Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s'estimant lésé a été renvoyé en cours de stage de son poste d'éclusier - il a prétendu que le renvoi constituait un geste punitif - pendant son stage probatoire, le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu des commentaires négatifs à propos de sa tenue vestimentaire inappropriée et du fait qu'il quittait le travail avant l'heure, et un plaisancier avait déposé une plainte contre lui - le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté ces allégations - le fonctionnaire s’estimant lésé s'était plaint de harcèlement - enfin, le fonctionnaire s’estimant lésé avait envoyé un courriel à un collègue, lui révélant un désir urgent de tuer qu'il pouvait difficilement contenir - le collègue a porté ce fait à l'attention de la direction - la police en a été informée et a mis le fonctionnaire s’estimant lésé en état d'arrestation pour le questionner - l'employeur a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé ne satisfaisait pas aux exigences de rendement associées à son poste et l'a renvoyé pendant son stage probatoire - l'employeur a admis que, même si le rendement du fonctionnaire s’estimant lésé avait été autrement parfait, son courriel lui aurait valu un renvoi en cours de stage - le fonctionnaire s’estimant lésé a maintenu que le courriel ne faisait qu'exprimer sa frustration - malgré son expérience de travail en tant qu'étudiant, travailleur saisonnier et employé contractuel avant d'être embauché pour une période indéterminée, le fonctionnaire s’estimant lésé était encore en stage probatoire lors de son renvoi - l'arbitre de grief a déclaré que le courriel était la raison pour laquelle l'employeur avait renvoyé le fonctionnaire s’estimant lésé pendant son stage probatoire - en soi, le courriel était une cause suffisamment sérieuse pour justifier un renvoi - l'arbitre de grief a aussi déterminé que les menaces à l'encontre du milieu de travail constituaient un motif lié à l'emploi justifiant le renvoi d'un employé en stage probatoire. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-08-20
  • Dossier:  566-33-2785
  • Référence:  2010 CRTFP 89

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MARK MONETTE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE PARCS CANADA

employeur

Répertorié
Monette c. Agence Parcs Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lui-même

Pour l'employeur:
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 13 au 15 juillet 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Mark Monette, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), travaillait pour l’Agence Parcs Canada (l’« employeur ») comme éclusier sur le canal Rideau. L’employeur l’a renvoyé en cours de stage le 1er octobre 2007. Le 16 octobre 2007, le fonctionnaire a présenté un grief contestant son renvoi en cours de stage en alléguant que c’était une mesure punitive qui lui avait causé énormément de stress et qui avait sali sa réputation. L’employeur a rejeté le grief et le fonctionnaire l’a renvoyé à l’arbitrage.

2 Chaque année, de 2003 à 2006, le fonctionnaire a travaillé aux écluses pendant trois à sept mois comme étudiant ou employé nommé pour une période déterminée. En 2007, il a été embauché comme employé nommé pour une période indéterminée. Il est entré en fonction le 16 mai 2007, en étant assujetti à une période de stage de 12 mois.

3 En sa qualité d’éclusier, le fonctionnaire faisait fonctionner des écluses et des ponts pour faciliter le passage des embarcations dans les écluses. Il était également chargé de l’entretien des terrains, des structures, de l’équipement et des machines des postes d’éclusage où il travaillait. Il avait des interactions avec les utilisateurs des écluses et avec le public, et il répondait aux demandes de renseignements et de service. Il relevait d’un maître-éclusier. Il travaillait dans le Secteur Nord du canal Rideau, lequel s’étend d’Ottawa, à son extrémité nord, à Kingston, à l’extrémité sud. Quelque 3 000 embarcations par an passent par les écluses du canal, mais elles n’empruntent pas toutes les écluses du Secteur Nord. Entre les mois de mai et d’octobre, de 400 000 à 500 000 personnes visitent les écluses.

II. Résumé de la preuve

A. Pour l’employeur

4 L’employeur a produit 19 documents en preuve et il a fait témoigner MM. Irvin Mazurkiewicz, Marcel Bélanger et Gavin Liddy. Au moment du renvoi en cours de stage du fonctionnaire, M. Mazurkiewicz était le directeur des Opérations du canal Rideau; M. Bélanger était le gestionnaire du Secteur Nord du canal et M. Liddy était le surintendant de l’Unité de gestion de l’Est de l’Ontario de l’Agence Parcs Canada.

5 Lorsque le fonctionnaire a été nommé pour une période indéterminée, on l’a informé par écrit qu’il serait assujetti à une période probatoire de 12 mois et qu’il devrait se conformer au Code d’éthique de l’Agence Parcs Canada ainsi qu’aux valeurs et aux principes de gestion en matière de ressources humaines de l’Agence. Les « Valeurs liées aux personnes » sont un élément de ce Code, dont le premier paragraphe de la page 10, sous la rubrique « Valeurs liées aux personnes », se lit comme suit :

Faire preuve de respect, d’équité et de courtoisie dans les relations avec les citoyens et les collègues, et reconnaître que les personnes qui sont traitées avec équité et civilité sont portées à exprimer ces valeurs dans leur propre conduite.

6 M. Mazurkiewicz a témoigné que les éclusiers sont constamment en contact avec le public et avec d’autres employés. Leurs responsabilités consistent à travailler en équipe pour assurer le fonctionnement efficient des écluses. Quand des membres du personnel travaillent ensemble, ils doivent se respecter mutuellement.

7 En 2007, le fonctionnaire a été mêlé à plusieurs problèmes. Selon l’employeur, il est arrivé à quelques reprises qu’il ne porte pas les chaussures ni la coiffure voulues. Un plaisancier s’est aussi plaint de s’être fait dire par le fonctionnaire, tard dans la journée, qu’il était trop tard pour franchir une écluse et qu’il allait devoir attendre jusqu’au lendemain. Ce plaisancier a contesté la décision du fonctionnaire selon laquelle il était trop tard et il s’est aussi déclaré mécontent de l’attitude du fonctionnaire à son endroit.

8 Le 23 septembre 2007, le fonctionnaire a laissé une note sur le bureau de M. Bélanger pour se plaindre d’avoir été harcelé par Adam Burpee, un maître-éclusier avec lequel il travaillait. Dans cette note, le fonctionnaire décrivait les incidents l’ayant incité à signaler qu’il avait été harcelé. M. Bélanger a témoigné avoir été étonné à la lecture de cette note, le 24 septembre 2007, parce qu’il n’était pas au courant de problèmes de harcèlement potentiel entre M. Burpee et le fonctionnaire. Il a témoigné avoir rencontré M. Burpee et le fonctionnaire pour leur parler de la note de ce dernier.

9 Lorsque le fonctionnaire a travaillé comme employé nommé pour une période déterminée, on a évalué son rendement. Les rapports d’évaluation de son rendement de 2004 et de 2006 ont été déposés en preuve. Ils indiquent que le fonctionnaire dépassait les exigences de son poste et que c’était un employé supérieur. M. Bélanger a témoigné que les employés nommés pour une période déterminée n’accomplissent pas toutes les fonctions des éclusiers et que les attentes et exigences de l’employeur à leur endroit sont moins élevées.

10 Le 26 septembre 2007, le fonctionnaire a envoyé un courriel à Jason Snyder, un de ses collègues de travail. Ce courriel se lit comme suit :

[Traduction]

Objet : Prière de supprimer après avoir lu. Je ne blague pas.

Salut M. Jay

J’espère que tout va bien dans ton travail. C’était si agréable d’être de retour à l’île Long que je m’endormais chaque soir le sourire aux lèvres. Bien sûr, ma femme y était aussi pour quelque chose.

Jay, un sentiment de rage m’habite et me consume profondément. Une de […] a eu besoin de traitements de réadaptation qui ont coûté 25 000 $ après avoir subi du harcèlement en milieu de travail. Elle tente encore de récupérer après cet épisode sordide de sa vie.

À l’époque, je voyais ce qui se passait, mais elle était trop coriace pour admettre qu’elle ne pouvait pas venir à bout de ses problèmes au travail. Jay, je lui ai dit un jour « […] je serai heureux de rencontrer ton patron en privé et de m’expliquer avec lui ». Elle m’a demandé de ne pas le faire, parce que le résultat final aurait été une peine de prison pour moi.

Jay, parfois, quand je ris et que j’ai le sourire, j’éprouve aussi une envie de tuer que j’ai peine à contenir. J’ai eu des affrontements violents, très violents, et je n’ai peur de personne. Ou la direction va nettoyer le Secteur du Nord, ou je vais le faire. C’est mon prochain vœu dans la vie.

La semaine prochaine, je suis en poste à Hog’s Back pour six jours. Ce sera probablement plus de la formation. C’est la seule écluse à laquelle je n’ai pas encore travaillé.

L’adresse de courriel de Wes?

Mentionne bien à […] que nous sommes vraiment ravis d’apprendre que vous ayez décidé tous les deux d’avoir un nouveau bébé […] et j’aimerais beaucoup vous inviter à dîner avant que nous partions pour la Nouvelle-Orléans. Nous nous parlerons.

Amitiés, mon frère

Mark

P.S. Mercredi soir prochain… et moi assisterons à l’assemblée syndicale à SF. Peut-être ne devriez-vous pas voyager avec nous, mais vous voudriez peut-être y être. SVP : PAS UN MOT sur ça dans le Secteur du Nord. Pour le moment, j’aurai peut-être besoin que tu donnes un signal d’alarme à un moment donné.

11 Peu après avoir reçu ce courriel du fonctionnaire, M. Snyder l’a porté à l’attention de M. Bélanger. Peu de temps après, MM. Mazurkiewicz et Liddy en ont également reçu une copie. Ils se sont vraiment inquiétés à la lecture du quatrième paragraphe, qui commence ainsi : [traduction] « Jay, parfois, quand je ris et que j’ai le sourire, j’éprouve aussi une envie de tuer que j’ai peine à contenir. » Ils craignaient aussi pour la sécurité des employés. Selon M. Mazurkiewicz, MM. Snyder et Burpee étaient eux aussi très inquiets et ne se sentaient pas en sécurité. La Police d’Ottawa a été informée du courriel. Elle a arrêté le fonctionnaire s’estimant lésé le matin même pour l’interroger.

12 M. Bélanger a remis un rapport détaillé sur le fonctionnaire à la Police d’Ottawa, à la demande de celle-ci. Dans ce rapport, M. Bélanger soulignait quelques situations problématiques auxquelles le fonctionnaire avait été mêlé en 2007. Il a notamment fait état de la rétroaction négative de M. Burpee au sujet de l’habillement inapproprié de l’intéressé, de son départ du travail trop tôt et de l’incident concernant le plaisancier. M. Bélanger a également écrit dans le rapport que certains employés craignaient pour leur sécurité après avoir été informés du courriel daté du 26 septembre 2007.

13 C’est M. Liddy qui avait signé la lettre d’offre d’un poste de durée indéterminée adressée au fonctionnaire. Il y expliquait que les périodes de stage servent à déterminer si l’employé convient à son poste et si l’employeur a fait le bon choix. Il a témoigné que la Politique sur la dotation de l’Agence Parcs Canada renferme une section sur les périodes de stage s’appliquant à la nomination de personnes provenant de l’extérieur de la fonction publique.

14 M. Liddy a également signé la lettre de renvoi en cours de stage du fonctionnaire. Avant de prendre la décision de le renvoyer, M. Liddy avait eu des discussions avec le personnel des ressources humaines et des relations de travail de l’employeur. Il avait aussi demandé sa rétroaction à M. Bélanger. La décision de M. Liddy a reposé sur la conclusion que le fonctionnaire ne satisfaisait pas aux exigences de rendement de son poste et que le courriel daté du 26 septembre 2007 révélait qu’il ne convenait pas à l’employeur pour occuper un poste à son service. Dans son témoignage, M. Liddy a fait valoir que, même si le rendement du fonctionnaire avait été parfait à tous autres égards, il l’aurait renvoyé en cours de stage à cause du courriel. Il a terminé sa lettre de renvoi en déclarant que le fonctionnaire avait le droit de présenter un grief pour contester la décision de le renvoyer, en vertu de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »).

15 En octobre 2007, l’employeur a produit l’examen du rendement du fonctionnaire pour l’exercice 2007. À cette date, le fonctionnaire avait déjà été renvoyé. Selon M. Bélanger, l’évaluation aurait été effectuée par MM. Adam Burpee, Guy Rattey et Eric Dicaire. MM. Rattey et Dicaire étaient eux aussi des maîtres-éclusiers pour lesquels le fonctionnaire avait travaillé en 2007. M. Bélanger a témoigné que le rapport d’évaluation écrit était le fruit d’un consensus des trois maîtres-éclusiers, même si M. Dicaire n’avait pas signé le document. Le rapport contenait de nombreux commentaires négatifs sur le rendement du fonctionnaire en 2007. Ce rendement a été jugé « insatisfaisant » au regard des critères des méthodes de travail, des relations interpersonnelles, de initiative, du jugement et de la supervision.

16 M. Liddy a expliqué que l’employeur a une politique d’examen par un tiers indépendant (ETI). Selon cette politique, qui a été produite en preuve, l’employé qui souhaite contester un licenciement pour motifs non disciplinaires, y compris un renvoi en cours de stage, doit présenter un grief conformément à la procédure normale de règlement des griefs. Ce grief est envoyé directement au dernier palier de la procédure. Si l’employé n’est pas satisfait de la réponse de l’employeur, il peut renvoyer le grief à l’ETI. Il n’est fait mention de l’ETI ni dans la lettre de renvoi, ni dans la réponse de l’employeur au grief.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

17 Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé 10 documents en preuve. Il a fait témoigner Evanne Casson et Jacques Ferland. Mme Casson est la conjointe du fonctionnaire. Elle est titulaire d’un doctorat en psychologie. M. Ferland travaille pour l’employeur comme éclusier au poste d’éclusage de Kilmarnock, dans le secteur central du canal Rideau. Le fonctionnaire a également témoigné.

18 Le fonctionnaire habite sur l’île Nicholls, à proximité de certaines des écluses du canal Rideau. Il était sur le marché du travail depuis 30 ans quand il a commencé à travailler aux écluses. Il est retourné à l’université pour être admissible à travailler aux écluses comme étudiant. Il a d’abord été embauché comme étudiant pendant l’été en 2002, puis réembauché en 2003 et en 2004 comme étudiant, après quoi il a obtenu des nominations pour des périodes déterminées en 2005 et en 2006. On lui a offert un poste avec nomination pour une période indéterminée en 2007.

19 Le fonctionnaire a expliqué le contexte et la signification de son courriel du 26 septembre 2007 adressé à M. Snyder. Ce courriel était simplement un échange amical avec un collègue de travail. Le fonctionnaire n’a jamais eu l’intention de faire du mal à qui que ce soit. Il a déclaré être contre toute forme de violence physique. Il avait simplement usé d’un style coloré pour exprimer la frustration que lui inspirait ce qui se passait à son travail. Il a reconnu qu’il n’aurait pas dû écrire ces remarques. Son courriel avait pour but d’exprimer ses préoccupations à un collègue. Le fonctionnaire a témoigné qu’il était le seul employé du Secteur Nord qui tenait tête à la direction.

20 Après avoir été arrêté par la Police d’Ottawa le 26 septembre 2007, le fonctionnaire s’était fait dire par le policier que celui-ci ne croyait pas qu’il ait commis un crime. Néanmoins, le policier devait prendre au sérieux les menaces contre le milieu de travail après les incidents qui avaient causé des morts à la Commission des transports d’Ottawa (OC Transpo) quelques années auparavant.

21 Le 23 septembre 2007, trois jours avant son courriel du 26 septembre, le fonctionnaire a présenté une plainte écrite à M. Bélanger. Dans cette plainte, il faisait état de problèmes impliquant M. Burpee ainsi que d’une discussion entre lui-même et M. Bélanger. Le fonctionnaire a écrit dans sa plainte que M. Bélanger lui avait crié après et qu’il avait mis en doute son sens de l’éthique, son intégrité et sa loyauté envers l’employeur. Le fonctionnaire a également écrit qu’il avait été victime de harcèlement de la part de M. Burpee et qu’il ne le tolérerait plus. Le 25 septembre 2007, M. Bélanger a rencontré le fonctionnaire et l’a informé qu’il serait immédiatement muté à un autre poste d’éclusage. Le fonctionnaire a alors décidé de se plaindre à l’ombudsman de l’employeur. L’ombudsman ne l’a pas rappelé, malgré le message détaillé que le fonctionnaire avait laissé.

22 Le fonctionnaire a témoigné sur la question de l’habillement inapproprié qu’on lui reprochait. Il a expliqué qu’il portait un chapeau de paille pour éviter une exposition excessive au soleil, parce que son médecin lui avait conseillé de le faire après qu’il eut subi une radiothérapie pour le traitement d’un cancer. Le fonctionnaire a également expliqué qu’il lui était arrivé une fois de porter des chaussures non réglementaires en raison de ses problèmes cutanés à la cheville. Quand M. Burpee lui avait reproché de porter ces chaussures-là, le fonctionnaire avait obtempéré et était revenu au travail chaussé de façon plus classique.

23 Le fonctionnaire a témoigné sur l’incident concernant un plaisancier ainsi que sur le reproche qu’on lui avait fait d’avoir quitté son travail trop tôt. Il a expliqué que le plaisancier était arrivé trop tard aux écluses pour qu’il le laisse passer. Mécontent, l’intéressé s’était plaint de lui. Le fonctionnaire a affirmé n’avoir jamais quitté son travail trop tôt.

24 Il a également témoigné qu’il avait une bonne relation avec ses collègues de travail et avec ses supérieurs, y compris M. Bélanger. Il a déposé en preuve des échanges de courriels cordiaux avec lui. Il a également produit en preuve une lettre de M. Ferland, une lettre de Kipper Trevorrow, un capitaine de mahonne à la retraite, ainsi qu’une carte d’adieu signée par les étudiants travaillant aux écluses d’Ottawa. Tous ces documents font l’éloge des qualités, du travail et de l’attitude du fonctionnaire.

25 M. Ferland a témoigné sur sa relation positive avec le fonctionnaire, relation remontant à 2002, quand le fonctionnaire travaillait comme étudiant au poste d’éclusage de l’île Long. M. Ferland a également parlé des problèmes qu’il avait personnellement vécus avec M. Bélanger, qui avait été très insultant à son endroit, lui avait crié après et ne pouvait pas accepter que quelqu’un puisse le contester ou présenter un grief contre lui.

26 Le fonctionnaire a souligné qu’il avait reçu de l’employeur des évaluations de rendement très favorables en 2004 et en 2006. Il ne souscrivait pas à l’évaluation de son rendement de 2007 et il a précisé dans son témoignage les parties sur lesquelles il n’était pas d’accord avec les évaluateurs. Il a également témoigné qu’un des maîtres-éclusiers ayant signé l’évaluation de son rendement de 2007 avait été contraint par l’employeur à la signer. Ce maître-éclusier avait craint pour son emploi s’il ne signait pas l’évaluation. De plus, le fonctionnaire ne s’est pas fait offrir la possibilité de discuter de l’évaluation ni de la signer.

27 Enfin, le fonctionnaire a déposé en preuve la réponse de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Cette réponse contient ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Bien qu’il y ait eu des indications de problèmes de rendement durant votre emploi au canal Rideau, le facteur déterminant qui a mené à votre renvoi immédiat en cours de stage était les menaces écrites contre le milieu de travail figurant dans un courriel daté du 26 septembre 2007.

[…]

Les menaces contre le milieu de travail doivent être prises au sérieux par la direction pour la sécurité et la santé psychologique du milieu de travail. Vos déclarations étaient non seulement troublantes et effrayantes, mais elles allaient aussi à l’encontre des valeurs et des principes de gestion de l’organisation, vous rendant ainsi incapable de continuer d’être au service de l’Agence Parcs Canada.

Compte tenu de ce qui précède, votre grief est rejeté au dernier palier.

[…]

28 Mme Casson a témoigné qu’elle connaissait le fonctionnaire depuis 15 ans et qu’elle vivait avec lui depuis 10 ans. Elle a déclaré qu’il est courageux, sensible et intelligent et qu’il a un sens moral très rigoureux et une éthique de travail remarquable. Son style de rédaction est très vivant et flamboyant. Il déteste la violence et la tolère mal. Il ne serait pas capable de violence dans son milieu de travail. Mme Casson a témoigné que le fonctionnaire aimait travailler au canal Rideau, mais qu’il se sentait harcelé en septembre 2007. Dans son courriel du 26 septembre 2007, il a employé des mots extrêmes parce qu’il a une façon extravagante de s’exprimer. Il ne voulait pas dire ce qu’il a écrit.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

29 Quand le fonctionnaire a été embauché, il a été nommé à un poste de durée indéterminée, et l’employeur lui a clairement fait savoir qu’il était assujetti à une période de stage de 12 mois. Il l’a renvoyé avant la fin de cette période parce que le fonctionnaire ne satisfaisait pas aux exigences de son poste. Même si la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la « LEFP ») ne s’applique pas à l’employeur, les critères employés pour trancher un grief de renvoi en cours de stage lorsqu’elle s’applique devraient être utilisés pour rendre une décision sur ce grief.

30 L’employeur a fait valoir qu’il avait des motifs valables liés à l’emploi pour renvoyer le fonctionnaire en cours de stage. Le grief devrait être rejeté pour cette raison. En 2007, il s’est produit plusieurs incidents lors desquels le rendement ou le comportement du fonctionnaire n’a pas été satisfaisant. L’employeur a dû lui enjoindre de porter des chaussures et une coiffure appropriées. L’employeur a également reçu d’un plaisancier une plainte contre le fonctionnaire. L’évaluation du rendement du fonctionnaire datée d’octobre 2007 montre qu’il n’avait pas satisfait aux exigences en ce qui concernait les méthodes de travail, les relations interpersonnelles, l’initiative, le jugement ou la supervision. Qui plus est, le courriel du fonctionnaire daté du 26 septembre 2007 le rendait inapte à occuper son poste. Ce courriel était incompatible avec le Code d’éthique de l’Agence Parcs Canada. Il avait eu un effet dramatique sur le milieu de travail, et les employés ne se sentaient plus en sécurité d’y travailler.

31 L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Bilton c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 39; Raveendran c. Bureau du surintendant des institutions financières, 2009 CRTFP 116; Melanson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 33; Ondo-Mvondo c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2009 CRTFP 52; Wright c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 139; Kagimbi c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 67; Boyce c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2004 CRTFP 39; Lundin c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 167; Archambault c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 28; Jacmain c. Procureur général et autre, [1978] 2 R.C.S. 15; Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, [1977] 1 C.F. 91 (C.A.).

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

32 Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’était pas un employé en stage probatoire ordinaire. Quand on l’a embauché en le nommant à un poste de durée indéterminée, il comptait déjà 148 semaines au service de l’employeur. En prenant la décision de le licencier, M. Liddy n’a pas consulté son dossier, mais s’est simplement fondé sur l’information que M. Bélanger lui a donnée.

33 Le 23 septembre 2007, le fonctionnaire avait présenté une plainte de harcèlement à M. Bélanger, qui a réagi en le mutant à un autre poste d’éclusage. Le fonctionnaire a téléphoné à l’ombudsman de l’employeur, mais sans pouvoir le joindre. Il se sentait frustré, et c’est pour cela qu’il a écrit le courriel du 26 septembre 2007. Ce courriel n’était pas tout à fait une blague, même s’il renfermait des éléments humoristiques. C’était plutôt une expression de la frustration du fonctionnaire. Dès 11 h ce matin-là, il a été arrêté par la Police d’Ottawa, dont un représentant lui a dit qu’il n’avait pas le choix : il devait agir en raison des incidents d’OC Transpo.

34 Le fonctionnaire a fait valoir qu’il avait obtenu d’excellentes évaluations de son rendement en 2004 et en 2006. Il a également déposé en preuve des recommandations favorables émanant de M. Ferland, de M. Trevorrow et des étudiants qui avaient travaillé avec lui. Son évaluation de 2007 était en grande partie l’œuvre de la personne contre laquelle il avait porté une plainte de harcèlement. L’autre personne qui l’avait signée avait été contrainte à le faire.

35 Le fonctionnaire ne m’a renvoyé à aucun élément jurisprudentiel ni n’a commenté les décisions citées par l’employeur; il a préféré retourner les copies des décisions qui lui avaient été remises à l’avocate de l’employeur.

IV. Motifs

36 Après avoir travaillé comme employé saisonnier nommé pour une période déterminée ou comme étudiant d’été pour cinq saisons, le fonctionnaire s’est fait offrir un poste de durée indéterminée en mai 2007. Dans la lettre d’offre d’emploi qu’il a signée, il était clairement précisé qu’il serait assujetti à une période de probation de 12 mois. En acceptant l’offre d’emploi, il acceptait aussi d’être en stage probatoire pour 12 mois. Le 1er octobre 2007, date de son renvoi, le fonctionnaire occupait depuis cinq mois un poste à durée indéterminée, de sorte qu’il a été renvoyé en cours de stage. Même s’il a soutenu qu’il n’était pas un employé en probation « ordinaire » compte tenu de la durée de son service dans les emplois à durée déterminée ou saisonniers qu’il avait auparavant occupés, il n’en était pas moins un employé en probation, et son grief doit être étudié dans cette optique.

37 Le gros de la jurisprudence citée par l’employeur consiste en des affaires concernant des fonctionnaires de l’administration publique centrale auxquelles la LEFP s’applique. Le paragraphe 62(1) de la LEFP investit l’employeur de l’administration publique centrale du droit de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire au cours de la période de stage :

[…]

Renvoi

62. (1) À tout moment au cours de la période de stage, l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis :

a) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques;

[…]

Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de ce délai.

[…]

38 L’article 211 de la Loi ne permet pas le renvoi à l’arbitrage d’un grief portant sur tout licenciement sous le régime de la LEFP. Par conséquent, un grief portant sur un renvoi en cours de stage ne peut pas être renvoyé à l’arbitrage dans le cas des fonctionnaires assujettis à la LEFP. Dans ces cas-là, comme on l’a déclaré dans Jacmain et dans Leonarduzzi, l’employeur n’a qu’à présenter une preuve minimale que le motif du renvoi était lié à l’emploi. Le fonctionnaire, lui, doit démontrer que la décision de l’employeur de le renvoyer en cours de stage n’était pas liée à son emploi, mais que c’était plutôt un subterfuge ou un camouflage, ou qu’elle avait été prise de mauvaise foi.

39 La LEFP ne s’applique en l’espèce ni à cet employeur, ni à ses employés. Néanmoins, l’employeur a déclaré que les mêmes critères devraient s’appliquer pour trancher le grief. Selon lui, l’arbitre devrait rejeter le grief si le renvoi en cours de stage était fondé sur des raisons liées à l’emploi. Or, les paragraphes 13(1) et 13(2) de la Loi sur l’Agence Parcs Canada, L.C., 1998, ch. 31 (la « LAPC ») énoncent comme suit le pouvoir de l’employeur à cet égard :

 13. (1) Le directeur général a le pouvoir exclusif :

a) de nommer, mettre en disponibilité ou licencier les employés de l’Agence;

b) d’élaborer des normes, procédures et méthodes régissant la dotation en personnel, notamment la nomination, la mise en disponibilité ou le licenciement autre que celui qui est motivé.

(2) La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du directeur général de régir les questions visées à l’alinéa (1)b).

40 Pour les fins de la présente affaire, le paragraphe 13(1) de la LAPC donne à l’employeur le pouvoir exclusif en ce qui concerne le processus de nomination, incluant le stage probatoire des nouveaux employés, ainsi qu’au chapitre des licenciements autres que les renvois motivés. Le paragraphe 13(2) m’interdit d’instruire les griefs portant sur ces questions. Ce cadre juridique est comparable à celui de l’administration publique centrale, dans lequel interviennent l’article 211 de la Loi et le paragraphe 62(1) de la LEFP. L’article 211 de la Loi se lit comme il suit :

211. L’article 209 n’a pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur :

a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique;

[…]

41 Sur la foi de ce qui précède, je souscris à l’argument de l’employeur voulant que je doive rejeter le grief faute de compétence si je concluais que sa décision de renvoyer le fonctionnaire en cours de stage était fondée sur des raisons liées à l’emploi. Toutefois, si je devais conclure que le fonctionnaire a effectivement été renvoyé en cours de stage, l’affaire ne s’arrêterait pas là, car le grief resterait arbitrable si je concluais à l’existence d’un aspect disciplinaire dans le renvoi. Il ressort, de la façon dont le grief est formulé, que le fonctionnaire était d’avis qu’il présentait un grief pour protester contre une mesure disciplinaire. En effet, le grief conteste ce que le fonctionnaire qualifie de « congédiement », et il emploie l’expression « de nature punitive ». De plus, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, qui s’applique aux griefs contre des sanctions disciplinaires.

42 Après avoir analysé la preuve, je conclus que la raison pour laquelle l’employeur a renvoyé le fonctionnaire en cours de stage était le courriel daté du 26 septembre 2007. M. Liddy a témoigné qu’il aurait décidé de renvoyer le fonctionnaire en cours de stage à cause de ce courriel même si le rendement de l’intéressé avait été parfait par ailleurs. Et M. Liddy avait aussi insisté sur ce courriel dans sa lettre de renvoi datée du 1er octobre 2007. On n’a produit aucune preuve que l’employeur n’ait jamais eu de discussion avec le fonctionnaire pour lui reprocher de ne pas satisfaire aux exigences de son poste avant l’envoi de ce courriel. Il y a peut-être eu des problèmes entre le fonctionnaire et ses supérieurs, mais ils étaient mineurs, et je ne crois pas qu’ils auraient mené à son renvoi en cours de stage. En outre, le renvoi a eu lieu quelques jours après l’envoi du courriel du 26 septembre 2007.

43 Je n’ai aucun doute que ce courriel du 26 septembre 2007 était menaçant en soi. De plus, on a témoigné que certains employés et gestionnaires l’avaient jugé menaçant et en ont pris peur. Cela n’a pas été contredit. Qui plus est, la Police d’Ottawa a trouvé le courriel suffisamment menaçant pour arrêter le fonctionnaire. Même si je devais croire le fonctionnaire et sa conjointe, autrement dit penser que le fonctionnaire déteste la violence et qu’il n’y aurait jamais recours, cela ne changerait pas l’impact de son courriel sur le milieu de travail. Dans les communications échangées au milieu de travail, comme dans les situations de harcèlement, l’élément le plus important dont il faut tenir compte, c’est la réaction et l’impact que les comportements, les actions ou les mots peuvent avoir sur les personnes qui sont visées. Dans ce cas-ci, l’impact a été la peur et l’insécurité au lieu de travail.

44 J’estime que l’incident était suffisamment grave en soi pour justifier la décision de l’employeur de renvoyer le fonctionnaire, lequel était en stage probatoire et ne peut donc pas compter sur un dossier d’emploi sans tache pour mitiger les conséquences de ses actes.

45 Je conclus aussi que les menaces contre le milieu de travail sont liées au travail et qu’elles constituent une raison liée à l’emploi pour renvoyer un employé en cours de stage. Un employeur est parfaitement en droit de conclure que des employés en période de stage ne satisfont pas aux exigences de leur poste s’ils expriment les sortes de sentiments envers la direction ou envers les superviseurs que le fonctionnaire a exprimés. Les relations interpersonnelles font partie intégrante d’un environnement de travail productif, tout comme les relations positives entre les superviseurs et leurs subordonnés. L’employeur l’a reconnu en faisant des « Valeurs liées aux personnes » un des éléments qu’il a inclus dans son Code d’éthique. L’employeur a parfaitement le droit de conclure qu’un employé qui fait peur à ses collègues de travail et à ses superviseurs en employant un langage menaçant n’est pas le genre d’employé qu’il souhaite nommer pour une période indéterminée.

46 Quand un arbitre de grief se prononce sur un renvoi en cours de stage, il n’a pas pour rôle de déterminer personnellement si l’employeur aurait dû renvoyer l’employé pour ses actions, sa conduite ou son rendement. Il devrait plutôt déterminer s’il y existait une raison liée à l’emploi sur laquelle a reposé la décision de l’employeur de renvoyer l’employé en cours de stage. En l’espèce, il y avait effectivement une raison liée à l’emploi de renvoyer le fonctionnaire pendant son stage. Par conséquent, je n’ai pas compétence pour trancher le grief.

47 L’employeur a produit en preuve sa politique d’ETI à l’audience. Cette politique stipule que le recours dont dispose un employé qui désire contester la décision de l’employeur de le renvoyer en cours de stage consiste à présenter un grief et à renvoyer son grief à l’ETI si la réponse de l’employeur au dernier palier ne le satisfait pas. Dans sa correspondance préalable à l’audience, l’employeur a contesté la compétence de l’arbitre au motif que le fonctionnaire n’avait pas renvoyé son grief à l’ETI. Le fonctionnaire n’a fait aucune observation sur ce point à l’audience, même si son agent négociateur avait déclaré avant l’audience qu’il ne souscrivait pas à la position de l’employeur. À l’audience, l’employeur a changé sa position en choisissant de ne pas soulever d’objection sur cette base. Je n’ai donc plus de raison de me prononcer sur cette question-là.

48 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

49 Le grief est rejeté.

Le 20 août 2010.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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