Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait l’objet d’un diagnostic de trouble de stress post&shy;traumatique à la suite d’un incident s’étant produit sur les lieux de travail - par conséquent, il n’a pas pu reprendre son poste de technicien d’entretien d’aéronef au ministère des Transports (l’<< employeur >>) et a demandé un nouveau poste - il a demandé un poste à St.John’s (Terre-Neuve), étant donné qu’il ne peut se déplacer - par l’intermédiaire d’une de ses connaissances en poste au ministère des Pêches et Océans (MPO), ce dernier lui a offert un détachement d’un an, qui a été prolongé - pendant le détachement, le fonctionnaire a approfondi ses compétences en suivant des cours - son employeur a accepté de payer une partie des frais de scolarité, le MPO assumant le reste - le fonctionnaire s’estimant lésé a ensuite obtenu un détachement de trois ans à la Garde côtière canadienne et a poursuivi sa formation dans le domaine de la résolution de différends, en vue d’une réorientation professionnelle, en s’inscrivant à ses frais à un programme de maîtrise à la Royal Roads University; l’employeur a accepté de rembourser ses dépenses, après avoir initialement refusé - lorsqu’il a décidé de réaffecter ses ressources, l’employeur a aboli le seul poste pour lequel le fonctionnaire s’estimant lésé était apte et qualifié - l’employeur a prolongé la période de recherche d’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé et l’a informé qu’il était disposé à payer jusqu’à six mois de salaire à un employeur qui lui offrirait un poste permanent, mais le fonctionnaire s’estimant lésé n’a reçu aucune offre - l’employeur a alors envisagé de créer un poste pour le fonctionnaire s’estimant lésé, mais Santé Canada a déclaré que ce dernier n’était pas apte à l’occuper - le fonctionnaire s’estimant lésé a donc été forcé de rester à la maison jusqu’à ce qu’il obtienne son poste actuel au MPO, dans le domaine de la résolution de différends - il a déposé un grief et a demandé la restitution des crédits de congés de maladie et de congé annuel qu’il a utilisés pendant qu’il était à la maison et qu’il cherchait un emploi - l’arbitre de grief a conclu que les efforts déployés par l’employeur pour trouver un nouveau poste au fonctionnaire ne répondaient pas aux exigences découlant de son obligation de prendre des mesures d’adaptation - aucune preuve n’indique que l’employeur a informé les autres employeurs de son offre de payer six mois du salaire du fonctionnaire s’estimant lésé - l’employeur aurait pu faire davantage d’efforts pour aider le fonctionnaire à trouver un autre poste avant que celui-ci ait à utiliser ses congés - bien qu’étant incapable de trouver un autre poste pour le fonctionnaire s’estimant lésé, mais n’ayant pas à composer avec des contraintes excessives, l’employeur était le plus apte à porter le fardeau. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-06-17
  • Dossier:  566-02-1914
  • Référence:  2010 CRTFP 80

Devant un arbitre de grief


ENTRE

WILLIAM G. KELLY

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Transports)

employeur

Répertorié
Kelly c. Conseil du Trésor (ministère des Transports)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Joseph W. Potter, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
John Haunholter, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à St. John’s (Terre-Neuve),
du 2 au 4 mars 2010
(arguments écrits déposés le 29 mars et les 16 et 23 avril 2010).
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 William (Bill) Kelly, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), au moment où il a déposé son grief, était technicien d’entretien d’aéronef (TEA) et travaillait au ministère des Transports (l’« employeur ») à St. John’s, Terre-neuve. Ses fonctions, comme le montre sa description de travail (pièce G-10) consistaient notamment à effectuer des inspections et activités d’entretien prévues relativement à des aéronefs à voilure tournante (« hélicoptères »). Le fonctionnaire assurait aussi des services techniques au personnel navigant à bord de l’aéronef de l’employeur affecté au ministère des Pêches et Océans (MPO), à bord de navires de la Garde côtière canadienne et dans des bases terrestres. Comme on peut le constater, les fonctions du fonctionnaire concernaient strictement des hélicoptères. Il a commencé ses fonctions de TEA en 1987.

2 Un accident tragique est survenu en mai 2000. L’accident est décrit dans une lettre en date du 7 novembre 2007 envoyée au fonctionnaire par la Commission de la santé, de la sécurité et de l’indemnisation des accidents au travail (pièce G-9). Dans la lettre, l’incident est décrit comme suit :

[Traduction]

[…]

Dans le cadre de votre emploi, vous étiez tenu de faire l’aller-retour en hélicoptère à un phare. Vous le faisiez depuis environ une semaine. Après avoir atterri au phare le 10 mai 2000, le pilote est reparti tout seul et vous y a laissé en la compagnie d’un collègue. Une tragédie est survenue quelques minutes après le décollage quand l’hélicoptère a eu un accident et que votre collègue, le pilote, a trouvé la mort. Apparemment, vous-même et l’autre employé au phare avez pris connaissance de cette tragédie en entendant la nouvelle transmise par l’émetteur-récepteur de la garde côtière une trentaine de minutes plus tard.

[…]

3 À la suite de cette tragédie, le fonctionnaire a été diagnostiqué par un psychiatre, le Dr Anthony Walsh, comme souffrant d’un trouble de stress post-traumatique (pièce G-3). Par conséquent, le fonctionnaire n’a pu retourner à son poste de TEA.

4 L’employeur a fait face à une situation où il devait prendre des mesures d’adaptation et après une longue série d’événements, que je tenterai de décrire ici, le fonctionnaire avait le sentiment que l’employeur ne respectait pas ses obligations. Ainsi, le 16 février 2007, le fonctionnaire a déposé un grief (pièce G-8) dans lequel il faisait l’affirmation suivante : [traduction] « Je dépose un grief en raison du refus de la direction de respecter son obligation de prendre des mesures d’adaptation jusqu’à la contrainte excessive. »

5 La mesure correctrice demandée et énoncée dans le grief a été modifiée de vive voix par le représentant du fonctionnaire lors de l’audience d’arbitrage. La mesure correctrice demandée a été modifiée à [traduction] « […] rétablir les congés utilisés […] » et [traduction] « […] un dédommagement pour la douleur et la souffrance subies ». Je fournirai des explications concernant cette requête plus loin.

6 La partie pertinente de la convention collective signée par le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada le 14 mars 2005, est la clause 19.01, qui se lit en partie comme suit :

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

[…]

[Je souligne]

7 Les parties ont convenu que l’article 19 de la convention collective devrait être interprété en fonction des dispositions 3(1) et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), L.R.C. (1985) ch. H-6, étant libellées comme suit :

3.(1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

[…]

7.       Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects,

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu,

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[…]

[Je souligne]

8 Le fonctionnaire a communiqué, à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), un avis signifiant qu’au moment de l’arbitrage, il soulèverait une question concernant l’interprétation ou l’application de la LCDP. La CCDP a décidé de ne pas soumettre des arguments au sujet de la question soulevée par le fonctionnaire.

9 Personne n’a contesté l’incapacité du fonctionnaire et l’obligation correspondante de prendre des mesures d’adaptation. L’avocate de l’employeur a déclaré que ma compétence ne pouvait porter sur aucun aspect antérieur au 1er avril 2005. Il s’agit de la date à laquelle la loi actuelle, à savoir la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « LRTFP »), est entrée en vigueur. On m’a renvoyé à Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2006 CRTFP 56. Cette situation, comme celle du fonctionnaire, portait sur une période s’étendant avant et après le 1er avril 2005. L’arbitre de grief dans Lafrance a déterminé qu’il avait compétence pour la période commençant le 1er avril 2005.

10 Le représentant du fonctionnaire a déclaré que la réparation demandée par le fonctionnaire s’appliquait à l’année 2007, qui est l’année où le grief a été déposé. Des éléments de preuve seraient fournis pour une période antérieure au 1er avril 2005, mais uniquement pour bien décrire le contexte dans lequel s’insérait l’affaire.

II. Résumé de la preuve

11 En mai 2000, dans le cadre de ses fonctions de TEA, le fonctionnaire devait faire l’aller-retour en hélicoptère à un phare. Après avoir été déposé au phare le 10 mai 2000, le pilote est reparti tout seul, en laissant le fonctionnaire et un collègue au phare. Quelques minutes plus tard, l’hélicoptère a eu un accident et le pilote a été tué. Le fonctionnaire a pris connaissance de cette tragédie dans un message transmis par l’émetteur-récepteur de la Garde côtière canadienne une trentaine de minutes plus tard (pièce G-9).

12 On a offert du counseling à un grand nombre d’employés qui auraient pu être touchés par cette tragédie. Le fonctionnaire s’est entretenu avec le Dr Walsh et une conseillère, Patricia Rose. Le fonctionnaire était en congé pour accident de travail pendant 130 jours, et puis touchait des prestations d’accident de travail.

13 En février 2001, le directeur régional, Services des aéronefs, a écrit au fonctionnaire pour l’informer que la Direction des ressources humaines (RH) prendrait des arrangements avec Santé Canada pour faire effectuer une évaluation de son aptitude au travail (pièce E-2). En juillet 2001, la Direction des RH a écrit à Santé Canada pour lui demander d’effectuer une « Évaluation de l’aptitude au travail » du fonctionnaire (pièce G-12).

14 En septembre 2001, Santé Canada a répondu que [traduction] « […] nous sommes d’avis que M. Kelly n’est toujours pas apte au travail en tant que technicien d’entretien d’aéronef […] ». Un autre rendez-vous a été fixé pour établir [traduction] « […] quelles restrictions s’appliqueraient concernant sa nomination à un poste de rechange […] » (pièce G-13).

15 Durant cette période, le fonctionnaire bénéficiait d’une considérable intervention psychiatrique de la part de la conseillère. Il a appris qu’il était fort possible qu’il ne retourne pas à son poste d’attache. Il a réalisé qu’il se pourrait qu’il doive chercher un autre emploi.

16 Également durant la période qui a suivi la tragédie, un certain nombre des collègues du fonctionnaire dans un autre ministère du gouvernement, le MPO, ont communiqué avec lui pour savoir comment il se portait. Le directeur régional au MPO a même offert au fonctionnaire la possibilité de rencontrer des membres de son personnel dans le secteur des RH, étant donné que l’employeur n’avait pas un bureau des RH à St. John’s.

17 Le fonctionnaire avait hâte d’occuper un quelconque emploi, et ses contacts au MPO avaient une possibilité d’emploi à lui offrir où il pourrait se servir de son expertise dans le cadre d’un projet temporaire.

18 Le MPO a envoyé à l’employeur une lettre décrivant les fonctions primaires et précisant que le détachement serait d’une durée minimale d’un an, afin que le fonctionnaire puisse participer à un projet de dotation de la flotte (pièce G-14).

19 L’employeur a communiqué avec Santé Canada pour savoir si le fonctionnaire serait en mesure d’accomplir les fonctions (pièce G-16).

20 Santé Canada a décidé que le fonctionnaire avait l’aptitude requise pour participer à ce projet mais a déclaré que le fonctionnaire [traduction] « […] ne peut occuper le poste de technicien d’entretien d’aéronef, et cela risque d’être permanent […] » (pièce G-33).

21 Par conséquent, on a offert au fonctionnaire un détachement d’un an qui devait commencer en octobre 2001 (pièce G-19).

22 Il ne faisait aucun doute que le fonctionnaire se portait bien pendant son affectation à la Garde côtière canadienne. Il était heureux d’être de retour au travail et la Garde côtière canadienne était [traduction] « […] très satisfaite de la tournure des événements […] » (pièce G-20). En septembre 2002, le directeur régional de la Garde côtière canadienne a écrit au directeur régional du ministère des Transports pour lui faire savoir qu’il souhaitait prolonger l’affectation du fonctionnaire d’une période supplémentaire de six mois jusqu’en avril 2003 (pièce G-20). L’affectation a été prolongée ainsi.

23 Durant le détachement, le fonctionnaire a cherché à améliorer ses compétences et a suivi une formation de base en médiation ainsi que des cours ayant pour thème le leadership dans la fonction publique. Le coût total de cette formation était d’environ 9 000 $, et le fonctionnaire a demandé à l’employeur de payer cette somme. Quand le fonctionnaire a été informé par l’employeur qu’il n’approuverait que 500 $, la Garde côtière canadienne a payé le restant des coûts de formation du fonctionnaire.

24 En avril 2003, le fonctionnaire a subi une évaluation médicale. Le Dr Walsh a écrit ce qui suit le 8 avril 2003 (pièce G-2) :

[Traduction]

[…]

La présente vise à vous informer que M. Kelly a reçu des soins médiaux. À ce moment-ci, j’ai des préoccupations concernant son aptitude à retourner à son poste antérieur dans le domaine de l’entretien d’aéronefs.

[…]

25 Alors que le détachement du fonctionnaire touchait à sa fin, la Garde côtière canadienne s’est dite intéressée à le prolonger d’une année supplémentaire. Une réunion où cette possibilité serait discutée a été fixée au 2 mai 2003, entre John Butler, directeur régional, Garde côtière canadienne, et Jim Grant, directeur régional, Transports Canada - Aviation, qui représentait l’employeur. Le 25 avril 2003, M. Grant a envoyé un courriel à son superviseur lui demandant quelle était la position du ministère en ce qui concernait le partage des coûts liés au poste.

26 Le 30 avril 2003, Ron Armstrong, directeur général, Services des aéronefs, au ministère des Transports, a envoyé la réponse suivante par courrier électronique (pièce G-34) :

[Traduction]

[…]

Il appartient à la Garde côtière de décider comment elle souhaite le rémunérer, mais nous n’utiliserons pas des fonds de TC pour financer son détachement continu. Si la GCC souhaite y consacrer une partie des fonds de son budget réservé aux hélicoptères à Terre-Neuve et de puiser dans n’importe quel autre budget qui sert actuellement à lui verser un salaire, je n’ai aucune objection. Si la GCC ne peut appuyer son détachement continu strictement en utilisant ses propres fonds, Bill devra revenir à notre ministère et y être réintégré en tant que TEA affecté à l’entretien d’hélicoptères et devra s’occuper des deux aéronefs à la base de St. John’s. S’il refuse de le faire ou s’il a une note médicale qui indique qu’il en est incapable, nous devrons suivre alors les procédures voulues pour gérer la question.

[…]

27 Le 6 mai 2003, le fonctionnaire a été informé du fait que l’employeur ne fournirait pas des fonds supplémentaires et qu’on s’attendait à ce qu’il retourne au travail. Toutefois, avant son retour au travail, Santé Canada aurait à effectuer une autre évaluation médicale (pièce G-26).

28 La recherche par l’employeur d’un autre poste que pouvait occuper le fonctionnaire a été rendue plus difficile par le souhait personnel de ce dernier de demeurer à Terre-Neuve. Déjà en septembre 2001, le fonctionnaire a indiqué qu’il préférait ne pas déménager (pièce E-8). L’employeur ne disposait pas au départ d’un grand nombre de postes à St. John’s, et la tâche de trouver un autre emploi était donc très difficile selon Kevin Smith, gestionnaire régional, Entretien des aéronefs, région de l’Atlantique.

29 En mai 2003, l’employeur a écrit à Santé Canada pour demander une autre « Évaluation de l’aptitude au travail » du fonctionnaire (pièce G-27). Santé Canada a répondu en juin 2003, réponse qui est partiellement reproduite ci-dessous (pièce E-1) :

[Traduction]

[…]

J’ai reçu l’évaluation médicale concernant l’aptitude au travail de M. Kelly datée du 27 mai 2003, et M. Kelly est considéré comme inapte à occuper le poste de technicien d’entretien d’aéronef de façon permanente.

Il pourrait occuper un poste de rechange qui ne consisterait pas à travailler sur des pistes ou autour de pistes où l’on trouve différents aéronefs et où l’on entend les bruits associés à ces derniers. Il doit donc éviter d’être employé dans un environnement aéroportuaire.

Ces restrictions sont considérées comme permanentes.

[…]

30 Durant cette période, le fonctionnaire était à son domicile et cherchait d’autres types de travail. Il avait informé le MPO qu’il ferait n’importe quel type de travail, et le dossier du fonctionnaire avait été assigné à un employé au ministère.

31 Un autre détachement au MPO a été offert au fonctionnaire grâce à ses contacts. Le détachement était censé être d’une durée de trois ans, allant de juillet 2003 à juillet 2006. L’affectation devait être approuvée par l’employeur et, s’attendant à ce que cette approbation serait fournie sous peu, le fonctionnaire a commencé son détachement le 16 juillet 2003. Malheureusement, l’employeur ne l’avait pas approuvé à ce moment-là et le fonctionnaire est donc rentré chez lui et a attendu que l’entente de détachement soit signée. Elle a fini par être signée, et le fonctionnaire a entrepris son détachement d’une durée de trois ans.

32 Le fonctionnaire a continué de suivre une formation le préparant à une autre carrière, à savoir la résolution des conflits, puisqu’il avait réalisé qu’il ne retournerait pas à son poste d’attache de DEA. En février 2004, il a écrit à M. Armstrong pour demander si l’employeur lui fournirait des fonds qui lui permettraient d’obtenir une maîtrise ès arts en analyse et gestion des conflits à l’Université Royal Roads en Colombie-Britannique. Le coût du programme, incluant les frais de déplacement, était estimé à environ 26 000 $ (pièce G-31).

33 Cinq mois plus tard, M. Armstrong a répondu et a rejeté la demande de financement du fonctionnaire. Cette décision a été prise en partie parce qu’il n’y avait aucun poste et encore moins un poste vacant chez l’employeur auquel le fonctionnaire aurait pu être admissible à la suite de sa formation (pièce G-32). Au lieu de cela, le fonctionnaire a été prié de fournir un curriculum vitæ à jour et d’indiquer s’il était prêt à déménager. L’employeur a déclaré qu’une fois qu’il aurait reçu cette information, il chercherait activement un poste permanent pour le fonctionnaire.

34 Le fonctionnaire s’est inscrit au programme à l’Université Royal Roads à ses propres frais et a suivi la formation, qui exigeait sa présence sur place pendant un nombre fixe de semaines, ainsi que l’exécution de travaux par correspondance.

35 Répondant à la demande de l’employeur, le fonctionnaire a écrit ce qui suit (pièce E-30) : [traduction] « Je ne peux pas accepter un poste dans le cadre duquel je serais obligé de déménager, à cause de responsabilités personnelles/familiales. »

36 Le fonctionnaire a déclaré, durant son témoignage, qu’il s’occupait de ses parents âgés ainsi que de son fils handicapé, et qu’il ne pouvait pas déménager à l’extérieur de St. John’s pour occuper un nouveau poste.

37 Puis, l’employeur a fait des efforts pour faire connaître le fonctionnaire dans des ministères du gouvernement dans la région de St. John’s (pièces E-31 et G-35).

38 En juillet 2005, Kevin Smith s’est rendu en avion à Terre-Neuve pour y rencontrer le fonctionnaire. L’opinion générale était que la rencontre s’était bien déroulée. Ils ont parlé de la formation qu’avait suivie le fonctionnaire, qui a fourni une liste des frais approximatifs qu’il avait encourus. M. Smith l’a félicité pour cette initiative et est reparti avec les détails des dépenses pour voir si l’employeur serait disposé à couvrir les frais. Sa demande a été envoyée à M. Armstrong.

39 En septembre 2005, M. Armstrong a quitté le poste de directeur général et a été remplacé par Gerry Toupin, ancien TEA.

40 Il semble qu’à partir de ce moment-là, l’employeur ait répondu plus rapidement au fonctionnaire à propos de différents aspects. En novembre 2005, M. Toupin a écrit au fonctionnaire pour l’informer notamment qu’il serait préparé à [traduction] « […] appuyer un arrangement moins traditionnel en réponse aux problèmes dont vous souffrez à la suite de l’incident qui est survenu au travail, afin d’augmenter vos chances d’obtenir un emploi […] » (pièce G-38). M. Toupin a autorisé le remboursement des dépenses personnelles qu’avait engagées le fonctionnaire pour obtenir sa maîtrise de l’Université Royal Roads. Ainsi, un chèque de plus de 25 000 $ a été remis au fonctionnaire (pièce G-40). Les crédits de congé annuel pris par le fonctionnaire pour suivre le cours lui ont également été remboursés. De plus, M. Toupin s’est engagé à « faire connaître » le fonctionnaire au sein du gouvernement fédérale à St. John’s. Tout cela a été bien accueilli par le fonctionnaire.

41 Au début de 2006, le fonctionnaire a pris connaissance d’un poste vacant d’« agent de la sécurité nautique » chez l’employeur. Il a envoyé, à son conseiller en RH, un courriel renfermant l’affirmation suivante (pièce E-21) :

[Traduction]

[…]

En ce qui concerne le poste d’agent de la sécurité nautique, apparemment, la personne qui occupe le poste a réussi un concours à la GCC et a déménagé depuis. Cependant, j’ai appris que le poste existe toujours mais que les fonds ont été réaffectés ailleurs. Je possède les qualifications nécessaires pour le poste et j’envisagerais sérieusement de l’accepter s’il m’était offert.

[…]

42 Les services des RH ont informé le fonctionnaire qu’on avait décidé en avril 2005 de réaffecter les ressources ailleurs et que cela entraînerait une réduction du nombre des postes à St. John’s (pièce E-21). Cette décision avait été prise en dépit du fait que le gestionnaire du Bureau de la sécurité nautique maintenait que la charge de travail à St. John’s n’avait pas diminué (pièce E-21). Durant le contre-interrogatoire, M. Toupin a déclaré qu’il avait connaissance du poste d’agent de la sécurité nautique, mais qu’une décision avait été prise au niveau de la direction du ministère de réaffecter les fonds. La situation échappait à son contrôle.

43 M. Toupin a envoyé une lettre au fonctionnaire le 11 avril 2006, pour l’informer des efforts que l’employeur continuait de faire pour l’aider et qui incluaient une prolongation de la période de recherche d’un emploi, et donc du versement de son salaire, et des démarches faites auprès d’autres ministères du gouvernement pour trouver d’éventuelles possibilités d’emploi (pièce G-41). De plus, M. Toupin a informé le fonctionnaire qu’il était disposé à offrir six mois du salaire que touchait ce dernier à ce moment-là à un employeur qui lui offrirait un poste permanent (pièce G-41). L’employeur a aussi proposé de financer la formation du fonctionnaire, même si initialement, il avait refusé de le faire.

44 En juillet 2006, alors que le détachement de trois ans du fonctionnaire au MPO touchait à sa fin, M. Toupin a écrit au fonctionnaire et a réitéré sa proposition concernant la mesure d’incitation de six mois offerte à un employeur éventuel (pièce G-42). M. Toupin a également prolongé la période de recherche d’un emploi pour le fonctionnaire jusqu’au 1er octobre 2006, et, puis, jusqu’au 15 janvier 2007 (pièce G-43).

45 L’employeur a poursuivi ses efforts pour trouver un emploi qui convenait au fonctionnaire, tant au sein du ministère qu’en dehors de celui-ci (pièce E-22), mais en octobre 2006, il n’y avait encore rien de concret.

46 À la fin de l’automne 2006, M. Toupin envisageait de créer un poste pour le fonctionnaire dans le cadre duquel celui-ci remplirait un certain nombre de fonctions dans son secteur qui devaient normalement être accomplies à Ottawa. Conscient du choix personnel du fonctionnaire de rester à St. John’s, M. Toupin a créé un poste qui permettrait l’exécution de ces fonctions à St. John’s. M. Toupin, de concert avec le chef, Division de la planification de l’entretien, a élaboré une description de travail pour un poste intitulé « analyste des documents et publications d’analyse et de planification de l’entretien ». Le titulaire du poste travaillerait dans un édifice à St. John’s. Il s’agissait d’un poste de saisie de données consistant, entre autres, à entrer de l’information servant à planifier la maintenance requise d’un aéronef.

47 M. Toupin n’a pas envoyé la description de travail à Santé Canada pour savoir ce que le ministère pensait du poste proposé parce que, comme il l’a affirmé, il avait le sentiment qu’il avait respecté les limites connues du fonctionnaire. La description de travail a été envoyée au fonctionnaire le 21 décembre 2006, et la lettre d’accompagnement précisait que le poste commencerait le 22 janvier 2007. Étant donné que la période de recherche d’un emploi pour le fonctionnaire se poursuivait, il n’y avait aucune interruption de service (pièce G-44).

48 Lorsque le fonctionnaire a examiné l’offre d’emploi, il était d’abord ravi, parce qu’il n’y avait aucune fonction dans l’offre qu’il ne pouvait accomplir, sur le plan technique. Il a déclaré qu’il avait eu quelques réserves, puisque le poste était relié étroitement à certaines de ses activités précédentes, du point de vue des rapports à produire. Le fonctionnaire a consulté le représentant de son agent négociateur à propos de l’offre d’emploi, et ce dernier l’a informé que Santé Canada devait l’examiner et la commenter.

49 L’agent négociateur du fonctionnaire a écrit à M. Toupin le 8 janvier 2007, pour l’informer que les fonctions devraient être approuvées par Santé Canada avant que le poste puisse être offert au fonctionnaire (pièce G-45).

50 Pour accélérer le processus, le fonctionnaire a présenté une copie de la description de travail au Dr Walsh et lui a demandé son opinion quant à son aptitude à accomplir les fonctions. Le 15 janvier 2007, le Dr Walsh a fourni une réponse, qui renfermait l’affirmation suivante (pièce G-3) :

[Traduction]

[…]

Je suis d’avis que le trouble anxieux dont souffre ce monsieur pourrait l’exposer à une décompensation et je recommande que Santé Canada procède à un examen médical aux fins d’une évaluation plus approfondie avant que l’offre d’emploi proposée soit faite à M. Kelly.

[…]

51 La lettre du Dr Walsh a ensuite été envoyée par télécopieur à M. Toupin.

52 M. Toupin a écrit au fonctionnaire le 17 janvier 2007 pour lui indiquer qu’on préparerait une recommandation à Santé Canada. Le fonctionnaire a été prié de remplir un formulaire de congé pour demander un congé qui commencerait le 22 janvier 2007. C’est cette période de congé qui fait l’objet du grief qui m’a été soumis.

53 Le fonctionnaire a recommuniqué avec le représentant de son agent négociateur, qui lui a dit de remplir le formulaire de congé afin de s’assurer qu’il continuerait à être rémunéré. Le fonctionnaire a obtempéré (pièce G-47).

54 En février 2007, M. Toupin a écrit à Santé Canada pour lui fournir un historique de la situation du fonctionnaire et lui indiquer le poste offert à ce dernier. La communication de M. Toupin renfermait la déclaration suivante (pièce G-48) : [traduction] « Nous estimons que ce poste est tout à fait dans les limites énoncées dans votre recommandation datée du 12 juin 2003 […]. » Il a demandé à Santé Canada de réévaluer le fonctionnaire et de [traduction] « [b]ien vouloir indiquer si ce poste serait considéré comme approprié, du point de vue médical […] ».

55 En avril 2007, Santé Canada a envoyé à M. Toupin une réponse qui précisait notamment que le fonctionnaire [traduction] « […] est considéré comme inapte à occuper le poste d’analyste des documents et publications d’analyse et de planification de l’entretien […] » (pièce G-51).

56 À partir de janvier 2007, le fonctionnaire était à la maison et cherchait un travail. En mai 2007, l’employeur a envoyé au fonctionnaire un courriel l’informant que le MPO affichait des postes de conseillers régionaux, Résolution des conflits, à différents endroits, y compris un poste dans les Maritimes (pièce E-16). Les contacts du fonctionnaire au MPO lui avaient parlé de cette possibilité d’emploi, et le fonctionnaire a présenté une demande de participation au concours.

57 Le 5 octobre 2007, le fonctionnaire s’est vu offrir un poste de conseiller régional, Résolution précoce des conflits, au MPO à St. John’s (pièce E-18). Le fonctionnaire a accepté le poste et est entré en fonction le 5 novembre 2007.

58 On ne conteste aucunement le fait que le fonctionnaire avait été obligé d’utiliser 157,7 jours de congé de maladie et 40,2 jours de congé annuel jusqu’au moment où il a commencé à travailler pour le MPO. Il s’agit de la période dont le titulaire demande la réattribution dans son grief.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

59 Il s’agit d’une situation qui porte sur le concept de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Le droit est solidement établi dans ce domaine. Lorsque l’agent négociateur a présenté une preuve prima facie que des mesures d’adaptation s’imposent, c’est à l’employeur qu’il incombe de montrer qu’il a tout fait en son pouvoir jusqu’à la contrainte excessive. Il s’agit d’une obligation imposée.

60 Selon l’article 19 de la convention collective, l’employeur ne peut se livrer à de la discrimination à l’encontre d’un employé en raison de son incapacité mentale ou physique. Personne ne conteste que l’article 19 s’appliquait au fonctionnaire.

61 L’employeur a placé le fonctionnaire en congé de maladie et lui a demandé d’utiliser ses crédits de congé annuel. Dans les deux cas, il s’agit d’avantages mérités et rien ne justifie cette façon de procéder de la part de l’employeur. Le fonctionnaire a rempli le formulaire parce qu’il estimait qu’il s’agissait de la seule manière de continuer à toucher son salaire. Or, cela n’est pas conforme à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation et est une pratique discriminatoire.

62 L’objectif d’une mesure d’adaptation est de répondre à l’incapacité de l’employé de fonctionner dans son milieu de travail. Le fonctionnaire n’était pas invalide. Il n’était pas apte à accomplir un travail particulier, mais il pouvait accomplir une autre fonction.

63 Le représentant du fonctionnaire a soutenu que nulle part, il y a une disposition qui permet l’utilisation des crédits de congé ainsi. Une telle pratique ne constitue pas une mesure d’adaptation.

64 La preuve n’a révélé aucun poste qui aurait été approuvé par Santé Canada comme pouvant convenir au fonctionnaire.

65 En l’espèce, il n’est pas possible d’affirmer qu’un effort diligent a été fait par l’employeur pour trouver un emploi qui convenait au fonctionnaire. La question est la suivante : l’employeur peut-il prouver qu’il ne pouvait prendre des mesures d’adaptation sans aller jusqu’à la contrainte excessive? Il n’y a aucune preuve de contrainte, voire de contrainte excessive.

66 Le poste d’agent de la sécurité nautique est un poste qui aurait pu être offert au fonctionnaire sans qu’il y ait contrainte excessive. Aucune preuve n’a été présentée pour montrer pourquoi il ne s’agissait pas d’une option viable.

67 Le représentant du fonctionnaire a affirmé qu’il y avait eu violation de l’article 19 de la convention collective et qu’un arbitre de grief a le droit d’examiner les mesures à prendre en réponse à cette violation. L’aspect problématique dans le cas du fonctionnaire était son obligation de prendre des congés.

68 De plus, il faut envoyer un message à l’employeur qu’une violation est une violation. Le représentant du fonctionnaire a demandé qu’une telle déclaration soit faite et que je me penche sur la question des dommages-intérêts à prévoir.

B. Pour l’employeur

69 Il s’agit d’une situation où l’employeur examinait les mesures d’adaptation qu’il pouvait prendre à l’égard d’un employé qui pendant 20 ans avait occupé le poste de TEA. Puis, tout à coup, les documents médicaux ont montré que le fonctionnaire ne pouvait plus accomplir les fonctions d’un TEA. L’évaluation médicale effectuée en 2003 par Santé Canada précisait que le fonctionnaire était inapte à occuper le poste de TEA, de façon permanente. Il fallait que le fonctionnaire évite de travailler dans un environnement aéroportuaire (pièce E-1). Il s’agissait de la restriction connue qui devait être respectée par l’employeur, et cette restriction est demeurée inchangée.

70 L’employeur devait déterminer ce qu’il pouvait faire pour le fonctionnaire. Ce qu’il a fait est qu’il lui a fourni des fonds pour rembourser les frais qu’il avait encourus pour obtenir une maîtrise, lui a offert de la formation professionnelle, l’a autorisé à participer à des ateliers et a appuyé ses détachements. Cette dernière mesure a certainement aidé le fonctionnaire à étendre son réseau de contacts.

71 Il n’y avait aucun poste pour le fonctionnaire chez l’employeur à Terre-Neuve. Le fait que l’employeur a essayé d’en trouver un mais que ses efforts étaient vains montre qu’il n’y avait simplement pas de postes disponibles.

72 Le fonctionnaire avait imposé une restriction personnelle en ce sens qu’il souhaitait rester à St. John’s. La preuve montre que M. Toupin aurait pu trouver un autre poste pour le fonctionnaire s’il n’y avait pas eu cette restriction personnelle, que l’employeur a décidé de respecter.

73 La jurisprudence montre que l’employeur n’est pas obligé de créer un poste dans une situation où il doit prendre des mesures d’adaptation. Ce que M. Toupin a fait dans ce cas-ci était à la limite extrême de cette obligation, car il a créé pour le fonctionnaire quelque chose qui tenait compte de ses restrictions médicales connues, et qui répondait à son souhait personnel de demeurer à St. John’s. Il s’agissait là d’un effort honnête de faire quelque chose pour le fonctionnaire.

74 La question des congés de maladie est visée par la clause 39.02 de la convention collective. La clause précise qu’un employé doit utiliser des crédits de congé de maladie lorsqu’il ne peut accomplir les fonctions de son poste et qu’un certificat médical le confirme. En janvier 2007, quand le fonctionnaire a pris son congé de maladie, c’était la situation à laquelle faisait face l’employeur. Selon la preuve médicale, le fonctionnaire ne pouvait accomplir les fonctions de son poste. Par conséquent, le fait pour lui de prendre des congés de maladie était tout à fait approprié. Il en était de même pour les crédits de congé annuel.

75 Dans Sioui c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 44, une situation similaire s’est présentée en ce sens que le fonctionnaire souffrait de stress post-traumatique et ne pouvait réoccuper son poste. L’employé a suivi un recyclage, mais le Service n’a pas réussi à trouver un poste pour lui et a mis fin à son emploi. En rejetant le grief, l’arbitre de grief a écrit ce qui suit :

[…]

[75] L’application de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation a été interprété dans l’arrêt (Colombie-Britannique) Public Service Employee Relations Commission c. British Columbia Government and Service Employees’ Union (BCGSEU), [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin) (paragr. 54) et se résume à ce qui suit. Lorsque l’employeur applique une règle de travail, il doit la justifier en démontrant que : 1) la règle est rationnellement liée à l’exécution du travail en cause; 2) la règle a été adoptée parce qu’elle est nécessaire à la réalisation du but légitime de ce travail; 3) la règle est raisonnablement nécessaire à l’accomplissement du travail. L’employeur doit pouvoir démontrer qu’il ne peut composer avec des employés qui ont les mêmes caractéristiques sans subir une contrainte excessive.

[76] Les normes développées dans Meiorin ont établi un régime permettant d’évaluer le but légitime d’une règle de travail et l’intention de l’employeur au moment de l’adopter, pour déterminer si elle a un fondement. À ces normes s’est aussi ajouté un test, dit de rationalité, servant à évaluer si la règle était vraiment nécessaire dans le contexte du travail en question. Les tribunaux ont aussi décidé que les normes doivent être appliquées avec souplesse et bon sens : Meiorin, paragr. 63; Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525, p. 546, et Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489, p. 520-521 et Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, paragr. 15.

[…]

Plus loin, l’arbitre de grief a fait l’affirmation suivante :

[…]

[87] En raison de l’analyse des décisions de nos tribunaux ci-devant, je dois conclure que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’est pas sans limite et qu’elle n’est pas à sens unique. Elle implique pour l’employeur d’étudier la possibilité de modifier les exigences professionnelles de l’emploi en vue de faciliter le retour au travail de l’employé, ou en faisant des efforts sérieux pour lui trouver un travail alternatif. L’employeur ne peut refuser d’aider le fonctionnaire à réintégrer son travail à moins de pouvoir justifier que l’adaptation de l’exigence professionnelle lui imposerait une contrainte excessive. De son côté, l’employé doit faire preuve de collaboration et d’ouverture d’esprit à l’égard des démarches entreprises par son employeur pour trouver une solution à son retour au travail.

[…]

L’arbitre de grief a conclu que l’employeur avait rempli son obligation de prendre des mesures d’adaptation et a rejeté le grief.

76 Le fait de demander à un employé d’épuiser ses crédits de congé de maladie n’est pas discriminatoire. Dans Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2009 CRTFP 113, il y avait un exposé conjoint des faits qui renfermait le bout de phrase suivant (page 3, troisième point) : « […] il est reconnu que Mme Lafrance a utilisé ses congés annuels ainsi que ses congés de maladie payés pour la période d’avril 2006 à juillet 2006. »

L’arbitre de grief a ajouté ceci aux paragraphes 113 et 114 :

[113] Si la responsabilité première de trouver un arrangement raisonnable pour aider un employé ayant des limitations fonctionnelles repose sur les épaules de l’employeur, cette responsabilité n’en est pas une de créer de toutes pièces un poste sans tenir compte des besoins opérationnels. La Cour suprême du Canada, dans Hydro-Québec, a clairement indiqué que le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé. La Cour suprême a spécifié que l’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de la fonctionnaire pour lui permettre de fournir sa prestation de travail.

[114] Dans la présente affaire, la preuve montre que l’employeur a mis en œuvre les moyens nécessaires et appropriés pour trouver un arrangement raisonnable pour Mme Lafrance durant la période visée par les présents griefs, jusqu’à la contrainte excessive. Ces efforts ont permis d’identifier, à certains moments, du travail pouvant être effectué en situation de télétravail. Cette exigence de télétravail à temps plein posait toutefois un obstacle important à la recherche d’une solution à la situation de Mme Lafrance. La preuve a établi clairement que le télétravail à temps plein n’était pas disponible de façon continue et soutenue, même après avoir décortiqué les tâches du poste de Mme Lafrance, et avoir envisagé l’ajout de travail provenant d’autres secteurs, d’avoir étendu la recherche à toutes les régions de Statistique Canada ainsi qu’à d’autres ministères.

Le grief a été rejeté.

77 Dans Ricafort c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-17422 (19881129), le point principal de l’argumentation était que si l’employé n’est pas apte au travail, il se peut que l’employeur doive le placer en congé de maladie. C’est exactement ce qui s’est produit dans ce cas-ci.

78 Le fonctionnaire doit prouver que l’employeur n’a pas respecté l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à son égard. Aucun détail n’a été fourni en l’espèce en ce qui concerne le non-respect de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. La preuve montre que même après le dépôt du grief, l’employeur continuait de respecter son obligation de prendre des mesures d’adaptation, comme en témoigne le courriel informant le fonctionnaire de l’avis de poste au MPO.

79 Dans ce cas-ci, on n’a pas atteint le seuil fixé pour la douleur et la souffrance. De plus, le redressement demandé par le fonctionnaire ne peut être décidé par un arbitre de grief puisque le fonctionnaire a obtenu un emploi ailleurs. Le fonctionnaire n’a pas subi de perte monétaire.

80 Peu après la conclusion de l’audience, l’avocate de l’employeur m’a renvoyé à une décision récente de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») dans Zaytoun c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2010 CRTFP 35. Les deux représentants ont soumis des arguments écrits au sujet de l’affaire.

IV. Motifs

81 La question à trancher en l’espèce est assez simple. Aurait-on dû obliger le fonctionnaire à utiliser ses crédits de congé de maladie et de congé annuel à partir de janvier 2007 à un moment où l’employeur était obligé de prendre des mesures d’adaptation?

82 Il y a eu de nombreux cas portant sur la prise de mesures d’adaptation en milieu de travail, qui est un principe qui est au cœur de la législation sur les droits de la personne et qui a été appliqué par la Commission. Un certain nombre de décisions portent sur le refus de l’employeur de continuer à employer un employé et sur le grief déposé par ce dernier qualifiant le licenciement de discriminatoire. Le cas devant moi est quelque peu différent en ce sens que le résultat final n’est pas un licenciement. Cependant, le pouvoir de trancher cette question trouve son origine dans les mêmes dispositions de la LRTFP, à savoir le paragraphe 208(2) et l’article 226.

83 Pour l’essentiel, les faits de cette affaire ne sont pas contestés. L’employeur a reconnu qu’il avait une obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire à la suite d’une tragédie qui était survenue au travail et qui faisait que le fonctionnaire n’était pas en mesure d’accomplir ses fonctions. Tant le fonctionnaire que l’employeur ont fait des tentatives pour trouver un autre emploi et au bout du compte, le fonctionnaire a réussi à obtenir un poste dans un autre ministère du gouvernement.

84 La preuve non contestée montre qu’après le décès en mai 2000, le fonctionnaire a quitté son travail et était en congé et touchait des indemnités pour accident du travail jusqu’au moment où, grâce à ses propres contacts, il a obtenu son premier détachement à la Garde côtière canadienne, qui fait partie du MPO.

85 La Garde côtière canadienne a envoyé une liste des fonctions qu’accomplirait le fonctionnaire à l’employeur, qui l’a communiquée à Santé Canada et a demandé qu’une « Évaluation de l’aptitude au travail » soit effectuée pour le fonctionnaire. Santé Canada a répondu que le fonctionnaire était apte et pouvait être affecté au projet, et le fonctionnaire a commencé un détachement d’un an le 11 octobre 2001.

86 La preuve montre que déjà en avril 2001, l’employeur tentait de trouver un autre poste pour le fonctionnaire, mais qu’il n’y avait rien de disponible (pièce E-23).

87 Le détachement d’un an a été prolongé de six mois et a pris fin en avril 2003. Durant cette période, le fonctionnaire a également fait des études et a suivi une formation dans le domaine de la médiation et s’est inscrit à un programme de formation en leadership. Le coût de cette formation s’élevait à environ 9 000 $ et durant son témoignage non contesté, le fonctionnaire a précisé que l’employeur avait approuvé la somme de 500 $ pour cette formation et que la Garde côtière canadienne avait financé le reste.

88 La Garde côtière canadienne et l’employeur ont discuté de la possibilité de prolonger davantage le détachement du fonctionnaire, à condition que l’on discute du partage des coûts de sa formation et de son salaire, comme en témoigne un courriel daté du 25 avril 2003 (pièce G-34). M. Armstrong a répondu le 30 avril 2003 qu’il appartenait à la Garde côtière canadienne de décider comment elle souhaitait rémunérer le fonctionnaire, mais que l’employeur ne se servirait pas de ses fonds pour appuyer la prolongation du détachement (pièce G-34).

89 Par conséquent, le détachement a pris fin et l’employeur a demandé à Santé Canada de procéder à une autre « Évaluation de l’aptitude au travail » pour déterminer si le fonctionnaire [traduction] « […] pourrait éventuellement retourner à son poste antérieur de technicien d’entretien d’aéronef […] » (pièce G-27).

90 En juin 2003, Santé Canada a informé l’employeur que le fonctionnaire devait être considéré de façon permanente comme inapte à occuper son poste d’attache de TEA. La lettre précisait aussi qu’il fallait que le fonctionnaire évite de travailler dans un environnement aéroportuaire.

91 Le fonctionnaire a continué de se faire connaître et à la suite de ses efforts, la Garde côtière canadienne lui a offert un détachement de trois ans, de 2003 à 2006. Une liste des fonctions a été envoyée à l’employeur pour approbation en juillet 2003, et les fonctions ont fini par être approuvées en octobre 2003. Le fonctionnaire a entamé son deuxième détachement en juillet 2003, en s’attendant à ce que l’employeur l’approuve immédiatement. Malheureusement, l’employeur a tardé à fournir son approbation et il a fallu envoyer le fonctionnaire à la maison en attendant que les documents nécessaires soient établis.

92 Durant son deuxième détachement, le fonctionnaire a continué à développer son nouvel intérêt pour la médiation et a cherché à obtenir de l’employeur des fonds qui lui permettraient de suivre un cours qui aboutirait à une maîtrise en analyse des conflits. Il était estimé que le coût du cours s’élevait à 27 000 $, et M. Armstrong a rejeté la requête du fonctionnaire dans une lettre datée du 12 juillet 2004.

93 Le fonctionnaire s’est quand même inscrit au programme de maîtrise et a obtenu un diplôme en novembre 2006.

94 Tout au long du deuxième détachement du fonctionnaire, l’employeur a poursuivi ses efforts pour lui trouver un autre emploi. Il n’était aucunement contesté qu’une restriction personnelle imposée par le fonctionnaire était son souhait de demeurer à St. John’s. Le fonctionnaire s’occupait de ses parents âgés et de son fils handicapé, et il a indiqué clairement qu’il n’était pas mobile. Il va de soi que cela limitait le nombre des postes que le fonctionnaire aurait pu occuper. Toutefois, l’employeur a fait des efforts pour trouver un autre emploi pour le fonctionnaire.

95 En septembre 2005, M. Toupin, ancien TEA, a remplacé M. Armstrong. M. Toupin a rencontré le fonctionnaire en novembre 2005 pour discuter avec lui d’un certain nombre de questions, et notamment pour réexaminer la possibilité de lui rembourser le coût de sa participation au programme de maîtrise. L’employeur a fini par rembourser le fonctionnaire en lui versant une somme supérieure à 25 000 $ pour l’aider à payer l’obtention de sa maîtrise en analyse des conflits. M. Toupin a également offert au fonctionnaire la possibilité de suivre un cours sur la recherche d’un emploi devant lui permettre d’améliorer ses compétences dans le cadre des entrevues. De plus, l’employeur continuerait de faire connaître le fonctionnaire à St. John’s. L’opinion générale était qu’il s’agissait d’une rencontre positive.

96 Au début de 2006, le fonctionnaire a pris connaissance d’un éventuel poste vacant au ministère des Transports dans le domaine de la sécurité maritime. Le poste, celui d’agent de la sécurité nautique, se trouvait à St. John’s, et le fonctionnaire a déclaré qu’il possédait les qualifications nécessaires pour l’occuper et qu’il envisagerait sérieusement de l’accepter si on le lui proposait (pièce E-21).

97 M. Toupin a été informé de l’intérêt du fonctionnaire à l’égard du poste et a appris de la Direction des RH de l’employeur que les ressources dans ce secteur avaient été réaffectées et qu’il n’y avait aucun poste de disponible (pièce E-21). Lors de son témoignage, M. Toupin a expliqué que la situation échappait à son contrôle, puisque la décision de réaffecter les ressources avait été prise au plus haut niveau de la direction, un niveau dont il ne faisait pas partie.

98 Il n’est aucunement contesté que M. Toupin a poursuivi ses efforts pour faire connaître le fonctionnaire. En fait, en avril 2006, M. Toupin a même pris une mesure qui à juste titre pourrait être décrite comme extraordinaire puisqu’il a informé le fonctionnaire que l’employeur offrait, à tout employeur potentiel, six mois du salaire que touchait le fonctionnaire à ce moment-là en échange de l’offre d’un poste permanent. Malheureusement, les efforts faits pour trouver un emploi n’aboutissaient pas.

99 En juillet 2006, le détachement de trois ans s’est terminé et aucun emploi de rechange convenable n’avait été trouvé pour le fonctionnaire. Durant la période allant du moment où le fonctionnaire était devenu incapable d’accomplir les fonctions de son poste de TEA en 2000 jusqu’en juillet 2006, lorsque le détachement de trois ans à la Garde côtière canadienne a pris fin, l’employeur n’a offert aucun emploi au fonctionnaire. Le travail accompli par le fonctionnaire l’avait été pour un autre ministère du gouvernement et les affectations étaient de durée limitée et étaient le fruit des efforts que le fonctionnaire avait lui-même déployés pour trouver un autre emploi. M. Toupin a prolongé la période de recherche d’un emploi pour le fonctionnaire, d’abord jusqu’en octobre 2006 puis jusqu’en janvier 2007. L’effet de cette mesure était de maintenir le salaire du fonctionnaire sans qu’il soit nécessaire pour lui d’utiliser ses crédits de congé.

100 M. Toupin a poursuivi ses efforts visant à trouver un emploi pour le fonctionnaire et a réussi à créer ce qui pourrait être le mieux décrit comme un amalgame de travaux qui devaient être effectués, et un poste de durée indéterminée a été défini pour le fonctionnaire. M. Toupin a déclaré que le travail devait se faire initialement à Ottawa, mais que le lieu de travail avait été changé à St. John’s pour aider à respecter le souhait du fonctionnaire de demeurer à cet endroit. Une description de travail a été envoyée au fonctionnaire le 21 décembre 2006 et on lui a offert le poste.

101 Personne ne conteste que M. Toupin n’avait pas envoyé la description de travail à Santé Canada avant d’offrir le poste au fonctionnaire. M. Toupin a expliqué qu’il avait le sentiment que le contenu du poste était conforme à l’évaluation du milieu de travail effectuée par Santé Canada pour le fonctionnaire.

102 Le représentant de l’agent négociateur du fonctionnaire a informé ce dernier et l’employeur que la description de travail aurait dû être vérifiée par Santé Canada pour établir si le fonctionnaire pouvait accomplir le travail sans que cela nuise à sa santé. Après l’avoir examiné, Santé Canada a fait savoir que le fonctionnaire ne pouvait pas en fait occuper ce poste pour des raisons de santé. Puis, le fonctionnaire a été placé en congé de maladie et congé annuel pendant que la recherche d’un emploi se poursuivait. Heureusement, tout cela s’est bien terminé pour le fonctionnaire, puisqu’il a fini par accepter, en novembre 2007, un poste de conseiller régional, Règlement précoce des conflits, au MPO.

103 L’employeur a-t-il omis de prendre les mesures d’adaptation voulues en exigeant que le fonctionnaire utilise ses crédits de congé de maladie et de congé annuel en 2007?

104 L’arbitre de grief a statué ce qui suit dans Sioui :

[…]

[81]  Par ailleurs, la Cour divisionnelle de l’Ontario a soutenu dans ADGA Group Consultants Inc. c. Lane, (2008) 91 O.R. (3d) 649 (voir aussi Lane v. ADGA Group Consultants Inc., 2007 HRTO 34 (CanLII)), que l’employeur a le fardeau de la preuve de démontrer tant objectivement que subjectivement qu’il a été impossible d’accommoder un employé. […]

[…]

105 La responsabilité primaire concernant la prise de mesures d’adaptation pour le fonctionnaire appartient à son ministère d’attache, le ministère des Transports. Alors que le fonctionnaire a un rôle à jouer dans ces situations, la responsabilité primaire incombe à l’employeur. Quelles mesures a-t-il prises à cet égard, et étaient-elles suffisantes? Un examen de la preuve révèle que le fonctionnaire lui-même a pris les arrangements nécessaires pour obtenir des détachements au MPO, par l’entremise de ses contacts. C’est le fonctionnaire qui s’est inscrit à des cours et qui les a payés, et c’est lui qui s’est fait connaître auprès de la Garde côtière canadienne. En réalité, si l’on se fonde sur la preuve, on peut dire que c’est le fonctionnaire qui s’est essentiellement occupé de prendre ses propres mesures d’adaptation. L’employeur avait un poste dont les fonctions auraient pu être accomplies par le fonctionnaire, et il s’agissait du poste d’ASN. Or, la preuve a révélé que les fonds attribués à ce poste avaient été retirés par le ministère, mais il n’y a aucun élément de preuve selon lequel on aurait pris en considération l’impact de cette décision de financement sur le fonctionnaire. À mon avis, les efforts faits par l’employeur pour faire connaître le fonctionnaire étaient insuffisants par rapport à son obligation de prendre des mesures d’adaptation, c’est-à-dire des mesures d’adaptation allant jusqu’à la contrainte excessive.

106 Je note également que M. Toupin a fait ce que l’on pourrait le mieux décrire comme une offre très généreuse consistant à fournir à un employeur futur jusqu’à six mois du salaire que touchait le fonctionnaire à l’époque pour compenser les coûts associés à une offre d’emploi. Cette information a été communiquée au fonctionnaire, mais il n’y a aucune preuve que l’employeur en a informé d’autres employeurs. Peut-être que si le MPO ou un autre employeur à St. John’s l’avait su, une offre aurait été faite. L’employeur aurait pu faire plus d’efforts pour faire connaître le fonctionnaire avant de l’obliger à utiliser ses congés. Peu importe si une telle action aurait porté fruit, l’employeur avait quand même le devoir de faire connaître le fonctionnaire et son omission d’informer les employeurs éventuels de cette offre salariale signifie qu’il n’a pas pris les mesures d’adaptation voulues à l’égard du fonctionnaire. Ceci dit, il n’y a aucun doute dans mon esprit que des efforts honnêtes ont été faits pour trouver un poste pouvant être occupé par le fonctionnaire, particulièrement de la part de M. Toupin. Cependant, même si ces efforts ont été faits honnêtement, ils n’allaient pas assez loin.

107 Le poste que M. Toupin a offert au fonctionnaire en décembre 2006 était un poste que le fonctionnaire ne pouvait occuper pour des raisons médicales, selon Santé Canada. Bien que je crois que M. Toupin a fait l’offre en toute bonne foi, le fait demeure que le poste aurait dû être vérifié par Santé Canada avant d’être offert au fonctionnaire. Si on l’avait fait, M. Toupin aurait découvert qu’il ne s’agissait pas d’un poste qu’il pouvait offrir au fonctionnaire et on aurait évité la déception qu’ont ressentie par la suite M. Toupin et le fonctionnaire. De plus, si l’on avait procédé ainsi dès le départ, on aurait peut-être gagné du temps et on aurait pu diriger les efforts vers la recherche d’un emploi que le fonctionnaire aurait pu occuper. En dernière analyse, je ne pense pas qu’il y avait de la mauvaise foi chez M. Toupin lorsqu’il a offert ce poste sans d’abord vérifier auprès de Santé Canada. À mon avis, il pensait sincèrement que l’offre était dans les limites des fonctions pouvant être accomplies par le fonctionnaire. Malheureusement, cela n’était pas le cas. Toutefois, le résultat en a été que le ministère a exigé que le fonctionnaire utilise ses crédits de congé. Si M. Toupin avait envoyé la description de travail pour le poste proposé à Santé Canada aux fins d’évaluation à l’automne de 2006, la réponse aurait été obtenue plus tôt et il est possible que le fonctionnaire n’aurait pas été obligé d’utiliser ses crédits de congé. Je statue que cette situation, dans les circonstances très particulières entourant ce cas, constitue une omission de la part de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation.

108 Tandis que l’employeur a offert du counselling au fonctionnaire, a fait effectuer des évaluations concernant le travail qu’il pouvait accomplir, a fait des efforts pour le faire connaître et a fini par lui rembourser les dépenses de formation que le fonctionnaire lui-même avait engagées malgré le refus de l’employeur de le soutenir, il n’a pas pris de mesures d’adaptation jusqu’à la contrainte excessive. En réalité, comme je l’ai affirmé plus haut, c’est le fonctionnaire qui s’est essentiellement occupé de prendre ses propres mesures d’adaptation.

109 L’employeur a présenté quelques éléments de preuve selon lesquels, sachant que le détachement du fonctionnaire à la Garde côtière canadienne se terminerait en un peu plus d’un an, il a commencé à examiner quelles démarches il ferait pour trouver un autre poste pouvant être occupé par le fonctionnaire. Cependant, alors que cette preuve renferme une mention de la part de l’employeur de ce qui devrait être fait durant cette période, à l’exception de l’élément de preuve concernant le poste d’ASN, il n’y avait aucun élément de preuve indiquant si une quelconque personne en dehors du ministère des Transports avait été contactée et à quel moment, ou même quels ministères avaient été pris en considération ou contactés et quelle forme ces contacts revêtaient. Les éléments de preuve concernant les efforts faits par l’employeur durant 2005 et 2006 étaient insuffisants, et je considère que l’employeur n’a pas réellement prouvé, dans ce cas particulier, qu’il avait rempli sa responsabilité et avait fait des efforts, jusqu’à la contrainte excessive, afin de trouver un emploi pour le fonctionnaire.

110 Les actions de l’employeur étaient mêmes, à certains moments, contraires à l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation. Au début, il a refusé d’appuyer les efforts faits par le fonctionnaire pour suivre une nouvelle formation. Au début, il a refusé de verser le salaire du fonctionnaire durant son détachement à la Garde côtière canadienne, il a retardé la signature d’une entente de détachement et il n’a fourni aucun élément de preuve selon lequel il aurait informé les employeurs potentiels de son engagement à payer une portion du salaire du fonctionnaire.

111 Si je commets une erreur en arrivant à cette conclusion en me fondant sur la preuve, je conclurais aussi qu’en dépit des efforts déployés par le fonctionnaire et l’employeur, il semble que les deux parties se soient heurtées à un mur, pour ainsi dire, lors des tentatives faites pour trouver un autre emploi. La question qu’il faut alors se poser est qui est le mieux placé pour assumer les frais quand on se heurte ainsi à un mur. L’employeur, ayant décidé qu’il n’avait pas atteint le seuil de la contrainte excessive (car sinon il l’aurait licencié pour invalidité, comme il avait menacé de le faire initialement) et étant disposé à poursuivre la recherche, devrait également assumer le coût de la période où le fonctionnaire était à son domicile et ne travaillait pas. Dans cette affaire, cela constituerait une forme d’adaptation.

112 L’avocate de l’employeur a fait valoir que le présent cas est similaire à Sioui et que je devrais arriver à la même conclusion. En toute déférence, je ne suis pas d’accord. Au paragraphe 95 de Sioui, l’arbitre de grief a écrit ce qui suit :

[95] Le fonctionnaire n’a apparemment pas pris cette chance au sérieux. À compter de mars 2007, il s’est dit disponible pour un emploi à l’extérieur de la région de Québec, mais a dit à Mmes Houle et de Lottinville que ce qu’il recherchait vraiment était la réintégration de son poste d’agent correctionnel. Il a refusé toute aide de Mme de Lottinville. Entre le moment de sa réintégration le 19 avril 2007, et son licenciement définitif le 17 octobre 2007, il n’y a aucune preuve que M. Sioui ait fait des démarches sérieuses de recherche d’emploi au sein du Service correctionnel ou dans tout autre ministère de la fonction publique fédérale. Encore une fois, il ne s’est pas présenté à une rencontre stratégique pour faire une mise au point de son dossier, ni n’a donné suite à la lettre du directeur du pénitencier lui demandant de faire connaître ses intentions.

113 À mon avis, ce cas est très différent du cas examiné ici. Le fonctionnaire n’a jamais demandé la réintégration à son poste de TEA. Il a accepté toute aide offerte par l’employeur et il a fait de sérieux efforts pour trouver un emploi. Je ne crois pas que les deux cas sont similaires.

114 Dans Lafrance, l’arbitre de grief a statué qu’il avait compétence en la matière à partir du 1er avril 2005. Il n’y a aucun aspect ici concernant une période antérieure et j’accepte que j’aie compétence à partir du 1er avril 2005.

115 Le deuxième cas Lafrance était un autre cas auquel a renvoyé l’avocate de l’employeur. Dans ce cas-là, la fonctionnaire, par l’entremise de son directeur, a indiqué qu’elle était seulement disponible pour faire du télétravail. L’arbitre de grief a statué que le télétravail à plein temps constituait une contrainte excessive pour l’employeur et a rejeté le grief. Dans le cas de M. Kelly, l’évaluation médicale effectuée le 19 avril 2007 a indiqué qu’il était apte à occuper un emploi qui ne comportait pas des fonctions ayant un élément technique ou d’entretien dans l’industrie de l’aviation. Cela signifie qu’il y avait toute une gamme de possibilités, tandis que dans le cas de Mme Lafrance, il n’y avait qu’une seule et unique possibilité.

116 L’avocate de l’employeur a également invoqué Ricafort pour défendre la proposition qu’un employé peut être forcé à utiliser des crédits de congé de maladie (et par extension des crédits de congé annuel). De nouveau, en toute déférence, à mes yeux, ce cas ne s’applique pas aux circonstances du fonctionnaire. Dans Ricafort, il n’était pas question de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. En raison de cela, j’estime qu’il s’agit d’une situation très différente. De plus, dans Ricafort, l’employeur a remis en question un certificat médical fourni par M. Ricafort et il l’a fait évaluer par Santé Canada. L’évaluation était qu’il était apte à retourner au travail, et il s’agissait de son poste d’attache. En l’espèce, le fonctionnaire n’a jamais été apte à retourner à son poste d’attache, et ne pouvait occuper celui que M. Toupin lui a offert en décembre 2006. À mon avis, ces deux cas sont tout à fait différents.

117 L’avocate de l’employeur m’a renvoyé à Zaytoun. Une fois de plus, en toute déférence, je n’estime pas que ce cas m’aide à trancher le présent cas. Le Dr Zaytoun a pris un congé de maladie parce qu’il était malade. Il n’y avait pas de poste qu’il pouvait occuper à l’époque. Dans le cas qui nous intéresse ici, le fonctionnaire n’était jamais malade, même s’il n’était pas apte à accomplir les fonctions de son poste d’attache.

118 Dans les circonstances, je conclus que l’employeur n’a pas respecté son obligation de prendre des mesures d’adaptation pour le fonctionnaire en ne prenant pas suffisamment de mesures pour lui trouver un autre emploi et en l’obligeant ainsi à utiliser aussi bien des crédits de congé de maladie que des crédits de congé annuel. Cependant, je ne pense pas que l’employeur a fait preuve de mauvaise foi en agissant ainsi et je ne pense pas que l’octroi de dommages-intérêts soit approprié dans les circonstances.

119 En tant qu’à-côté, j’aimerais signaler que le fonctionnaire est maintenant solidement établi dans son poste de médiateur. Les témoins lui ont souhaité beaucoup de chance dans son nouveau poste, et leurs vœux étaient réels. Moi aussi, je lui souhaite beaucoup de chance. Pour ceux et celles qui ont une longue mémoire dans le domaine de la médiation, le nom Bill Kelly se distingue comme celui de l’un des meilleurs intervenants dans ce secteur au Canada. Si ce Bill Kelly (le fonctionnaire) gère ses dossiers aussi bien au MPO que cet autre Bill Kelly, le ministère sera bien servi par lui. Pour reprendre les propos du fonctionnaire dans son courriel daté du 6 septembre 2005, [traduction] « […] pas trop mal pour un simple mécanicien, n’est-ce pas? ».

120 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

121 Le grief est accueilli en partie. Il faut rembourser au fonctionnaire les crédits de congé de maladie et de congé annuel qu’il a dû utiliser à partir de janvier 2007 jusqu’au moment où il a quitté le ministère des Transports et a commencé son nouveau poste le 5 novembre 2007.

Le 17 juin 2010.

Traduction de la CRTFP

Joseph W. Potter,
arbitre de grief

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