Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant avait déjà occupé un poste à durée déterminée à la fonction publique fédérale. Il a travaillé plus tard dans un autre ministère à titre de contractant externe; il en a profité pour postuler un emploi qu’il a obtenu dans le cadre d’un processus de nomination interne. Dans son dossier de candidature il a employé le terme « consultant » tout en indiquant un numéro CIDP (code d’identification de dossier personnel) attribué aux fonctionnaires fédéraux. Après enquête, l’administrateur général de la fonction publique a décidé de révoquer la nomination vu que le plaignant n’était pas un employé fédéral au moment de sa candidature et qu’il n’était pas admissible aux processus de nomination interne. Lorsqu’un administrateur général décide de révoquer une nomination dans ces circonstances, il est habilité à nommer la personne en cause à un autre poste; il ne l’a pas fait en l’occurrence. Le plaignant a porté plainte au motif que la révocation n’était pas raisonnable. Décision Il incombe au plaignant de prouver selon la prépondérance des probabilités que la révocation n’était pas raisonnable. En sa qualité d’organisme quasi judiciaire et de premier recours pour les plaintes relatives aux révocations, le Tribunal dispose d’une grande marge d’examen et peut admettre de nouveaux éléments de preuve et évaluer ceux qui avaient déterminé la décision de l’administrateur général. En l’espèce, la révocation n’était pas déraisonnable. Le Tribunal a jugé qu’il y avait une erreur dans le processus de nomination dans la mesure où le plaignant n’était pas un fonctionnaire au moment de sa candidature. Il n’y avait aucune allégation ou conclusion selon laquelle le plaignant aurait délibérément induit l’intimé en erreur, mais les deux parties ont contribué à l’erreur. Par conséquent, la question de savoir qui a commis l’erreur et de quelle façon n’est pas un facteur déterminant dans la décision du Tribunal. Celui-ci a souligné d’autre part qu’une révocation ne s’apparente pas à un congédiement : le cadre juridique d’une révocation autorise l’administrateur général à révoquer une nomination en cas de processus erroné dans le choix de la personne nommée. S’inspirant des définitions du terme « déraisonnable », le Tribunal a estimé que la décision de révoquer la nomination du plaignant ne se situe pas en dehors du cadre des issues possibles acceptables et pouvant se justifier; et qu’il s’agit d’une décision qui peut résister à un examen poussé des motifs. Le Tribunal ne pouvait se prononcer sur la décision de l’administrateur général de ne pas nommer le plaignant car il n’a pas compétence en la matière. En guise de commentaire, le Tribunal a fait remarquer que la nomination du plaignant à un autre poste aurait été une solution sensée en raison de la pénurie de main-d’œuvre. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier:
2008-0740
Rendue à:
Ottawa, le 23 novembre 2010

JARROD GOLDSMITH
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE RESSOURCES HUMAINES ET DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte en vertu de l’article 74 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique à l’encontre de la révocation d’une nomination
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
John Mooney, vice-président
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Goldsmith c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada
Référence neutre:
2010 TDFP 0020

Motifs de décision


Introduction


1 Le plaignant, Jarrod Goldsmith, a été nommé au poste de spécialiste en conception de cours (le poste), au groupe et au niveau PM-03, pour une période indéterminée à Service Canada, qui fait partie de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC), à l’issue d’un processus de nomination interne annoncé. Après avoir déterminé que le plaignant n’était pas dans la zone de sélection au moment de la nomination, l’intimé, le sous‑ministre de RHDCC, a décidé de révoquer la nomination du plaignant. Ce dernier a par la suite présenté une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal).

Contexte


2 En août 2007, l’intimé a affiché une annonce de possibilité d’emploi sur Publiservice en vue de doter des postes de spécialiste en conception de cours (PM‑03) au sein du Groupe de formation opérationnelle du Collège Service Canada. Le processus s’adressait aux « fonctionnaires occupant un poste dans la région de la capitale nationale » [traduction].

3 Soixante‑dix‑neuf personnes ont postulé, dont le plaignant. À ce moment‑là, il occupait un poste de recherchiste archiviste principal et était embauché à titre contractuel comme consultant externe à Résolution des questions des pensionnats indiens Canada (RQPIC). Le plaignant a participé à toutes les étapes du processus et a été jugé qualifié, à l’instar de trois autres personnes. L’intimé lui a offert le poste le 21 mai 2008, et le plaignant l’a accepté le 28 mai 2008. Il a commencé à exercer les fonctions du poste le 16 juin 2008.

4 En juillet 2008, l’intimé a lancé une enquête portant sur le processus de nomination après avoir constaté que le plaignant ne faisait pas partie de la zone de sélection. Le rapport d’enquête, terminé le 27 août 2008, confirmait que le plaignant n’avait pas le statut de fonctionnaire au moment où il a participé au processus de nomination et que sa candidature avait été retenue par erreur. Le 20 novembre 2008, l’intimé a décidé de révoquer la nomination du plaignant en vertu de l’art. 15(3) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la LEFP), révocation qui entrait en vigueur deux jours plus tard. Cette disposition confère à l’administrateur général le pouvoir de révoquer une nomination effectuée au terme d’un processus de nomination interne et de prendre les mesures correctives qui s’imposent si, après avoir mené une enquête, il est convaincu qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière ont influé sur le choix de la personne nommée.

5 Le 1er décembre 2008, le plaignant a présenté une plainte au Tribunal en vertu de l'art. 74 de la LEFP. Aux termes de cet article, une personne dont la nomination a été révoquée en vertu de l’art. 15(3) de la LEFP peut présenter une plainte au Tribunal au motif que la révocation n’était pas raisonnable.

Questions en litige


6 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. Quelle est l’étendue du rôle du Tribunal dans le contexte d’une plainte relative à la révocation d’une nomination?
  2. La révocation de la nomination du plaignant était-elle déraisonnable?
  3. Le Tribunal a-t-il compétence quant à la décision de l’administratrice générale de ne pas nommer le plaignant à un autre poste en vertu de l'art. 15(6) de la LEFP?

Résumé des éléments de preuve pertinents


Antécédents du plaignant et candidature au poste

7 L’intimé et le plaignant ont déposé en preuve une déclaration conjointe des faits ainsi qu’un recueil conjoint de documents. Seul le plaignant a témoigné à l’audience.

8 Les faits en l’espèce sont assez clairs et ne font l’objet d’aucune contestation. Avant sa nomination, le plaignant avait déjà occupé à la fonction publique un poste à durée déterminée. À l’époque, il avait reçu un code d’identification de dossier personnel (CIDP), soit un numéro fourni aux fonctionnaires à diverses fins d’administration interne.

9 Le plaignant occupait, à titre de consultant externe, un poste de recherchiste archiviste principal à RQPIC au moment de sa candidature. Il y avait été embauché par l’entremise d’une agence de recrutement privée. Il s’était vu attribuer un espace de travail à RQPIC, mais il travaillait généralement à partir de son domicile. Le plaignant possédait une adresse de courriel de la fonction publique et relevait directement d’un directeur employé par RQPIC.

10 Le plaignant s’est porté candidat au poste dont il est ici question le 5 septembre 2007. Il a envoyé à l’intimé un courriel de présentation, une lettre d’accompagnement et son curriculum vitae. Sous sa signature dans le courriel de présentation, le plaignant a indiqué « consultant en recherche, RQPIC » [traduction]. Il a également fourni dans son bloc de signature son numéro de téléphone personnel et son numéro de téléphone cellulaire. Dans sa lettre d’accompagnement, il a inclus son CIDP. En outre, dans son curriculum vitae, il a précisé qu’il possédait la « cote de sécurité de niveau “Secret” du gouvernement » [traduction].

11 Le conseiller en ressources humaines qui a procédé à la présélection des candidatures a écrit à la main le mot « consultant » [traduction] sur le curriculum vitae du plaignant, à côté de la description du poste que le plaignant occupait au moment de sa candidature.

12 Tel qu’indiqué ci‑dessus, le plaignant a été jugé qualifié et a commencé à travailler au Collège Service Canada le 16 juin 2008.

Enquête et révocation de la nomination du plaignant

13 Le 17 juin 2008, le plaignant a informé Josée Charbonneau, conseillère en rémunération et en avantages sociaux pour Service Canada, qu’il travaillait pour RQPIC à titre contractuel avant d’être embauché par Service Canada. Dans le même courriel, le plaignant demandait à la conseillère de réactiver son CIDP. Dans un autre courriel qu’il a envoyé à Mme Charbonneau le même jour, il l’informait qu’il avait été embauché à RQPIC par une tierce personne qui émettait un chèque à son intention et que le gouvernement ne le rémunérait jamais directement.

14 À la fin du mois de juin 2008, Mme Charbonneau a tenté de saisir le CIDP du plaignant dans le système de données sur les employés, mais ce numéro n’était pas valide. Elle a conclu que le plaignant n’avait peut-être pas le statut de fonctionnaire au moment de sa candidature.

15Le 4 juillet 2008, Colette Tessier, gestionnaire principale, Groupe de formation opérationnelle, a envoyé une note de service à Ginger Fillier, directrice du Collège Service Canada, Centre national d’apprentissage de l’Administration centrale. Mme Tessier a écrit que la Section de la dotation ministérielle avait lancé une enquête au sujet de la nomination du plaignant et que celle‑ci était considérée comme illégale. (Il y a d’abord eu une enquête informelle, suivie d’une enquête officielle.) Dans la note de service, Mme Tessier expliquait également qu’il était fort probable que la nomination du plaignant soit révoquée, mais que les actes de ce dernier ne seraient pas considérés comme une fraude étant donné qu’il avait inclus le mot « consultant » [traduction] dans le bloc de signature du courriel de présentation qu’il avait envoyé avec sa demande.

16 Dans cette note de service, Mme Tessier proposait trois options pour le cas où l’administratrice générale déciderait de révoquer la nomination du plaignant : offrir à celui-ci une nomination à titre d’employé occasionnel à court terme, lui offrir une nomination à titre d’employé occasionnel pour une durée de 90 jours ou le nommer au poste au moyen d’un processus de nomination externe non annoncé. Elle signalait dans la note de service que le fait de nommer le plaignant par l’entremise d’un processus de nomination non annoncé à un poste de spécialiste de la conception de cours aux groupe et niveau PM‑03 aiderait à remédier à la pénurie de personnel pour ce type de poste, mais qu’il fallait tenir compte des circonstances inhabituelles de la situation. Mme Tessier faisait également remarquer que tous les candidats retenus s’étaient vu offrir une nomination pour une période indéterminée.

17 Le même jour, Carole Maisonneuve, gestionnaire, Groupe de formation opérationnelle, a informé le plaignant par courriel que l’intimé envisageait de révoquer sa nomination, mais qu’il envisageait également de lui offrir un poste à titre occasionnel ou encore une nomination pour une période indéterminée par l’entremise d’un processus de nomination externe non annoncé. Elle ajoutait qu’elle avait recommandé la nomination pour une période indéterminée, mais qu’il ne lui appartenait pas de prendre cette décision.

18 Dans un courriel en date du 7 juillet 2008, le plaignant indiquait à Mme Maisonneuve qu’il ignorait qu’il ne répondait pas aux critères d’admissibilité pour le poste au moment de sa candidature. Le plaignant lui signalait également que l’intimé avait eu neuf mois pour éliminer sa candidature à l’étape de la présélection mais qu’il n’en avait rien fait. Le plaignant était donc persuadé que sa candidature ne posait aucun problème.

19 Le 17 juillet 2008, Marilyn Dingwall, chef des opérations et directrice générale, Politiques et contrôle ministériels, a écrit au plaignant pour l’aviser qu’elle avait décidé de mener une enquête au sujet de sa nomination et que l’enquêteuse, Line Chandonnet, communiquerait avec lui.

20 Le 29 juillet 2008, Mme Chandonnet a rencontré le plaignant pour discuter de sa nomination. À la demande du plaignant, ce dernier était accompagné de sa superviseure, Monika Palitza, gestionnaire de projet, Groupe de formation opérationnelle.

21 Le 19 août 2008, Mme Maisonneuve a écrit à Mme Fillier pour lui expliquer qu’elle avait vérifié les références du plaignant auprès de l’ancien employeur de ce dernier. Les deux personnes avec qui elle avait communiqué ont affirmé que le plaignant avait un bon esprit d’équipe, qu’il était créatif et ouvert aux nouvelles idées, qu’il acceptait volontiers des tâches supplémentaires, qu’il formulait des suggestions qui étaient par la suite adoptées, qu’il contribuait à moderniser d’anciens processus désuets et que, dans l’ensemble, il s’agissait d’une personne très énergique qu’elles n’hésiteraient pas à réembaucher.

22 Le 27 août 2008, Mme Chandonnet a transmis son rapport d’enquête au plaignant. Elle a conclu que ce dernier n’était pas dans la zone de sélection et que sa candidature avait été retenue à la présélection par erreur. À son avis, il s’agissait là d’une erreur, d’une omission ou d’une conduite irrégulière qui avait influé sur le choix de la personne nommée. Elle indiquait également que l’intervention de la sous‑ministre était requise. Enfin, elle informait le plaignant que l’intimé communiquerait avec lui sous peu pour prendre des mesures.

23 Le 14 octobre 2008, Janice Charette, sous‑ministre de RHDCC, a reçu une note de service, une ébauche de rapport de décision ainsi que le rapport d’enquête de Mme Chandonnet. Dans la note de service, Hélène Gosselin, administratrice générale de Service Canada, recommandait la révocation de la nomination du plaignant au motif que la candidature de ce dernier avait été retenue par erreur à la présélection. Elle recommandait également que le plaignant ne soit pas réembauché à titre d’employé occasionnel après sa cessation d’emploi. Enfin, Mme Gosselin recommandait qu’une copie du rapport d’enquête de Mme Chandonnet ainsi qu’une copie de l’ébauche du rapport de décision soient transmises au plaignant afin que celui‑ci ait la possibilité de formuler des commentaires et des suggestions au sujet de la révocation possible de sa nomination. L’ébauche du rapport de décision reprenait essentiellement les éléments présentés ci‑dessus, mais elle indiquait également que le plaignant ne devrait pas être embauché à titre d’employé nommé pour une période déterminée après la révocation de sa nomination.

24 Le 16 octobre 2008, Mme Fillier a remis une lettre au plaignant en mains propres, sur le lieu de travail. Dans cette lettre, elle ordonnait au plaignant de demeurer à son domicile en congé rémunéré jusqu’à la fin de l’enquête concernant sa nomination. Elle ajoutait que le plaignant devait s’abstenir de communiquer avec tout employé du ministère, à l’exception d’elle‑même et de Mme Maisonneuve. Le plaignant a ensuite été tenu de remettre son laissez‑passer de sécurité, après quoi il a été escorté à l’extérieur de l’immeuble.

25 Le plaignant a indiqué qu’il avait été traité comme un criminel pendant ce dernier jour de travail. Sans aucun préavis, on lui avait intimé de ramasser ses effets personnels et il s’était fait escorter à l’extérieur de l’immeuble par Mme Fillier et Guy Marcotte, chef de l’organisation des secours de l’immeuble, avec qui il avait déjà travaillé. Le plaignant a affirmé que cet incident s’était produit en présence de ses collègues et que l’expérience avait été très humiliante pour lui. Par la suite, il est demeuré assis dans son véhicule pendant 30 minutes parce qu’il était trop bouleversé pour conduire. Il croyait que sa carrière était terminée à jamais. Il se sentait impuissant, incompris et déshonoré.

26 Le 17 octobre 2008, Mme Charette a adopté la recommandation formulée par l’administratrice générale de Service Canada, qui consistait à révoquer la nomination du plaignant et à ne pas le réembaucher par la suite.

27 Dans une lettre en date du 20 octobre 2008, Lise Longval, gestionnaire, Contrôle et plaintes, Dotation ministérielle, a informé le plaignant que l’administratrice générale envisageait de révoquer sa nomination. La lettre indiquait que le plaignant avait la possibilité de fournir des commentaires sur la révocation proposée et était accompagnée de l’ébauche du rapport de décision susmentionnée.

28 Le 30 octobre 2008, le plaignant a fourni à Mme Longval ses commentaires sur la révocation proposée de sa nomination. Il a écrit qu’il serait injuste, inéquitable, illégitime et déraisonnable de révoquer sa nomination. Il a ajouté qu’il croyait avoir le statut de fonctionnaire au moment de sa candidature étant donné qu’il travaillait exclusivement à des projets gouvernementaux à RQPIC. Selon le plaignant, l’intimé aurait dû lui poser des questions pour s’assurer de son admissibilité au processus. Enfin, il a affirmé qu’il n’avait pas à subir les conséquences des erreurs de l’intimé, qui avait à tort retenu sa candidature à la présélection.

29 Le 19 novembre 2008, Mme Gosselin a envoyé à Mme Charette une note de service dans laquelle elle indiquait que les commentaires du plaignant n’apportaient aucun fait nouveau qui pourrait avoir une incidence sur la recommandation de révoquer sa nomination. Elle concluait donc que sa recommandation demeurait inchangée. Les commentaires du plaignant et un rapport de décision identique à l’ébauche qui avait déjà été fournie étaient joints à cette note de service. Mme Charette a signé le rapport de décision qui officialisait la révocation de la nomination du plaignant le 20 novembre 2008. La révocation est entrée en vigueur le 22 novembre 2008.

30 Le 24 novembre 2008, Mme Chandonnet a écrit au plaignant pour l’informer que sa nomination avait été révoquée.

31 Dans leur déclaration conjointe des faits, le plaignant et l’intimé ont affirmé qu’il n’y avait aucune préoccupation relative au rendement du plaignant.

32 Le plaignant a affirmé que la révocation de sa nomination avait eu une incidence considérable sur ses relations personnelles et sa santé.

33 Le plaignant a ajouté que la révocation avait eu des conséquences négatives sur sa situation financière. En effet, il avait quitté un poste mieux rémunéré pour accepter l’offre d’emploi de l’intimé. Le plaignant a affirmé qu’il avait tenté d’atténuer ses pertes depuis la révocation de sa nomination et qu’il avait travaillé pour deux ministères par l’entremise d’une agence ou en y occupant des postes occasionnels ou à durée déterminée.

34 À l’audience, le plaignant a présenté un document qu’il avait préparé pour montrer les pertes financières qu’il a subies en raison de la révocation de sa nomination, y compris le salaire et les avantages sociaux. L’intimé et la Commission de la fonction publique (CFP) se sont opposés à l’admission en preuve de ce document étant donné que celui‑ci n’avait été reçu que le matin même. L’intimé et la CFP ont également fait valoir que le Tribunal n’avait pas compétence pour offrir des compensations financières. Le Tribunal a pris ces objections sous réserve. Il a toutefois indiqué que l’audience serait convoquée de nouveau afin de permettre à l’intimé et à la CFP de contre‑interroger le plaignant et de présenter une argumentation si le document devait être admis en preuve. Étant donné que le Tribunal n’a pas accueilli la plainte en l’espèce, il n’est pas nécessaire de se pencher sur cet élément de preuve ou sur l’objection des parties.

Argumentation


A) Argumentation du plaignant

35 Le plaignant estime que c’est à lui qu’il incombe de prouver que la révocation de sa nomination n’était pas raisonnable.

36 En ce qui a trait au bien‑fondé de la plainte, le plaignant estime que la révocation de sa nomination n’était pas raisonnable, que l’intimé a omis de l’informer de ses droits de recours et que l’intimé aurait dû le nommer à un autre poste en vertu de l'art. 15(6) de la LEFP. Selon cette disposition, lorsque l’administrateur général révoque une nomination en vertu de l'art. 15(3), il peut nommer cette personne à un autre poste si celle‑ci possède les qualifications essentielles pour le poste.

B) Argumentation de l’intimé

37 L’intimé soutient que c’est au plaignant qu’il appartient de prouver que la révocation de sa nomination n’était pas raisonnable.

38 Quant au bien‑fondé de la plainte, l’intimé estime que la révocation de la nomination du plaignant n’était pas déraisonnable, que le fait qu’il n’ait pas informé le plaignant de ses droits de recours n’influe aucunement sur le caractère raisonnable de sa décision et que le Tribunal n’a pas compétence pour déterminer si le plaignant aurait dû être nommé à un autre poste après la révocation de sa nomination.

C) Argumentation de la Commission de la fonction publique

39 Relativement à la question du fardeau de la preuve, la CFP soutient que celui‑ci revient au plaignant.

40 La CFP estime que le Tribunal n’a pas compétence quant à l’enquête menée par l’administratrice générale et qu’il ne lui appartient pas de remettre en question l’exactitude ou l’authenticité des renseignements sur lesquels s’est fondée l’administratrice générale pour décider de révoquer la nomination du plaignant.

41 Quant au bien‑fondé de la plainte, la CFP estime qu’en l’espèce, l’administratrice générale n’avait d’autre choix que de révoquer la nomination du plaignant. La CFP croit que le fait que l’intimé n’ait pas informé le plaignant de son droit de porter plainte est une affaire distincte étant donné qu’elle s’est produite après la révocation et qu’elle n’est en aucun cas liée au caractère raisonnable de la décision de l’administratrice générale. La CFP partage l’opinion de l’intimé selon laquelle le Tribunal n’a pas compétence au regard de la décision de l’administratrice générale de ne pas nommer le plaignant à un autre poste après la révocation.

Analyse


Question 1 :   Quelle est l’étendue du rôle du Tribunal dans le contexte d’une plainte relative à la révocation d’une nomination?

42 Avant d’aborder l’objet de la plainte, le Tribunal examinera l’argumentation présentée par la CFP au sujet du rôle du Tribunal dans un contexte de plainte portant sur une révocation en vertu de l'art. 74 de la LEFP. Selon la CFP, le rôle du Tribunal est semblable à celui de la Cour fédérale lorsqu’elle examine des demandes de révision judiciaire. La CFP affirme que le Tribunal ne peut donc pas admettre de nouveaux éléments de preuve, pas plus qu’il ne peut remettre en question l’exactitude ou l’authenticité des faits sur lesquels se fonde l’administrateur général lorsqu’il révoque la nomination d’un plaignant. La CFP soutient enfin que le Tribunal n’a pas compétence pour examiner la manière dont l’administrateur général mène son enquête.

43 Le Tribunal ne souscrit pas à l’argumentation de la CFP. Celle‑ci s’est fondée sur la décision Canada (Procureur général) c. Select Brand Distributors Inc., (2010 CAF 3). Or, les remarques formulées par la Cour d’appel fédérale dans le cadre de cette affaire portaient expressément sur les fonctions d’un tribunal chargé d’une révision judiciaire et ne sont donc pas pertinentes en l’espèce.

44 Le Tribunal doit examiner une plainte relative à une révocation à la lumière du contexte global de la LEFP, en suivant le sens grammatical et ordinaire qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la Loi ainsi que l’intention du législateur (voir Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Markham : Butterworths, 2002) 1, 259).Le rôle du Tribunal dans l’instruction d’une plainte présentée en vertu de l'art. 74 de la LEFP est tout à fait distinct du rôle de la Cour fédérale chargée de la révision judiciaire d’une décision rendue par un tribunal administratif. Les fonctions du Tribunal vont au‑delà de celles qui interviennent dans une révision judiciaire, ce qui est clairement établi dans la LEFP. En effet, l'art. 74 prévoit que le Tribunal peut examiner si la décision de révoquer une nomination était raisonnable ou non. Rien dans la formulation de cette disposition n’empêche le Tribunal d’admettre de nouveaux éléments de preuve ni d’évaluer ceux qui lui sont présentés. La formulation de l'art. 74 n’indique pas, ni clairement ni implicitement, que l’instruction d’une plainte liée à une révocation se limite au simple examen de la manière dont l’administrateur général est parvenu à sa décision. Si le législateur avait eu l’intention de limiter les pouvoirs d’instruction du Tribunal dans le contexte d’une plainte présentée en vertu de l'art. 74 à la simple fonction de révision judiciaire, il aurait expressément inclus ces restrictions dans les dispositions de la LEFP.

45 Le Tribunal est un tribunal administratif indépendant dont les fonctions sont de nature quasi judiciaire. Son rôle pleinement décisionnel dans la conduite des audiences est également énoncé dans le préambule de la Loi, qui mentionne expressément l’équité, la transparence et la nécessité de mettre en œuvre des « […] mécanismes de recours destinés à résoudre les questions touchant les nominations […] ». Afin d’assurer la mise en place de mécanismes de recours efficaces, le Tribunal dispose de tous les pouvoirs énoncés à l’art. 99 de la LEFP; il peut donc notamment convoquer des témoins, les contraindre à comparaître et à faire sous serment des dépositions orales ou écrites, accepter des éléments de preuve et obliger toute personne à produire les documents ou pièces qui peuvent être liés à toute question dont il est saisi. Selon la formulation de la LEFP, un examen approfondi doit avoir lieu au moment où la plainte est instruite par le Tribunal.

46 Selon l’interprétation de la CFP, les fonctions de l’administrateur général aux termes de l'art. 15(3) constituent une audience de première instance ainsi qu’une voie de recours. Comme l’a expliqué le Tribunal aux para. 37 et 38 de la décision Liang c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2007 TDFP 0033, même si l'art. 15(3) peut être invoqué pour l’examen et la correction d’un processus de nomination, il ne s’agit pas d’un mécanisme de recours. Lorsqu’ils se prévalent de cette disposition, les administrateurs généraux ne font qu’appliquer l’un des pouvoirs dont ils sont investis au chapitre des nominations.

47 Le Tribunal représente donc la première voie de recours pour les plaignants en ce qui a trait à une décision de révocation prise par l’administrateur général. Lorsqu’il décide de révoquer une nomination, l’administrateur général se fonde sur les renseignements qu’il a recueillis pendant l’enquête. Or, le rapport ne fait pas foi de son contenu. Lorsqu’il se prononce sur la question de savoir si la décision de révocation était raisonnable ou non, le Tribunal doit pouvoir examiner ces faits, voire, dans certaines situations, permettre aux parties de contester l’exactitude ou l’authenticité de ces faits. Cette contestation peut englober la présentation d’éléments de preuve qui n’avaient pas été mis à la disposition de l’administrateur général. De plus, dans certains cas, le Tribunal peut examiner la façon dont l’administrateur général a mené l’enquête, puisque cela peut l’aider à établir l’exactitude des faits sur lesquels s’est fondé l’administrateur général. Par exemple, si le Tribunal détermine que l’enquête était incomplète, il pourra être amené à douter de l’exactitude des faits présentés dans le rapport d’enquête.

Question 2 :   La révocation de la nomination du plaignant était-elle déraisonnable?

48 Aux termes de l'art. 74 de la LEFP, lorsqu’un administrateur général révoque une nomination en vertu de l’art. 15(3), le plaignant peut présenter une plainte au Tribunal au motif que la révocation n’était pas raisonnable.

À quelle partie revient le fardeau de la preuve lorsque la nomination d’un fonctionnaire est révoquée en vertu de l’article 74 de la LEFP, et quelle est la norme de preuve qui doit alors s’appliquer?

49 À la lumière du libellé de l'art. 74 de la LEFP, il est clair que le législateur a prévu que le fardeau de la preuve reviendrait au plaignant et qu’il incomberait à ce dernier de prouver que la révocation n’était pas raisonnable. Cet article stipule qu’une « […] personne dont la nomination est révoquée [...] peut [...] présenter [au Tribunal] une plainte selon laquelle la révocation n’était pas raisonnable ».

50 Cette façon de procéder est conforme aux principes établis depuis longtemps par les tribunaux civils et dans les audiences d’arbitrage, principes selon lesquels il revient au plaignant d’assumer le fardeau de la preuve dans ces contextes. Ces principes ont également été cités dans la décision Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008 (Tibbs), lorsque le Tribunal a affirmé ce qui suit, au para. 49 :

La règle générale devant les tribunaux civils et dans les audiences en matière d’arbitrage veut qu’il incombe à la partie qui fait une allégation de prouver celle-ci plutôt qu’à l’autre partie de la réfuter. Par exemple, en droit du travail, un plaignant qui se plaint qu’un employeur a manqué aux obligations de la convention collective doit prouver cette allégation.

51 La décision Tibbs portait sur une plainte d’abus de pouvoir présentée en vertu de l'art. 77 de la LEFP. Bien qu’il existe des distinctions très claires entre les plaintes liées à des révocations et les plaintes d’abus de pouvoir, il y a également des similitudes importantes. En effet, les deux types de plaintes portent sur des décisions prises par l’intimé dans le cadre d’un processus de nomination et les deux mécanismes de recours visés requièrent également un examen de la décision de l’intimé. Le Tribunal détermine qu’il devrait adopter une démarche semblable pour les plaintes liées à des révocations présentées en vertu de l'art. 74 de la LEFP.

52 Dans la décision Tibbs, le Tribunal a rappelé aux parties qu’il est habilité à tirer des conclusions lorsque l’intimé choisit tout simplement de nier une allégation d’abus de pouvoir, sans autre explication, dans une situation où des éléments de preuve sont présentés à l’appui de cette allégation. Le Tribunal a indiqué ce qui suit à cet égard (para. 54) :

Bien qu’il soit possible pour l’intimé, pour sa part, de nier tout simplement l’allégation, une fois que le plaignant a présenté certains éléments de preuve pour appuyer son allégation qu’un abus de pouvoir a eu lieu, il voudra vraisemblablement invoquer un moyen de défense positif à l’égard de l’allégation. De plus, il est possible pour le Tribunal de tirer des conclusions raisonnables de faits non contestés. Par conséquent, si l’intimé ne présente pas d’éléments de preuve pour expliquer les motifs d’une ligne de conduite particulière, il risque de devoir faire face à une décision défavorable par le Tribunal, soit que la plainte est fondée : Gorsky, Uspich et Brandt, supra, aux pp. 9‑15 et 9‑16.

53 De la même façon, dans une plainte liée à une révocation, le Tribunal peut tirer des conclusions si le plaignant présente des éléments de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle la révocation n’était pas raisonnable et que l’intimé se contente simplement de nier.

54 Quant à la norme de preuve à appliquer, il doit s’agir de la norme civile, comme pour d’autres plaintes présentées au Tribunal (voir la décision Tibbs, para. 53). Le plaignant doit donc prouver selon la prépondérance des probabilités que la révocation de sa nomination n’était pas raisonnable.

La décision de révoquer la nomination était-elle déraisonnable?

55 La LEFP ne contient pas de définition du terme « déraisonnable ». Le dictionnaire anglais Canadian Oxford Dictionary (Katherine Barber, 2éd., (Don Mills, Ontario : Oxford University Press, 2004)), définit comme suit le fait d’être déraisonnable : « aller au‑delà des limites de ce qui est raisonnable ou équitable » [traduction]. Dans le dictionnaire juridique anglais Black’s Law Dictionary (Bryan A. Garner, éditeur en chef, 8éd. (États-Unis : West Publishing Co. USA 2004)), le terme « déraisonnable » est défini de la façon suivante : « non fondé sur la raison; irrationnel ou arbitraire » [traduction].

56 La Cour suprême du Canada a récemment réexaminé les définitions des termes « raisonnable » et « déraisonnable » dans la décision Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. Ces définitions, qui fournissent des repères utiles, sont conformes à celles indiquées plus haut. La Cour suprême du Canada a affirmé que le caractère raisonnable tenait à « […] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (para. 47). La Cour suprême a également cité la décision Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, dans laquelle elle avait affirmé ce qui suit : « Est déraisonnable la décision qui n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé » (para. 37). Dans la décision Southam (para. 56), la Cour suprême a ajouté qu’une décision raisonnable devait être étayée par des éléments de preuve et que la conclusion devait découler d’un raisonnement logique.

57 Le Tribunal doit par conséquent déterminer si la décision de révoquer la nomination fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier ou si elle n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé.

58 Le concept de caractère déraisonnable énoncé à l'art. 74 doit être interprété dans le contexte global de la LEFP. Pour déterminer si la décision était raisonnable ou non, il importe d’établir si l’administrateur général a agi dans les limites de l'art. 15(3) de la LEFP. Cette disposition précise les situations où un administrateur général peut révoquer une nomination. Elle accorde à l’administrateur général le pouvoir de révoquer toute nomination faite à l’issue d’un processus de nomination interne s’il est convaincu qu’une erreur a influé sur le choix de la personne nommée.

59 En l’espèce, personne ne conteste le fait que le déroulement du processus de nomination comportait une erreur. Aux termes de l'art. 34(1) de la LEFP, les administrateurs généraux peuvent fixer des critères géographiques et organisationnels pour définir une zone de sélection aux fins de nomination. Les personnes qui ne sont pas dans la zone de sélection ne peuvent pas présenter leur candidature pour le poste. Dans le processus de nomination interne annoncé dont il est ici question, la zone de sélection était limitée aux « fonctionnaires occupant un poste dans la région de la capitale nationale » [traduction]. Le terme « fonctionnaire » est défini de la façon suivante dans la LEFP : « [p]ersonne employée dans la fonction publique et dont la nomination à celle‑ci relève exclusivement de la Commission ». Le fait qu’au moment de la candidature du plaignant il n’avait pas le statut de « fonctionnaire » au sens de la LEFP est incontesté. En effet, il était employé par RQPIC à titre contractuel, par l’entremise d’une agence de recrutement. Il ne faisait donc pas partie de la zone de sélection. Le fait qu’une erreur a influé sur le choix de la personne nommée, dans un contexte où le plaignant ne répondait pas aux critères d’admissibilité de ce processus de nomination, n’a pas non plus été contesté.

60 Le fait que l’administratrice générale ait agi dans les limites de l'art. 15(3) ne règle toutefois pas la question. En précisant le caractère déraisonnable à titre de motif de plainte à l'art. 74, le législateur a indiqué qu’il n’était pas suffisant que l’administrateur général agisse dans les limites de son pouvoir discrétionnaire en révoquant une nomination; en effet, cette décision ne doit pas non plus être déraisonnable.

61 Le plaignant soutient que la révocation de sa nomination n’était pas raisonnable étant donné que c’est l’intimé qui a commis une erreur, pas lui. Le Tribunal estime que le fait de savoir qui a commis l’erreur et comment cette erreur a été commise peut être un facteur déterminant pour établir si la révocation était raisonnable ou non. Toutefois, en l’espèce, ce n’est pas le cas.

62 Même si l’intimé était dans l’erreur lorsqu’il a retenu la candidature du plaignant à la présélection dans le cadre du processus de nomination, le plaignant a lui aussi contribué à cette erreur de plusieurs façons. Le Tribunal fait remarquer qu’il n’y a aucune allégation selon laquelle le plaignant a intentionnellement trompé l’intimé et qu’aucun argument n’a été présenté à cet égard. Toutefois, le plaignant, qui avait déjà travaillé à la fonction publique pour une durée déterminée, aurait dû s’informer au sujet de son admissibilité au processus. Il aurait ainsi pu constater qu’à titre de consultant externe, sa candidature n’était pas admissible.

63 Le plaignant a en outre contribué à cette erreur de présélection en fournissant un CIDP dans sa lettre d’accompagnement. En effet, un CIDP n’est fourni qu’aux employés du gouvernement, et c’est d’ailleurs lorsqu’il avait travaillé à la fonction publique pour des durées déterminées que le plaignant en avait obtenu un. Aussi, dans son curriculum vitae, le plaignant a décrit son poste actuel comme un poste à RQPIC, ce qui pouvait également donner l’impression qu’il avait le statut de fonctionnaire. Enfin, le fait que le plaignant ait indiqué qu’il avait la cote de sécurité exigée par le gouvernement a pu renforcer cette impression.

64 Le plaignant soutient également que l’intimé aurait dû s’apercevoir qu’il travaillait à titre contractuel étant donné que son courriel de présentation le décrivait comme un « consultant en recherche, RQPIC » [traduction] et que la personne qui a évalué sa demande à la présélection a écrit le mot « consultant » [traduction] sur son curriculum vitae à côté de la description du poste qu’il occupait au moment de sa candidature. Le plaignant fait également valoir que le fait qu’il ait donné seulement des numéros de téléphone personnels dans son courriel de présentation était significatif.

65 Selon le Tribunal, bien que le titre « consultant » [traduction] puisse généralement indiquer que la personne est embauchée à titre contractuel, il est concevable que des fonctionnaires utilisent ce terme dans leur titre de poste. En outre, l’ajout du mot « consultant » [traduction] par l’intimé sur le curriculum vitae du plaignant ne signifie pas nécessairement que ce dernier connaissait le statut du plaignant. Le Tribunal juge également que le fait que le plaignant n’ait fourni que ses numéros de téléphone personnels n’est pas nécessairement suffisant pour que la personne chargée de la présélection des candidatures en vienne à conclure que le plaignant n’a pas le statut de fonctionnaire. Il est effectivement possible qu’un employé soit réticent à fournir son numéro de téléphone au travail et qu’il préfère donner son numéro de téléphone personnel.

66 Le plaignant affirme également que la décision de révoquer sa nomination n’était pas raisonnable car il est hautement qualifié pour le poste. Or, le fait qu’il ait été jugé qualifié ne change rien à son inadmissibilité aux fins du processus. Compte tenu des circonstances en l’espèce, il n’était pas déraisonnable de la part de l’administratrice générale de conclure que la façon appropriée de corriger l’erreur commise dans le processus de nomination était de révoquer la nomination.

67 Le plaignant soutient que la révocation de sa nomination n’était pas raisonnable car l’intimé n’a pas mené une enquête appropriée comme le prévoit l'art. 15(3) de la LEFP. Le Tribunal estime que l’intimé a mené une enquête appropriée et qu’il a fourni au plaignant la possibilité de formuler des commentaires sur la révocation proposée. Les faits sont clairs et n’ont pas été contestés. L’enquêteuse, Mme Chandonnet, a posé des questions au plaignant le 29 juillet 2008 et lui a ensuite envoyé le rapport d’enquête le 27 août 2008. Le 20 octobre 2008, Mme Longval a informé le plaignant que l’intimé envisageait de révoquer sa nomination et lui a demandé de formuler des commentaires à cet égard. Mme Longval a inclus dans son envoi l’ébauche du rapport de décision, qui énonçait les raisons pour lesquelles cette possibilité était envisagée. Le plaignant connaissait donc les faits pris en considération par l’intimé et a pleinement eu la possibilité de faire valoir son point de vue concernant la révocation proposée de sa nomination.

68 Le Tribunal ne souscrit pas à l’argumentation du plaignant selon laquelle l’intimé a attendu trop longtemps avant de révoquer sa nomination. Le plaignant a accepté l’offre d’emploi le 28 mai 2008 et il a commencé à exercer ses fonctions le 16 juin 2008. L’intimé a pour sa part constaté qu’il avait fait une erreur à la fin du mois de juin 2008, et après avoir mené une enquête, il a révoqué la nomination du plaignant le 20 novembre 2008, soit un peu moins de six mois après la nomination du plaignant. Selon le Tribunal, l’intimé a agi avec diligence. En effet, il n’a pas mis un temps excessif pour mener une enquête appropriée, obtenir les approbations nécessaires et donner au plaignant la possibilité de formuler ses commentaires.

69 Le plaignant estime que l’intimé lui a donné à tort de faux espoirs. Le Tribunal ne souscrit pas à cette analyse. Il est vrai que Mme Maisonneuve a informé le plaignant dans un courriel daté du 4 juillet 2008 que l’intimé envisageait de lui offrir un emploi occasionnel ou un emploi à durée indéterminée par l’entremise d’un processus de nomination externe non annoncé, mais il n’y avait eu aucun engagement à cet égard. Mme Maisonneuve avait d’ailleurs indiqué clairement qu’il ne lui revenait pas de prendre cette décision.

70 Le plaignant affirme également que, puisqu’il était officiellement embauché à un poste de fonctionnaire, la seule façon de mettre fin à son emploi était le congédiement justifié. Le Tribunal ne souscrit pas à cette conclusion. En effet, l'art. 15(3) de la LEFP permet expressément aux administrateurs généraux de déterminer s’ils doivent révoquer une nomination lorsqu’une erreur a influé sur le choix de la personne nommée dans un processus de nomination.

71 Le plaignant évoque également le fait que l’intimé ne l’ait pas informé correctement de ses droits de recours, contrairement à ce qui est indiqué dans les lignes directrices de la CFP en matière de mesures correctives et de révocations. Ces lignes directrices sont effectivement obligatoires, et il est malheureux que l’intimé ne s’y soit pas conformé. Toutefois, cet état de fait n’a aucune incidence sur le caractère raisonnable de la décision de l’administratrice générale de révoquer la nomination du plaignant en l’espèce. Le Tribunal fait remarquer que le plaignant n’a subi aucun préjudice en raison de cette omission, étant donné qu’il a tout de même été en mesure de présenter sa plainte.

72 En conclusion, le Tribunal juge que la décision de l’administratrice générale de révoquer la nomination du plaignant fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier. Cette décision peut également résister à un examen poussé.

73 Avant d’aborder une autre question, le Tribunal souhaite formuler des commentaires sur la manière dont l’intimé a traité le plaignant pendant la période qui a précédé la révocation de sa nomination. L’intimé a escorté le plaignant à l’extérieur du lieu de travail en présence des collègues de ce dernier. Le plaignant a fait remarquer qu’il avait le sentiment d’être traité comme un criminel. Ce traitement humiliant n’avait pas sa raison d’être. L’intimé n’avait pas non plus à ordonner au plaignant, dans la lettre envoyée par Mme Fillier le 16 octobre 2008, de s’abstenir de communiquer avec tous les employés du ministère. Ce traitement était sévère et injustifié.

Question 3 :   Le Tribunal a-t-il compétence quant à la décision de l’administratrice générale de ne pas nommer le plaignant à un autre poste en vertu de l’art. 15(6) de la LEFP?

74 Le plaignant soutient qu’il aurait dû être nommé à un autre poste après la révocation de sa nomination. Aux termes de l'art. 15(6) de la LEFP, lorsque la nomination d’un fonctionnaire est révoquée en vertu de l'art. 15(3) de la Loi, la CFP ou son délégataire peut nommer cette personne à un autre poste si celle‑ci possède les qualifications essentielles pour le poste en question.

75 Le Tribunal estime qu’il ne peut se prononcer sur la décision de ne pas nommer le plaignant à un autre poste car il n’a pas compétence en la matière. L’article 74 de la LEFP établit clairement que la compétence du Tribunal se limite à revoir la décision de révoquer une nomination, non pas la décision subséquente de nommer ou non la personne à un autre poste. En voici le libellé :

74. La personne dont la nomination est révoquée par la Commission en vertu du paragraphe 67(1) ou par l’administrateur général en vertu des paragraphes 15(3) ou 67(2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle la révocation n’était pas raisonnable

[soulignement ajouté]

76 Les pouvoirs conférés au Tribunal dans un contexte de plainte liée à une révocation indiquent également clairement que la question que le Tribunal doit trancher est de savoir si la décision de révoquer la nomination est raisonnable, et seulement cette question. L’article 76 de la LEFP stipule que s’il juge la plainte fondée, le Tribunal peut annuler la révocation. Cette disposition ne confère aucun autre pouvoir au Tribunal. Elle ne lui permet pas de prendre des mesures correctives si le fonctionnaire n’a pas été nommé à un autre poste en vertu de l'art. 15(6) de la LEFP, comme d’ordonner à l’intimé ou à la CFP de procéder à une telle nomination.

77 Aux termes de l'art. 87 de la LEFP, la nomination d’une personne à un autre poste en vertu de l’art. 15(6) ne peut faire l’objet d’aucune plainte. La décision de ne pas offrir de nouvelle nomination au plaignant en vertu de l'art. 15(6) est donc une question distincte à l’égard de laquelle le Tribunal n’a pas compétence.

78 Bien qu’il n’ait pas compétence à ce sujet, le Tribunal estime que dans les circonstances, il aurait été raisonnable que l’intimé se prévale du pouvoir qui lui est conféré par l'art. 15(6) pour nommer le plaignant à un autre poste, au moins pour une durée déterminée. Lorsqu’il a inclus cette disposition dans la LEFP, le législateur a fourni aux administrateurs généraux un outil visant à compenser les répercussions négatives de la révocation d’une nomination pour la personne visée. Comme le fait remarquer la CFP dans son document Lignes directrices en matière de nomination : facteurs à prendre en considération – Révocation et mesures correctives, il existe des situations où il est juste de nommer la personne à un autre poste, notamment parce que cela peut permettre d’atténuer les effets négatifs de la situation sur cette personne et d’atténuer une responsabilité civile potentielle du ministère.

79 En l’espèce, la nomination du plaignant à un autre poste aurait été une solution sensée étant donné qu’il y avait des postes vacants à doter et que le plaignant était qualifié pour le poste. Comme l’a fait remarquer Mme Tessier, gestionnaire principale, Groupe de formation opérationnelle, dans sa note de service, le fait de nommer le plaignant à un autre poste aurait permis d’atténuer les conséquences de la pénurie de main‑d’œuvre au niveau PM‑03. De plus, Mme Maisonneuve, gestionnaire, Groupe de formation opérationnelle, était impressionnée par les qualifications du plaignant et l’avait même informé en juillet 2008 qu’elle recommanderait qu’il soit nommé à un autre poste par l’entremise d’un processus externe non annoncé. Les références provenant de ses employeurs précédents étaient également très positives. Une fois de plus, la démarche adoptée par l’intimé à cet égard était sévère. Non seulement a‑t‑il décidé de ne pas nommer le plaignant à un autre poste, mais il a également ordonné que le plaignant ne soit pas réembauché à titre d’employé occasionnel.

Décision


80 Pour tous les motifs susmentionnés, la plainte est rejetée.


John Mooney
Vice-président

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2008-0740
Intitulé de la cause :
Jarrod Goldsmith et le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada
Audience :
Le 6 avril 2010
Ottawa (Ontario)
Date des motifs :
Le 23 novembre 2010

COMPARUTIONS

Pour la plaignant :
Joanne Daniel
Pour l'intimé :
Martin Desmeules
Pour la Commission
de la fonction publique :
Marie-Josée Montreuil
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