Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a fait l’objet d’une suspension d’une demi-journée pour avoir écrit à un collègue un courriel que l’employeur a jugé non professionnel - l’arbitre de grief a statué que l’employeur n’avait pas établi que le courriel était insultant ou non professionnel. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-09-02
  • Dossier:  566-34-2198
  • Référence:  2010 CRTFP 97

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

DIANE PILON

fonctionnaire s'estimant lésée

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Pilon c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Steven B. Katkin, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
John Haunholter, avocat

Pour l'employeur:
Michel Girard, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 22 juillet 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief renvoyé à l’arbitrage

1 Le 1er mars 2007, Diane Pilon, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») a déposé un grief (pièce G-1) dans lequel elle contestait la suspension d’une demi-journée (3,75 heures) qui lui avait été imposée le 27 février 2007. Elle travaillait alors à la Division de la vérification et de la validation du Centre de technologie d’Ottawa de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC » ou l’« employeur »).

2 La lettre de suspension, datée du 27 février 2007 et signée par Luc Durand, gestionnaire de la Division de la vérification et de la validation du Centre de technologie d’Ottawa de l’ARC (pièce E-1-4), se lit comme suit :

[Traduction]

La présente lettre fait suite à la réunion disciplinaire que nous avons eue le 22 février 2007 au sujet des courriels manquant de professionnalisme que vous avez envoyés le 13 février 2007 à un agent du BSF de Calgary.

Cet agent avait envoyé un courriel dans lequel il demandait de combiner des NAS. Il a jugé que vos réponses manquaient de professionnalisme et n’a pas aimé votre ton. À la réunion du 22 février 2007, vous avez admis qu’on vous avait déjà rencontré au sujet des mêmes problèmes. En outre, vous avez reçu le 23 juin 2006 une réprimande écrite au sujet de courriels manquant de professionnalisme que vous aviez envoyés à votre chef d’équipe.

Ce genre de comportement est inacceptable et ne sera pas toléré. Il contrevient aux valeurs de professionnalisme et de respect de l’ARC qui sont énoncées dans le code d’éthique et de conduite.

On a déjà discuté du manque de professionnalisme et de respect de vos courriels, et des mesures ont été prises à cet égard. Je vous avertis donc de corriger votre comportement au travail.

En raison de la nature très sérieuse de vos actions, qui constituent une inconduite selon les Normes de conduite de l’Agence, vous êtes suspendue de vos fonctions sans traitement pour une période d’une demi-journée (3,75 heures). Vous purgerez votre suspension le jeudi 1er mars 2007. Ce jour-là, vous devrez vous présenter au travail à 10 h 45.

Une copie de cette lettre sera versée à votre dossier aux Ressources humaines et y sera conservée pendant deux ans. Votre suspension d’une demi-journée ne sera pas considérée comme service ouvrant droit à pension.

Si vous ne vous conformez pas aux Normes de conduite de l’Agence dans l’avenir, vous serez passible de sanctions disciplinaires plus sévères allant jusqu’à votre licenciement de la fonction publique.

[…]

3 Outre les redressements habituellement réclamés, soit la suppression de la lettre de suspension, le retrait des documents connexes des dossiers de l’employeur, le remboursement de la perte subie au titre du traitement et des avantages et les autres redressements raisonnables dans les circonstances, la fonctionnaire a réclamé ce qui suit :

[Traduction]

  • que l’employeur retire les personnes responsables d’avoir produit cette lettre de suspension de tout poste comportant des responsabilités de supervision;

  • que l’employeur fasse des excuses écrites sous la forme d’un bulletin d’Infozone reconnaissant que j’ai été injustement accusée d’avoir mal agi;

  • que l’employeur s’assure que les responsables de la production injuste de cette lettre de suspension voient leurs actions injustes se refléter dans leur évaluation de rendement.

4 Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 14 juillet 2008.

II. Question préliminaire

5 Au début de l’audience, l’avocat de la fonctionnaire a déclaré qu’il voulait me parler en présence de l’avocat de l’employeur. Au cours de cette rencontre, il a déclaré que le processus disciplinaire avait été faussé, en alléguant que la fonctionnaire n’avait pas été représentée par le syndicat à la réunion disciplinaire ni à la réunion au cours de laquelle elle a reçu la lettre de suspension. Il a déclaré que cette question devrait être réglée avant que la preuve soit entendue.

6 L’avocat de l’employeur a fait valoir que la question n’avait été soulevée ni dans le grief, ni dans la procédure de règlement du grief et qu’on ne pouvait changer la nature du grief à ce stade. Il a ajouté que, de toute façon, l’audience était de novo.

7 J’ai décidé que l’audience pouvait se poursuivre et que les deux avocats pouvaient se pencher sur la question dans leur preuve et dans leurs arguments.

III. Résumé de la preuve

8 La preuve a été présentée avec une ordonnance d’exclusion des témoins. L’avocat de l’employeur a fait comparaître trois témoins : Sharon McClelland, chef d’équipe, ainsi que Luc Durand et Nadine Saintot, gestionnaires. La fonctionnaire a témoigné pour elle-même.

A. Pour l’employeur

1. Témoignage de Sharon McClelland

9 Mme McClelland était la chef d’équipe de la fonctionnaire depuis octobre 2005. Au moment de l’incident, elle était chef d’équipe à la Division de l’évaluation, de la vérification et de la validation des données du Programme d’évaluation de l’ARC et supervisait à ce titre une quinzaine d’employés. Elle a déclaré que son groupe était chargé de tâches pour d’autres sections de l’ARC.

10 Elle a témoigné que la situation qui a donné lieu au grief a été portée à son attention le 13 février 2007 lorsque James David, un employé de l’ARC de Calgary, lui a téléphoné pour se plaindre d’un courriel que la fonctionnaire lui avait envoyé. Mme McClelland a dit qu’elle n’avait jamais eu de rapports avec M. David auparavant et que celui-ci aurait pu découvrir sur le site Web de l’ARC qu’elle était la superviseure immédiate de la fonctionnaire. En contre-interrogatoire, elle a admis ne pas avoir pris de notes sur sa conversation avec M. David.

11 Mme McClelland a témoigné qu’elle a réagi à sa conversation téléphonique avec M. David en allant le jour même voir son gestionnaire, M. Durand, pour l’informer de la situation.

12 Elle a déclaré qu’après sa rencontre avec M. Durand, elle a reçu de M. David un courriel auquel était joint celui de la fonctionnaire dont il s’était plaint. Elle a également déclaré que M. David ne lui avait pas dit au cours de leur conversation téléphonique qu’il lui enverrait le courriel en question. Mme McClelland a fait parvenir le courriel de la fonctionnaire à M. Durand.

13 Mme McClelland a déclaré que même si le courriel initial de M. David n’était pas directement adressé à la fonctionnaire, mais à l’adresse générale de courriel du bureau de la Région du Nord de l’Ontario, sa demande aurait été confiée à la fonctionnaire, puisqu’elle était la prochaine employée sur la liste.

14 En contre-interrogatoire, Mme McClelland a dit qu’elle n’avait pas eu d’autres conversations téléphoniques avec M. David et qu’elle n’avait pas non plus reçu d’autres courriels de lui au sujet de sa plainte. Elle a également déclaré qu’aucun autre membre de la direction n’avait reçu des courriels de M. David ni parlé avec lui à ce sujet, à sa connaissance. Quand elle a été interrogée sur le rendement de la fonctionnaire, elle a répondu que la fonctionnaire faisait le travail qu’on lui confiait, mais qu’elle se mêlait largement de ses affaires. Mme McClelland a aussi dit que les seules plaintes qu’elle ait reçues en tant que chef d’équipe concernaient la fonctionnaire, sans toutefois préciser la nature de ces plaintes.

15 Mme McClelland a témoigné avoir envoyé un courriel à la fonctionnaire le 20 février 2007, comme M. Durand lui avait dit de le faire, pour l’informer qu’elle devait se présenter à une réunion disciplinaire où M. Durand et Mme Saintot l’attendraient le 22 février 2007 au sujet du courriel qu’elle avait envoyé à M. David (pièce G-3). Dans son courriel, Mme McClelland informait également la fonctionnaire qu’elle avait le droit d’être assistée d’un représentant syndical. Mme McClelland a déclaré qu’elle n’avait pas participé au processus disciplinaire et qu’elle n’était pas présente à cette réunion.

16 Le courriel que M. David avait envoyé le 12 février 2007 à 16 h 57 se lit comme suit (j’en ai retiré tous les renseignements susceptibles de permettre d’identifier les personnes concernées) :

[Traduction]

Sujet :          Combinaison de NAS

À qui de droit :

Le client a trois numéros d’assurance sociale à son compte : [1], [2] et [3]. Il semble que les NAS [2] et [3] sont combinés correctement, mais le NAS [1] ne l’est pas, et c’est le NAS associé à la PFCE [prestation fiscale canadienne pour enfants] de sa conjointe. Le système persiste à leur envoyer des avis leur déclarant qu’il doit produire sa déclaration de [année], mais le problème est qu’elle a été produite et traitée sous ses NAS [2] et [3]. Veuillez combiner tous les trois NAS correctement. Merci.

17 La réponse de la fonctionnaire, envoyée à M. David le 13 février 2007 à 6 h 08, se lit comme suit :

[Traduction]

Premièrement, le nit [numéro d’identification temporaire] que vous avez donné n’est pas le bon, le bon nit est [1], c’est un nit, pas un nas. Tous les cptes appartiennent à [nom et date de naissance du contribuable] et j’ai déjà pris des mesures pour combiner le bon nit au nas [3] qui sera le seul à apparaître dans le système après conversion. Par conséquent, vous vous trompez, puisque toutes les mesures de combinaison ont déjà été prises correctement.

18 Bien que la réponse de la fonctionnaire figurant dans le paragraphe qui précède ait été la principale raison de la sanction disciplinaire qui lui a été imposée, il vaut la peine de reproduire l’échange de courriels qui a suivi entre elle et M. David, puisqu’il fait partie du courriel que Mme McClelland a témoigné avoir fait parvenir à M. Durand.

19 Le 13 février 2007, à 9 h 19, M. David a envoyé le courriel suivant à la fonctionnaire :

[Traduction]

Pour commencer, je n’aime pas votre ton; je m’excuse d’avoir tapé le mauvais NIT, et deuxièmement, la conversion est terminée depuis hier – il s’ensuit que la combinaison devrait déjà apparaître et ce n’est manifestement pas le cas. Cela dit, je ne fais donc pas erreur.

20 À 11 h 42 le même jour, la fonctionnaire a répondu à M. David :

[Traduction]

Je regrette que vous ne compreniez pas les faits tels que je les ai présentés, aucun ton comme vous dites n’était intentionnel et vous vous trompez. La conversion n’est pas terminée en ce qui concerne les combinaisons, puisqu’elle ne l’est pas avant la fin de mars 2007 et pourrait prendre plus de temps, de sorte que la combinaison n’apparaîtrait pas avant la fin de la conversion, comme je le disais dans ma réponse originale. Tout le monde n’a pas la même période de conversion. Je répète encore que toutes les mesures ont été prises correctement.

P.S. Vous devriez vérifier les faits avant d’envoyer une réponse comme celle-là. En autant que nous sommes responsables, tout va bien.

21 À midi juste, M. David a envoyé cet échange de courriels à Mme McClelland, avec la note suivante :

[Traduction]

Ma chère Sharon,

J’ai juste pensé que vous aimeriez avoir une copie de la réponse que Diane Pilon m’a envoyée pour vos dossiers. Je pense vraiment que le ton est un peu mieux, mais il me semble encore manquer un peu de professionnalisme, quoi que tout ça soit du passé – tant qu’on s’occupe du compte du client. Je voulais juste vous le faire savoir. Je vous remercie de l’appel, merci beaucoup. Je vous souhaite une merveilleuse journée.

2. Témoignage de Luc Durand

22 Au moment de l’incident, Luc Durand était gestionnaire de la Division de la vérification et de la validation au Centre de technologie d’Ottawa de l’ARC. Il occupait ce poste depuis le 22 janvier 2007. À ce titre, il était le superviseur immédiat de Mme McClelland. M. Durand était gestionnaire depuis 2002.

23 M. Durand a déclaré que Mme McClelland l’a informé le 13 février 2007 de l’appel téléphonique de M. David. Il a dit avoir lu la série de courriels que Mme McClelland lui a fait parvenir plus tard (pièce E-2). Le même jour, il a examiné le dossier de la fonctionnaire pour vérifier si des incidents de même nature y avaient été mentionnés. Il a déclaré estimer personnellement que le courriel de la fonctionnaire était inapproprié.

24 Selon lui, la réunion disciplinaire du 22 février 2007 avait été convoquée pour clarifier les faits et pour demander à la fonctionnaire quelles avaient été ses raisons d’agir de la sorte. Il a dit qu’il avait préparé les questions qu’il voulait poser à la fonctionnaire avant la réunion. Il a affirmé que la fonctionnaire était assistée à la réunion d’un représentant syndical dont il ne se rappelle pas le nom, où il était lui-même accompagné de Mme Saintot, qui était chargée de prendre des notes. Il a déclaré qu’il avait lu ces notes et qu’elles reflétaient fidèlement ce qui s’était dit. Il a témoigné avoir informé la fonctionnaire au cours de la réunion qu’il n’avait pas encore décidé s’il allait lui imposer une sanction disciplinaire.

25 M. Durand a déclaré que sa décision de remettre la lettre de suspension à la fonctionnaire était basée sur la réunion disciplinaire et sur le fait que la fonctionnaire avait déjà reçu des avertissements de vive voix ainsi qu’une réprimande écrite pour des incidents analogues. Il a également déclaré avoir consulté son superviseur immédiat, François Ranger, qui connaissait bien le dossier de la fonctionnaire, de même qu’un conseiller en relations de travail, pour obtenir des conseils.

26 M. Durand a témoigné s’être fondé sur la Politique disciplinaire de l’ARC, datée du 23 mars 2006 (pièce E-1-9), et plus particulièrement sur les tableaux de l’annexe C de ce document, lorsqu’il a décidé qu’une suspension serait la mesure disciplinaire appropriée. Dans le Tableau 1, « Exemples d’actes d’inconduite », il a indiqué la case 4, « Inconduite personnelle », en déclarant que l’emploi de termes insultants ou de jurons était la catégorie correspondant à l’inconduite de la fonctionnaire.

27 M. Durand a ensuite indiqué le Tableau 2, « Mesures disciplinaires considérées comme appropriées pour les actes d’inconduite isolés » [le passage souligné l’est dans l’original], qui indique la fourchette appropriée de mesures disciplinaires pour les différentes catégories d’inconduite figurant au Tableau 1. Il a déclaré que, pour la catégorie d’inconduite reprochée à la fonctionnaire, compte tenu des avertissements de vive voix et de la réprimande écrite dont elle avait déjà écopé, la fourchette des sanctions applicables au Tableau 2 était une suspension de un à deux jours. M. Durand a dit ne pas savoir si la Politique disciplinaire de l’ARC était distribuée aux employés.

28 Il a déclaré s’être fondé pour son choix de la sanction disciplinaire sur le Code d’éthique et de conduite (le « Code ») de l’ARC, daté du 22 février 2001 (pièce E-1-10), plus particulièrement sur les valeurs d’intégrité, de professionnalisme et de respect de l’Agence qui sont énoncées à la section 2, intitulée « Notre mission, notre vision et nos valeurs ».

29 En contre-interrogatoire, M. Durand a déclaré que ses échanges avec le conseiller en relations de travail au sujet de la sanction disciplinaire qu’il comptait imposer à la fonctionnaire avaient été des conversations téléphoniques et des courriels, mais il n’a pas pu produire les courriels en question.

30 M. Durand a déclaré avoir lu tout le dossier personnel de la fonctionnaire, pas seulement le compte rendu des mesures disciplinaires qui lui avaient été imposées jusque-là, avant de décider de lui imposer sa suspension. Il a admis que c’était la première mesure disciplinaire qu’il ait imposée depuis qu’il occupe son poste.

31 M. Durand a déclaré qu’il n’a pas communiqué avec M. David pendant son enquête sur les faits. Il a dit ne pas avoir jugé nécessaire de le faire même après avoir lu le courriel que M. David avait adressé à Mme McClelland, alors que l’avocat de la fonctionnaire a soutenu que cela laissait entendre que M. David avait tourné la page. M. Durand ne se rappelait pas si le courriel de M. David à Mme McClelland avait été communiqué à la fonctionnaire, mais il a affirmé qu’il l’en a informée au cours de la réunion du 22 février 2007.

32 M. Durand a dit avoir opté pour la catégorie de l’emploi de termes insultants ou de jurons comme correspondant à la conduite de la fonctionnaire parce que, comme la liste de la Politique disciplinaire n’est pas exhaustive, il estimait que c’était la catégorie à la fois la plus logique et la moins grave qu’il pouvait choisir. Selon lui, qualifier les termes employés dans le courriel d’insultants dépend de la perception qu’en a le destinataire. Il a maintenu que le fait que les renseignements figurant dans le courriel de la fonctionnaire à M. David étaient fondés ou non n’avait aucune pertinence pour lui, puisque c’est le ton qu’il jugeait manquer de professionnalisme.

33 En réponse aux questions de l’avocat de la fonctionnaire sur quoi exactement il trouvait contestable dans ce courriel, M. Durand a mentionné plusieurs éléments. Il a déclaré que la fonctionnaire n’aurait pas dû commencer sa réponse à M. David par le mot [traduction]« Premièrement ». En sa qualité de gestionnaire, il se serait attendu à ce que la fonctionnaire ait commencé par une salutation comme [traduction] « Bonjour » ou quelque chose du genre. Il n’avait aucune objection au reste de la première phrase ni à la deuxième phrase. Dans la troisième et dernière phrase, il contestait la proposition [traduction] « vous vous trompez ». À son avis, la fonctionnaire aurait dû écrire [traduction] : « Si vous avez des questions, veuillez communiquer avec moi », « Avez-vous pensé… », ou une autre formulation analogue.

34 M. Durand a déclaré que la fonctionnaire et d’autres employés avaient reçu des lignes directrices sur la rédaction de courriels et qu’une copie de ces lignes directrices avait été versée au dossier de chaque employé. Ces lignes directrices n’ont pas été déposées en preuve.

35 À la réunion du 27 février 2007, à laquelle assistaient selon lui Mme Saintot et un représentant syndical, M. Durand a déclaré avoir lu la lettre de suspension à la fonctionnaire, qui a refusé d’en signer un accusé de réception en disant qu’elle renverrait la question à un niveau plus élevé. Une note manuscrite figurant sur la lettre de suspension confirme que la fonctionnaire a refusé de la signer.

3. Témoignage de Nadine Saintot

36 Nadine Saintot avait été la gestionnaire de la fonctionnaire de septembre 2005 jusqu’en janvier 2007, quand elle a été mutée dans une autre section et remplacée par M. Durand. Elle a déclaré avoir passé en revue le dossier de chaque employé avec M. Durand, sans oublier celui de la fonctionnaire, dans le cadre du processus de transition normal.

37 Mme Saintot a dit avoir été mêlée à un incident concernant la fonctionnaire pour lequel elle lui avait imposé une réprimande écrite. Cette lettre de discipline datée du 23 juin 2006 et signée par Mme Saintot (pièce E-1-12) se lit comme suit :

[Traduction]

Cette lettre fait suite à l’incident qui s’est produit le mardi 20 juin 2006 et porte sur votre comportement inacceptable au travail.

Votre chef d’équipe avait glissé une liste de tâches dans votre tiroir verrouillé, et vous lui avez envoyé des courriels manquant de professionnalisme pour contester ses actions et pour lui donner des instructions sur la façon de procéder. Vous lui avez ensuite manqué de respect en élevant la voix avec elle, ce que vous avez reconnu lors de notre rencontre du 23 juin 2006.

Ces sortes de comportements sont inacceptables et ne seront pas tolérés. Ils ont contrevenu aux valeurs de professionnalisme et de respect de l’ARC qui sont énoncées dans le Code d’éthique et de conduite. On vous a déjà parlé dans le passé de vos problèmes de manque de respect, et ce ne sera pas toléré. Je vous avertis que vous devrez corriger votre comportement au travail.

Compte tenu de la nature très sérieuse de vos actions, qui constituent une inconduite selon les normes de conduite de l’Agence, je vous remets une réprimande écrite.

38 Mme Saintot a ajouté qu’elle avait averti plus d’une fois la fonctionnaire pour des actes d’inconduite qu’elle a qualifié de semblables avant l’incident qui a abouti à la réprimande écrite, sans toutefois donner de détails sur les sortes de conduite qu’elle avait reprochées verbalement à la fonctionnaire.

39 En contre-interrogatoire, Mme Saintot a déclaré, en ce qui concerne les notes qu’elle avait prises à la réunion disciplinaire du 22 février 2007 (pièce E-3), qu’elle estimait avoir pris note de l’information pertinente, mais que certains détails pourraient manquer.

40 Mme Saintot a également déclaré qu’elle ne pouvait pas se rappeler si M. Durand avait informé la fonctionnaire au cours de cette réunion du courriel que M. David avait envoyé à Mme McClelland.

41 En réinterrogatoire, Mme Saintot a dit que les employés ont toujours le droit d’être assistés d’un représentant syndical dans une réunion disciplinaire, mais qu’elle ne se rappelait pas si l’on avait communiqué avec un représentant syndical dans ce cas-ci.

42 Quand l’employeur a fini de présenter sa preuve, l’avocat de la fonctionnaire a déclaré son intention de demander le non-lieu. Après avoir écouté les arguments des parties, j’ai déclaré estimer que l’employeur avait présenté au moins une preuve prima facie justifiant une sanction disciplinaire. L’avocat de la fonctionnaire a alors présenté sa preuve.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

43 La fonctionnaire, Diane Pilon, a déclaré avoir commencé très jeune à travailler à l’ARC; elle occupe son poste actuel depuis 18 ou 19 ans. Elle a reconnu avoir écrit les courriels à M. David.

44 La fonctionnaire a déclaré qu’aucun membre de la direction ne l’avait informée du courriel de M. David à Mme McClelland. La première fois qu’elle l’a vu, c’est quand son avocat le lui a montré environ deux semaines avant l’audience, pendant qu’ils s’y préparaient.

45 La fonctionnaire a déclaré n’avoir eu aucun contact avec M. David auparavant; sa demande lui aurait été confiée soit par sa chef d’équipe, soit par le commis au contrôle.

46 La fonctionnaire a déclaré s’être occupée de situations du genre de celle qui faisait l’objet de la demande de M. David bien des fois auparavant et affirmé que sa réponse était la bonne, d’après son expérience.

47 Quand elle a été interrogée sur le premier courriel qu’elle avait envoyé à M. David, à 6 h 08 le 13 février 2007, plus particulièrement sur la première phrase de ce courriel, la fonctionnaire a nié avoir manqué de professionnalisme ou avoir été insultante. Elle a déclaré que ce courriel reflétait sa façon de s’exprimer, à savoir franchement et directement. Au sujet de la dernière phrase de sa réponse à M. David, elle a déclaré que l’information figurant dans sa demande n’était pas tout à fait exacte telle qu’il l’avait formulée et qu’elle avait tenté de la corriger.

48 La fonctionnaire a déclaré avoir envoyé son courriel de 9 h 42 à M. David parce qu’elle avait eu l’impression qu’il était fâché après avoir lu le courriel qu’il lui avait adressé à 9 h 19 et qu’elle voulait rectifier encore la situation, puisque ce courriel renfermait lui aussi de l’information erronée.

49 Quand on lui a parlé de la Politique disciplinaire de l’ARC, la fonctionnaire a dit ne pas se rappeler que cette politique ne lui ait jamais été présentée.

50 La fonctionnaire a déclaré ne pas se rappeler avoir reçu des documents relatifs à des lignes directrices sur la rédaction de courriels, ni se souvenir de quoi que ce soit de précis sur des cours de formation du personnel qu’elle aurait suivis ou sur des réunions du personnel auxquelles elle aurait participé où il était question de politesse. Elle se souvenait d’avoir assisté plusieurs années auparavant à des discussions au sujet de la politique de l’employeur sur le harcèlement en milieu de travail.

51 La fonctionnaire a reconnu avoir reçu la réprimande écrite datée du 23 juin 2006.

52 La fonctionnaire a déclaré qu’après avoir reçu le courriel de Mme McClelland daté du 20 février 2007 l’informant qu’il y aurait une réunion disciplinaire et qu’elle devait s’y présenter, elle n’avait pas eu d’autre contact avec la direction avant le 27 février 2007, quand elle a reçu la lettre de suspension.

53 La fonctionnaire n’a ni témoigné, ni présenté de preuve documentaire sur les mesures de redressement énoncées aux points du paragraphe 3 de la présente décision.

54 En contre-interrogatoire, lorsqu’elle a été interrogée au sujet du Code, la fonctionnaire a reconnu en avoir une certaine connaissance. Elle a également reconnu avoir déjà été représentante syndicale et avoir une idée générale de la façon de l’employeur d’imposer des sanctions disciplinaires aux employés.

55 La fonctionnaire a déclaré ne pas avoir eu d’autre contact avec M. David après avoir reçu son second courriel et ne pas lui avoir demandé pourquoi il était fâché.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

56 L’avocat de l’employeur a commencé ses arguments en me renvoyant à Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 141, particulièrement au paragraphe 129, qui précise de la façon suivante ce que l’arbitre de grief doit déterminer :

Je dois d’abord déterminer si le fonctionnaire a commis un écart de conduite au travail […] Si la réponse est oui, je dois alors déterminer si l’écart de conduite justifiait la mesure disciplinaire qui a été imposée.

57 L’avocat de l’employeur a déclaré que la fonctionnaire a fait preuve d’inconduite et que l’employeur a eu raison de lui imposer une sanction disciplinaire, soit une suspension d’une demi-journée.

58 L’avocat de l’employeur a évoqué les valeurs d’intégrité, de professionnalisme et de respect de l'ARC, énoncées à la section 2 du Code. Ces valeurs se lisent comme suit :

l’intégrité est la pierre angulaire de notre administration : elles’entend du traitement équitable de chacun et de l’application équitable de la loi.

le professionnalisme est la clé qui nous permet de remplir notre mission :il s’agit de l’application des normes de rendement les plus élevées possibles.

le respect est à la base de nos rapports avec nos employés, nos collègues et nos clients : il signifie que nous avons une attitude sensible et réceptive aux droits de chacun.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

59 L’avocat de l’employeur a également renvoyé à l’article 4 du Code, dont le premier paragraphe se lit comme suit :

Nous vous accordons une grande confiance dans l’exercice de vos fonctions. Nous nous attendons à ce que tout comme l’ensemble des employés, vous vous conformiez au Code d’éthique et de conduite ainsi qu’aux principes et à l’éthique, aux valeurs et aux politiques de l’ARC qui le sous-tendent.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

60 L’avocat de l’employeur a de plus fait valoir que M. Durand avait conclu que les actions de la fonctionnaire constituaient de l’inconduite après avoir enquêté sur les faits, consulté un conseiller en relations de travail et son superviseur et enfin tenu une réunion disciplinaire. Il a déclaré que M. Durand avait appliqué l’approche de discipline progressive énoncée dans la Politique disciplinaire de l’ARC et opté pour une mesure disciplinaire moins sévère que celle qui était proposée dans l’annexe C de cette politique.

61 En outre, l’avocat de l’employeur a déclaré que M. Durand avait considéré comme un facteur aggravant le manque de remords de la fonctionnaire, à savoir le fait qu’elle estimait n’avoir rien fait de mal. Sur ce point, il m’a renvoyé à Metikosh c. Conseil du Trésor (Commission de l’emploi et de l’immigration), dossier de la CRTFP 166-02-14166 (19831230), décision maintenant une suspension d’une journée imposée à un fonctionnaire s’estimant lésé qui estimait ne pas avoir manqué de courtoisie dans ses rapports avec un membre du public.

62 L’avocat de l’employeur a soumis que ce que M. David pensait de la réponse de la fonctionnaire, tel qu’exprimé dans son courriel à Mme McClelland, était du ouï-dire. Il a déclaré que le seul élément dont il fallait tenir compte est le courriel initial que la fonctionnaire a adressé à M. David. L’avocat de l’employeur a soumis que, compte tenu de toutes les circonstances, le grief devrait être rejeté.

63 Quant à la question soulevée par l’avocat de la fonctionnaire pour contester le processus disciplinaire en le déclarant faussé à cause d’un prétendu manque de représentation syndicale, l’avocat de l’employeur a affirmé que la fonctionnaire ne pouvait pas invoquer cet argument devant l’arbitre faute d’avoir soulevé la question à une étape quelconque de la procédure de règlement des griefs. Sur ce point, il a invoqué Burchill c. Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.) et Shneidman c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 192, en citant également Mohan c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CRTFP 172.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

64 L’avocat de la fonctionnaire a qualifié le courriel qu’elle a envoyé en réponse au courriel initial de M. David de sec et direct mais non d’insultant ou de manquant de professionnalisme ou de respect. Il a déclaré que la nature même d’un courriel fait qu’il est censé être un échange rapide d’information. Selon lui, le courriel de la fonctionnaire était une réponse de bonne foi à une demande. Il n’était pas contraire à la Politique disciplinaire de l’ARC et ne saurait raisonnablement être considéré comme insultant.

65 L’avocat de la fonctionnaire est ensuite passé au deuxième paragraphe de la lettre de suspension, où il est écrit que M. David estimait que les réponses de la fonctionnaire manquaient de professionnalisme et qu’il n’aimait pas son ton. L’avocat de la fonctionnaire a déclaré que M. Durand aurait dû communiquer avec M. David pendant son enquête sur les faits, particulièrement compte tenu du courriel que celui-ci avait adressé à Mme McClelland dans lequel il déclarait, selon lui, qu’il n’avait plus les mêmes sentiments à l’endroit de celle-ci. Sur ce point, l’avocat de la fonctionnaire a souligné que Mme McClelland avait parlé avec M. David avant que la fonctionnaire lui envoie son deuxième courriel dans lequel elle déclarait que le ton qu’il avait perçu dans le premier courriel qu’elle lui avait adressé n’était pas intentionnel. Selon l’avocat de la fonctionnaire, le fait que M. Durand n’a pas communiqué avec M. David ou qu’il n’a même pas tenu compte de son courriel à Mme McClelland quand il a imposé sa sanction disciplinaire a résulté en une enquête incomplète et fatalement faussée sur les faits, ce qui suffit en soi pour justifier l’annulation de la sanction imposée.

66 En ce qui concerne la Politique disciplinaire de l’employeur et les tableaux de son annexe C, l’avocat de la fonctionnaire a déclaré qu’il n’est pas stipulé dans ce document que lorsqu’une réprimande écrite a été imposée à un employé, la prochaine mesure disciplinaire qui lui est imposée doit nécessairement être une suspension. Il a souligné que les tableaux sont seulement censés servir de guide. L’avocat a également insisté sur la Section III de la Politique disciplinaire, où il est écrit que les conventions collectives applicables, dont celle à laquelle la fonctionnaire est assujettie, exigent que la direction informe les représentants locaux du syndicat quand elle prend certaines formes de mesures disciplinaires, et il a déclaré qu’il n’y a aucune preuve que cela ait été fait dans le cas de la fonctionnaire.

67 L’avocat de la fonctionnaire m’a renvoyé aux décisions suivantes : Sidorski c. Conseil du Trésor (Commission canadienne des grains), 2007 CRTFP 107, particulièrement au paragraphe 87, sur le fardeau de la preuve de l’employeur; Byfield c. Agence du revenu du Canada, 2006 CRTFP 119; Madden c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2000 CRTFP 93; Cyr c. Agence Parcs Canada, 2005 CRTFP 16; Lockwood c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27701 (19990304); Grover c. Conseil national de recherches du Canada, 2008 CRTFP 59. La plupart de ces décisions portent sur des sanctions disciplinaires pour insubordination. L’avocat de la fonctionnaire a soumis que Metikosh, citée par l’employeur, pourrait être distinguée en raison des faits.

68 L’avocat de la fonctionnaire a soutenu que, compte tenu de toutes les circonstances, le grief devrait être accueilli. Il n’a rien dit quant aux redressements réclamés aux points du paragraphe 3 de la présente décision.

V. Réplique de l’employeur

69 En réplique, l’avocat de l’employeur a déclaré que M. David avait jugé que le ton du courriel de la fonctionnaire était une question assez sérieuse pour qu’il téléphone à sa chef d’équipe.

70 Au sujet de la participation d’un représentant syndical à la réunion disciplinaire et à celle où la suspension a été imposée, l’avocat de l’employeur a déclaré que rien ne prouve que la représentation syndicale ait fait défaut et que l’avocat de la fonctionnaire ne lui ait posé aucune question à ce sujet. L’avocat de l’employeur a soutenu que je devrais accorder la préférence au témoignage de M. Durand, qui a affirmé qu’un représentant syndical était présent à ces deux occasions. Il a également déclaré que la fonctionnaire s’était fait offrir la possibilité de donner sa version des événements.

71 L’avocat de l’employeur a soumis que M. Durand avait tenu compte de tous les éléments pertinents en prenant sa décision d’imposer la sanction disciplinaire et qu’il a opté pour une sanction moins sévère que celle qui était recommandée par la Politique disciplinaire de l’ARC.

VI. Motifs

72 Je vais commencer par me prononcer sur la question soulevée par l’avocat de la fonctionnaire sur la prétendue absence de représentation syndicale à la réunion disciplinaire ainsi qu’à la réunion au cours de laquelle la lettre de suspension a été présentée à la fonctionnaire.

73 Comme je l’ai écrit au paragraphe 15 de cette décision, le 20 février 2007, Mme McClelland a informé la fonctionnaire par courriel qu’elle devait se présenter à une réunion disciplinaire le 22 février 2007 et qu’elle pourrait être assistée d’un représentant syndical à cette réunion.

74 M. Durand a témoigné qu’un représentant syndical dont il ne se rappelait pas le nom était présent à la réunion du 22 février et à celle du 27 février 2007, la seconde réunion, celle à laquelle la lettre de suspension a été présentée à la fonctionnaire. Ce témoignage n’a pas été contredit.

75 L’avocat de l’employeur a cité le passage suivant du paragraphe 93 de Mohan :

[…] il est établi depuis longtemps dans la jurisprudence de la Commission que l’audience d’arbitrage des griefs est une audition de novo conçue pour déterminer si l’employeur avait raison d’imposer des sanctions disciplinaires, et qu’elle n’a pas pour but de déterminer si la procédure appropriée a été respectée (voir Tipple (supra)).

Je conclus donc que l’argument de la fonctionnaire selon lequel le processus disciplinaire a été faussé est sans fondement. Je vais maintenant passer au fond de l’affaire.

76 Il est stipulé dans chacun des trois premiers paragraphes de la lettre de suspension que la mesure disciplinaire était imposée à la fonctionnaire pour le manque de professionnalisme et de respect des courriels qu’elle avait envoyés à M. David, ce qui contrevenait aux valeurs de professionnalisme et de respect de l’ARC énoncées dans le Code. Il est ajouté au deuxième paragraphe de la lettre que M. David n’avait pas aimé le ton de la fonctionnaire. L’employeur a déclaré au quatrième paragraphe de la lettre disciplinaire que les actions de la fonctionnaire constituaient [traduction] « […] une inconduite selon les Normes de conduite de l’Agence […] ». Or, ce document n’a pas été déposé en preuve. Le seul document portant sur l’inconduite des employés qui ait été déposé en preuve est la Politique disciplinaire de l’employeur (pièce E-1-9). La fonctionnaire ne se souvenait pas de s’être jamais fait remettre une copie de cette politique, et M. Durand ne savait pas si elle avait été remise aux employés.

77 Quand il a consulté la Politique disciplinaire de l’employeur, M. Durand a choisi la catégorie d’inconduite personnelle décrite comme « emploi de termes insultants ou de jurons » parce que c’était elle qui décrivait le mieux l’inconduite de la fonctionnaire. Il a également affirmé que la description du langage utilisé dépend de la perception du destinataire du courriel.

78 Bien que je reconnaisse que M. Durand se sentait limité par la liste des catégories d’inconduite personnelle en se fondant sur la Politique disciplinaire de l’employeur pour déterminer quelle était l’inconduite de la fonctionnaire, j’ai de grandes difficultés à accepter qu’il qualifie d’insultant le langage de son courriel. Premièrement, les motifs justifiant la sanction imposée à la fonctionnaire qui sont exposés dans la lettre de suspension ne comprennent pas l’emploi d’un langage insultant. Deuxièmement, contrairement à la prétention de M. Durand, il n’y a absolument aucune preuve que le destinataire du courriel, M. David, ait considéré le courriel de la fonctionnaire comme contenant des termes insultants. M. David n’a pas été appelé à témoigner par l’employeur, et M. Durand n’a pas jugé nécessaire de communiquer avec lui dans sa démarche de collecte des faits. La seule preuve de la perception qu’avait M. David du courriel de la fonctionnaire figure dans deux de ses courriels. Dans sa réponse à la fonctionnaire à 9 h 19 le 13 février 2007, M. David a écrit : [traduction] « Pour commencer, je n’aime pas votre ton […] » Dans le courriel qu’il a envoyé à Mme McClelland le même jour à 12 h 11, il a écrit [traduction] : « Je pense vraiment que le ton est un peu mieux, mais il me semble encore manquer […] de professionnalisme. » J’estime donc qu’aucune preuve ne justifie que l’employeur qualifie d’insultant le langage du courriel de la fonctionnaire. La définition du mot « abusive » (insultant) dans le Canadian Oxford Dictionary (2e édition, 2004) est [traduction] « employant ou contenant des termes ou un langage insultant ». À première vue, j’estime que les termes employés par la fonctionnaire dans son courriel ne correspondent pas à cette définition et je crois en outre qu’on ne pourrait absolument pas les qualifier d’insultants.

79 Je dois maintenant décider si la conduite de la fonctionnaire contrevenait aux valeurs de professionnalisme et de respect énoncées dans le Code, comme l’employeur l’a écrit dans la lettre de suspension.

80 La preuve avancée par l’employeur quant au manque de professionnalisme et de respect dans le courriel de la fonctionnaire est basée sur le témoignage de M. Durand, qui a témoigné avoir lu ce courriel et l’avoir jugé inapproprié, en trouvant que son ton manquait de professionnalisme. Ses objections au courriel de la fonctionnaire étaient doubles : elle aurait dû commencer sa réponse initiale à M. David par une salutation telle que [traduction] « Bonjour » plutôt que la commencer par [traduction] « Premièrement », et plutôt que d’écrire [traduction] « vous vous trompez » dans la dernière phrase, elle aurait dû se servir d’une autre expression pour signaler son erreur à M. David. Même si M. Durand a témoigné qu’on avait remis aux employés des lignes directrices sur la rédaction des courriels et qu’une copie de ces lignes directrices avait été versée au dossier de chaque employé, ce document n’a pas été déposé en preuve.

81 La fonctionnaire ne croyait pas que son courriel adressé à M. David manquait de professionnalisme ou de respect. À son avis, elle s’était exprimée franchement et directement. Les notes de la réunion disciplinaire du 22 février 2007 prises par Mme Saintot (pièce E-3) confirment que la fonctionnaire l’a clairement déclaré au cours de cette réunion. D’après les notes de Mme Saintot, elle a répété à plusieurs reprises qu’elle ne faisait que donner les faits à M. David de sa façon habituelle. Elle estimait que M. David avait eu une réaction exagérée et qu’il était vraisemblablement fâché parce qu’elle lui avait fait remarquer qu’il se trompait.

82 Comme je l’ai écrit plus tôt dans cette décision, M. Durand n’a pas jugé nécessaire de communiquer avec M. David pendant son enquête sur les faits. Il me semble que cette décision l’a empêché de recueillir tous les faits. En téléphonant à Mme McClelland, M. David a été à l’origine de la plainte contre la fonctionnaire. Lorsqu’il a déclaré dans le courriel qu’il lui a adressé qu’il n’aimait pas son ton, la fonctionnaire lui a répondu 23 minutes plus tard [traduction] : « Je regrette que vous ne compreniez pas les faits tels que je les ai présentés, aucun ton comme vous dites n’était intentionnel […] » Il n’y a aucune preuve que Mme McClelland ou un autre superviseur ait enjoint à la fonctionnaire de répondre à M. David de cette manière. En outre, dans le courriel qu’il a adressé à Mme McClelland et qu’elle a immédiatement fait parvenir à M. Durand, M. David semblait avoir mitigé la plainte initiale qu’il aurait pu avoir quant à la réponse de la fonctionnaire à sa demande, puisqu’il y a écrit [traduction] : « Je pense vraiment que le ton est un peu mieux, mais il me semble encore manquer un peu de professionnalisme, quoique tout ça soit du passé […] » À mon avis, par souci d’exhaustivité dans son enquête sur les faits et compte tenu de son témoignage quand il a dit que la description du langage du courriel dépend de la perception du destinataire, cette information aurait dû inciter M. Durand à communiquer avec M. David pour obtenir directement de lui ce qu’il pensait sur la question.

83 Le professionnalisme est défini dans le Code comme « l’application des normes de rendement les plus élevées possibles », tandis que le respect se traduit « par une attitude sensible et réceptive aux droits de chacun ».

84 En me fondant sur la preuve qui m’a été soumise, je n’arrive pas à comprendre comment le courriel de la fonctionnaire a pu contrevenir aux valeurs de l’employeur. On l’a chargée de répondre à une demande; elle a rédigé une réponse factuelle en se basant sur son expérience et, selon son témoignage, sur des situations semblables dont on l’avait déjà chargée bien des fois jusque-là. Lorsqu’il a décidé d’imposer une sanction disciplinaire à la fonctionnaire, M. Durand a témoigné que le fait que les renseignements figurant dans sa réponse étaient corrects n’était pas pertinent à ses yeux. La seule justification qu’avait l’employeur pour reprocher un manque de professionnalisme à la fonctionnaire est le langage employé dans ce courriel, et c’est également sa seule justification pour lui reprocher un prétendu manque de respect.

85 Je ne peux pas souscrire au raisonnement de l’employeur quand il déclare que ne pas commencer un courriel avec une salutation constitue un manque de professionnalisme ou de respect. Je ne vois rien de mal à commencer un courriel par le mot [traduction] « Premièrement ». Il s’agissait d’une demande adressée [traduction] « À qui de droit » à laquelle on avait chargé la fonctionnaire de répondre, et cette demande provenait d’un employé de l’ARC avec qui elle n’avait jamais eu affaire auparavant. Dans les circonstances, je ne trouve aucun manque de respect ou de professionnalisme au fait que la fonctionnaire a commencé sa réponse avec le mot [traduction] « Premièrement », surtout quand on pense qu’elle devait communiquer plus d’un élément d’information. Je souligne que M. David a lui-même commencé sa réponse à la fonctionnaire par les mots [traduction] « Pour commencer ».

86 La seule justification qui reste à l’employeur pour conclure au manque de professionnalisme et de respect de la fonctionnaire, c’est qu’elle a écrit [traduction] « vous vous trompez » dans sa réponse à M. David, plutôt que d’employer un euphémisme pour dire la même chose. Sa formulation peut facilement être qualifiée de sèche, directe et sans ambages. Toutefois, à mon avis, cela ne constitue pas un manque de professionnalisme ni de respect et ne contrevient donc pas aux valeurs de l’employeur énoncées dans le Code.

87 Je conclus que l’employeur n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que la fonctionnaire ait fait preuve de l’inconduite qu’on lui reproche dans la lettre de suspension datée du 27 février 2007. Par conséquent, son grief est accueilli.

88 Je tiens à statuer sur les redressements réclamés par la fonctionnaire dans les points figurant au paragraphe 3 de la présente décision. Comme je l’ai déclaré plus tôt dans cette décision, la fonctionnaire n’a produit aucune preuve pour justifier ces redressements, et son avocat n’a avancé aucun argument à cet égard dans sa plaidoirie. Puisque le redressement que j’ordonne indemnise la fonctionnaire, il n’est pas nécessaire, à mon avis, que je me prononce sur ces redressements-là.

89 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VII. Ordonnance

90 Le grief est accueilli, et la fonctionnaire doit être dédommagée de la perte d’une demi-journée de traitement et de tous les avantages connexes.

91 J’ordonne à l’employeur de retirer la lettre de suspension datée du 27 février 2007 et tous les documents connexes du dossier de la fonctionnaire.

Le 2 septembre 2010.

Traduction de la CRTFP

Steven B. Katkin,
arbitre de grief

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