Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le grief de licenciement du plaignant avait été rejeté par un arbitre de grief - le plaignant était insatisfait de la représentation de son agent négociateur - le défendeur a fait valoir que la plainte avait été présentée hors du délai prescrit - la Commission a confirmé que les allégations dans la plainte au sujet de la procédure de règlement des griefs et de l’audience étaient hors délai - par contre, l’allégation concernant le refus de l’agent négociateur de faire une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre de grief a été faite dans le délai prescrit pour le dépôt d’une plainte - la Commission a demandé des arguments écrits sur cette allégation. Objection accueillie en partie. Arguments supplémentaires demandés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-08-31
  • Dossier:  561-02-165
  • Référence:  2010 CRTFP 96

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

KENNY ROBERTS

plaignant

et

UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL OFFICERS – SYNDICAT DES AGENTS
CORRECTIONNELS DU CANADA – CSN (UCCO-SACC-CSN)

défendeur

Répertorié
Roberts c. Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, commissaire

Pour le plaignant:
John M. Farant, avocat

Pour le défendeur :
John Mancini, avocat

Affaire entendue à Kingston (Ontario),
les 2 et 3 février et le 19 août 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le plaignant, Kenny Roberts, était agent correctionnel au pénitencier de Kingston. Le 25 janvier 2006, il a été licencié pour motifs disciplinaires. Il a présenté un grief qui a été renvoyé à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») pour arbitrage. Ce grief a été rejeté le 5 mars 2007 (voir Roberts c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 28).

2 Le 31 mai 2007, le plaignant a déposé une plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), en alléguant que le défendeur, l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (le « syndicat ») avait manqué au devoir de représentation juste que lui impose l’article 187 de la LRTFP.

3 Le plaignant allègue ce qui suit :

[Traduction]

[…]

4 Voici les raisons pour lesquelles j’estime avoir été mal représenté par mon syndicat.

(A). J’avais demandé dès mon licenciement d’être représenté par un avocat. Ils m’ont dit que ce n’était pas nécessaire, parce qu’ils pensaient que M. Bouchard (conseiller syndical-CSN) pouvait me représenter adéquatement. J’ai clairement déclaré que cette décision ne me satisfaisait pas et que je pensais qu’il serait préférable d’aborder l’arbitrage avec la même force de frappe que l’employeur. Le président national Sylvain Martel avait également été contacté au sujet de ce que je pensais. Dans le passé, d’autres membres du personnel s’étaient fait fournir des avocats pour les représenter. Je ne savais pas que quitter le syndicat était une option. J’avais aussi été informé par d’autres ressources que les recours internes devaient être épuisés avant que les ressources de l’extérieur puissent s’appliquer. Mon syndicat était tenu de me représenter avec justice et équité. De nombreuses lettres sont jointes.

(B) Pour déclarer ce qui est l’évidence même, M. Bouchard ne voulait contre-interroger aucun des autres membres du syndicat qui ont témoigné. Il a refusé de faire comparaître quiconque était associé à l’affaire. Un témoin de moralité a comparu pour moi seulement parce que l’employeur salissait ma réputation, et il a choisi un agent qui se trouvait à l’audience. M. Bouchard n’a jamais contesté ni remis en question un argument de l’employeur. Il ne voulait pas soulever des faits qui étaient directement liés à l’affaire. Je lui avais fourni des enregistrements vidéo et audio et les noms de personnes qui étaient disposées à témoigner des attitudes et des actions racistes du directeur du pénitencier de Kingston et des innombrables autres personnes qui l’avaient aidé dans son supplice. Il n’y a jamais eu de médiation ni de négociation offertes avant mon audience. Je suis fermement convaincu que les efforts de M. Bouchard pour me défendre avaient clairement pour but de saboter ma cause. Tous les documents qu’il a demandés étaient à sa disposition et n’ont jamais été admis. Il y avait de toute évidence une conspiration.

(C) J’ai été informé le 5 mars 2007 que la décision de l’arbitre ne m’était pas favorable. Le 15 mars 2007, j’ai rencontré M. Bouchard pour parler d’un appel à la Cour. Il a déclaré catégoriquement que [traduction] « le syndicat ne poursuivra plus mon affaire ». Il n’y a rien à réexaminer, rien de plus qu’ils vont faire. J’ai été renversé que les représentants du SACC renonceraient si facilement à la possibilité de représenter un membre du syndicat jusqu’au bout et de prouver à leurs membres que le syndicat les appuiera toujours solidement. J’ai demandé qu’ils me déclarent par écrit qu’ils n’étaient pas intéressés à poursuivre cette affaire.

(D) Le SACC a refusé de me rencontrer pour me préparer à mon audience parce qu’elle allait avoir lieu dans huit mois et qu’il voulait attendre qu’il ne reste que trois semaines avant l’audience pour se préparer. Sa raison était qu’il n’avait pas le temps et qu’il ne voulait pas se surcharger et oublier quoi que ce soit. Nous nous sommes rencontrés deux fois et rien n’a vraiment été fait de ce qu’il fallait faire n’a vraiment été fait. J’ai fourni tout ce qui était demandé et j’ai proposé l’aide d’un avocat de l’extérieur, ce qui a été rejeté parce que ce n’était pas la façon du syndicat de fonctionner. Ma cause n’a jamais été préparée pour l’audience d’arbitrage de septembre 2006. Dans les arguments finals, on n’a pas présenté d’études de cas pour démontrer la pertinence dans d’autres affaires. L’arbitre a accordé des jours de grâce pour faire admettre des éléments de preuve. Je n’ai jamais été informé de ces cas, et c’étaient des cas d’agents qui avaient été suspendus. Absolument pas pertinent dans mon cas. L’attitude et le soutien de M. Bouchard n’ont jamais été positifs pour ma cause, même s’il prétend qu’il a fait de son mieux.

8 La mesure prise a été de demander au syndicat de me représenter au contrôle judiciaire.

9        a) Réintégration intégrale

          b) Traitement perdu

          c) Douleur et souffrance

          d) Dédommagement monétaire

          e) Représentation appropriée

          f) Médiation et négociation

          g) Excuses écrites

10      Le SACC est une organisation BIAISÉE. Les minorités visibles sont traitées injustement!!

4 Le 22 juin 2007, le défendeur a écrit à la Commission pour soulever deux objections à la plainte. La première objection est que les allégations des alinéas 4 (A), (B) et (D) sont irrecevables, puisqu’elles ont été présentées après l’expiration du délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la LRTFP. La seconde objection est que la décision du défendeur de ne pas présenter de demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre de grief ne peut pas faire l’objet d’une plainte lui reprochant une représentation arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi à l’audience d’arbitrage du grief. Le  plaignant aurait pu soumettre lui-même une demande de contrôle judiciaire sans l’aide du défendeur. Par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour se prononcer sur cette allégation-là.

5 Au début de l’audience sur la plainte, le défendeur a de nouveau présenté ses deux objections. Il a soutenu que la Commission, en sa qualité de tribunal administratif, n’a pas le pouvoir de proroger des délais clairement exprimés dans sa loi habilitante, comme elle l’a récemment décidé dans Éthier c. Service correctionnel du Canada et Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN, 2010 CRTFP 7. En outre, ni la LRTFP, ni la convention collective pertinente ne renferment une disposition obligeant un syndicat à renvoyer à la Cour fédérale des affaires dans lesquelles il n’a pas eu gain de cause.

6 Par l’intermédiaire de son avocat, le plaignant s’est opposé à ce que l’arbitre de grief se prononce sur ces objections à ce stade-ci, puisque le plaignant y avait répondu par écrit avant l’audience. Le plaignant a également fait valoir qu’entendre de telles objections maintenant lui serait extrêmement préjudiciable. Il a déclaré que je devrais exercer ma compétence « équitable » en prorogeant le délai de présentation de sa plainte afin de pouvoir l’entendre au fond, que je devrais faire preuve de clémence envers lui parce qu’il n’était pas représenté lorsqu’il a déposé sa plainte et que ce serait un terrible déni de justice si je ne l’entendais pas au fond.

7 Le défendeur a répliqué que la Commission n’est pas une cour supérieure, mais un tribunal spécialisé en relations de travail dont les pouvoirs législatifs sont limités; il ne peut pas créer sa propre compétence, ni accorder les redressements que le plaignant réclame en l’espèce. Le défendeur a donc demandé que la plainte soit rejetée sans être entendue au fond.

8 Le plaignant a rétorqué pour sa part que l’article 182 de la LRTFP m’investit d’une très grande compétence pour corriger toute éventuelle injustice dans une affaire renvoyée à la Commission et que la commonlaw et le droit contractuel me donnent des pouvoirs de statuer sur toutes les questions dont la Commission est saisie.

9 En réponse aux objections du défendeur, le plaignant a témoigné sur sa position que je devrais exercer un grand pouvoir de redressement pour lui permettre de remédier à sa demande tardive. Son témoignage suit.

II. Résumé du témoignage du plaignant

10 Le plaignant a été licencié le 26 janvier 2006 à la suite d’un incident survenu les 28 et 29 septembre 2005. Il avait été suspendu et l’employeur avait mené une enquête administrative sur cet incident suivie d’une audience disciplinaire qui a abouti à son licenciement. Le plaignant a rencontré son représentant syndical, Michel Bouchard, le jour même de son licenciement ou quelques jours après. M. Bouchard lui a dit de retourner à Toronto et de chercher un emploi.

11 Le plaignant a témoigné qu’il avait cherché à se faire représenter par un avocat dès son licenciement parce qu’il s’inquiétait déjà de la qualité de sa représentation syndicale. M. Bouchard lui avait dit qu’il ne commencerait à préparer son dossier en vue de l’arbitrage de son grief que trois semaines avant l’audience, parce qu’il était trop tôt pour le faire avant et qu’il oublierait vraisemblablement une grande partie de ce que le plaignant avait à dire. Il avait déclaré au plaignant qu’on ne retiendrait pas les services d’un avocat pour lui. M. Bouchard a confirmé cette position au plaignant par écrit le 26 mars 2006. En préparation à l’audience d’arbitrage, le plaignant a fourni à M. Bouchard les documents pertinents et tous les autres renseignements que celui-ci lui avait demandés. M. Bouchard l’a rencontré deux fois au cours des trois semaines qui ont précédé l’audience d’arbitrage pour se préparer. Le grief a été entendu en septembre et en décembre 2006; les arguments écrits ont été déposés à la fin de décembre. La décision de l’arbitre de grief a été rendue le 5 mars 2007. Le plaignant a reconnu qu’il savait qu’il ne serait pas représenté par un avocat à l’audience.

12 Le plaignant a déposé une plainte à la Commission en déplorant la qualité de sa représentation syndicale, après avoir reçu la décision de l’arbitre de grief rejetant son grief.

13 En contre-interrogatoire, le plaignant a reconnu avoir écrit à M. Bouchard pour l’informer de son angoisse au sujet des résultats de l’arbitrage et de son mécontentement à l’égard de tout le processus. Le courriel qu’il a adressé à M. Bouchard se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

Le 20 mars 2007

Michel,

Depuis que je vous ai rencontré la semaine dernière à votre bureau, j’ai pris le temps d’essayer de comprendre l’information que vous m’avez présentée ainsi que votre refus de m’aider avec une demande de contrôle judiciaire.

Maintenant, je pense que je dois vous donner les grandes lignes de certaines des réponses que j’ai reçues durant toute cette procédure de règlement de mon grief et enfin d’arbitrage.

J’ai demandé dès mon licenciement d’être représenté par un avocat, vous m’avez dit que ce n’était pas nécessaire parce que vous pensiez que vous pouviez me représenter adéquatement. Je vous ai clairement déclaré que je n’étais pas satisfait de cette décision et que j’estimais qu’il serait préférable d’aborder l’arbitrage avec la même force de frappe que l’employeur. Quand j’ai contacté le président national pour l’informer de mes préoccupations, j’ai été assuré que si l’arbitrage échouait, on retiendrait les services d’un avocat pour moi. Pourtant, vous avez clairement dit dans votre bureau (le 15 mars 2007) que le SACC en avait fini avec cette affaire et que vous pensiez qu’il n’y avait pas de motifs de contrôle.

Une fois de plus, je ne suis pas d’accord avec vous. J’ai demandé l’aide et les conseils d’un avocat qui est tout à fait convaincu, comme moi, qu’il y a des motifs de contrôle judiciaire et qui a été étonné que les représentants du SACC renoncent si facilement à la possibilité de représenter un membre du syndicat jusqu’au bout et de prouver à leurs membres que le syndicat les appuiera toujours solidement.

Même si vous avez dit que poursuivre cette affaire ne vous intéresse pas, en refusant de me le confirmer par écrit, vous ne m’avez laissé d’autre option que de vous redemander de m’expliquer vos raisons par écrit.

Comme ce courriel vous l’indique, j’ai maintenant informé des contacts au niveau national de mes préoccupations afin d’en informer d’autres de la situation, et j’ai confiance que s’ils prennent connaissance de la décision, ils seront eux aussi d’avis qu’il faut présenter une demande de contrôle judiciaire.

Je vous demanderais de répondre promptement puisque le temps presse, et peut-être pourriez-vous me diriger vers quelqu’un qui pourrait être disposé à m’aider. Le moment est venu de mettre vos sentiments et votre jugement personnel de côté et d’aider quelqu’un simplement parce qu’il a été injustement traité.

Veuillez accepter mes salutations.

Kenny Roberts

[…]

[Je souligne]

14 Le plaignant a admis avoir consulté Angus McLeod, un avocat de pratique privée, pour lui demander s’il estimait qu’il y avait des motifs justifiant une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre de grief, avant de déposer sa plainte. Me McLeod lui aurait déclaré qu’il y avait effectivement de tels motifs. Le plaignant ne les a pas précisés, mais il n’a pas retenu les services de Me McLeod, en raison de sa situation financière. Il a également admis qu’il n’aurait pas présenté cette plainte s’il avait eu gain de cause à l’arbitrage.

15 Le plaignant a avoué que M. Bouchard avait répondu à son courriel du 23 mars 2007 en lui donnant le conseil suivant :

[Traduction]

[…]

M. Kenny Roberts,

Ce message a pour but de vous confirmer que le syndicat a examiné soigneusement et objectivement la décision d’arbitrage dans votre dossier, comme nous en avons parlé quand vous êtes passé à mon bureau. L’évaluation que le syndicat a faite de cette décision d’arbitrage reste inchangée. Je sais que vous n’êtes pas de notre avis. Comme nous en avons parlé lorsque nous nous sommes rencontrés, vous avez encore la possibilité de présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Je vous prie de prendre note que, si vous choisissez de présenter vous-même une demande de contrôle judiciaire, vous devez le faire avant le 5 avril 2007.

Veuillez agréer mes salutations.

Michel Bouchard

Conseiller syndical de la CSN pour l’Ontario

[…]

[Je souligne]

16 Lorsqu’il s’est fait demander en contre-interrogatoire pourquoi il n’avait pas présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, le plaignant a témoigné qu’il ne le savait pas. Il croyait que c’était la responsabilité du syndicat. Parce qu’il était membre du syndicat depuis 19 ans, le syndicat avait le devoir de se battre pour lui. À son avis, le syndicat ne s’était jamais intéressé à sa cause depuis le tout début et son manque d’intérêt avait persisté durant toute la procédure d’arbitrage de son grief.

17 À la fin de son témoignage, le plaignant a déclaré qu’il avait collaboré sans réserve avec le syndicat pour présenter sa cause et qu’il ne pouvait pas comprendre pourquoi il devrait être dans l’impossibilité de faire entendre sa plainte par la Commission simplement pour une question de délai. Il a déclaré qu’il était extrêmement injuste qu’il n’ait pas été représenté par un avocat quand son grief avait été entendu à l’arbitrage, alors que M. Bouchard était représenté par un avocat à cette audience sur sa plainte. Selon lui, le syndicat avait le devoir d’user de tous les moyens possibles pour le représenter pleinement, particulièrement puisqu’il avait été licencié. C’est pour être représenté qu’il était devenu syndiqué.

18 Le défendeur n’a pas témoigné à l’appui de sa position.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le syndicat

19 Le syndicat déclare que la démarche du plaignant en ce qui concerne l’arbitrage de son grief est irrecevable, particulièrement lorsqu’il se plaint de l’absence de représentation par un avocat à l’audience de son grief (alinéa 4(A) de sa plainte), de la mauvaise qualité de sa représentation par le représentant du syndicat à l’audience d’arbitrage du grief (alinéa 4(B)) et de l’insuffisance de la préparation pour l’audience d’arbitrage (alinéa 4(D)).

20 Le plaignant avait été informé bien avant l’audience d’arbitrage de son grief que le syndicat ne confierait pas sa représentation à un avocat. L’audience d’arbitrage a eu lieu en septembre et en décembre 2006 et la décision de l’arbitre de grief a été rendue le 5 mars 2007. La plainte a été déposée le 31 mai 2007, soit bien après l’expiration du délai de 90 jours prévu par la loi.

21 Le syndicat déclare de plus, en ce qui concerne l’alinéa 4(C) de la plainte, concernant le reproche de ne pas avoir présenté de demande de contrôle judiciaire de la décision d’arbitrage, que cet aspect de la plainte n’est pas fondé. En réponse à un courriel qu’il avait envoyé le 20 mars 2007, le plaignant s’est fait donner un avis juridique daté du 21 mars 2007 lui expliquant pourquoi le syndicat estimait qu’un contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre de grief serait futile. Le 23 mars 2007, le plaignant a également été informé dans un courriel qu’il avait la possibilité de présenter lui-même une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale et que, s’il choisissait de le faire, il devait soumettre sa demande avant le 5 avril 2007. Le plaignant n’a pas présenté de demande de contrôle judiciaire; il a plutôt porté plainte devant la Commission, le 31 mai 2007.

22 Le syndicat déclare qu’avant de décider s’il était opportun de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision d’arbitrage, il s’est demandé si l’arbitre de grief avait exercé toute sa compétence et si la décision était manifestement déraisonnable. Comme les conclusions de l’arbitre de grief étaient essentiellement fondées sur des questions de crédibilité, il n’y avait guère de chances que sa décision soit renversée.

23 Le syndicat a expliqué qu’une autre stratégie de représentation du plaignant à l’audience d’arbitrage aurait pu donner des résultats bien différents : il aurait pu admettre ses torts et exprimer du regret. Toutefois, le plaignant n’avait jamais voulu démordre de sa position; selon lui, l’incident qui avait mené à son licenciement ne s’était jamais produit. Comme plusieurs témoins l’avaient contredit, son témoignage n’a pas été jugé crédible.

24 Compte tenu de ces circonstances, le syndicat déclare que sa décision de ne pas poursuivre l’affaire en présentant une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre de grief était justifiée. Il a informé le plaignant de la possibilité de présenter lui-même une telle demande, mais le plaignant ne l’a pas fait.

25 Le syndicat demande que la plainte soit rejetée.

B. Pour le plaignant

26 Le plaignant déclare qu’il était confus et craignait de n’avoir aucun recours contre la décision de l’arbitre de grief. Il m’a demandé de tenir compte de son inexpérience et d’apprécier qu’il a fait preuve d’une diligence raisonnable dans les circonstances. Il a allégué qu’un arbitre de l’Alberta avait prorogé le délai prescrit en raison du manque d’expérience d’un plaignant, sans toutefois pouvoir me préciser exactement la source de ce précédent.

27 Le plaignant fait valoir qu’on lui doit une représentation juste et que le préjudice qu’il subirait par mon refus de proroger le délai de présentation d’une plainte l’emporterait de beaucoup sur celui que subirait le syndicat.

28 Le plaignant déclare en outre que tout ce qu’il voulait, c’était que le syndicat le représente. Il ajoute qu’il présentera une demande de contrôle judiciaire si la décision en l’espèce lui est défavorable, puisqu’il s’agit de son droit à l’emploi.

29 Le plaignant part du principe que la Commission a compétence pour proroger le délai prescrit si son refus de le faire causait une grave injustice.

30 À l’appui de sa position, le plaignant cite Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59.

31 Le plaignant demande que le délai de présentation de sa plainte soit prorogé.

IV. Motifs

A. Recevabilité de la plainte

32 Le syndicat a soulevé une objection préliminaire contestant la compétence de la Commission de statuer sur la plainte et allégué que trois des allégations du plaignant sont irrecevables.

33 Le paragraphe 190(2) de la LRTFP dispose qu’une plainte fondée sur le paragraphe 190(1) doit être déposée dans les 90 jours :

190.(2) […] les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

[Je souligne]

34 La période de 90 jours pendant laquelle une partie peut présenter une plainte fondée sur l’article 187 de la LRTFP est prévue par la loi. Comme on peut le lire dans Éthier, la Commission n’a pas le pouvoir de modifier ce délai. Elle peut seulement décider à sa discrétion sur quelles circonstances se baser pour déterminer la date à laquelle la période de 90 jours commence, autrement dit celle à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances qui ont donné lieu à sa plainte, ce qui est purement une question de fait.

35 À l’alinéa 4(A) de sa plainte, le plaignant a déclaré qu’il avait demandé à être représenté par un avocat [traduction] « […]dès [son] licenciement » (le 26 janvier 2006) et que le syndicat avait rejeté sa demande. Le plaignant a répété cette affirmation dans un courriel adressé à M. Bouchard le 20 mars 2007 et l’a encore répété dans son témoignage. Il a en outre admis qu’il n’avait pas été représenté par un avocat à l’audience d’arbitrage de son grief, du 25 au 28 septembre ainsi que les 12 et 13 décembre 2006. Par conséquent, durant toute la procédure de règlement de son grief, y compris à l’audience d’arbitrage, le plaignant savait très bien qu’il n’était pas représenté par un avocat. Il a également admis qu’il n’aurait pas déposé cette plainte si son grief avait été accueilli.

36 Le plaignant s’est prévalu d’un recours devant la Commission avec l’aide du syndicat, mais cela ne change en rien le fait que ce dernier l’avait très clairement informé dans une lettre datée du 26 mars 2006 qu’on n’affecterait pas d’avocat à son dossier. Le syndicat a maintenu cette position jusqu’à ce que le grief soit entendu devant la Commission. C’est un représentant du syndicat qui a assumé la défense du plaignant à l’audience d’arbitrage de son grief en septembre et en décembre 2006. Ces faits ne sont pas contestés. Le plaignant a donc su ou aurait dû savoir qu’il ne serait pas représenté par un avocat dès le mois de mars 2006.

37 Dans Éthier, j’ai écrit ce qui suit :

[…]

De façon générale, les circonstances qui donnent lieu à une plainte ne peuvent être prolongées en invoquant d’autres circonstances qui débordent le cadre du premier refus de procéder avec le grief ou le litige en question. En l’espèce, le délai de 90 jours pour déposer une plainte à la Commission a commencé à s’écouler à partir de la date de ce refus, soit à la fin de juin 2006, et non à partir de la date à laquelle le plaignant considérait qu’il avait une preuve suffisante pour présenter sa plainte le 13 décembre 2006. Le délai pour déposer une plainte n’est pas pour autant prolongé par les tentatives d’un plaignant de convaincre le syndicat de revenir sur sa décision. Dans la mesure où il y a une violation de la loi, il n’y a pas de norme minimale ou maximale pour ce qui est du degré de connaissance que doit avoir un plaignant avant de déposer sa plainte.

[…]

38 Il s’ensuit que la connaissance qu’avait le plaignant des circonstances ayant donné lieu à une plainte fondée sur l’article 190 de la LRTFP et le début de la période de 90 jours de présentation de la plainte ont commencé à chacun de ces événements, aux dates où ils ont eu lieu. Ces circonstances n’ont pas été prolongées par la persistance du plaignant à demander d’être représenté par un avocat et elles ne l’ont pas été non plus jusqu’au résultat de l’arbitrage de son grief. Qui plus est, si le plaignant s’inquiétait de la qualité de sa représentation à l’audience d’arbitrage de son grief, c’est à lui qu’il incombait de le soulever, et ce devant l’arbitre de grief plutôt qu’après coup (voir Dwyer v. Shime, [1994] O.J. No. 2577 (QL)).

39 Je ne suis pas convaincue par l’argument du plaignant qu’il est sans expérience. Les exemples suivants contredisent cette position : les arguments très bien articulés dans l’échange de correspondance avec le syndicat déposée avec sa plainte; la position du syndicat clairement déclarée par écrit quant à son rôle à l’audience d’arbitrage; l’admission du plaignant lui-même qu’il a consulté un avocat indépendant avant de présenter sa plainte.

40 Je ne suis pas convaincue non plus que la décision rendue dans Thompson soit pertinente en l’espèce. Dans cette affaire, Mme Thompson avait involontairement tardé à présenter un grief. Dans l’éventualité où son grief serait jugé irrecevable, elle avait demandé une prorogation du délai prescrit pour le déposer. La décision de la Commission dans Thompson doit être distinguée des circonstances en l’occurrence. L’article 61 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, DORS/2005-79 (le « Règlement »), autorise le président à proroger le délai de présentation d’un grief « par souci d’équité ». L’exercice de ce pouvoir est discrétionnaire et sous réserve du principe de justice naturelle, ce qui suppose qu’il doit être raisonnable. Le délai de présentation d’une plainte est prévu au paragraphe 190(2) de la LRTFP; le Règlement ne prévoit aucun pouvoir discrétionnaire parallèle de prorogation de ce délai. La LRTFP accorde seulement à la Commission le pouvoir discrétionnaire de décider quand le plaignant a eu une connaissance suffisante des circonstances ayant donné lieu à sa plainte.

41 Je conclus donc que le plaignant avait le 26 mars 2006 une connaissance suffisante des circonstances ayant donné lieu à sa plainte concernant le refus du syndicat de lui fournir les services d’un avocat et qu’il avait également connaissance de la prétendue mauvaise qualité de la représentation assurée par le représentant du syndicat durant l’audience d’arbitrage de son grief, de même que de la prétendue préparation inadéquate à cette audience en septembre 2006. Sa plainte présentée le 31 mai 2007 est donc irrecevable.

42 Quant à la partie de la plainte reprochant au syndicat de ne pas avoir présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre de grief, j’estime que le plaignant connaissait suffisamment les circonstances de cette allégation le 23 mars 2007 et que cette partie de sa plainte est recevable, puisqu’il l’a présentée le 31 mai 2007.

43 Je crois toutefois que le plaignant n’a pas suffisamment bien plaidé cette question dans son témoignage ni dans ses arguments à l’audience. J’ai donc décidé qu’il peut le faire adéquatement en présentant des arguments écrits sans qu’il faille tenir une autre audience.

44 Le plaignant devra donc me soumettre ses arguments écrits en réponse aux arguments du syndicat au plus tard le 15 septembre 2010. Le syndicat aura jusqu’au 30 septembre 2010 pour y répondre s’il le juge nécessaire.

45 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V.Ordonnance

46 Les allégations figurant dans la plainte au sujet du refus du syndicat d’accorder au plaignant les services d’un avocat, de la prétendue mauvaise qualité de la représentation offerte par le représentant du syndicat durant l’audience d’arbitrage du grief du plaignant et de la prétendue préparation inadéquate à cette audience d’arbitrage sont rejetées.

47 L’allégation figurant dans la plainte que le syndicat a omis de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre de grief est prise en délibéré jusqu’à la présentation d’autres arguments écrits.

Le 31 août 2010.

Traduction de la CRTFP

Michele A. Pineau,
commissaire

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