Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Après son départ à la retraite, la fonctionnaire s’estimant lésée a déposé trois griefs alléguant que l’employeur avait refusé de lui accorder des congés auxquels elle prétendait avoir eu droit - l’employeur a objecté que les derniers mois d’emploi de la fonctionnaire s’estimant lésée étaient régis par une entente de règlement et que, par conséquent, l’arbitre de grief n’était pas compétent en la matière - l’employeur a également fait valoir que la fonctionnaire s’estimant lésée n’était plus une employée et qu’elle n’avait donc pas qualité pour agir devant l’arbitre de grief - l’arbitre de grief a conclu qu’il était compétent étant donné que les faits à l’origine des griefs avaient eu lieu pendant la période d’emploi - il a également conclu que les griefs devraient être tranchés aux termes de la convention collective, non pas de l’entente de règlement - l’arbitre de grief a rejeté les griefs parce que les congés réclamés n’auraient pas pu être pris en même temps que le congé annuel dont la fonctionnaire s’estimant lésée avait bénéficié au cours des derniers mois précédant son départ à la retraite. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-06-02
  • Dossier:  566-09-2094 à 2096
  • Référence:  2010 CRTFP 73

Devant un arbitre de grief


ENTRE

EVELYN KIDD

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL NATIONAL DE RECHERCHES DU CANADA

employeur

Répertorié
Kidd c. Conseil national de recherches du Canada

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésée:
Martin Ranger, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Stephen Bertrand, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 17 et 18 mai 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

1 Evelyn Kidd, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a travaillé pour le Conseil national de recherches du Canada (l’« employeur » ou le CNRC), où elle occupait un poste classifié dans le groupe et au niveau IS-04. Elle était régie par la convention collective du groupe Services d’information, signée le 28 juin 2006 entre l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada et l’employeur (la « convention collective »). La fonctionnaire a pris sa retraite le 5 septembre 2007. Le 28 septembre 2007, elle a déposé trois griefs alléguant que l’employeur a violé la convention collective.

2 Dans le premier grief (dossier de la CRTFP 566-09-2094), la fonctionnaire a allégué que l’employeur a violé l’article 11 de la convention collective en rejetant sa demande de congé compensatoire. Dans le deuxième grief (dossier de la Commission 566-09-2095), la fonctionnaire a allégué que l’employeur a violé les articles 17 et 18 en rejetant 13 de ses 14 demandes de congé de maladie. Dans le troisième grief (dossier de la CRTFP 566-09-2096), la fonctionnaire a allégué que l’employeur a violé l’article 19 en rejetant ses demandes de congé de bénévolat et de congé personnel. Dans chaque grief, la fonctionnaire a demandé que l’employeur lui octroie le congé en question et que la date de son départ à la retraite, fixée au 5 septembre 2007, et ses avantages soient rajustés en conséquence.

3 L’employeur a rejeté les trois griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 24 avril 2008, en évoquant une entente de règlement conclue avec la fonctionnaire qui stipulait qu’elle serait en congé annuel à partir du 1er avril 2007 et qu’elle prendrait sa retraite après avoir épuisé tous ses crédits de congé annuel. L’employeur a également rejeté les griefs parce que la fonctionnaire n’avait pas droit à un autre genre de congé pendant qu’elle était en congé annuel. Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 10 juin 2008.

4 Avant la tenue de l’audience, l’employeur s’est opposé à la compétence de l’arbitre de grief parce que les griefs portent sur l’interprétation et l’application d’une entente de règlement signée par les parties le 20 décembre 2006. À l’audience, l’employeur s’est opposé à la compétence de l’arbitre de grief pour instruire les griefs parce que la fonctionnaire a perdu sa qualité de fonctionnaire lorsqu’elle a déposé ses griefs. J’ai décidé, à l’audience, d’instruire l’affaire au fond et de prendre en délibéré ma décision sur les objections.

II. Résumé de la preuve

5 Les parties ont soumis 26 documents en preuve. La plupart de ces documents étaient des certificats délivrés par des spécialistes de la santé attestant qu’ils avaient rencontré la fonctionnaire à diverses dates entre avril et août 2007. La fonctionnaire a témoigné. L’employeur a appelé Patricia Mortimer comme témoin. Mme Mortimer est vice-présidente, Soutien technologique et industriel, au CNRC. Elle a rejeté les demandes de congé pour le compte de l’employeur.

6 Le 20 décembre 2006, la fonctionnaire et l’employeur ont signé une entente de règlement pour résoudre plusieurs différends entre eux. Les articles 12 et 13 de cette entente disent ceci :

[Traduction]

12. Mme Kidd sera en congé annuel à compter du 1er avril 2007 et épuisera tous les crédits de congé annuel disponibles acquis mais non utilisés.

13. Mme Kidd confirme par les présentes qu’elle prendra sa retraite comme employée du CNRC à la fermeture des bureaux le jour où elle aura épuisé ses crédits de congé annuel.

7 En date du 1er avril 2007, la fonctionnaire a reporté 83,55 jours de congé annuel acquis durant les exercices précédents et avait un solde d’ouverture de 130 jours de congé de maladie et de 5 jours de congé compensatoire. Conformément à l’entente de règlement du 20 décembre 2006, la fonctionnaire est partie en congé annuel le 2 avril 2007; le 1er avril tombait un dimanche.

8 Le 27 juillet 2007, la fonctionnaire a demandé à l’employeur cinq jours de congé compensatoire à la fin de juillet et au début d’août 2007. L’employeur a rejeté sa demande le 21 août 2007, mais il lui a payé les cinq jours de rémunération auxquels elle avait droit en sus de l’indemnité de congés payés.

9 La fonctionnaire a demandé à l’employeur de remplacer ses congés annuels par des congés de maladie pour la période allant du 7 au 18 mai 2007. Elle a fourni un certificat médical attestant qu’elle était malade, et l’employeur a approuvé sa demande. Entre le 24 mai et le 2 août 2007, la fonctionnaire a présenté plusieurs autres demandes à l’employeur pour remplacer ses congés annuels approuvés par des congés payés pour consulter des spécialistes de la santé. La fonctionnaire a soumis 15 certificats délivrés par des spécialistes de la santé attestant qu’ils l’avaient reçue en consultation aux dates en question, mais sans fournir de détails sur l’objet des visites. Chaque demande portait sur une absence de deux heures en moyenne. Si l’employeur les avait approuvées, la fonctionnaire se serait fait créditer 28 heures de congé annuel. La fonctionnaire a déclaré qu’il s’agissait, pour la plupart, de rendez-vous pour recevoir des traitements médicaux et que l’employeur avait comme politique d’octroyer des congés de maladie dans ces cas-là. L’employeur a rejeté ces demandes le 21 août 2007.

10 La fonctionnaire a mis en preuve la politique de l’employeur concernant l’octroi de congés aux employés pour se rendre à des rendez-vous médicaux et dentaires. Selon cette politique, l’employeur accorde jusqu’à concurrence d’une demi-journée pour ces rendez-vous sans rien défalquer des crédits de congé de l’employé. Lorsque plusieurs rendez-vous sont nécessaires pour recevoir un traitement, les employés doivent prendre un congé de maladie.

11 Le 23 mai 2007, la fonctionnaire a demandé à l’employeur un congé de bénévolat le 25 mai 2007. Le 13 juillet 2007, elle a demandé un congé personnel le 23 juillet 2007. L’employeur a rejeté les deux demandes le 21 août 2007.

12 La fonctionnaire était en vacances à l’Île-du-Prince-Édouard en août 2007. Elle a reçu la lettre de l’employeur datée du 21 août 2007 l’informant que ses demandes de congé étaient rejetées le 28 août 2007 seulement.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

13 La fonctionnaire a soutenu que l’arbitre de grief a compétence pour trancher ses griefs, puisqu’elle les a présentés dans le délai fixé par la convention collective. Même si la fonctionnaire a présenté ses griefs après son départ à la retraire, elle était une fonctionnaire lorsque l’employeur a rejeté ses demandes de congé. Lorsqu’elle a reçu la lettre de l’employeur l’avisant du rejet de ses demandes de congé, le 28 août 2007, elle n’avait pas encore pris sa retraite.

14 La fonctionnaire m’a renvoyé à Canada (Conseil du Trésor) c. Lavoie, [1978] 1 C.F. 778 (C.A.), et à Glowinski c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2007 CRTFP 91. Ces décisions étayent l’argument selon lequel la qualité d’un fonctionnaire est établie en fonction de la qualité qu’il avait lorsque la situation ayant donné lieu au grief est survenue. Rendre une décision contraire équivaudrait à priver les fonctionnaires de leur droit de contester les violations de la convention collective qui peuvent survenir immédiatement avant ou après leur départ à la retraite. De plus, le paragraphe 236(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi ») prive les fonctionnaires de tout droit d’action contre l’employeur, sauf par voie de grief, dans le cas de différends liés aux conditions d’emploi.

15 L’employeur n’a pas rejeté les griefs parce que la fonctionnaire n’avait pas les crédits nécessaires pour obtenir le congé demandé mais en raison de l’entente de règlement signée le 20 décembre 2006. Cependant, la fonctionnaire n’a pas renoncé à son droit de se prévaloir d’autres genres de congé en acceptant de partir en congé annuel le 1er avril 2007. L’entente de règlement ne s’étendait pas à ces autres genres de congé; par conséquent, la convention collective doit s’appliquer.

16 La convention collective accordait à la fonctionnaire le droit de prendre un jour de congé de bénévolat et un jour de congé personnel. La fonctionnaire a suivi la procédure établie pour demander ces deux jours de congé, mais l’employeur a rejeté ses demandes. Cela s’applique aussi à la demande de congé compensatoire. La fonctionnaire avait les crédits nécessaires pour prendre le congé et elle a suivi la procédure établie pour en faire la demande, mais l’employeur a rejeté sa demande. En rejetant ces demandes, l’employeur a violé la convention collective.

17 La fonctionnaire a soumis une série de certificats délivrés par des spécialistes de la santé pour étayer ses demandes de congé payé pour rencontrer ces spécialistes. L’employeur ne lui a pas demandé de fournir des renseignements complémentaires après avoir reçu ces demandes. Il s’agissait, dans certains cas, de rendez-vous pour recevoir des traitements médicaux, pour lesquels la fonctionnaire avait droit à un congé de maladie payé. Elle avait également le droit de remplacer ses congés annuels. L’employeur a rejeté ces demandes, ce qui constitue une violation de la convention collective.

18 La fonctionnaire demande à l’arbitre de grief d’accueillir les griefs et d’ordonner à l’employeur de rajuster ou de reporter la date de son départ à la retraite de 95,5 heures. Ces heures comprennent 7,5 heures de congé de bénévolat, 7,5 heures de congé personnel, 33,75 heures de congé compensatoire, 28 heures de congé de maladie et 18,75 heures de congé annuel que la fonctionnaire aurait acquises si elle était demeurée inscrite à l’effectif durant cette période supplémentaire.

B. Pour l’employeur

19 L’employeur a soutenu que l’arbitre de grief n’a pas compétence pour instruire les présents griefs parce que, lorsque la fonctionnaire a présenté ses griefs, elle n’était plus une fonctionnaire au sens des paragraphes 206(1) et 2(1) de la Loi. Ces dispositions définissent un fonctionnaire comme une personne employée dans la fonction publique. En quittant la fonction publique, le 5 septembre 2007, la fonctionnaire a perdu le droit de présenter un grief et de le renvoyer à l’arbitrage. De plus, l’article 63 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12, 13, dit expressément qu’une personne perd sa qualité de fonctionnaire lorsqu’elle part à la retraite.

20 Les anciens fonctionnaires ne peuvent pas présenter de griefs, sauf en ce qui concerne les mesures disciplinaires ou les licenciements, conformément au paragraphe 206(2) de la Loi. La fonctionnaire n’a pas écopé d’une mesure disciplinaire ni n’a été licenciée. Elle a pris sa retraite, ce qui signifie qu’elle a perdu le droit de présenter des griefs. Elle était maître de sa décision de quitter la fonction publique. Elle aurait pu déposer ses griefs avant de prendre sa retraite, mais elle en a décidé autrement. Une fois à la retraite, il était trop tard.

21 L’employeur a avancé que le présent cas est différent de Glowinski et Lavoie. Dans ces cas-là, les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient aucun contrôle sur la fin de leurs emplois. Dans Glowinski, le fonctionnaire s’estimant lésé était un employé nommé pour une durée déterminée qui tentait de négocier une rémunération appropriée lors du renouvellement de sa nomination pour une durée déterminée. Après avoir refusé l’offre de l’employeur, il a déposé un grief. Il n’a pas pu présenter son grief lorsqu’il était un fonctionnaire parce que sa nomination pour une durée déterminée n’a pas été renouvelée et il ne pouvait pas savoir, lorsqu’il était un fonctionnaire, que la question de la rémunération ne serait pas résolue. Dans Lavoie, l’employeur a renvoyé le fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage. En l’occurrence, la fonctionnaire a pris sa retraite.

22 Si l’arbitre de grief se déclare compétent, l’employeur a plaidé que les griefs devaient être rejetés sur la base de l’entente de règlement. La fonctionnaire a accepté de partir en congé annuel à compter du 1er avril 2007 et de prendre sa retraite dès qu’elle aurait épuisé ses crédits de congé annuel. Elle ne pouvait pas modifier unilatéralement cette entente en demandant d’autres genres de congé après le 1er avril 2007.

23 L’employeur a également affirmé qu’il n’avait pas violé la convention collective parce que la fonctionnaire n’avait pas droit au congé demandé. La fonctionnaire était en congé annuel autorisé du 2 avril 2007 jusqu’à la date de son départ à la retraite. La clause 16.07 de la convention collective spécifie que l’employé ne bénéficie pas de deux genres de congé à l’égard de la même période. La clause 17.04 spécifie que des congés annuels peuvent être remplacés, mais seulement si l’employé bénéficie d’un congé de deuil, d’un congé spécial pour cause de maladie dans la famille immédiate ou d’un congé de maladie sur production d’un certificat médical. Aucune des demandes de congé de la fonctionnaire n’entrait dans ces catégories.

24 Lorsqu’elle a soumis à l’employeur des certificats délivrés par des spécialistes de la santé et demandé un congé de maladie, la fonctionnaire n’a pas mentionné que certains de ces certificats se rapportaient à des rendez-vous pour recevoir des traitements médicaux. De plus, la convention collective ne contient aucune disposition permettant d’obtenir un congé payé pour consulter des spécialistes de la santé. La fonctionnaire a mis en preuve la politique de l’employeur sur ce point, or cette politique ne fait pas partie de la convention collective. Par conséquent, l’arbitre de grief n’a pas compétence quant à cette politique. Du reste, l’employeur n’a pas violé la politique, puisqu’il n’a pas été informé qu’une partie des rendez-vous avaient pour but de recevoir des traitements médicaux.

IV. Motifs

A. La fonctionnaire s’estimant lésée était-elle une fonctionnaire lorsqu’elle a déposé ses griefs?

25 L’employeur a soutenu que la fonctionnaire n’était pas une fonctionnaire lorsqu’elle a déposé ses griefs, le 28 septembre 2007, puisque qu’elle a pris sa retraite le 5 septembre 2007. Elle n’avait pas qualité pour agir et elle n’avait pas droit au titre de fonctionnaire en vertu de la Loi. La fonctionnaire a soutenu qu’elle était une fonctionnaire lorsque les faits ayant donné lieu aux griefs se sont produits et qu’elle a déposé ses griefs dans le délai fixé par la convention collective.

26 Le terme « fonctionnaire » est défini comme suit à la partie 2 de la Loi :

[…]

206. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

« fonctionnaire » S’entend au sens de la définition de ce terme au paragraphe 2(1), compte non tenu des exceptions prévues aux alinéas e) et i) de celle-ci et des mots « sauf à la partie 2 ».

[…]

(2) Les dispositions de la présente partie relatives aux griefs s’appliquent par ailleurs aux anciens fonctionnaires en ce qui concerne :

a) les mesures disciplinaires portant suspension, ou les licenciements, visés aux alinéas 12(1)c), d) ou e) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

b) dans le cas d’un organisme distinct, les mesures disciplinaires portant suspension, ou les licenciements, visés aux alinéas 12(2)c) ou d) de cette loi ou à toute loi fédérale ou à tout texte d’application de celle-ci, concernant les attributions de l’organisme.

[…]

27 Le passage pertinent du paragraphe 2(1) de la Loi, auquel renvoie le paragraphe 206(1), dit ceci :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« fonctionnaire » Sauf à la partie 2, personne employée dans la fonction publique, à l’exclusion de toute personne

[…]

28 Il est clair que la fonctionnaire n’était pas employée dans la fonction publique lorsqu’elle a déposé ses griefs et que les griefs ne portent pas sur le licenciement ou une mesure disciplinaire. Il est également clair que la fonctionnaire était une fonctionnaire lorsqu’elle a été informée de la décision de l’employeur de rejeter ses demandes de congé. Même si le contexte était différent, la Cour d’appel fédérale a décidé, dans Lavoie, qu’une personne ne perd pas nécessairement sa qualité de fonctionnaire quand elle quitte son emploi pour des motifs autres que disciplinaires. La Cour a écrit ceci au paragraphe 10 :

[…] Les premiers mots de l’article 90(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique doivent s’interpréter comme englobant toute personne se sentant lésée à titre d’« employé ». Autrement, une personne ayant à se plaindre en tant qu’« employé », p. ex. au sujet du classement ou des salaires, perdrait son droit de présenter des griefs à cause de la suppression de son emploi, p. ex. à la suite d’une mise en disponibilité. Il faudrait des dispositions très clairement exprimées pour me convaincre que ledit résultat est intentionnellement recherché.

29 Dans Lavoie, la Cour d’appel fédérale interprétait la version de 1970 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (l’ancienne LRTFP). Il n’existe toutefois pas de différence significative entre cette version et la Loi quant à la définition d’un fonctionnaire et au droit d’un ancien fonctionnaire de présenter des griefs. Dans sa décision, la Cour a interprété ces dispositions de l’ancienne LRTFP de manière à ce que le fonctionnaire ne perde pas son droit de présenter un grief après le licenciement, même si le grief ne porte pas sur une mesure disciplinaire. Dans Glowinski, l’arbitre de grief a appliqué cette logique dans le contexte d’une demande de prorogation du délai de présentation d’un grief portant sur le niveau de rémunération payable au fonctionnaire s’estimant lésé alors qu’il était un fonctionnaire. L’arbitre de grief a décidé qu’il avait la qualité de fonctionnaire.

30 Dans Lavoie, la Cour d’appel fédérale indique qu’il faut des dispositions clairement exprimées pour qu’un fonctionnaire perde son droit de présenter un grief. D’aucuns pourraient soutenir que la différence entre un fonctionnaire et un ancien fonctionnaire s’articule autour de la question de savoir si la situation ayant donné lieu au grief est survenue alors que la personne en cause était un fonctionnaire ou après qu’elle a cessé d’être un fonctionnaire. Autrement dit, l’arbitre de grief doit déterminer quelle était la qualité de la personne en cause lorsque la situation ayant donné lieu au grief est survenue.

31 Dans le cas d’un licenciement, une personne devient un ancien fonctionnaire à la date où le licenciement prend effet. Cependant, le paragraphe 206(2) de la Loi prévoit une exception, en accordant à un ancien fonctionnaire la qualité de fonctionnaire pour l’application de la partie 2 de la Loi. Si cette exception n’était pas prévue dans la Loi, d’aucuns pourraient soutenir que, puisque le droit de présenter un grief naît uniquement d’une action de l’employeur, le fonctionnaire qui a été licencié ne peut pas contester le licenciement, puisqu’il a perdu la qualité de fonctionnaire dès l’instant où le licenciement a pris effet.

32 Dans les autres cas, comme il est statué dans Lavoie, le législateur ne peut avoir voulu que les fonctionnaires perdent le droit de contester des situations qui sont survenues alors qu’ils étaient des fonctionnaires.

33 Compte tenu de Lavoie et de Glowinski et du fait que la fonctionnaire était une fonctionnaire lorsque les situations ayant donné lieu aux griefs sont survenues et que les griefs ont été déposés dans le délai fixé par la convention collective, je rejette l’argument de l’employeur selon lequel la fonctionnaire n’a pas qualité pour agir.

B. L’employeur a-t-il violé la convention collective?

34 Pour les deux parties, ces griefs sont directement liés à l’entente de règlement qu’elles ont signée le 20 décembre 2006. Pour l’employeur, la fonctionnaire s’est engagée à prendre ses congés annuels à partir du 1er avril 2007 et à partir à la retraite après cela. Elle n’avait pas droit à d’autres congés. La fonctionnaire a soutenu qu’elle n’avait pas renoncé à son droit de se prévaloir d’autres genres de congé en signant cette entente. Mon rôle n’est pas d’interpréter cette entente et de statuer sur le véritable sens de ses modalités. En ce qui concerne les présents griefs, le seul point pertinent est que les paragraphes 12 et 13 de l’entente de règlement prouvent que la fonctionnaire était en congé annuel autorisé à partir du 2 avril 2007. En signant l’entente, la fonctionnaire a demandé des congés annuels et l’employeur les a approuvés.

35 Il convient en premier lieu d’examiner les deux clauses suivantes de la convention collective pour trancher les griefs :

[…]

16.07

L’employé ne bénéficie pas de deux (2) genres de congé payé à l’égard de la même période.

[…]

17.05

Lorsqu’au cours d’un congé annuel, il est accordé à l’employé :

a)  un congé de deuil, ou

b)  un congé spécial payé pour cause de maladie dans la famille immédiate, ou

c)  un congé de maladie sur production d’un certificat médical,

la période de congé annuel ainsi remplacée est ajoutée à la période de vacances si l’employé en fait la demande et que le Conseil y consent, ou elle est rétablie pour être utilisée plus tard.

[…]

36 La clause 17.05 de la convention collective est très claire : l’employé ne peut pas faire remplacer des congés annuels, sauf s’il bénéficie d’un congé de deuil, un congé pour cause de maladie dans la famille ou un congé de maladie sur production d’un certificat médical et que sa demande est approuvée par l’employeur. La clause 16.07 est également très claire : l’employeur ne peut pas bénéficier de deux genres de congé payé en même temps.

37 La fonctionnaire aurait eu droit à un jour de congé personnel et à un jour de congé de bénévolat après le 1er avril 2007, sauf qu’elle a perdu le droit de se prévaloir de ces congés pendant qu’elle était en congé annuel. La clause 17.05 de la convention collective ne permet pas de remplacer des congés annuels afin d’obtenir un congé personnel ou un congé de bénévolat. De plus, rien dans les clauses 19.19 ou 19.20, qui donnent droit à ces genres de congé, ne permet de déroger à la clause 17.05. Les clauses 19.19 et 19.20 sont libellées comme suit :

19.19

Congé de bénévolat

a)  Sous réserve des nécessités du service telles que déterminées par le Conseil et sur préavis d’au moins cinq (5) jours ouvrables, l’employé se voit accorder, au cours de chaque exercice financier, une seule période ne dépassant pas sept virgule cinq (7,5) heures de congé payé pour travailler à titre de bénévole pour une organisation ou une activité communautaire ou de bienfaisance, autre que les activités liées à la Campagne de charité en milieu de travail du Conseil national de recherches.

b)  Ce congé est pris à une date qui convient à la fois à l’employé et au Conseil. Cependant, le Conseil fait tout son possible pour accorder le congé à la date demandée par l’employé.

19.20

Congé personnel

a)  Sous réserve des nécessités du service déterminées par le Conseil et sur préavis d’au moins cinq (5) jours ouvrables, l’employé se voit accorder, au cours de chaque exercice financier, une seule période ne dépassant pas sept virgule cinq (7,5) heures de congé payé pour des raisons de nature personnelle.

b)  Ce congé est pris à une date qui convient à la fois à l’employé et au Conseil. Cependant, le Conseil fait tout son possible pour accorder le congé à la date demandée par l’employé.

38 La fonctionnaire aurait eu droit à cinq jours de congé compensatoire après le 1er avril 2007. Cependant, comme dans le cas des congés personnel et de bénévolat, elle a perdu le droit de se prévaloir de ce congé pendant qu’elle était en congé annuel. Rien dans la clause 17.05 de la convention collective ne permet de remplacer des congés annuels afin d’obtenir un congé compensatoire. De plus, l’employeur avait déjà rémunéré la fonctionnaire pour ses cinq jours de congé compensatoire. Rien dans la clause 11.04, qui traite des congés compensatoires, ne permet de déroger à la clause 17.05. La clause 11.04 est libellée en partie comme suit :

11.04

(1) Un employé recevra pour les heures supplémentaires acquises une rémunération qui lui sera payée par chèque, lequel sera émis dès que possible après le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel l’employé a fait des heures supplémentaires ou, à la demande de l’employé et sous réserve de l’approbation du Conseil, il recevra des congés de compensation au lieu d’un paiement monétaire. Ce congé payé sera calculé au taux qui lui aurait été payé autrement pour ces heures supplémentaires.

(2) Conformément aux nécessités du service et sous réserve d’un préavis convenable donné par l’employé, le Conseil accordera le congé compensatoire à un moment mutuellement acceptable pour l’employé et le Conseil.

[…]

39 La fonctionnaire a mis en preuve une série de certificats délivrés par des spécialistes de la santé attestant qu’elle les avait consultés à diverses dates. Rien dans ces certificats n’indique que la fonctionnaire était malade. En fait, la fonctionnaire a déclaré que certains se rapportaient à des consultations et certains autres à des traitements. Même si elle m’avait convaincu qu’une personne qui reçoit des traitements médicaux peut être considérée comme malade et admissible à un congé de maladie, j’aurais rejeté son grief parce qu’elle n’a pas fourni cette information à l’employeur. Elle avait la responsabilité de fournir cette information à l’employeur; ce n’était pas la responsabilité de l’employeur de s’informer auprès de la fonctionnaire des raisons pour lesquelles elle consultait ces spécialistes.

40 Du reste, aucune disposition de la convention collective ne spécifie que le fonctionnaire qui décide de consulter un spécialiste de la santé a droit à un congé payé à cette fin. Les dispositions relatives aux congés de maladie sont libellées comme suit :

18.02

Octroi d’un congé de maladie

L’employé est admissible à un congé de maladie payé lorsqu’il est incapable de remplir ses fonctions en raison de maladie ou de blessure pourvu :

a)  qu’il prouve son état au Conseil de la manière et au moment fixé par celui-ci,

b)  qu’il ait à son crédit la période de congé de maladie nécessaire.

41 L’employeur a établi une pratique pour répondre aux besoins des employés en ne débitant pas de leurs crédits de congé les quelques heures qu’ils utilisent durant leurs heures de travail pour consulter un spécialiste de la santé. Les employés qui sont déjà en congé annuel n’ont pas besoin de bénéficier d’une mesure semblable et il va de soi qu’ils n’ont le droit de remplacer des congés annuels pour rencontrer un spécialiste de la santé, puisqu’ils ne sont pas au travail.

42 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

43 Les griefs sont rejetés.

Le 2 juin 2010.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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