Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que les défendeurs s’étaient livrés à une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la <<Loi>>) dans le cadre de leur représentation de la plaignante, en agissant de façon discriminatoire à son endroit en ne la représentant pas tout au long de sa période d’invalidité et en omettant de déposer des griefs qui auraient pu mener à des mesures correctives appréciables pour régler ses problèmes - les défendeurs ont soumis que la plainte était irrecevable puisqu’elle a clairement été déposée en dehors du délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi - en 1998, la plaignante a été accusée de harcèlement par une collègue de travail - même si les accusations ont éventuellement été jugées non fondées, la plaignante a souffert de dépression majeure à la suite des événements - elle a été déclarée inapte à travailler et a touché des prestations d’invalidité pendant des années avant de prendre sa retraite et d’avoir droit à une pension d’invalidité en 2006 - en 2001, la plaignante a déposé des griefs contre son employeur, mais la médiation a échoué et, en janvier2004, son agent négociateur l’a informée qu’il retirait ses griefs de l’arbitrage - il s’agit de la dernière communication qu’elle a eue avec le défendeur avant de déposer la présente plainte en 2009 - la plaignante a intenté une action contre son employeur en 2004, mais elle a été rejetée faute de compétence; cette décision a été confirmée en appel - le psychologue de la plaignante a témoigné que, lors de la période en question, la plaignante n’avait pas l’esprit suffisamment clair pour traiter les faits de façon logique, mais il a également affirmé qu’elle n’a jamais été juridiquement incapable - tous les événements sur lesquels la plainte s’appuie sont survenus avant la promulgation de la Loi - les parties n’ont pas traité de la question de savoir si la Loi actuelle ou l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (l’<<ancienne Loi>>) s’applique - l’ancienne Loi n’imposait pas de délais pour la présentation de plaintes, mais la jurisprudence sous le régime de l’ancienne Loi a établi que les plaintes devaient être déposées dans un délai raisonnable - quoi qu’il en soit, la plainte était hors délai - si l’ancienne Loi s’appliquait, la plainte n’a pas été déposée dans un délai raisonnable - la plaignante avait la capacité d’agir pendant la période visée sous le régime de la nouvelle Loi, la plainte a clairement été déposée en dehors du délai prescrit et la Commission n’avait pas le pouvoir de prolonger le délai. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-07-06
  • Dossier:  561-02-387
  • Référence:  2010 CRTFP 81

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

NANCY FORWARD-ARIAS

plaignante

et

SYNDICAT DES EMPLOYÉ-E-S DU SOLLICITEUR GÉNÉRAL ET
ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeurs

Répertorié
Forward-Arias c. Syndicat des employé-e-s du Solliciteur général et Alliance de la
Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, commissaire

Pour la plaignante:
Karin Galldin, avocate

Pour les défendeurs:
John Haunholter, Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 14 et 15 juin 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le 24 mars 2009, Nancy Forward-Arias (la « plaignante ») a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») contre le Syndicat des employé-e-s du Solliciteur général (SESG) et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) (les « défendeurs »). Le SESG est un élément de l’AFPC, l’agent négociateur. Dans sa plainte, la plaignante a allégué que les défendeurs s’étaient livrés à des pratiques déloyales au sens de l’article 185 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). 

2 La plaignante occupait un poste administratif à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et était membre de l’AFPC et du SESG. Elle a pris sa retraite en juin 2006. Dans sa plainte, la plaignante a allégué que les défendeurs avaient agi de façon arbitraire lorsqu’ils l’ont représentée à la suite d’allégations de harcèlement au travail déposées en 1998 et qu’ils avaient agi de façon discriminatoire à son endroit en négligeant de la représenter entre 1999 et 2007 tout au long de sa période d’invalidité. La plaignante a aussi allégué que les défendeurs avaient omis de déposer des griefs en son nom, lesquels griefs auraient pu offrir des mesures correctives appréciables à l’égard des mesures disciplinaires et du harcèlement dont elle avait fait l’objet dans son milieu de travail.

3 Le 15 avril 2009, les défendeurs ont soutenu que la plainte avait été déposée en dehors du délai prescrit et qu’elle devait être rejetée pour ce motif. Les questions visées par la plainte datent des années 1998 à 2004. Il est évident que cette période excède le délai de 90 jours prescrit par le paragraphe 190(2) de la Loi qui est ainsi libellé :

190. (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu - ou, selon la Commission, aurait dû avoir - connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

4 Le greffe de la Commission a avisé les parties que la présente audience porterait exclusivement sur la preuve et les arguments concernant l’objection soulevée par les défendeurs. Au début de l’audience, la plaignante a fait valoir qu’elle devrait aussi être autorisée à présenter des éléments de preuve concernant les événements qui ont donné lieu à sa plainte parce que ceux-ci étaient étroitement liés aux motifs pour lesquels elle n’a déposé sa plainte qu’en 2009. Les défendeurs ne se sont pas opposés à cette demande, que j’ai acceptée.

5 À l’audience, les défendeurs ont aussi soulevé une objection concernant la qualité de la plaignante puisqu’elle avait pris sa retraite en 2006 et qu’elle avait donc perdu sa qualité d’employée. J’ai refusé de disposer de cette objection parce que les parties avaient été informées que l’audience ne porterait que sur l’objection relative au délai de présentation de la plainte. J’ai proposé aux défendeurs de soulever de nouveau leur objection si l’objection du délai de présentation était rejetée.

II. Résumé de la preuve

6 La plaignante a appelé le Dr Robert Groves à témoigner. Le Dr Groves est un psychologue clinicien et consultant inscrit. La plaignante est suivie par le Dr Groves depuis 2002. La plaignante a témoigné elle aussi. Elle a produit 28 documents en preuve, et les défendeurs ont déposé 3 documents.

A. Témoignage de la plaignante

7 La plaignante a commencé à travailler pour la GRC en 1989. En juillet 1998, l’une de ses collègues, Mme X, a déposé une plainte de harcèlement contre la plaignante dans laquelle elle alléguait que celle-ci l’avait agressée au travail. Mme X a aussi déposé une plainte auprès du Service de la police d’Ottawa dans le but de faire porter des accusations d’agression contre la plaignante. Avant le dépôt de plaintes, la plaignante menait une vie sans problème, tant au plan professionnel que personnel, mais ces plaintes ont eu sur elle un effet dévastateur.

8 À la suite de la plainte de Mme X, la plaignante a eu l’impression d’être toute seule et que personne ne pouvait l’aider. Les défendeurs lui ont dit qu’ils ne pouvaient pas lui venir en aide parce qu’elle était l’auteure alléguée du harcèlement. Après le dépôt de la plainte, la GRC n’a pas installé Mme X et la plaignante dans des lieux du travail séparés. La plaignante s’est sentie harcelée au quotidien. En août 1998, la GRC a renvoyé la plaignante chez elle pour une période de six semaines. Lorsqu’elle est retournée au travail, les déplacements de la plaignante étaient surveillés et elle devait informer son superviseur dès qu’elle voulait quitter son poste de travail. Elle était toujours escortée lors de ses déplacements dans l’immeuble où elle travaillait, même pour se rendre aux toilettes. La plaignante a commencé à s’isoler et s’est sentie punie pour une faute qu’elle n’avait pas commise. Plus tard, à l’automne 1998, elle a déposé une plainte de harcèlement contre son superviseur à la GRC. Après enquête, la GRC a conclu que la plainte était fondée.

9 La plainte de harcèlement de Mme X et les accusations d’agression ont toutes été rejetées. Toutefois, ces rejets n’ont pas effacé les dommages psychologiques subis par la plaignante. En février 1999, la plaignante n’était plus en mesure de travailler. En septembre 1999, le Dr Peter Ely a rédigé un rapport d’évaluation psychologique de la plaignante pour le compte de Santé Canada. Il a conclu qu’elle était beaucoup trop vulnérable et fragile pour réintégrer son poste dans un milieu de travail qui pouvait lui être hostile.

10 Le 4 avril 2000, le Dr John Given de Santé Canada a demandé au Dr Richard Spees de réévaluer l’aptitude au travail de la plaignante. Le 8 avril 2000, le Dr Spees a conclu que la plaignante était atteinte de dépression grave et qu’elle n’était pas apte à travailler. Il a recommandé qu’on la réévalue deux ou trois mois plus tard. En septembre 2000, le Dr Spees a examiné la plaignante de nouveau. Il a proposé qu’elle retourne au travail de façon limitée, peut-être à raison de deux après-midi par semaine pour commencer. En octobre 2000, la plaignante est retournée travailler à temps partiel, comme l’avait proposé le Dr Spees.

11 En avril 2001, la plaignante a croisé Mme X dans un magasin situé dans un centre commercial. La plaignante a tout de suite quitté le magasin. Elle était très troublée et bouleversée. Elle a téléphoné au poste de police local, mais les policiers n’ont pu rien faire pour elle. Elle a appris peu de temps après que Mme X s’était rendue au palais de justice pour obtenir une ordonnance de non-communication contre la plaignante. Mme X a prétendu que la plaignante l’avait suivie au centre commercial, qu’elle possédait une arme à feu et qu’elle l’avait menacée. La plaignante a été interrogée par un agent de la police locale. À l’issue de l’enquête, l’agent a conclu que la plaignante n’avait rien fait de mal. En raison de la nouvelle plainte de Mme X, la plaignante avait dorénavant peur de quitter la maison. En juin 2001, elle ne pouvait plus travailler parce que son état de santé s’était détérioré. En mars 2002, elle a rencontré le Dr M.J. Hamilton afin de subir une évaluation médicale indépendante. Le Dr Hamilton a conclu que la plaignante était atteinte d’anxiété et de dépression graves en réaction aux événements qu’elle avait vécus et qu’elle était incapable d’occuper quelque emploi que ce soit à cette époque.

12 Au cours des années qui ont suivi, la santé de la plaignante ne s’est pas vraiment améliorée, comme en témoignent plusieurs évaluations et certificats médicaux produits en preuve à l’audience. Pendant un certain temps, elle a reçu des prestations d’invalidité de la Sun Life. Elle a eu des problèmes avec cette compagnie, mais les a finalement réglés avec l’aide d’un avocat dont elle a retenu les services.

13 En mai 2001, la plaignante a sollicité l’aide de la section locale de son syndicat. La section locale du syndicat l’a aidée à déposer un grief, dans lequel elle déclarait que la GRC ne lui avait pas fourni un milieu de travail exempt de harcèlement. En décembre 2001, la GRC a présenté une offre à la plaignante afin de régler son grief. La plaignante a indiqué qu’elle n’était pas suffisamment en santé pour pouvoir accepter ou rejeter l’offre. Malgré la demande de la plaignante, la GRC a répondu au grief en mars 2002 et l’a accueilli seulement en partie. Le 10 avril 2002, les défendeurs ont écrit à la plaignante pour l’informer que son grief n’était pas arbitrable, mais qu’ils le renverraient à l’arbitrage aux fins de médiation. Le 22 avril 2002, Cynthia Sams, une avocate dont la plaignante a retenu les services, a écrit aux défendeurs pour les informer que la plaignante acceptait que son grief soit renvoyé à l’arbitrage aux fins de médiation, mais que la médiation ne devrait pas avoir lieu avant que l’état de santé de la plaignante ne s’améliore. L’AFPC a renvoyé le grief à l’arbitrage le 21 mai 2002.

14 La première séance de médiation a eu lieu en septembre 2003. Après avoir entendu les parties, le médiateur a proposé d’ajourner la séance afin de permettre à un plus grand nombre de personnes d’y assister, ce qui aurait pu faciliter le règlement des questions en litige. En décembre 2003, la plaignante a rencontré son avocate, Mme Sams, et elles ont rédigé ensemble un document de cinq pages en vue de la prochaine séance de médiation. Cette séance, au cours de laquelle la plaignante a été représentée par l’AFPC, a eu lieu en janvier 2004. Aucun élément positif n’est ressorti de cette séance et aucun règlement n’a été conclu. La plaignante était dévastée. Le 16 janvier 2004, l’AFPC a informé la Commission qu’elle retirait le grief de la plaignante de l’arbitrage. La plaignante a admis avoir reçu copie de cette lettre.

15 La plaignante a cru que les défendeurs n’avaient pas été francs et honnêtes avec elle et qu’ils l’avaient abandonnée. Après février 2004, la plaignante n’a eu aucun autre contact avec les défendeurs.

16 Plus tard en 2004, Mme Sams a informé la plaignante qu’elle quittait le pays en congé sabbatique. Elle a proposé à la plaignante de consulter un avocat qu’elle connaissait, Emilio Binavince. En juin 2004, la plaignante a rencontré M. Binavince, qui lui a conseillé d’intenter une poursuite contre la GRC. Ainsi, la plaignante a rencontré un représentant du bureau de M. Binavince et lui a raconté son histoire. À partir de cette rencontre, M. Binavince a préparé une déclaration, dans laquelle étaient décrits en détail les problèmes que la plaignante avait eus avec la GRC au fil des ans. Dans sa décision du 25 novembre 2005, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté l’action au motif que la Cour n’avait pas compétence sur l’objet de la déclaration. M. Binavince a porté la décision en appel au nom de la plaignante. L’appel a été rejeté.

17 À la suite d’une évaluation médicale, au cours de laquelle il a été déterminé que la plaignante n’était pas apte au travail pour des raisons médicales, la GRC a écrit à la plaignante en avril 2006 pour l’informer qu’elle devait soit faire une demande de pension pour raisons de santé ou démissionner volontairement; sinon, elle serait licenciée. La plaignante a décidé de demander une pension pour raisons de santé, qu’elle a commencé à recevoir en mai 2006.

18 En 2007, la plaignante a rencontré une femme qu’elle avait aidée auparavant et qui occupait un poste de gestion dans un ministère fédéral. Cette femme était d’avis qu’il lui serait bénéfique de recommencer à travailler. Elle a proposé à la plaignante de s’inscrire auprès d’une agence. Ainsi, elle pourrait l’embaucher à titre d’adjointe administrative par l’entremise de l’agence. La plaignante a travaillé pour cette femme jusqu’en mars 2010. Cet emploi a grandement contribué à lui redonner confiance en elle et elle a commencé à se sentir mieux en 2009.

19 Au début de 2009, la plaignante a rencontré une avocate, Karin Galldin, pour obtenir des conseils sur ce qu’elle pouvait faire concernant le traitement qu’elle avait reçu de la GRC et de ses représentants syndicaux au fil des années. Elle a appris qu’elle pouvait présenter une plainte pour pratique déloyale contre les défendeurs. Peu après sa rencontre avec Mme Galldin, elle a déposé la présente plainte.

B. Témoignage du Dr Robert Groves

20 Le Dr Groves a commencé à voir la plaignante à titre de patiente en 2002. Elle était atteinte de trouble de stress post-traumatique chronique (TSPT) causé par les incidents survenus avec Mme X. Le TSPT peut ne pas se manifester pendant une longue période, mais être déclenché par de nouveaux incidents. Entre 2002 et 2006, la plaignante présentait de symptômes aigus de TSPT. À cette époque-là, elle avait de la difficulté à affronter la vie et était très passive. Depuis 2002, le Dr Groves rencontrait la plaignante toutes les deux semaines. Il a pu observer son comportement et sa capacité de faire face à ses problèmes. Il a fallu de quatre à cinq ans à la plaignante pour qu’elle puisse parler de manière cohérente des problèmes qu’elle avait vécus au travail. Le fait de parler de ces problèmes déclenchait la douleur qu’elle ressentait.

21 Le Dr Groves avait recommandé que la date initiale de la médiation du grief de la plaignante soit reportée. Il croyait qu’elle pouvait y faire face au début de 2004, parce qu’elle faisait grandement confiance à Dan Fisher, un représentant de l’AFPC, qui devait assister à la médiation. Toutefois, lorsque la médiation a eu lieu, la plaignante a été représentée par un médiateur de l’AFPC et M. Fisher était absent. À ce moment, la plaignante s’est sentie vraiment abandonnée. Ce sentiment s’est accentué quand elle a constaté que la GRC n’avait rien à lui offrir et que l’AFPC retirait son grief.

22 La plaignante pouvait mener sa vie même si elle avait eu une enfance très difficile. Elle avait été adoptée quand elle était très jeune et avait été victime d’agression au sein de sa famille adoptive dysfonctionnelle. Elle avait eu une vie épouvantable, mais avait réussi à s’en sortir. Toutefois, la plaignante était devenue une adulte plus vulnérable. Le sentiment d’abandon avait été déclenché par l’échec de la médiation de janvier 2004 et par le retrait de son grief de l’arbitrage.  

23 En 2004, la plaignante était revenue dans le même état qu’elle se trouvait en 2002. Elle était inquiète, elle broyait du noir et ne pouvait mettre de l’ordre dans ses idées. Les émotions qu’elle ressentait submergeaient son processus cognitif. Le Dr Groves s’est rappelé qu’en 2004 Mme Sams avait recommandé à la plaignante de consulter M. Binavince. Au début, la plaignante lui faisait confiance. Il voulait que le Dr Groves lui envoie le dossier médical de la plaignante. Mais le Dr Groves a refusé. Il se rappelait aussi qu’en 2005 la plaignante avait été dévastée lorsqu’elle avait appris qu’elle avait perdu devant le tribunal et qu’elle devait payer les dépens. Elle n’avait pas d’argent.

24 En 2005 et en 2006, la plaignante avait connu des hauts et des bas; elle était très stressée et désespérée. Elle avait aussi eu des problèmes de santé physique. Au début de 2007, elle était retournée au travail pour une amie dans un milieu de travail très sécuritaire où elle subissait peu de pression et de stress. Cette expérience lui a redonné confiance en elle. N’eut été de cette femme qui l’a aidée, elle n’aurait pas été en mesure de travailler.

25 Avant le début de 2009, la plaignante n’avait pas l’esprit suffisamment clair pour traiter les faits de façon logique. Lorsqu’elle parlait de son expérience de travail à la GRC, elle s’effondrait. Son jugement critique était altéré par l’anxiété et le sentiment de culpabilité. Ce n’est qu’en 2009 que la plaignante a été en mesure de reconnaître qu’elle avait besoin de conseils juridiques et qu’elle a pris des mesures. Toutefois, la plaignante n’a jamais été frappée d’incapacité juridique, même quand elle était à son plus bas.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

26 La plaignante a soutenu que son état de santé l’avait empêchée d’agir avant 2009 concernant la violation de la Loi qui avait eu lieu plusieurs années auparavant. Elle a admis qu’elle a eu connaissance des actes commis par les défendeurs en 2004, mais qu’elle avait été incapable de déposer une plainte avant le début de 2009. Dès qu’elle avait obtenu un avis juridique au début de 2009 et qu’on l’avait informée de ses droits en vertu de la Loi, elle avait déposé sa plainte.

27 Son propre témoignage, les rapports médicaux déposés en preuve ainsi que le témoignage du Dr Groves prouvent que la plaignante n’était pas en mesure de déposer sa plainte avant 2009. Même si elle avait intenté une poursuite contre la GRC en 2004, elle ne s’était pas occupée de la poursuite et avait simplement présenté son dossier à M. Binavince.

28 Avant la fin de 2008 ou le début de 2009, la plaignante ne pouvait pas parler des problèmes qu’elle avait vécus au travail sans s’effondrer. Elle ne pouvait pas être cohérente à ce sujet, ce qui l’a empêchée de déposer sa plainte. Ce n’est qu’en 2009 qu’elle a pu reconnaître son besoin d’obtenir des conseils juridiques et qu’elle a agi en conséquence. Elle s’est ensuite adressée à son avocate actuelle avec une confiance relativement nouvelle quant à la possibilité que sa situation mérite d’être réexaminée.

29 La plaignante m’a renvoyé aux décisions suivantes : Machnee c. Klaponski et al., 2001 CRTFP 28; McConnell c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2005 CRTFP 140; Cuming c. Butcher et al., 2008 CRTFP 76; Exeter c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 14.

B. Pour les défendeurs

30 La plaignante connaissait les faits sur lesquels était fondée sa plainte depuis janvier 2004. Elle a choisi d’attendre cinq ans avant d’agir à l’égard de ces faits. La Loiest claire : toute personne dispose de 90 jours pour déposer une plainte. Une jurisprudence abondante de la Commission indique clairement que le délai de 90 jours est ferme et qu’il doit être respecté.

31 Les défendeurs ont soutenu que la plaignante aurait pu déposer sa plainte plus tôt. Elle n’était pas juridiquement incapable et aurait pu agir dès 2004. L’obtention d’un nouvel avis juridique en 2009 ne lui accordait pas une prolongation du délai de présentation d’une plainte en vertu de la Loi.

32 La plaignante a retenu les services de M. Binavince en 2004 afin d’intenter une poursuite contre la GRC, ce qui prouve qu’elle était capable d’agir à l’époque et qu’elle aurait pu déposer la présente plainte.

33 Les défendeurs m’ont renvoyé aux décisions suivantes : Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 100; Dubuc c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada et Sioui, 2009 CRTFP 140; Renaud c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 177; Shutiak c. Syndicat des employé(e)s de l’impôt, 2009 CRTFP 30; Éthier c. Service correctionnel du Canada et Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN, 2010 CRTFP 7; Hérold c. Alliance de la Fonction publique du Canada et Gritti, 2009 CRTFP 132; Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78; Harrison c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 161-02-725 (19951023); Giroux c. Santé Canada et al., dossiers de la CRTFP 161-02-825 et 826 (19990129).

IV. Motifs

34 Dans sa plainte, la plaignante a déclaré que les défendeurs avaient agi de façon arbitraire lorsqu’ils l’ont représentée dans le cadre d’allégations de harcèlement au travail en 1998 et qu’ils avaient agi de façon discriminatoire à son endroit en négligeant de la représenter entre 1999 et 2007 tout au long de sa période d’invalidité. Toutefois, selon le témoignage de cette dernière, elle n’a pas eu de contact avec les défendeurs après le retrait de son grief de l’arbitrage le 16 janvier 2004. Si les défendeurs ne savaient pas que la plaignante avait besoin de services de représentation après cette date, ils ne pouvaient manifestement pas l’aider ou agir en son nom. Les défendeurs ne peuvent pas être accusés de s’être livrés à une pratique déloyale à l’égard de la plaignante après le 16 janvier 2004. Par conséquent, afin de déterminer si la plainte a été présentée dans le délai prescrit, je me servirai du 16 janvier 2004 comme point de départ.

35 Dans leurs arguments concernant le respect du délai de présentation de la plainte, les parties ont expressément fait référence au paragraphe 190(2) de la Loi, qui prévoit qu’une plainte doit être déposée au plus tard 90 jours après la date à laquelle le plaignant a eu - ou, selon la Commission, aurait dû avoir - connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu. Les derniers incidents sur lesquels la plainte est fondée sont survenus en janvier 2004.

36 Le fait que les événements sur lesquels est fondée la plainte se sont tous produits avant la promulgation de la Loi soulève la question de savoir si la Loi actuelle ou l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (« l’ancienne Loi ») s’applique à la présente plainte. Il en est particulièrement ainsi étant donné que la Loi actuelle prévoit un délai de 90 jours pour le dépôt des plaintes tandis qu’aucun délai fixe n’était prescrit dans l’ancienne Loi. La question des droits acquis aurait donc pu être soulevée. Toutefois, ni l’une ni l’autre des parties n’a soulevé la question et toutes deux ont plutôt ont fondé leur argumentation sur les dispositions de la Loi actuelle. Peu importe la loi qui s’applique en l’espèce, j’ai déterminé que ma décision serait la même.

37 Comme je l’ai affirmé plus haut, l’ancienne Loi ne prescrivait aucun délai pour la présentation d’une plainte. Dans son interprétation de l’ancienne Loi, l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (« l’ancienne Commission ») a établi que les plaintes devaient être déposées dans un délai raisonnable suivant la mesure ou de la décision sur laquelle était fondée la plainte. Même si le concept de « délai raisonnable » ne fait pas référence à un nombre précis de jours ou de mois, il ressort clairement de l’analyse de la jurisprudence de l’ancienne Commission qu’un plaignant ou une plaignante qui avait attendu plus de quelques mois avant de déposer sa plainte devait convaincre la Commission qu’il ou qu’elle avait une explication valable pour ne pas avoir déposé sa plainte quelques mois suivant la survenance des faits ou des circonstances contestés.

38 La preuve indique que la plaignante savait et comprenait clairement que l’AFPC avait retiré son grief de l’arbitrage le 16 janvier 2004. Selon la jurisprudence établie sous le régime de l’ancienne Loi, la plaignante aurait donc dû déposer sa plainte au plus tard au cours de la première moitié de 2004 afin que le délai de présentation de la plainte soit jugé « raisonnable ». Un délai de six ans ne peut en aucun cas être jugé « raisonnable ». Par conséquent, sous le régime de l’ancienne Loi, la plaignante aurait dû produire des éléments de preuve visant à expliquer pourquoi elle avait attendu aussi longtemps. C’est ce qu’a fait la plaignante en l’espèce au moyen de son propre témoignage et de celui de son psychologue, le Dr Groves.

39 Comme la plaignante a été en mesure de demander un avis juridique à Mme Sams et à M. Binavince en 2004, je conclus qu’elle aurait également pu déposer la présente plainte à ce moment-là. Bien que je sois convaincu que la plaignante était très malade entre 2002 et 2009, la preuve démontre qu’elle avait eu connaissance des faits sur lesquels sa plainte est fondée, qu’elle avait eu la capacité de recourir à l’assistance de Mme Sams concernant ses problèmes relatifs au travail et qu’elle avait été capable de travailler avec elle à la rédaction d’un document de médiation de cinq pages, qu’elle avait eu la capacité de retenir les services d’un deuxième avocat, M. Binavince, lorsque Mme Sams a quitté le pays et qu’elle avait été en mesure de lui donner des instructions concernant la poursuite intentée devant la Cour supérieure.

40 Dans son témoignage, le Dr Groves a déclaré que bien que la plaignante ne se portait pas bien, elle n’était pas frappée d’incapacité. Je crois que la véritable raison pour laquelle elle n’a pas agi à cette époque est qu’elle ignorait qu’elle avait le droit de déposer une plainte pour pratique déloyale avant le début de 2009, au moment où elle a rencontré Mme Galldin. Sous le régime de l’ancienne Loi, et étant donné les faits en l’espèce, une période de cinq ans ne peut être considérée comme un délai raisonnable pour la présentation d’une plainte. Par conséquent, même si l’ancienne Loi s’appliquait, je rejetterais la plainte pour non-respect du délai de présentation.

41 J’en viens maintenant à la question du respect du délai de présentation en vertu de la Loi actuelle. Conformément au paragraphe 190(2) de la Loi, la période prescrite pour le dépôt d’une plainte est de 90 jours et ne peut pas être prolongée. Le paragraphe 190(2) prévoit ce qui suit :

190. (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu - ou, selon la Commission, aurait dû avoir - connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

42 La plaignante a admis avoir été informée de la position non équivoque des défendeurs le 16 janvier 2004. C’est sur cette position qu’elle a fondé sa plainte. Elle avait donc connaissance des mesures et des circonstances ayant donné lieu à sa plainte en janvier 2004. De toute évidence, la plainte a été déposée après l’expiration du délai obligatoire de 90 jours. En outre, bien que la Loi confère au président de la Commission le pouvoir de prolonger les délais pour le dépôt de griefs, elle ne donne pas le même pouvoir à la Commission en ce qui a trait aux plaintes. La Commission a conclu à plusieurs reprises qu’elle n’avait pas le pouvoir de prolonger les délais de présentation d’une plainte et je souscris à cette position.    

43 J’ai pris connaissance des décisions citées par les parties et je ne vois aucun besoin de formuler des commentaires supplémentaires puisque les faits de l’espèce sont uniques.

44 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

45 La plainte est rejetée.

Le 6 juillet 2010.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
commissaire

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