Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée était une agente correctionnelle en période de stage - l’employeur l’a congédiée parce qu’il estimait que son rendement était insatisfaisant, à la suite de plusieurs incidents - l’arbitre de grief a jugé que l’employeur n’avait pas à donner un motif juste et suffisant - dans le cas d’un renvoi en période de stage, il suffisait que les motifs de l’employeur soient liés à l’emploi - la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas démontré qu’il s’agissait d’un subterfuge. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-05-19
  • Dossier:  566-02-1560
  • Référence:  2010 CRTFP 67

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ODA KAGIMBI

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Kagimbi c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Elle-même

Pour le défendeur:
Anne-Marie Duquette, avocate

Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 8 au 11 mars 2010.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 La fonctionnaire s’estimant lésée, Oda Kagimbi, (la « fonctionnaire ») a été embauchée comme agent correctionnel (CX-01) à l’établissement de Cowansville, le 19 décembre 2006, après avoir complété avec succès une formation spécialisée de 13 semaines au Collège Laval. Le 17 septembre 2007, la fonctionnaire a été licenciée en période de stage.

2 Le 18 septembre 2007, la fonctionnaire a contesté son licenciement par voie d’un grief dans lequel elle allègue que le licenciement a été effectué sans cause juste et suffisante. La fonctionnaire demande d’être réintégrée dans son emploi et de se faire rembourser le salaire et les prestations qui lui sont dus. Le grief a été déposé avec l’appui de son syndicat, mais ce dernier s’est désisté. Ainsi, la fonctionnaire a assuré sa propre représentation à l’audience de son grief.

3 Voici la lettre que la directrice de l’établissement de Cowansville a envoyée à la fonctionnaire décrivant les motifs de l’employeur au soutien de sa décision :

[…]

RENVOI EN PÉRIODE DE STAGE

La présente lettre est pour vous informer que j’ai analysé attentivement vos interventions dans le cadre de vos fonctions d’agent de correction 1 à l’établissement Cowansville depuis votre entrée en fonction le 19 décembre 2006.

Dès votre arrivée en établissement, plusieurs faits rapportés ont indiqué que vous avez éprouvé des difficultés dans l’accomplissement de vos fonctions. Pour ces motifs, nous vous avons fait suivre un deuxième stage de formation complet de deux semaines en mars 2007. Malgré ces deux semaines supplémentaires de formation, aucune amélioration au niveau de votre rendement ne fût notée. Vous ne rencontrez pas les objectifs attendus en ce qui concerne, entre autres, la maîtrise de l’équipement sécuritaire, la maîtrise des postes sécuritaires, la capacité d’apprentissage ainsi que la capacité de réaction à un incident critique.

Vous avez été rencontrée à quelques occasions depuis le début de votre stage. Vous avez été informée des lacunes et de ce qui était attendu de votre part. De plus, nous vous avons offert de l’aide, laquelle vous n’avez pas sollicitée malgré le fait que votre rendement ne s’est jamais amélioré.

Après une analyse faite de bonne foi de votre aptitude à remplir vos fonctions, il ressort clairement que vous n’êtes pas apte à occuper le poste pour lequel vous avez été engagée. J’en arrive donc à la conclusion que vous êtes incapable de satisfaire aux exigences de l’emploi d’un agent de correction.

Conséquemment, en vertu des paragraphes 61(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, j’ai décidé de vous renvoyer pendant votre période de stage. Celui-ci sera effectif le 17 septembre 2007, à compter de 12 h 00.

Sachez que vous avez le droit de présenter un grief si vous estimez avoir été traité de façon injuste ou si vous vous sentez lésée par cette décision.

Je vous souhaite bonne chance dans les nouveaux défis que vous entreprendrez.

France Poisson

[…]
[Sic pour l’ensemble de la citation]

II. Objection quant à la compétence de l’arbitre de grief

4 Le Service correctionnel du Canada (l’ « employeur ») s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief d’entendre et de trancher le grief de la fonctionnaire en soutenant que le recours à l’arbitrage, selon l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), est exclu par les dispositions de l’article 211 de la LRTFP dans le cas d’un licenciement en vertu du régime de l’article 62 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

5 La fonctionnaire a contesté l’objection de l’employeur en alléguant que la décision du renvoi avait été prise de mauvaise foi, d’une façon arbitraire et abusive et qu’elle n’était aucunement liée à l’emploi.

6 L’employeur a alors soulevé une seconde objection à la position de la fonctionnaire selon laquelle la fonctionnaire tentait de modifier la portée du grief en alléguant la mauvaise foi de l’employeur alors qu’elle n’en avait pas fait mention dans son grief. Au soutien de son objection, l’employeur a invoqué Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (CA).

7 J’ai tenu une conférence préparatoire afin de tirer au clair les deux objections de l’employeur. La fonctionnaire a expliqué que la notion de « renvoi effectué sans cause juste et suffisante » était suffisamment large pour englober la notion d’un renvoi abusif et l’effet d’un camouflage visant à la priver de la protection que lui accorde la loi. J’ai pris les objections de l’employeur sous réserve d’entendre le bien-fondé du grief. Compte tenu des objections de l’employeur, la fonctionnaire avait le fardeau de la preuve et a donc présenté sa preuve en premier.

III. Témoignage de la fonctionnaire

8 La fonctionnaire a témoigné au soutien de son grief. Le 18 janvier 2007, son superviseur, le surveillant correctionnel Benoît Leduc, l’a rencontrée. Ce dernier lui a dit qu’on lui avait rapporté qu’elle éprouvait de la difficulté à accomplir ses fonctions, qu’elle semblait manquer d’assurance et qu’elle requérait une supervision constante. M. Leduc lui a demandé si elle se sentait à l’aise aux différents postes de travail. La fonctionnaire n’a pas compris le sens de cette intervention puisque après quatre semaines de travail, elle n’avait pas encore eu l’occasion d’être assignée à tous les postes de travail. M. Leduc n’a pas soulevé d’incidents précis qui lui étaient reprochés, n’a pas fixé d’objectifs de rendement à atteindre ou de délais pour s’améliorer.

9 En février 2007, M. Leduc l’a rencontrée pour lui dire qu’un groupe de stagiaires allaient faire leur stage à l’établissement de Cowansville et qu’il désirait qu’elle fasse un deuxième stage. Pendant le deuxième stage, la fonctionnaire, accompagnée d’un autre stagiaire, a été supervisée par Nicolas Matte, un agent correctionnel CX-01. Deux semaines après le stage, Suzanne Legault, directrice adjointe de l’établissement, Marc-André Boutin, surveillant et Francine Boudreau, représentante syndicale et gérante d’unité ont rencontré la fonctionnaire. La première question a été de savoir si le stage « s’était bien passé » et puis la discussion a porté principalement sur la saisie d’un tract intitulé « L’énigmatique Oda » dont une centaine de copies s’étaient retrouvées dans les voitures de patrouille. M. Leduc a insisté pour qu’elle donne le nom des personnes qu’elle croyait être les auteurs de ce méfait. Une enquête devait avoir lieu. Lorsque la fonctionnaire a communiqué avec la représentante syndicale à propos de cet incident, cette dernière lui a dit « qu’il fallait qu’elle protège ses membres » concernant cet incident. La fonctionnaire n’était pas à l’aise par rapport à cet incident puisqu’elle n’a jamais été informée des résultats de l’enquête.

10 La fonctionnaire a témoigné que ses collègues se sont moqués d’elle en lui demandant d’interpeller certains détenus à l’aide du système de microphone de l’établissement alors que ces détenus n’existaient pas.

11 Le 8 août 2007, la fonctionnaire a reçu une note de service de M. Leduc l’informant qu’elle serait rencontrée pour une évaluation de son rendement au cours du mois de septembre 2007. La note de service précisait ce qui suit : « Cette rencontre se veut un retour sur des lacunes qui vous ont étés signalés [sic] depuis le début de votre stage probatoire. » Le dimanche 16 septembre 2007, M. Leduc a téléphoné à la fonctionnaire à la maison pour lui demander si elle serait au travail le lendemain. Elle a répondu qu’elle y serait. À 10 h, le 17 septembre 2007, la fonctionnaire a été interpellée pour une rencontre à 11 h avec la directrice de l’établissement alors qu’elle faisait la patrouille. Elle s’est fait dire d’assister à la rencontre avec un représentant syndical. Prise par surprise, la fonctionnaire a demandé à M. Leduc de lui en trouver un.

12 À la rencontre, France Poisson lui a remis une évaluation du rendement négative pour la période du 19 décembre 2006 au 17 septembre 2007 pour lecture et signature.

13 Le rapport d’évaluation du rendement reproche les incidents suivants à la fonctionnaire comme preuve de son inaptitude :

[…]

Madame Kagimbi est à l’emploi du SCC comme AC1 depuis le 2006-12-19. Dès son arrivée, plusieurs faits rapportés par divers employés nous ont indiqué que madame Kagimbi éprouvait de la difficulté à accomplir ses fonctions. L’employée éprouve également des difficultés d’adaptation depuis son arrivée et semble manquer d’assurance. Elle requiert une supervision quasi constante. Une rencontre avec les surveillants Benoit Leduc et Marc-André Boutin eut lieu à ce sujet le 2007-01-18 pour une mise au point. Ne remarquant aucune amélioration, la décision fut prise de donner à l’employée un deuxième stage de formation complet donc deux semaine supplémentaire. Le superviseur de stage a, à ce sujet, mentionné certaines difficultés rencontrées par madame Kagimbi. Bref, l’employée n’a pas su démontrer un rendement sécuritaire et satisfaisant au travail.

[…]

L’agente Kagimbi n’a pas réussi à démontrer au cours de sa période de stage probatoire qu’elle avait les aptitudes requises pour accomplir efficacement ses fonctions d’agente de correction. Il a plutôt été démontré à plusieurs reprises qu’elle éprouve beaucoup de difficulté à s’adapter, à réagir et à être efficace dans ses fonctions. Par exemple au mois de mai 2007, alors qu’un détenu a fait une tentative de pendaison au secteur d’isolement, madame Kagimbi n’a pas réagit et ce, même si son collègue lui a dit à plusieurs reprises se qui se passait. Elle n’a pas tenté d’appeler du renfort et d’aller chercher un couteau. Elle a tout simplement continué à faire sa tâche qui consistait à ramasser les cabarets des détenus. Toujours au mois de Mai 2007, elle n’a pas su intervenir alors qu’un détenu devenait menaçant et agressif à l’hôpital intérieur, madame Kagimbi était en poste pour assurer la sécurité du personnel médical et c’est une infirmière qui a dû prendre action en appelant elle-même des renforts. Madame Kagimbi est resté sans bouger, elle n’a pas tenté non plus de calmer le détenu. Fin mai 2007, elle a de la difficulté à contrôler les portes grillagées de l’entrée de service et un technicien passe près de se faire écraser par une des grilles, cette dernière finira par frapper un tracteur servant aux travaux, bref elle a beaucoup de difficulté à bien contrôler les différentes grilles. Juin 2007, un rapport me mentionne qu’elle éprouve beaucoup de difficulté à communiquer sur les ondes radio, souvent elle ne semble pas comprendre lorsque nous lui parlons. Elle fait souvent répéter les messages et nous devons l’interpeller à quelques reprises avant d’avoir une réponse. Août 2007, madame Kagimbi a perdu sa clé de menotte, des fouilles sont effectuées et la clé fut heureusement retrouvée.

De plus, madame Kagimbi a bénéficié d’une période supplémentaire de deux semaines de stage de formation, donc elle a reçu un total de quatre semaines de formation comparativement à deux pour tous les autres employés. Elle a été rencontrée à quelques occasions pour l’informer des lacunes et de l’aide lui a été offerte en cas de besoin. Malgré tout ceci, elle n’en a pas jamais fait la demande et son rendement ne s’est jamais amélioré.

[…]

Madame Kagimbi éprouve beaucoup de difficulté à prendre des décisions (Voir section 1). Les surveillants correctionnels de l’établissement n’ont pas confiance en cet employé et doivent souvent s’assurer qu’elle occupe un poste ou elle pourra être supervisée par d’autres employés le plus possible.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

14 La fonctionnaire a témoigné qu’elle a appris ces reproches seulement le 17 septembre 2007. Elle n’était pas d’accord avec l’évaluation; les comportements reprochés n’avaient non seulement jamais été portés à son attention, mais ils étaient fort exagérés et inexacts. À cette rencontre, la fonctionnaire a expliqué son point de vue, mais Mme Poisson lui a remis sur le coup une lettre de licenciement. M. Leduc est arrivé à la rencontre quelques minutes plus tard et a dit qu’il avait fondé son évaluation sur des rapports d’observation qui lui avaient été communiqués. La fonctionnaire a témoigné que ce n’est que plus de deux ans plus tard, en préparation à l’audience, que l’employeur lui a remis une copie des rapports en question.

15 La fonctionnaire s’est défendue des incidents qui lui sont reprochés comme suit. Selon elle, l’affirmation voulant qu’elle semble manquer d’assurance est une affirmation gratuite. Au contraire, elle a souvent travaillé seule à certains postes, comme lors d’une patrouille, à la tour 2, au contrôle central ou à l’entrée principale. On n’a jamais reproché son travail. La fonctionnaire estime que la rencontre du 18 janvier 2007 a été sans conséquence, car M. Boutin lui a seulement demandé si elle était à l’aise aux différents postes de travail. Il n’a pas mentionné de manquements ou de points à améliorer, ni fixé de délais pour ce faire. Quant au deuxième stage, la fonctionnaire a souligné qu’elle n’avait pas encore été assignée à tous les postes et donc ne pouvait répondre à une telle question et elle n’a pas vraiment eu de choix que de suivre ce stage. Elle ne voyait pas l’opportunité de refaire un stage qu’elle avait déjà complété avec succès.

16 La fonctionnaire a témoigné que les communications radio étaient souvent difficiles à comprendre en raison du bruit statique et des coupures dans les messages. Comme elle ne voulait pas deviner ce qui se disait, elle demandait de répéter jusqu’à ce qu’elle comprenne bien ce qui lui était communiqué. M. Boutin lui aurait dit qu’elle devait pouvoir « deviner » le contenu du message selon l’heure du jour.

17 La fonctionnaire a indiqué que l’urgence citée par l’agent Brunelle, quant au détenu qui voulait se pendre, a été exagérée surtout en raison du délai de plusieurs jours qui a suivi l’incident avant que l’agent produise son rapport. Lorsque l’agent Brunelle a constaté qu’un détenu en isolement n’allait pas bien, il est allé chercher de l’aide. La fonctionnaire a observé le détenu et a attendu l’arrivée des renforts. Elle ne savait pas que le détenu voulait se pendre. Cet incident n’a eu aucune conséquence grave si ce n’est que le détenu a été envoyé à l’hôpital. La fonctionnaire a témoigné qu’elle a aussi complété un rapport de cet incident, mais que l’employeur ne l’a pas produit à l’audience.

18 En réponse au reproche de ne pas avoir contrôlé un détenu à l’hôpital intérieur, la fonctionnaire a témoigné que les renforts qui ont été demandés par l’infirmière étaient prématurés parce que le détenu s’est calmé lorsqu’il a constaté sa présence comme agent correctionnel et tout est rentré dans l’ordre.

19 La fonctionnaire a témoigné que les incidents concernant le contrôle des grillages, la remise d’une alarme personnelle à un détenu et la relève de quart communiquée par radio n’ont jamais été portés à son attention comme étant des gestes fautifs et donc, elle n’a pas eu la possibilité de se corriger.

20 La fonctionnaire a témoigné qu’à son avis, l’omission de la direction de l’établissement de lui fixer des objectifs et une période déterminée pour les satisfaire, de lui communiquer ses lacunes et lui permettre de corriger ses erreurs ainsi que de lui laisser savoir que son emploi était en péril avant de mettre fin à sa période de stage, était un comportement empreint de mauvaise foi et camouflait l’intention de mettre fin à son emploi dès les premières semaines de son emploi.

IV. Témoignage de France Poisson

21 Mme Poisson était la directrice de l’établissement de Cowansville, un établissement à sécurité moyenne, au moment du licenciement de la fonctionnaire. Mme Poisson a témoigné que l’établissement de Cowansville comprend 22 bâtiments configurés en style « campus ». Parce que le risque d’évasion est moins probable, il y a moins de contrôle à l’intérieur du périmètre, mais le contrôle du périmètre externe reste le même que pour un établissement à sécurité maximale. L’établissement compte 450 détenus et 250 employés.

22 M. Leduc était le gestionnaire de tous les agents correctionnels, une responsabilité qu’il exerçait 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Des superviseurs l’aidaient à chaque quart de travail pour faire cette tâche. Mme Legault était la directrice adjointe en charge de la planification du personnel et de la coordination des stages.

23 Mme Poisson a expliqué que l’agent correctionnel (CX-01) est assigné en rotation à deux types de postes de travail : la sécurité statique et la sécurité dynamique. La sécurité statique comporte l’observation et l’évaluation constante du risque du milieu dans lequel circulent les détenus, dont le périmètre, les entrées et la tour; certains postes exigent le maniement d’une arme. La sécurité dynamique comporte l’escorte des détenus à l’hôpital ou l’observation des détenus dans la cour ou dans les pavillons. Dans un poste comme dans l’autre, l’agent correctionnel doit savoir prévenir et anticiper des situations qui se présentent et y réagir de façon appropriée et doit pouvoir déceler les comportements des détenus et les interpréter. Après 12 semaines de travail, un nouvel agent correctionnel doit faire preuve d’autonomie et maîtriser adéquatement les responsabilités de chaque poste de travail.

24 Les surveillants ont observé que pendant ses premières semaines d’emploi, la fonctionnaire se tenait en retrait et n’assumait pas pleinement ses fonctions. Il a donc été décidé qu’un deuxième stage pourrait lui être utile afin de développer ses compétences. Ce deuxième stage était un avertissement que le rendement de la fonctionnaire était inadéquat et que son emploi était en péril. Le deuxième stage n’a pas produit les résultats escomptés. La fonctionnaire manquait toujours d’assurance et elle ne maîtrisait pas l’équipement. M. Leduc a été chargé de faire l’évaluation de son rendement à partir de l’ensemble de son dossier, des rapports d’observation et des commentaires du formateur, M. Matte. Le constat a été que la fonctionnaire n’était pas autonome et qu’elle était incapable de faire le travail des postes où elle était assignée. Le licenciement a été fondé sur le rapport d’évaluation de M. Leduc. La fonctionnaire ne s’attendait pas à une évaluation négative et a été prise par surprise. On lui a expliqué les motifs du licenciement lors de la rencontre du 17 septembre 2007. Mme Poisson a signé la lettre de licenciement.

V. Témoignage de Nicolas Matte

25 M. Matte est un agent correctionnel CX-01, qui agit aussi à titre de formateur depuis maintenant six ans. M. Matte a évalué la fonctionnaire pendant son deuxième stage, du 9 au 20 février 2007. À la demande de M. Boutin, le responsable des stagiaires pendant leur formation, M. Matte a préparé deux rapports d’observation du deuxième stage de la fonctionnaire.

26 Le premier rapport de M. Matte relate des constatations générales concernant le travail de la fonctionnaire comme suit :

[…]

Formation de l’agent Kagimbi, Oda

Mr. Boutin, j’aimerais avec ce rapport vous faire part de mes inquiétudes par rapport à l’agente CX-1, Oda Kagimbi. Selon moi Mme. Kagimbi a profitée de la 2ème formations que nous lui avons fournis et les améliorations à ses connaissances générales du travail CX sont visible, mais je demeure préoccupé par plusieurs points par rapport à son manque de connaissances sécuritaires. Il est de mon opinion que les problèmes vécu par Mme. Kagimbi sont attribuables à un grand manque de confiance en elle, un manque de connaissances générale du milieu ainsi qu’un manque de compréhension de la langue, et plusieurs circonstances vécu lors de la formation m’ont démontrées qu’elle n’a pas, selon moi, les compétences requise pour le travail CX et même que sa présence sur plusieurs postes compromettent la sécurité de l’établissement. Après les 12 semaines de formation initiale du collège du personnelle, 10 semaines de travail comme CX-1 et une deuxième formation de recrue de 10 jours, je crois sincèrement que Mme Kagimbi n’est pas prête a prendre des postes sécuritaires seule, et je ne comprend pas comment que les gens du collège ont pu croire que Mme Kagimbi avais les qualifications et les compétences pour le travail de CX.

Pour plus d’informations je reste a votre disponibilité. Nicolas Matte, Formation recrue.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

27 Le deuxième rapport relate des observations précises d’interactions de la fonctionnaire comme suit :

[…]

Complément d’informations de rapport du 2007-03-02

Des exemples de comportements ou de situations me portant a écrire le rapport du 2007-03-02 par rapport à l’agente Kagimbi.

1. Au long de la formation l’agente Kagimbi m’a posée très peu de questions (moins de 5) par rapport au poste que nous révisions et j’ai du lui demander a plusieurs reprises si elle comprenait ce que disais, sur les 10 jours elle m’a adressée la parole très peut.

2. Mme. Kagimbi ne semblait pas vouloir participer aux exemples démonstrative que je proposais laissant toujours le stagiaire Nicolas Leblond faire les simulations/démonstrations. Pour voir si elle avait les bonnes techniques je lui ai demandé de faire quelques démonstrations et elle semblait très nerveuse et cafouillait souvent. Lors d’explications ou de simulation elle se tenait toujours en retrait et semblait pas vouloir s’impliquer.

3. A plusieurs reprises lors de simulations, que je lui es imposé, Mme Kagimbi a démontrée qu’elle ne maîtrisait aucunement le matériel sécuritaire, par exemple, vérification du revolver .38, utilisation du détecteur de métal Garette a l’entrée principale, manutention des entraves.

4. Sur plusieurs postes du stage j’ai réalisé que Mme. Kagimbi ne semblait pas comprendre le contexte sécuritaire général du travail de cx ou être trop gêner pour pouvoir agir sécuritairement.

Lors de la formation du détecteur de métal à l’entrée des visiteurs Mme. Kagimbi ne voulait pas passer le Garett sur les employés qui entrent à l’établissement préfèrant laisser le stagiaire Leblond les fouiller, après approximativement 45 minutes le stagiaire Leblond a remis le Garett à Mme. Kagimbi ne lui laissant pas le choix de le passer sur les gens qui entrent, pendant que Mme kagimbi tentait de fouiller les gens elle ne leurs adressent jamais la paroles, préférant se tenir à l’écart, quand le détecteur sonnait elle laissait passer les gens comme si de rien était, si les gens ne s’arrêtent pas elle les laissait passer. Même après deux formations et quelque mois d’expérience n’importe qui aurait pu rentrer avec n’importe quoi.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

28 À l’audience, M. Matte a ajouté que pendant le deuxième stage, il a expliqué à la fonctionnaire des aspects du travail qu’elle aurait dû apprendre pendant sa formation au collège et qu’il ne lui revenait pas de refaire cet apprentissage. M. Matte a témoigné que le plus souvent, la fonctionnaire ne s’impliquait pas activement dans le travail et cédait toujours à la recrue jumelée avec elle le soin de faire les démonstrations et les activités pratiques. Il a aussi constaté que généralement, la fonctionnaire ne s’intégrait pas bien au groupe des agents correctionnels, qu’elle ne répondait pas bien aux communications radio et qu’elle manquait de confiance en soi.

29 En contre-interrogatoire, M. Matte a expliqué que les tâches de tous les postes de travail avaient été revues en détail pendant le deuxième stage et qu’il s’attendait à ce que la fonctionnaire pose des questions si elle ne comprenait pas le travail ou si elle avait besoin d’éclaircissements. De plus, il y a des « ordres de poste » détaillés pour chaque poste de travail, disponibles soit au poste lui-même ou électroniquement.

30 Si le stage est réussi, on ne fait habituellement aucun rapport. Dans le cas de la fonctionnaire, M. Matte a produit deux rapports à la demande de M. Boutin, dans lesquels il a fondé son jugement concernant le manque de confiance de la fonctionnaire et son manque d’intervention avec les personnes avec lesquelles elle devait interagir dans les différents postes de travail. Il a fondé son jugement sur les difficultés linguistiques de la fonctionnaire en raison de sa difficulté à comprendre les communications radio. Il a fondé son jugement sur le manque de connaissances du milieu carcéral et sur sa façon inapropriée de traiter le milieu sécuritaire aux postes de sécurité.

VI. Témoignage de Benoît Leduc

31 M. Leduc était le supérieur responsable de la fonctionnaire au moment de son licenciement. Il préparait les assignations des agents correctionnels pour chaque quart de travail, approuvait le temps supplémentaire et se chargeait des urgences, du soutien aux urgences et des remplacements. M. Leduc était responsable du suivi professionnel de la fonctionnaire et de son assiduité au travail. Il travaillait des quarts de travail de 12 heures, sans que cela ne soit pendant le même quart que la fonctionnaire. Il avait peu de contacts avec la fonctionnaire et il devait se fier aux observations de 14 surveillants correctionnels de premier niveau quant à la qualité du travail de la fonctionnaire. Les rapports sur le rendement de la fonctionnaire ont été préparés à la demande des surveillants immédiats.

32 M. Leduc a reçu les commentaires généraux suivants des surveillants : un manque de connaissances et un comportement inadapté concernant les postes sécuritaires, les escortes, la manipulation des armes à feu et l’évaluation du comportement des détenus. À deux reprises, M. Leduc a demandé à la fonctionnaire comment se déroulait son travail et lui a offert de l’aide si elle en avait besoin. Il a eu deux conversations avec elle : l’une concernant son manque de spontanéité concernant les communications radio et l’autre concernant son manque d’interactions avec lui et ses collègues.

33 Avant de proposer le stage, M. Leduc a rencontré la fonctionnaire pour lui expliquer ses lacunes et lui suggérer de se trouver une personne de confiance pour l’aider à comprendre le travail. Il lui a dit de ne pas hésiter à parler aux surveillants correctionnels de premier niveau ou à lui-même si elle avait des questions. La fonctionnaire a refusé d’être accompagnée par un représentant syndical pour cette discussion. La fonctionnaire n’a pas questionné le fait qu’elle ait à répéter un stage et elle n’a pas réagi aux suggestions de M. Leduc. Offrir un deuxième stage n’était pas chose courante et signalait à la fonctionnaire qu’elle devait s’améliorer si elle voulait compléter avec succès sa période de stage.

34 M. Leduc a demandé à M. Boutin de préparer un rapport d’évaluation du stage. À sa demande, il a laissé du temps à la fonctionnaire pour lui permettre de prendre de l’expérience. Toutefois, des rapports négatifs sur son rendement continuaient. La fonctionnaire ne semblait pas comprendre les risques associés au travail et ne prenait pas certaines situations au sérieux. Il a retenu les incidents suivants, qui se sont produits après le stage, comme étant décisifs : l’inaction pour contrôler un détenu lors d’une escorte, l’accroc d’une grille de barrière parce que la fonctionnaire ne savait pas comment l’activer correctement, la remise d’une alarme personnelle à un détenu, l’inaction lorsqu’un détenu a fait signe qu’il allait se pendre, un manque de communication ponctuelle à une communication radio alors qu’elle patrouillait le périmètre externe et la perte d’une clé de menotte.

35 Bien qu’aucun de ces incidents n’ait été majeur à l’époque, M. Leduc était d’avis qu’ils étaient suffisamment graves et que d’autres incidents semblables pouvaient éventuellement compromettre la sécurité de l’établissement. Selon M. Leduc, les incidents mensuels qui ont suivi un deuxième stage étroitement supervisé, ainsi que le manque général d’assurance, d’autonomie et d’intégration observés par d’autres superviseurs, indiquaient que la fonctionnaire n’avait pas les qualités requises pour devenir un agent correctionnel. Il a donc préparé un rapport d’évaluation à la lumière de ces facteurs, qui a été présenté à la fonctionnaire le 17 septembre 2007.

36 En contre-interrogatoire, M. Leduc a témoigné qu’il n’a pas pris la décision de licencier la fonctionnaire après le deuxième stage parce que, dans une conversation avec elle peu de temps après, elle lui a demandé du temps pour mieux apprendre le travail. M. Leduc a ajouté que l’employeur n’a pas à refaire l’apprentissage qui doit se faire au collège et que tout agent correctionnel devrait, une fois assermenté, s’intégrer rapidement une fois qu’il a travaillé à tous les postes de travail. Le travail du supérieur n’est pas de faire le suivi immédiat de chaque employé ou de le rencontrer pour chaque incident, mais bien d’être disponible pour répondre à leurs interrogations, le cas échéant. L’agent correctionnel a la responsabilité de prendre les devants s’il ne comprend pas la tâche ou s’il éprouve des difficultés.

37 M. Leduc a expliqué qu’on tient un registre, où sont notés tous les incidents, et qui fait partie du breffage matinal journalier. Les rapports particuliers suivent en temps opportun. M. Leduc a aussi expliqué qu’il y a certains aspects de la sécurité d’un établissement et de tous les employés qui sont incontournables par rapport au travail de l’agent correctionnel (CX-01) soit, l’entrée à l’établissement, la patrouille des secteurs, une réaction appropriée en cas d’urgence, la manipulation correcte des armes à feu et les communications par radio. La réussite au collège n’est pas une garantie de la réussite comme agent correctionnel en établissement.

VII. Objection de l’employeur à la présentation d’une contre-preuve

38 L’employeur s’est opposé à la présentation d’une contre-preuve par la fonctionnaire au motif que celle-ci n’avait pas démontré qu’il y avait eu camouflage, mauvaise intention ou mauvaise foi et par conséquent, il n’y avait aucune preuve de l’employeur à réfuter. L’employeur fait référence à Guest et al. et Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 89, au soutien de sa position.

39 J’ai rejeté cette objection de l’employeur au motif que les règles procédurales faisaient en sorte qu’ayant présenté sa preuve en premier, la fonctionnaire devait avoir l’occasion de répondre à la preuve de l’employeur, le cas échéant. J’ai expliqué à la fonctionnaire que la contre-preuve servait à répondre à des faits nouveaux soulevés par l’employeur ou pour expliquer des contradictions, mais non à avancer une nouvelle preuve ou une preuve qui aurait pu être déposée initialement. J’ai suspendu l’audience.

40 La fonctionnaire a décidé de ne pas se prévaloir de cette possibilité et a choisi de procéder directement avec la présentation de ses arguments.

VIII. Résumé de l’argumentation

A. Pour la fonctionnaire

41 La fonctionnaire a plaidé qu’elle a été licenciée pour des motifs injustifiés. Tout d’abord, M. Leduc a demandé la production de rapports, mais n’a pas pris la peine de vérifier les faits de sorte que son évaluation des incidents a été arbitraire. Lui faire reprendre un stage qu’elle avait déjà réussi, plutôt que de souligner des points à améliorer, démontrait de la malveillance. Les rapports étaient truffés d’affirmations gratuites et les incidents étaient exagérés. Le deuxième stage et les rapports qui ont suivi n’ont servi qu’à fonder la décision de l’employeur de la licencier.

42 La fonctionnaire a souligné que les motifs de licenciement ne respectent pas les critères élaborés par la jurisprudence établie. La fonctionnaire n’a jamais été avisée des attentes de l’employeur; ses lacunes ne lui ont pas été signalées. La fonctionnaire n’a pas bénéficié du soutien nécessaire pour se corriger et atteindre des objectifs précis. L’employeur ne lui a pas donné un délai raisonnable pour se corriger et ne pas l’a pas avertie que son emploi était en péril. En quelques mois, la fonctionnaire n’a pas eu la chance d’apprendre entièrement les responsabilités des différents postes de travail avant que l’employeur décide de la licencier. La fonctionnaire n’a pas eu connaissance de ses lacunes avant la rencontre du 17 septembre 2007, le jour de son licenciement.

43 Les rapports sur lesquels se fonde le licenciement ont été rédigés à son insu et elle n’a pas eu l’occasion de les contester ou de rétablir les faits. Dans l’évaluation de son rendement, l’employeur a passé outre l’inconfort qui a été créé par le tracte « L’énigmatique Oda » qui a circulé à son sujet ou les moqueries dont elle a fait l’objet par rapport à la liste des « faux » détenus qu’on lui a demandé d’appeler à l’interphone.

44 La fonctionnaire a soutenu que les incidents rapportés par certains employés n’étaient que du ouï-dire et ne lui ont jamais été communiqués. Elle n’a donc pas eu l’occasion de s’améliorer. La fonctionnaire a soutenu que l’affirmation de l’employeur qu’elle « semble manquer d’assurance » est un jugement de valeur qui n’est soutenu par aucun fait. La fonctionnaire n’est pas d’accord qu’elle requiert une supervision constante parce qu’elle travaille souvent seule pendant une patrouille, lorsqu’elle travaille à la tour, au contrôle central ou a l’entrée principale.

45 La fonctionnaire a plaidé qu’un licenciement équivaut à la peine capitale dans le contexte des relations de travail et par conséquent, la décision de l’employeur doit avoir été prise pour une cause juste et suffisante et de bonne foi. La fonctionnaire a soutenu qu’au contraire, son renvoi n’était pas justifié par les circonstances et qu’elle a été renvoyée de façon cavalière sans préavis. La fonctionnaire a soumis que les personnes à qui elle a fait confiance l’ont dénigrée au lieu de lui venir en aide pour assurer sa réussite.

46 Au soutien de sa position que son licenciement était injustifié, la fonctionnaire m’a renvoyé à Dhaliwal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2004 CRTFP 109 et Ondo-Mvondo c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2009 CRTFP 52.

B. Pour l’employeur

47 L’employeur a plaidé que la fonctionnaire a été licenciée pendant sa période de stage parce qu’elle ne pouvait atteindre les objectifs liés à son emploi. Lors de la rencontre du 17 septembre 2007, l’employeur a expliqué à la fonctionnaire les motifs de son licenciement. Il a soutenu qu’un grief de licenciement fondé sur l’article 62 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP), même s’il peut faire l’objet d’un grief, est exclu de la compétence de l’arbitre de grief en vertu de l’article 211 de la LRTFP.

48 Après avoir complété avec succès la période de formation de 13 semaines avec le Collège Laval, la fonctionnaire a signé une offre d’emploi qui prévoyait une période de stage de 12 mois. Elle a signé sa description de tâches qui dressait les objectifs liés à son emploi.

49 Les ordres pour chaque poste de travail sont consignés et ont été revus en détail par M. Matte avec la fonctionnaire lors du deuxième stage. Bien que la fonctionnaire ait réussi la formation au collège, ceci ne lui garantissait pas un emploi à long terme. Elle devait faire ses preuves pendant la période de stage.

50 Les lacunes de la fonctionnaire se sont manifestées dès les premières semaines d’emploi. La fonctionnaire était incapable de répondre aux communications en temps opportun. Elle disait que la ligne coupait et elle demandait de répéter, parfois à plus d’une reprise. La fonctionnaire demeurait à l’écart et ne se mêlait pas aux autres agents. Malgré plusieurs invitations par son supérieur, M. Leduc, la fonctionnaire n’est pas allée le rencontrer pour discuter de son travail ou pour lui faire part que quelque chose n’allait pas.

51 M. Leduc, le superviseur responsable de la fonctionnaire, ne travaillait pas toujours en même temps que la fonctionnaire. Ceci, toutefois, n’empêchait pas la fonctionnaire d’avoir des discussions avec les surveillants correctionnels de premier niveau pour augmenter ses connaissances et faire en sorte qu’elle soit plus à l’aise à chaque poste de travail.

52 Le tract « L’énigmatique Oda » a été pris très au sérieux et la direction a agi immédiatement en rencontrant les personnes concernées. Cet incident n’est pas reproché à la fonctionnaire.

53 La fonctionnaire a été informée de son manque de confiance lors de la rencontre du 18 janvier 2007, lorsqu’un deuxième stage lui a été proposé. L’employeur lui a proposé l’appui d’un représentant syndical, ce que la fonctionnaire a refusé. La fonctionnaire devait comprendre que cette rencontre était importante en vue de la continuation de son emploi. La fonctionnaire devait savoir qu’un deuxième stage est offert très rarement.

54 Le rapport de M. Matte après le stage a fait état des lacunes de la fonctionnaire qui continuaient de se manifester. Même pendant le deuxième stage, la fonctionnaire est restée en retrait et ne posait pas de questions, préférant laisser à son co-stagiaire, M. Leblond, le soin de faire les démonstrations. M. Matte a commenté que la fonctionnaire semblait peu connaître les principes élémentaires de la sécurité carcérale. M. Matte estimait que la fonctionnaire n’avait pas les aptitudes pour devenir agent correctionnel. Des incidents impliquant la fonctionnaire ont continué à se manifester après le deuxième stage. Généralement, ces incidents témoignent d’un manque d’assurance et d’inaptitude à réagir ponctuellement à des situations en milieu carcéral.

55 Malgré tout, à la demande de la fonctionnaire, M. Leduc lui a permis de prendre plus de temps pour assimiler les connaissances apprises avec M. Matte. Pendant ce temps, la période d’évaluation continuait et les incidents se multipliaient.

56 M. Leduc a recommandé de mettre fin au stage de la fonctionnaire sur la base des deux rapports de M. Matte et sur sept autres rapports. Ces rapports font tous état de problèmes liés à l’emploi. La fonctionnaire n’a pas nié les faits, mais plutôt l’interprétation qu’en fait M. Leduc.

57 L’employeur a soutenu que la période de stage constitue un avertissement. Cet avertissement fait partie de la lettre d’offre d’emploi. Les règles qui régissent la période de stage sont différentes de celles qui s’appliquent à un emploi pour une période indéterminée. Pendant la période de stage, l’employeur dispose d’une grande marge de manœuvre dans l’évaluation du rendement de la conduite de la fonctionnaire. C’est l’ensemble de la période de stage que l’employeur doit considérer et non seulement des incidents isolés. En l’espèce, l’employeur a constaté que la fonctionnaire n’avait pas réussi à s’adapter au milieu de travail, malgré toute l’aide qui était disponible. L’employeur n’avait pas à prouver une faute. Le motif lié à l’emploi est clair; il ne s’agit pas d’un subterfuge.

58 Au soutien de sa position, l’employeur a cité les décisions suivantes : Burchill c. Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.); Chaudhry c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 61; Chaudhry c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 72; Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] A.C.F. no 461 (QL); Canada c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529; Canada (Conseil du Trésor) c. Rinaldi, [1997] A.C.F. no 225 (QL); Maqsood c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2009 CRTFP 175; Rousseau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 91; Swan et McDowell c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 73; Dalen c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 73; Holloway c. Conseil du Trésor (Environnement Canada), dossier de la CRTFP 166-02-23676 (19930702)

IX. Motifs

59 Les affaires Jacmain c. Procureur général et autre [1978] 2 R.C.S. 15, Penner et Leonarduzzi résument fort bien l’encadrement juridique qui régit la compétence de l’arbitre de grief nommé en vertu de la LRTFP en matière de licenciement en période de stage : les principes applicables ne sont pas les mêmes que ceux qui régissent le licenciement d’un employé nommé pour une période indéterminée.

60 Le paragraphe 62(1) de la LEFP prévoit que l’administrateur général peut à tout moment licencier un fonctionnaire en période de stage :

62.(1) À tout moment au cours de la période de stage, l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis :

a) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques;

[…]

61 Bien que l’article 209 de la LRTFP stipule qu’un fonctionnaire peut renvoyer un grief de licenciement à l’arbitrage dans les circonstances qui y sont énoncées, l’article 211 de la LRTFP exclut de la procédure d’arbitrage un licenciement sous le régime de la LEFP, et notamment le licenciement en cours de stage.

62 Bien que ces dispositions soient à première vue déterminantes, la seule allégation d’un renvoi en période de stage, en vertu du paragraphe 62(1) de la LEFP, ne prive pas automatiquement l’arbitre de grief de sa compétence. Toutefois, celle-ci se limite à s’assurer que la décision de licencier le fonctionnaire en période de stage a été prise de bonne foi et pour un motif lié à l’emploi.

63 Dans Penner, la Cour d’appel fédérale a rappelé que l’objet de la période de stage vise à permettre à l’employeur d’apprécier l’aptitude d’un employé à occuper un emploi. Si l’employé ne possède pas les qualités requises, il peut être licencié sans avoir la possibilité de recourir à l’arbitrage. De son côté, Jacmain a bien précisé que la décision de l’employeur doit avoir été prise de bonne foi et le cas échéant, l’arbitre de grief devient sans compétence à l’égard d’un licenciement en période de stage. Dans Leonarduzzi, la Cour fédérale a statué que si le motif du licenciement est lié à l’emploi du fonctionnaire, soit à son rendement ou à sa conduite, l’employeur n’a pas à justifier le licenciement comme étant la mesure appropriée aux circonstances. Ainsi, l’employeur n’est pas tenu de faire la preuve d’un motif déterminé valable, mais bien une preuve minimale que le licenciement est lié à l’emploi et non à un autre motif (voir Wright c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 139).

64 En raison de la position prise par les tribunaux, la barre est haute pour le fonctionnaire qui allègue que son licenciement résulte d’une supercherie ou d’un camouflage ou a été fait de mauvaise foi. Vu le libellé d’exclusion de l’article 211 de la LRTFP, le fardeau de la preuve incombait à la fonctionnaire de montrer selon une prépondérance de la preuve que l’employeur avait agi de mauvaise foi. Dans Owens c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2003 CRTFP 33, l’arbitre de grief a souligné que l’employeur n’a pas à recourir à la procédure disciplinaire pendant la période de stage, mais peut licencier l’employé s’il a une raison liée à l’emploi.  Toutefois, l’employeur ne peut simplement imaginer le motif lié à l’emploi dans le but de camoufler des motifs qui n’avaient aucun rapport avec les aptitudes de l’employé à faire le travail (voir aussi Dhaliwal).

65 Je partage l’opinion émise dans Maqsood selon laquelle même si l’employeur commet une erreur en décidant de mettre fin à la période de stage, le licenciement n’est pas susceptible de contestation si les motifs de sa décision sont liés à l’emploi.

66 En l’espèce, l’employeur a avancé comme motif de licenciement l’incapacité de la fonctionnaire d’atteindre les objectifs attendus en ce qui concerne, notamment, la maîtrise de l’équipement sécuritaire, la maîtrise des postes sécuritaires, la capacité d’apprentissage ainsi que la capacité de réaction à un incident critique.

67 En raison des circonstances de la présente affaire, j’ai conclu que la fonctionnaire n’a pas démontré que la décision de l’employeur de la licencier en période de stage a été prise de mauvaise foi. L’employeur a produit, tel qu’il le fallait, une preuve minimale que le licenciement était lié à l’emploi et non à un autre motif.

68 Je n’ai pas été convaincue que la deuxième période de stage à laquelle s’est soumise la fonctionnaire était déraisonnable en l’espèce. La fonctionnaire ne s’y est pas opposée au moment où le deuxième stage lui a été proposé et elle n’a pas soulevé cette question avec le formateur. En fait, il y a eu peu de discussions à cet égard entre elle et M. Leduc, ou avec M. Matte. Il est trop tard au moment du licenciement, quelque six mois plus tard, pour soulever une objection à la décision de l’employeur.

69 Les incidents reprochés à la fonctionnaire ne relèvent pas de l’imaginaire, car cette dernière ne les a pas niés. Elle a contesté l’interprétation des faits par M. Leduc. Je suis d’avis qu’il n’était pas nécessaire pour M. Leduc de faire enquête sur chaque incident et de rencontrer la fonctionnaire. M. Leduc a témoigné que les surveillants de première ligne avaient la responsabilité de faire le suivi des incidents et la fonctionnaire ne m’a pas démontré par une preuve, autre que son propre témoignage, que les surveillants ont omis de faire ce suivi. La fonctionnaire a fait témoigner M. Blanchard qui a parlé favorablement du rendement de la fonctionnaire. Malgré tout, celui-ci n’avait pas été témoin des incidents reprochés à la fonctionnaire et, par conséquent, son témoignage ne sert pas à corroborer la version des faits de la fonctionnaire.

70 La fonctionnaire n’a pas fait la preuve que les normes de rendement qui lui ont été imposées étaient différentes de celles imposées aux autres agents correctionnels. Je m’explique : Mme Poisson a témoigné qu’après 12 semaines de travail, tout nouvel agent correctionnel devait faire preuve d’autonomie et devait maîtriser adéquatement les responsabilités de chaque poste de travail. M. Leduc a témoigné que l’employeur ne refait pas l’apprentissage du collège et qu’un agent correctionnel doit s’intégrer rapidement, avec l’aide bien sûr du supérieur ou des superviseurs de premier niveau pour répondre aux interrogations, le cas échéant. L’agent correctionnel a la responsabilité de poser des questions s’il ne comprend pas la tâche ou éprouve des difficultés.

71 Le milieu carcéral est très dur et les erreurs de parcours peuvent avoir des conséquences graves, sinon fatales. L’agent correctionnel est responsable non seulement de sa propre sécurité, mais de celle de ses collègues. La période d’apprentissage du collège de 13 semaines est la première étape rigoureuse et la période de stage en établissement est la deuxième. Comme l’a indiqué M. Leduc, la réussite de la formation au collège ne garantit pas la réussite du stage en établissement. L’employeur ne peut hésiter s’il est convaincu que la fonctionnaire en période de stage ne possède pas les qualités liées à l’emploi. L’employeur ne peut compromettre sa responsabilité pour ce qui est de la sécurité d’un établissement s’il juge que le fonctionnaire n’est pas apte à accomplir les tâches qui lui sont assignées.

72 Tel qu’indiqué ci-dessus, les critères qui régissent la période de stage ne sont pas ceux qui régissent un fonctionnaire nommé pour une période indéterminée. L’employeur est tenu d’évaluer le rendement du fonctionnaire, mais il n’a pas à le soutenir, autre que lui donner la chance de prouver qu’il a les capacités de rendement conformes au poste. Selon Penner, et contrairement aux principes qui régissent le licenciement d’un fonctionnaire nommé pour une période indéterminée, l’employeur n’a pas à conseiller ou à donner des avertissements au fonctionnaire. La période de stage constitue en elle-même une mise-en-garde que l’employeur s’attend à un rendement exemplaire, car c’est en fonction de cette période qu’il décidera de confirmer ou non l’emploi pour une période indéterminée, une fois la période de stage complétée. 

73 Même si en l’espèce la fonctionnaire dit avoir été prise par surprise par la décision de l’employeur de la licencier, parce qu’elle n’avait pas été mise au courant des rapports négatifs à son égard, je suis d’avis que l’élément de surprise ne fait pas de la décision de l’employeur un camouflage ou une supercherie, en autant que les motifs invoqués étaient reliés à l’emploi. La fonctionnaire aurait pu être mise au courant des résultats du deuxième stage si elle avait les avaient demandés à son superviseur. M. Leduc lui a justement reproché son manque d’intérêt et d’implication à l’égard de sa performance.

74 Par ailleurs, la fonctionnaire n’a pas nié les incidents qui lui sont reprochés, mais plutôt leur interprétation. L’employeur dispose d’une grande marge de manœuvre quant à l’interprétation des faits puisqu’il est celui qui vivra avec les conséquences de sa décision. L’employeur n’a pas à être exact dans son interprétation des faits, en autant que ces faits soient réellement liés à l’emploi, au rendement ou à la conduite du fonctionnaire. Ainsi, le licenciement sera jugé conforme aux principes établis par la loi, tel qu’interprété par la jurisprudence.

75 Bien que cette thèse puisse sembler arbitraire et ne laisser aucune discrétion à l’arbitre de grief, c’est le principe dont la fonction publique fédérale s’est dotée pour évaluer la période de stage. En tant qu’arbitre de grief, je tire ma compétence du cadre législatif qui m’est imposé et je ne suis pas autorisée à décider contrairement aux limites qui me sont imposées.

76 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

X. Ordonnance

77 Le grief est rejeté.

Le 19 mai 2010.

Michele A. Pineau,
arbitre de grief

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