffert émotionnellement et mentalement du traumatisme causé par l’annonce de la réception des menaces, des actes discriminatoires antérieurs et, pour finir, de la décision de l’employeur de mettre fin à son détachement. Vu le moment où est survenue la maladie de la fonctionnaire et la situation qu’elle vivait au travail, il est raisonnable de conclure que l’incapacité de travailler de la fonctionnaire est attribuable à sa situation professionnelle. Bien plus que les menaces elles-mêmes, c’est la négligence de l’employeur à assurer le bien-être de la fonctionnaire et la décision de ne pas faire enquête sur ses allégations de discrimination pour des motifs religieux qui ont vraisemblablement rendu la fonctionnaire malade. Cela dit, je suis convaincue que le moment où la fonctionnaire est tombée malade ainsi que son témoignage quant aux effets de sa maladie constituent une preuve amplement suffisante que les souffrances émotionnelles et mentales de la fonctionnaire résultaient de la discrimination pratiquée à son endroit au travail et de la négligence de l’employeur à maintenir un milieu de travail exempt de discrimination, en violation de l’article 16 de la convention collective et de l’article 7 de la LCDP.

158 Ayant conclu que la déficience de la fonctionnaire a été causée par la discrimination dont elle a été victime au travail, il s’ensuit que l’employeur avait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à son égard. Il est de jurisprudence constante que l’employeur doit faire le nécessaire pour composer avec les besoins d’un employé handicapé, à moins que cela lui impose une contrainte excessive. Il incombe à l’employeur de démontrer qu’il s’est acquitté de son obligation légale. S’il est vrai que la fonctionnaire et le syndicat doivent participer aux efforts de l’employeur pour prendre des mesures d’adaptation, il n’en demeure pas moins que c’est à l’employeur qu’incombe la responsabilité principale. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’est pas non plus une responsabilité statique; elle continue d’évoluer au gré des circonstances individuelles. L’employeur semblait croire que rien ne l’obligeait à prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire, puisque le détachement de cette dernière tirait à sa fin, en raison de la conclusion d’un processus de concours auquel elle ne s’était pas classée.

159 Pour les motifs que j’ai exposés plus tôt dans la présente décision, je ne souscris pas aux raisons invoquées par l’employeur pour justifier sa décision de ne pas prendre de mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire. Chaque cas est un cas d’espèce. La fonctionnaire était absente parce qu’elle était victime de discrimination et de harcèlement au travail. Ce n’était pas le cas de Mme Bowman, l’autre fonctionnaire dont le détachement a pris fin prématurément. La situation de la fonctionnaire était différente de celle de Mme Bowman.

160 L’obligation de prendre des mesures d’adaptation a évolué au fil des ans; de nos jours, la loi dit que l’employeur doit regarder au-delà du poste de l’employé pour prendre des mesures d’adaptation. En fait, l’employeur doit de plus en plus souvent élargir le cadre de sa recherche pour trouver des mesures d’adaptation adéquates. Si l’employé est incapable d’accomplir les fonctions de son poste, l’employeur doit alors envisager de modifier un autre poste ou d’adapter les tâches pour composer avec les besoins de l’employé. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation persiste aussi longtemps que l’employeur est en mesure de s’en acquitter sans encourir une contrainte excessive. Je ne suis pas convaincue que l’employeur a seulement envisagé la possibilité de trouver un autre emploi à la fonctionnaire. Mme Bowman, par exemple, a réussi à trouver un autre poste à Passeport Canada lorsque son détachement dans l’unité de Mme Crone a pris fin. La décision de la Cour suprême du Canada dans O’Malley indique sans équivoque que l’employeur doit démontrer l’existence d’une contrainte excessive pour faire valoir avec succès qu’il ne pouvait pas prendre de mesures d’adaptation à l’égard de l’employé.

161 En conséquence, je conclus que l’employeur n’a pas pris de mesures pour tenir compte des troubles médicaux de la fonctionnaire résultant du harcèlement subi au travail.

F. La décision de mettre fin au détachement de la fonctionnaire s’estimant lésée était-elle reliée à la correspondance anonyme?  

162 La fonctionnaire a déposé son grief le 23 janvier 2007. Le 24 janvier 2007, on l’a avisée que son détachement prenait fin plus tôt que prévu. La fonctionnaire n’a pas déposé de grief pour contester cette décision. Cependant, à l’audience, elle a déclaré qu’en plus de miner sa confiance en elle et de nuire à son bien-être, la décision de mettre fin à son détachement immédiatement après le dépôt de son grief avait également eu des répercussions financières. Elle a allégué que le fait de mettre fin à son détachement après le dépôt de son grief constituait une preuve supplémentaire de discrimination au travail en raison de ses convictions religieuses. La fonctionnaire m’a demandé de tenir compte de cet événement pour déterminer les mesures de réparation à accorder.

163 Dans son exposé définitif, l’employeur a plaidé que la décision de mettre fin au détachement de la fonctionnaire avait été communiquée après le dépôt de son grief et qu’elle ne devrait pas entrer en ligne de compte. Il n’empêche que dans sa présentation, une portion significative de la preuve a porté sur des événements postérieurs au grief, à savoir l’enquête administrative et les raisons organisationnelles ayant mené à la décision de mettre fin au détachement de la fonctionnaire. Qui plus est, le PDG a admis dans son témoignage que la possibilité de mettre fin au détachement de la fonctionnaire avait été envisagée après la réception de la correspondance anonyme et avant son licenciement le 24 janvier 2007 parce que la fonctionnaire avait décidé de limiter ses communications avec l’employeur à certaines personnes clés. Ce fait est ressorti d’une réunion de gestion tenue le 28 décembre 2006. La fonctionnaire n’était pas au courant de cette considération avant de faire une demande d’accès à l’information, en prévision de l’arbitrage de son grief, et de recevoir copie des documents de l’employeur.

164 Il s’agit donc de déterminer, en l’occurrence, si je devrais prendre en considération des événements qui sont survenus après le dépôt du grief pour déterminer les mesures de réparation requises.

165 Dans Cie minière Québec Cartier c. Québec [1995] 2 R.C.S. 1095, une cause portant sur la recevabilité de la preuve relative à des événements survenus après le congédiement d’un employé aux prises avec un grave problème d’alcoolisme qui occasionnait un problème d’absentéisme chronique, la Cour suprême du Canada a conclu que l’arbitre devait prendre cette preuve en considération, mais dans certaines conditions seulement, c’est-à-dire lorsque la preuve subséquente au congédiement est pertinente relativement à la question dont il est saisi. La Cour a déclaré ceci :

[…]

Ceci m'amène à la question que j'ai soulevée plus tôt quant à savoir si un arbitre peut prendre en considération la preuve d'événements subséquents lorsqu'il statue sur un grief relatif au congédiement d'un employé par la compagnie. À mon avis, un arbitre peut se fonder sur une telle preuve, mais seulement lorsqu'elle est pertinente relativement à la question dont il est saisi. En d'autres termes, une telle preuve ne sera admissible que si elle aide à clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné. Par conséquent, dès qu'un arbitre conclut que la décision de la compagnie de congédier un employé était justifiée au moment où elle a été prise, il ne peut plus annuler le congédiement pour le seul motif que des événements subséquents rendent, à son avis, cette annulation juste et équitable. Dans ces circonstances, un arbitre excéderait sa compétence s'il se fondait sur une preuve d'événements subséquents pour annuler le congédiement. Conclure le contraire reviendrait à accepter que l'issue d'un grief relatif au congédiement d'un employé puisse dépendre du moment où il a été déposé et du délai écoulé entre le dépôt initial et la dernière audience de l'arbitre […]

[…]

[Je souligne]

166 On pourrait croire que le principe de l’admissibilité possible de la preuve d’événements subséquents est de droit constant, or de nombreux arbitres en ont écarté l’application en se prévalant de la loi applicable pour exercer leurs pouvoirs de réparation. (Pour un débat de la question, voir les analyses suivantes : Mitchnick, Mort et Brian Etherington, Labour Arbitration in Canada, Lancaster House (2007), pages 114 à 118; R. Germaine, « Post-Discharge Evidence : The Varied Response to Québec Cartier », dans Labour Arbitration Yearbook (1999-2000), vol. II, à la page 39, de même que les articles complémentaires rédigés par J. B. West & K. Wattson ainsi que G. Fiorillo et J. Parmar; J.E. Dorsey, « Remedial Role of Arbitrators », dans Labour Arbitration Yearbook 1998, à la page 29; Développements récents en droit du travail (1996), Éditions Yvon Blais inc., aux pages 148 et 149; Gagnon, Pierre, Le droit du travail au Québec (5e édition), Éditions Yvon Blais, aux pages 526 et 527; Blouin, Rodrigue et Fernand Morin, Droit de l’arbitrage de grief (5e édition), Éditions Yvon Blais, aux pages 388 et 389.)

167 Cela dit, je considère qu’il n’entrait pas dans l’intention de la Cour suprême du Canada de limiter l’application du principe de la recevabilité de la preuve pertinente d’événements subséquents aux cas de congédiement, mais plutôt d’étoffer un principe général de la preuve qui s’applique à l’étendue des pouvoirs de l’arbitre, c’est-à-dire que l’arbitre doit tenir compte de tous les éléments de preuve pertinents avant de décider de l’issue d’un grief. 

168 Ajoutons également qu’un tribunal administratif n’est pas tenu d’observer à la lettre les règles appliquées par les cours de justice. Cela ne veut pas dire que les tribunaux administratifs ne devraient pas tenir compte des principes fondamentaux classiques qui fondent les décisions rendues. L’intégrité d’une décision dépend en premier lieu de la pertinence et de la fiabilité de la preuve. Dans le cas de la LRTFP, la procédure et le déroulement de l’audience d’arbitrage de grief autorisent certains aménagements. L’alinéa 226(1)d) porte ce qui suit :

226.(1) Pour instruire toute affaire dont il est saisi, l’arbitre de grief peut :

[…]

d) accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice;

[…]

Cette disposition accorde à l’arbitre de grief le pouvoir discrétionnaire d’admettre des éléments de preuve qui ne satisferaient pas autrement au critère rigide de l’admissibilité de la preuve, à la condition toutefois qu’ils aient un lien avec l’objet de l’instance.

169 Le pouvoir discrétionnaire de l’arbitre de grief est accentué encore davantage par le paragraphe 228(2) de la LRTFP, qui définit le pouvoir décisionnel de l’arbitre de grief :

228.(2) Après étude du grief, il tranche celui-ci par l’ordonnance qu’il juge indiquée […]

Ces dispositions, conjuguées au principe énoncé par la Cour suprême du Canada, autorisent selon moi l’arbitre de grief à prendre en considération la preuve d’événements subséquents qui jette un éclairage sur le contexte d’un grief. 

170 Dans l’affaire en instance, la preuve d’événements subséquents soumise par la fonctionnaire est pertinente eu égard à son grief parce qu’elle confirme le caractère continuel de la réponse inappropriée de l’employeur aux incidents prétendument discriminatoires. Outre le fait que c’est une indication supplémentaire que l’employeur tolérait la discrimination, sa décision de mettre fin à l’emploi de la fonctionnaire après la réception de la correspondance anonyme est le point culminant de sa conduite discriminatoire. 

171 Le fait que le détachement de la fonctionnaire ait pris fin prématurément est également pertinent, car cet événement est survenu à un moment où la fonctionnaire souffrait d’une maladie dont la cause peut être imputée à la discrimination pratiquée par l’employeur. Le détachement de la fonctionnaire devait se terminer le 30 avril 2007. Son médecin l’a déclarée apte à retourner au travail le 19 février 2007. Cela n’a pas empêché l’employeur de mettre fin à son détachement le 7 février 2007. C’est ainsi que la fonctionnaire n’a pas eu la possibilité ne serait-ce que demander des mesures d’adaptation en prévision de son retour au travail.

172 Je rejette l’argument de l’employeur selon lequel la décision de mettre fin au détachement de la fonctionnaire n’était pas discriminatoire au motif qu’une autre employée ayant échoué au concours avait également été avisée que son détachement prenait fin à la même date.

173 L’employeur ne m’a pas convaincue que la décision de mettre fin au détachement de la fonctionnaire n’avait aucun lien avec la plainte de cette dernière ou que ce n’était qu’une [traduction] « regrettable coïncidence ». Lorsque son détachement a pris fin, la fonctionnaire n’avait pas terminé les deux projets importants qui lui avaient été confiés, et le concours n’avait apparemment pas produit un nombre suffisant de candidats pour pourvoir tous les postes. Il s’ensuit que l’urgence de mettre fin au détachement de la fonctionnaire n’a pas été expliquée. Aucun renseignement ne m’a été fourni au sujet de Mme Bowman; tout ce que je sais c’est que son détachement a pris fin à la même date que celui de la fonctionnaire et qu’elle a trouvé un autre emploi à Passeport Canada peu de temps après. Cela ne rend pas moins discriminatoire la décision de mettre fin au détachement de la fonctionnaire. La situation de la fonctionnaire était différente de celle de Mme Bowman. Mme Bowman n’avait pas déposé une plainte de discrimination ni n’avait reçu de lettres de menace.

174 J’ai également examiné la chaîne des événements qui ont précédé la décision de mettre fin au détachement de la fonctionnaire. La liste détaillée des événements qui suit montre que, après que la fonctionnaire eut envoyé sa chronologie au sous-ministre, l’employeur s’est préparé avec minutie à mettre fin à son détachement à Passeport Canada.

  • Le 21 décembre 2006, le rapport de la TI sur l’incident en matière de sécurité indique que l’auteur du courriel anonyme ne peut pas être identifié.

  • Le 21 décembre 2006, la fonctionnaire dépose une plainte au service de police de Gatineau à la demande de l’employeur.

  • Le 21 décembre 2006, la fonctionnaire avise l’employeur de son intention de solliciter l’avis de la Commission canadienne des droits de la personne.

  • Le 21 décembre 2006, l’employeur met fin au congé administratif de la fonctionnaire et lui demande de produire un certificat attestant qu’elle est apte à participer à une enquête interne.

  • Le 21 décembre 2006, la fonctionnaire envoie un courriel au syndicat, avec copie à l’employeur, pour l’aviser qu’elle ne veut avoir de contacts qu’avec les personnes qui sont directement en charge de l’enquête.

  • Le 22 décembre 2006, la fonctionnaire commence son congé de maladie.

  • Le 23 décembre 2006, la fonctionnaire produit un certificat médical indiquant qu’elle sera absente du travail pour des raisons de santé jusqu’au 22 janvier 2007.

  • Le 27 décembre 2006, la fonctionnaire envoie au sous-ministre et à d’autres personnes un courriel accompagné d’une [traduction] « Chronologie [détaillée] des actes haineux commis à Passeport Canada ».

  • Le 28 décembre 2006, la direction se réunit pour discuter de la chronologie de la fonctionnaire qui a été transmise au cabinet du sous-ministre. M. Cossette déclare que l’employeur devrait songer à mettre fin au détachement de la fonctionnaire parce qu’elle souhaite limiter ses contacts avec l’employeur.

  • Le 29 décembre 2006, l’employeur avise la fonctionnaire, par courriel, de la tenue d’une enquête préliminaire sur son « milieu de travail ».

  • Le 2 janvier 2007, Mme Crone fournit aux enquêteurs sa chronologie des événements datée du 30 décembre 2006.

  • Le 3 janvier 2007, la fonctionnaire obtient un certificat médical attestant qu’elle est apte à participer à une enquête interne.

  • Le 4 janvier 2007, la fonctionnaire demande à être informée des mesures que l’employeur compte prendre pour rendre son lieu de travail sécuritaire.

  • Le 9 janvier 2007, les notes globales des candidats au concours ES-05 sont connues; la fonctionnaire ne fait pas partie des candidats reçus.

  • Le 14 janvier 2007, Mme Pezzack fournit sa chronologie aux enquêteurs.

  • Le 15 janvier 2007, la fonctionnaire est informée par écrit qu'elle ne s’est pas classée au concours ES-05.

  • Le 19 janvier 2007, la fonctionnaire obtient un certificat médical prolongeant son congé de maladie jusqu’au 5 février 2007.

  • Le 22 janvier 2007, M. Nussbaum (MAECI) avise Mme Crone qu’il est sur le point de combler le poste d’attache de la fonctionnaire de manière permanente.

  • Le 22 janvier 2007, Mme Crone répond à M. Nussbaum que la fonctionnaire ne s’est pas classée au concours ES-05, qu’elle prévoit mettre fin à son détachement, qu’[traduction] « il y a un problème délicat concernant ce dossier » et qu’elle attend un appel de sa part.

  • Le 23 janvier 2007, la fonctionnaire dépose son grief.

  • Le 24 janvier 2007, la fonctionnaire est avisée que son détachement prendra fin le 7 février 2007.

175 Même si je conviens avec l’employeur que la fonctionnaire savait que son détachement pouvait prendre fin avec deux semaines de préavis, cet argument me semble être une mise en scène ou un maquillage par rapport à ce qui s’est réellement passé.

G. La responsabilité de l’employeur

176 L’employeur avance qu’il s’est acquitté de ses obligations à l’égard de la fonctionnaire en faisant enquête sur la correspondance anonyme, quoique sans succès. Il soutient qu’il ne peut pas être tenu responsable des actes commis par des personnes dont il ne connaissait pas l’identité ou qui ne relevaient pas de son autorité.

177 La responsabilité de l’employeur dépend de sa connaissance de la conduite offensante et de l'ampleur de sa réponse. Cette responsabilité peut être établie en répondant à deux questions. Premièrement, l’employeur était-il au courant de la discrimination ou du harcèlement présumés et, le cas échéant, qu’a-t-il fait pour corriger la situation? Deuxièmement, si l’employeur n’était pas au courant du harcèlement, quelles mesures a-t-il prises pour éviter que les employés soient victimes de discrimination et de harcèlement?

178 Après examen de la preuve et des arguments des parties, j’en suis arrivée à la conclusion que l’employeur était bel et bien au courant de la discrimination présumée, mais qu’il n’a rien fait pour corriger la situation. Il est vrai qu’il a été mal conseillé sur ses obligations et que les mesures qu’il a mises en place par la suite ont tout simplement aggravé la discrimination. Dans Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, la Cour suprême du Canada a expressément indiqué que les employeurs sont responsables des actes commis par leurs employés « dans le cadre de leurs emplois ». Il a été déterminé que cette expression signifiait « relié à l’emploi ». La Cour a expliqué que la responsabilité de l’employeur sous le régime de la LCDP découle purement et simplement de la loi et qu’elle répond à un objectif comparable à celui de la responsabilité du fait d'autrui en matière délictuelle, du fait qu'elle impose la responsabilité d'un organisme à l’employeur en sorte qu’il prenne des mesures réparatrices efficaces en vue d'éliminer les conditions peu souhaitables qui peuvent exister. Ainsi qu’on l’explique dans Robichaud, cette Loi vise la suppression de la discrimination :

[…]

  1.             Suivant son art. 2, la Loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet au principe selon lequel tous ont droit à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment de motifs de distinction illicites […]. Comme le juge McIntyre l'a expliqué récemment, au nom de la Cour, dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, on doit interpréter la Loi de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui la sous-tendent. Il s'agit là d'une tâche qui devrait être abordée non pas parcimonieusement mais d'une manière qui tienne compte de la nature spéciale d'une telle loi […].

  2.            Il vaut la peine de répéter que, de par son texte même, la Loi (à l'art. 2) vise à « donner effet » au principe de l'égalité des chances pour tous en supprimant les distinctions injustes. Son but premier n'est pas de punir ceux qui pratiquent la discrimination. À la page 547 de l'arrêt O'Malley, le juge McIntyre exprime la même idée en ces termes :

    Le Code vise la suppression de la discrimination. C'est là l'évidence. Toutefois, sa façon principale de procéder consiste non pas à punir l'auteur de la discrimination, mais plutôt à offrir une voie de recours aux victimes de la discrimination. C'est le résultat ou l'effet de la mesure dont on se plaint qui importe.

  3.           Puisque la Loi s'attache essentiellement à l'élimination de toute discrimination plutôt qu'à la punition d'une conduite antisociale, il s'ensuit que les motifs ou les intentions des auteurs d'actes discriminatoires ne constituent pas une des préoccupations majeures du législateur. Au contraire, la Loi vise à remédier à des conditions socialement peu souhaitables, et ce, sans égard aux raisons de leur existence. Il se dégage nettement de l'arrêt O'Malley que « l'intention d'établir une distinction n'est pas un élément essentiel de la discrimination qui est généralement interdite dans les lois canadiennes sur les droits de la personne » (à la p. 547) […].

[…]

179 Ainsi donc, Robichaud règle le sort de l’argument de l’employeur selon lequel il ne peut pas être tenu responsable au motif qu’il ne savait pas qui avait rédigé les lettres anonymes et qu’il n’avait pas eu connaissance de la discrimination. J’estime également que l’employeur a refusé de voir les signes indiquant que la discrimination et le harcèlement étaient le fait de membres du personnel interne de l’organisme. Dans son rapport d’enquête, la TI écrit, au premier paragraphe du « Contexte », que le courriel provient vraisemblablement d’un employé ou d’un collègue, et ensuite, dans la partie intitulée « Enquête », que [traduction] « [l]a personne semble certainement connaître le personnel qui fait partie de ce groupe » et encore que [traduction] « […] cela pointe très certainement en direction d’un membre du personnel interne ». Mme Lévesque a déclaré qu’elle n’avait pas communiqué l’information sur la fonctionnaire à quiconque à l’extérieur de l’organisme. Mme Crone a déclaré que trois personnes seulement étaient au courant des détails contenus dans le courriel du 15 décembre 2006.

180 L’employeur a beau vouloir se convaincre qu’il ne peut être tenu responsable des actes discriminatoires au motif qu’il n’a pas réussi à identifier l’auteur de la correspondance anonyme, il ne pouvait pas ignorer que la discrimination – qu’il s’agisse de la correspondance anonyme, des actes de Mme Lévesque ou de ceux de ses gestionnaires, Mme Crone et Mme Pezzack – était reliée au travail. La Cour suprême du Canada ne pouvait pas être plus explicite dans Robichaud. L’article 2 de la LCDP vise à supprimer les distinctions injustes, non pas à punir ceux qui pratiquent la discrimination. Cette Loi est conçue de manière à offrir une voie de recours aux victimes de la discrimination et c’est le résultat des actes discriminatoires qui importe. Les motifs ou les intentions des auteurs d'actes discriminatoires ne constituent pas une préoccupation, car il s’agit de remédier aux conditions peu souhaitables. O’Malley dit explicitement que l'intention d'établir une distinction n'est pas un élément essentiel de la discrimination généralement interdite dans les lois canadiennes sur les droits de la personne.

H. Conclusion

181 Au vu de ces constatations, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, les allégations de la fonctionnaire doivent être considérées comme crédibles et que l’employeur n’a pas fourni une explication satisfaisante pour justifier ses actes. Je conclus également que l’employeur n’a pas pris de mesures pour tenir compte des besoins de la fonctionnaire en l’absence de contrainte excessive, en ce qu’il n’a pas tenté de lui trouver un emploi convenable après que la fonctionnaire lui eut expliqué, en décembre 2006, à quel point les lettres anonymes l’avaient affectée. Accorder un congé administratif de courte durée, remettre des bons de taxi et offrir l’aide du PAE ne constituent pas des mesures d’adaptation.

182 En conséquence, le grief est accueilli et je rends la décision déclaratoire suivante :

1) L’employeur a contrevenu à l’alinéa 7b) de la LCDP en établissant des distinctions injustes à l’égard de la fonctionnaire pour un motif de distinction illicite.

2) L’employeur a contrevenu à la clause 16.01 de la convention collective en laissant la fonctionnaire subir de la discrimination, de l’ingérence, du harcèlement et des conditions de travail malsaines du fait de sa confession religieuse.

3) L’employeur a également contrevenu à la clause 16.01 de la convention collective en n’instituant pas rapidement une enquête pour faire la lumière sur les plaintes de discrimination pour motifs religieux après en avoir été saisi par la fonctionnaire.

4) L’employeur a contrevenu aux articles 7 et 15 de la LCDP en ne prenant pas de mesures pour composer avec la déficience de la fonctionnaire résultant de la discrimination, de l’ingérence, du harcèlement et des conditions de travail malsaines.

5) La fonctionnaire a droit à une indemnisation au titre des violations commises par l’employeur, conformément aux alinéas 53(2)e) et 53(2)c) de la LCDP.

183 Je remets à plus tard ma décision quant aux mesures de redressement. Si les parties sont incapables de s’entendre, dans un délai de 60 jours, sur l’indemnité à laquelle la fonctionnaire pourrait avoir droit, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire, à la demande de l’une ou l’autre partie, pour rendre une ordonnance corrective qui me paraît indiquée dans les circonstances.

184 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

185 Le grief est accueilli.

186 La fonctionnaire a droit à une indemnisation.

187 Je demeure saisie de l’affaire pour une période de 60 jours à partir de la date de la présente décision.

Le 18 mai 2010.

Traduction de la CRTFP

Michele A. Pineau,
arbitre de grief

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