Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Selon la plaignante, le résultat du processus de nomination était inéquitable étant donné qu’un membre du comité d’évaluation avait divulgué des renseignements sur les questions d’entrevue à l’une des candidates retenues avant l’entretien de sélection. Elle a avancé d’autre part que son évaluation était incorrecte puisque le comité d’évaluation n’avait pas consigné entièrement sa réponse à une question d’entrevue. Elle a ajouté enfin que les autres candidats avaient tiré un avantage du fait d’obtenir la permission de consulter leurs notes au moment d’examiner les questions, permission qu’elle n’avait pas reçue. L’intimé a fait valoir qu’en dépit de la divulgation d’information se rapportant à une question d’entrevue, des mesures avaient été prises pour régler la situation avant de procéder aux nominations. L’intimé a soutenu en outre que la plaignante avait été évaluée de façon appropriée et qu’aucun candidat n’avait eu le droit de consulter ses notes pendant la préparation à l’entrevue. Décision Le Tribunal a jugé qu’un membre du comité d’évaluation avait donné à une candidate un avantage injuste en lui révélant des renseignements sur l’évaluation avant son entrevue; que cet acte constituait du favoritisme personnel et par voie de conséquence un abus de pouvoir. Le Tribunal a ajouté que le résultat était inéquitable du fait de la nomination d’une candidate qui avait été évaluée incorrectement. Bien que cette conclusion ait été suffisante pour accueillir la plainte, le Tribunal a examiné les mesures prises par le gestionnaire délégataire dès qu’il a été mis au courant des préoccupations de la plaignante afin de déterminer s’il y avait eu dans ce processus d’autres actes susceptibles de constituer un abus de pouvoir. Le Tribunal en a conclu que le gestionnaire délégataire s’était fondé sur des éléments insuffisants, avait fait preuve d’insouciance grave et négligé de tenir compte de questions pertinentes, notamment par le fait de ne pas avoir pris contact avec trois employés du bureau qui étaient des témoins. Le Tribunal a jugé par ailleurs que la plaignante n’avait pas démontré que son évaluation était incorrecte. Plainte accueillie. Le Tribunal a ordonné que l’administrateur général révoque la nomination.

Contenu de la décision

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Dossier:
2008-0036
Rendue à:
Ottawa, le 9 novembre 2010

NORA MARTIN
Plaignante
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est accueillie
Décision rendue par:
Merri Beattie, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Martin c. le sous-ministre de la Défense nationale
Référence neutre:
2010 TDFP 0019

Motifs de décision


Introduction


1 La plainte concerne un processus de nomination interne annoncé visant la dotation de deux postes de gestionnaire des centres de services à la clientèle d’immeuble au groupe et au niveau AS‑04 au ministère de la Défense nationale (MDN). La plaignante, Nora Martin, affirme qu’elle a été évaluée de façon inappropriée, car sa réponse à une question d’entrevue n’a pas été entièrement consignée par le comité d’évaluation. Elle affirme également que les autres candidats avaient tiré un avantage du fait d’obtenir la permission de consulter leurs notes au moment d’examiner les questions, permission qu’elle n’avait pas reçue. Enfin, la plaignante avance que le résultat du processus était inéquitable étant donné qu’un membre du comité d’évaluation a divulgué des renseignements sur les questions d’entrevue à une candidate nommée, et ce, avant l’entrevue de cette dernière.

2 L’intimé, le sous-ministre de la Défense nationale, nie tout abus de pouvoir dans ce processus de nomination. Il soutient que la plaignante a été évaluée de façon appropriée et qu’aucun candidat n’a eu le droit de consulter ses notes pendant la préparation à l’entrevue. L’intimé affirme que bien qu’un membre du comité ait bel et bien divulgué des renseignements se rapportant à une question d’entrevue, des mesures ont été prises à cet égard avant que les nominations ne soient effectuées.

Contexte


3 L’évaluation des candidats pour ce processus de nomination comprenait notamment des entrevues tenues par plusieurs jurys d’évaluation du 3 au 7 décembre 2007. Erinn Cable, agente des ressources humaines, a assisté à chacune d’entre elles afin d’en assurer l’uniformité. Vingt entrevues ont été menées sur cinq jours consécutifs par des jurys d’évaluation constitués de trois des sept membres du comité d’évaluation. Robert Villon, gestionnaire des dossiers et du courrier à la Direction des initiatives stratégiques et des services de soutien partagés (DISSSP), était membre du comité d’évaluation pour ce processus de nomination et membre du jury à six entrevues. L’horaire des entrevues, qui a été produit en preuve, confirme que M. Villon ne faisait pas partie du jury qui a reçu la plaignante et Guylaine Deslauriers en entrevue. La plainte en l’espèce porte sur les actes de M. Villon, ainsi que sur les mesures subséquentes prises par Gary Walbourne, directeur de la DISSSP.

4 Le 4 décembre 2007, M. Villon a téléphoné à une candidate, Mme Deslauriers, et lui a communiqué des renseignements au sujet de l’entrevue à laquelle elle a pris part plus tard le même jour. La teneur des renseignements fournis par M. Villon sera abordée en détail plus loin dans ces motifs.

5 L’entrevue de la plaignante a eu lieu le 6 décembre 2007. Le 19 décembre 2007, la plaignante a été avisée par écrit qu’elle ne possédait pas une ou plusieurs qualifications essentielles du poste. Au cours de la discussion informelle, la plaignante a été informée qu’elle ne possédait pas la capacité de négocier des services et des normes avec des organisations clientes. Une notification de nomination ou de proposition de nomination concernant Mme Deslauriers et une autre personne a été publiée sur Publiservice le 7 janvier 2008.

6 Le 16 janvier 2008, la plaignante a présenté une plainte d’abus de pouvoir au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’art. 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

7 Au départ, la plaignante avait formulé une autre allégation se rapportant au recours à plusieurs jurys de sélection dans ce processus de nomination. Or, elle n’a pas présenté d’éléments de preuve ou d’argumentation à cet égard pendant l’audience. Il n’est donc pas nécessaire que le Tribunal se penche sur cette allégation.

Questions en litige


8 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

(i) L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en nommant une candidate qui a été aidée de façon indue dans le cadre du processus de nomination?

(ii) L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans son évaluation de la plaignante?

Résumé des éléments de preuve pertinents


Évaluation de la plaignante

9 La plaignante a déclaré qu’à son arrivée à l’entrevue, elle a été accueillie par Dania Hadi, adjointe au directeur, DISSSP. Mme Hadi l’a conduite dans une salle et lui a remis les questions pour qu’elle puisse se préparer. Selon la plaignante, Mme Hadi lui a indiqué qu’elle pouvait consulter ses notes pendant qu’elle examinait les questions. Toutefois, la plaignante n’avait pas apporté de notes, car elle n’avait pas été avisée qu’elle y était autorisée.

10 La plaignante a appelé Mme Hadi comme témoin. Celle‑ci a expliqué que les candidats disposaient de 15 minutes avant l’entrevue pour examiner les questions et prendre des notes, s’ils le souhaitaient. Elle a déclaré que les candidats n’étaient pas autorisés à apporter leurs propres documents dans la salle de préparation à l’entrevue et qu’aucun d’entre eux ne l’avait fait.

11 L’intimé a appelé Duncan Retson, gestionnaire, DISSSP, comme témoin à l’audience. M. Retson a joué un rôle de premier plan dans le processus de nomination. Il a établi les critères de mérite, effectué la présélection des candidatures selon les qualifications relatives à l’expérience, participé à l’élaboration du guide d’évaluation, mené la vérification des références, tenu des discussions informelles et dirigé la sélection des candidats visant à trouver les bonnes personnes aux fins de nomination. M. Retson a déclaré que les candidats n’avaient pas l’autorisation de consulter leurs notes au cours des 15 minutes de préparation à l’entrevue.

12 La plaignante a produit en preuve le guide d’évaluation portant sur son entrevue. Celui‑ci contient les qualifications, les questions, les réponses attendues ou les critères d’évaluation, les points ou les échelles de cotation et les notes de l’évaluateur. Le jury de sélection pour l’entrevue de la plaignante était constitué de M. Retson, de Jean-Marc Béliveau, agent fonctionnel du directeur général, Services ministériels et partagés, et de Mme Cable.

13 Par rapport à la question 10 du guide d’évaluation, qui évaluait la capacité de négocier des services et des normes avec des organisations clientes, la plaignante a déclaré avoir fourni, en réponse à ladite question, des exemples de réunions au cours desquelles elle avait négocié de nouveaux services avec des clients de deux édifices du MDN.

14 La plaignante a déclaré qu’au cours de la discussion informelle, elle avait indiqué à M. Retson que les notes prises par le comité à la question 10 ne faisaient pas mention des exemples qu’elle avait fournis. M. Retson a affirmé qu’il ne se rappelait pas qu’elle ait fourni ces exemples, mais a accepté de vérifier auprès de M. Béliveau et de Mme Cable. La plaignante a déclaré que M. Retson l’avait avisée plus tard dans la journée que ni lui, ni les autres membres du jury ne se rappelaient qu’elle ait mentionné les deux clients dans le contexte de la question 10.

15 La plaignante a cité M. Béliveau comme témoin; Mme Cable a également été appelée à témoigner par l’intimé. M. Béliveau et Mme Cable ont déclaré qu’ils n’avaient jamais rencontré la plaignante avant son entrevue. M. Retson a indiqué que sa relation de travail avec la plaignante était très positive et professionnelle, bien que celle-ci ne relève pas directement de lui. La plaignante a également témoigné au sujet de sa relation avec chacun des membres du jury. Tous les témoignages concordaient à cet égard.

16 MM. Retson et Béliveau et Mme Cable ont identifié les notes qu’ils ont prises sur la réponse de la plaignante à la question 10. M. Béliveau a déclaré que la plaignante avait de la difficulté à répondre à la question 10; elle semblait nerveuse et paraissait ne pas comprendre la question. Elle a d’ailleurs demandé d’y revenir plus tard au cours de l’entrevue. M. Retson a déclaré que la question 10 était le seul outil ayant servi à évaluer la capacité de négocier des services et des normes avec des clients. Il a déclaré que la plaignante était hésitante et qu’elle avait demandé que la question 10 soit répétée. Il a également déclaré que ses notes faisaient état des détails que la plaignante avait fournis dans sa réponse, et que son résultat représentait l’évaluation de sa réponse au regard des critères d’évaluation de la qualification. M. Retson a déclaré qu’un certain nombre d’éléments attendus manquaient à la réponse de la plaignante, à laquelle le jury a attribué la cote « faible » [traduction] selon l’échelle de cotation. Mme Cable n’a pas fourni de témoignage sur ce point.

17 MM. Retson et Béliveau et Mme Cable ont décrit la procédure d’évaluation qu’ils ont suivie. Immédiatement après chaque entrevue, le jury discutait des réponses du candidat. Pour évaluer les capacités, le jury utilisait les critères d’évaluation et l’échelle de cotation correspondante afin de déterminer de concert les notes à attribuer. Le jury a attribué une note de 4 sur 10 à la plaignante pour sa réponse à la question 10.

18 M. Retson a déclaré qu’après la discussion informelle avec la plaignante, il avait parlé à M. Béliveau et à Mme Cable séparément. Il a apporté les notes de chaque membre du jury, a expressément mentionné le nom du client et des édifices, et leur a demandé si ceux‑ci leur rappelaient quoi que ce soit au sujet de la réponse de la plaignante à la question 10, Selon M. Retson, Mme Cable ne se souvenait pas d’autres détails. M. Béliveau se rappelait que la plaignante avait mentionné un des deux édifices en réponse à une autre question. Ils ont passé en revue l’évaluation de la plaignante et ont trouvé la référence dans les notes se rapportant à une autre question.

19 M. Retson a expliqué que la question 10 visait à permettre aux candidats de démontrer leur capacité à négocier avec les clients, pas leur expérience. Par conséquent, selon M. Retson, le fait de décrire simplement son expérience n’aurait pas nécessairement correspondu aux attentes du comité d’évaluation pour cette question.

Divulgation de renseignements sur l’évaluation à une candidate et mesures prises par l’intimé

(i) Appel téléphonique du 4 décembre 2007

20 La plaignante a déclaré qu’au bureau, le matin du 4 décembre 2007, Mme Deslauriers, avant son entrevue, avait affirmé à voix assez haute que M. Villon venait de lui fournir par téléphone des renseignements au sujet de l’entrevue pour le processus de nomination. Selon la plaignante, Mme Deslauriers lui a conseillé d’étudier le rôle du gouverneur général et le concept sous-jacent à la DISSSP, et lui a indiqué qu’elle n’avait pas le temps de tout lui dire tout de suite. La plaignante a également déclaré que Mme Deslauriers lui avait remis des documents. Elle a produit en preuve deux documents d’une page, qu’elle a identifiés comme ceux que Mme Deslauriers lui avait remis le 4 décembre 2007. Un des documents provenait du site Web du gouverneur général (le document sur le gouverneur général), et l’autre du site Web de la DISSSP (le document sur la DISSSP).

21 La plaignante a appelé Mme Deslauriers comme témoin à l’audience. Mme Deslauriers a déclaré qu’elle connaissait M. Villon depuis environ un an et qu’elle avait travaillé avec lui à un projet. Elle a décrit leur relation comme professionnelle et non personnelle. Mme Deslauriers a déclaré qu’au cours de leur conversation téléphonique le jour de son entrevue, M. Villon lui avait demandé si elle était nerveuse et si elle avait étudié. Mme Deslauriers a indiqué à M. Villon qu’elle avait étudié en détail l’organigramme du MDN, après quoi M. Villon lui a demandé si elle s’était informée au sujet du gouverneur général. Elle a déclaré que leur conversation n’était pas allée plus loin, et que M. Villon ne lui avait jamais révélé les questions d’entrevue. Mme Deslauriers a confirmé qu’elle avait parlé de cette conversation à la plaignante et qu’elle lui avait remis une copie des renseignements qu’elle avait imprimés à partir d’Internet. Elle a expliqué qu’elle et la plaignante se partageaient les documents de référence.

22 M. Villon a déclaré qu’il connaissait Mme Deslauriers depuis environ quatre ans et qu’elle avait été directement sous sa responsabilité à deux occasions. Il a affirmé qu’ils avaient une relation de travail amicale. M. Villon a téléphoné à Mme Deslauriers; leur discussion a d’abord porté sur le projet auquel ils travaillaient. M. Villon a reconnu qu’il avait indiqué à Mme Deslauriers qu’elle devait connaître l’organisation du MDN, et ce, jusqu’au niveau du gouverneur général. Il a également confirmé qu’il avait pris part à des entrevues le 3 décembre 2007 et qu’il savait que la réponse à la question 2 était le gouverneur général. Par ailleurs, il a affirmé que le seul renseignement qu’il avait donné à Mme Deslauriers portait sur le gouverneur général.

23 Trois autres personnes ont témoigné au sujet des déclarations que Mme Deslauriers a faites à la suite de la conversation téléphonique. Deux de ces trois personnes ont déclaré qu’après avoir parlé au téléphone, Mme Deslauriers avait évoqué non seulement le rôle du gouverneur général, mais aussi le concept sous‑jacent à la DISSSP. Aucun des témoins n’a entendu la conversation téléphonique de Mme Deslauriers avec M. Villon et, bien qu’ils aient vu Mme Deslauriers imprimer des documents et les remettre à la plaignante, aucun d’entre eux n’a vu de quoi il s’agissait.

24 La plaignante a déclaré qu’elle avait dit à Mme Deslauriers que M. Villon avait agi de façon inappropriée. Selon la plaignante, quand elle a indiqué à Mme Deslauriers qu’elle avait l’intention de parler à M. Villon, Mme Deslauriers lui a demandé d’y renoncer, car cela attirerait des problèmes à M. Villon. Aucune question à cet égard n’a été posée à Mme Deslauriers au cours de son témoignage. La plaignante a déclaré qu’elle avait effectivement communiqué avec M. Villon avant son entrevue, car elle croyait qu’il pourrait lui divulguer des renseignements à elle aussi. Elle n’a pas fait savoir à M. Villon qu’elle était au courant de sa conversation avec Mme Deslauriers.

(ii) Rencontre du 24 décembre 2007

25 La plaignante a déclaré qu’après avoir appris que Mme Deslauriers serait nommée, elle a demandé à rencontrer MM. Walbourne et Villon et un autre membre du comité d’évaluation. Ils se sont rencontrés le 24 décembre 2007. Au cours de la réunion, la plaignante a révélé qu’elle avait eu connaissance de la conversation tenue entre Mme Deslauriers et M. Villon le 4 décembre 2007. Selon la plaignante, M. Villon a d’abord nié avoir fourni des renseignements sur l’entrevue à Mme Deslauriers. Quand la plaignante lui a appris qu’elle connaissait des personnes qui avaient entendu les déclarations que Mme Deslauriers avait faites après l’appel téléphonique, M. Villon a reconnu son geste et a présenté ses excuses.

26 M. Villon a déclaré qu’il n’avait pas conscience d’avoir commis un acte répréhensible avant que le sujet ne soit abordé à la rencontre du 24 décembre 2007 avec la plaignante et M. Walbourne. Au cours de son témoignage, il a reconnu qu’il était inéquitable de fournir des renseignements sur l’évaluation à un candidat.

27 M. Walbourne détenait les pouvoirs de nomination délégués dans le cadre de ce processus; il avait subdélégué l’évaluation des candidats aux gestionnaires subordonnés. Il a déclaré qu’au cours de la rencontre du 24 décembre 2007, il avait appris que M. Villon avait révélé à Mme Deslauriers, et ce, avant son entrevue, qu’elle devrait connaître le rôle du gouverneur général. M. Walbourne a affirmé qu’il n’avait pas été informé que d’autres matériaux d’évaluation avaient été compromis.

(iii) Suivi après le 24 décembre 2007

28 Après le 24 décembre 2007, M. Walbourne a rencontré M. Villon et Mme Deslauriers séparément afin d’obtenir leur version des événements. M. Walbourne a conclu que M. Villon n’avait pas fourni d’autres renseignements que ceux qui se rapportaient à la question 2. La réponse à la question 2 était le gouverneur général.

29 M. Walbourne a ensuite communiqué avec M. Retson pour obtenir son opinion sur la situation. M. Retson avait participé à l’entrevue de la plaignante et de Mme Deslauriers. M. Walbourne a également discuté de la situation avec un autre membre du comité d’évaluation qui n’avait pas pris part à l’entrevue de la plaignante ni à celle de Mme Deslauriers. Ensuite, il a rencontré Mme Cable pour discuter des mesures à prendre pour régler les problèmes découlant du fait que M. Villon avait divulgué à Mme Deslauriers des renseignements concernant l’entrevue.

30 M. Walbourne a déclaré que bien qu’il ait envisagé d’annuler le processus, il était réticent à le faire compte tenu des ressources et du travail qui y avaient été consacrés. Il y avait eu de 120 à 130 candidats, dont 20 avaient été reçus en entrevue. Mme Cable a confirmé qu’elle avait discuté avec M. Walbourne de toutes les solutions possibles : annuler le processus et recommencer à zéro; reprendre les entrevues avec un nouveau guide d’évaluation; réévaluer la capacité visée; ou retirer la question compromise.

31 M. Walbourne était convaincu que le fait de retirer la question 2 n’aurait aucune incidence quant à la nécessité d’évaluer la qualification essentielle concernée. Il avait également déterminé que cette mesure réglerait le problème et serait équitable pour tous les candidats. La question 2 était l’une des deux questions visant à évaluer la connaissance des candidats de la structure organisationnelle du MDN et des Forces canadiennes et, en particulier, celle du Quartier général de la Défense nationale. M. Walbourne a donc décidé de retirer la question 2 du guide d’évaluation.

32 La plaignante a déclaré que M. Villon avait également conseillé à Mme Deslauriers d’étudier le concept sous-jacent à la DISSSP, ce qui avait compromis la question 3, laquelle évaluait la connaissance des candidats du concept d’une organisation de services de soutien partagés.

33 M. Villon s’est fait demander à plusieurs reprises au cours de son témoignage s’il avait fourni à Mme Deslauriers des renseignements sur le concept des organisations de services de soutien partagés. À un moment, M. Villon a répondu : « je n’en ai aucun souvenir » [traduction]. À un autre, il a nié avoir indiqué à Mme Deslauriers qu’elle devait connaître le concept sous-jacent à la DISSSP ou celui des organisations de services de soutien partagés, ou comment répondre à la question 3. Quand on lui a demandé d’examiner le document sur la DISSSP au cours de son témoignage, M. Villon a déclaré qu’il n’avait rien révélé à Mme Deslauriers concernant ce document.

34 À l’audience, quand la plaignante lui a demandé s’il avait été question des renseignements portant sur la question 3 au cours de son enquête, M. Walbourne a répondu : « Pas que je m’en souvienne » [traduction]. La plaignante a également demandé à M. Walbourne comment il avait traité la manifestation de favoritisme à l’égard de Mme Deslauriers. M. Walbourne a affirmé que si les renseignements fournis par M. Villon avaient donné un avantage à Mme Deslauriers, celle‑ci l’avait perdu quand la question 2 a été retirée. M. Walbourne a qualifié les actes de M. Villon de peu judicieuses, mais non de contraires à l’éthique.

35 La plaignante a questionné M. Retson au sujet de la question 3, qui avait été conçue pour évaluer la connaissance des candidats du concept d’une organisation de services de soutien partagés. M. Retson a expliqué que pour formuler les réponses attendues à la question 3, il a utilisé un outil de recherche Internet afin de déterminer les caractéristiques communes aux organisations de services partagés qui correspondaient aux besoins de la DISSSP. Il a procédé ainsi par souci d’équité pour les candidats provenant de l’extérieur de l’organisation. Selon M. Retson, un candidat aurait pu fournir une réponse partielle à la question 3 s’il avait fondé sa réponse sur le document sur la DISSSP.

Argumentation des parties


Argumentation de la plaignante

36 La plaignante avance que l’intimé n’a pas agi de façon conforme aux lignes directrices de la Commission de la fonction publique (CFP), aux valeurs de la LEFP et au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique.

37 La plaignante soutient que les actions de l’intimé ont mené à deux résultats inéquitables dans le processus : en premier lieu, la plaignante n’a pas été évaluée de façon appropriée en ce qui a trait à la question 10; en second lieu, les résultats du processus ne sont pas fiables, car des renseignements sur l’entrevue ont été divulgués à une candidate qui a été nommée. La plaignante cite la décision Tibbs c. le sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, à l’appui de sa position selon laquelle un résultat inéquitable constitue un abus de pouvoir.

38 La plaignante souhaite la révocation de la nomination de Mme Deslauriers.

Argumentation de l’intimé

39 L’intimé soutient qu’il n’y a aucune preuve que quelque candidat que ce soit ait eu en sa possession des documents de référence au moment de se préparer à l’entrevue. L’intimé soutient également que la plaignante n’a pas présenté d’éléments de preuve montrant qu’elle avait été évaluée de façon inéquitable, ou traitée inéquitablement par le comité. L’intimé avance que, bien que la plaignante ne souscrive pas à l’évaluation de ses qualifications par l’intimé, le Tribunal a toujours jugé qu’il ne s’agit pas d’une raison suffisante pour intervenir dans les conclusions du comité d’évaluation.

40 L’intimé concède qu’il était inapproprié de la part d’un membre du comité de fournir des renseignements à un candidat concernant l’évaluation. Toutefois, la situation a été corrigée à la première occasion. L’intimé soutient qu’il n’y a pas de preuve que Mme Deslauriers ait reçu des renseignements qui lui auraient donné un avantage pour toute question autre que la question 2. Il affirme que le fait de retirer la question 2 du processus a réglé le problème, et qu’en fin de compte, Mme Deslauriers a été nommée adéquatement en fonction du mérite.

Argumentation de la Commission de la fonction publique

41 La CFP soutient qu’aucune de ses lignes directrices n’a été enfreinte en ce qui concerne l’évaluation de la plaignante ou la question de savoir si des candidats ont eu la permission d’apporter des documents de référence à la période de préparation à l’entrevue.

42 La CFP avance qu’il était inapproprié de la part d’un membre du comité d’évaluation de donner un avantage à un candidat. Elle soutient toutefois que l’intimé a mené une enquête à cet égard en vertu de l’art. 15(3) de la LEFP et a pris les mesures correctives appropriées en retirant la question 2. La CFP fait valoir que le Tribunal ne peut se pencher sur la façon dont l’enquête a été menée ou la mesure corrective qui a été prise; il doit limiter son examen au processus corrigé, c’est-à-dire l’évaluation sans la question 2.

Répliques


Réplique de l’intimé

43 L’intimé soutient qu’une enquête menée en vertu de l’art. 15(3) de la LEFP ne limite pas la compétence du Tribunal.

Réplique de la plaignante

44 La plaignante avance qu’il est important de déterminer si une enquête en vertu de l’art. 15(3) de la LEFP a bien été menée, car, au MDN, ce pouvoir n’est pas subdélégué et seul le sous‑ministre peut procéder à une telle enquête.

Dispositions législatives pertinentes

45 La plainte a été présentée en vertu de l’art. 77(1)a) de la LEFP.

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

(a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

[...]

46 L’article 30(2) contient le passage suivant :

30. (2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

(a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

[...]

47 L’abus de pouvoir n’est pas défini dans la LEFP. Toutefois, l’art. 2(4) fournit une orientation : « Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par ‘abus de pouvoir’ la mauvaise foi et le favoritisme personnel. »

48 Les articles 15(1) et 15(3) portent sur la délégation de certains pouvoirs de la CFP aux administrateurs généraux.

15. (1) La Commission peut, selon les modalités et aux conditions qu’elle fixe, autoriser l’administrateur général à exercer à l’égard de l’administration dont il est responsable toutes attributions que lui confère la présente loi, sauf en ce qui concerne les attributions prévues aux articles 17, 20 et 22, les pouvoirs d’enquête prévus aux articles 66 à 69 et les attributions prévues à la partie 7.

(2) [...]

(3) Dans les cas où la Commission autorise un administrateur général à exercer le pouvoir de faire des nominations dans le cadre d’un processus de nomination interne, l’autorisation doit comprendre le pouvoir de révoquer ces nominations — et de prendre des mesures correctives à leur égard — dans les cas où, après avoir mené une enquête, il est convaincu qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée.

49 Les articles 47 à 49 de la LEFP sont également pertinents au regard de cette plainte :

47. À toute étape du processus de nomination interne, la Commission peut, sur demande, discuter de façon informelle de sa décision avec les personnes qui sont informées que leur candidature n’a pas été retenue.

48. (1) La Commission, une fois l’évaluation des candidats terminée dans le cadre d’un processus de nomination interne, informe, selon les modalités qu’elle fixe, les personnes suivantes du nom de la personne retenue pour chaque nomination : […]

(2) La Commission peut, pour les processus de nomination internes, fixer la période, commençant au moment où les personnes sont informées en vertu du paragraphe (1), au cours de laquelle elle ne peut ni faire ni proposer une nomination.

(3) À l’expiration de la période visée au paragraphe (2), la Commission peut proposer la nomination d’une personne ou la nommer, que ce soit ou non la personne dont la candidature avait été retenue et, le cas échéant, en informe les personnes informées aux termes du paragraphe (1).

49. Toute décision de la Commission portant nomination ou proposition de nomination est définitive et ne peut faire l’objet d’un appel ou d’une révision que conformément à la présente loi.

Analyse


50 Avant de se pencher sur la teneur des allégations, le Tribunal doit d’abord trancher une question préliminaire. Le Tribunal a entendu l’argumentation des parties en ce qui a trait aux mesures prises par M. Walbourne au moment d’enquêter sur la conduite irrégulière de M. Villon, aux conséquences qui en ont découlé, et aux étapes qu’il a suivies par la suite. La CFP a qualifié les mesures prises par M. Walbourne d’enquête menée en vertu de l’art. 15(3) de la LEFP, lequel porte sur le pouvoir d’un administrateur général de révoquer des nominations internes et de prendre des mesures correctives à la suite d’une enquête.

51 Il n’y a aucune preuve que cette affaire ait été portée à l’attention de l’administrateur général, ou que celui‑ci ait envisagé la prise de mesures correctives ou une révocation en vertu de l’art. 15(3), ce qui aurait nécessité une enquête.

52 En revanche, l’art. 47 de la LEFP prévoit que les gestionnaires délégataires peuvent examiner les questions soulevées par des candidats dont la candidature n’a pas été retenue dans le cadre d’un processus de nomination interne et prendre des mesures correctives s’il y a lieu. Voir la décision Rozka c. le sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2007 TDFP 0046, para. 76.

53 Les articles 47, 48 et 49 de la LEFP, pris ensemble, permettent la tenue de discussions informelles et la résolution de problèmes avant la publication d’une notification de nomination ou de proposition de nomination, après laquelle la décision de nomination est définitive et ne peut être révisée qu’en vertu de certaines dispositions précises de la LEFP.

54 En l’espèce, le gestionnaire délégataire, M. Walbourne, a été informé de la conduite irrégulière de M. Villon par la plaignante le 24 décembre 2007. Il a examiné la question et a pris des mesures pour y remédier avant la publication de la notification de nomination ou de proposition de nomination, le 7 janvier 2008. Le Tribunal juge que le gestionnaire délégataire a agi en conformité avec l’art. 48 de la LEFP. Il ne s’agissait pas d’une enquête menée afin que l’administrateur général détermine s’il devait exercer son pouvoir en vertu de l’art. 15(3) de révoquer une nomination ou de prendre des mesures correctives.

Question I : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en nommant une candidate qui a été aidée de façon indue dans le cadre du processus de nomination?

55 Personne ne conteste le fait que M. Villon a divulgué des renseignements sur l’évaluation à Mme Deslauriers, laquelle a été nommée par la suite. Celle‑ci avait travaillé sous sa supervision à deux reprises et ils avaient une relation de travail amicale. Il lui a fourni des renseignements sur l’évaluation, ce qui lui a conféré un avantage dans le processus de nomination. M. Villon a déclaré qu’il ne s’était pas rendu compte qu’il avait commis un acte répréhensible avant la rencontre du 24 décembre 2007. Il est difficile de concevoir qu’il n’avait pas conscience que son acte était répréhensible avant cette rencontre; néanmoins, sa conduite constituait un abus de pouvoir. À titre de gestionnaire délégataire chargé de l’évaluation des qualifications des candidats dans le processus de nomination, la conduite inacceptable de M. Villon a entaché tout le processus de nomination au regard le l’évaluation de Mme Deslauriers.

56 D’après l’art. 2(4) de la LEFP, l’abus de pouvoir comprend notamment le favoritisme personnel. Au paragraphe 41 de la décision Glasgow c. le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 0007, le Tribunal a donné un certain nombre d’exemples qui pourraient être considérés comme du favoritisme personnel. Fournir une aide inappropriée à un candidat est également un exemple de favoritisme personnel. En l’espèce, M. Villon a conféré à Mme Deslauriers un avantage indu en lui révélant des renseignements sur l’évaluation avant son entrevue. Ses actes constituaient du favoritisme personnel et, par conséquent, un abus de pouvoir.

57 Bien que cette constatation soit suffisante en soi pour conclure que l’intimé a abusé de son pouvoir, le Tribunal examinera les mesures prises par M. Walbourne une fois qu’il a pris connaissance des préoccupations de la plaignante afin de déterminer s’il y avait eu d’autres actes teintés d’abus de pouvoir dans ce processus. Comme le Tribunal l’a expliqué dans une de ses premières décisions, Tibbs, aux para. 70 et 71, un délégataire peut abuser de son pouvoir s’il se fonde sur des éléments insuffisants, notamment s’il omet de tenir compte des éléments pertinents. Par ailleurs, un résultat inéquitable peut constituer un abus de pouvoir.

58 Quant au suivi après le 24 décembre 2007, l’intimé a pris des mesures pour contrer l’incidence de la conduite irrégulière de M. Villon. D’après les résultats de son enquête, M. Walbourne a conclu que seule la question 2 était touchée. La question 2 est ainsi formulée : « Quel est le nom ou le titre du commandant en chef des Forces canadiennes? » [traduction]. M. Walbourne a déterminé que les résultats du processus de nomination seraient fiables si cette question était retirée de l’évaluation, et l’a donc éliminée.

59 La plaignante ne conteste pas la décision de l’intimé de ne plus tenir compte des réponses des candidats à la question 2. Toutefois, elle ne souscrit pas à l’affirmation de l’intimé selon laquelle il s’agit de la seule question à avoir été compromise.

60 À l’audience, la plaignante a tenté de démontrer que la question 2 n’était pas la seule à avoir été touchée. Elle a affirmé que, le 4 décembre 2007, M. Villon a également indiqué à Mme Deslauriers qu’elle aurait besoin de connaître le concept sous‑jacent à la DISSSP, sur lequel portait la question 3 de l’entrevue. La question 3 est formulée comme suit :

Connaissance du concept d’une organisation de services de soutien partagés.

Nommez jusqu’à cinq principales caractéristiques ou composantes d’une organisation de services de soutien partagés. [traduction]

61 La qualification évaluée par la question 3 est de nature générique, tout comme la question elle‑même et les réponses attendues. Néanmoins, la DISSSP, la Direction des initiatives stratégiques et des services de soutien partagés, est justement une organisation de services de soutien partagés.

62 Quand les témoins présentent des témoignages contradictoires, une analyse de la crédibilité des témoins peut s’avérer nécessaire. Au paragraphe 45 de la décision Glasgow, le Tribunal s’est référé au critère relatif à la crédibilité des témoins établi dans la décision Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A. C.-B.) à la page 357. Selon ce critère, il incombe au Tribunal de déterminer laquelle des versions une personne informée et douée de sens pratique reconnaîtrait d’emblée comme raisonnable compte tenu des circonstances.

63 Les témoignages portant sur la question de savoir si M. Villon a conseillé à Mme Deslauriers d’étudier le concept sous‑jacent à la DISSSP sont contradictoires. M. Villon affirme que les seuls renseignements qu’il a divulgués se rapportaient à la question 2, qui concernait le rôle du gouverneur général. Compte tenu des actes de M. Villon et du fait qu’il a tenté de nier toute conduite inappropriée au départ, une personne raisonnable aurait des réserves au sujet de la crédibilité de son témoignage à cet égard.

64 Le 4 décembre 2007, Mme Deslauriers a déclaré très ouvertement qu’elle avait reçu des renseignements sur l’évaluation. Tout au long de son témoignage, elle a maintenu que les seuls renseignements qu’elle avait obtenus de M. Villon concernaient le rôle du gouverneur général.

65 Cependant, le Tribunal remarque un manque de cohérence entre le témoignage de Mme Deslauriers et celui de M. Villon quant à des faits simples. Par exemple, leurs témoignages respectifs sur la question de savoir depuis quand ils se connaissaient ne concordent pas. Selon Mme Deslauriers, ils se connaissaient depuis environ un an seulement. M. Villon a déclaré qu’il connaissait Mme Deslauriers depuis environ quatre ans et qu’elle avait été directement sous sa responsabilité à deux reprises. En outre, Mme Deslauriers ne se rappelait pas avoir eu d’autres discussions avec M. Villon au sujet des événements du 4 décembre 2007. Toutefois, M. Villon a affirmé qu’il avait parlé des événements du 4 décembre 2007 après la rencontre du 24 décembre 2007. Une personne raisonnable remarquerait que Mme Deslauriers a grandement et directement intérêt à maintenir sa position selon laquelle elle n’a pas reçu d’autres renseignements; sa nomination fait l’objet de la plainte et pourrait par conséquent être révoquée.

66 La plaignante a déclaré que le 4 décembre 2007, Mme Deslauriers lui avait indiqué d’étudier le concept sous‑jacent à la DISSSP et avait imprimé le document sur la DISSSP, qu’elle lui avait ensuite remis. Or, le document sur la DISSSP que la plaignante a produit à l’audience ne constitue pas une preuve fiable, étant donné que la date la plus ancienne qui figure sur le document est le 13 mai 2008.

67 Toutefois, trois autres personnes qui se trouvaient dans le bureau le 4 décembre 2007 ont témoigné devant le Tribunal. Aucune d’entre elles n’a entendu ce que M. Villon a dit à Mme Deslauriers au téléphone ce jour‑là, mais elles ont toutes entendu ce que Mme Deslauriers a dit après avoir raccroché. Une des trois a déclaré que Mme Deslauriers avait affirmé qu’on lui avait indiqué quoi étudier. Les deux autres ont déclaré que Mme Deslauriers avait expressément mentionné à la fois le rôle du gouverneur général et le concept sous‑jacent à la DISSSP. Aucun élément de preuve ne permet de mettre en doute l’impartialité de ces trois témoins ou la crédibilité de leur témoignage.

68 Une personne informée et douée de sens pratique reconnaîtrait d’emblée comme raisonnable dans les circonstances de considérer que M. Villon a divulgué des renseignements sur la DISSSP à Mme Deslauriers le 4 décembre 2007 avant son entrevue, et que ces renseignements étaient clairement liés à une autre qualification essentielle.

69 L’enquête de M. Walbourne à cet égard s’est limitée à des discussions avec M. Villon et Mme Deslauriers. Après la rencontre du 24 décembre 2007, il ne s’est pas renseigné davantage auprès de la plaignante, et bien que celle‑ci ait indiqué que des personnes avaient entendu les déclarations que Mme Deslauriers a formulées au bureau le 4 décembre 2007, il n’a pas non plus communiqué avec elles. De plus, il est fort révélateur que la notification de nomination ou de proposition de nomination ait été publiée le 7 janvier 2008, seulement cinq jours ouvrables après la rencontre du 24 décembre 2007.

70 M. Walbourne n’a pas constaté la mesure dans laquelle le processus de nomination avait été entaché. Par conséquent, le Tribunal n’est pas convaincu que le fait de retirer la question 2 a suffi à éliminer l’incidence que la conduite irrégulière de M. Villon avait eue sur les résultats du processus de nomination.

71 Le Tribunal conclut que le gestionnaire délégataire, M. Walbourne, a abusé de son pouvoir. Dans le cadre de son suivi après le 24 décembre 2007, il s’est fondé sur des éléments insuffisants pour en arriver à la décision que seule la question 2 avait été compromise. Le 24 décembre 2007, il a appris qu’il y avait des témoins de l’incident du 4 décembre 2007, et pourtant, il a seulement consulté la plaignante, Mme Deslauriers et M. Villon. Il n’a pas tenu compte des éléments pertinents; plus particulièrement, il a omis de faire l’enquête nécessaire auprès des trois employés qui ont entendu les déclarations que Mme Deslauriers a faites au bureau après avoir discuté avec M. Villon au téléphone le 4 décembre 2007. En outre, selon le Tribunal, en omettant de faire l’enquête nécessaire, M. Walbourne a agi avec grave négligence, au point où ses actions pourraient équivaloir à de la mauvaise foi. Voir, par exemple, les décisions Robert et Sabourin c. le sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2008 TDFP 0024, et Burke c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0003.

72 Mme Deslauriers a été nommée à la suite de ce processus de nomination. Aucune preuve présentée à l’audience ne montre que M. Villon a joué quelque rôle que ce soit dans l’évaluation de Mme Deslauriers, ou que ceux qui l’ont évaluée se soient conduits de façon irrégulière. Toutefois, le fait qu’elle ait reçu des renseignements et des indices avant son entrevue équivaut à de la tricherie. Cela a compromis son évaluation dans une telle mesure que sa nomination ne peut être fondée sur le mérite. Ainsi, le Tribunal conclut que la nomination de Mme Deslauriers constitue un résultat inéquitable.

73 En résumé, le Tribunal juge que l’intimé a abusé de son pouvoir sur trois aspects. D’abord, les actes de M. Villon constituaient du favoritisme personnel. Ensuite, M. Walbourne a fait preuve de négligence sérieuse et s’est fondé sur des éléments insuffisants dans son suivi après le 24 décembre 2007. Enfin, la nomination d’une candidate qui n’avait pas été évaluée de façon appropriée constituait un résultat inéquitable.

74 Par conséquent, le Tribunal conclut que l’intimé a abusé de son pouvoir en nommant Mme Deslauriers.

Question II : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans son évaluation de la plaignante?

75 Selon la plaignante, Mme Hadi lui a indiqué qu’elle pouvait consulter ses notes pendant qu’elle examinait les questions d’entrevue. Mme Deslauriers n’a pas été questionnée à cet égard et aucun autre candidat n’a témoigné sur ce point.

76 Mme Hadi a déclaré que les candidats ne pouvaient pas apporter de notes ou de documents de référence pour la préparation à l’entrevue, mais qu’ils étaient autorisés à prendre des notes pendant qu’ils examinaient les questions. M. Retson a également affirmé que les candidats n’avaient pas le droit d’apporter de documents de référence à la préparation à l’entrevue.

77 C’est au plaignant qu’il incombe de s’acquitter du fardeau de la preuve, selon la prépondérance des probabilités, dans le cadre d’une plainte d’abus de pouvoir présentée en vertu de la LEFP. (Voir la décision Tibbs, para. 50, 53 et 55).

78 Le témoignage de Mme Hadi concorde avec celui de M. Retson. Dans les circonstances, le Tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que la plaignante n’a pas démontré que Mme Hadi avait indiqué, à elle ou à d’autres candidats, qu’il était permis d’apporter des notes et de les consulter au moment d’examiner les questions d’entrevue.

79 La plaignante conteste également la note qui lui a été attribuée pour la question 10 de l’entrevue, laquelle est formulée comme suit :

Capacité de négocier des services et des normes avec diverses organisations clientes.

Q10. Au MDN, il y a des intérêts difficiles à concilier, et parfois, différentes demandes des clients, différents niveaux de service pour le même produit, ou des demandes de services qui ne sont pas fournis par la DISSSP. À titre de gestionnaire, vous passerez beaucoup de temps à négocier avec diverses organisations clientes. Comment négocieriez‑vous de manière à plaire au client et à conserver sa clientèle tout en respectant votre mandat?

[traduction]

80 La plaignante a déclaré que deux exemples de réunions avec des clients particuliers au sujet de services pour des édifices précis qu’elle a donnés ne figurent pas dans les notes des membres du jury concernant la question 10 dans son guide d’évaluation.

81 L’objectif de la question 10 est clairement énoncé dans le guide d’évaluation : il s’agit d’évaluer la capacité de négocier. Six critères d’évaluation ont été établis :

  • Prouve son point de vue.
  • Garde une attitude positive dans ses relations avec les autres.
  • Sait qui sont les « vrais » intervenants et décideurs, et s’assure que les modalités négociées sont bien comprises par toutes les parties.
  • Pose des questions appropriées et divulgue l’information diligemment dans le but d’obtenir les renseignements nécessaires.
  • Prévoit les conséquences directes et indirectes de chaque mesure prise.
  • Cherche à trouver des solutions favorables ou acceptables pour toutes les parties lorsque c’est approprié.

[traduction]

82 La description que la plaignante a fournie des éléments manquants dans les notes prises par le jury ne suffit pas pour conclure que ceux‑ci étaient pertinents au regard des critères d’évaluation. D’après le témoignage de la plaignante, sa réponse démontrait qu’elle possédait l’expérience de la négociation, mais la question n’était pas conçue pour évaluer si les candidats avaient déjà mené des négociations. Les candidats devaient montrer comment ils mèneraient des négociations. Le jury était à la recherche de réponses qui satisfaisaient aux critères d’évaluation, lesquels décrivaient la façon dont l’intimé souhaitait que les gestionnaires des centres de services à la clientèle d’immeuble abordent les négociations avec les clients. La plaignante n’a pas décrit en détail la teneur de sa réponse ni expliqué pourquoi elle estime que celle‑ci satisfaisait aux critères d’évaluation de la qualification essentielle.

83 Le Tribunal conclut donc que la plaignante n’a pas démontré qu’elle avait été évaluée de façon inappropriée.

84 Un certain nombre de personnes étaient complices dans cette affaire. N’importe quel employé concerné aurait pu prendre des mesures pour dénoncer cet abus manifeste avant qu’il n’entache le processus de nomination et la réputation de l’organisation. Il est inexcusable qu’une personne occupant le poste de M. Villon agisse de la sorte. Il est tout aussi inexcusable que Mme Deslauriers n’ait pas dénoncé cette conduite irrégulière. Le Tribunal n’est pas d’accord avec elle quand elle soutient qu’elle n’a rien à se reprocher. Bien qu’elle n’ait pas cherché à obtenir des renseignements sur l’évaluation auprès de M. Villon, elle a gardé le silence afin de bénéficier de son action. La plaignante a elle aussi bénéficié d’une connaissance préalable de l’évaluation; son évaluation n’est donc pas moins entachée que celle de Mme Deslauriers. Elle a également gardé le silence, et n’a dénoncé l’irrégularité qu’une fois qu’elle a appris que le processus de nomination ne s’était pas conclu en sa faveur. De plus, les autres employés qui ont été témoins des événements du 4 décembre 2007 ont omis de déclarer cette conduite irrégulière aux autorités compétentes.

85 En outre, MM. Walbourne et Retson et Mme Cable étaient tous au courant, bien qu’ils l’aient su après coup, que M. Villon avait divulgué des renseignements à une candidate dont la candidature a été retenue. Il semble qu’aucun d’entre eux n’était conscient de la mesure dans laquelle ce comportement allait à l’encontre des valeurs de la LEFP.

Décision


86 Pour tous ces motifs, la plainte est accueillie.

Ordonnance


87 Le Tribunal ordonne que l’administrateur général révoque la nomination de Guylaine Deslauriers dans les 60 jours suivant l’ordonnance.


Merri Beattie
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2008-0036
Intitulé de la cause :
Nora Martin et le sous‑ministre de la Défense nationale
Audience :
Du 3 au 6 février 2009
Ottawa, Ontario
Date des motifs :
9 novembre 2010

COMPARUTIONS

Pour la plaignante :
Louis Bisson
Pour l'intimé :
Martin Desmeules
Pour la Commission de
la fonction publique :
Marie-Josée Montreuil
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