Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Selon les allégations de la plaignante, l’énoncé des critères de mérite aurait été modifié de manière incorrecte au cours du processus. C’est ainsi qu’une personne avait été retenue au terme de la présélection et jugée qualifiée sans posséder les qualifications essentielles pour le poste. La plaignante a soutenu d’autre part que l’évaluation de ses qualités personnelles comportait des failles car le comité aurait dû demander aux répondants de fournir des renseignements additionnels. L’intimé a fait valoir que malgré les erreurs commises dans le processus, il n’y avait pas de mauvaise foi. Selon lui, l’erreur du comité se trouvait dans l’application incorrecte des outils d’évaluation avec pour effet de modifier les exigences relatives à l’expérience, ainsi que dans l’évaluation inappropriée des qualités personnelles de la plaignante. L’intimé a soutenu que la plainte n’avait aucun intérêt pratique vu que l’intimé avait révoqué la nomination. Décision Le Tribunal a jugé que le comité avait commis une erreur en considérant que l’expérience en gestion et l’expérience en leadership étaient interchangeables. Les nominations doivent être fondées sur le mérite. Le fait de modifier les qualifications essentielles relatives à l’expérience pour ensuite nommer une personne qui ne possédait pas l’expérience en gestion nécessaire a donné lieu à un résultat inéquitable. La vérification des références constituait le seul outil utilisé pour l’évaluation des qualités personnelles. L’intimé a reconnu s’être fondé sur des éléments insuffisants pour évaluer la candidature de la plaignante; le comité n’avait pas pris des mesures raisonnables pour déterminer s’il était possible d’obtenir tous les éléments d’information nécessaires, il aurait pu par exemple demander aux répondants de fournir plus de détails. Le Tribunal a conclu que les diverses erreurs et omissions relevées étaient le fait d’une insouciance grave s’apparentant à de la mauvaise foi. Enfin, le Tribunal a réfuté l’argument de l’intimé selon lequel la révocation de la nomination rendait l’affaire sans intérêt pratique. La compétence du Tribunal a été établie dès l’affichage de la notification de nomination ou de proposition de nomination, et les mesures subséquentes prises par l’intimé ne sauraient l’invalider. Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2009-0184
Décision Rendue à:
Ottawa, le 15 octobre 2010

VICTORIA MORGENSTERN
Plaignante
ET
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est accueillie
Décision rendue par:
Joanne B. Archibald, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Morgenstern c. le commissaire du Service correctionnel du Canada
Référence neutre:
2010 TDFP 0018

Motifs de décision


Introduction


1Victoria Morgenstern a posé sa candidature au poste de coordonnateur régional (Initiative sur la santé mentale dans la collectivité) (AS-07) au Service correctionnel du Canada, à Toronto (Ontario). Elle a été jugée non qualifiée. Elle soutient que l’énoncé des critères de mérite (ECM) a été modifié de façon inappropriée au cours du processus, de sorte que la personne nommée, qui ne possédait pas les qualifications essentielles du poste, a été retenue au terme de la présélection et jugée qualifiée. La plaignante affirme également que l’évaluation de ses qualités personnelles comportait des failles.

2L’intimé, le commissaire du Service correctionnel du Canada, a d’abord soutenu qu’il n’y avait pas eu d’abus de pouvoir. Au cours de l’audience, il a admis que des erreurs avaient été commises au cours du processus et a indiqué au Tribunal que la nomination en cause avait été révoquée. Cette question est abordée en détail ci-après.

Contexte


3La plaignante a répondu à une annonce de possibilité d’emploi affichée en ligne sur Publiservice. La première étape du processus était la présélection des candidats, qui consistait à examiner les dossiers de candidature en vue de déterminer s’ils satisfaisaient aux critères relatifs aux études et à l’expérience.

4Il a été déterminé que la plaignante satisfaisait aux critères de présélection, et celle-ci a été convoquée à une entrevue le 13 janvier 2009. Elle a fourni le nom de deux personnes pouvant fournir des références professionnelles à son sujet (superviseurs immédiats ou pairs), conformément à ce qui lui avait été demandé. Les répondants ont été contactés après l’entrevue.

5La vérification des références est le seul outil utilisé pour l’évaluation des qualités personnelles, à savoir le leadership, le jugement, l’esprit d’initiative et la souplesse. À la lumière des références fournies au sujet de la plaignante, il a été déterminé que cette dernière ne possédait pas la qualité essentielle du leadership. Cette qualité personnelle n’a pas fait l’objet d’une évaluation plus poussée, et la plaignante a été avisée le 20 février 2009 qu’elle était jugée non qualifiée.

6Le 24 février 2009, l’intimé a affiché une notification de candidature retenue indiquant que Jennifer Gravelle avait été retenue pour le poste. Une notification de nomination ou de proposition de nomination a par la suite été affichée le 9 mars 2009. Le 24 mars 2009, la plaignante a présenté une plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’art. 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

Résumé des éléments de preuve pertinents


7Cinq critères relatifs aux études et à l’expérience ont été utilisés pour la présélection des candidats au cours du processus de nomination. Deux critères relatifs à l’expérience sont remis en cause : l’expérience de la gestion et de l’exercice d’un leadership dans la collectivité ou en établissement (EX1), et l’expérience de la gestion d’une équipe interdisciplinaire (EX2).

8Dans son témoignage, la plaignante a abordé en détail les documents relatifs à la candidature de Mme Gravelle, la personne retenue. À son avis, l’expérience décrite par Mme Gravelle illustre l’exercice des fonctions standard d’une infirmière. La plaignante considère que même si Mme Gravelle est « clairement une infirmière compétente » [traduction], elle n’a pas agi en qualité de gestionnaire ni de chef. Cette dernière a été coanimatrice ou membre d’équipes interdisciplinaires, mais elle n’a jamais géré ou dirigé d’équipe. Elle n’a jamais géré de cliniques, de personnel ou de budgets. À ce titre, Mme Gravelle n’a pas démontré qu’elle possédait l’expérience de la gestion nécessaire pour satisfaire aux critères EX1 ou EX2.

9L’intimé a fourni la définition des critères EX1 et EX2 qui ont été utilisés et appliqués par le comité d’évaluation :

Expérience de la gestion et de l’exercice d’un leadership dans la collectivité ou en établissement. Au sens large, le comité a pris en compte toute expérience de la gestion et/ou de l’exercice d’un leadership.

Expérience de la gestion d’une équipe interdisciplinaire. Au sens large, le comité a pris en compte toute expérience de la gestion et/ou de la direction d’une équipe interdisciplinaire.

[traduction]

10Le Dr Tony Glover faisait partie des membres du comité d’évaluation. Il a seulement participé à la présélection des candidats. Le Dr Glover a indiqué que le comité considérait que les termes « gestion » et « leadership » étaient synonymes. Le comité était d’avis que les candidats pouvaient démontrer qu’ils avaient l’expérience de la gestion ou de l’exercice d’un leadership pour satisfaire aux exigences des critères EX1 et EX2.

11Le Dr Glover a donné des exemples illustrant l’approche adoptée par le comité. Par exemple, il a mentionné que si un candidat avait été chargé d’attribuer des tâches à d’autres personnes, et ce, même pour quelques quarts de travail seulement à titre d’infirmier responsable, il satisfaisait aux exigences du critère EX1. En ce qui concerne le critère EX2, le Dr Glover a indiqué que le fait de présider une réunion suffisait à convaincre le comité que le candidat satisfaisait à l’exigence concernant la gestion d’une équipe interdisciplinaire. Les candidats n’avaient pas à démontrer qu’ils avaient déjà exercé des pouvoirs en matière de dotation ou de finances.

12Le Dr Glover a déclaré qu’il a été déterminé que Mme Gravelle satisfaisait aux critères relatifs à l’expérience EX1 et EX2 en raison de la déclaration suivante formulée dans sa demande : « Je crois que mon expérience de la gestion de l’équipe interdisciplinaire chargée des traitements de même que de l’élaboration, de la mise en œuvre et de l’évaluation de programmes m’aidera à accomplir les tâches liées au poste, ainsi que mes aptitudes à communiquer et ma capacité d’assurer la liaison avec les ressources de la collectivité. » [traduction] Mme Gravelle a également affirmé avoir dirigé l’examen des équipes chargées des traitements et des cliniques psychiatriques. Le Dr Glover a mentionné que Mme Gravelle ne semblait pas avoir accompli de tâches administratives relatives à la gestion des cliniques ni avoir exercé de pouvoir en matière de finances ou de ressources humaines. Cependant, le comité était d’avis qu’elle avait mis sur pied des cliniques, et déterminé quels patients pouvaient prendre rendez-vous et consulter un psychiatre. Pour ces motifs, il a été déterminé qu’elle satisfaisait aux critères EX1 et EX2.

13En ce qui concerne l’évaluation des qualités personnelles, le comité a ainsi défini le leadership :

QP1 : Leadership

  • La capacité d’influer efficacement sur les opinions, les comportements et les attitudes d’autres personnes;
  • la capacité d’inspirer l’attention et le respect;
  • la capacité de donner des directives et des instructions à des subalternes;

la capacité d’inciter les autres à déployer de plus grands efforts et à assumer des responsabilités.

[traduction]

14Les documents de la vérification des références de la plaignante ont été déposés en preuve. La première répondante, Joan Graham, était une ancienne collègue et gestionnaire de la plaignante. Les questions et les réponses sur le leadership ont été ainsi consignées :

Décrivez la capacité du candidat (donnez des exemples) :

a) De diriger une initiative en vue d’obtenir des résultats concrets;

Victoria est respectée et considérée comme une infirmière très compétente et une personne qui prend ses responsabilités au sérieux.

Aux réunions du personnel, où elle a fait des présentations, elle s’est exprimée de façon très éloquente et claire dans les discussions concernant des enjeux liés à notre travail. C’est une véritable professionnelle.

b) De gérer le personnel avec efficacité et motivation.

Comme je l’ai indiqué précédemment, elle est tout à fait capable d’accomplir cette tâche. Elle transmet les messages de façon claire et sans porter de jugement. Il est clair que son objectif est d’offrir le meilleur service possible aux clients.

[traduction]

15La plaignante a indiqué que même si les remarques de la répondante étaient brèves, les termes qu’elle a utilisés pour la décrire étaient évocateurs dans le contexte des services infirmiers. L’utilisation du terme « professionnelle » [traduction] supposait nécessairement un leadership, et la plaignante est d’avis que la répondante indiquait qu’elle faisait preuve du leadership dont les infirmiers doivent faire preuve au travail. Au terme de l’entrevue avec cette répondante, la plaignante a obtenu la note de 1/5 pour la qualité du leadership.

16La plaignante a également examiné les références fournies par Dan Barker, gestionnaire des programmes de travailleurs étrangers pour Service Canada, en Ontario. M. Barker a mentionné l’excellent travail que la plaignante a accompli au cours d’une période de changements de grande envergure. Il a jugé qu’elle était dévouée et digne de confiance, et qu’elle savait faire preuve de souplesse. Il a ajouté que même si elle était la superviseure qui avait nécessité le plus d’encadrement à l’époque, il l’engagerait volontiers à nouveau.

17La plaignante a déclaré que lorsqu’elle supervisait trois bureaux de Service Canada, elle relevait directement de M. Barker. Au sujet de la déclaration de ce dernier selon laquelle elle était la personne qui avait nécessité le plus d’encadrement parmi ses superviseurs, elle a expliqué, comme il était indiqué dans les références, que la supervision dans la fonction publique était une nouvelle tâche pour elle et que c’est dans ce domaine qu’elle avait reçu un encadrement. Elle a fait valoir que M. Barker a mentionné sa capacité d’obtenir l’adhésion à divers niveaux au cours d’une période de changements importants qu’elle a dirigés. Le répondant a mentionné qu’elle avait accompli un excellent travail et qu’il la réembaucherait. En ce qui concerne ce répondant, elle a obtenu la note 2/5.

18La plaignante a ajouté qu’au terme du processus de nomination, M. Brown, le président, lui a dit que ses références étaient correctes, mais peu détaillées.

Observations de la Commission de la fonction publique


19La Commission de la fonction publique (CFP) a présenté des observations écrites. Selon l’art. 16 de la LEFP, l’intimé est tenu de se conformer aux lignes directrices de la CFP au moment d’exercer le pouvoir qui lui a été délégué en matière de dotation.

20Aux termes des Lignes directrices en matière de nomination de la CFP (Généralités), le mérite est à la base des décisions de nomination. Selon les Lignes directrices en matière d’annonce dans le processus de nomination de la CFP, « l’information est fournie pour permettre aux personnes qui sont dans la zone de sélection de prendre une décision éclairée ». La CFP fait remarquer qu’il n’était indiqué ni dans l’annonce de possibilité d’emploi ni dans l’ECM que les critères relatifs à la gestion et à l’exercice d’un leadership étaient interchangeables, même si le comité les a appliqués de cette façon. La CFP juge que les valeurs que sont la transparence et l’équité étaient en cause. Cette conclusion touche également la plaignante, ainsi que les autres personnes qui n’ont peut-être pas posé leur candidature étant donné qu’elles ne satisfaisaient pas aux deux critères, soit la gestion et l’exercice d’un leadership, qui auraient été présentés comme des exigences.

Argumentation


21La plaignante soutient que la candidature de Mme Gravelle a été retenue au terme de la présélection seulement parce que le comité d’évaluation a modifié considérablement les exigences relatives à l’expérience. Aucun élément de preuve n’indique que Mme Gravelle possédait l’expérience de la gestion nécessaire pour satisfaire aux critères EX1 ou EX2. Malgré le fait qu’il était clairement indiqué dans l’ECM que les candidats devaient posséder l’expérience de la gestion et de l’exercice d’un leadership, le comité a déterminé que ces critères étaient interchangeables, au lieu de les considérer comme deux exigences distinctes en matière d’expérience. En raison de l’approche adoptée par le comité, la candidature de Mme Gravelle a été retenue à l’étape de la présélection, même si elle ne possédait pas l’expérience de la gestion. Cette mauvaise décision du comité a donné lieu à un résultat inapproprié.

22Quant à la vérification des références, la plaignante soutient que si le comité jugeait que ses références étaient peu détaillées, il aurait dû demander aux répondants de fournir des renseignements supplémentaires.

23L’intimé affirme que même si le processus de nomination n’était pas parfait, il a pris des mesures en vue de corriger les erreurs. Ces mesures sont énoncées en détail dans les observations écrites suivantes, qui ont été fournies aux parties et au Tribunal au cours de l’audience :

« La présente vise à informer le Tribunal et toutes les parties que la seule nomination faite au terme du processus de nomination annoncé visé par la plainte en l’espèce a été révoquée par l’intimé le 18 juin 2010.

L’intimé admet qu’au moins deux erreurs ont été commises dans le processus de nomination.

  1. Les définitions utilisées par le comité de présélection ont eu pour effet de modifier les qualifications essentielles relatives à l’expérience exposées dans l’énoncé des critères de mérite (ECM). Selon ce qui est indiqué dans l’ECM, la personne nommée ne possède pas toutes les qualifications essentielles. En outre, la formulation de l’ECM a peut-être porté certains candidats potentiels à s’exclure du processus de nomination.
  2. L’évaluation des qualités personnelles de la plaignante était fondée sur des renseignements insuffisants. À l’audience, la plaignante a affirmé qu’aucun différend ne l’opposait aux membres du comité.

L’intimé reconnaît ces erreurs, mais soutient qu’elles ont été commises de bonne foi. D’autres erreurs ont peut-être eu une incidence sur le processus, mais compte tenu de ces deux erreurs seulement, l’intimé a décidé d’annuler l’ensemble du processus de nomination annoncé et il lancera un nouveau processus de nomination annoncé sous peu.

[traduction]

24L’intimé affirme que malgré les erreurs commises dans le processus, il n’y a pas eu de mauvaise foi. Le comité a commis une erreur en appliquant les outils d’évaluation d’une manière incorrecte, ce qui a modifié les exigences relatives à l’expérience, et en évaluant de façon inappropriée les qualités personnelles de la plaignante. Ce comportement illustre la négligence du comité.

25Compte tenu des mesures qui ont déjà été prises, l’intimé affirme que les questions sont maintenant sans objet.

Question en litige


26Le Tribunal doit trancher la question suivante :

L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir dans l’application du mérite lors du processus de nomination?

Analyse


27La plainte a été présentée en vertu de l’art. 77(1)a) de la LEFP, qui fait référence à l’art. 30(2). Les dispositions en question figurent ci‑après :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

[…]

30.

[…]

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

b) la Commission prend en compte :

  1. toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,
  2. toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,
  3. tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

28Le Tribunal conclut que le comité a agi de manière inappropriée en appliquant les qualifications relatives à l’expérience EX1 et EX2 d’une façon qui en a modifié la teneur. Selon ce qui est indiqué au critère EX1, les candidats doivent démontrer qu’ils possèdent l’expérience de la gestion et de l’exercice du leadership. De même, selon ce qui est indiqué au critère EX2, les candidats doivent démontrer qu’ils possèdent l’expérience de la gestion. Le comité a commis une erreur en interprétant que l’expérience de la gestion et l’expérience de l’exercice d’un leadership étaient synonymes ou interchangeables. S’ils devaient être interprétés ainsi, cela aurait été indiqué dans l’ECM, ce qui n’est pas le cas.

29Le Tribunal estime qu’en raison de cette erreur, le comité a retenu, à tort, la candidature de Mme Gravelle à l’étape de la présélection. Comme elle ne possédait tout simplement pas l’expérience de la gestion exigée aux critères EX1 et EX2, sa nomination ne respecte pas le principe du mérite énoncé à l’art. 30(2) susmentionné. Sa candidature n’aurait pas dû être retenue au terme de la présélection. Cependant, après cette étape, Mme Gravelle a passé toutes les étapes de l’évaluation et a été nommée, même si elle ne possédait pas les qualifications essentielles établies pour le poste.

30En ce qui concerne la vérification des références, l’intimé reconnaît avoir évalué la plaignante en se fondant sur des renseignements insuffisants. En admettant ce fait, il reconnaît de manière implicite que les références fournies n’étaient pas négatives, mais que peu de renseignements avaient été fournis, et que dans les circonstances, en particulier lorsque la vérification des références constituait leur seul outil utilisé pour l’évaluation des qualités personnelles, le comité a omis ou négligé de prendre des mesures raisonnables pour déterminer s’il était possible d’obtenir tous les renseignements nécessaires. Par exemple, le comité aurait tout simplement pu demander aux répondants de fournir des réponses plus détaillées. Le Tribunal estime qu’il n’était pas raisonnable pour le comité de conclure l’évaluation sans prendre de mesures supplémentaires.

31Il reste à déterminer si les actes de l’intimé constituent un abus de pouvoir. Dans la décision Jolin c. l’administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 0011, le Tribunal établit, au para. 67, que « […] l’abus de pouvoir n’est pas une simple erreur ou omission […] ». Les erreurs commises en l’espèce sont importantes, et le Tribunal estime qu’elles sont suffisamment graves pour constituer un abus de pouvoir.

32Dans la décision Tibbs c. le sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, le Tribunal mentionne cinq catégories d’abus de pouvoir, soit :

  1. Lorsqu’un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime (notamment dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes).
  2. Lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants (notamment lorsqu’il ne dispose d’aucun élément de preuve ou qu’il ne tient pas compte d’éléments pertinents).
  3. Lorsque le résultat est inéquitable (notamment lorsque des mesures déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives ont été prises).
  4. Lorsque le délégué commet une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.
  5. Lorsqu’un délégué refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d’examiner des cas individuels avec un esprit ouvert.

33L’intimé reconnaît avoir pris une décision en se fondant sur des renseignements insuffisants lorsqu’il a évalué les qualités personnelles de la plaignante. Comme le Tribunal l’a mentionné précédemment, en admettant ce fait, l’intimé reconnaît de manière implicite que le comité a omis ou négligé de prendre des mesures raisonnables pour déterminer s’il était possible d’obtenir tous les renseignements nécessaires à la vérification des références. Le fait de prendre une décision en se fondant sur des renseignements insuffisants est un acte qui correspond à la deuxième catégorie susmentionnée et qui constitue un abus de pouvoir.

34En modifiant les qualifications essentielles relatives à l’expérience, puis en nommant Mme Gravelle, qui ne les possédait pas, l’intimé ne s’est pas conformé aux exigences sur le mérite énoncées à l’art. 30 de la LEFP. Cette décision a donné lieu à un résultat inapproprié, ce qui correspond à la troisième catégorie d’abus de pouvoir susmentionnée.

35Les nominations internes ou externes à la fonction publique doivent être fondées sur le mérite. Il s’agit là d’une exigence fondamentale de la LEFP. Dans la décision Rinn c. le sous‑ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2007 TDFP 0044, le Tribunal a indiqué ce qui suit au paragraphe 35 :

Le mérite est maintenant lié au mérite individuel; pour être nommée, la personne doit répondre aux qualifications essentielles se rapportant au travail à effectuer. Il existe une latitude considérable pour choisir la personne qui fera l’objet d’une nomination. Cependant, l’exigence fondamentale pour nommer une personne sur la base du mérite est que la personne doit être qualifiée pour le poste.

36Il est également indiqué dans les Lignes directrices en matière de nomination de la CFP (Généralités) que les nominations doivent être fondées sur le mérite. Comme le Tribunal l’a expliqué au para.  69 de la décision Robert et Sabourin c. le sous‑ministre de la Citoyenneté et de l’immigration, 2008 TDFP 0024, en vertu de la LEFP, les administrateurs généraux et leurs gestionnaires délégataires ont l’obligation de se conformer aux lignes directrices de la CFP pour ce qui est de la façon de faire les nominations.

37En ce qui concerne les lignes directrices de la CFP en matière d’annonce dans le processus de nomination,le Tribunal estime que l’intimé n’a commis aucune erreur dans l’annonce qu’il a publiée. Comme il a été discuté précédemment, l’erreur a été commise par le comité d’évaluation dans l’application et dans l’interprétation des exigences relatives à l’expérience, et non dans les critères annoncés.

38Enfin, le Tribunal conclut que la série d’erreurs et d’omissions mentionnées précédemment a des conséquences plus importantes que celles d’une « simple erreur ou omission ». Cumulativement, elles équivalent à une insouciance grave au point de correspondre à de la mauvaise foi (voir les décisions Cameron et Maheux cl’Administrateur général de Service Canada, 2008 TDFP 0016 ainsi que Robert et Sabourin).

39L’intimé soutient que les questions en litige sont devenues sans objet parce qu’il a révoqué la nomination et qu’il a annulé le processus. Le Tribunal estime que cet argument n’est pas défendable.

40La compétence du Tribunal en l’espèce a été établie une fois que la notification de nomination ou de proposition de nomination pour Mme Gravelle a été affichée, et elle ne peut être exclue par les actes subséquents de l’intimé. Pour paraphraser les propos tenus par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Lo c. Canada (Comité d’appel de la fonction publique), [1997] A.C.F. 1784 (Q.L.), il serait trop facile pour un intimé d’esquiver le processus de plainte en révoquant une nomination ou en annulant un processus. (Voir également les décisions Wylie c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2006 TDFP 0007, para. 25 à 33, et Beyak c. le sous‑ministre de Ressources Naturelles Canada, 2009 TDFP 0035, para. 192 et 193).

Conclusion


41Le Tribunal conclut que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite lors du processus de nomination.

Décision


42Pour tous ces motifs, la plainte est accueillie.

Mesures correctives


43Les mesures correctives que le Tribunal peut ordonner sont décrites à l’art. 81(1) de la LEFP, qui est ainsi libellé :

S’il juge la plainte fondée, le Tribunal peut ordonner à la Commission ou à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées.

44L’intimé a révoqué la nomination de Mme Gravelle et a annulé le processus. Ces mesures ont permis de remédier aux lacunes dans le processus. Si la plaignante décidait de postuler à l’occasion du nouveau processus, elle pourrait alors être évaluée de nouveau.

45La plaignante a demandé au Tribunal de la nommer au poste à titre intérimaire. Cette décision ne relève pas de la compétence du Tribunal, puisque selon l’art. 82 de la Loi, le Tribunal ne peut ordonner de nomination.

46Le Tribunal estime qu’au delà des mesures prises par l’intimé, son intervention n’est pas nécessaire.

Joanne B. Archibald

Membre


Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2009-0184
Intitulé de la cause :
Victoria Morgenstern et le commissaire du Service correctionnel du Canada
Audience :
20 mai 2010, 23 juin 2010
Toronto (Ontario)
Date des motifs :
Le 15 octobre 2010

COMPARUTIONS

Pour la plaignante :
Marija Dolenc
Pour l'intimé :
Martin Desmeules
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.