Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que l’employeur n’avait pas calculé raisonnablement le congé pour accident de travail auquel il avait droit suite à une décision rendue par une commission des accidents de travail provinciale ayant reconnu que sa blessure était survenue dans le cadre de son travail - l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur avait rendu une décision déraisonnable. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-06-03
  • Dossier:  566-32-950
  • Référence:  2010 CRTFP 74

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JAMES ARTHUR VAUGHAN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

employeur

Répertorié
Vaughan c. Agence canadienne d'inspection des aliments

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
John Haunholter, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Karl Chemsi, avocat

Affaire entendue à Halifax (Nouvelle-Écosse),
les 6 et 7 octobre 2009 et le 11 mai 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 James Arthur Vaughan, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), soutient que son employeur, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA ou l’« employeur »), a contrevenu à la clause 40.01 (Congé pour accident de travail) de la convention collective qu’il a conclue avec l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »), et qui a expiré le 31 décembre 2006 (la « convention collective »). La clause 40.01 est libellée dans les termes suivants :

40.01 L'employé-e bénéficie d'un congé payé pour accident de travail d'une durée fixée raisonnablement par l'Employeur lorsqu'une réclamation a été déposée en vertu de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État et qu'une commission des accidents du travail a informé l'Employeur qu'elle a certifié que l'employé-e était incapable d'exercer ses fonctions en raison :

a)       d'une blessure corporelle subie accidentellement dans l'exercice de ses fonctions et ne résultant pas d'un acte délibéré d'inconduite de la part de l'employé-e,

          ou

b)       d'une maladie ou d'une affection professionnelle résultant de la nature de son emploi et intervenant en cours d'emploi, si l'employé-e convient de verser au receveur général du Canada tout montant d'argent qu'il ou elle reçoit en règlement de toute perte de rémunération résultant d'une telle blessure, maladie ou affection, à condition toutefois qu'un tel montant ne provienne pas d'une police personnelle d'assurance-invalidité pour laquelle l'employé-e ou son agent a versé la prime.

2 Le 9 septembre 2005, le fonctionnaire a déposé un grief dont il a énoncé les détails dans les termes suivants :

[Traduction]

Je conteste la décision de me refuser les crédits de tous les congés pris depuis l’accident de travail donnant droit à des indemnités que j’ai subi le 21 octobre 1992.

[Mesure corrective]

Je demande d’être indemnisé intégralement.

3 Au premier palier de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a accueilli en partie la demande du fonctionnaire (pièce G-28). Signalant deux décisions rendues par la Commission des accidents du travail de la Nouvelle-Écosse (CAT) en mai et en novembre 2005 respectivement, l’employeur a approuvé 74,8 jours au titre des congés pour accident de travail pour la période allant du 2 juin au 26 septembre 2005, et 87 jours supplémentaires au titre des congés pour accident de travail pendant une période rétroactive au 5 mai 2003. L’employeur a rétabli les crédits de congés annuels et de congés de maladie du fonctionnaire pour ces périodes de congés pour accident de travail approuvés.

4 Au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a maintenu sa décision de rejeter la demande du fonctionnaire en vue d’obtenir d’autres périodes de congés pour accident de travail jusqu’en 1992 (pièce G-29). Pendant l’audience, le fonctionnaire a précisé les périodes en question (pièce G-26) : du 19 novembre 1993 au 1er janvier 1994; du 10 septembre 1994 au 15 janvier 1995; du 16 janvier 1995 au 31 mars 1996; du 1er avril 1996 au 26 avril 1997; du 27 avril au 19 mai 1997; les 20 et 21 février 2001; du 6 au 21 septembre 2003; du 21 septembre 2003 au 9 juin 2005.

5 Fort de l’appui de son agent négociateur, le fonctionnaire a renvoyé le grief à l’arbitrage à la Commission des relations de travail dans la fonction publique le 7 mars 2007, en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édicté par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22. Le président de la Commission m’a désigné comme arbitre de grief pour entendre et trancher l’affaire.

6 Dans une lettre datée du 25 septembre 2009, l’employeur a donné avis de son intention de contester la compétence de l’arbitre de grief au motif que le grief avait été déposé hors délai. Il a confirmé son objection à l’ouverture de l’audience. Les parties se sont entendues pour en traiter dans le cadre de leurs plaidoiries finales, ce à quoi j’ai consenti.

7 À la reprise de l’audience le 11 mai 2010, l’employeur a retiré son objection relative au respect des délais.

II. Résumé de la preuve

8 Deux témoins ont été entendus : le fonctionnaire et Freeman Libby, le gestionnaire qui s’est prononcé sur la demande de congé pour accident de travail du fonctionnaire.

A. La preuve du fonctionnaire s’estimant lésé

9 Le fonctionnaire a joint les rangs de la fonction publique en août 1984, au sein de ce qui était alors le ministère de l’Agriculture, à titre d’inspecteur des produits primaires à l’établissement de recherche agricole de Kentville (Nouvelle-Écosse). Il a été engagé à titre d’employé saisonnier nommé pour une période indéterminée. Chaque année, il commençait normalement à travailler au mois de juillet, à l’ouverture de la saison d’exportation des pommes, et il était mis à pied à la fin de la saison d’exportation. Le fonctionnaire est demeuré employé saisonnier nommé pour une période indéterminée à Kentville jusqu’au 26 mars 1993, date à laquelle son employeur a éliminé son poste et lui a accordé le statut d’employé excédentaire.

10 L’employeur a proposé de muter le fonctionnaire à un poste d’inspecteur de l’hygiène des viandes à temps plein à Port Williams (N.-É.) à compter du 7 juin 1993 (pièce G-8). Pour des motifs liés à l’accident de travail qu’il avait subi au cours de l’année précédente — ainsi qu’il est expliqué en détail plus loin dans la présente décision — le fonctionnaire a refusé la mutation. L’employeur lui a confié de nouveau le poste saisonnier qu’il avait occupé précédemment jusqu’au 19 novembre 1993, date à laquelle il l’a licencié définitivement. Le fonctionnaire est demeuré sans travail jusqu’au 16 janvier 1995.

11 Le fonctionnaire a déposé sans succès un premier grief contre son licenciement sous le régime de la Directive sur le réaménagement des effectifs du Conseil national mixte (DRE) alors en vigueur. Dans un deuxième grief fondé sur la DRE, il a fait valoir que la mutation au poste d’inspecteur de l’hygiène des viandes à Port Williams ne constituait pas une « offre d’emploi raisonnable » au sens de la directive. Le fonctionnaire a appris que son grief avait été accueilli au dernier palier en août 1994 (pièce G-12). Jusqu’au 19 novembre 1994, il est demeuré sur la liste de priorité de l’employeur aux fins d’une nouvelle nomination, mais il n’a reçu aucune offre d’emploi. À la suite de l’expiration de son statut prioritaire, le fonctionnaire a demandé l’aide de son député, qui est intervenu auprès du ministre de l’Agriculture, et peu de temps après, le fonctionnaire s’est fait offrir un poste d’inspecteur de produits primaires à temps partiel pour une durée indéterminée à Halifax (N.-É.). Il a accepté l’offre et signé un protocole d’entente aux termes duquel son licenciement permanent du 19 novembre 1993 a été annulé, et il est entré en fonctions dans son nouveau poste le 16 janvier 1995, travaillant 18 heures par semaine.

12 Le 20 mai 1997, le fonctionnaire a commencé à assumer à temps plein les fonctions de son poste à Halifax. Peu de temps après, la nouvelle ACIA a confirmé sa qualité d’employé à temps plein nommé pour une période indéterminée dans ce poste.

13 Le 1er avril 1998, l’ACIA a muté le fonctionnaire à un poste vacant d’inspecteur de produits primaires à temps plein à Kentville, où il est resté. L’employeur a par la suite reclassifié le poste, qui à partir de ce moment a relevé du Groupe soutien technologique et scientifique (EG-04).

14 Le grief tire son origine d’un incident survenu le 21 octobre 1992. Pendant les heures de travail, le fonctionnaire s’est blessé au dos en soulevant une caisse de camion avec plusieurs collègues de travail. Le lendemain, le médecin qui l’a traité pour sa blessure à l’hôpital de l’endroit a soumis à la CAT un rapport sur l’incident (pièce G-3). S’en est suivi, sur plusieurs années, une série de représentations complexes que le fonctionnaire a soumises à la CAT sur l’état de ses blessures et sur son droit à diverses prestations d’accident de travail. De multiples décisions ont alors été rendues par la CAT, et un second rapport d’accident du travail a été soumis en 2003, lorsque le fonctionnaire a aggravé sa blessure au dos (pièce G-20) et qu’il a été contraint pour cette raison de s’absenter du travail pendant plus de deux ans. Lorsqu’il a déposé le grief dans le présent cas, il s’était écoulé 13 ans, et l’affaire allait se poursuivre.

15 Les thèmes principaux du récit du fonctionnaire dans la mesure où celui-ci concerne la CAT sont ses efforts constants pour que l’on reconnaisse que la blessure subie au dos le 21 octobre 1992 avait été subie dans l’exercice de ses fonctions, que les problèmes de santé qu’il avait éprouvés par la suite au dos au fil des années étaient liés à la première blessure et que sa situation justifiait le versement de prestations de remplacement temporaire de ses gains (PRTG) par la CAT pendant plusieurs périodes ainsi que le versement d’une indemnité pour incapacité liée à une douleur (IID) et d’une indemnité pour incapacité permanente (IIP). À mon avis, il n’est pas nécessaire d’exposer dans le détail, dans la présente décision, la manière dont ces questions ont été réglées au cours des 13 années par plusieurs agents d’examen et agents d’audience de la CAT, par la CAT en sa qualité de Commission et par des tribunaux d’appel de la CAT. Aux fins de la présente décision, il suffit d’énoncer les points saillants suivants :

  • En janvier 1993, la CAT a informé le fonctionnaire qu’elle ne pouvait lui verser aucune prestation au motif que l’incident du 21 octobre 1992 n’était pas lié au travail (pièce G-7). La décision de la CAT reposait sur des renseignements fournis par l’employeur, selon lesquels l’absence au travail du fonctionnaire en congé de maladie pendant cinq jours et demi était le résultat d’une blessure corporelle que l’on ne pouvait considérer comme étant un accident de travail (pièces G-5 et G-6).
  • Le fonctionnaire a donné suite à l’affaire auprès de la CAT avec l’aide d’un avocat dont les services ont été fournis dans le cadre d’un programme de conseillers pour les travailleurs offert par la CAT. L’employeur a continué de maintenir que la blessure subie par le fonctionnaire n’était pas liée à son travail (pièce G-14). Le 21 décembre 1995, un agent de révision de la CAT s’est prononcé contre le fonctionnaire.
  • Le fonctionnaire en a appelé de cette décision. À l’issue d’une audience tenue le 19 mars 1996, un agent d’audience de la CAT a déterminé que la blessure subie par le fonctionnaire le 21 octobre 1992 était survenue par le fait ou à l’occasion de son emploi (pièce G-17). Il a accueilli l’appel et invité le fonctionnaire à produire une preuve sur les journées de travail perdues et les frais médicaux engagés en vue d’une décision subséquente sur les mesures de réparation qui lui seraient accordées.
  • Dans une décision datée du 17 février 1997, un agent d’audience de la CAT a déterminé que le fonctionnaire avait droit à des indemnités d’invalidité totale temporaire pour les journées de travail perdues de la date de l’accident à la date à laquelle il avait repris ses fonctions à temps plein en décembre 1992. Toutefois, l’agent d’audience a rejeté la demande du fonctionnaire en vue d’obtenir une évaluation au titre d’une incapacité médicale permanente (IMP) et les prestations d’invalidité partielle permanente s’y rattachant (pièce E-1).
  • Le fonctionnaire en a appelé aussi de cette décision. Un tribunal d’appel s’est penché sur l’argument selon lequel il avait droit à des indemnités au-delà du 5 novembre 1993, date à laquelle un médecin avait déterminé qu’il était médicalement inapte à assumer les fonctions du poste d’inspecteur de l’hygiène des viandes que l’employeur lui avait offert après avoir éliminé son poste saisonnier à Kentville en mars 1993, et qu’il avait refusé (pièce G-9). Dans une décision datée du 31 mars 2000, le tribunal a reconnu que le fonctionnaire avait subi une perte salariale du fait qu’il n’avait pu accepter le poste d’inspecteur de l’hygiène des viandes pour des raisons de santé. Il a conclu par contre que la perte salariale subie par le fonctionnaire au-delà du mois de novembre 1993 était le résultat d’une maladie dégénérative préexistante de la colonne vertébrale et non de l’accident de travail survenu le 21 octobre 1992. Le tribunal a rejeté la demande du fonctionnaire en vue d’obtenir le paiement de PRTG au-delà du mois de novembre 1993 et de prestations d’invalidité partielle permanente (pièce E-2).
  • Quatre ans plus tard, soit en septembre 2004, un agent d’audience de la CAT a conclu, compte tenu du second rapport d’accident du fonctionnaire daté de 2003, que de nouveaux éléments de preuve justifiaient un nouvel examen de la décision du tribunal d’appel rendue le 31 mars 2000 (rapportée dans la pièce G-21). La CAT a ordonné d’autres évaluations médicales, puis elle a déterminé, le 20 mai 2005, que le fonctionnaire avait droit à des PRTG rétroactivement au 5 mai 2003, date à laquelle sa blessure donnant droit à des indemnités était réapparue (pièce G-21). Elle lui a accordé également une IID de 3 %. En ce qui a trait à la demande de prestations du fonctionnaire pour les pertes salariales remontant à sa première blessure en 1992, la CAT a indiqué qu’elle trancherait cette demande plus tard, lorsque ses paiements au titre des PRTG auraient pris fin.
  • Le 5 août 2005, un agent d’audience de la CAT a déterminé en outre que le fonctionnaire avait droit à [traduction] « […] une détermination de l’incapacité médicale permanente supérieure à 0 % en relation avec la blessure donnant droit à des indemnités subie le 21 octobre 1992 » (pièce G-22).
  • Le 26 septembre 2005, la CAT a fixé le niveau de l’IMP à 10 % et ordonné sa prise d’effet rétroactivement au 2 décembre 1994. Elle a fixé au 27 novembre 1992 la date de prise d’effet de l’IID de 3 %. Quant à la demande du fonctionnaire au titre des pertes salariales attribuables à son incapacité d’accepter le poste d’inspecteur de l’hygiène des viandes, l’agent de la CAT a écrit ce qui suit :

    [Traduction]

    […]

    […] La preuve permet de conclure à mon avis que vous avez peut-être droit au remboursement des pertes salariales que vous avez subies parce que vous étiez incapable d’accepter le poste d’inspecteur de l’hygiène des viandes. Toutefois, l’on ne peut établir sur le fondement des renseignements salariaux présentement au dossier ce que votre salaire aurait été si vous aviez été en mesure d’accepter le poste [d’inspecteur de l’hygiène des viandes], comparativement à ce que vous avez été payé à la suite de la signature du protocole d’entente et de votre nouvelle embauche en janvier 1995, et au salaire que vous touchez actuellement dans le poste que vous occupez en ce moment. J’ai demandé ces renseignements salariaux à votre employeur […] une décision subséquente énonçant dans le détail votre admissibilité à des indemnités de perte de revenus sera rendue lorsque ces renseignements auront été obtenus. […]

    […]

  • Le 17 octobre 2005, la CAT a déterminé que le fonctionnaire avait droit à une indemnité rétroactive de 26 854 $ pour les périodes du 19 novembre 1993 au 2 janvier 1994 et du 10 septembre 1994 au 20 mai 1997 (pièce G-24).
  • Le 15 novembre 2005, la CAT a déterminé en outre que le fonctionnaire avait droit à un paiement de PRTG rétroactif de 59 491,60 $ pour les heures où il s’était absenté du travail entre le 5 mai 2003 et le 25 septembre 2005 (pièce G-31).
  • Dans une lettre datée du 20 janvier 2006, la CAT a indiqué au fonctionnaire que la question du remplacement des congés de maladie et des congés annuels qu’il avait pris en relation avec la blessure donnant droit à des indemnités subie le 21 octobre 1992 et en relation avec la réapparition de cette blessure le 5 mai 2003 le concernait, lui, ainsi que son employeur (pièce E-3).
  • Dans une décision rendue le 2 février 2006, la CAT a examiné la demande du fonctionnaire en vue d’obtenir des paiements de PRTG supplémentaires pour des périodes au cours desquelles il avait pris des congés de maladie et des congés annuels entre le 27 novembre 1992 et le 4 mai 2003, ainsi que son droit à une prestation de remplacement prolongé de ses gains (PRPG) (pièce G-32). La CAT a déterminé que les paiements de PRTG étaient appropriés pour la période du 12 au 21 juin 1995 et pour les 20 et 21 février 2001. Elle a accordé un paiement total rétroactif d’une IIP de 8 927,06 $, et rejeté la demande de PRPG du fonctionnaire.

16 Le fonctionnaire a déclaré dans son témoignage n’avoir présenté aucune demande de congé pour accident de travail à l’employeur à son retour au travail la semaine suivant sa première blessure en 1992. Il a raconté avoir parlé à ce moment-là avec son superviseur immédiat, Brian Woodland, qui lui aurait dit qu’à son avis il n’avait pas droit à un congé pour accident de travail parce qu’il n’avait pas subi d’accident de travail. M. Woodland a demandé au fonctionnaire de signer une déclaration à cet effet, ce que le fonctionnaire a refusé de faire. Compte tenu de la position de M. Woodland, le fonctionnaire n’a pas cru que la situation justifiait une demande de congé pour accident de travail. Il a donc présenté une demande de congé de maladie à la place.

17 Le fonctionnaire a témoigné par la suite qu’il avait essayé de présenter des formulaires de demandes de congé pour accident de travail à plusieurs autres reprises, lorsqu’il avait dû s’absenter du travail en raison de sa blessure au dos. Il a déclaré que l’employeur « n’avait jamais coopéré » et qu’il avait approuvé un congé pour accident de travail à une occasion, en 2001, mais il n’a pu dire avec certitude s’il avait présenté une demande pour ce congé.

18 En 2005, après avoir reçu les nouvelles décisions rendues par la CAT en sa faveur, le fonctionnaire a cru que le moment était choisi de demander à l’employeur de remplacer par un congé pour accident de travail les congés de maladie et les congés annuels qu’il avait pris au fil des années pour couvrir ses absences au travail. Dans un courriel daté du 10 août 2005 qu’il a adressé à Jo-Ann Milburn, une agente des ressources humaines de l’employeur, le fonctionnaire a présenté la demande suivante (pièce G-25) :

[Traduction]

[…]

Je demande au ministère de me créditer tous les salaires, services donnant lieu à pension et congés perdus par suite de l’accident de travail subi le 21 octobre 1992. Je demande que l’on m’indemnise intégralement. […]

[…]

19 Le 6 septembre 2005, le fonctionnaire a écrit à Barbara Tait, conseillère en rémunération et avantages sociaux de l’employeur, pour lui demander un relevé à jour des congés jusqu’au 21 octobre 1992 [traduction] « […] compte tenu des décisions récentes de la CAT […] ». Mme Tait a répondu qu’elle s’était enquise auprès de Mme Milburn des congés du fonctionnaire, et déterminé que l’employeur n’allait [traduction] « […] pas lui créditer [ses] congés de maladie jusqu’en 1992. [Ses] soldes de congés actuels sont à jour » (pièce G-27). À la suite de cette réponse de Mme Tait, le fonctionnaire a communiqué avec le représentant de son agent négociateur et, le lendemain, il a déposé un grief.

20 Le fonctionnaire a témoigné au sujet de l’impact financier de tout ce qui s’était produit par suite de son accident en 1992, et de la décision de l’employeur de le licencier en 1993. Il a indiqué avoir touché des prestations d’assurance-emploi (a.-e.) lorsqu’il s’était retrouvé sans emploi entre le mois de novembre 1993 et la date de son retour au travail à temps partiel à Halifax en janvier 1995. Il a remboursé une partie de ces prestations lorsque le ministère lui a versé l’équivalent de 36 semaines de salaire dans le cadre du protocole d’entente sur son retour au travail. Le fonctionnaire a indiqué que, lorsqu’il avait occupé son nouvel emploi à temps partiel, il avait dû retirer des sommes d’un compte de régime enregistré d’épargne-retraite. Il s’est rappelé aussi avoir touché des indemnités d’invalidité à une occasion, mais les avoir remboursées lorsqu’il a eu droit à des prestations d’accident de travail.

21 Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait aucun doute qu’il aurait été en mesure de travailler continuellement à temps plein à compter de 1992 n’eût été son accident de travail. Il souhaite que l’employeur lui accorde des congés pour accident de travail pour toutes les périodes à l’égard desquelles il a reçu des prestations d’accident de travail afin d’effacer la totalité des pertes financières qu’il a subies.

22 En contre-interrogatoire, l’employeur a demandé au fonctionnaire s’il avait présenté une demande de congé pour accident de travail lorsqu’il a reçu la décision de l’agent d’audience de la CAT en 1996, confirmant que la blessure qu’il avait subie le 21 octobre 1992 était liée au travail (pièce G-17). Le fonctionnaire a répondu qu’il croyait que la CAT avait demandé à l’employeur à ce moment-là de rétablir les crédits de tous les congés qu’il avait pris par suite de sa blessure. Il a confirmé que l’employeur lui avait accordé 41 heures de congé pour accident de travail pour ses absences en 1992.

23 Se reportant à la décision rendue par le tribunal d’appel le 31 mars 2000 (pièce E-2), l’employeur a demandé au fonctionnaire s’il avait présenté une demande de congé pour accident de travail à ce moment-là conformément à la décision. Le fonctionnaire a admis que l’employeur lui avait accordé des congés en conformité avec la décision et qu’il avait rétabli ses crédits de congés de maladie.

24 En réponse à plusieurs autres questions posées par l’employeur, le fonctionnaire a déclaré ceci : 1) il n’a jamais déposé de plainte fondée sur les droits de la personne ou autre alléguant que l’employeur avait omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de sa blessure comme étant une invalidité; 2) il a [traduction] « pris ce qu’il pouvait obtenir » en signant le protocole d’entente en 1995, a reçu 36 semaines de salaire par suite de cette signature, et il n’a pas donné suite à la question de son traitement sous le régime de la DRE; 3) soit il a reçu un paiement de l’employeur, soit il a touché des prestations d’a.-e., des prestations d’accident de travail ou des prestations d’invalidité chaque fois qu’il s’est absenté du travail, et il ne s’est jamais retrouvé sans revenu, quoi qu’il ait parfois été rémunéré à un taux inférieur à ce que son salaire aurait été s’il n’avait pas été blessé.

25 Au cours du réinterrogatoire, le fonctionnaire a déclaré qu’il avait cru comprendre que l’employeur avait reçu toutes les décisions de la CAT au moment où elles avaient été rendues et qu’il aurait donc clairement été au courant du déroulement de toutes les demandes de prestations d’accident de travail qu’il avait présentées au fil des années.

B. Preuve de M. Libby

26 M. Libby, aujourd’hui à la retraite, a commencé à travailler au sein de l’ACIA dès la création de l’organisme en 1997 à titre de gestionnaire de l’inspection pour la région sud de la Nouvelle-Écosse. En 2004, il est devenu directeur régional de l’ACIA pour la N.-É.

27 M. Libby a initialement pris connaissance des problèmes du fonctionnaire lors d’une rencontre tenue au printemps de 2003 en sa qualité de gestionnaire du fonctionnaire. Ce dernier a alors exposé dans ses grandes lignes l’historique de son dossier et déclaré que la « résolution idéale » nécessiterait que l’employeur reconnaisse, d’une part, qu’il avait été traité injustement en 1992 et au cours des années qui ont suivi et, d’autre part, qu’il aurait dû bénéficier de la qualité d’employé à temps plein nommé pour une période indéterminée dès le départ. Le fonctionnaire a confirmé qu’il demandait la différence entre le montant qu’il aurait touché s’il avait obtenu la qualité d’employé à temps plein nommé pour une période indéterminée, n’eût été la blessure subie en 1992, et le montant qu’il a gagné, premièrement en tant qu’employé saisonnier nommé pour une période indéterminée, puis en tant qu’employé à temps partiel nommé pour une période indéterminée. M. Libby a répondu qu’il ne pouvait rien faire pour modifier rétroactivement sa qualité passée d’employé saisonnier ou à temps partiel. Il a témoigné qu’au cours de cette même rencontre, le fonctionnaire n’avait pas mentionné que c’est le congé pour accident de travail qui causait problème. Il a bien mentionné ses demandes en instance devant la CAT, mais les décisions rendues par la CAT en 1997 et 2000, alors entre les mains de l’employeur, avaient rejeté sa réclamation. En conséquence, l’employeur n’aurait pu traiter aucune demande de congé pour accident de travail à ce moment-là.

28 La question du congé pour accident de travail s’est posée deux ans plus tard, après que l’employeur eut reçu avis de la décision par laquelle, le 20 mai 2005 (pièce G-21), la CAT avait infirmé ses décisions antérieures. M. Libby, devenu gestionnaire régional, a discuté de la décision avec Mme Milburn. Il a témoigné qu’ils avaient jugé que la question soulevée par la nouvelle décision de la CAT était assez simple étant donné que la seconde blessure du fonctionnaire était survenue dans le laboratoire de l’employeur et était certifiée par la CAT. M. Libby a autorisé au total 74,8 jours de congé pour accident de travail pour remplacer les congés de maladie que le fonctionnaire avait pris du 2 juin au 26 septembre 2005, une décision qui a été communiquée au fonctionnaire par son gestionnaire des inspections, Claude Comeau, dans sa réponse au grief datée du 2 décembre 2005 (pièce G-28).

29 M. Libby a discuté également de la décision du 15 novembre 2005 de la CAT avec Mme Milburn lorsque l’employeur l’a reçue (pièce G-31). Comme cette décision portait sur une période rétroactive, il a témoigné qu’ils avaient jugé la question moins simple. Sur le fondement de conseils reçus de la section des ressources humaines, M. Libby a pris en considération les facteurs suivants pour en arriver à sa décision : le statut d’emploi du fonctionnaire, ses années de service, la gravité de la blessure qu’il avait subie, la « valeur de l’employé » en tant qu’inspecteur possédant la formation voulue et ayant effectué du bon travail, et le fait que l’employeur lui avait déjà accordé 74,8 jours de congé pour accident de travail. En conséquence, M. Libby a décidé d’accorder 87 jours supplémentaires de congé pour remplacer les congés de maladie et annuels pris par le fonctionnaire du 5 mai au 5 septembre 2003. Cette décision de M. Libby a été communiquée également au fonctionnaire dans la réponse au grief de M. Comeau datée du 2 décembre 2005 (pièce G-28).

30 Appelé à expliquer pourquoi il n’avait pas approuvé de congé pour accident de travail pour la période du 5 septembre 2003 au 2 juin 2005, M. Libby a déclaré que le fonctionnaire avait touché des indemnités d’invalidité de la Sun Life pendant cette période. Tenant compte de ces indemnités, M. Libby a fait valoir que sa décision d’accorder 74,8 et 87 jours supplémentaires de congés pour accident de travail avait permis au fonctionnaire de toucher une forme de paiement pendant toute la période au cours de laquelle il avait été en situation d’inactivité en raison de sa seconde blessure.

31 M. Libby a utilisé un document préparé par Mme Milburn établissant le statut d’emploi du fonctionnaire et l’historique des demandes de prestations d’accident de travail du 13 août 1984 au 15 novembre 2005 (pièce E-6), pour traiter de la demande du fonctionnaire en vue d’obtenir un congé pour accident de travail pour cinq périodes distinctes entre le 19 novembre 1993 et le 19 mai 1997, qui toutes avaient été certifiées rétroactivement par la CAT (pièce G-26). M. Libby a fait valoir que l’employeur ne pouvait accorder de congé pour accident de travail pour aucune de ces périodes, au motif soit que le fonctionnaire était en congé saisonnier aux moments visés par la demande, soit qu’il demandait des congés pour des heures au cours desquelles il n’était pas tenu de travailler en tant qu’employé à temps partiel; en d’autres termes, il demandait la différence entre les heures à temps plein et ses 18 heures de travail prévues par semaine.

32 En contre-interrogatoire, M. Libby a déclaré qu’il savait que la politique de l’employeur oblige la direction à examiner le dossier d’un employé au terme d’un congé pour accident de travail de 130 jours (pièce E-5). Il a confirmé qu’il n’y avait eu aucun examen formel dans le cas du fonctionnaire, mais que l’employeur avait pleinement évalué sa situation lorsqu’il avait décidé de lui accorder des congés supplémentaires pour accident de travail à la lumière des décisions de mai et de novembre 2005 de la CAT. M. Libby a confirmé également qu’il n’avait pas inclus le fonctionnaire ou son représentant syndical dans ses discussions avec Mme Milburn avant d’accorder les congés supplémentaires, et que le fonctionnaire n’avait pas vu ni vérifié le contenu de la pièce E-6. Il a noté cependant que le contenu de la pièce E-6 coïncidait avec la chronologie des événements que le fonctionnaire avait fournie lors de leur rencontre du printemps de 2003.

33 Se reportant à deux inscriptions contenues dans la pièce E-6 pour le mois de juin 1993, le fonctionnaire a demandé si l’employeur aurait pu lui offrir un poste pour une période indéterminée à l’usine avicole 7KK à ce moment-là. M. Libby a répondu qu’il n’avait pas été partie au dossier en 1993, mais qu’il savait que l’employeur avait offert au fonctionnaire un poste d’inspecteur des viandes.

34 M. Libby a confirmé avoir cru comprendre que, pendant toutes les périodes au cours desquelles il s’était absenté du travail en raison d’une blessure, le fonctionnaire avait touché une indemnité d’une source ou d’une autre. Il a déclaré qu’il n’était pas compétent pour conclure que les prestations d’accident de travail ou les paiements d’invalidité de la Sun Life n’équivalaient pas en valeur aux congés pour accident de travail parce que certaines des premières indemnités sont non imposables. Il a témoigné qu’il ne pouvait dire avec certitude si une indemnité non imposable versée dans une proportion de 70 % du salaire du fonctionnaire et un salaire imposable à 100 % pendant qu’il était en congé pour accident de travail s’équivalaient.

35 En ce qui concerne les paiements d’invalidité versés par la Sun Life au fonctionnaire, M. Libby a témoigné que l’employeur n’avait pas reçu d’avis officiel selon lequel le fonctionnaire avait subséquemment remboursé la Sun Life pour les périodes de congé pour accident de travail accordées ultérieurement, mais il savait que le fonctionnaire avait été instruit par l’employeur d’effectuer ce remboursement. Invité par la suite à dire s’il aurait pris une décision différente au sujet du congé pour accident de travail s’il avait su que le fonctionnaire avait remboursé la Sun Life, M. Libby a répondu [traduction] « probablement pas ». Il a indiqué que le fonctionnaire avait remboursé la Sun Life au moyen des sommes d’argent qu’il avait subséquemment reçues de la CAT.

36 M. Libby a confirmé de nouveau son assentiment à la déclaration suivante contenue dans la réponse au grief de M. Comeau datée du 2 décembre 2005 (pièce G-28) :

[Traduction]

[…]

Rien ne nous autorise à vous rémunérer pour les périodes au cours desquelles vous n’avez pas travaillé, bien que la Commission des accidents du travail vous ait accordé une perte salariale pour les périodes au cours desquelles vous étiez en inactivité, entre le 19 novembre 1993 et le 19 mai 1997.

[…]

Il a déclaré que la CAT pouvait ordonner que des paiements soient effectués pour des périodes au cours desquelles un fonctionnaire blessé n’est pas censé travailler, mais qu’il n’avait pas le pouvoir d’accorder des congés pour accident de travail pour des périodes au cours desquelles un employé n’était pas tenu d’être en service. Pressé davantage sur cette question, M. Libby a convenu qu’il y avait une différence entre ce que la CAT et l’employeur considéraient comme donnant droit à des indemnités.

37 M. Libby a concédé que le fonctionnaire s’est blessé une deuxième fois après avoir demandé à l’employeur d’effectuer des modifications au lieu de travail, et que les modifications ergonomiques demandées n’avaient pas été apportées au moment de cette seconde blessure.

38 Au cours du réinterrogatoire, le fonctionnaire s’est reporté à la Politique sur l’indemnisation pour accident du travail de l’employeur (pièce E-7) pour confirmer que les indemnités de la CAT sont non imposables et qu’elles sont calculées au taux de 75 % de la rémunération ordinaire.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

39 Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur n’avait pas fixé raisonnablement la période pour laquelle il a obtenu un congé pour accident de travail comme il devait le faire aux termes de la clause 40.01 de la convention collective. L’employeur a supprimé sa responsabilité de payer le fonctionnaire pour toutes les périodes pour lesquelles la CAT a certifié qu’il était incapable d’exercer ses fonctions en raison d’un accident de travail.

40 La question n’est pas de savoir si le fonctionnaire a touché une somme d’argent d’une autre source. L’obligation prévue à la clause 40.01 de la convention collective est claire. Le fonctionnaire « […] bénéficie d’un congé payé pour accident de travail […] ». Il n’aurait pas dû être forcé de recourir à la procédure de règlement des griefs après que la CAT a déterminé son droit à des prestations.

41 L’omission de l’employeur d’effectuer l’examen requis de la situation du fonctionnaire après 130 jours de congé pour accident de travail n’est pas sans importance. L’employeur aurait dû examiner davantage la situation du fonctionnaire à ce moment-là. Le fait qu’il ne l’a pas fait montre qu’il a été déraisonnable dans la détermination du droit du fonctionnaire à un congé.

42 Le fonctionnaire m’a renvoyé à Sabiston c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-10395 (19820105), à l’appui de sa prétention suivant laquelle il devrait incomber à l’employeur de prouver qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable. Dans Sabiston, on a cerné également un certain nombre de facteurs dont il faut tenir compte pour effectuer une évaluation raisonnable. Dans le cas du fonctionnaire, M. Libby ne se préoccupait que de la question de savoir si la CAT ou la Sun Life avaient versé des indemnités lorsqu’il a déterminé les périodes appropriées pour un congé pour accident de travail.

43 Le fonctionnaire m’a renvoyé en outre à King c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2006 CRTFP 37. À la lumière de King, il a fait valoir qu’il incombe à l’employeur de démontrer que sa décision était plus raisonnable que celle de la CAT. Plus particulièrement, M. Libby aurait dû se pencher sur la question de la pension et des avantages sociaux que le fonctionnaire avait perdus. S’il avait agi de manière plus raisonnable, le fonctionnaire n’aurait subi aucune perte à ce titre. Dans le sens visé dans King, l’employeur « […] n’était pas conscient de l’existence d’un facteur important […] » (voir King, au paragraphe 35).

B. Pour l’employeur

44 L’employeur a dit du libellé du grief qu’il était vague. Il n’y était pas fait mention d’un congé pour accident de travail, ni des périodes exactes pour lesquelles le fonctionnaire souhaitait obtenir un tel congé.

45 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a confirmé qu’il avait obtenu une rémunération chaque fois qu’il s’était absenté du travail en raison d’une blessure. Sa seule réserve tient au taux auquel il a été rémunéré. En d’autres termes, il allègue que l’employeur a agi déraisonnablement au motif qu’il ne lui a pas versé une rémunération conformément à la clause 40.01 de la convention collective pour toute la durée de son absence attribuable à une blessure. Le fonctionnaire demande que toutes les périodes pour lesquelles il a touché des prestations d’accident de travail soient remplacées par un congé pour accident de travail, mais il a omis de fournir la moindre preuve sur la différence entre les montants qu’il a reçus de la CAT et les montants qu’il aurait touchés si l’employeur lui avait accordé un congé pour accident de travail pendant toutes les périodes en cause. Il s’est contenté de faire devant moi des allégations non corroborées selon lesquelles il était moins avantageux pour lui de toucher des prestations d’accident de travail.

46 L’employeur a cité le paragraphe 27 de King sur la nature de la disposition sur le congé pour accident de travail :

[…]

[…] rien dans la clause en question n’étaye l’allégation que seule la durée d’un congé coïncidant avec celle de l’absence du fonctionnaire serait raisonnable. La durée variable des congés dans les affaires qu’on a invoquées devant moi montre bien, d’ailleurs, que l’employeur est libre d’accorder des congés de différente durée, au moins dans la mesure de ce qui est réputé raisonnable.

47 L’employeur a fait valoir que le fonctionnaire tente d’aller à l’encontre de l’esprit du système en soutenant pouvoir décider entre des prestations d’accident de travail et un congé pour accident de travail. La clause 40.01 de la convention collective prévoit que les fonctionnaires qui subissent un accident de travail toucheront des paiements de la CAT, ainsi que le prévoit la Politique sur l’indemnisation pour accident du travail de l’employeur (pièce E-7) :

[…]

3.1 Prestations

La Loi concernant l'indemnisation des employés de l'État prévoit le dédommagement par des indemnisations de tous les fonctionnaires fédéraux, qui ont été victimes d'accidents du travail […] qui sont blessés à l'occasion de leur travail et ne sont protégés par aucune loi locale. […]

[…]

La clause 40.01 prévoit une indemnité supplémentaire qui permet aux fonctionnaires d’être en congé pour accident de travail pendant une période limitée. Elle ne confère pas au fonctionnaire le droit de choisir entre des prestations d’accident de travail et ce congé.

48 L’obligation relative à la tenue d’un examen après 130 jours de congé pour accident de travail évoquée par le fonctionnaire confirme en fait de nouveau la règle selon laquelle le congé pour accident de travail est limité. Aux termes de la politique, l’employeur doit déterminer, après un congé de 130 jours, si ce congé doit être prolongé. L’objectif de l’examen n’est pas d’accorder moins de congé, mais plus — ce que l’employeur a fait en offrant un congé total de 169 jours dans le cas du fonctionnaire. Quoi qu’il en soit, la question de l’examen au terme d’un congé de 130 jours se pose uniquement lorsqu’un fonctionnaire demeure incapable de travailler. Cette disposition ne s’applique pas pour déterminer un droit rétroactif, comme en l’espèce. Dans le cas du fonctionnaire, l’employeur devait simplement examiner ce qui s’était produit et déterminer ce qui constituerait un congé rétroactif raisonnable. Ainsi qu’il est indiqué dans King, au paragraphe 21, il existe des écarts marqués au niveau de la durée des congés pour accident de travail qui ont été considérés comme ayant été fixés raisonnablement par l’employeur. Même un congé de 15 à 20 jours a été jugé raisonnable dans certains cas; voir Juteau c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-15113 (19851206), et Demers c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-15161 (19860616).

49 L’employeur s’est dit en désaccord avec le renversement de la charge de la preuve dans Sabiston. Comme la question met en cause l’interprétation ou l’application d’une convention collective, il incombe au fonctionnaire de démontrer que l’employeur a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable et de prouver son droit à des congés. Même si Sabiston était juste, le fonctionnaire n’a pas établi à première vue que l’employeur a agi déraisonnablement, ce qui est une condition préalable, selon Sabiston, au renversement de la charge de la preuve.

50 Dans King, l’arbitre de grief n’a pas discuté spécifiquement de la question de la charge de la preuve. Elle a quand même demandé au fonctionnaire de démontrer que l’employeur avait omis de « […] tenir compte de tous les facteurs pertinents pour le fonctionnaire qui demande un congé […] » (au paragraphe 35). Dans King, le fonctionnaire s’estimant lésé a produit une preuve substantielle de cette omission. D’après l’employeur, cela n’est pas le cas en l’espèce, surtout parce que ce que l’on allègue être le geste « déraisonnable » de l’employeur tient essentiellement au fait qu’il n’a versé aucune somme au fonctionnaire pour toute la période au cours de laquelle ce dernier a touché des prestations d’accident de travail.

51 L’employeur a fait valoir que le versement par la CAT de sommes d’argent au fonctionnaire pour certaines périodes au cours desquelles il n’était pas tenu de travailler — que ce soit pendant un congé saisonnier ou pour les périodes en sus de ses 18 heures de travail par semaine prévues en tant qu’employé à temps partiel — ne change rien au fait que l’employeur peut accorder un congé pour accident de travail pour les seules périodes au cours desquelles le fonctionnaire était censé travailler, mais qu’il en était incapable en raison d’une blessure. Un arbitre de grief ne peut modifier le statut d’emploi d’un fonctionnaire s’estimant lésé rétroactivement, car ainsi il pourrait ordonner un congé pour accident de travail pour des périodes payées par la CAT, au cours desquelles le fonctionnaire n’était pas tenu de travailler.

52 L’employeur m’a renvoyé aussi à Colyer c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-16309 (19871105); Labadie c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 90; Bouchard c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Services correctionnel), 2002 CRTFP 81; Levesque c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-15114 (19851206).

C. La réfutation du fonctionnaire s’estimant lésé

53 En ce qui concerne l’allégation de l’employeur selon laquelle le grief était vague, le fonctionnaire a fait valoir que le grief était un document général qui signalait sa situation à l’employeur, et qu’il n’était pas destiné à préciser les détails de sa demande. La réponse au grief datée du 2 décembre 2005 (pièce G-28) a démontré que l’employeur comprenait parfaitement ce que le fonctionnaire tentait d’obtenir.

54 D’après le fonctionnaire, l’employeur prend la CAT à partie s’il n’applique pas sa décision relative aux périodes au cours desquelles le fonctionnaire a droit à des indemnités. Après que le fonctionnaire eut présenté à l’employeur les décisions de la CAT, l’employeur devait démontrer qu’il a suivi un processus juste et raisonnable pour déterminer s’il y avait lieu ou non d’accorder un congé pour accident de travail. Il n’en a rien fait, et il n’a aucune raison de payer une partie seulement de la période donnant droit à des prestations d’accident de travail. L’objectif de la clause 40.01 de la convention collective est de faire en sorte qu’un fonctionnaire ne subisse aucune perte financière pour une blessure subie au travail, ce qui s’est produit du fait de la décision de l’employeur.

55 En réponse à une question que je lui ai posée, le fonctionnaire a admis que le libellé de la clause 40.01 de la convention collective n’exige pas qu’un congé pour accident de travail soit de même durée qu’une période donnant droit à des prestations d’accident de travail. Le fonctionnaire a fait valoir cependant que l’employeur doit prendre en considération tous les facteurs. Il doit expliquer la raison pour laquelle il a versé des sommes d’argent pour une partie de la période, puis démontrer, par extension, la raison pour laquelle il n’a pas accordé de congé pour le reste de la période. Le simple fait de bénéficier des paiements de la Sun Life ne suffit pas comme facteur. Le but de la clause 40.01 est d’indemniser le fonctionnaire.

56 Appelé en outre à préciser quels facteurs importants n’avaient pas été pris en considération par l’employeur, le fonctionnaire a répondu que l’employeur aurait pu lui demander — mais il ne l’a pas fait — de participer à des discussions avant de prendre sa décision sur le congé pour accident de travail. Il a allégué que M. Libby n’était pas au courant de certains renseignements pertinents; par exemple, les questions de savoir si le fonctionnaire avait remboursé la Sun Life et si les indemnités qu’il avait touchées d’autres sources étaient imposables. L’employeur ignorait ce que le fonctionnaire avait effectivement reçu et la nature de sa « perte véritable ».

57 J’ai demandé au fonctionnaire, à l’issue de sa réfutation, s’il me demandait d’ordonner à l’employeur de lui accorder un congé pour accident de travail pendant des périodes de congé saisonnier ou d’emploi à temps partiel comme s’il avait été un employé à temps plein nommé pour une période indéterminée pendant tout ce temps. Le fonctionnaire a répondu par l’affirmative. Il a fait valoir que, n’eût été sa blessure en 1992, il aurait été muté à un poste à temps plein pour une durée indéterminée en 1992 ou 1993.

IV. Motifs

58 L’employeur a initialement contesté ma compétence pour entendre cette affaire au motif que le fonctionnaire n’a pas présenté son grief dans les délais prescrits. L’employeur ayant retiré son objection, je dois accepter que le dépôt par le fonctionnaire de son grief le 9 septembre 2005 était valide sur le plan de la forme relativement à son objet identifié — la décision d’accorder un congé pour accident de travail jusqu’au 21 octobre 1992. L’on a produit une preuve qui aurait pu autrement me mener à me demander si le fonctionnaire aurait pu ou aurait dû déposer un grief antérieurement, mais il n’y a aucune raison d’examiner davantage ces éléments de preuve en l’absence d’une objection sur les délais.

59 En conséquence, je dois me pencher directement sur le bien-fondé de l’allégation selon laquelle l’employeur a contrevenu à la clause 40.01 de la convention collective, dont les passages pertinents sont libellés dans les termes suivants :

40.01 L'employé-e bénéficie d'un congé payé pour accident de travail d'une durée fixée raisonnablement par l'Employeur lorsqu'une réclamation a été déposée en vertu de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État et qu'une commission des accidents du travail a informé l'Employeur qu'elle a certifié que l'employé-e était incapable d'exercer ses fonctions en raison :

a)       d'une blessure corporelle subie accidentellement dans l'exercice de ses fonctions et ne résultant pas d'un acte délibéré d'inconduite de la part de l'employé-e,

[…]

60 La clause 40.01 de la convention collective s’inscrit dans le cadre législatif établi par la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. (1985), ch. G-5 (LIAE), à laquelle elle renvoie. La LIAE s’applique aux employés du gouvernement fédéral « blessés dans un accident survenu par le fait ou à l’occasion de leur travail »; sous-alinéa 4(1)a)(i). Aux termes des paragraphes 4(2) et (3) de la LIAE, ces employés ont droit à l’indemnité prévue par la législation de la province où ils exercent habituellement leurs fonctions en matière d’indemnisation des travailleurs, dans les termes suivants :

          (2) Les agents de l’État visés au paragraphe (1), quelle que soit la nature de leur travail ou la catégorie de leur emploi, et les personnes à leur charge ont droit à l’indemnité prévue par la législation — aux taux et conditions qu’elle fixe — de la province où les agents exercent habituellement leurs fonctions en matière d’indemnisation des travailleurs non employés par Sa Majesté — et de leurs personnes à charge, en cas de décès — et qui sont :

a) soit blessés dans la province dans des accidents survenus par le fait ou à l’occasion de leur travail ;

b) soit devenus invalides dans la province par suite de maladies professionnelles attribuables à la nature de leur travail.

          (3) L’indemnité est déterminée :

a) soit par l’autorité — personne ou organisme — compétente en la matière, pour les travailleurs non employés par Sa Majesté et leurs personnes à charge, en cas de décès, dans la province où l’agent de l’État exerce habituellement ses fonctions ;

b) soit par l’autorité, judiciaire ou autre, que désigne le gouverneur en conseil.

61 Bien que, dans la présente affaire, je ne sois appelé à interpréter ou à appliquer directement aucune disposition de la LIAE, je dois reconnaître comme contexte que le législateur souhaitait que les employés qui subissent une blessure dans l’exercice de leurs fonctions aient accès au régime de sécurité du revenu prévu dans les régimes provinciaux d’indemnisation des travailleurs et qu’ils en bénéficient. En ce sens, le fait qu’un employé blessé touche des prestations d’accident de travail et non un revenu directement de l’employeur ne pose en soi aucun problème. La mesure de l’obligation de l’employeur de remplacer des prestations d’accident de travail en offrant une sécurité du revenu directement à un employé est une question que régit la convention collective. Aux fins d’interprétation, cette convention n’est pas réputée remplacer le régime mis en place par le législateur dans la LIAE; elle doit plutôt être tenue comme s’appliquant dans les limites du cadre établi par la LIAE.

62 Par le libellé de la clause 40.01 de la convention collective, les parties se sont entendues pour assujettir la décision d’accorder un congé payé pour accident de travail à deux conditions préalables, la première étant qu’« […] une réclamation a été déposée en vertu de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État […] », la seconde étant la suivante :

[…] qu'une commission des accidents du travail a informé l'Employeur qu'elle a certifié que l'employé-e était incapable d'exercer ses fonctions en raison […] d'une blessure corporelle subie accidentellement dans l'exercice de ses fonctions et ne résultant pas d'un acte délibéré d'inconduite de la part de l'employé-e […]

Lorsqu’il reçoit l’avis requis de la commission des accidents du travail, l’employeur doit, aux termes de la clause 40.01, accorder un congé pour accident de travail. Il s’agit de savoir quelle doit être la durée de ce congé.

63 La clause 40.01 de la convention collective ne prévoit pas, comme elle aurait pu le faire, que l’employeur doit accorder un congé pour accident de travail pour la période au cours de laquelle le fonctionnaire est incapable de travailler, tel que le certifie la commission des accidents du travail. Elle ne prévoit pas non plus qu’un fonctionnaire a droit à un congé pour accident de travail d’une « durée raisonnable ». Ce dernier libellé était en litige dans Sabiston et King ainsi que dans chacun des autres cas auxquels les parties m’ont renvoyé. En l’espèce, cependant, là n’est pas la formulation qui est en litige. La clause 40.01 prescrit que l’employeur accorde un congé d’une durée fixée raisonnablement.

64 À mon avis, le libellé de la clause 40.01 de la convention collective fait porter l’analyse principalement sur la manière dont l’employeur en est arrivé à sa décision — y est-il arrivé raisonnablement — plutôt que sur le résultat même. D’après le libellé de la convention collective sur lequel elles se sont entendues, les parties paraissent avoir approuvé la proposition selon laquelle la durée du congé pour accident de travail accordé par l’employeur sera suffisante si le processus utilisé pour en arriver à cette décision est raisonnable. Sur le plan pratique, la distinction entre un processus décisionnel raisonnable et un résultat raisonnable peut bien sembler artificielle. Néanmoins, le libellé de la clause 40.01 attire directement mon attention sur le premier élément plutôt que sur le deuxième.

65 Soit dit en passant, les arbitres de grief ont, dans plusieurs des cas cités par les parties, choisi en bout de ligne d’examiner le caractère raisonnable du processus décisionnel de l’employeur comme élément déterminant, même si la clause de la convention collective en question obligeait l’employeur à accorder un congé d’une « durée raisonnable ». Dans King, l’arbitre de grief a résumé au paragraphe 30 deux tendances relevées dans la jurisprudence :

[30]    J’ai déjà fait allusion à l’autre conclusion tirée de la jurisprudence, à savoir que plusieurs des décisions en question sont favorables à la conclusion que la détermination par l’employeur de ce qui constitue une « durée raisonnable » est contestable.  Dans Juteau, supra, tout comme dans Demers, supra, l’arbitre a décidé si la durée elle-même était raisonnable, compte tenu des circonstances dans chaque cas, en substituant au congé accordé au départ par l’employeur un congé de plus longue durée.  Dans d’autres décisions, notamment dans Colyer, supra, et dans Sabiston, supra, l’arbitre s’est demandé si la démarche de l’employeur pour fixer la durée du congé était raisonnable, plutôt que de trancher la question de savoir si une durée quelconque pouvait être jugée raisonnable ou pas. Dans Colyer (supra), après avoir conclu que les critères de détermination de la durée du congé étaient raisonnables, l’arbitre de grief a hésité à revenir sur la décision du conseil d’examen quant à la durée du congé lui-même, même s’il a conclu qu’une période de congé plus longue « n’aurait pas été déraisonnable ». Enfin, dans Haslett (supra), l’arbitre de grief a conclu que l’employeur n’avait pas tenu compte d’un facteur particulier dans sa décision, en lui renvoyant l’affaire pour qu’il réévalue le dossier sans lui dicter une durée quelconque du congé qui serait raisonnable.

66 Le « caractère raisonnable » est en litige, car l’employeur jouit d’un pouvoir discrétionnaire aux fins de déterminer la durée du congé auquel le fonctionnaire a droit, ainsi qu’il est reconnu constamment dans toute la jurisprudence. Qui plus est, plusieurs des décisions citées par les parties font ressortir clairement qu’il n’est pas nécessairement déraisonnable pour un employeur d’accorder un congé pour accident de travail pour une période qui diffère de la période donnant droit à des indemnités déterminée par une commission des accidents du travail, ou qui est inférieure à celle-ci. Par exemple, l’arbitre de grief dans Colyer a dit ceci :

[…]

[…] Bien que, pour obtenir un congé d’accident du travail, un employé doive d’abord faire approuver une demande de prestations d’accident du travail, la convention collective ne dit nulle pas [sic] qu’un tel congé doit nécessairement coïncider avec la période où l’employé touche ces prestations. Si tel était le cas, il ne serait pas nécessaire d’accorder à l’employeur un pouvoir discrétionnaire à cet égard, puisque le congé pour accident de travail serait presque automatiquement la forme de redressement choisie. Une telle intention serait sûrement exprimée plus clairement, soit en permettant aux employés, une fois leur demande approuvée par une commission des accidents du travail, de lui substituer une demande de congé pour accident de travail. Ce n’est pas cela que prévoit la convention collective qui s’applique ici. Celle-ci permet à l’employeur d’accorder un congé pour accident du travail d’une durée qu’il juge raisonnable à la suite d’un accident ou d’une blessure.

[…]

67 Dans Labadie, l’arbitre de grief a fait remarquer au paragraphe 25 que le libellé de la clause sur le congé pour accident de travail « […] n'indique nullement que le congé pour accident de travail doit correspondre à la période d'invalidité ».

68 Dans King, l’arbitre de grief a tiré la conclusion suivante au paragraphe 27 :

[27]    […] Si les parties avaient voulu que le CAT serve à faire toucher aux fonctionnaires blessés la totalité de leur traitement tant qu’ils sont absents, elles auraient pu le dire clairement dans la convention collective.  En stipulant plutôt que la « durée raisonnable » du congé doit être fixée par l’employeur, elles ont déclaré leur intention de donner à l’employeur de la latitude pour déterminer quelle combinaison de CAT et d’autres formes de soutien du revenu (comme des prestations pour accident du travail) devrait être accordée à un fonctionnaire qui s’est blessé au travail.  Même si ce pouvoir discrétionnaire n’est peut-être pas aussi illimité que l’avocat de l’employeur le prétendrait en l’espèce, en ce sens que ce que l’employeur considère comme raisonnable peut être contesté, rien dans la clause en question n’étaye l’allégation que seule la durée d’un congé coïncidant avec celle de l’absence du fonctionnaire serait raisonnable.  La durée variable des congés dans les affaires qu’on a invoquées devant moi montre bien, d’ailleurs, que l’employeur est libre d’accorder des congés de différente durée, au moins dans la mesure de ce qui est réputé raisonnable.

69 À la lumière de la jurisprudence et du libellé spécifique de la disposition sur les congés pour accident de travail en l’espèce, la question à trancher est celle de savoir si l’employeur a fixé raisonnablement la durée du congé pour accident de travail; en d’autres termes, si la manière dont l’employeur a fixé la durée du congé était raisonnable dans le contexte de la demande du fonctionnaire.

70 Les parties contestent l’imputation du fardeau de la preuve dans la présente affaire. Citant Sabiston, le fonctionnaire soutient qu’il incombe à l’employeur de démontrer le caractère raisonnable de sa décision, à condition qu’il établisse d’abord à première vue que l’employeur a contrevenu à la clause 40.01 de la convention collective. L’employeur n’est pas d’accord. Il soutient que la manière dont on établit normalement l’existence d’une contravention à la convention collective s’applique — il incombe au fonctionnaire de prouver que l’employeur a agi déraisonnablement, en contravention de la clause 40.01.

71 Je retiens la position de l’employeur. En alléguant que ce dernier a contrevenu à la clause 40.01 de la convention collective, le fonctionnaire a assumé la charge de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur n’a pas agi raisonnablement aux fins de fixer la durée du congé à laquelle il avait droit dans le contexte de sa demande. Plus spécifiquement, le fonctionnaire doit établir, au moyen de la preuve, que la manière dont l’employeur a pris sa décision était déraisonnable, en supposant qu’il établisse dans un premier temps qu’il a été satisfait aux deux conditions préalables énoncées dans la clause 40.01. Je rejette donc l’argument du fonctionnaire selon lequel la charge de la preuve devrait être renversée, en supposant qu’il ait établi l’existence à première vue d’une contravention à la convention collective. La disposition sur le congé pour accident de travail est une disposition comme une autre. À mon avis, il n’y a aucune raison de dégager le fonctionnaire de l’obligation qui lui incombe habituellement de prouver, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un manquement à cette disposition.

72 Le fonctionnaire dit du courriel qu’il a adressé à l’employeur le 10 août 2005 (pièce G-25) qu’il contient sa demande de congé pour accident de travail. Ce courriel est libellé dans les termes suivants :

[Traduction]

[…]

Je demande au ministère de me créditer tous les salaires, services donnant lieu à pension et congés perdus par suite de l’accident de travail que j’ai subi le 21 octobre 1992. Je demande d’être indemnisé intégralement. […]

[…]

L’employeur a critiqué le libellé du grief, le qualifiant de vague. À mon sens, cette question est sans importance. Il est vrai que le courriel ne mentionne pas la clause 40.01 de la convention collective, mais je demeure convaincu, compte tenu des circonstances, que l’intention du fonctionnaire était de demander un congé pour accident de travail, et que c’est ce que l’employeur a compris. À preuve, le congé pour accident de travail est le régime qui est prévu dans la convention collective et en vertu duquel l’employeur crédite le salaire et les congés pour absences du travail par suite d’un accident du travail. C’est exactement ce que le fonctionnaire a demandé et ce dont l’employeur a traité au cours de la procédure de règlement des griefs (pièces G-28 et G-29). Rien n’indique que le manque allégué de précision du grief a créé un malentendu ou causé des difficultés à l’employeur.

73 Au 10 août 2005, avait-il été satisfait aux deux conditions préalables énoncées dans la clause 40.01 de la convention collective? En d’autres termes, le fonctionnaire avait-il déposé une réclamation en vertu de la LIAE et, dans l’affirmative, une commission des accidents du travail avait-elle « […] informé l’employeur qu’elle a certifié que l’employé-e était incapable d’exercer ses fonctions en raison […] d’une blessure corporelle subie accidentellement dans l’exercice de ses fonctions et ne résultat pas d’un acte délibéré d’inconduite de la part de l’employé-e »?

74 L’existence de réclamations déposées par le fonctionnaire ou pour son compte devant la commission provinciale des accidents du travail au sujet de l’accident initial survenu en 1992 et de la réapparition de la blessure au dos en 2003 n’est pas controversée. À mon avis, la preuve de ces réclamations dans un certain nombre de pièces produites en l’espèce satisfait à la première condition préalable énoncée à la clause 40.01 de la convention collective.

75 En ce qui concerne la deuxième condition préalable, le fonctionnaire a dit de la décision rendue le 20 mai 2005 par la CAT (pièce G-21) et des conclusions d’un agent d’audience de la CAT en date du 5 août 2005 qu’elles étaient des décisions favorables qui lui avaient donné la confiance voulue pour demander un congé pour accident de travail. Il a témoigné que la commission des accidents du travail avait pour pratique de transmettre des copies de ses décisions à l’employeur. Ce dernier n’a pas contesté le fait que, dans ses décisions du 20 mai 2005 et du 5 août 2005, la CAT avait certifié que le fonctionnaire était « […] incapable d’exercer ses fonctions en raison […] [d’une] blessure corporelle subie accidentellement dans l’exercice de ses […] fonctions et ne résultant pas d’un acte délibéré d’inconduite de la part de l’employé […] », comme le prescrit la clause 40.01 de la convention collective. Encore une fois, à mon avis, il a été satisfait à la condition préalable.

76 Reste donc la question de savoir si le fonctionnaire a prouvé que l’employeur a fixé déraisonnablement la durée du congé pour accident de travail à lui accorder dans les circonstances, compte tenu de la mesure corrective partielle qu’il a accordée dans le cadre du processus subséquent de règlement des griefs.

77 Il faut examiner deux périodes de référence. La première, qui met en cause des absences attribuables à la première blessure que le fonctionnaire a subie en 1992, consiste en cinq périodes entre les mois de novembre 1993 et mai 1997 certifiées par la CAT comme donnant droit au versement d’indemnités. La seconde couvre trois périodes entre février 2001 et juin 2005, elles aussi certifiées par la CAT (pièce G-26).

78 Malheureusement, aucun des éléments de preuve produits par les parties sur les événements survenus au cours de ces deux périodes de référence n’est à mon avis complet ou uniformément utile. Bien qu’il ait été certainement ouvert et sincère dans son témoignage, le fonctionnaire ne s’est pas toujours souvenu avec confiance ou précision des détails de son récit pendant l’interrogatoire principal. À tout le moins en partie, les trous dans son témoignage peuvent être attribués aux difficultés auxquelles tout témoin doit faire face lorsqu’il tente de reconstituer des événements qui se sont produits sur une si longue période et qui parfois soulèvent des questions complexes. Du côté de l’employeur, le principal document produit par son témoin pour établir le statut d’emploi du fonctionnaire, ses congés et l’historique des réclamations déposées devant la CAT pendant les périodes de référence en question (pièce E-6) doit être qualifié de preuve par ouï-dire. L’auteure du document, Mme Milburn, n’a pas été appelée à témoigner. M. Libby, qui s’est fié au document pendant son témoignage, et qui s’y est peut-être fié lorsqu’il a pris sa décision, n’était pas en mesure de se prononcer de manière définitive sur l’exactitude de son contenu ou sur la manière dont il a été créé. Je n’ai donc aucune raison valable d’accepter la pièce E-6 comme étant une preuve définitive de ce qui s’est produit, et je dois m’en remettre à la preuve orale limitée que j’ai effectivement obtenue ainsi qu’aux documents de la CAT pour établir les faits pertinents. Je note également qu’aucun témoin de l’employeur n’a pris personnellement part à l’affaire avant 2003. Je me retrouve donc devant un portrait partiel du passé, au moyen duquel je dois évaluer le caractère raisonnable de la décision prise par l’employeur en 2005 au sujet des droits réclamés remontant à des périodes allant jusqu’à 12 ans plus tôt.

79 En ce qui concerne la première période de référence, M. Libby a déclaré dans le cadre de son témoignage qu’il ne pouvait accorder de congé pour accident de travail pour aucune des cinq périodes mentionnées par le fonctionnaire dans ses réclamations ayant donné lieu au versement d’indemnités par la CAT, au motif que le fonctionnaire soit était en congé saisonnier, soit réclamait un droit pour des heures excédant les 18 heures prévues dans son horaire d’employé à temps partiel. Bien que je ne dispose d’aucune source autre que la pièce E-6 pour confirmer l’exactitude de ce témoignage, le fonctionnaire n’a pas contesté cette déclaration de M. Libby. À preuve, il a confirmé dans le cadre de sa réfutation qu’il me demandait d’ordonner à l’employeur de lui accorder un congé pour accident de travail au cours de périodes de congé saisonnier ou d’emploi à temps partiel, comme s’il avait été tout au long un employé à temps plein nommé pour une période indéterminée. Il a déclaré qu’il fondait sa demande sur la proposition selon laquelle, n’eut été sa première blessure, il aurait été muté à un poste à temps plein pour une durée indéterminée en 1992 ou 1993. Il a fait valoir également que l’employeur devrait lui accorder un congé pour accident de travail pour toutes les périodes pour lesquelles la CAT avait déterminé que des indemnités étaient payables.

80 Ainsi que je l’ai expliqué précédemment dans la présente décision, la jurisprudence permet de conclure que l’employeur n’est pas obligé d’accorder un congé pour accident de travail d’une durée coïncidant avec toutes les périodes pour lesquelles la CAT a déterminé que des indemnités étaient payables. Le libellé de la clause 40.01 de la convention collective confirme que l’employeur jouit du pouvoir discrétionnaire de déterminer à quel moment il devrait accorder un congé pour accident de travail et pour quelle période — à condition qu’il en arrive à cette décision de manière raisonnable. Donc, je rejette l’argument du fonctionnaire selon lequel il avait droit à un congé pour accident de travail pour toutes les périodes relativement auxquelles il a obtenu des prestations d’accident de travail. En outre, le fonctionnaire a finalement concédé le point lorsque je l’ai interrogé dans le cadre de sa réfutation.

81 L’argument du fonctionnaire selon lequel l’employeur aurait dû appliquer la clause 40.01 de la convention collective comme s’il avait été nommé à un poste à temps plein pour une durée indéterminée tout au long de la première période de référence excède largement, à mon avis, la portée de la clause 40.01. Cette disposition prévoit des congés, et le droit à des congés aux termes de la convention collective se rapporte à des périodes au cours desquelles un employé est tenu de travailler. Rien n’oblige ce dernier à demander un congé pour des heures au cours desquelles il n’est pas tenu de se présenter au travail; aucune disposition de la convention collective n’oblige non plus l’employeur à accorder un congé pour une période au cours de laquelle le fonctionnaire n’est pas censé se présenter au travail. Dans le cas particulier du congé pour accident de travail, l’objectif premier et pratique du droit est de prévoir un mécanisme par lequel l’employeur peut substituer un congé avec paie à toute autre forme de congé payé — principalement un congé de maladie ou un congé annuel — qu’un employé blessé a utilisé au cours d’une absence du travail en attendant que la CAT certifie qu’il y a eu accident au travail. Je crois qu’initialement, dans son grief, le fonctionnaire a bel et bien demandé le remplacement des crédits de congés par des congés pour accidents de travail, lorsqu’il a utilisé les termes suivants :

[Traduction]

[…]

Je conteste la décision de me refuser les crédits de tous les congés pris depuis l’accident de travail donnant droit à des indemnités que j’ai subi le 21 octobre 1992.

[…]

La preuve indique que le crédit réclamé par le fonctionnaire visait des congés de maladie qu’il avait pris pour couvrir des absences du travail pendant sa blessure, bien qu’une fois de plus, je n’aie aucune preuve du nombre de congés de maladie qu’il a effectivement pris ou de la période pendant laquelle il a été en congé. Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait déposé son grief lorsque Mme Milburn lui avait dit que l’employeur n’allait [traduction] « […] pas lui créditer ses congés de maladie jusqu’en 1992 […] » et que ses [traduction] « […] soldes de congés actuels sont à jour » (pièce G-27). Son grief avait clairement pour objet de remplacer les crédits de congés de maladie par un congé payé pour accident de travail.

82 À mon avis, le fonctionnaire n’a produit aucune preuve que l’employeur a fixé déraisonnablement la durée du congé pour accident de travail lorsqu’il a déterminé qu’il ne pouvait pas accorder un tel congé pour des périodes pendant lesquelles le fonctionnaire était en congé saisonnier ou pour des heures excédant son horaire de travail à temps partiel au cours de la première période de référence. Sans égard à ce que la CAT a jugé comme donnant droit à des indemnités, l’employeur ne pouvait agir que dans les limites de la convention collective et de la LIAE. Il ne pouvait accorder de congé pour accident de travail que pour les périodes au cours desquelles le fonctionnaire devait se présenter au travail. Il ne pouvait remplacer un congé de maladie ou autre congé payé par un congé pour accident du travail dans le seul cas où le fonctionnaire avait effectivement pris un tel congé. Il n’y a aucune preuve qui indique qu’il a refusé déraisonnablement de le faire pendant la première période de référence.

83 Ainsi que je l’ai mentionné, le fonctionnaire a indiqué en des termes clairs que son objectif véritable pour la première période de référence était d’être traité comme s’il avait été nommé à un poste à temps plein pour une durée indéterminée en 1992 ou 1993. Selon le témoignage non contesté de M. Libby, le fonctionnaire a fait valoir le même argument lorsqu’ils se sont rencontrés pour la première fois pour discuter de ses préoccupations en 2003. Il est clair à mon sens que le fonctionnaire souhaite rouvrir une question qu’il a tenté de faire trancher beaucoup plus tôt, à l’époque de ses deux griefs fondés sur la DRE, à savoir la question de son droit allégué à une offre d’un poste à temps plein pour une durée indéterminée après sa mise à pied le 19 novembre 1993. Lors de l’interrogatoire principal, le fonctionnaire a déclaré qu’il [traduction] « avait pris ce qu’il pouvait obtenir » après que son deuxième grief fondé sur la DRE eut été accueilli, qu’il avait signé en 1995 un protocole d’entente aux termes duquel il avait obtenu 36 semaines de salaire, et qu’il n’avait plus donné suite à la question de son traitement sous le régime de la DRE. Prendre ce qu’il [traduction] « pouvait obtenir » consistait à accepter un poste à temps partiel pour une période indéterminée. De toute évidence, le fonctionnaire est demeuré convaincu qu’il avait été traité injustement en dépit du fait qu’il a donné son accord à l’entente. Sans égard aux sentiments qu’il éprouve aujourd’hui à l’égard de cette décision, il ne peut, par le truchement de son grief sur le congé pour accident de travail, soulever à nouveau la question de son statut d’emploi. Il a lui-même dit avoir clos le dossier lorsqu’il a signé le protocole d’entente en 1995. Je tiens le fonctionnaire à la question essentielle de son grief du 9 septembre 2005 — congé pour accident de travail — et je refuse d’examiner davantage toute question se rapportant à son statut de nomination remontant à près de deux décennies.

84 En conséquence, j’en arrive à la conclusion que le fonctionnaire n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur a déraisonnablement déterminé son droit à un congé pour accident de travail pour cinq périodes relevant de la première période de référence.

85 En ce qui concerne la seconde période de référence, le fonctionnaire demande un congé pour accident de travail relativement à trois périodes entre le 20 février 2001 et le 9 juin 2005 (pièce G-26). Il doit prouver que l’employeur a déraisonnablement fixé la durée du congé pour accident de travail pour chacune de ces périodes.

86 Pour l’une des périodes  — les 20 et 21 février 2001 — l’unique preuve dont je dispose est que la CAT a accordé des PRTG pour ces deux jours dans une décision rendue le 2 février 2006 (pièce G-32), cinq mois après que le fonctionnaire eut déposé son grief, et plus de deux mois après la réponse de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs (pièce G-29). Le document de la CAT indique qu’un [traduction] « […] [e]xamen médical effectué par le Dr Nichols le 22 février 2001 confirme que vous étiez incapable de travailler les 20 et 21 février 2001 en raison de douleurs au dos ». Aucune preuve ne permet de déterminer si le fonctionnaire a pris un congé payé pendant ces deux jours, et je n’ai rien pu trouver qui concerne une décision par l’employeur relative à un congé pour accident de travail pour cet incident. Étant donné que le fonctionnaire n’a offert aucun argument visant à établir l’existence d’une contravention à la convention collective se rapportant à ces circonstances, sa demande est rejetée.

87 Les deux autres périodes couvrent des parties des absences du fonctionnaire au travail attribuables à son deuxième accident au travail, pour lesquelles l’employeur n’a pas accordé de congé pour accident de travail dans sa réponse au grief datée du 2 décembre 2005 (pièce G-28), soit du 6 septembre 2003 au 9 juin 2005. Je ferai remarquer encore une fois que je n’ai devant moi aucun document confirmant les congés que le fonctionnaire a pris au cours de cette période ou les paiements exacts qu’il a pu obtenir d’autres sources avant que la CAT ne lui verse des indemnités rétroactivement. Je dispose plutôt du témoignage non contredit de M. Libby, selon lequel il croyait qu’en raison de sa décision sur le congé pour accident de travail, le fonctionnaire ne s’était en aucun temps absenté du travail sans obtenir une indemnité d’une source quelconque. En décidant d’accorder un congé pour accident de travail pour un total de 169 jours sur l’absence de deux ans (environ) du fonctionnaire à la suite du deuxième accident du travail, il a témoigné qu’il avait pris en considération le statut d’emploi du fonctionnaire, ses années de service, la gravité de la blessure qu’il avait subie et la « valeur de l’employé » en sa qualité d’inspecteur possédant la formation voulue et ayant effectué du bon travail.

88 Quelle est la preuve du fonctionnaire que la décision de l’employeur sur le congé pour accident de travail pour la deuxième période de référence était déraisonnable?

89 Le fonctionnaire a allégué que M. Libby ne se préoccupait que de la question de savoir si la CAT ou la Sun Life avait versé des indemnités lorsqu’il a fixé la durée raisonnable des congés pour accident de travail. Il a déclaré que M. Libby aurait dû se pencher sur la question de la perte de pension et d’avantages qu’il avait subie. En omettant de le faire, le fonctionnaire fait-il valoir, l’employeur [traduction] « […] n’a pas tenu compte de l’existence d’un facteur important […] » ainsi que l’envisagent les motifs de l’arbitre de grief dans King.

90 Au cours de la réfutation, j’ai tenté d’en apprendre davantage auprès du fonctionnaire sur les facteurs importants qui, à son avis, étaient absents de la décision de M. Libby, laquelle, pour cette raison, était déraisonnable — les principales observations du fonctionnaire sur ce point avaient été peu nombreuses. Ainsi que je l’ai mentionné précédemment, il a répondu que M. Libby ne lui avait pas permis de prendre part aux discussions avant de prendre sa décision, qu’il ignorait s’il avait remboursé à la Sun Life les indemnités d’invalidité qu’il avait reçues ou si ces indemnités étaient imposables, et qu’il ignorait la nature de la perte que le fonctionnaire avait véritablement subie.

91 Le fonctionnaire a-t-il établi selon la prépondérance des probabilités le caractère « déraisonnable » dans ses observations? Je ne le crois pas. À mon avis, l’effet cumulatif de l’argument du fonctionnaire concernant les facteurs que l’employeur aurait négligés ou dont il n’aurait pas suffisamment tenus compte équivaut à un seul point substantif, à savoir que l’employeur n’a pas indemnisé le fonctionnaire intégralement en s’assurant qu’il n’avait subi aucune perte véritable au titre du revenu ou des avantages lorsqu’il s’était absenté du travail en raison du deuxième accident de travail. De l’avis du fonctionnaire, l’employeur a pris déraisonnablement sa décision sur le congé pour accident de travail, puisqu’il en est résulté une perte véritable pour lui.

92 Dans la mesure où la question de la perte véritable paraît être primordiale aux yeux du fonctionnaire, je trouve étonnant que ce dernier ne m’ait fourni aucune preuve concrète décrivant cette perte véritable au cours de la deuxième période de référence. Les seuls chiffres concrets dont je dispose sont les sommes que la CAT a versées rétroactivement au fonctionnaire pour les différentes périodes. Je n’ai aucune idée de ce que le fonctionnaire a reçu effectivement sous la forme d’indemnités d’invalidité de la Sun Life ou de toute autre source. Ainsi que je l’ai déjà mentionné, je ne sais même pas à quel moment et pendant combien de temps le fonctionnaire a pris des congés de maladie ou autres congés payés. Sur la question des avantages non salariaux, le fonctionnaire n’a rien offert qui me permette d’évaluer la nature de ses pertes, surtout en ce qui concerne la question importante de son droit à une pension.

93 Même si j’avais été mieux à même de comprendre la portée des pertes véritables du fonctionnaire, se poserait encore la question de savoir si l’omission établie d’éliminer ces pertes, ou peut-être de les atténuer dans une plus grande mesure, aurait constitué une preuve suffisante, selon la prépondérance des probabilités, que dans les circonstances l’employeur avait fixé déraisonnablement la durée du congé pour accident de travail. À mon avis, je ne pourrais conclure en faveur du fonctionnaire que si j’étais convaincu que le pouvoir discrétionnaire conféré à l’employeur à la clause 40.01 de la convention collective doit être exercé de manière à « indemniser le fonctionnaire intégralement », en éliminant ses pertes ou en les réduisant au minimum. Si, certes, je vois d’un bon œil la proposition selon laquelle un employé ne devrait subir aucune perte lorsqu’il est blessé au travail, ou que la perte devrait être réduite dans la plus grande mesure possible, le libellé de la clause 40.01 ne m’ouvre pas cette porte. En outre, il reste que la LIAE prévoit le versement de prestations d’accident de travail comme mesure de premier ordre à des fins de sécurité du revenu pour un employé blessé — tout en reconnaissant pleinement que ces paiements pourraient ne pas reproduire, en bout de ligne, la valeur véritable des conditions de travail normales de l’employé. Si les parties avaient voulu fournir une protection du revenu complète et éliminer la possibilité de toute perte, elles auraient inséré dans la convention collective une disposition qui aurait clairement eu cet effet et qui n’aurait conféré à l’employeur aucun pouvoir discrétionnaire de faire autre chose.

94 Sur les points que le fonctionnaire a avancés, je ne crois pas que l’omission alléguée de l’employeur de le faire participer aux discussions concernant le congé pour accident de travail établirait nécessairement le caractère déraisonnable de la décision. Quoi qu’il en soit, la réponse au grief de l’employeur datée du 2 décembre 2005 (pièce G-28) indique que les parties se sont rencontrées le 15 novembre 2005 dans le cadre de l’audition du grief pour discuter de ses réclamations. Je ne dispose d’aucune preuve sur ce qui s’est produit lors de cette rencontre, mais l’on pourrait difficilement croire que les parties n’ont pas discuté au moins dans une certaine mesure des circonstances entourant la réclamation du fonctionnaire. Si l’on avait produit une preuve que l’employeur a refusé de prendre en considération des renseignements fournis par le fonctionnaire lors de cette rencontre, avant celle-ci ou ultérieurement, peut-être aurait-on pu établir que l’employeur a omis de prendre en considération un « facteur important ». Dans l’état actuel des choses, les déclarations du fonctionnaire selon lesquelles l’employeur n’a pas tenu compte des pertes subies au titre de la pension et des avantages sociaux, de l’impact de l’imposition ou de l’historique de ses transactions avec la Sun Life, relèvent clairement de la conjecture. Pour prouver que l’employeur a agi déraisonnablement en faisant fi de ces facteurs ou d’autres « facteurs importants », il faut établir que, dans les faits, le fonctionnaire a fourni ces renseignements à l’employeur ou que ce dernier y a eu accès par ailleurs et qu’il n’en a pas tenu compte ou qu’il les a écartés déraisonnablement. Je n’accepte pas la prétention implicite selon laquelle la clause 40.01 de la convention collective imposait à l’employeur l’obligation de s’informer complètement, lui-même, de la nature des pertes véritables du fonctionnaire. Il devait certainement exister une obligation pour le fonctionnaire de fournir des renseignements s’il estimait que ceux-ci étaient cruciaux pour la décision de l’employeur relative au congé pour accident de travail. Dans l’état actuel des choses, je dispose du témoignage de M. Libby selon lequel, grâce à sa décision d’accorder 74,8 et 87 jours supplémentaires de congés pour accident de travail, le fonctionnaire a reçu une forme de paiement pour toutes les périodes au cours desquelles il a été en inactivité. Ce témoignage permet de croire que l’employeur a pris certaines mesures pour s’assurer de la sécurité du revenu du fonctionnaire, bien qu’il ne soit pas allé, comme le fonctionnaire l’a demandé, jusqu’à éliminer toutes les « pertes véritables ». Je ne crois pas que le fonctionnaire ait établi, selon la prépondérance des probabilités, la raison pour laquelle la prise de décision par l’employeur à cet égard était déraisonnable.

95 Je signale en passant que la prétention du fonctionnaire touchant à l’examen requis après un congé pour accident du travail de 130 jours n’a aucun fondement. Une lecture de la politique de l’employeur (pièce E-5) fait ressortir clairement que l’examen au terme des 130 jours est effectué lorsqu’un fonctionnaire reçoit un congé de façon continue. Ainsi que l’employeur l’a fait valoir, la décision qu’il a prise dans cette affaire concernait un droit rétroactif à un congé, une situation fort différente.

96 En résumé, j’en arrive à la conclusion que le fonctionnaire n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur a agi de manière déraisonnable pour fixer la durée du congé pour accident du travail au cours de la deuxième période de référence. En l’absence d’une telle preuve, je conclus qu’il n’y a pas eu manquement à la clause 40.01 de la convention collective.

97 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

98 Le grief est rejeté.

Le 3 juin 2010.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
arbitre de grief

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