Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

À la suite d’une erreur administrative de la part de l’employeur, la fonctionnaire s’estimant lésée s’est vu créditer un excédent de congés annuels - l’erreur s’est produite lorsque la fonctionnaire s’estimant lésée a pris sa retraite de l’employeur, puis est retournée travailler quelques années plus tard - en examinant son relevé de congés annuels, elle a soupçonné qu’une erreur avait peut-être été commise et en a fait part à son superviseur - l’employeur lui a assuré qu’on lui avait accordé les crédits de congé appropriés - cinq ans après, l’employeur, s’apercevant de l’erreur commise, a entrepris de recouvrer le montant d’argent équivalent - l’employeur a fondé son action sur le paragraphe 155(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) - la fonctionnaire s’estimant lésée a déposé un grief contestant la mesure de recouvrement de l’employeur - la doctrine de la préclusion ne s’appliquait pas en l’espèce car il n’y avait pas de preuve d’une créance désavantageuse pour la fonctionnaire s’estimant lésée - l’arbitre de grief a estimé que le paragraphe155(3) ne s’appliquait pas dans les circonstances de l’affaire - cette disposition s’applique aux paiements en trop à titre de salaire, de traitements ou d’allocations - la convention collective ne prévoyait pas de mécanisme permettant à l’employeur de procéder au recouvrement - l’employeur pouvait invoquer ses droits de direction pour entreprendre le recouvrement, mais ces droits devaient être exercés de façon raisonnable - dans les circonstances, le recouvrement était déraisonnable. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-08-23
  • Dossier:  566-02-2899
  • Référence:  2010 CRTFP 93

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ANNE MURCHISON

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

employeur

Répertorié
Murchison c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan R. Quigley, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Dan Fisher, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Victoria Yankou, avocate

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
le 7 mai 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Anne Murchison, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), travaille pour le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences (l’« employeur ») comme analyste des services généraux au groupe et niveau AS-02 à Toronto, en Ontario.

2 Le 10 janvier 2008, elle a déposé un grief alléguant que, par suite d’une erreur administrative de l’employeur, elle avait reçu un trop-payé de 11 564,85 $ que l’employeur avait décidé de recouvrer.

3 Le 29 mai 2009, la fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage en réclamant la mesure corrective suivante :

[Traduction]

1. Qu’aucune mesure ne soit prise pour entreprendre le recouvrement du prétendu trop-payé, parce que cela me causerait des difficultés financières.

2. Qu’aucune mesure ne soit prise pour entreprendre le recouvrement du prétendu trop-payé imputable à une erreur de la part de l’employeur et qu’il soit renoncé à la dette.

4 Les deux parties ont fait de brèves déclarations d’ouverture. L’employeur a fait comparaître un témoin et déposé six pièces. La fonctionnaire a témoigné et elle a déposé sept pièces.

5 La convention collective en vigueur lorsque le grief a été déposé (la « convention collective ») avait été conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») à l’égard du groupe Services des programmes et de l’administration; sa date d’expiration était le 20 juin 2007 (pièce G-1).

II. Résumé de la preuve

A. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

6 La fonctionnaire a témoigné avoir débuté dans la fonction publique en 1974 comme CR-04. En 1991, elle a pris un congé de maternité, après quoi elle a pris sa retraite en 1993. En 1999, elle a repris du service à temps partiel dans un poste de CR-04. En 2000, elle a été nommée pour une période indéterminée à un poste de CR-04. En 2006, elle a obtenu un poste d’analyste des services généraux classifié AS-02.

7 La fonctionnaire a témoigné que lorsqu’elle a examiné le relevé de ses crédits de congé annuel que l’employeur lui avait remis en 2002, elle a constaté qu’on avait porté cinq semaines de congé annuel à son crédit. Elle croyait avoir droit à seulement quatre semaines de congé annuel et elle a donc conclu qu’il devait donc y avoir une erreur dans les calculs de l’employeur. Elle avait immédiatement demandé à sa superviseure,  Julia Llano-Rodriguez, de demander si elle avait vraiment droit à cinq semaines de congé, en expliquant qu’elle s’était prévalue de son droit à une pension et de son indemnité de départ lorsqu’elle avait pris sa retraite en 1993. Mme Llano-Rodriguez avait rencontré Karen Hunt, conseillère à la rémunération, pour l’informer des doutes de la fonctionnaire, qui avait eu par la suite plusieurs rencontres avec Mme Hunt et avec Pat Russell, chef de la Rémunération, lesquelles l’avaient assurée qu’elle avait droit à cinq semaines de congé annuel par année.

8 Le 27 décembre 2007, la fonctionnaire a reçu une lettre de Nadine Bennett, conseillère à la rémunération, l’informant qu’on avait découvert qu’elle s’était fait accorder des crédits de 521,175 heures de congé annuel de trop, ce qui représentait un trop-payé de traitement de 11 564,85 $, dans le contexte d’un projet d’examen des dossiers régionaux (pièce G-6a)).

9 La fonctionnaire s’est fait montrer par le représentant de son agent négociateur la pièce G-6b), où figurent les calculs de son dossier de congés annuels original et de son dossier de congés annuels révisé préparés par l’employeur, qui sont reproduits ci-dessous :

Dossier de congés annuels original

Année

Heures
antérieures

Crédits
originaux

Crédits
utilisés

Solde
(heures)

2000-2001

0

187,5

67,5

120

2001-2002

120

187,5

287,5

20

2002-2003

20

188,1

200,5

7,6

2003-2004

7,6

188,1

89

106,7

2004-2005

106,7

188,1

294

0,8

2005-2006

0,8

187,5

186

2,3

2006-2007

2,3

187,5

189

0,8

2007-2008

0,8

187,5

153,5

34,8

Original

1 501,8

1 467

Dossier de congés annuels révisé

Année

Heures antérieures

Crédits originaux

Crédits utilisés

Dolde cumulatif

Traitement en avril/ poste d'attache

Valeur (dollars)

2000-2001

0

112,5

67,5

45

30 257 $

2001-2002

120

112,5

287,5

-130

34 596 $

-2 298,62 $

2002-2003

20

112,5

200,5

-88

36 508 $

-1 641,98 $

2003-2004

7,6

112,5

89

23,5

38 387 $

2004-2005

106,7

112,5

294

-158

46 667 $

-3 768,47 $

2005-2006

0,8

112,5

186

-73,5

49 532 $

-1 860,68 $

2006-2007

2,3

115,625

189

-73,375

50 721 $

-1 902,10 $

2007-2008

0,8

150

153.5

-3,5

51 989 $

- 93,00 $

Révisé

940,625

1 467

-11 564,85 $

10 La fonctionnaire s’est ensuite fait présenter un courriel de Mme Llano-Rodriguez (pièce G-7). Elle a déclaré qu’il confirmait que sa superviseure et elle-même s’étaient renseignées sur ses crédits de congé annuel. Ce courriel se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

Quand Anne Murchison a été nommée pour une période indéterminée et qu’elle a été informée par notre conseillère à la rémunération d’alors, Karen Hunt, qu’elle avait droit à cinq (5) semaines de congé annuel. J’avais de très grosses réserves à cet égard, au point que j’ai dit à notre conseillère en rémunération d’alors Pat Russell que j’en doutais, mais elle m’a dit qu’Anne Murchison y avait bel et bien droit.

J’ai également soulevé la question avec le directeur des Services financiers, pour lequel Anne Murchison et moi-même travaillions. J’ai fini par me faire dire de laisser tomber et qu’Anne Murchison avait droit aux cinq (5) semaines.

J’ai toujours douté qu’elle y avait droit, et maintenant, elle n’a pas le choix, sans que ce soit sa faute, elle va devoir rembourser tout cet argent. Si les conseillers en rémunération avaient fait leur travail correctement, Anne n’aurait pas tous ces problèmes.

[…]

Le représentant de l’agent négociateur a renvoyé la fonctionnaire à l’article 52 de la convention collective en lui demandant si l’employeur lui avait offert un congé payé ou non payé pour d’autres raisons afin de compenser le recouvrement du trop-payé. Elle a répondu que non. La clause 52.01 se lit comme suit :

CONGÉS PAYÉS OU NON PAYÉS POUR D’AUTRES MOTIFS

52.01 L’Employeur peut, à sa discrétion, accorder :

a) un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé-e l’empêchent de se rendre au travail; ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable;

b) un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.

11 En contre-interrogatoire, la fonctionnaire s’est fait renvoyer à la partie du Guide d’administration de la paye du Conseil du Trésor intitulée Recouvrement des montants dus à Sa Majesté — Demande de taux de recouvrement moins élevé (pièce E-1). Elle a déclaré s’être plainte à Mme Bennett que la mesure de recouvrement était injuste et qu’elle ne pouvait pas payer le taux de recouvrement fixé par le receveur général à 10 % de son traitement bihebdomadaire brut. Elle a donc demandé un taux de recouvrement moins élevé, et l’employeur a autorisé un taux de recouvrement de 2,5 % pour se faire rembourser le trop-payé de 11 564,85 $.

12 La fonctionnaire a déclaré en réinterrogatoire que son grief a été rejeté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et qu’elle a accepté de signer une entente l’engageant à rembourser le trop-payé à raison de 2,5 % parce qu’elle ne pouvait pas payer davantage, étant donné que son mari a un emploi à temps partiel et que payer un plus gros pourcentage de son traitement lui aurait causé des difficultés financières.

B. Pour l’employeur

13 Mme Bennett est entrée au service de l’employeur en 1991; elle est actuellement conseillère en rémunération et en avantages sociaux. Elle a témoigné que l’employeur a conclu en 2006 une entente sur le marché du travail en vertu de laquelle des fonctionnaires fédéraux ont été mutés dans des administrations provinciales. Ces mutations ont révélé plusieurs problèmes dans les dossiers de crédits de congé annuel. En février 2007, l’employeur a ordonné à ses conseillers en rémunération et avantages sociaux de procéder à un examen complet des crédits de congé annuel de tous les fonctionnaires, par ordre alphabétique.

14 Mme Bennett s’est reportée à la clause 34.03 de la convention collective, où figure le critère applicable au service continu ou discontinu pour le calcul des crédits de congé annuel. Cette clause se lit en partie comme suit :

34.03

a) Aux fins du paragraphe 34.02 seulement, toute période de service au sein de la fonction publique, qu’elle soit continue ou discontinue, entrera en ligne de compte dans le calcul des crédits de congé annuel, sauf lorsque l’employé-e reçoit ou a reçu une indemnité de départ en quittant la fonction publique. Cependant, cette exception ne s’applique pas à l’employé-e qui a touché une indemnité de départ au moment de sa mise en disponibilité et qui est réaffecté dans la fonction publique pendant l’année qui suit la date de ladite mise à pied.

[…]

15 Mme Bennett a déclaré s’être aussi servie de la partie intitulée Service continu/discontinu du Guide d’administration de la paye du Conseil du Trésor (pièce E-3) comme guide pour s’assurer de l’exactitude de ses calculs des crédits de congé annuel de la fonctionnaire.

16 Mme Bennett a informé la fonctionnaire qu’on lui avait accordé 65 heures de crédits de congé annuel de trop par année de 2000 à 2008 en raison d’une erreur administrative, ce qui avait entraîné un trop-payé de traitement basé sur son utilisation de ses crédits de congé annuel. Ce trop-payé totalisait 11 564,85 $, en fonction du traitement qu’elle avait gagné au cours de chacune des années pendant lesquelles elle avait pris des congés annuels. La fonctionnaire s’est fait dire que les 11 564,85 $ seraient recouvrés le plus tôt possible en vertu du paragraphe 155(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques (la « LGFP »), qui se lit comme suit :

155. (3) Le receveur général peut recouvrer les paiements en trop faits sur le Trésor à une personne à titre de salaire, de traitements ou d’allocations en retenant un montant égal sur toute somme due à cette personne par Sa Majesté du chef du Canada.

17 Mme Bennett a expliqué que la fonctionnaire avait touché une indemnité de départ lorsqu’elle avait pris sa retraite et que son service continu avait donc commencé le 30 septembre 1999, date à laquelle elle avait repris du service. Il s’ensuit que la fonctionnaire aurait dû gagner 112,5 heures plutôt que 187,5 heures de crédits de congé annuel par année. Mme Bennett a déclaré que son analyse des crédits de congé annuel de la fonctionnaire avait été vérifiée par Joe Dziak, gestionnaire par intérim des Services de la rémunération et des avantages sociaux, ainsi que par un conseiller technique. Selon elle, le rôle des conseillers techniques consiste à vérifier les calculs des conseillers en rémunération et en avantages sociaux. En d’autres termes, ce sont des spécialistes en la matière.

18 Mme Bennett a poursuivi en déclarant que la partie du Guide d’administration de la paye du Conseil du Trésor intitulée Recouvrement des montants dus à Sa Majesté — Demande de taux de recouvrement moins élevé — permet aux employés qui doivent des trop-payés substantiels non seulement d’étaler le remboursement sur plusieurs périodes de paie, mais aussi de réduire le taux de recouvrement. M. Dziak a approuvé la demande de la fonctionnaire d’étaler la période de remboursement ainsi que de réduire le taux de recouvrement en le ramenant de 10 % à 2,5 % du traitement brut, en raison des difficultés que la fonctionnaire avait invoquées.

19 Mme Bennett a témoigné que l’employeur a commencé à recouvrer le trop-payé le 7 février 2008, à raison de 49,82 $ par période de paie (pièce E-6).

20 En contre-interrogatoire, Mme Bennett a reconnu que le recouvrement du trop-payé a commencé huit ans après que la fonctionnaire a repris du service. Elle a également reconnu que les fonctionnaires reçoivent chaque année un relevé annuel de leurs crédits de congé signé par l’employeur, et que l’employeur avait approuvé les demandes de congé annuel de la fonctionnaire.

21 Mme Bennett a de plus reconnu avec le représentant de l’agent négociateur que le paragraphe 155(3) de la LGFP dispose que le receveur général peut recouvrer les paiements en trop et non qu’il les recouvre ou qu’il doit les recouvrer. Toutefois, elle a déclaré que son employeur lui avait enjoint de se conformer à la partie intitulée Service continu/discontinu du Guide d’administration de la paye pour recouvrer le trop-payé dont la fonctionnaire avait bénéficié.

22 Mme Bennett s’est fait demander par le représentant de l’agent négociateur si l’article 52 de la convention collective avait pour but de permettre à l’employeur d’accorder rétroactivement aux employés des congés payés ou non payés pour d’autres raisons. Elle a répondu [traduction] : « C’est peut-être possible, mais je ne connais pas les règles pour ça. »

23 En réinterrogatoire, quand l’avocate de l’employeur a demandé à Mme Bennett si elle connaissait des circonstances dans lesquelles l’employeur avait rétroactivement accordé un congé payé ou non payé en vertu de l’article 52 de la convention collective pour recouvrer un paiement en trop sur le Trésor, elle a répondu [traduction] : « Non, je pense qu’on accorde habituellement un congé payé ou non payé pour d’autres raisons d’une journée en cas de tempête de neige. »

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

24 Le représentant de l’agent négociateur a déclaré que l’employeur avait fait une erreur de bonne foi. Cela ne devrait toutefois pas l’empêcher d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’agir raisonnablement, compte tenu des circonstances. La fonctionnaire a mis en doute les crédits de congé annuel qu’on lui accordait, tout comme sa superviseure, et ce, à plusieurs reprises. L’employeur a des conseillers techniques spécialistes de ces questions, mais il a choisi de ne pas avoir recours à eux quand la fonctionnaire l’a informée des ses doutes pour la première fois. En outre, la fonctionnaire a supposé que le relevé de ses crédits de congé annuel établi par l’employeur qu’elle recevait chaque année était valide; qui plus est, l’employeur approuvait les demandes de congé annuel qu’elle lui présentait tous les ans.

25 Le représentant de l’agent négociateur a fait valoir que la LGFP dispose que le receveur général peut recouvrer tous les paiements en trop. Cette disposition n’oblige toutefois pas l’employeur à recouvrer les sommes qui lui sont dues; il peut aussi décider d’agir raisonnablement. Compte tenu du temps qu’il a fallu à l’employeur pour découvrir l’erreur, il aurait été raisonnable qu’il décide de ne pas recouvrer le trop-payé.

26 Le représentant de l’agent négociateur a souligné que l’article 52 de la convention collective offre aussi à l’employeur la possibilité de recouvrer le trop-payé en se servant de son pouvoir discrétionnaire de substituer au recouvrement des congés payés ou non payés, mais qu’il a choisi de ne pas le faire.

27 Le représentant de l’agent négociateur a fait valoir que la fonctionnaire ne s’est pas enrichie injustement. Elle n’a pas fait de fausse représentation. Elle a accepté le calcul que l’employeur faisait de ses crédits de congé annuel pendant huit ans. Durant cette période, l’employeur a accepté ses demandes de congé annuel. La fonctionnaire a témoigné que le recouvrement du trop-payé lui causait des difficultés financières, parce que ce n’était pas prévu et que son mari travaille à temps partiel.

28 Le représentant de l’agent négociateur m’a renvoyé aux quatre décisions suivantes : Molbak c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Impôt), dossier de la CRTFP 166-02-26472 (19950928); British Columbia (Public Service Employee Relations Commission) v. British Columbia Government and Service Employee Relations’ Union (1999), 84 L.A.C. (4e) 252 (« British Columbia Government »); Adamson c. Conseil du Trésor (Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-16207 (19880211); Conlon et al. c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-25629 à 25631 (19970604).

29 Enfin, le représentant de l’agent négociateur a déclaré que les faits en l’espèce sont semblables à ceux dans British Columbia Government, décision dans laquelle l’arbitre croyait que l’employeur ne pouvait pas recouvrer un trop-payé d’un employé après six ans. Je devrais donc me conformer à la jurisprudence et accueillir le grief.

B. Pour l’employeur

30 L’avocate de l’employeur a soutenu que les crédits de congé annuel excédentaires accordés à la fonctionnaire étaient imputables à une erreur administrative. Par conséquent, l’employeur est tenu de recouvrer le paiement en trop de son traitement en vertu du paragraphe 155(3) de la LGFP.

31 L’avocate de l’employeur a déclaré que la fonctionnaire avait soulevé la question de ses crédits de congé annuel en 2002 et que leur vérification s’est terminée en 2007. La décision invoquée par le représentant de l’agent négociateur, British Columbia Government, n’est pas une décision rendue par la Commission des relations de travail dans la fonction publique ni par une cour de justice. Elle n’est donc pas exécutoire. Néanmoins, l’employeur n’a pas dépassé la limite de six ans applicable au recouvrement des paiements en trop mentionnée dans British Columbia Government,puisque la fonctionnaire n’avait informé l’employeur de ses doutes qu’en 2002 et que l’erreur a été découverte en 2007.

32 L’avocate de l’employeur a déclaré que l’employeur a pris des mesures pour recouvrer le paiement en trop dès qu’il a constaté l’erreur administrative ayant causé les crédits de congé annuel excédentaires de la fonctionnaire. L’employeur a admis qu’il est compréhensible que la fonctionnaire soit perturbée. Toutefois, afin de réduire au minimum les répercussions de sa décision de recouvrer le trop-payé, il a accepté de ramener le taux de recouvrement de 10 % du traitement mensuel à 2,5 % du traitement mensuel de la fonctionnaire, ce qui prolonge la période de recouvrement, faisant ainsi preuve de discernement et de souplesse.

33 L’avocate de l’employeur a déclaré que l’article 52 de la convention collective n’est pas censé permettre la substitution de congés payés ou non payés à des recouvrements de trop-payés dus à Sa Majesté. Mme Bennett a témoigné que cet article a pour but de donner à l’employeur la possibilité de se servir de son jugement pour gérer des situations ponctuelles, comme une tempête de neige.

34 L’avocate de l’employeur a fait valoir que c’est à la fonctionnaire qu’il incombe de prouver qu’elle éprouverait des difficultés financières. En d’autres termes, elle devrait avancer les preuves (en dollars) pour chaque année que l’employeur lui a fait bénéficier de crédits de congé annuel excédentaires et des difficultés financières qu’elle aurait subies en conséquence. Cela signifie qu’elle aurait dû prouver une créance désavantageuse. La fonctionnaire n’a pas produit de preuve à l’appui de son allégation de difficultés financières. Cette prétention n’est donc pas fondée, et son grief doit par conséquent être rejeté.

35 L’employeur a demandé que le grief soit rejeté en me renvoyant aux décisions suivantes : Veilleux et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 152; Bolton c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), 2003 CRTFP 39; Ellement c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27688 (19970611); Prichard c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-14277 (19840724).

IV. Motifs

36 La fonctionnaire a présenté un grief pour contester la décision de l’employeur de recouvrer rétroactivement un trop-payé de 11 564,85 $, soit l’équivalent de crédits excédentaires de 521,175 heures de congé annuel dans sa réserve de crédits de congé accumulés de l’exercice 2000-2001 à l’exercice 2007-2008.

37 La fonctionnaire a témoigné avoir constaté en 2002, dans son relevé de crédits de congé annuel qu’on lui avait crédité cinq semaines de congé annuel. Elle croyait qu’elle aurait dû avoir droit à quatre semaines seulement de congé annuel. Elle a rencontré Mme Llano-Rodriguez, sa superviseure, Mme Hunt, sa conseillère en rémunération, et Mme Russell, la chef de la Rémunération, pour s’assurer qu’elle avait bel et bien droit à cinq semaines (187,5 heures) plutôt qu’à quatre semaines (112,5 heures) de congé annuel par exercice.

38 L’employeur l’a assurée lors de plusieurs rencontres qu’elle avait droit à 187,5 heures de congé annuel par exercice.

39 En décembre 2007, Mme Bennett, la conseillère en rémunération de la fonctionnaire, l’a informée qu’on lui avait crédité 187,5 heures plutôt que les 112,5 heures de congé annuel auxquelles elle avait droit par exercice en raison d’une erreur administrative. Les crédits excédentaires de congé annuel avaient commencé à s’accumuler au cours de l’exercice 2000-2001. Le résultat de cette erreur administrative était l’équivalent de 521,175 heures de congé annuel, soit de 11 564,85 $, montant calculé en fonction du traitement que la fonctionnaire avait gagné dans chacun des exercices (2000 à 2007).

40 Quand la fonctionnaire a été informée de la décision de recouvrer 11 564,85 $ en retenant cette somme sur son traitement bihebdomadaire, elle a déclaré que cela lui causerait des difficultés financières. L’avocate de l’employeur a maintenu que le paragraphe 155(3) de la LGFP autorise le receveur général à recouvrer les sommes dues à Sa Majesté. Elle a également fait valoir que l’employeur s’était prévalu de son pouvoir discrétionnaire afin de réduire au minimum les répercussions du recouvrement sur la fonctionnaire en ramenant le taux de recouvrement standard de 10 % à 2,5 % de son traitement mensuel. L’avocate de l’employeur a également soutenu que la fonctionnaire n’avait pas produit de preuve de créance désavantageuse, de sorte que son grief doit être rejeté.

41 En 2002, la fonctionnaire a communiqué à plusieurs reprises avec sa superviseure, avec sa conseillère en rémunération ainsi qu’avec la chef de la Rémunération pour s’assurer qu’elle avait bien droit à 187,5 heures de congé annuel par année. L’employeur l’a assurée qu’elle y avait droit. Mme Bennett a témoigné que le ministère avait des conseillers techniques spécialisés en la matière pour appuyer les conseillers en rémunération. Pour des raisons connues seulement de l’employeur, il est évident soit que ces conseillers techniques ne sont pas des spécialistes en la matière, soit que les conseillers en rémunération ne font pas appel à eux. Quoi qu’il en soit, l’employeur avait la possibilité d’avoir recours aux services de ces conseillers techniques pour vérifier les crédits de congé annuel auxquels la fonctionnaire avait droit.

42 La fonctionnaire avait des raisons valables de croire qu’elle avait droit aux congés calculés par l’employeur, et ses demandes de congé ont été approuvées chaque fois qu’elle a pris des congés annuels.

43 Par ses propres calculs (pièce G-6b)), l’employeur a montré que la fonctionnaire s’était fait accorder 187,5 heures de congé annuel par an de l’exercice 2000-2001 à l’exercice 2007-2008. Chaque année, l’employeur produit un relevé des crédits de congé annuel de chaque employé précisant les heures de congé annuel portées à son crédit. En principe, les calculs de l’employeur sont valides, et s’ils ne le sont pas, on croirait que lorsqu’un conseiller en rémunération détermine les crédits de congé annuel auxquels chaque fonctionnaire a droit et l’utilisation de ses congés pour l’exercice, les éventuelles erreurs de calcul seraient corrigées.

44 Dans les cas de trop-payé, la jurisprudence de la Commission veut que la charge de prouver la créance désavantageuse incombe aux fonctionnaires s’estimant lésés. Le représentant de la fonctionnaire n’a jamais prouvé qu’il y ait eu créance désavantageuse de nature financière de sa part; il a plutôt allégué que rembourser le montant calculé causerait des difficultés financières à la fonctionnaire. Éprouver des difficultés financières n’équivaut pas à une créance désavantageuse. La créance désavantageuse existe au moment de l’erreur et découle du fait que le ou la fonctionnaire s’estimant lésé se fonde sur la déclaration ou sur l’erreur de l’employeur et contracte une dette ou agit d’une façon indiquant qu’il ou elle s’est fié à la parole ou à l’erreur de l’employeur à son détriment. Les difficultés financières découlent par contre de la découverte de l’erreur et de la demande de l’employeur qui s’ensuit de rembourser ce qui a été reçu à cause d’une erreur. Par conséquent, la doctrine de préclusion, telle qu’elle a typiquement été appliquée dans les cas d’argent payé en trop, ne peut pas être invoquée par la fonctionnaire comme fondement de son grief.

45 Cette affaire repose sur l’interprétation du paragraphe 155(3) de la LGFP, qui dispose que : « Le receveur général peut recouvrer les paiements en trop […] à titre de salaire, de traitements ou d’allocations […] »

46 C’est sur ce paragraphe que l’employeur a basé sa décision de justifier le recouvrement. Les parties n’en ont pas contesté l’application puisqu’il a été appliqué dans le passé sans opposition. Toutefois, je conclus qu’il ne s’applique pas dans les circonstances.

47 Le paragraphe 155(3) s’applique aux paiements d’argent en trop. Il dispose clairement que les pouvoirs de recouvrement de l’employeur visent « les paiements en trop […]à titre de salaire, de traitements ou d’allocations ». L’expression « paiement en trop » est significative, tout comme l’expression « à titre de salaire, de traitements ou d’allocations ». Ce sont des termes de l’art correspondant à des concepts distincts de celui des crédits de congé annuel. Les crédits de congé ne sont pas un salaire, un traitement ni des allocations, ce sont des crédits. Tous ces termes (crédits, salaire, traitements, allocations) sont des termes de l’art en droit du travail et même si le salaire, le traitement et les allocations peuvent se ressembler, ce sont des concepts bien différents de ceux des crédits de congé annuel.

48 Lorsqu’un employé prend deux semaines de congé, l’employeur ne convertit pas cette période de congé en son équivalent en argent. Il déduit simplement l’équivalent de crédits de congé de la réserve de crédits de congé de l’employé, dont le total est exprimé en heures, en jours ou en semaines, mais pas en dollars. La convention collective prévoit la conversion de crédits en dollars seulement lorsqu’un employé quitte la fonction publique et que ses crédits de congé annuel inutilisés doivent être encaissés. La clause 34.13 de la convention collective le stipule :

Lorsque l’employé-e décède ou cesse d’occuper son emploi pour une autre raison, sa succession ou lui-même ou elle-même touche un montant égale au produit obtenu en multipliant le nombre de jours de congé annuel et de congé d’ancienneté acquis, mais inutilisés, portés à son crédit par le taux de rémunération journalier […]

49 Cela ne signifie pas que les crédits soient de l’argent. Ils restent des crédits, qui doivent alors être convertis en leur équivalent en argent par nécessité. La clause 34.13 prévoit leur conversion en argent puisque l’employeur ne peut plus faire bénéficier l’employé de l’avantage social qu’il a gagné, à savoir le congé. C’est pour cette raison que la conversion des crédits en argent est nécessaire.

50 En déclarant ce qui suit, je devrais préciser que l’employeur n’est pas entièrement privé de recours. S’il lui est impossible de recouvrer les crédits de congé en se prévalant d’un mécanisme établi par la convention collective ou en vertu de la LGFP, il n’est pas obligé de renoncer à remédier à son erreur dans toutes les circonstances. Il pourrait se prévaloir de ses droits de gestion pour recouvrer les crédits de congé excédentaires dont la fonctionnaire a bénéficié par erreur. Toutefois, se prévaloir de ses droits de cette façon devrait être raisonnable. En l’espèce, le recouvrement des crédits plusieurs années après les avoir accordés et confirmés dans plusieurs relevés annuels de crédits de congé ainsi qu’après des demandes insistantes de la fonctionnaire sur le nombre d’heures de crédits de congé annuel portées à son crédit sont autant de facteurs qui m’amènent à conclure que la décision de la direction de se prévaloir de ses droits de gestion pour recouvrer le montant équivalent aux crédits excédentaires serait déraisonnable.

51 Si j’ai tort sur ce qui précède, et si le paragraphe 155(3) de la LGFP s’applique en l’espèce, je suis convaincu que la fonctionnaire devrait avoir gain de cause quand même. Comme les deux parties l’ont souligné dans leurs arguments, la fonctionnaire doit prouver une créance désavantageuse. La jurisprudence analyse typiquement ce principe en analysant les obligations financières des fonctionnaires s’estimant lésés et en vérifiant si ces obligations ont été contractées sur la foi des calculs de la rémunération effectués par l’employeur. Toutefois, ces décisions portent sur des affaires classiques de paiement en trop de traitement et de salaire. En l’occurrence, la fonctionnaire s’est fait accorder trop de crédits de congé annuel. Dans son cas, on devrait donc analyser la question de la créance désavantageuse du point de vue des actions d’une fonctionnaire qui s’est enquise de ces crédits et qui a reçu de l’employeur des assurances qu’ils avaient bel et bien été correctement portés à son crédit. La fonctionnaire a pris des congés en se fondant sur son relevé de crédits de congé et, en ce sens, elle s’est fiée à son détriment aux assurances de son employeur. Je conclus qu’elle a prouvé une créance désavantageuse de sa part.

52 Le paragraphe 155(3) de la LGFP n’était pas censé s’appliquer à une fonctionnaire ayant pris des congés auxquels elle n’avait pas droit. L’employeur peut quantifier les congés excédentaires qu’elle a pris en dollars s’il le désire, pour des fins comptables, mais il ne s’agit pas là techniquement d’une dette à Sa Majesté. La « dette » due par la fonctionnaire n’a certainement pas été contractée au titre de son salaire, de son traitement ou d’allocations. Ce qu’elle a reçu auquel elle n’avait pas droit, c’étaient des crédits de congé et non un salaire. En sa qualité de fonctionnaire, elle a touché le traitement annuel auquel elle avait droit. Ce qu’elle a reçu « d’extra », c’était la permission d’être absente du travail des jours où elle aurait normalement dû y être.

53 Même si la clause 34.04 de la convention collective prévoit une avance de crédits de congé annuel pour les employés qui n’ont pas suffisamment de crédits à leur actif, c’est la seule qui autorise l’employeur à recouvrer d’une façon quelconque des crédits de congé annuel :

34.08 b) À condition que l’employé-e ait été autorisé à partir en congé annuel pour la période en question, il lui est versé avant le début du congé annuel le paiement anticipé de rémunération. Tout paiement en trop relatif à de tels paiements anticipés de rémunération est immédiatement imputé sur toute rémunération à laquelle il ou elle a droit par la suite et est recouvré en entier avant tout autre versement de rémunération.

Cette clause ne s’applique toutefois pas dans la situation de la fonctionnaire, puisqu’il n’y a pas eu d’avance de crédits de congé annuel dans son cas; on lui a seulement accordé un excédent de crédits par erreur.

54 Dans les trois sections qui suivent, je vais examiner la jurisprudence de la Commission et de sa prédécesseure, de même que celle de la Cour fédérale, sur la question du recouvrement de trop-payés.

V. Jurisprudence de l’ancienne CRTFP

55 Dans Green (dossier de la CRTFP 166-02-393), l’arbitre de grief a rejeté l’idée que le principe de préclusion était applicable dans ce genre d’affaires (son approche a été catégoriquement rejetée depuis par d’autres arbitres). Il estimait clairement que les « paiements » versés par erreur étaient recouvrables.

56 Dans Pearce (dossier de la CRTFP 166-02-7016), le fonctionnaire s’estimant lésé avait présenté une demande de 20 jours de congé annuel que son superviseur avait approuvée. Toutefois, il n’avait pas les crédits de congé nécessaires, et l’arbitre a accueilli son grief contestant les mesures de recouvrement prises par l’employeur, en écrivant ce qui suit à la page 6 de la décision :

[…] L’employeur a clairement indiqué qu’il avait approuvé la demande de congé [de l’employé] s’estimant lésé et qu’il lui avait accordé la permission de partir en vacances sans lui dire qu’il se posait un problème. L’employé s’estimant lésé est donc parti pendant vingt jours sans avoir pu choisir entre revenir après dix-sept jours ou abandonner trois jours de salaire. Par conséquent, l’employeur a présenté les faits d’une certaine façon et l’employé s’estimant lésé s’y est fié, à son propre détriment.

57 Dans cette affaire, le superviseur avait agi dans l’ignorance de bonne foi (il croyait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait les crédits de congé nécessaires, alors que ce n’était pas le cas); en l’espèce, au contraire, l’employeur a non seulement eu la possibilité de vérifier ce qui en était, mais a expressément été invité à le faire par la fonctionnaire s’estimant lésée. Il ne peut donc pas prétendre à l’ignorance de bonne foi.

58 Dans Prichard (dossier de la CRTFP 166-02-14277), le fonctionnaire s’estimant lésé s’était retrouvé avec 200 jours de crédits de congé de maladie auxquels il n’avait pas droit à cause d’une erreur de l’employeur. Il avait utilisé la plus grande partie de ces crédits de congé de maladie avant de quitter son emploi, et l’employeur avait retenu le montant équivalent sur son indemnité de départ. La preuve avait révélé que le fonctionnaire s’estimant lésé savait qu’il n’avait pas droit à ces congés, mais qu’il n’avait rien dit et les avait presque tous pris. L’arbitre de grief a jugé qu’il n’existait pas de circonstances extraordinaires pouvant empêcher l’employeur de faire ce qu’il avait fait. Par contre, en l’espèce, on ne peut blâmer la fonctionnaire de rien, et j’estime qu’on doit conclure à l’existence de circonstances extraordinaires.

59 Dans Adamson, dossier de la CRTFP 166-02-16207, l’employeur avait tenté de recouvrer le trop-payé de traitement versé à la fonctionnaire s’estimant lésée quand il a calculé son nouveau traitement au moment de sa promotion. L’arbitre de grief a jugé que l’employeur avait donné à la fonctionnaire de l’information sur son traitement pour l’inciter à rester dans le poste qu’elle occupait par intérim et qu’il ne pouvait donc pas lui réclamer plusieurs mois plus tard une partie du traitement qu’il lui avait payé. L’arbitre de grief a déclaré que la fonctionnaire avait été incitée à agir d’une certaine façon par des arguments de l’employeur auxquels elle était censée se fier, sans toutefois mentionner ne serait-ce qu’une fois le mot préclusion. Cette décision est fondée sur l’existence d’une dette concrète au Trésor, ce qui signifie que la LGFP et l’interprétation traditionnelle du paragraphe 155(3) s’y appliquaient, alors que ce n’est pas le cas ici, selon moi.

60 Dans Conlon (dossiers de la CRTFP 166-02-25629 à 31), les fonctionnaires s’estimant lésés avaient bénéficié d’un paiement en trop de traitement par inadvertance dans le contexte d’une conversion de leur classification. L’arbitre de grief a conclu que l’employeur ne pouvait pas recouvrer les montants payés en trop en raison du principe de préclusion, parce que les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas présenté de griefs de classification en se fondant sur le fait qu’ils avaient touché l’augmentation en question. Ce cas est très intéressant en ce qu’il souligne que la notion de créance désavantageuse peut s’appliquer à autre chose qu’une dette qu’un fonctionnaire s’estimant lésé choisit de contracter (une hypothèque, un prêt automobile, un prêt pour des vacances, etc.). En l’espèce, la fonctionnaire s’estimant lésée a fait confiance à l’employeur à son détriment en prenant des vacances plus longues qu’elle ne l’aurait fait si elle avait su que ses vacances auraient été une combinaison de congé payé et non payé.

61 Dans Molbak (dossier de la CRTFP 166-02-26472), l’arbitre de grief a basé sa décision sur le principe de préclusion : la fonctionnaire s’estimant lésée s’était fait s’assurer par l’employeur qu’elle avait droit au traitement qu’on lui payait et c’était en fonction de ce traitement qu’elle avait acheté une copropriété. Quand on l’avait informée du trop-payé, elle avait tenté d’annuler cet achat, s’était trouvé deux colocataires, et ainsi de suite. Elle s’était clairement fiée à l’employeur à son détriment. Molbak est le cas classique d’un paiement en trop, et c’est à mon avis un cas différent de celui dont je suis saisi.

62 Dans Ellement (dossier de la CRTFP 166-02-27688), les parties reconnaissaient toutes deux que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été surpayé à partir de juin 1992 par suite d’une erreur d’écriture de la part de l’employeur sur la date à compter de laquelle il aurait eu droit à une augmentation d’échelon de rémunération. La plus grande partie du trop-payé était attribuable au fait que l’erreur s’était poursuivie durant la période de gel législatif terminée en juin 1996. Le fonctionnaire s’estimant lésé s’était servi d’une partie des sommes payées en trop pour s’offrir une croisière et d’une autre partie pour investir dans des fonds communs de placement, mais il avait reconnu avoir fait des croisières et avoir investi dans de tels fonds avant d’avoir reçu un trop-payé. Le fait qu’il avait dépensé l’argent ne prouvait pas une créance désavantageuse, dans ces circonstances. L’arbitre de grief a jugé que le fonctionnaire ne pouvait pas invoquer la créance désavantageuse et que la doctrine de préclusion ne s’appliquait pas. Là encore, je ferais une distinction entre cette affaire et celle dont je suis saisi parce qu’il s’agit dans Ellement d’un paiement en trop comme celui dont il est question au paragraphe 155(3) de la LGFP.

VI. Jurisprudence de la CRTFP

63 Dans Bolton, 2003 CRTFP 39, le fonctionnaire s’estimant lésé, un enseignant d’Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC), avait présenté un grief pour contester la décision de l’employeur de recouvrer un paiement en trop de traitement résultant de ses calculs erronés des augmentations annuelles d’échelon de rémunération de l’intéressé. L’arbitre de grief a jugé que c’était au fonctionnaire d’établir que le principe de préclusion s’appliquait, en concluant qu’il ne s’était pas acquitté de cette charge faute de l’avoir convaincu qu’il s’était fié à son détriment à l’erreur de calcul de son traitement. L’arbitre de grief a également déclaré qu’il n’y avait aucune indication de projets particuliers entrepris ni d’engagements financiers contractés par suite de la réception des paiements en cause, ni que recevoir cet argent ait changé le moindrement la position du fonctionnaire. La nature de la présente affaire est très différente.

64 Dans Veilleux et al. (2009 CRTFP 152), l’employeur avait obligé les fonctionnaires s’estimant lésés à lui rembourser les heures de congé excessives qu’ils avaient prises lors de jours fériés désignés payés. L’employeur rapprochait normalement le solde de ces heures régulièrement, mais il avait omis de le faire entre 2002 et 2006, parce qu’un employé était en retard dans son travail. Les fonctionnaires s’estimant lésés ne contestaient pas que, pour l’employeur, un jour férié désigné payé correspondait à huit heures et ils reconnaissaient le droit de l’employeur de recouvrer les trop-payés au cours de l’année précédente, en déclarant toutefois qu’il allait trop loin en réclamant les trop-payés sur plusieurs années. Même si l’employeur n’avait pas été diligent dans son rapprochement et s’il n’aurait pas tant tardé à recouvrer les montants en question, les fonctionnaires eux-mêmes avaient été négligents en ne l’informant pas qu’il s’était accumulé des trop-payés au titre de ces congés. Les griefs ont été rejetés. Ce cas est différent de celui dont je suis saisi sous deux aspects. Premièrement, je ne suis pas disposé à accepter que le paragraphe 155(3) s’applique en l’espèce. Deuxièmement, la fonctionnaire s’estimant lésée est tout à fait innocente et ne peut absolument pas être accusée d’avoir fait preuve de négligence en ne signalant pas la situation à l’employeur. C’est le contraire qui est vrai : elle l’a alerté, et à deux reprises. Ce n’est pas elle qui a été négligente, c’est l’employeur. Le raisonnement de l’arbitre dans Veilleux n’est pas applicable en l’espèce.

VII. Jurisprudence de la Cour fédérale

65 Dans Andrews c. Brent [1981] 1 C.F. 181, la Cour fédérale a reconnu le droit de l’employeur de recouvrer en le retenant sur la paie de l’employé un montant servant à couvrir le coût des réparations d’un véhicule endommagé à cause de la négligence de l’employé. Cette affaire est souvent citée (dans Prichard,par exemple) comme jurisprudence favorable au droit de recouvrement de l’employeur. Il faut toutefois se rappeler que l’employé en question avait clairement été négligent, qu’il était responsable des dommages et que la Cour a conclu (à la page 188) que la Couronne pouvait avoir recours à ce qu’elle a décrit comme une « procédure administrative législative » (l’article sur le recouvrement de la LGFP identique à la disposition en jeu dans la présente affaire) dans le cadre d’une poursuite au civil. Une disposition particulière découlant de la LGFP autorisait en effet Sa Majesté à réclamer le remboursement du coût des dommages à la propriété imputables à des employés. Bref, le contexte dans Andrews est bien différent de celui de cette affaire-ci.

66 Dans Ménard c. Canada[1992] 3 C.F. 521, la Cour d’appel fédérale était saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par deux infirmières contestant une décision de la Commission, qui avait rejeté leur grief. Par suite d’une erreur d’interprétation de la convention collective, l’employeur les avait payées au taux des heures supplémentaires pour certaines heures travaillées, puis avait recouvré le montant payé en trop après avoir constaté l’erreur.

67 La Cour d’appel fédérale a accueilli la demande d’une des fonctionnaires et rejeté celle de l’autre. Dans son arrêt, elle a déclaré que si l’une des demanderesses n’avait pas prouvé la créance désavantageuse, l’autre pouvait bénéficier de l’application du principe d’un enrichissement injuste. Cette affaire diffère de celle dont je suis saisi en ce qu’il s’agissait là d’une simple application de la disposition pertinente de la LGFP et d’un paiement en trop de traitement plutôt que de crédits de congé excédentaires. Néanmoins, la Cour avait clairement de la sympathie pour la fonctionnaire et voulait trouver un moyen d’accueillir la demande de contrôle judiciaire. En fait, la plupart des décisions de la Commission et de sa prédécesseure témoignent d’une volonté de corriger l’injustice.

VIII. Résumé

68 Les décisions portant sur le recouvrement de trop-payés ont toutes été focalisées sur le concept de préclusion, puisqu’il était reconnu que la disposition de la LGFP s’appliquait dans les affaires de ce genre. À mon avis, la question à trancher en l’espèce consiste d’abord et avant tout à savoir si le paragraphe 155(3) de la LGFP s’applique à la fonctionnaire s’estimant lésée. Je suis convaincu qu’il ne s’applique pas à elle, pour les motifs que j’ai exposés.

69 Puisque rien dans la loi ni dans la convention collective ne porte sur cette question, les droits généraux de la direction prévalent, et ces droits donnent à l’employeur une grande latitude pour corriger ses erreurs. Il reste que son pouvoir discrétionnaire doit être exercé raisonnablement, et le recouvrement d’une dette résultant de la négligence de l’employeur qu’on a laissé s’accumuler pendant des années en dépit des demandes de la fonctionnaire pour qu’on détermine ses droits est un exercice déraisonnable de ce pouvoir. Dans le cas de la fonctionnaire, la créance désavantageuse est évidente du fait qu’elle a pris des congés auxquels elle était convaincue d’avoir droit.

70 Enfin, le paragraphe 155(3) de la LGFP dispose que le receveur général peut recouvrer les paiements en trop, mais pas qu’il doit le faire ou qu’il le fait nécessairement. Cette disposition n’est nullement restrictive, de sorte qu’elle autorise l’employeur à exercer son pouvoir discrétionnaire dans une situation ou dans des circonstances données.

71 La fonctionnaire a témoigné que le recouvrement des 11 564,85 $ lui causait des difficultés financières parce que son mari travaille à temps partiel. L’avocate de l’employeur a eu la possibilité de contre-interroger la fonctionnaire sur la gravité de ses difficultés financières année par année. Elle a choisi de ne pas le faire. Selon la prépondérance des probabilités, une personne raisonnable pourrait conclure qu’une AS-02 qui reçoit une facture de 11 564,85 $ à laquelle elle ne s’attend pas éprouverait des difficultés financières. Je reconnais que l’employeur s’est prévalu d’un minimum de son pouvoir discrétionnaire en ramenant le taux de recouvrement de 10 % à 2,5 %. Néanmoins, dans cette affaire, parce que l’employeur a trop tardé à découvrir son erreur administrative, qu’il n’a pas été vigilant et qu’il n’a pas eu recours à toutes ses ressources pour confirmer les crédits de congé annuel auxquels la fonctionnaire avait droit, je conclus que sa décision de recouvrer la totalité (11 564,85 $) du trop-payé converti sous forme de salaire était déraisonnable.

72 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IX. Ordonnance

73 Le grief est accueilli.

74 L’employeur remboursera à la fonctionnaire toute portion déjà recouvrée des 11 564,85 $.

75 La fonctionnaire n’a pas réclamé d’intérêts sur le montant recouvré par l’employeur. Je ne me prononce donc pas sur cette question dans ma décision.

Le 23 août 2010.

Traduction de la CRTFP

Dan R. Quigley,
arbitre de grief

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