Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a participé à un processus de nomination interne. Il était membre d’un comité patronal-syndical auquel siégeait également le président du comité d’évaluation. Le comité patronal-syndical a tenu une réunion quelques jours avant l’entrevue du plaignant. Dans les minutes précédant ladite réunion, le plaignant discutait avec un autre membre du comité patronal-syndical de son entrevue prochaine. Ayant entendu cette conversation, le président du comité d’évaluation est intervenu pour dire que s’il était à la place du plaignant il se concentrerait sur son travail actuel. Cette remarque a surpris le plaignant qui a trouvé difficile de se présenter à l’entrevue quelques jours plus tard. Le plaignant n’a pas obtenu la note de passage. Selon lui, les commentaires du président du comité d’évaluation donnaient lieu à une crainte raisonnable de partialité, ce qui constituait un abus de pouvoir dans l’application du mérite en vertu de l’art. 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Le plaignant a fait valoir d’autre part qu’il était dans l’impossibilité de démontrer qu’il avait répondu correctement aux questions étant donné que le comité d’évaluation n’avait pas conservé les notes prises durant l’entrevue. Décision Le Tribunal a estimé que les personnes chargées de l’évaluation dans un processus de nomination ont le devoir de procéder à une évaluation impartiale et ne suscitant pas une crainte raisonnable de partialité. Le Tribunal a appliqué aux questions de parti pris dans un processus de nomination le critère établi dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 : Si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’une ou plusieurs personnes chargées de l’évaluation, le Tribunal pourra conclure qu’il y a abus de pouvoir. En l’espèce, le Tribunal a conclu qu’un observateur relativement bien renseigné qui évaluerait l’ensemble de la preuve pourrait raisonnablement percevoir un parti pris de la part du président du comité d’évaluation. Le Tribunal a pris en compte non seulement les commentaires de ce dernier durant la réunion du comité patronal-syndical tenue avant l’entrevue mais aussi d’autres facteurs tels que les remarques qu’il avait faites comme quoi les activités syndicales du plaignant le mettaient mal à l’aise et qu’il avait une préférence pour des employés ayant une formation universitaire, et le plaignant n’en avait pas. Le Tribunal a ajouté que la perception de partialité était renforcée par la décision du comité d’évaluation de ne pas conserver les notes du plaignant alors que celui-ci contestait l’évaluation de ses réponses. Plainte accueillie. Mesures correctives : Le plaignant a demandé un montant forfaitaire équivalent à la différence de rémunération entre le poste en cause et son poste d’attache. Le Tribunal a rejeté cette réclamation, la jugeant non fondée. Le Tribunal a fait remarquer que ladite réclamation consistait en des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires et qu’il n’était pas de sa compétence de l’ordonner. En outre, l’indemnité spéciale prévue à l’art. 81(2) de la LEFP ne pouvait s’appliquer en l’espèce car il n’y a aucune allégation ou preuve qu’un acte discriminatoire a été commis. Le Tribunal a par ailleurs estimé que la révocation de la nomination n’était pas une mesure corrective appropriée. Enfin, le Tribunal a jugé que sa conclusion selon laquelle le président du comité d’évaluation avait abusé de son pouvoir discrétionnaire délégué était suffisante et constituait la seule mesure corrective indiquée.

Contenu de la décision

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Dossier:
2007-0589
Rendue à:
Ottawa, le 9 août 2010

RAYNALD GIGNAC
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir aux termes de l'article 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est accueillie
Décision rendue par:
Guy Giguère, président
Langue de la décision:
Français
Répertoriée:
Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux
Référence neutre:
2010 TDFP 0010

Motifs de décision

Introduction

1Raynald Gignac occupe un poste de chef de production au Centre de production de Québec (CPQ). Il se plaint qu’il y a eu abus de pouvoir lors du processus de nomination au poste de gestionnaire régional du CPQ. Il allègue que le président du comité d’évaluation était partial à son égard, car il ne désirait pas le voir dans ce poste de gestion compte tenu de ses activités syndicales.

2L’intimé, le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada (TPSGC), soutient qu’il n’y a pas eu d’abus de pouvoir et que la candidature du plaignant n’a pas été retenue parce qu’il ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles pour le poste. Selon l’intimé, les activités syndicales du plaignant n’ont eu aucune influence sur les décisions prises par le comité d’évaluation.

Questions en litige

3Le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes :

(i) Est-ce que la crainte raisonnable de partialité dans une décision de dotation constitue un abus de pouvoir?

(ii) L’intimé a-t-il été partial à l’encontre du plaignant et ainsi abusé de son pouvoir dans l’application du mérite?

Résumé de la preuve pertinente

4Le CPQ est un des trois centres d’impression des chèques émis par le gouvernement fédéral.

5Le plaignant occupe le poste de chef de production du quart de travail de jour, de groupe et niveau AS-04. À ce titre, le plaignant est membre du comité de gestion du CPQ auquel siègent également les deux autres chefs de production, Yves Monty et à l’époque Denis Matte. L’attachée administrative de gestion et le gestionnaire du CPQ y siègent aussi.

6Le poste de gestionnaire du CPQ, de groupe et niveau AS-06, est resté vacant pendant de nombreux mois après le départ du titulaire du poste en 2004. Simon Fradette lui a succédé en janvier 2006. Dans l’intérim, MM. Monty et Matte ainsi que le plaignant occupaient le poste en rotation et selon les circonstances.

7Le plaignant était par ailleurs président de la section locale du syndicat qui regroupe la plupart des employés du CPQ. Gilles Gagnon, alors qu’il était directeur régional de TPSGC, avait autorisé il y a plusieurs années que le plaignant occupe un poste de gestion tout en étant aussi représentant syndical des employés du CPQ. Le plaignant avait reçu une confirmation écrite de M. Gagnon qui lui avait indiqué que cela était « viable ».

8Lorsque M. Fradette a débuté dans le poste de gestionnaire du CPQ, MM. Matte et Monty lui ont indiqué qu’ils trouvaient difficile d’avoir des réunions de gestion avec le plaignant à cause de son double rôle patronal et syndical. Le plaignant a remis à M. Fradette une copie de l’approbation de M. Gagnon et il s’attendait qu’il fasse un suivi sur ce point au comité de gestion. Mais M. Fradette n’a pas pris position sur cette question lors de réunions subséquentes et le plaignant trouvait la situation inconfortable.

9Le plaignant a déclaré que lorsqu’il était seul avec M. Fradette, ce dernier exerçait sur lui des pressions pour qu’il cesse ses activités syndicales. Il lui disait « tu vois bien, même tes collègues interviennent sur ce point » et « tes collègues sont mal à l’aise; entre toi et moi, tu serais mieux d’arrêter tes activités syndicales, ça irait mieux avec tes collègues ». Selon le plaignant, c’était une pratique déloyale de demander à un représentant syndical d’arrêter de faire du syndicalisme.

10M. Fradette a confirmé qu’effectivement M. Monty disait ouvertement dans les réunions du comité de gestion qu’il trouvait difficile de s’adresser au plaignant dans son double rôle de représentant syndical et de membre de la gestion. M. Fradette a expliqué qu’il essayait d’avoir un consensus au comité de gestion et que son rôle était de trancher quand il n’y en avait pas. Cependant, il ne voulait pas se mêler des commentaires sur le double rôle du plaignant et les réunions se déroulaient quand même.

11M. Fradette a déclaré qu’avant son arrivée au CPQ, M. Gagnon lui avait confirmé son accord pour que le plaignant participe au comité de gestion et soit représentant syndical. M. Fradette a également reconnu dans son témoignage qu’il a probablement abordé ce sujet lors de discussions informelles avec le plaignant car c’est un sujet délicat puisque le plaignant était élu par les employés syndiqués.

12En juillet 2006, le plaignant a accepté le poste de vice-président régional de son syndicat pendant que la titulaire de ce poste était en formation. Il a averti M. Fradette qui lui a indiqué qu’il devait vérifier si le plaignant pouvait le remplacer à l’occasion par intérim dans le poste de gestionnaire du CPQ. M. Fradette a plus tard confirmé qu’il le pouvait.

13En janvier 2007, M. Fradette a été nommé Directeur national par intérim des Services d’impression. Il est responsable des trois centres de production de TPSGC et de l’unité de coordination à Ottawa. Il a décidé de cumuler ce poste et son ancien poste de Gestionnaire du CPQ. Il est appelé à voyager dans ses nouvelles fonctions mais pendant son absence personne n’occupait le poste de gestionnaire du CPQ par intérim.

14Une annonce de possibilité d’emploi pour le poste de gestionnaire régional des trois centres de production est affichée sur Publiservice en janvier 2007. Le poste du centre de Dartmouth est libre et sera doté suite au processus. La dotation des postes des centres de Québec et Winnipeg est anticipée et visait à établir deux bassins de personnes qualifiées. Le premier est un bassin bilingue impératif et le deuxième un bassin bilingue non impératif. Les postes bilingues impératifs seront dotés en premier et lorsque le bassin de la liste impérative sera épuisé, le bassin de la liste non impérative pourra être utilisé. Ces deux bassins permettaient de répondre au souci des chefs des opérations de rendre ces postes bilingues. M. Gagnon avait aussi exprimé cette préoccupation à M. Fradette.

15M. Fradette a indiqué qu’il a établi le critère de mérite pour ces postes avec l’aide d’une conseillère en ressources humaines. Il a préparé l’examen écrit avec Normand Boudreau du Centre de production de Dartmouth. Ils ont tous deux fait la présélection et corrigé l’examen écrit. Ils ont aussi participé au comité d’évaluation avec Mario Des Alliers qui s’y est joint à la demande de M. Fradette.

16M. Fradette a expliqué qu’il connaissait M. Des Alliers alors que ce dernier était contrôleur régional et qu’il était lui-même directeur régional adjoint de CORCAN, un organisme de Service Correctionnel Canada. Il considérait que celui-ci avait une expérience pertinente pour ce processus de nomination parce qu’il possédait une expérience des centres de production de CORCAN qui opère dix usines dans les pénitenciers au Québec. Ils ont participé ensemble à des activités sociales dans le cadre du travail et ont fait un voyage ensemble à Haïti afin d’explorer une possibilité d’emploi pour l’ONU.

17Le plaignant a postulé pour le processus de nomination pour le bassin bilingue non impératif et a été avisé le 7 mars 2007 qu’il répondait aux critères établis pour la présélection.

18Vers avril 2007, lors d’une réunion de gestion, le plaignant et M. Matte ont souligné la nécessité d’avoir un gestionnaire à temps plein au CPQ et ont demandé pourquoi ils n’occupaient plus par intérim le poste de gestionnaire du CPQ comme ils le faisaient avant l’arrivée de M. Fradette. Ce dernier a alors décidé que M. Matte et le plaignant occuperaient ce poste intérimaire en rotation.

19Le 30 avril 2007, le plaignant est convoqué à un examen écrit afin d’évaluer s’il possède les connaissances pour ce poste. Le 14 juin 2007, le plaignant est avisé qu’il a réussi à l’examen écrit et est convoqué à une entrevue le 16 juillet 2007 pour évaluer ses connaissances et compétences par rapport à l’énoncé des critères de mérite.

20En contre-interrogatoire, le plaignant a expliqué qu’il avait postulé pour le poste mais qu’il avait toutefois le sentiment que M. Fradette ne le désirait pas dans son équipe car ce dernier disait ouvertement qu’il voulait des employés avec un diplôme universitaire. Ces remarques étaient faites publiquement sans être dirigées vers des individus ou le plaignant.

21Le plaignant a fait témoigner M. Matte qui a expliqué qu’il avait lui aussi compris qu’il ne correspondait pas au genre de travailleur recherché par M. Fradette car il n’avait pas de diplôme universitaire. C’est pourquoi il n’a pas jugé utile de postuler et a décidé de prendre sa retraite plus tôt que prévu.

Incident précédant la vidéoconférence

22Le plaignant a fait témoigner Pierre Parent qui est chef intérimaire des approvisionnements pour TPSGC à Québec. Au début de juillet 2007, le plaignant et M. Parent discutaient ensemble avant que ne débute une réunion du comité patronal‑syndical régional par vidéoconférence. Sans être amis, ils se connaissaient et s’étaient côtoyés lors de voyages de pêche. Ils étaient seuls et parlaient de leurs projets de retraite. C’est à ce moment que le plaignant lui a indiqué qu’il voudrait recevoir une formation pour faire de la médiation à sa retraite dans quatre ans.

23M. Parent lui a demandé comment se déroulait le processus de nomination au poste de gestionnaire du CPQ pour lequel il était candidat. Le plaignant lui a répondu qu’il avait réussi à l’examen écrit mais qu’il avait le sentiment que M. Fradette ne le voyait pas dans ce poste.

24Le plaignant a déclaré qu’après cette remarque, ils ont continué à parler du processus de nomination. M. Fradette est arrivé et est intervenu dans la conversation. Selon le plaignant, M. Fradette lui a alors dit « si j’étais à ta place, je me concentrerais sur ma job de chef de production et la formation que tu aimerais avoir soit en médiation ou autre ». Le plaignant lui a alors demandé s’il était conscient que dans quelques semaines il allait participer à un processus de nomination dont il (M. Fradette) présidait le comité d’évaluation. M. Fradette lui a répondu que ce n’était pas ce qu’il voulait dire et qu’il avait fait ce commentaire à propos du cours de médiation. Le plaignant est devenu mal à l’aise mais la vidéoconférence a débuté.

25M. Parent a expliqué qu’il parlait avec le plaignant avant le début de la vidéoconférence de projet de retraite et de formation en médiation puis il lui a demandé des questions sur le processus de nomination. Il a confirmé qu’au moment où il lui posait des questions sur le processus de nomination, M. Fradette est arrivé et est intervenu pour dire au plaignant de se concentrer sur son travail de gestionnaire et la formation en médiation plutôt que sur le processus de nomination. Selon M. Parent, le plaignant a réagi et a dit à M. Fradette que son commentaire était particulier compte tenu qu’il allait participer à un processus de nomination la semaine suivante. M. Fradette a alors répondu au plaignant que ce n’était pas ce qu’il voulait dire et qu’il pourrait « prendre plus de temps dans les années à venir pour obtenir une formation en médiation car il allait prendre sa retraite dans quelques années ».

26M. Parent a indiqué que ce commentaire de M. Fradette l’a surpris car celui-ci était membre d’un comité d’évaluation. Selon lui, il n’était pas approprié de dire à un candidat qu’il n’était pas bienvenu dans un processus.

27Au début de son témoignage sur cette question, M. Fradette a précisé qu’il ne se rappelait pas exactement ce qui avait été dit mais qu’il a lu les allégations du plaignant « dans d’autres instances » concernant les commentaires faits avant la vidéoconférence. Il a témoigné qu’il a effectivement dit au plaignant qu’il était important de se concentrer sur son travail. Il a expliqué qu’il a fait ce commentaire car il était inquiet de voir le plaignant « laisser de côté d’autres choses » puisque ce dernier lui avait parlé de son intérêt pour une formation en médiation à sa retraite. Il a indiqué que le plaignant était impliqué dans beaucoup d’activités : son travail, ses activités syndicales et un petit établissement commercial. Cependant, il estime que le plaignant est une des personnes qui a le plus d’expérience dans la production de chèques, soit plus de 30 ans. Il partage la même vision du CPQ que le plaignant et son rendement est très bon.

28En contre-interrogatoire, M. Fradette a précisé qu’il était arrivé alors que le plaignant et M. Parent discutaient de projet de retraite. Le plaignant parlait de faire de la médiation à sa retraite. M. Fradette à témoigné qu’il lui a mentionné qu’il serait « bon de se concentrer ». M. Fradette a expliqué qu’il a fait ce commentaire parce qu’ils étaient trois membres de la gestion et que lorsqu’on est très occupé, il faut faire un choix dans ses activités. M. Fradette a également ajouté qu’il ne se souvenait pas de la réaction ou de la réponse du plaignant à son commentaire. Il l’a appris à la lecture des allégations du plaignant.

Entrevue et annonce du résultat du processus

29Le plaignant a indiqué qu’il a trouvé difficile de se présenter à l’entrevue suite au commentaire de M. Fradette. Il a expliqué que ce dernier présidait le comité d’évaluation et lui avait fait clairement sentir qu’il ne le désirait pas dans le poste, par son commentaire déplacé avant la réunion patronale-syndicale par vidéoconférence. Pendant l’entrevue, il évitait de regarder M. Fradette et regardait plutôt les autres membres du comité de sélection.

30M. Fradette a expliqué que le plaignant n’a pas obtenu la note de passage de 20 sur 40 pour les questions 3 et 4 qui évaluaient la capacité de développer et mettre en place des méthodes, des procédures, des processus et des plans d’action pour améliorer l’efficacité et l’efficience de l’organisation. Il a témoigné que les réponses du plaignant n’avaient pas tous les éléments recherchés et que la note de 7,5 sur 20 a été attribuée par consensus pour les questions 3 et 4 respectivement.

31L’intimé a fait témoigner M. Des Alliers qui a expliqué que les membres du comité d’évaluation avaient procédé aux entrevues et qu’ils ont décidé « en collégialité » les points attribués aux réponses des candidats. Il a expliqué que les candidats pouvaient prendre des notes mais ils devaient les laisser dans la salle après leur entrevue. Cependant, les membres du comité ne les ont pas utilisées ou consultées dans la préparation des évaluations.

32M. Des Alliers a expliqué quels éléments de réponse n’ont pas été fournis par le plaignant. Selon lui, le plaignant n’avait pas assez développé sa réponse à la question 3; il n’avait pas décrit le processus et n’avait pas indiqué si un suivi avait été fait. Pour la question 4, le plaignant n’avait pas mentionné le plan des ressources humaines et il n’avait pas affecté une personne des ressources humaines à cette tâche. De plus, il n’avait pas établi un plan de communications ni établi de priorités.

33Dans les semaines qui ont suivi l’entrevue, le plaignant a rencontré M. Fradette lors d’une rencontre patronale-syndicale sur les griefs de rétroactivité et de classification. Les discussions ont été houleuses pendant cette rencontre.

34Le plaignant a pris ses vacances annuelles et M. Fradette l’a appelé pendant cette période pour l’informer des résultats de l’entrevue et son échec à une qualification essentielle. Le plaignant a cru qu’il blaguait et lui a demandé la raison véritable de son appel. M. Fradette lui a répondu qu’il ne blaguait pas. Il lui a demandé s’il désirait une post-entrevue afin d’en discuter et le plaignant a accepté.

35Le plaignant a déclaré qu’il trouvait que cet appel pendant ses vacances était inapproprié et que la procédure normale aurait dû être suivie. Ses vacances se terminaient et il rentrait au bureau la semaine suivante. Il trouvait cet appel bizarre et il a eu l’impression que cela faisait plaisir à M. Fradette de lui dire « tu n’as pas passé ».

36M. Fradette a témoigné qu’il avait appelé le plaignant car les lignes directrices disent de communiquer le plus rapidement possible avec le candidat dont la candidature n’a pas été retenue. Il a expliqué que même si le plaignant était en vacances, il trouvait plus respectueux et plus courtois de lui annoncer la nouvelle de vive voix plutôt que par courriel. Il a été surpris et déçu de la réaction du plaignant.

37Le plaignant a reçu quelques jours plus tard, soit le 23 août 2007, un courriel l’avisant qu’il ne répondait pas aux exigences du poste. Puis, à son retour de vacances, il a été convoqué à une post-entrevue à laquelle il a assisté avec Claude Pelletier, son représentant syndical. Avant de débuter, M. Fradette a dit au plaignant « le résultat n’a pas de rapport avec les discussions orageuses que l’on a eues sur les griefs de rétroactivité et de classification. » Le plaignant et M. Pelletier ont témoigné qu’ils étaient très étonnés par cette remarque.

38M. Fradette a souligné les points forts et les points à améliorer suite aux diverses étapes du processus. Il a indiqué que le plaignant avait eu de la difficulté à répondre aux questions 3 et 4, et comme il n’avait pas donné les éléments attendus de réponse, il n’avait pas obtenu la note de passage. M. Fradette lui a suggéré d’écrire les mots clés de la question pour bien y répondre.

39Le plaignant lui a alors répondu qu’il se rappelait avoir identifié les mots clés et avoir pris des notes de sa réponse. Il n’était pas d’accord avec l’évaluation et a demandé à M. Fradette une copie des notes qu’il avait prises pendant l’entrevue pour lui montrer. Ce dernier lui a répondu qu’il ne les avait plus car elles n’étaient plus nécessaires après un processus de nomination. Le plaignant lui a alors répliqué que la personne donnant la formation sur la dotation à laquelle ils avaient tous deux assisté leur avait indiqué de conserver les notes au cas où il y aurait des plaintes même si on ne peut attribuer des points à partir de celles-ci. Le plaignant a témoigné que M. Fradette ne le regardait pas pendant cette dernière réplique.

40Le plaignant a alors déclaré « tu me dis que tu n’a plus de notes, je fais quoi avec ça? ». M. Fradette lui a répondu « je ne le sais pas ». Le plaignant a déclaré qu’il déposerait une plainte. Il a témoigné qu’il a compris à ce moment que peu importe sa réponse, il ne serait pas la personne nommée. La question 4 portait sur le sujet pour lequel il était le plus à l’aise. Selon lui, il était facile de le faire échouer lors d’une entrevue puis ensuite, lorsqu’il demandait une copie de ses notes pour démontrer la réponse effectivement donnée à l’entrevue, l’informer que les notes avaient été détruites.

41M. Fradette a témoigné que les notes prises par les candidats pendant l’entrevue avaient toutes été recueillies et détruites. Il a expliqué que leur utilité se limitait à ce que le candidat puisse préparer ses réponses en identifiant les mots clefs aux questions. Il a précisé que les notes ne font pas partie de l’évaluation lors d’une entrevue.

42Suite au processus de nomination, une candidate a été nommée dans le poste. Le 13 novembre 2007, M. Gignac a déposé la présente plainte d’abus de pouvoir au Tribunal. La candidate nommée a quitté le poste environ huit mois après être entrée en fonction. M. Fradette a convoqué par la suite une réunion du comité de gestion où il a présenté un plan préconisant que le poste soit doté de façon intérimaire par des chefs de production intéressés, en rotation, jusqu’à ce qu’une nouvelle personne soit nommée. Les membres du comité de gestion ont par la suite informé M. Fradette qu’ils préféraient qu’une seule personne soit nommée de façon intérimaire et que ce soit le plaignant. Le plaignant a par la suite occupé le poste en intérim.

43Un nouveau processus de nomination a été tenu pour le poste de gestionnaire du CPQ mais cette fois le poste était bilingue impératif et le plaignant n’a pas postulé car il ne répond pas à cette exigence.

44Le 5 février 2008, le plaignant a aussi déposé une plainte de pratique déloyale contre son gestionnaire en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, c. 22 (LRTFP). La décision Gignac c. Fradette, 2009 CRTFP 18, [Gignac (CRTFP)] rejetant la plainte a été rendue avant l’audition de la plainte d’abus de pouvoir devant le Tribunal.

Arguments des parties

A)        Arguments du plaignant

45Le plaignant affirme que le législateur a accordé aux gestionnaires toute la latitude nécessaire pour doter les postes dans la fonction publique. Cependant, cette discrétion n’est pas absolue et doit être exercée dans un cadre de valeurs de dotation. Ces valeurs sont, entre autres, la transparence, l’impartialité et l’accès.

46Le plaignant soutient que ces valeurs n’ont pas été respectées dans ce processus de dotation car il était clair que M. Fradette ne le voyait pas dans ce poste. S’il se sentait partial, il aurait dû se retirer du comité d’évaluation. Selon le plaignant, les commentaires et gestes posés par M. Fradette laissent croire ou percevoir qu’il n’était pas impartial. À tout le moins, il y a apparence de partialité et, en ce sens, il y a eu abus de pouvoir.

47De plus, le plaignant plaide que les autres membres du comité n’étaient pas indépendants et étaient des amis de M. Fradette. Il affirme qu’il est suspect que les notes des membres du comité d’évaluation soient si belles et claires.

48Le plaignant demande à titre de mesures correctives qu’un montant forfaitaire lui soit versé correspondant à la différence de rémunération entre le poste de gestionnaire du CPQ (AS-06) et son poste d’attache (AS-04). Ce montant lui serait versé à titre de compensation pour l’abus de pouvoir. Il ne demande pas la révocation de la nomination.

B)        Arguments de l’intimé

49L’intimé soutient que la preuve n’établit pas que M. Fradette a tenté d’empêcher le plaignant d’être nommé ou qu’il était partial à son égard. Le plaignant ne satisfait pas à certaines des qualifications essentielles pour ce poste et c’est pourquoi il ne pouvait y être nommé. L’intimé ne conteste pas que le plaignant a un recours à l’encontre d’un abus de pouvoir dans l’application du mérite en vertu de l’article 77(1)a); toutefois, il soutient qu’il est paradoxal que le plaignant ne conteste pas l’évaluation qui a été faite de ses qualifications.

50L’intimé plaide qu’il n’y a pas de lien direct entre l’allégation de partialité et les faits. Selon lui, l’apparence de partialité doit être liée au processus qui fait l’objet de la plainte. L’intimé soutient que le fait d’être partial à l’endroit d’un des candidats n’est pas un motif de se désister. Le test de partialité repose plutôt dans le traitement différentiel des candidats.

51Pour ce qui est de l’incident précédant la vidéoconférence, M. Fradette ne se rappelle pas exactement ce qui a été dit mais ne l’a pas nié. M. Parent a aussi témoigné que les choses se sont passées rapidement et qu’il est difficile de se rappeler les mots exacts. Selon l’intimé, pour établir s’il y a partialité l’ensemble de la preuve doit être revu, et non seulement cet élément.

52L’intimé soutient que les faits sont les mêmes que ceux dans la plainte de pratique déloyale qui a été rejetée et la perception de partialité de M. Fradette n’y a pas été démontrée.

53Pour ce qui est des mesures correctives demandées, l’intimé soutient que le Tribunal ne peut accorder des indemnités monétaires que dans les circonstances prévues au terme de l’article 81(2). Par ailleurs, selon l’article 82, le plaignant ne peut être nommé dans un poste et ce qu’il demande serait en fait une nomination rétroactive pour des fonctions qu’il n’a pas effectuées.

C)        Arguments de la Commission de la fonction publique

54La Commission de la fonction publique (CFP) soutient qu’en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la LEFP), les administrateurs généraux sont tenus de se conformer aux lignes directrices qu’elle adopte. Les valeurs identifiées dans la LEFP sont traduites par ces lignes directrices. Selon les lignes directrices portant sur l’évaluation, la personne qui évalue ne doit pas être en conflit d’intérêts. La personne qui évalue ne doit pas être partiale ou paraître partiale. La preuve de cette apparence de partialité doit être établie par des faits et avoir un lien avec le processus. Il faut que cette apparence de partialité se reflète dans le processus.

55En ce qui a trait aux mesures correctives, la CFP soutient que le but des mesures correctives est de corriger les déficiences du processus de nomination. Les dommages monétaires réclamés ne sont pas de nature d’une mesure corrective.

Législation et lignes directrices pertinentes

56La plainte a été présentée en vertu de l’article 77(1)a) de la LEFP qui se lit comme suit :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2); …

57L’article 77(1)a) renvoie à l’article 30(2) de la LEFP quiest libellé comme suit :

30. (2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

(a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

(b) la Commission prend en compte :

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

58Les articles 16 et 29(3) de la LEFP précisent que les administrateurs généraux sont tenus de se conformer aux lignes directrices de la CFP :

16. L’administrateur général est tenu, lorsqu’il exerce les attributions de la Commission visées à l’article 15, de se conformer aux lignes directrices visées au paragraphe 29(3).

29. (3) La Commission peut établir des lignes directrices sur la façon de faire et de révoquer les nominations et de prendre des mesures correctives.

59Les lignes directrices de la CFP sur l’évaluation précisent que :

En plus d'être responsables du respect de l'énoncé des lignes directrices, les administrateurs généraux et les administratrices générales doivent :

                                    (…)

  • s'assurer que les personnes responsables de l'évaluation :

    (…)

    • ne sont pas en conflit d'intérêts et sont en mesure de remplir les rôles, les responsabilités et les fonctions qui leur sont propres de façon juste;

Analyse

Question I:Est-ce que la crainte raisonnable de partialité dans une décision de dotation constitue un abus de pouvoir?

60Essentiellement, le plaignant allègue que la conduite et les commentaires de M. Fradette ont donné lieu a une crainte raisonnable de partialité ce qui selon lui constitue un abus de pouvoir tel que prévu à l’article 77(1)a) de la LEFP.

61L’article 2(4) précise pour qu’il n’y ait aucun doute que l’abus de pouvoir inclut la mauvaise foi.Selon l’interprétation traditionnelle des tribunaux, la mauvaise foi suppose l’existence d’une intention illégitime ou malhonnête et elle inclut la partialité ou le parti pris. Aujourd’hui le sens accordé par la jurisprudence à la mauvaise foi est élargi et elle ne nécessite pas la preuve d’une intention illégitime lorsque les faits révèlent une incurie ou une insouciance grave. Voir Finney c. Barreau du Québec, 2004 SCC 36, aux paras. 37 et 39; René Dussault et Louis Borgeat, Traité de droit administratif, 2e éd., Québec, PUL, 1990, tome 3, à la p. 485. Voir aussi ces décisions du Tribunal :Cameron et Maheux c. l'Administrateur général de Service Canada, 2008 TDFP 0016; Chiasson c. Sous-ministre de Patrimoine canadien, 2008 TDFP 0027; Burke c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0003.

62Les tribunaux ont aussi élargi le sens donné à la partialité et formulé un critère spécifique pour l’établir. Il n’est pas nécessaire de déterminer que la personne est partiale mais plutôt de regarder objectivement les circonstances pour déterminer s’il y a crainte raisonnable que cette personne agisse de façon partiale. Le critère pour établir la crainte raisonnable de partialité ne nécessite pas la preuve d’une intention illégitime, et porte plutôt sur le devoir d’équité des décideurs publics lorsqu’ils prennent des décisions touchant les droits et les privilèges d’une personne. Voir Baker c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paras. 45 à 47; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au para. 79 et David Philip Jones et Anne S. de Villars, Principles of Administrative Law, Toronto, Thomson Carswell, 2009, aux p. 396 et suivants (Jones, « Administrative Law »).

63Le critère de la crainte raisonnable de partialité, formulé selon cette jurisprudence, s’applique-t-il aux décisions de dotation et est-ce preuve de mauvaise foi constituant ainsi un abus de pouvoir?

a)     Existe-il un devoir d’agir de façon impartiale et sans crainte raisonnable de partialité dans les processus de nomination?

64Il est bien établi qu’il y a un devoir d’agir de façon équitable dans toute décision administrative qui affecte les droits, privilèges et intérêts d’un individu. Les tribunaux ont statué que l’équité requiert que le décideur soit impartial mais aussi qu’il soit perçu comme étant impartial. Ainsi, dans Baker, la Cour suprême du Canadaa expliqué que ce devoir d’équité s’applique aux décisions administratives en tenant compte du contexte de la décision. Au paragraphe 28, la Cour a déclaré :

28(…) Les valeurs qui sous-tendent l’obligation d’équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision.

65L’obligation d’équité est variable et repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés. Certains facteurs permettent d’établir la portée de son application au sujet en question et incluent, notamment, la nature de la décision, ses effets sur la personne affectée et le contexte législatif. Il convient donc d’examiner l’obligation d’équité dans le contexte des décisions prises en vertu de la LEFP et particulièrement de la dotation. Voir Jones, « Administrative Law », aux p. 237 à 238.

66Les décisions de dotation comme la nomination à des postes à durée déterminée ou indéterminée affectent ou peuvent affecter la carrière des personnes impliquées et leur rémunération, et ont ainsi un impact dans leurs vies. Les possibilités de promotion dans une carrière peuvent être rares particulièrement dans les domaines d’expertises pointues. Dans les cas de révocation d’une nomination ou de mise en disponibilité, l’impact est encore plus grand pour la personne car il porte sur le fait de perdre un poste ou son emploi. Ces décisions entrent donc dans la catégorie de décisions administratives auxquelles la Cour fait référence dans Baker.

67Le contexte législatif d’une plainte en matière de dotation en est un où le législateur a spécifiquement indiqué un devoir d’équité dans les pratiques d’emploi. Ainsi le préambule de la LEFP identifie l’équité et la transparence dans les pratiques d’emploi comme des valeurs clés qui caractérisent la fonction publique. Ces pratiques d’emploi sont précisées dans la LEFP. Elles comprennent notamment le mérite, les normes de qualifications, les notifications des personnes considérées et nommées, etc. Le recours porte sur l’abus de pouvoir dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de dotation.

68De plus, la CFP a établi des lignes directrices sur la façon de faire des nominations. En matière d’évaluation, ces lignes directrices créent notamment l’obligation pour les administrateurs généraux de faire en sorte que les personnes chargées de l’évaluation ne soient pas en conflit d’intérêts et agissent de façon juste. Ces lignes directrices sont autant des pratiques d’emploi auxquelles les administrateurs généraux doivent se conformer tel qu’indiqué aux articles 16 et 29(3) de la LEFP. Voir Robert et Sabourin c. le Sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 TDFP 0024, au para. 69.

69Ces lignes directrices ainsi que le guide qui les accompagnent créent aussi des attentes légitimes chez les candidats qu’ils seront traités de façon juste et que le processus de nominationseranon seulement impartial, mais aussi perçu comme tel. VoirGariepy c. Canada, [1989] 2 FC 353 aux paras. 17-8 (1ière inst.).

70En effet, les lignes directrices précisent que les personnes chargées de l’évaluation doivent agir de façon juste. Le Guide de mise en œuvre des Lignes directrices en matière d'évaluation explique qu’il est important que le processus soit juste et qu’il soit perçu comme tel. Ainsi, il y est spécifié que les membres du comité d’évaluation doivent minimiser toute apparence de partialité :

Comme l'intégrité d'un processus d'évaluation pourrait faire l'objet d'un examen, il est important non seulement que le processus en question soit juste, mais aussi qu'il soit perçu comme tel. Par exemple, les membres du comité d'évaluation devraient faire l'effort raisonnable de minimiser toute apparence de partialité dans le processus d'évaluation et les membres du comité d'évaluation devraient s'assurer que le favoritisme personnel n'influence pas le résultat du processus de nomination.

71Le Tribunal estime pour toutes ces raisons que les personnes chargées de l’évaluation dans un processus de nomination ont le devoir de procéder à une évaluation impartiale et sans crainte raisonnable de partialité. De plus, si le comportement de ces personnes donne lieu à une crainte raisonnable de partialité, le Tribunal pourra considérer qu’il s’agit de mauvaise foi au sens de l’article 2(4) de la LEFP et constitue un abus de pouvoir.

b)    Quel est le critère applicable pour établir s’il y a une crainte raisonnable de partialité dans une décision de dotation?

72Un critère a été établi par les tribunaux pour établir s’il y a crainte raisonnable de partialité. Il consiste à déterminer si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez le décideur.Il ne suffit pas de soupçonner ou de supposer qu’il y a eu partialité, celle-ci doit être réelle, probable ou raisonnablement évidente. Voir Jones, «Administrative Law», aux pages 237 à 238, 395 et suivants;Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, à la page 636.

73Le Tribunal estime que ce critère est applicable aux plaintes d’abus de pouvoir en matière de dotation. Il est particulièrement utile dans l’analyse d’une plainte car il est souple, raisonnable et permet de tenir compte du contexte d’une décision en matière de dotation. L’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394, l’explique ainsi :

[…] [L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] [C]e critère consiste à se demander «à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

74Pour toutes ces raisons, le Tribunal juge que la crainte raisonnable de partialité dans une décision de dotation démontre la mauvaise foi, ce qui constitue un abus de pouvoir. Le Tribunal estime aussi que le critère de crainte raisonnable de partialité élaboré par la jurisprudence s’applique à l’analyse d’une plainte. Lorsqu’il y a allégation de partialité, le critère suivant pourra être appliqué à son analyse en tenant compte des circonstances l’entourant : Si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’une ou plusieurs personnes chargées de l’évaluation, le Tribunal pourra conclure qu’il y a abus de pouvoir.

Question II:L’intimé a-t-il été partial à l’encontre du plaignant et ainsi abusé de son pouvoir dans l’application du mérite?

75Le plaignant allègue que M. Fradette a fait preuve de partialité ou d’apparence de partialité par ses commentaires et sa façon d’agir et qu’il y a ainsi eu abus de pouvoir. L’intimé soutient que les faits sont les mêmes que ceux dans la décision Gignac (CRTFP) où la plainte de pratique déloyale a été rejetée. Le Tribunal estime que la question en litige est différente dans une plainte d’abus de pouvoir en vertu de la LEFP où une preuve distincte et indépendante est présentéeet où les parties sont différentes.Voir Boulanger c. Commissaire de Service correctionnel Canada, 2008 TDFP 0031. De plus, les évènements visés par la présente décision précèdent les évènements faisant l’objet de la plainte de pratique déloyale. En effet, la décision Gignac (CRTFP) explique qu’elle ne porte pas sur les évènements qui se sont produits avant le 5 novembre 2007, soit dans les 90 jours précédant le dépôt de la plainte le 5 février 2008, tel que prévu à l’article190(2) de la LRTFP.

a)     Quelle version doit être retenue des propos tenus avant le début d’une réunion patronale-syndicale par vidéoconférence?

76La preuve du plaignant repose sur des évènements et des commentaires mettant en cause M. Fradette avant et après l’entrevue. Il y a un évènement, soit l’échange précédant la vidéoconférence, où il y a deux versions différentes de ce qui a été dit et surtout du contexte dans lequel le commentaire a été fait. Cet évènement est important car ce commentaire a trait directement au processus de nomination.

77Selon les témoignages de M. Parent et du plaignant, ils discutaient du processus de nomination lorsque M. Fradette a déclaré au plaignant qu’il devrait plutôt se concentrer sur son travail et sur les cours de médiation. Mais, selon M. Fradette, ceux‑ci parlaient du projet de retraite du plaignant de faire de la médiation.

78Le Tribunal doit procéder à une analyse de la crédibilité des témoins devant ces preuves contradictoires afin de déterminer laquelle de ces deux versions est la plus crédible. Le critère à appliquer est bien établi dans la jurisprudence tel qu’indiqué dans la décision Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 0007, para. 45. Ce critère est expliqué ainsi à la page 357 de la décision Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A. C.-B.) :

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est conforme aux probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Bref, le véritable critère permettant de déterminer la véracité du récit d’un témoin dans un cas de cette nature doit être la conformité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne informée et douée de sens pratique reconnaîtrait d’emblée comme raisonnables, compte tenu des conditions et de l’endroit [Traduction].

79Une personne informée et douée de sens pratique reconnaîtrait d’emblée comme peu probable la version de M. Fradette. Cette personne considérerait que la version de M. Parent et du plaignant est plus raisonnable car conforme avec la prépondérance des probabilités.

80M. Fradette a témoigné qu’il ne se rappelait pas exactement ce qui avait été dit, mais qu’il avait lu les allégations du plaignant. Il ne souvient pas que le plaignant ait réagi à son commentaire et l’a appris en lisant les allégations.

81Selon M. Fradette, le plaignant était la personne qui avait le plus d’expérience dans la production de chèques et avait un bon rendement. Le seul moment où il dit au plaignant qu’il était inquiet qu’il soit trop occupé est lorsque ce dernier parle de ses projets de retraite. Cette version est peu probable.

82Il est en effet difficile de comprendre pourquoi M. Fradette aurait indiqué au plaignant qu’il devrait se concentrer sur son travail alors qu’il parlait de son projet de faire de la médiation à sa retraite dans quatre ans. M. Fradette était déjà au courant de ce projet et en avait discuté avec le plaignant. Il entrait dans la salle et il n’avait pas de raison de faire une telle remarque.

83Par contre, les témoignages de M. Parent et du plaignant concordent et sont plus probables. Le plaignant venait de dire à M. Parent qu’il sentait que M. Fradette ne le désirait pas dans le poste. Ils continuent de parler du processus et M. Fradette arrive dans la pièce. C’est lorsque M. Parent demande au plaignant à quel moment aura lieu l’entrevue que M. Fradette intervient en disant au plaignant, qu’à sa place, il se concentrerait sur son travail de gestionnaire. Le commentaire de M. Fradette est relié au processus, mais il dénote un agacement, une certaine agressivité. Il est fait juste avant une réunion patronale-syndicale où le plaignant doit agir comme représentant syndical.

84Pour toutes ces raisons, le Tribunal estime peu probable la version de M. Fradette et reconnaît la version du plaignant, comme raisonnable et comme conforme à la prépondérance des probabilités.

b) Est-ce que le comportement de M. Fradette amène une crainte raisonnable de partialité ?

85Il s’agit maintenant d’appliquer le critèrede crainte raisonnable de partialité aux circonstances de cette plainte. Un observateur relativement bien renseigné qui évaluerait l’ensemble de la preuve pourrait-il raisonnablement percevoir de la partialité de la part de M. Fradette?

86Cet observateur noterait d’emblée que M. Fradette a fait une remarque directement lié au processus de nomination juste avant la vidéoconférence et que sa conduite ne revêtait pas l’impartialité requise de la part d’un président ou même d’un membre d’un comité d’évaluation. Alors que le plaignant et M. Parent parlent du processus de nomination, M. Fradette indique clairement au plaignant par sa remarque qu’il ferait mieux de consacrer ses énergies à son travail plutôt que sur le processus de nomination. Sa remarque est négative face à la participation du plaignant au processus où M. Fradette agit à titre de président du comité d’évaluation. Elle indique que M. Fradette a déjà décidé que le plaignant ne serait pas nommé avant même que le processus de nomination ne soit complété. Cet observateur pourrait percevoir nettement à partir de cette remarque la partialité de M. Fradette à l’encontre du plaignant dans le processus de nomination.

87La remarque dénote un agacement où une certaine agressivité est manifeste. Elle est faite juste avant une rencontre patronale-syndicale. M. Parent et le plaignant ont témoigné que c’est sur son travail de gestion que M. Fradette a dit au plaignant de se concentrer. Ces réunions pouvaient être houleuses comme la réunion patronale‑syndicale qui a suivi quelques semaines plus tard.

88De plus, M. Fradette savait qu’il n’était pas perçu comme impartial par le plaignant lorsque ce dernier lui a demandé s’il réalisait qu’il présidait le comité d’évaluation auquel il allait participer. Il n’était pas suffisant pour M. Fradette de déclarer que ce n’était pas ce qu’il voulait dire. M. Fradette aurait du agir pour minimiser l’apparence de partialité comme l’indique le Guide de mise en œuvre des Lignes directrices en matière d'évaluation. Dans ces circonstances, il aurait été bien avisé de discuter avec un conseiller en ressources humaines sur les mesures à prendre telles que s’abstenir de participer à l’entrevue et aux discussions du comité d’évaluation concernant le plaignant.

89Pour toutes ces raisons, le Tribunal conclut que la conduite et les commentaires de M. Fradette avant la vidéoconférence donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité à l’encontre du plaignant, ce qui constitue un abus de pouvoir. Ce comportement déraisonnable était inéquitable pour le plaignant et a teinté l’ensemble du processus d’évaluation.

c) Autres incidents

90Les évènements précédant ou suivant la vidéoconférence peuvent aussi soulever des doutes ou des interrogations et soutiennent la conclusion que la conduite et les commentaires de M. Fradette avant la vidéoconférence donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité.

91M. Fradette exprimait ouvertement sa préférence pour avoir des employés avec une formation universitaire, ce qui pouvait laisser croire que sa décision était déjà prise pour les employés qui n’en avaient pas. M. Matte a préféré dans ce contexte ne pas présenter sa candidature dans le processus en question, car il ne se sentait pas désiré par M. Fradette dans son équipe. Le plaignant a exprimé les mêmes réserves à M. Parent.

92Le comportement de M. Fradette démontrait qu’il n’était pas à l’aise que le plaignant soit représentant syndical tout en étant membre du comité de gestion. M. Gagnon avait informé M. Fradette avant son arrivée au CPQ qu’il était d’accord à ce que le plaignant soit à la fois représentant syndical et membre du comité de gestion. Toutefois, ce dernier ne l’a pas indiqué à M. Matte, M. Monty ou même au plaignant. M. Fradette, à plusieurs reprises, abordait le sujet avec le plaignant quand ils étaient seuls pour lui demander de cesser ses activités syndicales.

93Depuis l’arrivée de M. Fradette, le plaignant avait moins l’occasion d’occuper le poste de gestionnaire du CPQ par intérim. Les changements sur le rôle syndical du plaignant pouvaient remettre en question qu’il continue de le faire par intérim. Le commentaire avant la vidéoconférence peut s’expliquer du fait que M. Fradette n’était pas à l’aise à ce que le plaignant occupe le poste de gestionnaire du CPQ par intérim ou pour une durée indéterminée à cause de ses activités syndicales.

94Suite à l’entrevue, M. Fradette a communiqué avec le plaignant alors qu’il était en vacances pour lui annoncer qu’il avait échoué. Il semble inopportun d’annoncer cette mauvaise nouvelle au plaignant et de le troubler pendant ses vacances alors que ce dernier retournait au bureau quelques jours plus tard.

95Lors de la discussion informelle, M. Fradette a dit au plaignant que le résultat du processus de nomination n’avait pas de rapport avec les discussions orageuses qui avaient eu lieu concernant les griefs. Ce commentaire était malhabile et a amené le plaignant à faire un lien entre ces deux évènements plutôt qu’à les distinguer.

96Finalement, l’annonce au plaignant que ses notes n’ont pas été conservées alors que celui-ci conteste l’évaluation de ses réponses en voulant se fonder sur ses notes ajoute à la perception de partialité.

97Le Tribunal aimerait sur ce dernier point adresser une mise en garde similaire à celle faite dans Zhao c. Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration, 2008 TDFP 0030. Tout document utilisé pour l’évaluation, y compris les notes des candidats, devrait être conservé dans tous les cas. Si les notes des candidats ne sont pas utilisées pour l’évaluation, il demeure tout de même utile de les conserver pour fins de discussion informelle ou pour le recours devant le Tribunal. Le fait de pouvoir consulter les notes du plaignant aurait permis de trancher cette question.

Décision

98Pour tous ces motifs, la plainte d’abus de pouvoir est accueillie.

Mesures correctives

99Le plaignant demande à titre de mesures correctives qu’un montant forfaitaire lui soit versé équivalent à la différence de rémunération entre le poste de gestionnaire du CPQ (AS-06) et son poste d’attache (AS-04).

100Les dispositions pertinentes concernant les mesures correctives se retrouvent aux articles 80, 81 et à l’article 82 de la LEFP et se lisent comme suit :

80. Lorsqu’il décide si la plainte est fondée, le Tribunal peut interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf les dispositions de celle-ci sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes.

81. (1) S’il juge la plainte fondée, le Tribunal peut ordonner à la Commission ou à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées.

(2) Les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne peuvent faire partie des mesures correctives qu’il estime indiquées.

82. Le Tribunal ne peut ordonner à la Commission de faire une nomination ou d’entreprendre un nouveau processus de nomination.

101Le plaignant n’a pas expliqué ou fait valoir le fondement de sa réclamation du montant forfaitaire en question. Il n’a produit aucune preuve de préjudice réel ou moral lié à l’abus de pouvoir qui a eu lieu.

102Si, par ailleurs, le plaignant réclame cette somme à titre de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, le Tribunal estime qu’il n’est pas de sa compétence de l’ordonner. Selon la jurisprudence, le Tribunal ne peut ordonner des dommages intérêts punitifs que si la législation habilitante le permet. Voir Chénier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2003 CRTFP 27 ; Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085 ; Canada (Procureur général) c. Hester, [1997] 2 C.F. 706 (1ière inst.). La LEFP ne prévoit pas spécifiquement que le Tribunal puisse accorder de dommages punitifs. Toutefois, au terme de l’article 81(2) de la LEFP, le Tribunal peut ordonner une indemnité spéciale allant jusqu’à 20 000 $ lorsqu’il conclut qu’un acte discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., ch. H-6, a été commis et que cet acte était délibéré ou inconsidéré au terme de l’article 53(3) de cette Loi. Cet article ne peut s’appliquer à la présente instance car il n’y a aucune allégation ou preuve qu’un acte discriminatoire a été commis.

103De plus, le Tribunal estime que la révocation n’est pas appropriée. Le Tribunal juge, par conséquent, que dans les circonstances de cette plainte sa décision selon laquelle M. Fradette a abusé du pouvoir discrétionnaire qui lui a été délégué est suffisante et constitue la seule mesure corrective indiquée.

Guy Giguère

Président

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2007-0589
Intitulé de la cause:
Raynald Gignac et le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux
Audience:
Les 24, 25 et 26 février 2009
Québec, Québec
Date des motifs:
Le 9 août 2010

Comparutions:

Pour la plaignante:
Bernard Gagné
Pour l'intimé:
Martin Desmeules
Pour la Commission
de la fonction publique:
Lili Ste-Marie
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