Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les candidats devaient remplir en ligne un outil d’évaluation, lequel outil était ensuite soumis à l’appréciation du gestionnaire appelé à effectuer l’évaluation. Le plaignant a soutenu que ce dernier était motivé par la mauvaise foi ainsi qu’un parti pris de longue date contre lui. L’intimé a nié tout abus de pouvoir dans le processus de nomination; et selon lui il n’y a eu de la part du gestionnaire en cause ni mauvaise foi, ni parti pris de longue date contre le plaignant. La candidature de ce dernier n’a pas été retenue parce qu’il ne possédait pas les qualifications essentielles liées au poste. Décision : Le Tribunal a fait remarquer que le plaignant a beau évoquer à la fois le parti pris et la mauvaise foi dans son allégation d’abus de pouvoir, son témoignage et son argumentation reposent essentiellement sur l’affirmation selon laquelle son gestionnaire avait un parti pris contre lui et que ce parti pris constituait de la mauvaise foi. Il n’y avait aucune preuve de parti pris. Le Tribunal devait donc déterminer si les éléments de preuve étaient suffisants pour corroborer une allégation de crainte raisonnable de partialité. Le critère établissant la crainte raisonnable de partialité est le suivant : un observateur relativement avisé pourrait-il raisonnablement percevoir l’existence d’un parti pris chez une ou plusieurs des personnes ayant participé à l’évaluation du plaignant? Le Tribunal a estimé qu’il suffisait d’une évaluation objective des éléments de preuve pour obtenir une explication cohérente des événements sur lesquels se basait le plaignant pour appuyer son allégation d’abus de pouvoir. Le plaignant n’avait pas prouvé son allégation de crainte raisonnable de partialité. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2008-0807
Rendue à:
Ottawa, le 22 juin 2010

SOHAIL A. UMAR-KHITAB
Plaignante
ET
LE SOUS-MINISTRE DE RESSOURCES HUMAINES ET DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir aux termes de l'alinéa 77(1)b) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Joanne B. Archibald, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Umar-Khitab c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développment des compétences Canada et al.
Référence neutre:
2010 TDFP 0005

Motifs de la décision

Introduction

1Le plaignant, Sohail A. Umar-Khitab, s’est porté candidat à un processus de nomination interne annoncé visant la dotation du poste de chef d’une équipe de programmeurs-analystes, GI/TI, et de chef d’équipe du soutien technique, GI/TI, à Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC). Comme il n’a pas été nommé, il a par la suite présenté une plainte d’abus de pouvoir. Il affirme que l’intimé, le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, a abusé de son pouvoir en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). Le plaignant soutient que le gestionnaire qui a effectué son évaluation était motivé par la mauvaise foi et un parti pris de longue date à son endroit.

2L’intimé nie tout abus de pouvoir dans le processus de nomination; selon lui, il n’y a eu de la part du gestionnaire, Robert Storms, ni mauvaise foi ni parti pris de longue date contre le plaignant. La candidature de ce dernier n’a pas été retenue parce qu’il ne possédait pas les qualifications essentielles liées au poste.

3Au départ, le plaignant avait présenté dix allégations; toutefois, neuf ont été retirées, de sorte qu’il ne reste que l’allégation de mauvaise foi et de parti pris.

Contexte

4L’intimé a publié une annonce de possibilité d’emploi sur Publiservice visant la dotation de postes de chef d’une équipe de programmeurs-analystes, GI/TI, et de chef d’équipe du soutien technique, GI/TI (technique) (CS 03), à Ressources humaines et Développement des compétences Canada partout au pays (processus de nomination 2007 CSD-IA0-NHQ-18006). Le plaignant a présenté sa candidature, laquelle a été retenue à la présélection.

5L’évaluation des candidats était un processus par étapes fondé sur l’outil d’évaluation, un document à remplir en ligne avant le 18 décembre 2007 et dans lequel chaque qualification faisait l’objet de questions auxquelles les candidats devaient répondre. Pour les aider à remplir le document, on a fourni aux candidats une version électronique du « Guide du candidat pour le processus de dotation collective CS-03 » [traduction] (le guide du candidat) et l’Énoncé des critères de mérite. Le guide du candidat précisait que l’outil d’évaluation serait envoyé au gestionnaire pour être vérifié et commenté.

6L’outil d’évaluation était ensuite évalué par le gestionnaire du candidat (le gestionnaire d’évaluation). Les gestionnaires avaient reçu une formation leur permettant d’effectuer l’évaluation et avaient reçu le « Guide du gestionnaire pour le processus de dotation collective CS-03 » [traduction] (le guide du gestionnaire) afin de les guider tout au long du processus. Si un gestionnaire constatait qu’un candidat ne possédait pas les connaissances requises, une deuxième évaluation des connaissances était effectuée par le Comité d’examen. Le Comité d’examen était chargé de l’évaluation finale de chaque candidat; deux de ses membres vérifiaient individuellement le résultat obtenu pour les connaissances avant de l’envoyer à l’étape suivante. Cette étape supplémentaire ne s’appliquait qu’aux qualifications relatives aux connaissances.

7Ensuite, le résultat obtenu pour l’ensemble des critères de mérite était examiné par un Comité d’évaluation de la direction. Ce type de comité a été créé pour représenter divers portefeuilles et directions au sein du ministère. Le gestionnaire d’évaluation devait présenter son évaluation au Comité d’évaluation de la direction afin de la justifier et de répondre aux questions la concernant. L’évaluation était ensuite présentée au Comité d’examen qui, après avoir pris en compte le résultat de l’évaluation, déterminait si le candidat était qualifié à la lumière des renseignements à sa disposition.

8La structure du processus de nomination comprenait également un Comité de résolution de conflits établi expressément pour traiter les situations de conflit ou de parti pris pouvant survenir entre les gestionnaires et les candidats prenant part au processus de nomination.

9L’outil d’évaluation rempli par le plaignant a été évalué par son gestionnaire, M. Storms. Il a ensuite été examiné par le Comité d’évaluation de la direction, puis par le Comité d’examen. Au terme de l’évaluation du Comité d’examen, il a été conclu que le plaignant ne possédait pas les qualifications essentielles pour le poste.

Question

10Le Tribunal doit trancher la question suivantes :

  1. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir dans l'application du principe de mérite en faisant preuve de parti pris?

Résumé des éléments de preuve pertinents

11Le processus de nomination interne annoncé en l’espèce a été lancé en février 2007 et a suscité 684 candidatures pour la dotation d’environ 100 postes. Robert Sharlow, directeur, Solutions automatisées pour l’organisation, a mené le processus de nomination dès le début et était présent à titre de témoin à l’audience pour en décrire la structure et les procédures. Il a expliqué que, à la suite de la présélection, les 568 candidats restants ont été invités à remplir l’outil d’évaluation.

12Le plaignant a rempli et remis l’outil d’évaluation. Dans son témoignage, il a reconnu qu’il n’avait pas consulté le guide du candidat. Après avoir remis l’outil d’évaluation, il a reçu pour consigne de fournir le nom de son gestionnaire CS-04. Ce renseignement était nécessaire d’après les exigences relatives au processus indiquées dans le guide du candidat :

La direction des ressources humaines l’enverra [l’outil d’évaluation] à votre gestionnaire (poste d’attache ou poste intérimaire CS-04) pour qu’il soit vérifié et commenté. Votre gestionnaire examinera ce que vous avez écrit et vous évaluera au regard de chacune des qualifications essentielles, seul ou avec l’aide d’un chef d’équipe et de projet (CS-03). […]

[traduction]

13Le plaignant a fourni le nom de M. Storms. Dans son témoignage, M. Storms a déclaré que le plaignant et lui se connaissaient depuis environ six ans et avaient eu des échanges réguliers concernant divers sujets. M. Storms a agi à titre de répondant pour le plaignant pour d’autres processus de nomination; dans le présent processus, en plus de jouer le rôle de gestionnaire d’évaluation, il a été nommé personne responsable de la validation par le plaignant. M. Storms a confirmé qu’il avait suivi la formation à l’intention des gestionnaires. Au total, il a effectué l’évaluation de six employés, dont deux ont été jugés qualifiés.

14Au cours de la période d’évaluation, le plaignant s’est absenté régulièrement du bureau pour remplir un engagement ailleurs. Il a fourni par l’entremise de son compte courriel Hotmail le nom de personnes à même de valider les exemples qu’il avait donnés. Pour terminer l’évaluation, M. Storms a ensuite communiqué avec ces personnes afin d’obtenir des renseignements pertinents à l’appui des exemples donnés dans l’outil d’évaluation. Le plaignant a également fourni un curriculum vitae; toutefois, M. Storms ne l’a pas trouvé très utile pour l’aider à associer les personnes responsables de la validation aux dates données par le plaignant pour chacune de ses expériences de travail. Au cours de cette période, le plaignant n’a exprimé aucune préoccupation concernant la participation de M. Storms, car il était satisfait des renseignements qu’il avait inscrits dans l’outil d’évaluation.

15Richard Thomas était l’une des personnes responsables de la validation avec qui M. Storms a communiqué; c’était un ancien collègue du plaignant. Quand il a répondu à M. Storms le 3 mars 2008, il lui a directement adressé une partie de son message. Voici ce qu’il a écrit :

M. Storms : Je suis préoccupé du préjugé (apparent ou réel) dans ce processus que, je présume, vous présidez ou dans lequel vous avez à tout le moins un rôle à jouer. Mes préoccupations découlent des commentaires que vous avez formulés concernant M. Umar Khitab tout juste avant le début de son affectation à titre de chef d’équipe. Vous avez déclaré, en présence de cinq de vos chefs d’équipe subalternes, que vous deviez lui laisser une chance même si vous ne le souhaitiez pas, et qu’il allait faire preuve d’incompétence. À cette table se trouvait également un collègue de M. Umar Khitab. Ces commentaires ont été formulés avant même que M. Umar Khitab ait la chance d’exécuter le travail, même s’il avait déjà démontré dans le cadre d’un processus accéléré qu’il possédait les compétences nécessaires. Cette attitude préjudiciable a nui à ses chances de succès à ce moment-là, et des mesures doivent être prises pour que cela ne se reproduise pas au cours du présent processus de nomination.

Je voudrais savoir quelles seront les mesures prises afin de s’assurer que M. Umar Khitab est traité de façon juste et que l’intégrité (réelle ou perçue) du processus est maintenue en ce qui le concerne.

[traduction]

16M. Thomas ne s’est pas présenté à l’audience pour discuter du contenu de ce message. Selon les dossiers, après l’avoir reçu, M. Storms a fait suivre le message à un gestionnaire des relations de travail de même qu’à son directeur. Aucune mesure de suivi ne lui a été indiquée. M. Storms a donc poursuivi son évaluation de l’outil d’évaluation préparé par le plaignant.

17Le plaignant a déclaré qu’après avoir pris connaissance du message de M. Thomas, il s’était mis à douter qu’il soit approprié que M. Storms effectue son évaluation. Il a par la suite entrepris de communiquer avec les personnes qui auraient pu être présentes à la réunion à laquelle M. Thomas avait fait référence. La partie pertinente du courriel qu’il leur a envoyé contenait ce qui suit :

J’ai appris que vous aviez assisté à une réunion de chefs d’équipe CS-03 avant ma dernière affectation à titre de chef d’équipe CS-03 au cours de laquelle Bob Storms a fait des remarques désobligeantes au sujet de mes compétences. Plus particulièrement, il a affirmé que je serais incompétent en tant que chef d’équipe et qu’il ne voulait pas me donner la chance d’occuper ce poste. Il a ensuite déclaré qu’il était forcé de me donner cette chance.

Je voudrais connaître le nom des autres personnes présentes à cette réunion ainsi que vos impressions au sujet de ces commentaires. Je voudrais également savoir s’il y a eu d’autres propos à cet égard au cours de cette réunion.

[traduction]

18Le plaignant a reçu deux réponses. La première venait de Paul Palozzi, chef d’équipe du soutien technique, GI/TI : « Je ne peux malheureusement vous être d’aucune aide. Bob n’a jamais fait de commentaires négatifs à propos de vous ou à propos de qui que ce soit aux réunions auxquelles j’ai assisté » [traduction]. La seconde venait de JayR. Perehinchuk, chef d’équipe de TI pour Toronto Ouest et York : « Je ne me souviens pas de la réunion à laquelle vous faites référence » [traduction]. Le plaignant n’a pas appelé ces personnes à témoigner à l’audience, ou toute autre personne qui aurait assisté à la réunion.

19M. Storms a nié que l’incident auquel M. Thomas a fait référence se soit produit. Il a déclaré que rien de tout cela n’était arrivé et que le récit était faux. Il a affirmé que cet acte témoignait d’une relation de travail difficile avec M. Thomas.

20Le plaignant a fait part au Comité de résolution des conflits de ses préoccupations à l’égard du fait que M. Storms effectue son évaluation. Il a entrepris la démarche en août 2008 et l’a justifiée ainsi : « Je suis en conflit avec le gestionnaire qui m’a évalué. Je tiens de bonne source qu’il a fait des remarques préjudiciables à mon sujet à ses subalternes » [traduction].

21Le 28 novembre 2008, le plaignant a fait une présentation au Comité de résolution des conflits. Le 19 décembre 2008, le Comité de résolution des conflits a conclu que la situation ne s’apparentait pas à un préjugé apparent ni à un conflit perçu entre le plaignant et son gestionnaire.

22À l’audience, le plaignant a déclaré que les commentaires de M. Thomas montraient sous un nouveau jour certains événements de sa carrière, et il s’est fondé sur ces derniers pour étayer son affirmation selon laquelle M. Storms a fait preuve de parti pris et de mauvaise foi. Il a fourni plusieurs exemples, dont les principaux étaient le manque d’occasions d’intérim aux niveaux supérieurs, l’élimination d’occasions de perfectionnement par l’affectation du personnel et le refus de l’employeur de financer sa formation en langue française.

23Le plaignant a présenté un tableau montrant les affectations temporaires accordées à 17 de ses collègues. Selon ce tableau, le plaignant avait reçu une affectation de trois mois à Belleville au cours de l’exercice 2006 2007, et il avait refusé des affectations au cours de 2007-2008. En revanche, d’autres employés avaient reçu de une à trois affectations au cours de 2006 2007 et davantage en 2007 2008. Le plaignant a présenté un courriel en date du 27 juin 2007 adressé à une tierce partie dans lequel il indiquait : « J’ai clairement fait savoir à Bob [Storms] après sa première proposition que seules les affectations à long terme m’intéressaient, étant donné que c’est ce dont j’avais besoin pour répondre aux critères de présélection. D’autres ont reçu des offres d’affectation de quatre mois » [traduction]. Le tableau des affectations dressé par le plaignant montrait qu’au cours de la période de deux ans visée, les employés avaient accumulé de une à cinq affectations pour une durée totale de deux à treize mois.

24M. Storms a déclaré que le poste de chef d’équipe avait fait l’objet de nombreuses rotations et que tout employé intéressé avait eu la chance de l’occuper. Le plaignant a refusé des affectations avant et après son affectation intérimaire, invoquant qu’ils étaient de courte durée.

25Le plaignant considère également que quand il a occupé un poste CS 03 par intérim à Belleville en 2006 2007, il lui a été difficile d’obtenir des renseignements concernant l’équipe qu’il allait prendre en charge. Cependant, il a reconnu qu’il ignorait si cette situation était attribuable à M. Storms.

26M. Storms a expliqué que chaque nouvelle affectation donnait lieu à un transfert de la responsabilité entre l’ancien et le nouveau chef. Il n’était au courant d’aucune occasion où des renseignements avaient été dissimulés à un chef d’équipe. Au cours de son affectation, le plaignant assistait à des rencontres individuelles régulières avec M. Storms ainsi qu’à des réunions de chefs d’équipe toutes les deux semaines. M. Storms avait cru comprendre que le plaignant avait indiqué à des supérieurs que son affectation se déroulait bien.

27En ce qui a trait aux mutations d’autres employés, le plaignant a fait état dans son témoignage de la situation d’un employé de groupe et de niveau CS 02 qui a été muté de Scarborough à Belleville. Le plaignant estime que, même s’il était CS 01, il était le mieux qualifié pour occuper ce poste. Toutefois, cette possibilité lui a été refusée quand il a été décidé que le poste serait doté au moyen d’une mutation. Il considère la décision d’avoir recours à une mutation pour doter le poste CS 02 comme arbitraire.

28M. Storms a répondu à cette affirmation à l’audience. Il a expliqué que, à ce moment là, le ministère disposait « d’amplement » [traduction] d’employés du groupe et du niveau CS 02 pour effectuer le travail. La mutation faisait partie d’un plan de ressources humaines; il ne s’agissait pas d’une occasion d’accroître le nombre de postes CS 02, ni d’une affectation de perfectionnement. M. Storms a ajouté que des représentants du ministère avaient rencontré le plaignant pour discuter de sa classification et l’avaient informé qu’en tant que titulaire d’un poste CS 01, il n’était pas admissible à cette mutation. À une autre occasion, le plaignant a demandé une mutation à Ottawa, qui lui a été accordée. Quand il a demandé à être considéré comme en déplacement pendant trois mois, le ministère a refusé et le processus s’est arrêté.

29Le plaignant a également affirmé qu’on lui avait refusé une affectation au groupe et au niveau CS 02 pour un projet de réaménagement à Pembroke même s’il souhaitait y participer à titre de CS 01 pour démontrer ses compétences. Selon lui, ce refus était arbitraire. Il soutient qu’il a fait part de ses préoccupations concernant les affectations de perfectionnement à M. Storms à de nombreuses reprises, et que les explications de ce dernier à cet égard manquaient de transparence.

30M. Storms a répondu que le projet Pembroke était coordonné par les chefs d’équipe et qu’il n’y avait pas participé.

31Concernant la formation en langue française, le plaignant a déclaré qu’il avait dû prendre congé pour suivre une formation à ses frais, car le ministère lui avait refusé un congé financé. On lui a dit que la maîtrise du français ne faisait pas partie des exigences de son poste.

32M. Storms a également répondu à cette affirmation. Il a déclaré que cette formation était considérée comme un perfectionnement non essentiel. Le plaignant s’est inscrit à des cours de formation linguistique offerts dans la collectivité, qui se déroulaient pendant les heures de travail. Le plaignant a réorganisé son horaire de travail pour pouvoir les suivre. M. Storms lui a offert de rembourser ses cours quand il les aurait terminés avec succès. Toutefois, selon M. Storms, le plaignant a refusé, invoquant la déduction d’impôt à laquelle il aurait droit autrement.

Argumentation des parties

A) Argumentation du plaignant

33Avant de présenter son argumentation et comme il a été indiqué plus haut, le plaignant a retiré neuf des dix allégations présentées dans sa plainte initiale. Il a limité son allégation à la mauvaise foi et au parti pris de M. Storms. Il s’appuie sur le message rédigé par M. Thomas dans lequel celui ci se montrait critique à l’égard de M. Storms et de son attitude à l’endroit du plaignant. Ce dernier soutient que le message sous entendait qu’il y avait un motif derrière son échec au processus de nomination et que l’existence de ce message appuyait son allégation de crainte raisonnable de partialité. Selon le plaignant, si son évaluation avait été effectuée par un autre gestionnaire, sa crainte de partialité aurait été moindre.

34Le plaignant a renvoyé le Tribunal aux paragraphes 121 à 126 et 133 à 136 de la décision Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale et al., [2009] TDFP 0029, où celui ci a conclu qu’une preuve directe n’est pas essentielle à une constatation de parti pris, et qu’une crainte raisonnable de partialité suffit. Pour étayer son allégation, le plaignant se fonde sur ce qu’il considère comme des exemples des tentatives répétées de M. Storms d’entraver son perfectionnement et sa progression de carrière.

B) Argumentation de l’intimé

35L’intimé nie avoir abusé de son pouvoir dans ce processus. Il fait remarquer que M. Storms a fait suivre le courriel de M. Thomas aux Ressources humaines ainsi qu’à son directeur. L’intimé souligne par ailleurs que M. Thomas ne mentionne pas avoir assisté personnellement à l’incident qu’il a décrit, et qu’il n’a pas comparu à l’audience pour discuter du contenu de son courriel. La crédibilité de ses affirmations a été minée par les réponses obtenues par le plaignant auprès de deux chefs d’équipe et par le fait que M. Storms nie que l’incident se soit produit. M. Storms, qui avait conscience de sa relation difficile avec M. Thomas, a transféré le message aux Ressources humaines et à son propre gestionnaire et a donc fait preuve de transparence à cet égard.

36L’intimé s’est fié à son processus de nomination hautement structuré et souligne que la question du parti pris a été examinée et que l’allégation a été jugée non fondée par le Comité de résolution des conflits.

Dispositions législatives et lignes directrices pertinentes

37L’abus de pouvoir n’est pas défini dans la LEFP. Cependant, selon le paragraphe 2(4), « [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

38La plainte a été présentée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP, qui porte sur les critères requis pour procéder à une nomination selon le principe du mérite, conformément au paragraphe 30(2) de la LEFP. Ces dispositions stipulent :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

  1. abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);[…]

30. […]

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  1. selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;
  2. la Commission prend en compte :
    1. toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,
    2. toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,
    3. tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

Analyse

39Il est bien établi qu’il incombe au plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, le bien-fondé de sa plainte d’abus de pouvoir. Ce principe a été confirmé dans la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale et al., [2006] TDFP 0008, où le Tribunal a conclu au paragraphe 50 que « [l]a règle générale dans les causes civiles devrait être suivie et il incombe à la plaignante, dans les procédures intentées auprès du Tribunal, de faire la preuve de l’allégation d’abus de pouvoir ».

40Le plaignant soutient que l’évaluation de sa candidature, qui a été effectuée par M. Storms, constitue un abus de pouvoir. L’abus de pouvoir n’est pas défini dans la LEFP; cependant, selon le paragraphe 2(4), « pour l’application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ». Au paragraphe 39 de la décision Finney c. Barreau du Québec, [2004] 2 R.C.S. 17, [2004] A.C.S. no 31 (QL), la Cour suprême du Canada décrit la notion de mauvaise foi en ces termes :

[…] la notion de mauvaise foi peut et doit recevoir une portée plus large englobant l’incurie ou l’insouciance grave. Elle inclut certainement la faute intentionnelle, dont le comportement du procureur général du Québec, examiné dans l’affaire Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, représente un exemple classique. Une telle conduite constitue un abus de pouvoir qui permet de retenir la responsabilité de l’État ou parfois du fonctionnaire. Cependant, l’insouciance grave implique un dérèglement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir, à tel point qu’on peut en déduire l’absence de bonne foi et présumer la mauvaise foi. L’acte, dans les modalités de son accomplissement, devient inexplicable et incompréhensible, au point qu’il puisse être considéré comme un véritable abus de pouvoir par rapport à ses fins (Dussault et Borgeat, op. cit., p. 485). […]

41Bien que le plaignant ait soulevé à la fois la question du parti pris et celle de la mauvaise foi dans son allégation d’abus de pouvoir, son témoignage et son argumentation reposent fondamentalement sur l’affirmation selon laquelle M. Storms était partial et que cette partialité constituait de la mauvaise foi. Il n’existe aucune preuve de parti pris de la part de M. Storms; le Tribunal doit donc déterminer si les éléments de preuve sont suffisants pour appuyer une allégation de crainte raisonnable de partialité.

42Au paragraphe 125 de la décision Denny, le Tribunal fait référence à la décision Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, [1976] A.C.F. no 118 (QL), qui définit comme suit le critère de la crainte raisonnable de partialité à la page 394 (R.C.S.) :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

43Toujours dans la décision Denny, le Tribunal fait également référence à la plus récente formulation de ce critère, qui se trouve dans la décision Newfoundland Telephone Company c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; [1992] A.C.S no 21 (QL), au paragraphe 22 (QL), et l’applique aux circonstances de la plainte. Le critère est le suivant : un observateur relativement bien informé pourrait-il raisonnablement percevoir un parti pris chez une ou plusieurs personnes ayant participé à l’évaluation du plaignant? Le même critère s’applique en l’espèce.

44Dans son argumentation, le plaignant se fonde sur le courriel de M. Thomas, dans lequel il décrit des événements survenus au cours d’une réunion à laquelle participaient M. Storms ainsi que d’autres personnes, et sur d’autres incidents. Un observateur relativement bien informé tiendrait compte du courriel de M. Thomas ainsi que des réponses de deux personnes qui auraient prétendument assisté à la réunion et qui ont nié que les événements décrits se sont produits quand ils en ont pris connaissance. En outre, il remarquerait que M. Thomas n’a pas comparu à l’audience pour présenter cet élément de preuve. Ainsi, il n’a pas été possible d’en établir la fiabilité au moyen d’un contre-interrogatoire. Cependant, le Tribunal a bel et bien reçu la preuve directe de M. Storms, qui affirme que cet incident n’a jamais eu lieu.

45L’observateur relativement bien informé tiendrait également compte des incidents sur lesquels le plaignant s’est fondé pour formuler son allégation de parti pris. L’intimé a abordé chacun de ces points par l’entremise des explications fournies par M. Storms. Le témoignage de ce dernier, qui n’a ni été remis en question, ni contredit, montrait que le plaignant lui même avait joué un rôle prépondérant dans les incidents qu’il a relatés, notamment en ce qui concerne le nombre d’affectations qu’il a acceptées et le remboursement de sa formation en langue française. En ce qui a trait aux affectations intérimaires reçues par le plaignant et ses collègues, les éléments de preuve montrent que le plaignant lui même a refusé des offres d’affectation, car elles n’étaient pas d’une durée égale ou supérieure à sa propre exigence de quatre mois. Cet élément de preuve ne montre pas qu’il y a eu parti pris ou injustice dans le nombre d’affectations offertes au plaignant.

46Comme le Tribunal l’a conclu au paragraphe 124 de la décision Denny, il ne suffit pas de soupçonner ou de supposer qu’il y ait eu partialité; « celle‑ci doit être réelle, probable ou raisonnablement évidente ». Bien que le plaignant puisse percevoir de façon subjective de la mauvaise foi ou de la partialité dans ses démêlés avec M. Storms, ses sentiments ne permettent pas à eux seuls d’établir qu’il y a eu parti pris dans le processus d’évaluation. Une évaluation objective des éléments de preuve révèle des explications cohérentes des événements mis en cause. Les éléments de preuve sont insuffisants pour permettre au Tribunal de conclure que M. Storms a fait preuve de mauvaise foi ou de parti pris dans son évaluation du plaignant dans le processus de nomination en l’espèce. Par conséquent, le Tribunal conclut que le plaignant n’a pas prouvé son allégation de crainte raisonnable de partialité au sens du critère énoncé dans les décisions Committee for Justice and Liberty et Newfoundland Telephone Company.

4747 Ainsi, le Tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités et à la lumière de la preuve qui lui a été présentée, que les éléments de preuve ne sont pas suffisants pour conclure que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite en faisant preuve de parti pris.

Décision

48Pour tous ces motifs, la plainte est rejetée.

Joanne B. Archibald

Membre

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2008-0807
Intitulé de la cause:
Sohail A. Umar-Khitab et le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada et al.
Audience:
Les 16 et 17 mars 2010
Kingston (Ontario)
Date des motifs:
Le 22 juin 2010

Comparutions:

Pour les plaignant:
Dan Rafferty
Pour l'intimé:
Stephan Bertrand
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