Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a démissionné de son poste à l’Agence du revenu du Canada (ARC), après quoi il a déposé un grief alléguant qu’il avait été licencié, que sa démission avait été obtenue sous la contrainte et que l’ARC ne lui avait pas bien expliqué les conséquences de sa démission - l’ARC a soulevé une objection quant à la compétence de l’arbitre de grief en faisant valoir que le fonctionnaire s’estimant lésé avait véritablement remis sa démission - l’employeur avait fait enquête sur les allégations d’inconduite formulées contre le fonctionnaire s’estimant lésé et lui avait remis une copie du rapport - une rencontre avait eu lieu avec le fonctionnaire s’estimant lésé et son représentant pour discuter du rapport et l’employeur avait conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé devait être licencié - lors d’une deuxième rencontre, le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu la lettre de licenciement et s’est fait offrir la possibilité de démissionner, qu’il a acceptée, en remettant sa lettre de démission l’après-midi même - il incombait au fonctionnaire s’estimant lésé d’établir que la démission n’était pas valide - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas prouvé que la conduite de l’employeur équivalait à de la tromperie ou de la cœrcition - il a eu la possibilité d’examiner les choix qui s’offraient à lui; il était représenté par son agent négociateur - l’employeur n’était pas responsable du fait qu’il n’avait pas bien compris les conséquences de sa démission ou qu’il s’était fondé sur des hypothèses erronées pour prendre sa décision. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-08-13
  • Dossier:  566-34-3084
  • Référence:  2010 CRTFP 86

Devant un arbitre de grief


ENTRE

AMRIT MANGAT

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Mangat c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Beth Bilson, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lui-même

Pour l'employeur:
Isabel Blanchard, avocate

Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),
le 21 juin 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Amrit Mangat, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») était à l’emploi de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC » ou l’« employeur ») comme vérificateur/agent de vérification au Bureau des services fiscaux de Burnaby-Fraser (le « BSF de Burnaby-Fraser »). Son emploi a pris fin à la suite d’une lettre de démission datée du 15 avril 2008 (pièce E-6). Dans son grief daté du 7 mai 2008, le fonctionnaire a allégué qu’en réalité il avait été licencié et que la lettre de démission avait été obtenue sous la contrainte.

2 Avant l’audience, l’employeur a contesté la compétence de l’arbitre de grief aux motifs que le fonctionnaire avait soumis une démission véritable et qu’il n’avait pas été licencié pour motif valable. L’audience du 21 juin 2010 portait uniquement sur la question de savoir si l’emploi du fonctionnaire avait pris fin à la suite d’un licenciement ou d’une démission.

II. Résumé de la preuve

A. Pour l’employeur

3 Joanne Ralla a témoigné pour le compte de l’employeur. Au moment des événements reliés au grief, Mme Ralla était directrice adjointe, Vérification. Quatre gestionnaires relevaient directement d’elle, et elle assumait la responsabilité générale en matière de relations de travail pour environ 300 employés, dont le fonctionnaire. Mme Ralla était une gestionnaire d’expérience qui avait déjà participé à la prise de mesures disciplinaires, notamment des renvois, visant d’autres employés.

4 En janvier 2007, l’employeur a mené une enquête relativement à des allégations d’inconduite contre le fonctionnaire. L’enquêteur a terminé son rapport en septembre 2007, et le fonctionnaire a reçu une copie du rapport ayant été expurgée en conformité avec les lignes directrices en matière d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels. Une réunion avec le fonctionnaire pour discuter du contenu du rapport a été fixée au 20 septembre. Mme Ralla était présente à la réunion, et le fonctionnaire était accompagné d’une représentante de son agent négociateur, le Syndicat des employé(e)s de l’impôt. Mme Ralla a demandé au fonctionnaire s’il avait eu la possibilité de lire attentivement le rapport. Il a répondu qu’il n’en avait pas terminé la lecture. Mme Ralla a déclaré qu’elle s’inquiétait du fait que le fonctionnaire ne semblait pas saisir la gravité des allégations qui pesaient contre lui, et elle a proposé de reporter la réunion pour qu’il ait la possibilité de prendre pleinement connaissance du rapport.

5 Une autre réunion a eu lieu le 2 octobre 2007. Mme Ralla, une représentante de l’unité des ressources humaines de l’employeur, le fonctionnaire et la représentante de l’agent négociateur étaient présents. Mme Ralla a soutenu avoir parcouru le rapport avec le fonctionnaire, question par question, et lui avoir signifié qu’il devrait présenter sa version des événements visés par le rapport, ainsi que de toutes circonstances atténuantes.

6 Après avoir pris connaissance des conclusions du rapport de l’enquêteur et de renseignements supplémentaires fournis par le fonctionnaire à la suite de la réunion du 2 octobre, l’employeur a décidé de mettre un terme à l’emploi du fonctionnaire. Mme Ralla a expliqué que ce type de décision aurait normalement été pris plus tôt, mais elle était en vacances en novembre et, peu après son retour, elle a été blessée dans un accident de la route. Compte tenu de l’importance de la réponse aux allégations contre le fonctionnaire, elle estimait qu’il n’était pas indiqué de déléguer la décision à un de ses subalternes. Elle a plutôt décidé de traiter de la question à son retour au travail, après trois mois d’absence.

7 Mme Ralla a déclaré que, avant de partir en vacances en novembre, elle s’était demandé s’il fallait permettre au fonctionnaire de continuer à assumer ses responsabilités. Comme son travail serait surveillé pendant cette période, elle a décidé de lui permettre d’exécuter ses tâches. À ce moment, elle ne pouvait naturellement pas prévoir qu’elle serait blessée et absente du travail pendant une période prolongée.

8 Le fonctionnaire a été convoqué à une réunion le 15 avril 2008. L’employeur avait l’intention de lui remettre une lettre de licenciement. Le fonctionnaire était accompagné d’une représentante de son agent négociateur, Terry Ruyter. Mmes Ralla et Sue Fleming, représentante des ressources humaines, ont également assisté à la réunion. À la suite de la réunion, Mme Ralla a rédigé des notes sur ce qui s’était dit. Ces notes ont été remises à l’arbitre de grief (pièce E-4).

9 Mme Ralla a affirmé qu’une lettre de licenciement a été remise au fonctionnaire et qu’une courte discussion a eu lieu au sujet de la lettre. Le fonctionnaire a signifié son désaccord quant aux faits des allégations portées contre lui, et Mme Ralla a répondu que les affirmations contenues dans la lettre étaient fondées sur les résultats du rapport d’enquête. Mmes Ralla et Ruyter ont informé le fonctionnaire qu’il pouvait déposer un grief s’il souhaitait contester les allégations sur lesquelles prenait appui la décision de le licencier.

10 Mme Ralla a affirmé avoir ensuite soulevé l’option de la démission pour permettre au fonctionnaire de l’envisager. Elle lui a dit qu’une démission pourrait avoir des conséquences financières différentes d’un licenciement, tout en lui permettant de conserver un dossier disciplinaire vierge. Mme Ralla a expliqué qu’il était courant de présenter cette option aux employés dans de telles circonstances, étant donné qu’il est souvent important pour eux, pour différentes raisons, que leur cessation d’emploi soit décrite comme une démission plutôt qu’un licenciement. Cependant, elle a affirmé ne pas avoir l’habitude de conseiller aux employés de choisir une option plus qu’une autre et ne pas avoir fourni d’information particulière concernant les répercussions que ce choix aurait pour le fonctionnaire. Elle ne savait pas, par exemple, à quelle indemnité de départ il aurait droit. Contrairement au témoignage du fonctionnaire, Mme Ralla a soutenu ne pas lui avoir dit que, s’il acceptait le licenciement, il serait escorté immédiatement à l’extérieur de l’immeuble. Elle a précisé que les employés licenciés pouvaient retourner à leur poste de travail pour rassembler leurs effets personnels. Elle ne se souvenait pas avoir dit au fonctionnaire qu’il recevrait une lettre de référence de l’employeur s’il démissionnait, étant donné que cela aurait été contraire à la pratique courante. Elle lui a probablement dit qu’il recevrait une lettre standard confirmant les dates et la nature de son emploi à l’ARC.

11 Mme Ralla a indiqué qu’à ce moment de la réunion, les représentantes de l’employeur ont laissé le fonctionnaire et Mme Ruyter seuls pour qu’ils discutent de la situation. Mme Ruyter a déclaré avoir clairement expliqué au fonctionnaire qu’il devrait prendre le temps de réfléchir à sa décision. À un certain moment, Mme Ruyter a demandé une copie de la convention collective, celle-ci lui a été fournie. Plus tard, elle a demandé si le fonctionnaire pouvait utiliser le téléphone pour appeler sa femme; il a fait cet appel.

12 Autour de 17 h, une heure et demie ou deux heures après le début de la réunion, le fonctionnaire a indiqué qu’il avait décidé de démissionner et a remis à Mme Ralla une lettre de démission manuscrite (pièce E-5). Ni le fonctionnaire, ni Mme Ruyter n’ont demandé plus de temps pour discuter de la question ou n’ont cherché à obtenir plus de renseignements. Mme Ralla a tapé une lettre acceptant la démission (pièce E-6), et le fonctionnaire et sa représentante ont quitté les lieux vers 17 h 45.

13 Le 16 avril 2008, Mme Ralla a informé le bureau de rémunération central de l’ARC à Winnipeg que le fonctionnaire avait démissionné (pièce E-8); elle a également informé son supérieur, le directeur du BSF de Burnaby-Fraser (pièce E-9). Mme Ralla a affirmé  que, le 16 juillet, elle a appris d’un employé de Service Canada que le fonctionnaire avait déposé une demande de prestations d’assurance-emploi; le fonctionnaire avait déclaré avoir été licencié et avoir déposé un grief. Mme Ralla a affirmé avoir dit à l’employé de Service Canada que le fonctionnaire avait démissionné et que sa lettre de démission avait été acceptée. Elle ne lui a pas fourni d’autres renseignements.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

14 Le fonctionnaire a témoigné en son propre nom. Il a déclaré qu’en juin 2007, il avait appris qu’il faisait l’objet d’une enquête et qu’il avait alors rencontré l’enquêteur, David Morgan. Mme Ruyter était présente à la réunion, et le fonctionnaire a affirmé avoir répondu franchement à toutes les questions. Il a rencontré M. Morgan une deuxième fois trois semaines plus tard et a alors fourni des précisions sur certains points. Le fonctionnaire a confirmé avoir reçu une copie du rapport de l’enquêteur, en septembre 2007. Comme la version qu’il a reçue était largement expurgée, il lui était difficile de répondre aux allégations. Il était cependant en désaccord avec les allégations, dans la mesure où il les comprenait, et a nié être coupable de tout acte répréhensible. Le fonctionnaire a expliqué que, lorsqu’il a discuté de l’importance des allégations avec Mme Ruyter, celle-ci lui a dit que des mesures disciplinaires pourraient être prises contre lui, mais il n’a pas compris qu’il pourrait être renvoyé.

15 Le fonctionnaire a affirmé qu’au moment de la réunion avec Mme Ralla, en septembre, il avait lu seulement les conclusions du rapport; elle lui a dit qu’il devrait lire l’ensemble du rapport. Lors de leur deuxième réunion, le 2 octobre, Mme Ralla avait adopté une attitude offensive et fait d’autres allégations à son endroit.Il a affirmé à Mme Ralla qu’il ne croyait pas avoir fait quoi que ce soit qui enfreignait le code de l’ARC. Entre octobre 2007 et avril 2008, il a communiqué à plusieurs reprises avec Mme Ruyter. Cette dernière lui a expliqué qu’elle avait tenté, sans succès, de savoir si l’employeur avait pris d’autres décisions. Le fonctionnaire a expliqué qu’il croyait que l’absence d’autres mesures confirmait qu’il n’avait rien fait de mal, comme il le pensait.

16 Il a affirmé avoir été surpris d’apprendre de Mme Ruyter, immédiatement avant la réunion du 15 avril, que l’employeur avait décidé de le licencier. La lettre de licenciement lui a été remise à la réunion, et il a affirmé ne pas avoir eu la possibilité de répondre au contenu de la lettre. Mme Ralla a simplement dit que la décision avait été prise. Le fonctionnaire a soutenu avoir demandé si on avait tenu compte de certains points qu’il avait soulevés aux réunions antérieures, puisqu’il lui semblait évident qu’on n’en avait pas tenu compte.

17 Le fonctionnaire a affirmé que Mme Ralla lui a soumis l’option de la démission en lui disant qu’il aurait droit à des indemnités de départ, qu’il recevrait une lettre de référence de l’employeur et qu’il pourrait postuler d’autres emplois dans le secteur public, dans le futur. Le fonctionnaire a également déclaré que Mme Ralla lui a dit qu’il n’aurait pas la possibilité de parler à un avocat. Il a soutenu que Mme Ruyter lui a fourni une aide limitée et que sa femme était extrêmement bouleversée au téléphone parce qu’elle ne pouvait pas lui venir en aide. Il a expliqué qu’il était en état de choc et incapable de saisir les conséquences de la décision qu’on le forçait à prendre. Le fonctionnaire et Mme Ruyter n’ont pas discuté de manière précise du montant de l’indemnité de départ à laquelle il pourrait avoir droit, mais il croyait qu’il s’agirait d’un montant considérable compte tenu de ses années de service à l’ARC.

18 Environ une semaine après la réunion du 15 avril, le fonctionnaire a téléphoné au bureau des ressources humaines de Winnipeg pour savoir quand il pourrait recevoir son indemnité de départ. On lui a répondu qu’elle serait incluse dans son dernier chèque. Le chèque qu’il a reçu indiquait une indemnité de vacances, mais pas d’indemnité de départ. Il a communiqué avec le syndicat et a éventuellement déposé un grief alléguant avoir été licencié sans motif valable. Il croyait que le fait d’avoir été « autorisé » à déposer un grief signifiait que l’employeur avait accepté de faire abstraction de la lettre de démission. Pendant la procédure de règlement des griefs, l’agent négociateur a fait valoir les motifs du licenciement, mais l’employeur a répondu que le fonctionnaire avait démissionné.

19 Le fonctionnaire a déclaré que, comme il avait travaillé pour l’employeur pendant plus de 10 ans, il croyait avoir droit à une indemnité de départ substantielle. Lors du contre-interrogatoire, il a reconnu qu’il avait commencé à travailler en février 1998 comme employé embauché pour des périodes déterminées, et qu’il y avait eu un arrêt de service – pendant environ un mois selon son souvenir – avant qu’il ne soit embauché pour une période indéterminée, en janvier 1999. Dans sa réplique, Mme Ralla a déclaré que les dossiers des ressources humaines conservés par l’employeur démontraient que le fonctionnaire avait été un employé embauché pour une période déterminée jusqu’en avril 1998 et qu’il était devenu un employé embauché pour une période indéterminée à compter de janvier 1999.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

20 L’avocat de l’employeur a soutenu que la preuve établissait l’existence d’une démission authentique du fonctionnaire. Dans ces circonstances, un arbitre de grief n’est pas habilité à instruire une affaire ou à accorder une réparation. Les pouvoirs de l’arbitre de grief lui sont conférés par l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qui est libellé comme suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire.

[…]

21 Selon l’avocat de l’employeur, la preuve produite par le témoin de l’employeur et le témoignage même du fonctionnaire démontrent qu’on lui a présenté les options de la démission ou du licenciement et qu’il a choisi le licenciement. Il incombe au fonctionnaire d’établir qu’il ne s’agit pas d’une démission authentique; l’avocat a fait valoir que le fonctionnaire n’a pas fait cette démonstration.

22 L’avocat de l’employeur a renvoyé à la clause 63.01b) de la convention collective conclue entre l’Agence du revenu du Canada et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Exécution des programmes et des services administratifs, ayant pour date d’expiration le 31 octobre 2010 qui prévoit l’indemnité de départ suivante :

b) Démission

En cas de démission, sous réserve de l’alinéa 63.01d) [ayant trait à la pension] et si l’employé-e justifie d’au moins dix (10) années d’emploi continu, la moitié (1/2) de la rémunération hebdomadaire pour chaque année complète d’emploi continu jusqu’à un maximum de vingt-six (26) années, l’indemnité ne devant toutefois pas dépasser treize (13) semaines de rémunération.

Comme le fonctionnaire n’avait pas occupé un emploi continu pendant 10 ans ou plus, il n’avait pas droit à une indemnité de départ aux termes de cette clause. L’avocat de l’employeur a affirmé que Mme Ralla savait pertinemment que la convention collective serait la source faisant autorité relativement à tout droit accordé au fonctionnaire et qu’elle n’aurait pas engagé l’employeur à verser une indemnité de départ n’étant pas prévue par la convention. Le fonctionnaire n’a pas déposé un grief contestant l’interprétation faite par l’employeur de cette clause de la convention collective; il a lui-même admis qu’il y a eu interruption de son service avant qu’il ne devienne un employé embauché pour une période indéterminée, en janvier 1999.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

23    Le fonctionnaire a soutenu que la lettre de démission n’était pas valide, parce qu’il vivait un stress et n’était pas en mesure de prendre une décision rationnelle.

24    Il a également soutenu que Mmes Ralla et Fleming ne l’ont pas informé des conséquences réelles de sa démission. Il a dit avoir compris qu’il toucherait une indemnité de départ, que l’employeur rédigerait une lettre de référence et qu’il aurait d’autres occasions d’emploi dans le secteur public. Ces points ont joué un rôle crucial dans sa décision de démissionner. Il a fait valoir que le choix de la démission ne serait pas rationnel sans l’existence de ces conditions, puisqu’il n’en aurait retiré aucun avantage. Il m’a exhorté à conclure que la représentation erronée de ces conditions constituait une contrainte suffisante pour invalider la démission.

IV. Motifs

25    La question devant être tranchée dans le cadre de la présente audience se limite à déterminer si la lettre de démission soumise par le fonctionnaire, le 15 avril 2008, était valide; le cas échéant, je n’ai pas la compétence pour examiner le grief. Dans ces circonstances, il incombe au fonctionnaire d’établir que la démission n’était pas valide.

26    Dans Dubord & Rainville Inc. v. Métallurgistes Unis d’Amérique, Local 7625 (1996), 53 L.A.C. (4e) 378 à 381, la tâche de l’arbitre de grief dans le cadre de l’examen de cette question a été décrite comme suit :

[Traduction]

[…]

Par conséquent, les arbitres qui sont appelés à se prononcer sur la validité d’une démission se pencheront sur l’expression subjective de la décision de l’employé de démissionner et sur les manifestations objectives de l’employé à la suite de la communication de cette décision. De plus, les arbitres étudieront les circonstances dans lesquelles la démission a été soumise ou obtenue pour s’assurer qu’elle n’a pas été obtenue de manière abusive par la voie notamment de menaces, d’intimidation, de tromperie ou de contrainte.

[…]

27    L’avocat de l’employeur a invoqué plusieurs décisions arbitrales ayant trait à cette question, notamment : Rinke c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2004 CRTFP 143; Charron c. Chambre des communes, 2002 CRTFP 90; Arsenault c. Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service correctionnel du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-23957 (19930722); McNab c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-14343 (1984); Bodner c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-21332 (19910607). Comme l’a souligné le fonctionnaire, la démission dans chacun de ces cas est survenue dans des circonstances distinctes, et aucune de ces circonstances ne correspond exactement à la situation s’appliquant au fonctionnaire. Ces décisions offrent néanmoins des exemples de la manière dont les arbitres de grief ont analysé les prétentions des fonctionnaires s’estimant lésés soutenant avoir soumis leur démission sous la contrainte.

28    Il ressort clairement de ces cas que le regret de la part du fonctionnaire ou le stress de prendre une décision de cette importance ne sont pas des motifs suffisants pour invalider une démission. Dans Arsenault, supra, par exemple, l’arbitre de grief a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le 1er septembre 1992, Mme Arsenault a pu ressentir de la panique ou de la honte ou souffrir de problèmes émotionnels. Elle a même pu démissionner sous pression. Cependant, aucune de ces conditions n’a été causée par l’employeur. Elle était confrontée à un renvoi et devait faire un choix.

[…]

29    Il ressort également clairement que la soumission d’une démission, face à l’imminence non équivoque d’un licenciement, ne constitue pas en soi de la coercition (voir Dubord & Rainville Inc., page 384).

30    Il est évident que le fonctionnaire a regretté d’avoir démissionné au lieu de s’opposer aux allégations par la voie d’un grief contestant son licenciement, et rien ne permet de douter du stress et du sentiment d’alarme découlant de la nécessité de choisir entre la démission et le licenciement. La question est de déterminer s’il a réussi à démontrer que l’employeur s’est conduit de sorte à le tromper ou à le contraindre, et j’ai conclu qu’il n’a pas fait cette démonstration.

31    Depuis le début juin 2007, le fonctionnaire savait que des allégations d’inconduite grave pesaient contre lui. Il a rencontré l’enquêteur à deux reprises, et lors d’une de ces rencontres, il était accompagné de la représentante de son agent négociateur. Il a aussi été accompagné de la représentante de son agent négociateur à la réunion du 20 septembre et à celle du 2 octobre 2007, à laquelle la discussion a porté sur le rapport de l’enquêteur. Le fonctionnaire a été invité à soumettre des renseignements supplémentaires à Mme Ralla, ce qu’il a fait. Le fonctionnaire a admis que l’agent négociateur l’avait avisé que des mesures disciplinaires pourraient être prises contre lui à la suite du rapport, mais il n’a jamais pensé qu’il pourrait être licencié.

32    Le fonctionnaire a également été accompagné de la représentante de l’agent négociateur à la réunion du 15 avril 2008. Il a prétendu avoir été surpris quand on lui a présenté une lettre de licenciement à la réunion, ce qui l’a empêché de réfléchir clairement. Il a déclaré qu’il croyait que l’employeur avait décidé de ne pas donner suite au rapport de l’enquêteur, compte tenu du temps écoulé depuis octobre 2007. Il n’était pas réaliste de sa part de tirer une telle conclusion étant donné la gravité des allégations. Quoi qu’il en soit, depuis plusieurs mois précédant la réunion d’avril, le fonctionnaire connaissait les allégations et savait que des mesures disciplinaires étaient susceptibles d’être prises contre lui.

33    En ce qui concerne les réunions de septembre et d’octobre 2007, Mme Ralla a pris soin de s’assurer que le fonctionnaire ait la possibilité de lire complètement le rapport de l’enquêteur. La réunion du 20 septembre a même été interrompue et reportée pour lui donner la chance de prendre pleinement connaissance du rapport. Mme Ralla a aussi fourni une explication raisonnable en ce qui a trait au retard de l’employeur à prendre d’autres mesures, après le 2 octobre; sa volonté de prendre elle-même une décision et de ne pas déléguer cette décision à un subalterne était cohérente avec l’approche mesurée qu’elle a adoptée à d’autres moments.

34    La réunion du 15 avril 2008 était un événement stressant pour le fonctionnaire. On lui a remis une lettre de licenciement; Mme Ralla lui a alors proposé l’option d’une démission. Je n’accorde pas de crédibilité à la prétention du fonctionnaire selon laquelle Mme Ralla aurait pris des engagements qu’il aurait considérés comme étant des conditions liées à sa démission. Mme Ralla était une gestionnaire d’expérience qui avait assisté à des réunions semblables par le passé. Il est très improbable que l’employeur aurait offert de rédiger une lettre de référence pour le fonctionnaire, du fait que, de l’avis de l’employeur, l’enquête avait établi que les allégations d’inconduite pesant contre le fonctionnaire étaient fondées. Les allégations auraient pu être maintenues ou non à une audience sur le bien-fondé du licenciement, en avril 2008. Quoi qu’il en soit, l’employeur a jugé qu’elles étaient vraies, on ne pouvait donc pas s’attendre à ce qu’il fournisse à des employeurs potentiels davantage que les simples faits concernant l’emploi du fonctionnaire.

35    Mme Ralla a déclaré qu’elle ou Mme Fleming avait fait une observation générale voulant qu’une démission était susceptible d’avoir des conséquences financières autres pour le fonctionnaire qu’un licenciement, mais elle a dit qu’elle ne savait pas s’il aurait droit à une indemnité de départ ou, le cas échéant, quel serait ce montant. Par la suite, l’employeur a jugé, en se basant sur la clause 63.01 de la convention collective, que le fonctionnaire n’avait pas droit à une indemnité de départ, et il est improbable que Mme Ralla aurait pris un engagement allant à l’encontre de cette disposition ou qu’elle aurait pris un quelconque engagement sans avoir obtenu de plus amples renseignements.

36    Le fonctionnaire a déclaré avoir été contraint de prendre très rapidement la décision de démissionner, et il est possible qu’il ait ressenti une contrainte de temps, mais rien ne démontre que le fonctionnaire ou Mme Ruyter ont demandé plus de temps. À la réunion du 20 septembre, portant sur le rapport de l’enquêteur, Mme Ralla avait accordé plus de temps au fonctionnaire pour lui permettre de lire le rapport – elle avait même insisté pour lui donner plus de temps – et, s’il lui avait demandé, elle aurait peut-être accordé plus de temps au fonctionnaire pour prendre sa décision. La preuve ne démontre pas non plus que le fonctionnaire ou Mme Ruyter ont demandé de plus amples renseignements au sujet du règlement de départ auquel le fonctionnaire pouvait s’attendre.

37    Dans son argumentation, le fonctionnaire a fait valoir que, le fait qu’il n’ait retiré aucun avantage de sa décision, témoigne de la contrainte à laquelle il a été soumis pour prendre sa décision. Son témoignage à l’audience a démontré clairement qu’il croyait sincèrement avoir été incité de manière indue à faire un choix dont il n’a retiré aucun avantage. Cependant, il n’est pas entièrement vrai que le choix de la démission dans ces circonstances n’apporte aucun avantage à un employé faisant face à un licenciement. Même si l’employé peut contester son licenciement par l’entremise de la procédure de règlement des griefs, l’issue d’une telle procédure est toujours incertaine; si le licenciement est maintenu à l’arbitrage, l’employé devra affronter le futur avec un dossier entaché d’une mention d’inconduite. Par ailleurs, la démission donne des résultats neutres, du fait que l’employé conserve un dossier libre de toute mention d’inconduite et peut ainsi se mettre à la recherche d’un autre emploi. Un employé peut, pour diverses raisons, trouver une option plus avantageuse que l’autre, et l’employé est seul à pouvoir apprécier ces avantages.

38    En l’espèce, le fonctionnaire a eu la possibilité d’évaluer les avantages relatifs de démissionner ou d’être licencié, et avait accès aux conseils d’une représentante de son agent négociateur. Il peut avoir mal compris l’importance de la démission ou avoir pris sa décision en se fondant sur des hypothèses erronées, mais je ne peux pas conclure que l’employeur en a été responsable. Comme Mme Ruyter n’a pas témoigné, il est impossible de savoir quels conseils elle a fournis. Cependant, même si elle confirmait que le fonctionnaire ne comprenait pas bien sa situation, aucune responsabilité ne peut être imputée à l’employeur, et l’employeur est en droit de considérer la lettre de démission comme étant valide.

39    Il ne fait aucun doute que le fonctionnaire a dit la vérité en affirmant avoir ressenti de la pression lorsqu’il a dû faire le choix de démissionner ou de contester son licenciement. Cependant, l’ensemble de la preuve n’étaye pas la prétention que les représentantes de l’employeur ont utilisé des mesures coercitives ou de l’intimidation ou qu’elles lui ont présenté la situation de manière erronée, de sorte à rendre sa démission non authentique. Le regret amer du fonctionnaire face au choix qu’il a fait ne peut pas justifier d’invalider ce choix.

40    Par conséquent, je conclus que l’objection de l’employeur relativement à ma compétence doit être accueillie et que le grief est rejeté.

41    Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

43    Le grief est rejeté.

Le 13 août 2010.

Traduction de la CRTFP

Beth Bilson,
arbitre de grief

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