Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé 31griefs de principe relativement à la politique nationale de l’employeur sur les heures supplémentaires - septgriefs ont allégué que la politique contrevenait aux dispositions de la convention collective ayant trait à la répartition équitable des heures supplémentaires - les 24 autres griefs ont allégué que l’employeur avait résilié unilatéralement des politiques, des ententes et des accords locaux sur les heures supplémentaires, en contravention de la convention collective - l’arbitre de grief a conclu que l’agent négociateur n’avait pas démontré que, selon la prépondérance des probabilités, la politique contrevenait à la convention collective en répartissant de façon inéquitable des heures supplémentaires - concernant les 24 autres griefs, l’arbitre de grief a conclu que la convention collective prévoyait la conclusion d’ententes locales autorisant l’attribution d’heures supplémentaires à des employés ne faisant pas partie du même groupe et niveau que le poste à combler et que les politiques, les ententes et les accords locaux ne contenaient pas de dispositions de ce genre - comme les politiques, les ententes et les accords locaux ne faisaient pas partie de la convention collective et n’en constituaient pas des textes accessoires, l’arbitre de grief n’avait pas compétence pour déterminer si leur résiliation contrevenait à la convention collective. Sept griefs rejetés. Compétence non assumée relativement aux 24autres griefs.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-08-13
  • Dossier:  569-02-51 à 55 et 60 à 85
  • Référence:  2010 CRTFP 85

Devant un arbitre de grief


ENTRE

UNION OF CANADIAN CORRECTIONNAL OFFICERS - SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA - CSN

agent négociateur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs de principe renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour l'agent négociateur :
John Mancini, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Pour l'employeur:
Richard Fader, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 7 au 9 juillet 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs de principe renvoyés à l’arbitrage

1 Entre le 23 mai et le 1er novembre 2009, l’Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (l’« agent négociateur ») a déposé 31 griefs de principe, présentés par ses représentants dans 31 établissements du Service correctionnel du Canada (l’« employeur » ou le SCC). L’employeur a rejeté tous ces griefs; ils ont été renvoyés à l’arbitrage entre le 10 et le 27 novembre 2009.

2 Le 1er novembre 2009, l’employeur avait mis en œuvre une politique nationale de répartition des heures supplémentaires parmi les agents correctionnels, en abrogeant les politiques, procédures ou ententes locales en vigueur sur la répartition des heures supplémentaires. Il avait informé l’agent négociateur de son intention d’introduire cette politique nationale plusieurs mois auparavant.

3 Les représentants locaux de l’agent négociateur de la région de l’Ontario (dossiers de la CRTFP 569-02-51 à 55, 80 et 82) ont présenté des griefs déclarant que la politique nationale sur les heures supplémentaires de l’employeur violait la convention collective. Les représentants locaux de l’agent négociateur des autres régions (tous les autres dossiers) ont déclaré dans leurs griefs que la décision de l’employeur d’abroger les ententes, politiques ou procédures locales sur les heures supplémentaires violait la convention collective. Comme redressement, l’agent négociateur réclame dans ces griefs que l’employeur retire sa politique nationale sur les heures supplémentaires ou sa décision d’abroger les ententes, politiques ou procédures locales sur les heures supplémentaires et qu’il rembourse aux employés toutes les sommes qui leur sont dues par suite de sa décision.

4 La convention collective signée le 26 juin 2006 par le Conseil du Trésor et par l’agent négociateur à l’égard de l’unité de négociation du groupe Services correctionnels (la « convention collective ») s’applique aux griefs. Les dispositions suivantes de la convention collective sont pertinentes pour les trancher. Les astérisques désignent une nouvelle disposition.

[…]

21.10 Répartition des heures supplémentaires

L’Employeur fait tout effort raisonnable pour :

a)  répartir les heures supplémentaires de travail sur une base équitable parmi les employé-e-s qualifiés facilement disponibles,

**

b)  attribuer du travail en temps supplémentaire aux employé-e-s faisant partie du même groupe et niveau par rapport au poste à combler, p. ex. Agent correctionnel 1 (CX-1) à agent correctionnel 1 (CX-1), agent correctionnel 2 (CX-2) à agent correctionnel 2 (CX-2), etc.

Cependant, il est possible pour une section locale de convenir par entente écrite avec le directeur de l’établissement d’une méthode différente en ce qui a trait à l’attribution du temps supplémentaire.

et

c)  donner aux employé-e-s, qui sont obligés de travailler des heures supplémentaires, un préavis suffisant de cette obligation.

[…]

II. Résumé de la preuve

5 La plus grande partie de la preuve produite par les parties n’a pas été contredite. Pour mieux comprendre les questions en jeu, la preuve est résumée sous forme de thèmes généraux. Les parties ont présenté conjointement les ententes, politiques ou procédures locales sur les heures supplémentaires qui étaient en place avant le 1er novembre 2009.

6 L’agent négociateur a produit six documents en preuve, dont la politique nationale sur les heures supplémentaires. Il a fait témoigner Graham Hughes, qui est agent correctionnel à l’établissement de Collins Bay, situé à Kingston, en Ontario. M. Hughes est le président de la section locale du syndicat à cet établissement.

7 L’employeur a produit 74 documents en preuve, la plupart portant sur le contexte et sur le processus de mise en œuvre d’une politique nationale des heures supplémentaires. Il a fait témoigner Marc Thibodeau, John Kearney, Amanda Connolley, Barry Niles, Maureen Harris et Andria Hamilton. M. Thibodeau est directeur par intérim au Secrétariat du Conseil du Trésor. De 2004 à 2006, il a été le négociateur de la convention collective pour l’employeur. M. Kearney est le directeur de la Politique des relations de travail au SCC, où Mme Connolley est conseillère en relations de travail et M. Niles gestionnaire des Normes de déploiement et des horaires. Mme Harris est analyste de politiques au Secrétariat du Conseil du Trésor. Mme Hamilton est gestionnaire correctionnelle à l’établissement de Collins Bay.

A. Ententes, politiques ou procédures locales sur les heures supplémentaires

8 Avant la mise en œuvre de la politique nationale sur les heures supplémentaires, le 1er novembre 2009, l’employeur répartissait les heures supplémentaires conformément à des procédures établies au niveau des établissements.

9 Certaines de ces procédures avaient été négociées entre les représentants locaux de l’agent négociateur et les directeurs des établissements; elles étaient décrites dans des ententes officielles signées par les représentants locaux et par les directeurs intéressés. Certaines des ententes prévoyaient qu’elles pouvaient être révisées ou révoquées à la demande de l’une ou l’autre des parties. D’autres ententes ne renfermaient aucune disposition sur leur révision ou leur révocation.

10 D’autres établissements répartissaient les heures supplémentaires conformément à des politiques locales écrites sur les heures supplémentaires. Dans certains cas, ces politiques avaient été établies par l’employeur après consultation des représentants locaux de l’agent négociateur. Enfin, certains établissements n’avaient pas de politique ni d’entente officielle, mais se fondaient simplement sur les pratiques locales pour répartir les heures supplémentaires parmi les agents correctionnels.

11 Certaines des ententes ou des politiques écrites avaient été mises en place avant la signature de la convention collective. Leur présentation et leurs dispositions détaillées pouvaient varier, mais il ne s’en dégageait pas moins des constantes quant à la répartition des heures supplémentaires. Premièrement, les employés remplissaient un formulaire pour indiquer à quels quarts ils étaient disponibles pour faire des heures supplémentaires. Deuxièmement, ils compilaient régulièrement (dans la plupart des cas quotidiennement) le nombre d’heures supplémentaires qu’ils avaient déjà travaillées dans une période donnée; cette période variait de 1 à 12 mois, 3 mois étant la période la plus répandue. À la fin de la période, l’employeur commençait une nouvelle compilation des heures supplémentaires travaillées. Troisièmement, l’employeur offrait la possibilité de faire des heures supplémentaires à l’agent correctionnel disponible ayant travaillé le moins d’heures supplémentaires dans la période de référence. Lorsque c’était possible, il offrait la possibilité de faire des heures supplémentaires aux agents selon leur niveau. Dans la plupart des ententes ou des politiques, une clause stipulait que les heures supplémentaires devaient être offertes en priorité aux agents travaillant à taux et demi plutôt qu’à taux double. Les ententes ou les politiques renfermaient bien des détails, mais je ne juge pas utile de les résumer tous dans la présente décision.

B. Politique nationale sur les heures supplémentaires

12 L’employeur a mis en œuvre sa politique nationale sur les heures supplémentaires le 1er novembre 2009. Elle a eu pour effet immédiat d’abroger et de remplacer toutes les ententes, politiques ou procédures locales en place à cette date.

13 L’employeur a produit une preuve abondante quant au contexte de l’introduction de la politique nationale sur les heures supplémentaires, dont trois rapports du Bureau du vérificateur général du Canada, deux rapports du Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes et trois articles publiés dans les médias. Ces documents portent tous sur le coût de la gestion des heures supplémentaires ou sur la question des horaires et du déploiement du personnel. Je ne vais pas résumer cette partie de la preuve, parce qu’elle n’a pas d’importance pour ma décision sur les griefs.

14 L’employeur a également produit une preuve abondante sur ses consultations avec l’agent négociateur au sujet de l’introduction de la politique nationale sur les heures supplémentaires. L’agent négociateur s’est opposé dès le début à la mise en œuvre de cette politique. À la réunion du Comité national de consultation patronale-syndicale (CNCPS) tenue en mars 2007, l’agent négociateur a contesté la nécessité d’une telle politique. L’employeur a fait valoir qu’il tenait à assurer la conformité à la convention collective et l’uniformité de son application. À la réunion de septembre 2007 du CNCPS, l’employeur a déclaré craindre que les ententes locales sur les heures supplémentaires aient dans certains cas excédé les pouvoirs des parties, tels qu’ils sont définis par la convention collective. L’agent négociateur a dit craindre pour sa part que l’employeur puisse résilier les ententes locales sur les heures supplémentaires. À cette même réunion de septembre 2007 du CNCPS, l’employeur a informé l’agent négociateur qu’il établirait une politique nationale sur les heures supplémentaires en tenant compte de ses commentaires. Une ébauche de ce qui était alors appelé le « Bulletin sur les heures supplémentaires » a été discutée à des réunions ultérieures du CNCPS en mars et en avril 2009.

15 Le 17 août 2009, l’employeur a informé l’agent négociateur par écrit que toutes les politiques, toutes les conventions ou toutes les ententes locales sur la répartition des heures supplémentaires seraient abrogées à compter du 1er novembre 2009, date à laquelle la politique nationale sur les heures supplémentaires s’appliquerait. Le 20 août 2009, l’employeur a fait parvenir la même information par écrit aux présidents des sections locales du syndicat. Le 21 août 2009, l’agent négociateur a écrit à l’employeur pour lui demander que chaque établissement signe une entente locale sur toutes les questions liées aux heures supplémentaires. Ces ententes devaient notamment assurer la répartition équitable des heures supplémentaires sur une période de trois mois et prévoir un mécanisme précis d’attribution du temps supplémentaire.

16 À la réunion de septembre 2009 du CNCPS, l’agent négociateur s’est dit déçu que l’employeur ne veuille pas changer les principes de base de sa politique sur les heures supplémentaires. L’employeur a répondu qu’il avait décidé d’aller de l’avant avec sa politique nationale sur les heures supplémentaires parce qu’il ne lui était plus acceptable de gérer les heures supplémentaires avec 58 politiques locales et parce qu’il fallait assurer l’uniformité dans tout le SCC.

17 La politique nationale sur les heures supplémentaires est basée sur les principes du contrôle et de la réduction du besoin des heures supplémentaires, d’un préavis suffisant aux employés lorsqu’ils sont tenus de faire des heures supplémentaires, de la nécessité de faire tous les efforts raisonnables pour attribuer le travail en temps supplémentaire à des employés du même groupe et niveau, d’une réduction des coûts au minimum lorsque des heures supplémentaires s’imposent et d’une discussion sur une base trimestrielle des résultats des heures supplémentaires avec les représentants locaux du syndicat. La politique stipule que les gestionnaires devraient faire tous les efforts raisonnables pour offrir la possibilité de faire des heures supplémentaires sur une base équitable parmi les employés qualifiés facilement disponibles. Les gestionnaires doivent conserver un relevé de toutes les heures supplémentaires offertes et travaillées. Les périodes de relevé des heures supplémentaires sont trimestrielles, à partir du 1er avril de chaque exercice, de façon qu’il soit possible de faire régulièrement des rajustements; l’équité du processus est évaluée sur une période de 12 mois.

18 Dans des documents qui sont le complément de la politique nationale sur les heures supplémentaires, l’employeur déclare que les gestionnaires correctionnels devraient offrir la possibilité de faire des heures supplémentaires aux employés qui s’en sont fait offrir moins que d’autres, mais qu’ils n’ont aucune obligation d’en offrir à l’employé qui s’en est fait offrir le moins. Lorsqu’ils offrent la possibilité de faire des heures supplémentaires, les gestionnaires correctionnels doivent tenir compte des facteurs suivants : la liste d’offre des heures supplémentaires, la disponibilité des employés, le taux des heures supplémentaires à payer, les droits de réclamer des coûts kilométriques, l’embauchage sur place, les ajustements par quarts, les restrictions en matière de santé et de sécurité, l’utilisation des congés et les limitations des agents.

C. Échange d’information en vertu de la politique nationale sur les heures supplémentaires  

19 Dans chaque établissement, l’employeur affiche tous les trimestres un rapport sur les heures supplémentaires renfermant une liste de tous les employés par groupe et niveau indiquant le nombre d’heures supplémentaires qu’ils ont travaillées au cours du trimestre. Toutefois, le nom des employés ne figure pas dans ce rapport, afin de protéger leur vie privée, selon l’employeur. M. Hughes a témoigné qu’il est impossible pour les employés qui consultent ce rapport de savoir si les heures supplémentaires ont été réparties équitablement entre eux et, par conséquent, de déposer des griefs s’il y a lieu. Qui plus est, lorsque les employés se déclarent disponibles pour faire des heures supplémentaires, ils ne savent pas les noms des autres employés qui se sont déclarés disponibles, alors qu’ils les connaissaient auparavant. Ils n’ont aucun moyen de savoir si l’employeur s’est conformé à la convention collective.

20 M. Hughes a également témoigné qu’il ne reçoit pas plus de précisions sur les heures supplémentaires travaillées par les employés en sa qualité de président de la section locale et qu’il ne peut donc pas les aider lorsqu’ils ont le sentiment d’avoir été injustement traités. Il aimerait être en mesure de négocier une entente locale sur les heures supplémentaires avec le directeur de l’établissement, mais il en est incapable parce que l’employeur interdit au directeur de conclure une telle entente. M. Hughes a déclaré ne pas avoir reçu de l’employeur un rapport détaillé sur les heures supplémentaires travaillées par les employés entre novembre 2009 et mars 2010. Il a admis qu’il n’avait pas été au travail pendant un certain temps au printemps 2010.

21 Mme Hamilton a témoigné qu’un rapport détaillé sur les heures supplémentaires travaillées par les agents correctionnels entre novembre 2009 et mars 2010 avait été envoyé à M. Hughes par courriel le 12 avril 2010. Ce courriel a été déposé en preuve. Le 11 mai et le 1er juin 2010, Mme Hamilton a envoyé à M. Hughes d’autres courriels semblables mettant à jour l’information qu’elle lui avait communiquée le 12 avril 2010.

22 L’employeur a enjoint par écrit tous les établissements de remettre aux représentants locaux de l’agent négociateur des rapports mensuels complets sur les heures supplémentaires afin que ces représentants soient en mesure de répondre aux préoccupations des employés et de se préparer aux réunions mensuelles avec l’employeur pour discuter des questions relatives aux heures supplémentaires.

23 Mme Connolley a également témoigné qu’il est possible pour les employés de déposer des griefs contestant la nouvelle politique sur les heures supplémentaires. À l’appui de son témoignage, l’employeur a produit en preuve une liste de 370 griefs sur les heures supplémentaires déposés par les employés entre le 1er novembre 2009 et le 31 mars 2010.

D. Clause 21.10 de la convention collective

24 La clause 21.10 de la convention collective stipule qu’il est possible pour une section locale de convenir par écrit avec le directeur de l’établissement d’une autre méthode de répartition des heures supplémentaires. À l’audience, on a produit une preuve sur l’interprétation de cette clause consistant particulièrement à savoir si la phrase commençant par « Cependant » devrait s’appliquer aux alinéas a) et b) ou seulement à l’alinéa b). Une partie de cette preuve est extrinsèque, puisqu’elle émane de la plus récente ronde de négociation entre les parties. Par souci de clarté, il vaut la peine de reciter intégralement la clause 21.10 :

  21.10 Répartition des heures supplémentaires

L’Employeur fait tout effort raisonnable pour :

a)  répartir les heures supplémentaires de travail sur une base équitable parmi les employé-e-s qualifiés facilement disponibles,

**

b)  attribuer du travail en temps supplémentaire aux employé-e-s faisant partie du même groupe et niveau par rapport au poste à combler, p. ex. Agent correctionnel 1 (CX-1) à agent correctionnel 1 (CX-1), agent correctionnel 2 (CX-2) à agent correctionnel 2 (CX-2), etc.

Cependant, il est possible pour une section locale de convenir par entente écrite avec le directeur de l’établissement d’une méthode différente en ce qui a trait à l’attribution du temps supplémentaire.

et

c)  donner aux employé-e-s, qui sont obligés de travailler des heures supplémentaires, un préavis suffisant de cette obligation.

25 M. Thibodeau a souligné que l’alinéa b) de la clause 21.10 de la convention collective est précédé de deux astérisques, ce qui signifie qu’il a été modifié lors de la dernière ronde de négociation. L’employeur a produit en preuve la proposition déposée au cours de cette ronde de négociation par l’agent négociateur en vue de faire modifier la clause 21.10. Cette proposition visait à faire modifier la clause par l’ajout d’un nouvel alinéa d) qui devait se lire comme suit :

[Traduction]

Une section locale peut convenir par entente écrite avec le directeur de l’établissement d’une méthode différente que celle qui est précisée à la clause 21.10 b) pour la répartition des heures supplémentaires. Une copie de cette entente est envoyée au bureau national du Syndicat pour approbation.

26 M. Thibodeau a témoigné que l’ajout proposé par l’agent négociateur est devenu sous sa forme finale la phrase commençant par « Cependant » insérée après la clause 21.10b) de la convention collective. Il a également témoigné connaître la jurisprudence sur cette clause 21.10, notamment Mungham c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 106.

27 La preuve montre que toutes les ententes locales sur les heures supplémentaires couvrent bien plus que la question de la répartition des heures supplémentaires « au niveau » conformément à la clause 21.10b) de la convention collective. En contre-interrogatoire, M. Kearney a témoigné que l’employeur n’avait pas déclaré aux directeurs d’établissement, après la signature de la convention collective, que l’entente locale sur les heures supplémentaires ne pouvait pas porter sur d’autres questions que celle de l’attribution du travail en temps supplémentaire à des employés « du même niveau ».

28 Mme Harris était présente à l’audience sur le grief. Elle a pris des notes détaillées de la discussion qui s’est déroulée à cette occasion entre le représentant de l’agent négociateur et celui de l’employeur. Ces notes ont été produites en preuve. Mme Harris a témoigné que l’agent négociateur avait alors prétendu que, selon la clause 21.10 de la convention collective, les parties pouvaient négocier des ententes locales sur la répartition des heures supplémentaires entre les employés et qu’elles n’étaient pas limitées à les attribuer à des employés « du même niveau ». L’agent négociateur a aussi prétendu à cette occasion-là que l’employeur n’avait pas le droit d’annuler unilatéralement les ententes locales sur les heures supplémentaires. Mme Harris a également témoigné que l’agent négociateur n’avait pas déclaré alors que la politique nationale sur les heures supplémentaires violait la convention collective.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

29 L’agent négociateur a soutenu que les ententes ou politiques locales sur les heures supplémentaires liaient l’employeur et qu’elles déterminaient la façon de répartir les heures supplémentaires. La jurisprudence est claire. En abrogeant les ententes et les politiques locales, l’employeur a unilatéralement résilié une partie de la convention collective. Il est interdit à une partie de modifier la convention collective par elle-même, car les relations de travail s’en trouveraient déstabilisées.

30 Un organisme indépendant, le Bureau du vérificateur général du Canada, a examiné les pratiques de l’employeur en matière d’heures supplémentaires; il a conclu à l’existence d’un problème. L’employeur a réagi en changeant sa gestion de la répartition des heures supplémentaires. L’employeur peut établir toutes les politiques qu’il veut, mais il est limité par la convention collective et par la jurisprudence.

31 Lorsque la convention collective a été négociée, une modification a été apportée à la clause 21.10b) pour que la section locale du syndicat et la direction locale puissent négocier des ententes sur la répartition des heures supplémentaires. L’interprétation de l’employeur, selon qui ces ententes locales ne peuvent s’appliquer qu’à la répartition des heures supplémentaires « au niveau », frise l’absurde. Cette interprétation n’aurait absolument aucun avantage pour l’agent négociateur et rendrait inutile la modification apportée à la convention collective en 2006.

32 Quand elles ont signé la convention collective, il est clair que les parties entendaient investir leurs représentants locaux du pouvoir de conclure des ententes locales sur la répartition des heures supplémentaires. L’employeur savait alors qu’il existait de telles ententes et il les avait explicitement ou implicitement autorisées. Il connaissait également la jurisprudence lorsqu’il a signé la convention collective.

33  Dans les décisions rendues antérieurement, les arbitres de griefs avaient considéré les ententes locales sur les heures supplémentaires comme faisant partie de la convention collective. L’employeur devait se baser sur ces ententes pour répartir les heures supplémentaires et pour interpréter la clause 21.10 de la convention collective. Le même principe valait dans les établissements où l’employeur avait des politiques ou des conventions locales sur la répartition des heures supplémentaires. L’employeur se doit de respecter ces ententes et ces politiques. Il ne peut pas les changer sans le consentement de l’agent négociateur.

34 L’agent négociateur a également affirmé que les ententes locales sur les heures supplémentaires sont des documents accessoires qui devraient être considérés comme faisant partie de la convention collective.

35 L’agent négociateur demande à l’arbitre de grief de déclarer que l’employeur a violé la convention collective, en lui ordonnant de cesser de la violer et de l’interpréter et l’administrer conformément aux ententes, aux conventions et aux politiques locales sur les heures supplémentaires qui existaient avant la mise en œuvre de la politique nationale sur les heures supplémentaires. L’agent négociateur demande également à l’arbitre de grief de demeurer saisi de l’affaire quant aux pertes pécuniaires subies par les employés depuis la mise en œuvre de la politique nationale sur les heures supplémentaires.

36 L’agent négociateur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Mungham; Hunt et Shaw c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 65; Lauzon c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 126; Bowater Canadian Forest Products Inc. v. United Steel Workers, Local 1-2693 (2008), 175 L.A.C. (4e) 168; Alberta Wheat Pool v. Grain Workers’ Union, Local 333 (1994), 44 L.A.C. (4e) 382 et Eurocan Pulp & Paper Co. v. Communications, Energy and Paperworkers of Canada, Local 298 (1998), 72 L.A.C. (4e) 153. Il m’a renvoyé également à Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration,4e édition, à 4:1200.

B. Pour l’employeur

37 L’employeur a affirmé que les ententes, conventions et politiques locales ne font pas partie de la convention collective. Par conséquent, l’arbitre de grief n’a pas compétence en vertu de l’article 220 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi ») pour trancher les griefs en l’espèce, puisqu’ils ne portent pas sur l’interprétation ni l’application de la convention collective. La clause 21.10 de la convention collective prévoit la conclusion d’ententes locales portant sur l’attribution du travail en temps supplémentaire à des employés « du même niveau », mais la convention collective est muette sur les modalités de ces ententes ou sur celles de leur annulation. Il s’ensuit que la question de leur annulation par l’employeur déborde le cadre de la convention collective. Si les parties avaient voulu prévoir une durée précise des ententes locales ou une limitation de leur révocabilité, elles auraient pu le préciser dans la convention collective. Comme elles ne l’ont pas fait, les questions soulevées par les griefs ne relèvent pas de la compétence d’un arbitre de grief.

38 Lorsque les parties ont voulu incorporer des documents dans la convention collective, il est important de souligner qu’elles l’ont fait expressément. L’employeur a cité l’exemple de l’article 41, qui stipule que les directives du Conseil national mixte font partie de la convention collective. Il m’a également renvoyé à l’appendice « K » de la convention collective. Selon lui, pour qu’un document puisse être considéré comme faisant partie de la convention collective, les parties doivent vouloir qu’il en fasse partie et le déclarer clairement. Il est clair que l’employeur n’a jamais voulu que ces documents locaux sur les heures supplémentaires fassent partie de la convention collective.

39 L’employeur a également fait valoir que la clause 21.10b) de la convention collective prévoit seulement la possibilité que les parties s’entendent localement par écrit sur l’attribution du travail en temps supplémentaire à des employés « du même niveau ». Contrairement à l’interprétation de l’agent négociateur, l’employeur a soutenu que la convention collective ne prévoit pas la possibilité d’ententes locales dans la clause 21.10a). Si la disposition relative aux ententes locales devait s’appliquer aux alinéas a) et b) de la clause 21.10, cette clause aurait été formulée différemment.

40 L’employeur a déclaré être investi du pouvoir de modifier unilatéralement les conditions d’emploi en vertu des articles 7 et 11.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP), L.R.C. (1985), ch. F-11, sous réserve des limites particulières prévues par une loi ou une convention collective. Les parties peuvent conclure des ententes locales sur diverses questions, mais ces ententes ne font pas partie de la convention collective et ne limitent pas le pouvoir de modifier les conditions d’emploi dont l’employeur est investi par la LGFP. Même si l’employeur part du principe qu’il avait dans tous les cas le pouvoir d’abroger les ententes locales, il a déclaré avoir donné un préavis raisonnable à l’agent négociateur et à ses représentants locaux de sa décision de les abroger et de mettre en œuvre une politique nationale sur les heures supplémentaires.

41 Enfin, l’employeur a maintenu que l’agent négociateur ne peut alléguer que la mise en œuvre de la politique nationale sur les heures supplémentaires ou son contenu violent la convention collective, parce que ces questions n’ont pas fait l’objet du grief et qu’elles n’ont pas non plus été soulevées lors de l’audition du grief. Qui plus est, une allégation que la politique nationale viole la convention collective dans un cas quelconque ne peut pas faire l’objet d’un grief de principe. Subsidiairement, absolument rien ne prouve que la politique nationale ne puisse assurer une répartition équitable des heures supplémentaires. Pour arriver à une telle conclusion, il aurait fallu que l’agent négociateur prouve l’existence d’une répartition systématiquement injuste des heures supplémentaires attribuable à la politique nationale.

42 L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Mungham; Hunt et Shaw; Canada Paperworkers’ Union, Local 298 v. Eurocan Pulp and Paper Co. (1990), 14 L.A.C. (4e) 103; Roireau et Gamache c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2004 CRTFP 85; Canada (Procureur général) c. Amos, 2009 CF 1181; Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11; Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Assh, 2005 CF 734; Roberts c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Impôt), dossier de la CRTFP 166-02-18241 (19890728); Professional Institute of the Public Service of Canada v. Canada (Attorney General), 2007 CanLII 50603 (On. S.C.); Brescia c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CAF 236; Public Service Alliance of Canada v. Canada (Canadian Grain Commission) (1986), 5 F.T.R. 51; Appleby-Ostroff c. Canada (Procureur général), 2010 CF 479; Peck c. Canada (Parcs Canada), 2009 CF 686; Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986; Darragh et al. c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 161-02-700 (19931021); Canada (Conseil du Trésor) c. Nitschmann, 2009 CAF 263; Raymond c. Conseil du Trésor, 2010 CRTFP 23; McAuliffe c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-21431 (19911105); Ball et al. c. Conseil du Trésor (Postes Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-12997 à 13014 et 13017 à 13051 (19850325); Bérubé c. Conseil du Trésor (Transports Canada),dossier de la CRTFP 166-02-22187 (19930215); Armand c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-9560 (19900629); Foote c. Conseil du Trésor (Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2009 CRTFP 142; Lapointe c. C.R.T.F.P., [1978] 1 C.F. 56 (C.A.); Burchill c. Canada (Procureur général) (1980), [1981] 1 C.F. 109 (C.A.); Shneidman c. Canada (Procureur général), 2007 CF 192; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2008 CRTFP 84; Thompson c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-21779 (19920916); Chan c. Canada (Procureur général), 2010 CF 708; Babcock v. Canada (Attorney General), 2005 BCSC 513 et Farcey c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-21050 (19920212).

IV. Motifs

43 Ces 31 griefs de principe soulèvent deux questions. Le premier groupe de griefs (dossiers de la CRTFP 569-02-51 à 55, 80 et 82) allègue que la politique nationale sur les heures supplémentaires de l’employeur viole la convention collective. Les 24 autres griefs allèguent que la décision de l’employeur de résilier les ententes, politiques ou procédures locales sur les heures supplémentaires violait la convention collective. Ces deux allégations doivent être étudiées séparément.

A. La politique nationale sur les heures supplémentaires viole-t-elle la clause 21.10 de la convention collective?  

44 L’employeur a déclaré que l’agent négociateur ne peut pas prétendre que la politique nationale viole la convention collective, faute de l’avoir dit à l’audition des griefs. À l’appui de son argument, il a invoqué Burchill et Shneidman. À l’arbitrage, l’agent négociateur n’a pas non plus soutenu que la politique nationale violait la convention collective.

45 Je suis d’accord avec l’employeur lorsqu’il affirme que l’agent négociateur ne peut pas prétendre que la politique nationale viole la convention collective dans le cas des 24 autres griefs, lorsque cette question n’a été soulevée ni dans le libellé de ces griefs, ni de l’audition des griefs. Le principe énoncé dans Burchill s’applique directement à ces griefs. Accepter à l’arbitrage qu’ils contestaient la politique nationale parce qu’elle violait la convention collective reviendrait à accepter qu’on les modifie ou qu’on les change nettement.

46 Toutefois, sur la même question, je suis en désaccord avec l’employeur au sujet des sept autres griefs, parce qu’ils portaient directement sur la question de savoir si la politique nationale viole la convention collective. Parce que l’agent négociateur n’a soulevé la question ni à l’audition des griefs, ni à l’arbitrage, je pourrais conclure qu’il a renoncé à la question de la violation de la clause 21.10 de la convention collective par la politique nationale sur les heures supplémentaires. Néanmoins, je crois que c’est une question importante qu’il faut étudier et qu’il s’agit d’un enjeu très évident pour les parties.

47 On n’a pas produit de preuve à l’arbitrage pour démontrer que la politique nationale sur les heures supplémentaires viole la convention collective. Il aurait fallu en produire pour que je puisse conclure à une telle violation. Plus précisément, l’agent négociateur devait prouver, selon la prépondérance des probabilités que la politique a eu pour résultat une répartition inéquitable des heures supplémentaires parmi les employés qualifiés facilement disponibles. Il pourrait exister des éléments de la politique susceptibles de causer des problèmes d’équité dans son application, mais aucune preuve n’a été avancée à l’appui d’une telle allégation.

48 Bref, ces sept griefs sont rejetés faute de preuve que la politique nationale sur les heures supplémentaires viole la convention collective.

B. L’employeur a-t-il violé la convention collective en abrogeant les ententes locales sur les heures supplémentaires?

 

49 Cette question s’applique aux 24 griefs où il est allégué que l’employeur a violé la convention collective en adoptant une politique nationale abrogeant les arrangements locaux sur les heures supplémentaires. Cette question soulève plusieurs sous-questions, la première portant sur le sens de la phrase qui a été insérée après la clause 21.10 de la convention collective à la dernière ronde de négociation. Cette phrase s’applique-t-elle à toute la question de la répartition des heures supplémentaires ou seulement à l’attribution du travail en temps supplémentaire à des employés « du même niveau »? La deuxième question porte sur le statut des ententes locales. Ces ententes font-elles partie de la convention collective? Troisièmement, si je conclus qu’elles n’en font pas partie, ai-je compétence pour entendre les griefs? Enfin, quatrièmement, si je conclus qu’elles font partie de la convention collective, l’employeur avait-il le pouvoir de les abroger unilatéralement?

1. Les ententes mentionnées à la clause 21.10 sont-elles limitées à l’attribution du travail en temps supplémentaire à des employés « du même niveau »?

50 À la fin de l’alinéa b) de la clause 21.10 de la convention collective, lorsque les parties l’ont renouvelée, en juin 2006, les parties ont ajouté ce qui suit :

Cependant, il est possible pour une section locale de convenir par entente écrite avec le directeur de l’établissement d’une méthode différente en ce qui a trait à l’attribution du temps supplémentaire.

Cette phrase a été insérée après l’alinéa b) de la clause 21.10 de la convention collective. Une telle structure laisse entendre que la phrase porte seulement sur la méthode d’attribution du travail en temps supplémentaire précisée dans la clause 21.10b), qui concerne l’attribution de ce travail aux employés faisant partie « du même niveau ». Si les parties avaient voulu que la phrase en question s’applique également à l’alinéa a), qui porte sur la répartition équitable des heures supplémentaires parmi les employés qualifiés facilement disponibles, elle aurait dû être insérée dans un nouvel alinéa c), ou elle aurait dû renvoyer expressément aux alinéas a) et b) de la clause 21.10.

51 L’employeur a produit une preuve extrinsèque pour étayer sa position que le libellé ne renvoie qu’à l’alinéa b) de la clause 21.10 de la convention collective. Même si cette preuve n’est pas nécessaire pour me faire conclure que la portée des ententes locales est limitée à l’attribution du travail en temps supplémentaire à des employés « du même niveau », il me paraît utile d’en tenir compte, parce qu’elle contribue à renforcer cette conclusion. Au cours de la dernière ronde de négociation, l’agent négociateur avait proposé l’ajout du nouvel alinéa suivant, l’alinéa d), à la clause 21.10 :

[Traduction]

Une section locale peut convenir par entente écrite avec le directeur de l’établissement d’une méthode différente que celle qui est précisée à l’alinéa 21.10 b) pour la répartition des heures supplémentaires. Une copie de cette entente est envoyée au bureau national du Syndicat pour approbation.

Cet ajout proposé par l’agent négociateur décrit expressément une autre méthode que celle qui est exposée à la clause 21.10b) de la convention collective. M. Thibodeau a témoigné que la modification proposée est devenue la phrase insérée après la clause 21.10b) de la convention collective. La preuve extrinsèque étaye la conclusion logique découlant de l’examen de la structure du libellé de la clause 21.10. Les ententes locales mentionnées dans cette clause ne s’appliquent qu’à la question de l’attribution du travail en temps supplémentaire à des employés « du même niveau » précisée à l’alinéa b).

52 Or, les ententes, procédures ou politiques locales sur la répartition des heures supplémentaires couvrent bien plus que cette question-là. L’analyse de certaines des décisions invoquées par les parties et mettant en cause des agents correctionnels révèle que certaines de ces politiques ou ententes étaient appliquées bien avant cette modification de la clause 21.10 de la convention collective, en juin 2006. Dans Mungham, le fonctionnaire s’estimant lésé avait contesté la décision de l’employeur de ne pas l’appeler pour effectuer des heures supplémentaires en décembre 2003. Il avait témoigné que la politique locale des heures supplémentaires était en place depuis au moins 1998. Dans Armand, les faits révélaient l’existence d’une politique locale sur les heures supplémentaires depuis 1987. Dans Roireau et Gamache, les griefs faisaient référence à une politique analogue sur les heures supplémentaires qui existait en 2002. Qui plus est, certaines des politiques ou des ententes locales soumises en preuve mentionnent le libellé d’avant 2006, sont datées d’avant juin 2006 ou font état de dates antérieures.

53 Même si des ententes locales peuvent être conclues sur la question de l’attribution du travail en temps supplémentaire à des employés « du même niveau », selon la clause 21.10b) de la convention collective, les ententes ou les politiques locales qui existaient avant le 1er novembre 2009 avaient une bien plus grande portée. En outre, certaines de ces ententes ou de ces politiques existaient bien avant que la clause 21.10b) soit modifiée en 2006. Ces deux faits m’incitent à croire que les ententes locales sur les heures supplémentaires ne sont pas dérivées de la modification apportée à la clause 21.10 en 2006, mais tirent plutôt leur origine du besoin de préciser clairement les règles applicables à la répartition des heures supplémentaires, au niveau de l’établissement. Dans certains cas, ces règles étaient négociées localement et énoncées dans une entente signée. Dans d’autres cas, elles étaient établies par la direction locale en consultation avec les représentants locaux du syndicat. Dans d’autres cas enfin, elles étaient établies unilatéralement par la direction locale.

54 Ces faits et l’interprétation de la clause 21.10b) de la convention collective m’amènent à conclure que les ententes, politiques ou procédures locales sur les heures supplémentaires n’étaient pas dérivées de la clause 21.10b), mais qu’elles découlaient des besoins et des désirs locaux de mécanismes complexes de répartition des heures supplémentaires. Ces mécanismes officiels étaient en place bien avant juin 2006, et leur portée était bien plus vaste que celle de la simple attribution du travail en temps supplémentaire à des employés « du même niveau ».

2. Ces ententes locales font-elles partie de la convention collective?

55 L’agent négociateur a soutenu que les ententes, politiques ou procédures locales sur les heures supplémentaires font partie de la convention collective. Il a basé son argument sur Mungham, Hunt et Shaw et Lauzon, où les arbitres de griefs se sont fondés sur ce qu’on entendait localement par les heures supplémentaires pour interpréter les dispositions sur les heures supplémentaires de la convention collective.

56 Au paragraphe 31 de Mungham, l’arbitre de grief a écrit ce qui suit :

[31] Ce passage laisse entendre que la politique sur les heures supplémentaires représente la façon généralement admise d’attribuer les heures supplémentaires de façon équitable, comme l’exige la convention collective. Bien que le document ne fasse pas partie de la convention, il est pertinent à son interprétation et à son application (voir Canadian Labour Arbitration (supra), paragraphe 4 :1220). Le manuel de procédures (annexe D de l’Exposé conjoint des faits) précise que, s’il est nécessaire de recourir au travail en heures supplémentaires, [traduction] « le SC en service doit veiller à ce que toutes les heures supplémentaires soient attribuées de manière rentable et de plus que toutes les heures supplémentaires soient réparties de manière égale entre les employés ». En adoptant cette politique, l’employeur a limité son pouvoir discrétionnaire dans l’attribution des heures supplémentaires. M. Mungham a témoigné que l’agent négociateur acceptait cette politique comme étant une méthode équitable d’attribution des possibilités d’effectuer des heures supplémentaires. Il a été démontré que cette politique est appliquée de façon régulière, même si d’autres griefs sont encore non réglés. De cette façon, la politique sur les heures supplémentaires représente la façon généralement admise de répartir de façon équitable les heures supplémentaires. Je conclus par conséquent que la politique sur les heures supplémentaires lie l’employeur. Personne n’a contesté que, selon la politique, M. Mungham aurait dû se faire offrir la possibilité d’effectuer des heures supplémentaires le 30 décembre 2003. Je conclus donc qu’il y a eu contravention à la convention collective.

Dans Mungham, tout comme dans les autres décisions invoquées par l’agent négociateur, l’arbitre de grief avait déclaré que la politique locale sur les heures supplémentaires ne faisait pas partie de la convention collective. Il avait pourtant décidé qu’il fallait s’en servir pour interpréter les dispositions sur les heures supplémentaires de la convention collective, parce qu’elle représentait la façon généralement admise par les représentants locaux des parties de répartir de façon équitable les heures supplémentaires, comme la convention collective l’exigeait.

57 L’agent négociateur a également fait valoir que ces ententes ou politiques locales sont des documents accessoires qui devraient être considérés comme faisant partie de la convention collective. Sur ce point, Brown et Beatty ont écrit ce qui suit au paragraphe 4:1230 de leur ouvrage :

[Traduction]

Pour qu’un document accessoire fasse partie de la convention collective, les parties doivent souhaiter qu’il en fasse partie, et il doit satisfaire aux exigences de forme d’une convention collective ou y être incorporé par renvoi […] À l’inverse, un document accessoire fait partie de la convention collective s’il est explicitement déclaré qu’il doit en faire partie ou si la convention elle-même le stipule […]

Aucune des ententes, politiques ou procédures locales ne satisfait à ces critères. Dans la plupart des cas, il n’y avait pas d’ententes écrites entre les représentants locaux des parties. Aucune des ententes locales ne stipule qu’elles font partie de la convention collective.

58 Dans d’autres situations, les parties ont convenu d’incorporer d’autres documents dans la convention collective. À l’article 41, elles ont explicitement décidé d’y inclure une série de directives du Conseil national mixte. Ces directives sont des documents accessoires qui font partie de la convention collective. À l’appendice « K », les parties ont convenu de créer un comité national sur l’établissement des horaires. Elles se sont entendues pour que leurs représentants locaux déterminent comment les employés seraient affectés à des horaires modifiés, en convenant en outre que les horaires devraient être examinés et certifiés par le comité national avant d’être mis en œuvre.

59 Cette analyse m’amène à conclure que les ententes, conventions et politiques locales en jeu dans ces griefs ne sont pas des documents accessoires à la convention collective et qu’elles n’en font pas partie.

3. Ai-je compétence pour entendre les 24 griefs où il est allégué que l’employeur a violé la convention collective en abrogeant les ententes locales sur les heures supplémentaires?   

60 Dans la section qui précède, j’ai conclu que les ententes locales sur les heures supplémentaires ne font pas partie de la convention collective. Je dois maintenant décider si j’ai compétence pour entendre les 24 griefs où les représentants locaux de l’agent négociateur ont allégué que l’employeur a violé la convention collective en adoptant une politique nationale qui annulait les ententes locales sur les heures supplémentaires. Ma compétence découle du paragraphe 220(1) de la Loi, qui se lit comme suit :

220. (1) Si l’employeur et l’agent négociateur sont liés par une convention collective ou une décision arbitrale, l’un peut présenter à l’autre un grief de principe portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention ou de la décision relativement à l’un ou l’autre ou à l’unité de négociation de façon générale.

61 Puisque j’ai conclu que les ententes locales sur les heures supplémentaires qui sont en jeu en l’espèce ne font pas partie de la convention collective, la décision de l’employeur d’adopter une politique nationale qui les annulait n’est pas une question liée à l’application ni à l’interprétation de la convention collective, mais plutôt une décision par laquelle l’employeur a exercé ses pouvoirs de gestion sur une question à l’égard de laquelle ces pouvoirs ne sont pas expressément limités par une loi ni par la convention collective.

62 Dans mon interprétation de l’alinéa 21.10b) de la convention collective, j’aurais pu conclure que j’ai compétence si une entente locale écrite abrogée par l’entrée en vigueur de la politique nationale sur les heures supplémentaires avait contenu une disposition prévoyant une méthode d’attribution du travail en temps supplémentaire autre que celle de le confier à des employés « du même niveau » prévue à l’alinéa 21.10b) de la convention collective. Certains des arguments écrits qui m’ont été présentés portaient sur l’attribution du temps supplémentaire aux employés faisant partie du même « niveau », mais aucun ne mentionnait une méthode de répartition des heures supplémentaires différente de cette méthode décrite à l’alinéa 21.10b).

63 Par conséquent, les 24 griefs en question ne portent pas sur l’interprétation ni sur l’application de la convention collective; je n’ai donc pas compétence pour les entendre puisque ce ne sont pas des griefs de principe au sens de la Loi.

64 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

65 Les sept griefs alléguant que la politique nationale sur les heures supplémentaires viole la convention collective sont rejetés.

66 Je déclare ne pas avoir compétence pour entendre les 24 autres griefs et j’ordonne la fermeture de ces dossiers.

Le 13 août 2010.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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