Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était employé comme agent des services frontaliers (ASF) à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) - les ASF ont obtenu le statut d’agent de la paix - le fonctionnaire s’estimant lésé a été rétrogradé en permanence à un poste de commis à la suite de sa condamnation en vertu du Code criminel - venant d’apprendre que son épouse voulait le quitter après 23ans de mariage, le fonctionnaire s’estimant lésé, qui conduisait son véhicule en état d’ébriété, a dévié de sa route et heurté une motocyclette, blessant son conducteur grièvement - il a alors fui la scène de l’accident - pendant qu’il était incarcéré, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est joint d’emblée aux Alcooliques anonymes et a participé aux activités de réadaptation - en plus d’admettre sa responsabilité dans l’accident, il a exprimé des remords et présenté ses excuses à la victime - le fonctionnaire s’estimant lésé a pleinement informé l’employeur de la situation - il a été autorisé à reprendre ses fonctions comme ASF, mais ses tâches étaient limitées; il a également fait l’objet d’une surveillance de la part de l’employeur jusqu’au prononcé de la sentence - après avoir été limité à certaines tâches pendant deux mois, il a récupéré toutes ses autres fonctions comme ASF - après le prononcé de la sentence, et 16mois après l’accident, il a été rétrogradé en raison de sa conduite en dehors du travail - l’employeur estimait que la situation était sérieuse, que cela altérait la capacité du fonctionnaire s’estimant lésé de continuer à accomplir ses fonctions et soulevait des doutes sur son bon jugement - l’arbitre de grief a conclu que la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé devait être examinée en fonction du Code de conduite de l’employeur - le fonctionnaire s’estimant lésé s’était rendu coupable d’une grave infraction au Code criminel et sa conduite portait atteinte à la réputation de l’ASFC - l’employeur a établi qu’il avait un motif valable de prendre des mesures disciplinaires sévères - afin d’atteindre l’objectif visé et de respecter la prémisse fondamentale du principe des mesures disciplinaires progressives, c’est-à-dire corriger le comportement, la rétrogradation devrait être une mesure temporaire, sauf dans des circonstances exceptionnelles - au vu de l’ensemble des circonstances, la rétrogradation permanente imposée au fonctionnaire s’estimant lésé était une mesure excessive - le fonctionnaire s’estimant lésé s’est employé avec succès à surmonter son problème d’alcool, il a fait preuve de franchise en communiquant tous les détails à l’employeur, il a présenté ses excuses à la victime et il a plaidé coupable aux accusations - le fonctionnaire s’estimant lésé devrait être réintégré après une rétrogradation de 30mois. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-08-20
  • Dossier:  566-02-2339
  • Référence:  2010 CRTFP 90

Devant un arbitre de grief


ENTRE

TERRY MACARTHUR

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence des services frontaliers du Canada)

défendeur

Répertorié
MacArthur c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
George Filliter, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Daniel Fisher, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur :
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à Hamilton (Ontario),
du 1er au 4 juin 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Introduction

1 Le 25 novembre 2006 est un jour que Terry MacArthur, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») aimerait oublier. Les événements de ce jour-là et ceux qui ont suivi ont changé sa vie à jamais.

2 Le fonctionnaire a travaillé pour ce qu’on appelle désormais l’Agence des services frontaliers du Canada (le « défendeur » ou l’« ASFC »), à titre d’agent des services frontaliers (ASF), anciennement appelé agent des douanes, de mai 1988 jusqu’au 2 avril 2008. Il était alors FB-03. Ce jour-là, l’employeur lui a imposé une rétrogradation permanente dans un poste de commis CR-04. La rétrogradation du fonctionnaire résultait de ses chefs d’accusation en vertu du Code criminel du Canada (CCC) en février 2008, dont la sentence avait été prononcée en mars 2008. Tous ces événements sont directement liés à un incident survenu le 25 novembre 2006.

3 Après s’être fait imposer cette rétrogradation pour motifs disciplinaires, le fonctionnaire a déposé un grief le 2 avril 2008 en demandant que l’employeur revienne sur sa décision de le rétrograder et le réintègre dans un poste d’ASF.

4 Le défendeur a rejeté le grief dans sa réponse au dernier palier de la procédure le 14 août 2008. La Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) a reçu l’avis de renvoi à l’arbitrage déposé par le fonctionnaire le 23 septembre 2008.

II. Résumé de la preuve

5 À l’audience, l’employeur a fait témoigner Mme Joanne Brown, chef des Opérations voyageurs à Fort Erie, et M. Sean Scott, actuellement surintendant au pont de Queenston, qui participait durant la période pertinente à divers titres à la formation des ASF. L’employeur a également fait témoigner M. Chuck Marshello, directeur de district à Fort Erie depuis juin 2007. Le fonctionnaire a témoigné pour lui-même. De plus, 23 documents ont été déposés en preuve avec le consentement des deux parties.

6 Après avoir entendu les témoignages et entendu les arguments des deux parties, je n’ai aucune hésitation à conclure que les faits ne sont pas contestés.

A. L’ASFC et les agents des services frontaliers

7 M. Marshello a expliqué que l’ASFC a été formée après les événements souvent dits « du 11 septembre ». Le gouvernement d’alors reconnaissait la nécessité de renforcer la sécurité nationale, et c’est pourquoi il avait regroupé les services des douanes et les services frontaliers jusqu’alors assurés par différents ministères dans un même organisme spécial, l’ASFC, dont le président est, pour les fins de la loi pertinente, un administrateur général investi de pouvoirs équivalents à ceux d’un sous-ministre.

8 L’ASFC assure les services de sécurité et les services frontaliers à tous les points d’entrée au Canada, soit dans les aéroports, les ports maritimes et les points d’entrée terrestres, ces derniers étant naturellement situés à la frontière canado-américaine.

9 En formant l’ASFC, le gouvernement a créé des postes d’ASF qui ont statut d’agents de la paix en vertu du CCC. Les ASF ont été investis de ce qu’on appelle les « pouvoirs d’un agent », ce qui signifie qu’un ASF devrait ou pourrait être un « premier intervenant » dans l’éventualité de quatre types d’infractions au CCC, soit dans les cas de conduite avec facultés affaiblies, de mandats non exécutés, d’enfants disparus et de biens volés.

10 Mme Brown a expliqué que l’employeur s’attendait à ce que les ASF fassent preuve d’un bon jugement à tous égards, particulièrement en ce qui concernait leurs pouvoirs d’agents. Elle a aussi déclaré que l’expérience lui a appris que ces pouvoirs étaient le plus souvent invoqués dans des cas de conduite avec facultés affaiblies. L’employeur a produit des statistiques confirmant le témoignage de Mme Brown.

11 Mme Brown a également témoigné que les ASF ont le pouvoir de porter une accusation de conduite avec facultés affaiblies en vertu du CCC contre le chauffeur d’un véhicule, ou encore d’exiger que celui-ci se soumette à l’alcootest. Elle a déclaré que tous les ASF sont formés et qualifiés pour faire souffler les suspects dans un appareil de détection approuvé (ADA), communément appelé « détecteur routier ».

12 M. Scott a témoigné que la création de l’ASFC a été suivie de l’élaboration d’un programme de formation de 10 jours en prévision de l’accession des ASF au statut d’agents de la paix. Ce programme comprenait un important volet sur la conduite avec facultés affaiblies ainsi que la certification de tous les ASF pour qu’ils puissent se servir de l’ADA.

13 L’ASFC a également conçu un cours de rappel de cinq jours qui doit être offert tous les trois ans aux ASF. Nul n’a contesté que le fonctionnaire a suivi le programme de formation initial ainsi qu’au moins un cours de rappel, le plus récent apparemment en 2003.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

14 Le fonctionnaire est membre d’une famille de 10 enfants, dont il est le seul à avoir obtenu un diplôme d’études secondaires. À 25 ans, il était marié et père de deux jeunes enfants quand il s’est inscrit à un programme d’études de deux ans en Droit et en Sécurité offert à Niagara College. Après avoir terminé ce programme avec succès, il a été recruté comme agent des douanes stagiaire, à l’âge de 27 ans, par l’Agence qui a précédé l’ASFC.

15 Le fonctionnaire travaillait comme agent des douanes stagiaire quand il a postulé un emploi permanent à temps plein à l’aéroport Pearson de Toronto; il a obtenu le poste. Peu de temps après, il a été muté aux opérations du pont de la Paix. C’est ainsi qu’a débuté sa longue carrière comme ASF.

16 Le fonctionnaire a été un bon employé, respecté dès la date de son entrée en fonctions, sans l’ombre d’un problème de rendement. Il a témoigné en termes généraux sur certaines des fonctions dont il a été chargé au fil des années, notamment sur sa participation à une opération faisant appel à des agents d’infiltration, de concert avec la Gendarmerie royale du Canada, qui a abouti à la saisie d’une grande quantité de cocaïne.

17 Durant sa carrière, le fonctionnaire a toujours activement contribué à sa collectivité. Comme il l’a déclaré dans son témoignage, [traduction] « ma vie a été très tôt axée sur les enfants ». C’est un entraîneur de hockey certifié qui  a généreusement donné de son temps. Il a créé sa propre école de patinage intensif et, grâce à ses nombreux contacts, il aide des enfants défavorisés à obtenir de l’équipement de hockey.

18 Le fonctionnaire participe aussi aux activités de son église et il a témoigné des nombreuses occasions où sa famille religieuse et lui-même sont allés distribuer des dindes, de la nourriture et des cadeaux aux défavorisés à l’occasion de Noël. En outre, à son travail, il a contribué à la mise en place de plusieurs programmes pour les enfants, dont Tender Wishes, Child Find et PUCKS.

19 Pour attester de l’importance de ses activités communautaires et de la perception qu’on a de sa personnalité, le fonctionnaire a déposé (avec le consentement de l’employeur) une liasse d’environ 60 documents, des lettres de collègues entraîneurs, de dirigeants religieux, d’amis et de connaissances. Cette liasse contenait aussi des copies des nombreux prix qui lui ont été présentés et beaucoup de coupures de journaux confirmant son excellente réputation dans la collectivité. Je n’ai aucune difficulté à conclure que le fonctionnaire est un bénévole extrêmement respecté dans sa collectivité, qu’il a généreusement fait profiter de son temps, de ses talents et de son argent pendant bien des années. Les témoignages de Mme Brown et de M. Marshello, qui l’ont tous deux connu au fil des années, confirment d’ailleurs cette conclusion.

C. L’incident du 25 novembre 2006

20 Le matin du 25 novembre 2006, avant de partir pour son travail, le fonctionnaire s’est fait dire par son épouse qu’elle voulait le quitter après 23 ans de mariage. Il était accablé; il a téléphoné à son travail pour se déclarer malade. Malheureusement, comme il l’avait fait dans le passé en situation de stress, il a libéré son démon.

21 Il est allé acheter une bouteille de vodka et il a conduit son véhicule sous l’influence de l’alcool. À un moment donné, le fonctionnaire [traduction] « […] a fait marche arrière, puis s’est lancé en marche avant dans la trajectoire d’une motocyclette » (décision du tribunal dans Her Majesty the Queen v. Terry MacArthur, no d’information 07-46130, rendue le 31 mars 2008, pièce 3). L’accident a causé de graves blessures au conducteur de la motocyclette, mais son passager s’en est heureusement tiré indemne.

22 Ce qui s’est passé ensuite est encore pire. Le fonctionnaire a fui la scène de l’accident sans s’arrêter pour porter secours au conducteur blessé. Un témoin a donné le numéro de la plaque du véhicule du fonctionnaire à la police. Le fonctionnaire est rentré chez lui; il est descendu au sous-sol et il a continué à boire de l’alcool.

23 La police est arrivée sur la scène de l’accident, d’où la victime avait de toute évidence été transportée à l’hôpital, bien qu’il n’y en ait eu aucun signe. La police a trouvé le pare-chocs arrière du véhicule du fonctionnaire sur la scène de l’accident; elle a noté le numéro de sa plaque.

24 Il n’a pas fallu grand temps à la police pour se rendre à la résidence du fonctionnaire afin de l’arrêter. Comme on peut le lire dans la pièce 3, elle est arrivée chez lui, où elle a constaté qu’il [traduction] « […] était visiblement en état d’ébriété et que son pantalon était mouillé à la fourche. Sa bouche saignait ».

25 On a porté quatre chefs d’accusation contre le fonctionnaire en vertu du CCC.

26 Le fonctionnaire a témoigné qu’il était assis dans sa cellule quand il a pris conscience de son problème d’alcool. Il a prié Dieu et, après avoir été relâché sous la garde d’un bon ami, il a immédiatement pris des mesures pour adhérer aux Alcooliques anonymes. Il continue d’assister régulièrement à des réunions de cette organisation.

27 Durant son témoignage, le fonctionnaire n’a pas hésité à reconnaître sa responsabilité dans l’accident. Il avait également du remords et il a fait des excuses pour l’embarras qu’il s’était causé et qu’il avait causé à ses collègues et à l’employeur.

28 Le fonctionnaire a déclaré qu’il se rappelait très peu de choses de ce jour-là et qu’il n’avait pas agi intentionnellement. Il était en proie à une vive émotion lorsqu’il a témoigné qu’il regrettait énormément avoir laissé un homme risquer de mourir au milieu du chemin. Dans toutes mes années de pratique, j’ai rarement, voire jamais entendu quelqu’un d’aussi sincère. Je conclus que le fonctionnaire avait vraiment des remords sincères. Comme on le verra dans mes conclusions, l’employeur était du même avis.

29 Entre la date de l’accident et celle de sa comparution en cour, ce sur quoi je reviendrai plus loin, le fonctionnaire a tenté de communiquer avec la victime pour lui présenter ses excuses; en fait, il lui a écrit deux lettres d’excuses.

D. Les mesures initiales de l’employeur et la réaction du fonctionnaire

30 Comme il y était tenu, le fonctionnaire a informé son employeur de la situation. Le 7 décembre 2006, une rencontre a eu lieu entre le fonctionnaire, son représentant syndical, l’ami qui avait assumé sa garde à sa sortie du poste de police et plusieurs représentants de la direction, dont Mme Brown. Le compte rendu de cette rencontre a été produit comme pièce. Il y est écrit que le fonctionnaire avait confirmé qu’on l’avait arrêté et accusé :

  • d’avoir une concentration d’alcool sanguin de plus de 80 milligrammes par 100 millilitres de sang;
  • de conduite avec facultés affaiblies causant des blessures;
  • de conduite dangereuse;
  • d’avoir quitté la scène d’un accident.

31 La raison d’être de la rencontre était décrite comme suit dans le premier paragraphe du compte rendu :

[Traduction]

[…]

[…] pas disciplinaire, bien que l’Employeur puisse imposer des sanctions disciplinaires à un employé pour sa conduite en dehors des heures de travail; la rencontre avait pour objet de faire la lumière sur les faits entourant l’incident du samedi 25 novembre 2006. En outre, on avait des craintes en raison de la nature des fonctions des agents des services frontaliers, qui peuvent être tenus, dans l’exercice de leurs fonctions, de détenir des voyageurs en état d’ébriété, si l’agent doit appliquer la même loi que celle en vertu de laquelle il est accusé aux termes du code criminel. On a expliqué que l’Employeur craint les répercussions potentielles de l’alcoolisme dans le milieu de travail. Toutefois, ce qui compte d’abord et avant tout, c’est la santé et le bien-être de l’agent, de ses collègues (s’il n’est pas apte à les appuyer quand il est en service) et le maintien de l’intégrité du fonctionnement des services frontaliers. On s’inquiète aussi de la possibilité des répercussions sur la relation avec les autres organismes d’application de la loi dans la collectivité avec lesquels les ASF participent à des opérations conjointes.

[…]

32 En relisant ce compte rendu en entier, j’ai été immédiatement impressionné par tout ce que le fonctionnaire a révélé à son employeur. Il a admis son alcoolisme, les mesures qu’il avait prises jusqu’alors, le fait qu’il suivait un traitement, voire que son épouse et lui-même étaient en train de se séparer. Il a aussi admis les détails de l’accident survenu le 25 novembre 2006, reconnu avoir quitté la scène de l’accident et avoir eu quatre chefs d’accusation portés contre lui en vertu du CCC. Cela l’embarrassait et, ce qui est le plus important, cela lui inspirait du remords.

33 Cette rencontre a eu pour résultat que le fonctionnaire a été autorisé à reprendre son travail comme ASF, bien qu’avec des fonctions limitées; en outre, il devait être surveillé par Mme Brown. La preuve indique qu’après une période d’environ deux mois de fonctions restreintes, le fonctionnaire a repris ses fonctions complètes d’ASF le 1er février 2007.

34 Un des derniers paragraphes du compte rendu de la rencontre se lit comme suit :

[Traduction]

L’agent a été averti qu’advenant un autre incident lié à de l’alcool ou une condamnation pour des accusations en instance, un autre examen s’ensuivra, et qu’une condamnation menant à une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans entraînera le renvoi.

35 Mme Brown et M. Marshello ont témoigné que le fonctionnaire a fait admirablement son travail entre le 1er février 2007 et le 2 avril 2008 sans le moindre incident susceptible de les inquiéter.

36 En fait, tous les témoins ont mentionné un acte de bravoure du fonctionnaire. Le 15 septembre 2007, pendant qu’il était au travail, un camion qui passait la frontière a pris feu. Le fonctionnaire a fracassé le pare-brise du camion et, avec un peu d’aide d’un autre ASF, il a réussi à retirer le chauffeur de son véhicule en feu. Après l’avoir sorti du camion, le fonctionnaire a constaté qu’il y avait encore du danger et il a aidé les secouristes à transporter le chauffeur plus loin du camion juste avant qu’il explose.

37 Même si le chauffeur est décédé environ un an après par suite des blessures qu’il avait subies dans l’accident, la presse a reconnu les gestes du fonctionnaire. Qui plus est, il a reçu des lettres d’éloges de l’Honorable Stockwell Day, qui était ministre de la Sécurité publique à l’époque, ainsi que du greffier du Conseil privé.

E. Les mesures de l’employeur à la suite du plaidoyer de culpabilité et du prononcé de la sentence

38 À la fin de février 2008, la Couronne a retiré deux des chefs d’accusation contre le fonctionnaire, sur quoi il a plaidé coupable aux deux chefs d’accusation restants. Il a donc été reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies causant des blessures en vertu du paragraphe 255(2) du CCC et d’avoir quitté la scène d’un accident sachant que des blessures avaient été causées à une autre personne en vertu du paragraphe 252(1.2) du CCC. Ce sont dans les deux cas des actes criminels au sens du CCC, tous deux passibles d’une peine de 10 ans d’emprisonnement.

39 Après une audience sur la détermination de la peine, le prononcé de la sentence est tombé le 31 mars 2008, tel que mentionné aux paragraphes 21 et 24 de cette décision. Compte tenu de l’impact sur la victime, des circonstances atténuantes du caractère du fonctionnaire et de la jurisprudence, la cour a imposé une peine conditionnelle de 21 mois à servir dans la collectivité. Elle a imposé des limites très strictes au fonctionnaire, dont l’obligation de se présenter à un surveillant quotidiennement, de ne pas quitter l’Ontario, de rester à sa résidence 24 heures sur 24, bien qu’avec l’autorisation de la quitter pour aller travailler, pour assister à des réunions des Alcooliques anonymes et pour accomplir 100 heures de services communautaires, ainsi que ne pas posséder ni consommer d’alcool ni de médicaments en vente libre.

40 En supposant que les articles de journaux produits comme pièces reflètent fidèlement les déclarations de la victime, celui-ci n’était pas satisfait de ce qu’il considérait comme une peine ne reflétant pas la gravité des actes criminels du fonctionnaire. M. Marshello a témoigné que la victime a tenté de communiquer avec le fonctionnaire à son travail après le prononcé de la sentence.

41 Le 19 mars 2008, l’employeur a convoqué le fonctionnaire à une réunion disciplinaire. Le compte rendu de cette réunion indique qu’elle était censée donner au fonctionnaire la possibilité de faire tous les commentaires qu’il estimait appropriés. Comme il l’a fait devant moi, le fonctionnaire a assumé l’entière responsabilité de ses actes. Il a répété ce qu’il avait fait dans les 16 mois suivant l’accident. Il a également remis à l’employeur la liasse même de documents qui a été déposée devant moi pour attester de son bon caractère.

42 À la demande du représentant syndical du fonctionnaire, l’employeur l’a informé qu’on lui imposerait une sanction disciplinaire pour sa conduite en dehors des heures de travail, conduite qui lui avait valu d’être condamné en vertu du CCC. Dans le compte rendu, l’employeur a également déclaré que le fait que la condamnation [traduction] « […] [avait] une incidence ou [portait] atteinte à la réputation générale de l’ASFC » était important.

43 Le Code de conduite de l’employeur a été produit comme pièce. La clause m des « Normes de conduite attendues » porte sur la « Conduite hors du travail ». Il vaut la peine de la citer :

[…]

Politique générale

Votre conduite hors du travail est habituellement une question privée. Cependant, cela peut devenir une question de travail si votre conduite :

  • nuit à la réputation de l’Agence ou au programme;

  • vous rend inapte à remplir une exigence de vos fonctions;

  • amène vos compagnons de travail à refuser de travailler avec vous ou les rendent réticents à le faire ou incapables de le faire;

  • vous rend coupable d’une grave infraction au Code criminel du Canadaportant atteinte à la réputation de l’Agence et à celle de ses employés. Par exemple, la nature des accusations criminelles peut être incompatible avec les fonctions d’agent de la paix;

  • rend difficile pour l’Agence de gérer efficacement ses opérations et/ou diriger son effectif.

Critères trouvés dans « Millhaven Fibres Ltd., Millhaven Works, and Oil, Chemical and Atomic Workers Int’l Union, Local 9-670 (1967), 1 (A) Union-Management Arbitration Cases 328 ». Ces critères ont été, par la suite, adoptés par la Commission des relations de travail dans la fonction publique dans plusieurs décisions.

Vous devez aviser votre gestionnaire, dans les plus brefs délais, si vous êtes arrêté, détenu ou accusé, au Canada ou à l’extérieur du Canada, pour un acte sérieux ou une infraction à une loi ou à un règlement de la législation fédérale liée à vos fonctions officielles, dont le Code criminel du Canada. Si vous écopez d’une contravention au moment où vous étiez au volant d’un véhicule appartenant au gouvernement ou loué par celui-ci, vous devez la signaler.

[…]

44 Après la réunion, l’employeur a analysé ses options. Mme Brown et M. Marshello ont témoigné qu’il jugeait l’affaire sérieuse, puisqu’elle avait sapé la capacité du fonctionnaire de continuer à s’acquitter des fonctions d’un ASF.

45 Mme Brown a déclaré en sa qualité de chef des Opérations voyageurs au pont de la Paix que ses surintendants et elle-même doivent avoir confiance en tous les ASF et être capables de se dire qu’ils vont exercer leur jugement correctement, parce qu’un ASF travaille sans supervision directe. Comme elle l’a dit, la confiance qu’on doit accorder aux ASF est absolument cruciale, et leur jugement doit être exemplaire.

46 Mme Brown a expliqué qu’un ASF doit juger un voyageur après un interrogatoire de 45 à 90 secondes. Ce faisant, il doit évaluer les réponses et les réactions du voyageur aux questions qu’il lui pose.

47 Mme Brown a témoigné qu’elle ne pouvait plus faire confiance au fonctionnaire après sa condamnation, même si elle a admis qu’il ne lui avait posé aucun problème entre le 1er février 2007 et la date de sa condamnation, ni avant le 25 novembre 2006, d’ailleurs. Elle a expliqué qu’après avoir lu le prononcé de la sentence, elle avait conclu que l’incident du 25 novembre 2006 était si odieux qu’il remettait en question l’aptitude du fonctionnaire à faire preuve d’un bon jugement.

48 En contre-interrogatoire, Mme Brown a dit que rien de ce que le fonctionnaire puisse faire n’arriverait à rétablir sa confiance en lui. Elle a témoigné que l’incident du 25 novembre 2006 constituait à son avis un abus de confiance remettant en question l’aptitude du fonctionnaire à avoir du jugement.

49 Lorsqu’on lui a posé la question, Mme Brown a admis avoir connu dès décembre 2006 la plupart des faits entourant l’incident du 25 novembre 2006. Elle a témoigné avoir appris après avoir lu le prononcé de la sentence qu’il y avait eu un témoin de l’accident, que le fonctionnaire avait une bouteille d’alcool ouverte dans son véhicule et que son pare-chocs était resté sur la scène de l’accident. Elle avait aussi appris dans quel état d’ébriété le fonctionnaire était quand la police avait sonné à sa porte et elle avait découvert les détails des blessures subies par la victime.

50 M. Marshello a débuté comme directeur de district à Fort Erie le 1er juin 2007. Il a témoigné avoir été informé de la situation du fonctionnaire à son entrée en fonctions; il avait décidé de ne pas s’immiscer dans la décision de sa prédécesseure.

51 En février 2008, avant que le fonctionnaire ne plaide coupable, M. Marshello a eu des discussions informelles avec lui. D’après son témoignage — non contesté —, le fonctionnaire craignait de perdre son emploi.

52 C’est quand le fonctionnaire a plaidé coupable ou immédiatement avant que M. Marshello en a été informé par Mme Brown. Il en a lui-même informé ses supérieurs à l’administration centrale. L’employeur s’est assuré qu’un agent des communications de l’administration centrale reste dans le circuit pour limiter les risques de mauvaise publicité, mais on ne m’a avancé aucune preuve que cet agent ait eu quelque chose à faire.

53 Quoi qu’il en soit, on a produit en preuve trois coupures de journaux dans lesquelles l’auteur écrivait d’abord sur le plaidoyer de culpabilité du fonctionnaire, puis sur la peine, qui, comme je l’ai déjà précisé, avait été contestée par la victime. L’ASFC était mentionnée dans le premier paragraphe de chacun de ces articles (voir les pièces 8 à 10). M. Marshello a témoigné que ce n’était pas de la bonne publicité pour l’employeur, sans toutefois expliquer pourquoi il était arrivé à cette conclusion.

54 M. Marshello a témoigné sur les raisons pour lesquelles il estimait que la confiance du public avait été ébranlée par l’incident. Il a déclaré que certains membres du public avaient questionné l’employeur, sans toutefois donner de détails sur le nombre d’appels ou de commentaires que l’employeur aurait reçus de membres du public.

55 M. Marshello a également témoigné sur la réunion disciplinaire du 19 mars 2008. Il a expliqué le compte rendu produit comme pièce, en déclarant que la réunion était censée donner au fonctionnaire l’occasion de communiquer à l’employeur tous les renseignements dont celui-ci pourrait tenir compte dans sa décision sur la sanction disciplinaire appropriée. M. Marshello a témoigné que les facteurs atténuants décrits par le fonctionnaire avaient été utiles.

56 M. Marshello a ensuite décrit les facteurs dont l’employeur a tenu compte :

  • le fonctionnaire avait été impliqué dans l’accident avec délit de fuite;

  • il avait perdu sa femme et sa famille;

  • il avait offert ses excuses à la victime avant le prononcé de la sentence et il avait globalement beaucoup de remords;

  • il avait des problèmes d’alcool;

  • il avait pris les moyens pour résoudre ses problèmes d’alcool en adhérant aux Alcooliques anonymes et en participant au programme de désintoxication de 28 jours;

  • il n’avait pas de problème d’assiduité au travail;

  • il s’acquittait bien de ses fonctions;

  • il s’était prêté sans se faire prier à la surveillance de Mme Brown de décembre 2006 à la date de son plaidoyer de culpabilité et à celle du prononcé de la sentence;

  • il jouait un rôle actif dans sa collectivité;

  • il avait accompli un acte de bravoure.

57 À la suite de la réunion disciplinaire, un rapport a été rédigé et a circulé parmi les membres de la haute direction de l’employeur.

58 À l’époque, M. Marshello était directeur général régional par intérim de la Région de Fort Erie; à ce titre, il avait le pouvoir de décider de la sanction disciplinaire. Il a témoigné que la haute direction de l’administration centrale voulait initialement licencier le fonctionnaire. Pour sa part, même s’il considérait les actes du fonctionnaire comme très graves, M. Marshello a recommandé que l’employeur opte plutôt pour une rétrogradation permanente. Après avoir obtenu l’approbation de la haute direction, il a signé la lettre de rétrogradation le 2 avril 2008 en sa qualité de directeur général régional par intérim.

59 La lettre de rétrogradation se lit notamment comme suit :

[Traduction]

[…]

Au cours d’une réunion avec la direction le 18 février 2008, vous avez été informé qu’on vous affecterait temporairement à des fonctions allégées en attendant le résultat de la procédure judiciaire dans le cadre de laquelle vous aviez plaidé coupable à des accusations de conduite avec facultés affaiblies causant des blessures et de délit de fuite.

Le 19 mars 2008, des représentants de la direction vous ont rencontré à l’occasion d’une réunion disciplinaire pour vous parler de votre récente condamnation et des problèmes qui l’entouraient. À cette réunion, on vous a également offert l’occasion de donner à la direction d’autres renseignements dont elle pourrait tenir compte avant de vous imposer une sanction dans une réunion ultérieure. Vous avez déclaré à la direction que vous l’avez informée des événements au moment où la situation s’est produite; que l’alcoolisme est une maladie; que vous cherchez de l’aide, que vous vous êtes fait traiter dans un centre de désintoxication et que vous poursuivez votre participation à un programme qui vous aide à lutter contre votre maladie; que vous avez présenté des excuses pour vos actes; que vous êtes actif dans votre collectivité; que vous avez été reconnu pour la bravoure avec laquelle vous avez sauvé des vies dans l’exercice de vos fonctions; que vous avez reçu de nombreuses lettres de reconnaissance et d’éloges pour vos actions et que vous vous êtes conformé à la décision de la direction de vous réaffecter temporairement à d’autres fonctions.

Nonobstant ce qui précède et les autres facteurs dont la direction a tenu compte, la gravité des événements et des accusations pour lesquelles vous avez été condamné a une incidence directe sur les fonctions dont vous êtes chargé et sur les lois et les règlements que vous êtes tenu d’appliquer en qualité d’agent des services frontaliers et elle est incompatible avec cette qualité. La direction a donc sérieusement envisagé de mettre fin à votre emploi à l’Agence des services frontaliers du Canada. Toutefois, elle a jugé qu’une rétrogradation à un poste d’un niveau inférieur et votre maintien en service dans la fonction publique seraient une sanction disciplinaire acceptable dans votre cas et contribueraient à votre processus de réhabilitation. En fait, nous espérons que vous pourrez ainsi poursuivre toutes les options qui vous sont ouvertes pour vous assurer de ne plus vous retrouver dans la même situation. J’aimerais aussi vous rappeler, si vous l’estimez nécessaire, que les services du Programme d’aide aux employés (PAE) vous sont offerts disponibles et que vous pouvez vous en prévaloir par téléphone au 905-354-2716.

Cette rétrogradation est conforme à l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques et aux pouvoirs qui me sont délégués par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada. Par conséquent, à compter du mardi 3 avril 2008, vous vous présenterez à Brad Perzul, chef des Opérations commerciales à Fort Erie, comme commis principal au groupe et niveau CR-04.

[…]

60 M. Marshello a décrit les raisons sous-jacentes à sa décision d’imposer au fonctionnaire une rétrogradation permanente. Il a déclaré qu’il n’avait pas pris cette décision à la légère et que ses raisons étaient les suivantes :

  • les accusations étaient graves. Le fonctionnaire avait plaidé coupable à deux accusations d’actes criminels;

  • les actes du fonctionnaire avaient sali la réputation de l’employeur;

  • le verdict et la peine pourraient nuire au fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions. Toutefois, aucune preuve n’a été avancée pour expliquer cette conclusion;

  • le verdict a créé plusieurs factions parmi l’effectif du pont de la Paix. Apparemment, certains voulaient que le fonctionnaire soit congédié tandis que d’autres voulaient qu’il retourne au travail. Là encore, aucune preuve n’a été avancée pour étayer cette allégation.

61 La rétrogradation est définie dans la Politique disciplinaire de l’ASFC, qui a également été produite comme pièce et qui se lit en partie comme suit :

Énoncé de la Politique

Les employés préservent la réputation d’intégrité, d’honnêteté et de professionnalisme de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en se comportant d’une manière conforme à l’éthique, comme le prévoit le Code de conduite de l’ASFC et le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. L’ASFC a pour politique d’enquêter, en respectant les principes de la justice naturelle, sur toutes les allégations ou les preuves d’inconduite des employés afin que la réputation professionnelle du personnel et l’intégrité des activités de l’ASFC soient protégées et que les mesures appropriées soient prises.

Objectifs

L’objectif de cette politique est de promouvoir la norme de conduite attendue en motivant les employés à appliquer les valeurs, les règles et les normes de conduite en milieu de travail qui sont considérées souhaitables ou nécessaires pour atteindre les buts et les objectifs de l’Agence et de l’ensemble de la fonction publique du Canada. La discipline est censée être corrective et non punitive; encourager le comportement éthique et la bonne conduite; dénoncer l’inconduite qui est inacceptable; corriger tout comportement inacceptable; et, dans les cas très graves, prévoir la rétrogradation et le licenciement.

Définitions
[…]

Mesure disciplinaire
[…]

Rétrogradation : une mesure prise par un gestionnaire délégué pour nommer un employé à un poste ayant un taux de rémunération maximal moins élevé. Ce type de sanction peut s’avérer une solution de rechange au licenciement pour manquement à la discipline si le gestionnaire estime que, malgré la faute commise par l’employé, celui-ci demeure apte à occuper un emploi, mais dans un poste ayant un taux de rémunération maximal moins élevé. La mesure disciplinaire serait appropriée, par exemple, dans le cas d’un gestionnaire qui est reconnu coupable de harcèlement et que l’on souhaite placer dans un poste ne comportant pas de responsabilités de gestion.

[…]

62 Le fonctionnaire a déposé le 2 avril 2008 le grief qui est maintenant à l’arbitrage.

III. Positions des parties

A. Pour l’employeur

63 La position de l’employeur peut être formulée en quatre parties distinctes, que son avocate a énoncées comme suit :

  • Un employeur de la fonction publique fédérale peut-il imposer ses propres normes de conduite à ses employés en dehors des heures de travail? Si oui, sur quoi ces normes sont-elles basées?

  • Quels sont les paramètres d’une rétrogradation pour motifs disciplinaires, à supposer qu’il en existe?

  • Compte tenu de toutes les circonstances de la présente affaire, la sanction imposée au fonctionnaire était-elle appropriée?

  • Quelle signification faut-il attribuer au fait que le fonctionnaire a travaillé comme ASF du moment où l’on a porté des accusations contre lui jusqu’à sa rétrogradation?

64 L’avocate de l’employeur a soutenu que la jurisprudence justifie l’argument que l’employeur a le droit d’établir des règles de conduite et par conséquent celui d’imposer des sanctions aux employés qui enfreignent ces règles. Elle a aussi affirmé que l’arbitre de grief se doit de déterminer si la promulgation des règles de conduite et de la politique disciplinaire qui en découlent est un exercice approprié des pouvoirs délégués. Elle a appuyé son raisonnement sur la décision relativement récente de la Cour d’appel fédérale Tobin c. Procureur général du Canada, 2009 C.A.F. 254.

65 L’avocate de l’employeur s’est ensuite penchée sur le Code de conduite produit comme pièce, et plus particulièrement sur la partie pertinente exposée au paragraphe 43 de la présente décision. Elle a déclaré que le Code de conduite est une extension du principe général énoncé dans une décision souvent citée, à laquelle il renvoie expressément, Millhaven Fibres Ltd. v. Oil, Chemical & Atomic Workers Int’l Union, Local 9-670, [1967] O.L.A.A. No. 4 (QL) (« Millhaven »).

66 L’avocate a déclaré que les actes du fonctionnaire constituent un manquement au Code de conduite parce qu’il a été reconnu coupable d’une infraction grave en vertu du CCC et qu’il a donc jeté le discrédit sur l’employeur. Elle a souligné qu’un agent de la paix est tenu à juste titre d’être plus digne de confiance que les autres employés.

67 En ce qui concerne la question d’une rétrogradation pour motifs disciplinaires, l’avocate de l’employeur m’a renvoyé à l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP), modifié vers 2003 par la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ch. 22, art. 8 (LMFP), quoique cette modification ne soit entrée en vigueur que le 1er avril 2005, ce qui signifie néanmoins qu’elle l’était durant toute la période pertinente. Cet alinéa autorise l’employeur à rétrograder un fonctionnaire à un poste dont le taux de rémunération maximal est inférieur.

68 L’avocate de l’employeur a souligné que la CRTFP n’a instruit aucun cas portant sur une rétrogradation pour motifs disciplinaires depuis l’entrée en vigueur des modifications de la LGFP. Elle m’a toutefois renvoyé à deux cas de rétrogradation d’agents de la paix pour étayer l’argument de l’employeur que la rétrogradation du fonctionnaire était justifiée (voir British Columbia v. British Columbia Government and Service Employees’ Union (1999), 82 L.A.C. (4e) 382; Lee c. Canada (Gendarmerie royale du Canada) (non rapportée, dossier de la Cour fédérale T-2181-99, 20000519).

69 Dans la mesure où la troisième partie de la position de l’employeur est concernée, à savoir si la rétrogradation permanente était une sanction disciplinaire appropriée, l’avocate de l’employeur a déclaré que la sanction était effectivement appropriée. Elle a analysé les témoignages de M. Marshello et de Mme Brown en soulignant que ces deux personnes connaissaient très bien les fonctions d’un ASF. Tous deux avaient déclaré qu’à la suite des actes du fonctionnaire, l’employeur avait perdu confiance en son jugement; en fait, Mme Brown a témoigné que le fonctionnaire n’aurait pu rien faire pour regagner sa confiance.

70 L’avocate de l’employeur a également souligné que l’employeur avait clairement considéré les circonstances comme graves lorsqu’il a pris la décision de rétrograder le fonctionnaire, comme en témoigne le fait qu’il a d’abord envisagé de le licencier. M. Marshello, qui a pris la décision de le rétrograder plutôt que de le licencier, en définitive, a tenu compte de toutes les circonstances, y compris des facteurs atténuants.

71 À l’appui de son argument sur ce point, l’avocate m’a renvoyé à Simoneau c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada — Service correctionnel), 2003 CRTFP 57.

72 Enfin, en ce qui concerne la dernière partie de la position de l’employeur, son avocate a déclaré que la réintégration du fonctionnaire dans un poste d’ASF en décembre 2006 ne laissait pas entendre que l’employeur ait le moindrement toléré ses actes. À l’appui de cet argument, elle m’a renvoyé à Dashney c. Conseil du Trésor (Revenu Canada — Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-14177 (19830809).

73 En réponse à mes questions, l’avocate de l’employeur a reconnu que rien dans la loi ne m’empêche de réduire ni de modifier autrement la sanction disciplinaire imposée par l’employeur, puisque la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) m’investit de ce pouvoir. Toutefois, elle m’a pressé de ne pas m’ingérer dans cette décision de la direction, parce qu’elle a été prise après une réflexion approfondie et exhaustive. Enfin, elle m’a renvoyé à Burton c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2004 CRTFP 74.

74 J’ai demandé aux deux parties leur réaction à certains cas que j’avais trouvés sur une rétrogradation permanente pour motifs disciplinaires, en les renvoyant plus précisément aux cas suivants : Teamsters, Chauffeurs, Warehousemen and Helpers, Local 880 v. Tecumseh (Town),[2004] O.L.A.A. No. 505 (QL); Butcher Engineering Enterprises Ltd. v. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers Union of Canada (CAW - Canada), Local 195,[2009] O.L.A.A. No. 250 (QL); FortisOntario v. International Brotherhood of Electrical Workers, Local 636,[2005] O.L.A.A. No. 718 (QL); University of British Columbia v. Canadian Union of Public Employees, Local 116, [2005] B.C.C.A.A.A. No. 264 (QL).

75 L’avocate de l’employeur a déclaré que les quatre cas que j’avais mentionnés portaient sur le secteur privé. Elle a fait valoir que c’était important parce qu’il y a un Code de conduite en l’espèce, et que le fonctionnaire lui-même a reconnu la gravité de sa conduite en dehors des heures de travail. En outre, elle a souligné que le fonctionnaire reconnaissait que ses actes  avaient mis l’employeur dans l’embarras.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

76 Pour sa part, le fonctionnaire part du principe que ses actes étaient graves et qu’ils justifiaient des sanctions, voire de lourdes sanctions disciplinaires. Toutefois, le représentant du fonctionnaire a déclaré que la sanction était trop lourde et qu’elle équivalait à un licenciement. Plus précisément, le fonctionnaire fait valoir que même si une lourde sanction disciplinaire était justifiée, je devrais tenir compte des facteurs atténuants.

77 Le représentant du fonctionnaire a soutenu que je devrais traiter cette sanction disciplinaire comme un licenciement parce que la rétrogradation est permanente. Il a plus précisément allégué que l’employeur ne peut pas prétendre que la rétrogradation était administrative. À l’appui de cet argument, il m’a renvoyé aux cas Raymond c. Conseil du Trésor, 2010 CRTFP 23; Dufferin-Peel Roman Catholic Separate School Board v. Ontario English Catholic Teachers’ Assn., [1998] O.L.A.A. 887 (QL); St. Clair Catholic District School Board v. Ontario English Catholic Teachers Assn., [1999] O.L.A.A. No. 1009 (QL).

78 Le représentant du fonctionnaire a maintenu que la mesure prise par l’employeur est disciplinaire et qu’elle équivaut à un licenciement. Le fonctionnaire a fait valoir que j’ai le pouvoir d’ordonner la réintégration du fonctionnaire. Sur ce point, le représentant du fonctionnaire a souligné que la sanction disciplinaire imposée par l’employeur ne se prête à aucune mesure corrective, ce qui est le fondement même du concept de discipline progressive. Il a déclaré qu’une rétrogradation ou une réaffectation à d’autres fonctions peut servir de sanction disciplinaire, mais qu’elle doit être compatible avec le concept de discipline progressive. À l’appui de cet argument, il m’a renvoyé à Canadian Union of Public Employees v. Office of Professional Employees’ International Union, Local 491, [2004] O.L.A.A. No. 508 (QL).

79 Le représentant du fonctionnaire a souligné la présomption que toute sanction disciplinaire doit se vouloir corrective. Il m’a renvoyé aux cas suivants à l’appui de cette affirmation générale : Comox Valley Distribution Ltd. v. Industrial Wood and Allied Workers of Canada, Local 363, [2001] B.C.C.A.A.A. No. 354 (QL); Air Canada v. Canadian Air Line Flight Attendants Association, (1979), 22 L.A.C. (2e) 371.

80 Le fonctionnaire a ensuite fait référence au Code de conduite et a suggéré que, si l’on fait exception des articles de journaux, en admettant qu’ils étaient négatifs, aucune preuve n’a été avancée pour établir le degré d’indignation du public ou son incidence sur l’employeur. En outre, le fonctionnaire n’a pas admis l’existence de la moindre preuve que ses actes aient causé des difficultés au sein de l’effectif.

81 Le fonctionnaire a fait valoir que [traduction] « [s]i c’est vraiment une question de confiance, l’employeur n’aurait pas exercé son pouvoir discrétionnaire en décembre 2006 et retourné le fonctionnaire dans son poste d’attache ». Le fonctionnaire part du principe qu’il a révélé à l’employeur tous les facteurs entourant l’incident du 25 novembre 2006 lors de leur rencontre du 7 décembre 2006. À l’appui de cette affirmation, le fonctionnaire a souligné que le témoignage de Mme Brown le confirmait et que la lecture de la décision du tribunal lui avait en réalité appris très peu de chose. Par conséquent, il a soumis que la sanction disciplinaire imposée était excessive, si l’on envisage l’incident à la lumière des facteurs atténuants.

82 À l’appui de l’argument que la sanction disciplinaire était excessive, le représentant du fonctionnaire m’a renvoyé aux cas suivants : Turner c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2006 CRTFP 58; Rose c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 17; Burton; English c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada — Service correctionnel), 2003 CRTFP 72; Spawn c. Agence Parcs Canada, 2004 CRTFP 25.

83 Le fonctionnaire a demandé à être réintégré dans son poste d’attache d’ASF. En faisant cette demande, il reconnaissait la gravité de ses actions et reconnaissait également qu’une rétrogradation pour une longue période, peut-être équivalant à une peine de 21 mois, était appropriée. Son représentant a également renoncé en son nom à toute demande de dédommagement que le fonctionnaire aurait pu souhaiter recevoir au titre de sa rémunération. Comme il l’a déclaré en conclusion, [traduction] « [i[l s’agit en l’occurrence d’avoir une deuxième chance, et le fonctionnaire veut aller de l’avant ».

IV. Questions à trancher

84 Ce cas est unique à de nombreux égards, de sorte qu’il y a plusieurs questions à trancher.

85 Premièrement, l’employeur a-t-il le pouvoir d’établir un Code de conduite qui lie le fonctionnaire? Si oui, son Code de conduite et sa Politique disciplinaire sont-ils raisonnables?

86 Deuxièmement, l’employeur a-t-il démontré qu’il avait une raison valable d’imposer une sanction disciplinaire au fonctionnaire? Plus précisément, celui-ci a-t-il manqué aux obligations figurant au point m) de la page 10 de la pièce 12 (remarquons la question de la réputation de l’ASFC)?

87 Enfin, la rétrogradation permanente du fonctionnaire était-elle une sanction disciplinaire appropriée? Dans mon analyse de cette question, j’estime qu’il me faut déterminer s’il y a une différence entre une rétrogradation permanente et un renvoi.

V. Motifs

A. L’employeur a-t-il le pouvoir d’établir un Code de conduite qui lie le fonctionnaire s’estimant lésé?

 

88 D’emblée, il est important de souligner que la partie du Code de conduite dont je suis saisi porte sur la conduite des employés en dehors des heures de travail. En 1967, Millhaven a été tranchée à l’arbitrage. C’est dans ce cas qu’a été établi le critère le plus souvent cité pour décider quand la conduite d’un employé en dehors des heures de travail peut entraîner une sanction disciplinaire. Dans le Code de conduite, l’employeur a expressément invoqué le critère de Millhaven.

89 Je n’ai pas à décider s’il y a une différence entre le Code de conduite et le critère de Millhaven, mais l’avocate de l’employeur a soutenu qu’il existe effectivement des différences subtiles entre les deux. Ce que je dois décider, c’est si l’employeur avait le pouvoir d’établir son Code de conduite, au moins dans la mesure où il s’applique à la conduite de ses employés en dehors de leurs heures de travail.

90 Dans le passé, il se peut qu’on ait douté qu’un employeur puisse établir un Code de conduite régissant le comportement de son personnel en dehors des heures de travail qui aurait eu pour effet de modifier une jurisprudence arbitrale bien établie. À mon avis, tous les doutes qu’on aurait pu entretenir à ce sujet se sont envolés lorsque la Cour d’appel fédérale a rendu Tobin.

91 L’arbitre de grief qui a entendu l’affaire au début du litige dans Tobin faisait face à un employeur et à un syndicat reconnaissant tous deux que le critère applicable à la conduite d’un employé en dehors des heures de travail avait été établi dans Millhaven (voir Tobin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 26). Ensuite, aussi bien en première instance (Procureur général du Canada c. Tobin, 2008 CF 740) qu’en appel, la cour a analysé le cadre législatif et décidé que l’employeur avait le droit de formuler un Code de conduite, en jugeant que ce code n’était pas contestable à l’arbitrage à condition d’être raisonnable.

92 Ce qui reste contestable, par contre, c’est l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur (Tobin c. Canada (Procureur général) 2009 CAF 254,paragraphe 19). Je reconnais que ce principe est conforme à l’état actuel du droit.

93 Je conclus donc que la conduite du fonctionnaire dans le présent cas doit être évaluée en fonction du Code de conduite établi par l’employeur. Les parties pertinentes de ce Code de conduite sont reproduites au paragraphe 43 de la présente décision.

B. Le Code de conduite en question est-il raisonnable?

94 Le fonctionnaire n’a pas prétendu que le Code de conduite était déraisonnable.

95 Cela dit, j’ai moi-même examiné le Code de conduite, et je suis incapable de conclure qu’il est le moindrement déraisonnable. En arrivant à cette conclusion, j’ai été conforté par le renvoi au critère de Millhaven dans le corps du Code de conduite et par la ressemblance de ce document avec ce critère souvent cité. En concluant comme je l’ai fait, je suis conscient que l’employeur a déclaré qu’il existe des différences entre le Code de conduite et le critère de Millhaven, bien que ces différences soient subtiles.

C. L’employeur a-t-il démontré qu’il avait une raison valable d’imposer une sanction disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé?

96 Compte tenu de ma conclusion sur le caractère raisonnable du Code de conduite quant à la conduite des employés en dehors des heures de travail, je dois évaluer les actes du fonctionnaire en fonction de ces normes.

97 Le fonctionnaire a reconnu que ses actes étaient d’une telle gravité qu’ils appelaient une sanction disciplinaire. Pourtant, même s’il l’a reconnu, je pense devoir les juger à la lumière des normes énoncées dans le Code de conduite.

98 Je vais donc analyser la conduite du fonctionnaire en fonction du Code de conduite, quoique pas nécessairement dans l’ordre où elle figure dans le Code de conduite.

99 Je n’ai aucun doute que les actes du fonctionnaire l’ont rendu coupable d’une grave infraction au Code criminel. Il a plaidé coupable à deux chefs d’accusation d’actes criminels tous deux passibles d’une peine de 10 ans d’emprisonnement (paragraphe 252(1.2) du CCC, avoir quitté la scène d’un accident sachant qu’on a causé des blessures et paragraphe 255(2), conduite avec facultés affaiblies causant des blessures).

100 Selon moi, la gravité des accusations est démontrée par la longueur de la peine que la cour a imposée au fonctionnaire.

101 Je sais également que la conduite du fonctionnaire a porté atteinte à la réputation générale de l’ASFC et de ses employés. Le fonctionnaire l’a admis dans son témoignage en présentant des excuses pour les répercussions de ses actes sur l’employeur. Il a reconnu franchement que ses actes avaient nui à la réputation de l’employeur.

102 Bien que l’employeur ait introduit en preuve trois articles de journaux, présumément pour démontrer que sa réputation avait été ternie par les actes du fonctionnaire, on ne leur a guère accordé d’importance, étant donné que le fonctionnaire avait admis que sa conduite avait porté atteinte à la réputation générale de l’employeur.

103 La preuve que la conduite du fonctionnaire justifiait la conclusion de l’employeur qu’il n’était plus capable de s’acquitter de ses fonctions est moins claire. Les seuls témoignages que j’ai entendus sur ce point sont ceux de Mme Brown et de M. Marshello, qui ont déclaré avoir perdu confiance en lui après sa condamnation et le prononcé de sa sentence. Mme Brown a même déclaré que le fonctionnaire n’aurait rien pu faire pour regagner sa confiance.

104 J’estime que ces témoignages ne sont pas déterminants. Je ne veux pas laisser entendre par là que l’un ou l’autre de ces témoins se parjurait; en fait, je suis sûr qu’ils étaient tous deux fermement convaincus de dire la vérité. Néanmoins, en dernière analyse, on ne m’a rien déclaré qui me convainque des raisons pour lesquelles la confiance que Mme Brown et même M. Marshello avaient en ce fonctionnaire a été si irrévocablement détruite.

105 C’est un employé comptant 18 années de service, avec de bons antécédents professionnels, qui a l’habitude de prendre de bonnes décisions dans son travail et qui est un bénévole actif dans sa collectivité. Il avait aussi travaillé comme ASF durant les 14 mois qui avaient immédiatement précédé sa condamnation, en prouvant qu’il était capable de faire preuve d’un bon jugement, comme il l’avait démontré le plus clairement en sauvant le chauffeur d’un camion en feu.

106 Au moment de son retour au travail comme ASF chargé de fonctions illimitées en février 2007, l’employeur était au courant de virtuellement tous les faits entourant l’incident du 25 novembre 2006. Aucun des faits dont Mme Brown a eu connaissance après la condamnation et le prononcé de la sentence n’a influé sur la confiance qu’elle accordait au fonctionnaire, l’avocate de l’employeur l’a admis (voir le paragraphe 49 de la présente décision).

107 On ne m’a pas donné d’explication de la façon dont la condamnation et le prononcé de la sentence du fonctionnaire pouvaient influer sur la confiance que l’employeur lui accordait. Je peux certainement comprendre la réticence de l’employeur quant à son image, en sachant qu’il aurait à son service une personne reconnue coupable d’un acte criminel travaillant comme agent de la paix, mais en soi, cela n’aurait pas dû influer sur la confiance qu’il accordait à l’intéressé.

108 Même si je reviendrai plus loin à la question de la rétrogradation, je considère la décision de rétrograder le fonctionnaire comme une confirmation que l’employeur lui faisait encore confiance jusqu’à un certain point, parce qu’autrement, il l’aurait licencié. Je répète que la décision de ne pas le licencier a été prise par M. Marshello, qui le connaissait depuis longtemps.

109 On ne m’a avancé aucune preuve directe laissant entendre que la conduite du fonctionnaire aurait incité d’autres employés à refuser de travailler avec lui, à avoir de la réticence à le faire ou à être incapables de le faire. Dans son témoignage, M. Marshello a déclaré qu’il aurait pu recevoir des indications de collègues de l’intéressé qu’ils ne souhaitaient pas travailler avec lui. Toutefois, c’était tout au plus du ouï-dire; sans corroboration, je ne suis pas disposé à accepter cela comme une preuve justifiant une sanction sous cet aspect du Code de conduite. En d’autres termes, je conclus qu’il n’y avait pas de preuve qu’un employé ait refusé de travailler avec le fonctionnaire, ait eu de la réticence à le faire ou ait été incapable de le faire.

110 L’employeur n’a pas allégué que la conduite du fonctionnaire ait rendu plus difficile sa tâche de gérer ses activités avec efficience ou de diriger son effectif.

111 Je conclus en déclarant que l’employeur a prouvé qu’il avait une raison valable d’imposer une lourde sanction disciplinaire au fonctionnaire pour sa conduite en dehors des heures de travail. Cela n’a été contesté ni dans le témoignage du fonctionnaire, ni dans les arguments de son avocat.

D. La rétrogradation permanente du fonctionnaire s’estimant lés était-elle une sanction disciplinaire appropriée?

112 On a recours à la rétrogradation comme sanction disciplinaire dans le secteur privé depuis un certain temps, quoique rarement. Toutefois, au moins jusqu’à récemment, les employeurs de la fonction publique fédérale n’étaient pas enclins à rétrograder des membres de leur personnel pour des fins disciplinaires.

113 Les avocats n’ont pu me citer que deux cas de rétrogradation pour motifs disciplinaires dans la fonction publique fédérale (voir Spawn et Lee).

114 Avec la récente modification de la LGFP, les pouvoirs des administrateurs généraux ont été accrus de façon à inclure celui de rétrograder à une classification inférieure comme mesure disciplinaire (voir l’alinéa 12(1)c)). Cela n’est guère déterminant, mais je dois souligner que Spawn et Lee ont toutes deux été rendues avant la promulgation de cette modification de la LGFP.

115 Les parties ne contestent pas que le président de l’ASFC soit considéré comme un administrateur général pour les fins de la LGFP. Nul ne conteste non plus que M. Marshello ait signé la lettre de rétrogradation du fonctionnaire dans l’exercice des pouvoirs qui lui ont été délégués par le président de l’ASFC.

1. Quel pouvoir ai-je à l’égard de la sanction disciplinaire si je la crois excessive?

116 Les deux parties ont reconnu que la LRTFP m’autorise à réduire ou à modifier la sanction disciplinaire si je devais arriver à la conclusion qu’elle est excessive.

2. Alors, la décision d’imposer au fonctionnaire s’estimant lésé une rétrogradation permanente constituait-elle une sanction excessive?

117 Ni l’une ni l’autre des parties ni moi-même n’avons pu trouver un cas devant la CRTFP portant sur une rétrogradation permanente depuis la modification de la LGFP mentionnée plus tôt dans cette décision. Cela dit, je prends note que, dans Spawn, la rétrogradation imposée par l’employeur était permanente et liée à la conduite du fonctionnaire en dehors des heures de travail.

118 Puisque la jurisprudence devant la CRTFP et sa prédécesseure est virtuellement inexistante, il est utile, à mon avis, de nous tourner vers le secteur privé, où l’on trouve une jurisprudence plus abondante sur les rétrogradations pour motifs disciplinaires.

119 Dans les quatre cas auxquels j’ai renvoyé les parties pendant qu’elles me présentaient leurs arguments, les arbitres du secteur privé ont établi un cadre applicable aux rétrogradations pour motifs disciplinaires (voir Tecumseh Town, Butcher Engineering Enterprises Ltd., FortisOntario et University of British Columbia).

120 Dans Tecumseh Town, l’arbitre a examiné de façon détaillée plusieurs décisions, pour conclure qu’aucun arbitre n’avait maintenu une rétrogradation permanente, en déclarant ce qui suit :

[Traduction]

[…] même lorsqu’une rétrogradation permanente a été considérée comme appropriée, les arbitres ont jugé qu’elle doit être adaptée aux circonstances, proportionnelle à l’inconduite reprochée et imposée conformément au principe de « discipline corrective » (autrement dit qu’on devrait éviter les sanctions les plus lourdes jusqu’à ce qu’il soit prouvé qu’une sanction disciplinaire plus légère ne « sera pas efficace » pour changer le comportement de l’employé). À cet égard, la rétrogradation n’est pas différente de n’importe quelle autre sanction disciplinaire.

121 Dans Butcher Engineering Enterprises Ltd., l’arbitre a conclu qu’une rétrogradation permanente devait être examinée comme s’il s’agissait d’un licenciement, tandis que dans FortisOntario et dans University of British Columbia, les arbitres ont jugé que la rétrogradation devrait être corrective.

122 La décision qui fait jurisprudence dans le domaine des rétrogradations pour motifs disciplinaires m’a été citée par le fonctionnaire. Dans Air Canada, l’éminent arbitre avait ceci à dire sur les rétrogradations :

[Traduction]

[…]

[…] Si la rétrogradation doit servir de sanction, elle doit être imposée avec des limites précises et ne pas avoir pour effet de mettre le fonctionnaire s’estimant lésé dans la même position que tout autre employé cherchant à obtenir une promotion pour l’ancien poste du fonctionnaire s’estimant lésé rétrogradé. Pour que la sanction qu’est la rétrogradation soit équitable, l’employé doit savoir que la « souffrance » causée par la rétrogradation est temporaire et qu’il lui sera possible de retrouver son ancien poste à un moment plus ou moins précis, à condition d’avoir un comportement acceptable.

[…]

123 Je suis arrivé à la conclusion que la rétrogradation pour motifs disciplinaires est un outil dans l’arsenal de l’employeur. Bien que cette partie ait été officialisée avec la modification de la LGFP, pour servir à leur fin, les rétrogradations devraient être temporaires, sauf dans les circonstances les plus exceptionnelles. À mon avis, la raison de la nature temporaire des rétrogradations est compatible avec la nature corrective fondamentale qui entoure le principe bien accepté de la discipline progressive.

124 Je note aussi que l’arbitre de grief dans Spawn a changé la rétrogradation permanente en réintégrant le fonctionnaire dans son poste d’attache.

125 Pour conclure, je crois que la rétrogradation permanente imposée en l’espèce au fonctionnaire était excessive, compte tenu de toutes les circonstances.

126 L’inconduite du fonctionnaire en dehors de ses heures de travail était grave et constituait un sérieux manquement au Code de conduite, de sorte qu’elle justifiait la décision de l’employeur de lui imposer une lourde sanction disciplinaire. Comme je l’ai déjà dit, j’estime que la rétrogradation permanente qu’il a imposée au fonctionnaire est comparable à un licenciement.

127 Toutefois, j’ai été très impressionné par la réaction pleine de maturité et de remords dont le fonctionnaire a fait preuve dès le début. Alors qu’il était en cellule après son arrestation le 25 novembre 2006, il a pris immédiatement des mesures qui ont porté fruit, en formulant un plan pour combattre son démon. Il a agi avec franchise, sans rien cacher à l’employeur, en lui donnant tous les détails sur l’accident et sur ce qu’il avait fait pour se corriger. En outre, il a tenté de présenter des excuses à la victime.

128 Enfin, le fonctionnaire a plaidé coupable aux deux importants chefs d’accusation qui avaient été portés contre lui en vertu du CCC et il a purgé sa peine, quoique sous forme de détention à domicile.

129 Je n’ai aucun doute que le fonctionnaire a appris une leçon qui le servira bien et, même si l’alcoolisme est une maladie, j’ai confiance qu’il n’y succombera plus jamais. Par conséquent, même si je comprends les réserves de l’employeur, je pense que le fonctionnaire devrait être réintégré après une période de rétrogradation de 30 mois. Autrement dit, il doit être réintégré dans un poste d’attache d’ASF le 2 octobre 2010. En raison des complexités des exigences opérationnelles, je ne rends aucune ordonnance quant au lieu de sa réintégration, sauf en disant qu’elle doit être dans le secteur opérationnel de Fort Erie.

130 Cette décision donnera à l’employeur la possibilité d’offrir au fonctionnaire toute la formation qu’il jugera appropriée et nécessaire pour lui permettre de retourner au travail comme ASF le 2 octobre 2010.

131 En rendant cette ordonnance, je suis conscient du fait que le fonctionnaire retournera dans un poste d’agent de la paix. Cela dit, je me sens rassuré en sachant que dans Lee, la Gendarmerie royale du Canada a rétrogradé l’intéressé du rang de caporal à celui de gendarme sans pour autant lui imposer de restrictions en tant qu’agent de la paix.

132 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

133 Le grief est accueilli en partie. Le fonctionnaire doit être réintégré dans un poste d’ASF de la région de Fort Erie le 2 octobre 2010.

Le 20 août 2010.

Traduction de la CRTFP

George Filliter,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.