Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué une violation de l’article 43 de sa convention collective, qui est la clause d’élimination de la discrimination - le libellé du grief ne mentionnait pas la discrimination - le grief alléguait que l’employeur avait traité sa plainte de harcèlement et avait mené l’enquête s’étant ensuivie de manière irrégulière - l’employeur a contesté la compétence de l’arbitre à instruire le grief parce que le libellé du grief ne renvoyait pas à l’interprétation ou à l’application de la convention collective - l’employeur a prétendu que le grief concernait des allégations de harcèlement personnel et d’abus de pouvoir - l’employeur a invoqué la décision Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a interdit la modification d’un grief pour rendre celui-ci arbitrale - l’arbitre de grief a conclu que, bien que le libellé du grief ne renvoyait pas à la clause sur l’élimination de la discrimination de la convention collective, il renvoyait clairement au harcèlement, et que le fonctionnaire s’estimant lésé avait signifié de manière non équivoque au cours de la procédure de règlement des griefs qu’il s’était senti harcelé en raison de son incapacité - lors de la procédure de grief, l’employeur a eu des occasions de régler la violation alléguée de l’article43, mais il a choisi de ne pas le faire - il ne peut pas prétendre avoir été pris par surprise et ne pas avoir compris la nature des allégations, lorsqu’il a soutenu que Burchill s’appliquait - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas modifié son grief et n’a pas renvoyé un grief différent à l’arbitrage. Objection préliminaire rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-07-07
  • Dossier:  566-02-2518
  • Référence:  2010 CRTFP 82

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SHAWN LECLAIRE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
Leclaire c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Marie-Claude Chartier, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Cécile La Bissonnière, Secrétariat du Conseil du Trésor

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 15 décembre 2008, ainsi que le 20 avril, le 20 mai et le 10 juin 2010.
(Traduction de la CRTFP)

Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le 7 septembre 2007, Shawn Leclaire, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a déposé un grief contre le ministère de la Défense nationale (l’« employeur »). Le fonctionnaire est visé par la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »), régissant l’unité de négociation des Systèmes d’ordinateurs et ayant pour date d’expiration le 21 décembre 2007 (la « convention collective »). L’agent négociateur a renvoyé le grief à l’arbitrage, le 31 octobre 2008, alléguant une violation de l’article 43 de la convention collective, qui porte sur la discrimination.

2 Le grief se lit comme suit :

[Traduction]

Détails du grief :

Je conteste le traitement de ma plainte de harcèlement du 1er novembre 2005 et de ma plainte du 28 mai 2006, ainsi que la conduite de l’enquête.

Mesures correctives demandées :

Qu’une nouvelle enquête soit menée par un nouvel enquêteur ayant reçu mon approbation.

Qu’on me rembourse pour la perte de salaire et d’avantages sociaux, ainsi que pour tous autres coûts découlant de mon harcèlement.

Que je sois indemnisé intégralement.

3 Les parties ont convenu de sauter le premier palier de la procédure de règlement des griefs. Au deuxième palier, l’employeur a rejeté le grief. Il a conclu que le rapport de l’enquête sur le harcèlement était complet et juste, qu’aucune nouvelle enquête ne serait menée dans le cadre de cette affaire et que la plainte de harcèlement n’était pas fondée. Compte tenu de cette conclusion, l’employeur a rejeté la mesure corrective demandée par le fonctionnaire. Au dernier palier, l’employeur a conclu que la plainte de harcèlement avait été traitée adéquatement et que la décision de la rejeter était appropriée. L’employeur a rejeté la mesure corrective demandée par le fonctionnaire.

4 Le 17 octobre 2008, le fonctionnaire a avisé la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP ») qu’il renvoyait à l’arbitrage un grief ayant trait aux droits de la personne. Dans cet avis, le fonctionnaire a déclaré qu’il avait fait l’objet de harcèlement et de discrimination de la part de son employeur après avoir développé une dépression, puis avoir souffert de dépression chronique.    

5 Le 15 décembre 2008, l’employeur s’est opposé à la compétence de l’arbitre de grief à entendre le grief parce qu’il ne se rapportait pas à l’interprétation ou à l’application de la convention collective. Le grief concernait plutôt le traitement d’une plainte de harcèlement et la conduite d’une enquête, des questions n’étant pas visées par la convention collective.

6 L’agent négociateur a demandé que l’arbitre de grief se prononce sur l’objection avant d’instruire l’affaire sur le fond. L’employeur a accepté. Dans la présente décision, je traiterai exclusivement de l’objection relative à la compétence.

Arguments de l’employeur

7 L’employeur a fait valoir qu’un arbitre de grief nommé pour instruire un renvoi à l’arbitrage en vertu de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique  (la « Loi ») n’est pas habilité à entendre la présente affaire parce que le grief concerne des allégations de harcèlement personnel et d’abus de pouvoir. Le grief ne porte pas sur l’interprétation ou l’application de la convention collective, mais bien sur le traitement des plaintes de harcèlement et les résultats de l’enquête relativement à ces plaintes. Bien que le fonctionnaire allègue qu’il a fait l’objet de discrimination dans son avis à la CCDP et bien qu’il ait mentionné la clause sur l’élimination de la discrimination de la convention collective dans son renvoi à l’arbitrage, le libellé du grief ne fait nullement mention de discrimination ou de la clause sur l’élimination de la discrimination de la convention collective.

8 Dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et de son renvoi à l’arbitrage, le fonctionnaire a tenté de modifier la nature du grief en ajoutant la discrimination. Cependant, dans sa décision Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), la Cour d’appel fédérale interdit la modification d’un grief pour rendre celui-ci arbitrale. Le fonctionnaire n’a pas soulevé la question de la discrimination dans ses plaintes de harcèlement, ni dans son grief. Il n’y a pas d’ambigüité dans le libellé du grief quant à la question visée par le grief. Par conséquent, la décision de la Cour d’appel fédérale Shneidman c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 192 ne s’applique pas.     

9 Au cours de la procédure de règlement des griefs, le fonctionnaire a demandé que la discrimination soit considérée comme faisant partie du grief. Malheureusement, la représentante de l’employeur a omis de répondre à cette demande particulière. Néanmoins, l’employeur a toujours été d’avis que le fonctionnaire tentait de modifier la nature du grief, c’est pourquoi il n’a pas traité de l’argument du fonctionnaire ayant trait à la question de la discrimination dans sa réponse au deuxième palier et au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

10 Il ressort clairement du libellé du grief que celui-ci a pour objet de contester le rapport d’enquête et ses résultats. Le libellé du grief ne prête pas à interprétation; le fonctionnaire était mécontent du rapport d’enquête et de ses conclusions, et il les a contestés. La compétence de l’arbitre de grief est déterminée par l’exposé initial du grief, et le grief ne peut pas être interprété comme incluant la discrimination. Par conséquent, le grief devrait être rejeté pour défaut de compétence.  

11 L’employeur m’a également renvoyé à Chase c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 9; Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8; Schofield c. Canada (Procureur général), 2004 CF 622.

Arguments du fonctionnaire s’estimant lésé

12 Le fonctionnaire a argué que, même si le libellé du grief ne renvoie pas à l’article 43 de la convention collective, il a été rédigé de manière très large, de sorte à englober toutes les allégations liées au harcèlement que le fonctionnaire a subi. L’agent négociateur a clairement informé l’employeur dès le début de la procédure de règlement des griefs que le fonctionnaire avait fait l’objet de harcèlement et de discrimination en raison de son incapacité, en contravention de l’article 43 et de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6(la« LCDP »). L’employeur n’a pas traité de cette question dans sa réponse au deuxième palier et au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, bien qu’elle ait été présentée comme la principale allégation du fonctionnaire lors des audiences aux deux paliers.

13 Le fonctionnaire a soutenu que le présent cas est différent de Burchill. Dans Burchill, le fonctionnaire s’estimant lésé a modifié la nature de son grief après avoir perdu au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, rendant ainsi impossible pour l’employeur de comprendre la nature de ses allégations et d’y répondre adéquatement. En l’espèce, le fonctionnaire a clairement informé l’employeur à chaque palier de la procédure de règlement des griefs que le grief se rapportait à l’article 43 de la convention collective et à la LCDP.

14 Le 7 mai 2008, l’agent négociateur a écrit à l’employeur afin de lui signaler qu’il n’avait pas répondu à l’allégation principale du fonctionnaire dans sa réponse au deuxième palier et de lui demander de confirmer s’il croyait ou non que le fonctionnaire avait fait l’objet de discrimination fondée sur son incapacité. L’employeur a décidé de faire fi de cette demande.

15 Contrairement à ce qu’affirme l’employeur, le fonctionnaire ne croit pas que le libellé du grief  est très précis. Rien dans le libellé ne précise pourquoi le fonctionnaire a contesté le traitement de ses plaintes de harcèlement et la conduite de l’enquête.

16 La jurisprudence établit une différence claire entre les cas où de nouvelles questions sont soulevées après le dernier palier de la procédure de règlement des griefs et ceux où un employé précise la nature exacte de la plainte au cours de la procédure de règlement des griefs. En l’espèce, la nature exacte du grief a été soulevée à chaque palier de la procédure de règlement des griefs. Le fonctionnaire n’a pas tenté de surprendre l’employeur avec de nouveaux arguments, mais l’employeur a volontairement choisi de faire abstraction des questions soulevées par le fonctionnaire au cours de la procédure de règlement des griefs.

17 L’objection de l’employeur devrait être rejetée au motif que le fonctionnaire n’a pas modifié son grief. Le fonctionnaire ne devrait pas être privé de son droit à l’arbitrage parce qu’il n’a pas précisé dans son grief quel type de harcèlement il a subi. Il a donné cette précision par la suite, à chaque palier de la procédure de règlement des griefs.

18 Le fonctionnaire m’a renvoyé aux décisions suivantes : Garcia Marin c. Canada (Conseil du Trésor), 2007 CF 1250; Gingras c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), 2002 CRTFP 46; Shneidman.

Motifs

19 L’employeur a contesté ma compétence au motif que le grief ne pouvait pas être renvoyé à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1) de la Loi parce qu’il ne concernait pas l’application ou l’interprétation de la convention collective. Le paragraphe 209(1) est libellé comme suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur

a) l’interprétation ou l’application, à son endroit, d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

[…]

20 Lorsque l’agent négociateur a renvoyé le grief à l’arbitrage, il a indiqué sur le formulaire de renvoi que le grief était fondé sur l’article 43 de la convention collective. Cet article se lit comme suit :

Article 43
ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION

43.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, cœrcition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son état matrimonial, son incapacité mentale ou physique, son adhésion au syndicat ou son activité dans celui-ci ou une condamnation pour laquelle l’employé a été gracié.

21 Le libellé du grief ne renvoie pas directement à la clause sur l’élimination de la discrimination de la convention collective. Cependant, il est clair qu’il renvoie au harcèlement. Le fonctionnaire se sentait harcelé, et il a fait une plainte de harcèlement. L’employeur a mené une enquête. Le fonctionnaire était mécontent des résultats de l’enquête parce que la conclusion n’était pas celle qu’il recherchait, c’est-à-dire que l’employeur conclue qu’il avait fait l’objet de harcèlement. Il a ensuite déposé le présent grief.

22 Un grief alléguant du harcèlement fondé sur l’un des motifs énoncés à l’article 43 de la convention collective pourrait être renvoyé à l’arbitrage. Le présent grief ne précise pas que le harcèlement allégué est fondé sur un motif énoncé à l’article 43. Cependant, cela ne veut pas dire que le grief n’est pas arbitrable.

23 Je suis d’accord avec le fonctionnaire qu’il n’était pas nécessaire de préciser les motifs du harcèlement dans le libellé du grief pour que celui-ci soit arbitrable. Le fonctionnaire a soutenu avoir clairement indiqué à l’employeur, à chaque palier de la procédure de règlement des griefs, qu’il se sentait harcelé en raison de son incapacité. L’employeur n’a pas contesté ce fait. Le fonctionnaire a produit une lettre qui a été envoyée à l’employeur le 7 mai 2008, après l’audience au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, alléguant une discrimination fondée sur l’incapacité et une violation de l’article 43 de la convention collective. La lettre allègue effectivement que l’employeur a omis de traiter des questions reliées à l’incapacité dans sa réponse au grief, en dépit du fait que le fonctionnaire ait soulevé ces questions. L’employeur a admis dans ses arguments que le fonctionnaire a soulevé ces questions à l’audience de la procédure de règlement des griefs, mais il n’a jamais traité de ces questions. Autrement dit, l’employeur a admis qu’il savait que le fonctionnaire prétendait qu’il y avait eu violation de l’article 43, même si le fonctionnaire ne renvoyait pas à une telle violation dans son grief.

24 Contrairement à ce que prétend l’employeur, je ne crois pas que le fonctionnaire ait modifié son grief et que, ce faisant, il ait renvoyé à l’arbitrage un grief différent de celui déposé initialement. Il est évident que le grief aurait pu être mieux formulé. Cependant, le libellé imprécis ne devrait pas empêcher le grief d’être renvoyé à l’arbitrage. L’employeur aurait pu corriger ce problème en demandant des précisions, ce qu’il n’a pas fait. L’employeur a eu des occasions de trancher la question de la violation alléguée de l’article 43 de la convention collective, mais il a choisi de ne pas le faire. Il ne peut pas prétendre maintenant qu’il a été pris par surprise, qu’il n’a pas compris la nature des allégations et qu’il n’a pas été en mesure d’y répondre adéquatement avant le renvoi à l’arbitrage, comme ce fut le cas dans Burchill.   

25 Dans Shneidman, la Cour a déclaré que, lorsque les motifs d’illégalité sur lesquels le grief s’appuiera ne ressortent pas clairement à première vue, le fonctionnaire s’estimant lésé doit fournir des précisions au cours de la procédure de règlement des griefs s’il entend renvoyer le grief à l’arbitrage. En l’espèce, le grief renvoyait au harcèlement, mais non aux motifs sur lesquels se fondait l’allégation de harcèlement. Le fonctionnaire a fourni ces précisions à l’employeur aux deux audiences tenues dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. 

26 J’estime qu’un arbitre de grief devrait éviter d’adopter une approche trop technique et stricte en ce qui a trait à ce type de question. La plupart des fonctionnaires fédéraux et de leurs représentants syndicaux locaux ne sont pas des spécialistes du droit du travail. Lorsqu’ils déposent des griefs, ils font de leur mieux afin d’utiliser un langage clair pour énoncer les questions, mais ils ne réussissent pas toujours. Ces difficultés techniques sont surmontées lorsque les griefs sont confiés à des spécialistes aux différents paliers de la procédure de règlement des griefs. Comme ce fut le cas dans le présent grief, des clarifications doivent alors être fournies.

27 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

28 Je rejette l’objection préliminaire.

29 Une date d’audience sera fixée pour entendre le grief sur le fond.

Le 7 juillet 2010.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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