Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant travaille pour l’intimé comme agent des services frontaliers (ASF) aux groupe et niveau FB-03. Il exerçait les fonctions de maître-chien jusqu’en mai 2009 lorsqu’il a appris qu’il serait affecté à d’autres tâches en prévision de la retraite imminente de son chien. En juin 2009, l’intimé a affiché une annonce d’appel de candidatures pour la sélection d’un ASF appelé à recevoir une formation pour assumer les fonctions de maître-chien exercées antérieurement par le plaignant. Il s’agissait pour l’intimé d’une pratique courante qui consistait à assigner ces fonctions à une personne pour un minimum de trois ans. Selon le plaignant, l’attribution de ces fonctions à un autre ASF équivaudrait à une nomination, et il y aurait eu abus de pouvoir de la part de l’intimé dans l’application du mérite et le choix du processus de nomination. Il a affirmé d’autre part que sa propre nomination avait été révoquée. Décision : Le Tribunal devait d’abord déterminer s’il était compétent pour trancher les questions soulevées dans la plainte, autrement dit s’il y avait eu nomination au sens de l’article 74 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) et si la nomination du plaignant avait été révoquée conformément à ce même article. Le Tribunal a jugé que le fait d’assigner les  tâches de maître-chien à un ASF n’équivalait pas à la création de fonctions ou d’obligations additionnelles. La description de travail d’un ASF est formulée de manière à inclure explicitement les tâches du maître-chien. Bien que l’ASF retenu ait reçu une formation et une évaluation additionnelles, aucune nouvelle tâche d’ASF n’a été créée quand cette personne a été appelée à exercer d’autres fonctions existantes du poste d’ASF. Le Tribunal a donc établi que cette personne n’a pas été affectée à un nouveau poste; elle a eu l’occasion d’exercer d’autres fonctions faisant partie de la description de travail d’un ASF. Il ne s’agissait pas d’une nomination en vertu de la LEFP, peu importe la durée d’exercice des fonctions de maître-chien. Par conséquent, le Tribunal n’est pas compétent pour trancher cette question aux termes de l’article 77 de la LEFP. Le Tribunal a conclu par ailleurs qu’il n’y avait pas de preuve que l’intimé ou la Commission de la fonction publique aient révoqué la nomination du plaignant. Cette question ne relève pas non plus de la compétence du Tribunal en vertu de l’article 74 de la LEFP. Plainte rejetée pour défaut de compétence.

Contenu de la décision

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Dossier:
2009-0442
Rendue à:
Ottawa, le 13 décembre 2010

NEIL SMITH
Plaignant
ET
LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d’abus de pouvoir en vertu des articles 74 et 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée pour défaut de compétence
Décision rendue par:
Joanne B. Archibald, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Smith c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada
Référence neutre:
2010 TDFP 0022

Motifs de la décision


Introduction


1 Le plaignant, Neil Smith, a exercé les fonctions de maître-chien à l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) jusqu'en mai 2009, moment où il a été avisé qu'il serait affecté à d'autres fonctions, en prévision de la retraite imminente de son chien. Les fonctions de maître‑chien ont été annoncées en juin 2009, et Claudette Simoneau a été choisie pour recevoir une formation et s'acquitter des tâches de maître‑chien exécutées antérieurement par le plaignant.

2 Le 30 juin 2009, le plaignant a présenté une plainte en vertu des articles 74 et 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). Il avance que l'affectation de Mme Simoneau aux fonctions de maître‑chien constitue une nomination et qu'il y a eu abus de pouvoir dans l'application du mérite et le choix du processus de nomination. Enfin, il affirme que sa propre nomination a été révoquée.

3 L'intimé remet en question la compétence du Tribunal à instruire cette plainte. Il avance qu'il n'y a eu ni nomination, ni révocation. Les fonctions de maître‑chien font partie de la description de travail d'un agent des services frontaliers (ASF).

Résumé des éléments de preuve pertinents


4 Le plaignant est entré à la fonction publique en 2003 en tant que maître‑chien (PM‑02) pour l'Agence canadienne de l'inspection des aliments (ACIA).

5 Le 12 décembre 2003, le plaignant a reçu une lettre du président de l'ACIA l'avisant de la création de l'ASFC et du transfert de certaines des activités de l'ACIA à l'ASFC. Le 12 décembre 2003, il a donc été muté au poste de maître‑chien (PM‑02) à l'ASFC.

6 Le 8 février 2005, Michael Hines, directeur, Organisation et classification, ASFC, a envoyé une note de service annonçant l'établissement d'une nouvelle description de travail nationale pour le poste d'ASF (PM‑03). La note annonçait que le poste de maître‑chien avait été éliminé, et ses fonctions intégrées à la nouvelle description de travail d'ASF. Ainsi, les postes de maître‑chien ont été reclassifiés, passant de PM‑02 à la classification des ASF, PM‑03. Un addenda d'une page suivait la description de travail et décrivait les fonctions et responsabilités additionnelles des ASF qui exercent les fonctions de maître‑chien.

7 Dans une lettre non datée, le plaignant s'est vu offrir une nomination pour une période indéterminée au poste d'ASF (PM‑03) entrant en vigueur le 1er avril 2005. Le plaignant a accepté cette offre le 24 avril 2006, après avoir reçu, le 20 avril 2006, un courriel de Philip Crabbe, qui était alors chef intérimaire, dans lequel il lui confirmait que l'ASFC n'avait pas l'intention de le retirer de ses fonctions de maître‑chien dans le secteur de l'agriculture s'il acceptait la nomination. Le plaignant a expliqué qu'avant de recevoir les précisions de M. Crabbe, il craignait de devoir renoncer à ses fonctions de maître‑chien s'il consentait à la nomination.

8 Le 30 janvier 2007, au terme d'un exercice de conversion de la classification, l'ASFC a présenté une nouvelle description de travail pour le poste d'ASF (FB‑03). Celle‑ci comprenait deux références précises aux fonctions de maître‑chien sous la rubrique « Habileté » :

[...]

Connaître aussi le cas échéant les principes, les méthodes et les techniques associés au dressage et à la conduite des chiens détecteurs pour trouver les marchandises de contrebande ou réglementées.

[...]

Interpréter le cas échant les réactions d'un chien détecteur afin de déterminer un plan d'action pour les examens.

[...]

9 En octobre 2006, le plaignant a pris congé, et un autre ASF a assumé les fonctions de maître‑chien auprès du chien qui faisait équipe avec le plaignant.

10 Le plaignant est revenu au travail en janvier 2007. Il a alors occupé les fonctions d'ASF à un point d'entrée. L'autre ASF a continué d'occuper les fonctions de maître‑chien jusqu'à ce qu'il décide d'y renoncer en septembre 2007. Le plaignant a donc repris ses fonctions de maître-chien jusqu'à la retraite du chien en avril 2009.

11 Le 15 mai 2009, le plaignant a reçu une lettre de Darren Frank, chef des opérations, ASFC. M. Frank y traitait de la conversion du poste de maître‑chien à un poste d'ASF. Il indiquait qu'après la conversion, l'ASFC considérait les fonctions de maître‑chien comme une affectation à des fonctions dans le cadre de la description de travail d'ASF. M. Frank a ajouté que dans le district d'Ottawa où le plaignant travaillait, il avait été décidé que les fonctions de maître‑chien seraient exercées à tour de rôle par les ASF.

12 Dans sa lettre, M. Frank a expliqué les facteurs pris en compte par la direction : répartition équitable des possibilités de carrière, objectifs de carrière des employés, durée du service à titre de maître‑chien et expérience globale au sein du district. Il a souligné qu'à ce moment‑là, le plaignant était le maître‑chien comptant le plus d'années de service.

13 Étant donné que le chien du plaignant allait être mis à la retraite et remplacé, M. Frank a expliqué que le temps était venu de laisser à un autre ASF la possibilité d'exercer les fonctions de maître‑chien. Peu de temps après, une possibilité d'affectation a été annoncée par rapport à des fonctions de maître‑chien auprès d'un chien détecteur de produits alimentaires, végétaux et animaux. Étaient admissibles uniquement les agents des services frontaliers (FB-03) désignés, occupant un poste à durée indéterminée dans le district d'Ottawa. Le document précisait qu'un cours de présélection de deux jours sur les chiens détecteurs « pourrait être utilisé comme outil d'évaluation » [traduction], et serait suivi d'une formation de dix semaines au Centre d'apprentissage de l'ASFC à Rigaud. Une pièce jointe précisait des conditions d'emploi additionnelles, notamment la nécessité pour l'employé de prendre soin du chien et d'être en mesure de le soulever.

14 La date de clôture était fixée au 26 juin 2009. Sept personnes ont répondu. Le plaignant, qui ne croyait pas que sa candidature serait retenue, n'a pas répondu à l'annonce.

15 Trois personnes ont été retenues pour la formation de présélection. Parmi ces personnes, Mme Simoneau a suivi la formation à Rigaud et a été affectée aux fonctions de maître‑chien avec un nouveau chien détecteur.

Questions liées à la compétence

16 Pour être en mesure d'instruire la plainte, le Tribunal doit être compétent pour se prononcer sur les questions soulevées dans celle-ci. Le plaignant doit d'abord montrer qu'il y a eu nomination avant que le Tribunal ne puisse instruire sa plainte présentée en vertu de l'art. 77. Il doit également établir que sa nomination a été révoquée pour que le Tribunal ait compétence en ce qui a trait à l'instruction de sa plainte en vertu de l'art. 74 de la LEFP.

Argumentation du plaignant

17 En ce qui a trait à la révocation, le plaignant soutient que l'intimé a agi de façon arbitraire. Bien que M. Frank ne lui ait pas explicitement demandé de ne pas poser sa candidature pour la possibilité d'affectation en 2009, sa lettre indiquait implicitement que les fonctions de maître‑chien seraient confiées à quelqu'un d'autre. Le plaignant n'a pas été autorisé à conserver ses fonctions de maître‑chien.

18 Quant à savoir si Mme Simoneau a été nommée à un poste, le plaignant s'appuie sur les décisions de la Cour suprême du Canada : Canada (P.G.) c. Brault, [1987] 2 RCS 489 et Doré c. Canada, [1987] 2 RCS 503.

19 La décision Brault portait sur l'attribution des fonctions de maître‑chien au poste d'inspecteur des douanes. Dans cette affaire, il a été déterminé qu'il s'agissait d'une nouvelle nomination; le plaignant affirme que sa situation est la même. L'ajout des fonctions de maître‑chien constitue un changement considérable. L'intimé s'est appuyé sur l'évaluation et la sélection pour choisir Mme Simoneau. Travailler avec un chien requiert des qualifications particulières qui sont enseignées et évaluées au cours du programme de formation de dix semaines à Rigaud.

20 Dans la décision Doré, la Cour a conclu que l'affectation d'une personne à un poste non classifié pour une période de neuf mois constituait une nomination. De même, le plaignant soutient que compte tenu de la durée de l'affectation, qui est de trois ans avec possibilité de prolongation selon ce qui a été annoncé, celle‑ci devrait être considérée comme une nomination.

Argumentation de l'intimé

21 L'intimé soutient qu'en l'espèce, le plaignant n'a pas le droit de présenter une plainte au Tribunal.

22 En ce qui concerne le courriel dans lequel M. Crabbe confirme son intention de ne pas retirer au plaignant ses fonctions de maître‑chien, l'intimé souligne que le contexte de cette correspondance était la reclassification du poste. L'affirmation de M.Crabbe n'a pas empêché la direction de changer les fonctions du plaignant. Quand l'intimé a par la suite décidé d'affecter le plaignant à d'autres fonctions, M. Frank lui a fourni des motifs clairs expliquant la décision.

23 Bien que l'annonce portant sur l'affectation au poste de maître‑chien pour laquelle Mme Simoneau a été choisie était intitulée « possibilité d'affectation » et visait à doter le « poste de maître‑chien auprès d'un chien détecteur de produits alimentaires, végétaux et animaux » [traduction], aucun poste de ce genre n'existait. Il s'agissait d'une description de fonctions comprises dans celles d'un ASF, étant donné que le poste de maître‑chien en tant que tel n'existait plus.

24 L'intimé soutient que le simple fait que les ASF devaient suivre une formation particulière accompagnée d'une évaluation ne prouve pas qu'il y a eu nomination. Plusieurs outils sont à la disposition des ASF, lesquels sont formés pour les utiliser. L'intimé doit s'assurer que les ASF sont bien formés pour travailler avec un chien. La rigueur et la durée de la formation et de l'évaluation ne signifient pas qu'il y a eu nomination.

25 Enfin, l'intimé avance que le poste d'ASF a évolué. L'intimé a explicitement indiqué que les fonctions de maître‑chien seraient incorporées dans la description de travail du poste d'ASF; ce n'était pas un secret.

26 L'intimé souhaite établir une distinction entre les décisions Doré et Brault et les faits en l'espèce. Dans l'affaire Doré, un nouveau poste de supervision avait été créé et une personne avait été choisie pour en occuper les fonctions à temps plein dans l'attente de la classification du poste. Cette situation a perduré pendant neuf mois avant que l'appel ne soit instruit. Selon l'intimé, la Cour voulait empêcher l'employeur de contourner les droits d'appel en omettant de classifier le poste. Toutefois, en l'espèce, aucun nouveau poste n'a été créé; une description de travail classifiée existait déjà. Les fonctions ont été établies, et lorsqu'il y a désaccord, le grief constitue la voie de recours appropriée.

27 Dans l'affaire Brault, une nouvelle unité canine avait été mise en place et de nouvelles fonctions avaient été créées. La Cour a conclu que les nouvelles fonctions exigeaient des qualifications particulières. Encore une fois, selon l'intimé, la Cour cherchait avant tout à éviter que le principe du mérite ne soit contourné, ce qui aurait eu pour effet de priver les employés de leur droit d'appel. La situation est différente en l'espèce. Le poste de maître‑chien a évolué et fait maintenant partie de la description de travail nationale d'un ASF; aucune nouvelle fonction n'a été créée. Un ASF qui exerce les fonctions de maître‑chien réalise des inspections, des examens et des vérifications, et utilise un chien comme outil de détection à cette fin.

28 L'intimé soutient que les fonctions de maître‑chien font partie de la description de travail d'un ASF et que l'affectation d'une personne à celles‑ci ne constitue pas une nomination.

Argumentation de la Commission de la fonction publique

29 La Commission de la fonction publique (CFP) n'était pas représentée à l'audience, mais elle a fourni des observations écrites.

Questions en litige

30 En l'espèce, le Tribunal doit trancher les deux questions suivantes :

  1. L'affectation de Mme Simoneau constituait-elle une nomination au sens de l'art. 77(1) de la LEFP?
  2. La nomination du plaignant a-t-elle été révoquée au sens de l'art. 74 de la LEFP?

Analyse


31 Les questions à l'égard desquelles le Tribunal a compétence sont énoncées à l'art. 88(2) de la LEFP, lequel prévoit expressément que « [l]e Tribunal a pour mission d'instruire les plaintes présentées en vertu du paragraphe 65(1) ou des articles 74, 77 ou 83 et de statuer sur elles ».

Question I :   L'affectation de Mme Simoneau constituait-elle une nomination au sens de l'art. 77(1) de la LEFP?

32 Les deux parties ont fait référence aux décisions de la Cour suprême du Canada dans deux affaires : Brault et Doré.

33 Pour bien comprendre la décision Brault, il importe de tenir compte de son contexte factuel. En 1982, le ministère du Revenu national, Douanes et Accise souhaitait recruter des maîtres‑chiens en vue de la création d'une nouvelle unité de chiens détecteurs dans la région de Montréal. Il a limité l'admissibilité aux inspecteurs des douanes (PM‑01) qualifiés de la région. Vingt candidatures ont été reçues. Les candidats ont passé une entrevue de sélection pour un programme de formation de trois mois. Une dernière sélection a été effectuée, suivie de la formation et des nominations. Des appels ont été interjetés en vertu de l'ancienne LEFP.

34 Le juge Le Dain a formulé la question comme suit, à la page 491 :

La question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si la création de fonctions ou d'obligations additionnelles relativement à un poste de la fonction publique du Canada, qui exigent des qualifications supplémentaires et la sélection d'une personne possédant ces qualifications, équivaut à la création d'un nouveau poste, même s'il n'est pas formellement désigné comme tel […].

35 La question comporte donc trois aspects : la création de fonctions additionnelles, la nécessité de posséder des qualifications supplémentaires pour les exercer et la sélection d'une personne possédant ces qualifications.

36 Afin de saisir le contexte de l'analyse de cette affaire par la Cour suprême, il faut examiner certains aspects des décisions rendues par les tribunaux inférieurs. La décision initiale du Comité d'appel de la CFP a été abondamment citée par le juge Pratte dans le jugement de la Cour d'appel fédérale Canada c. Brault, [1985] 1 CF 410. Voici un extrait de la décision du Comité d'appel cité à la page 415 de ce jugement :

Le ministère n'a peut-être pas établi de description de tâches spéciale pour des postes de « maître chien », mais c'est à tort, à mon avis. La description de poste de Inspecteur des douanes PM-01 (pièce M-1) qu'il m'a remise à l'audition est peut-être exacte pour les postes ordinaires de douanier, mais, selon moi, elle ne reflète nullement les qualités, fonctions et responsabilités particulières attendues d'un « maître chien » tel [sic] qu'elles sont mentionnées sur le placard 82-44 ou qu'elles ont été présentées à l'audition d'appel. Quant à l'unique énoncé de qualités national que le ministère prétend utiliser pour les concours de douanier, il faut dire qu'il a été assez bien complété en l'espèce par les spécifications contenues au placard 82-44.

37 D'après cet extrait, il est entendu que quand l'appel a été interjeté, la description de travail d'un inspecteur des douanes décrivait le travail lié à un « poste ordinaire de douanier ». Elle ne comportait pas les fonctions de maître‑chien, et le Comité d'appel a conclu qu'il y avait eu nomination au nouveau poste de maître‑chien. Il a ensuite examiné la question du mérite.

38 La Cour d'appel fédérale a conclu, à la majorité, qu'aucune nomination n'avait été effectuée, et que la création d'un nouveau poste exigeait « une manifestation de volonté ferme et non équivoque ». En l'absence d'une telle manifestation, il ne pouvait y avoir de nomination. Dans sa décision dissidente, le juge Pratte a déclaré, aux pages 415-416 :

Comme l'a souligné l'avocat du requérant, la Loi sur l'emploi dans la fonction publique utilise fréquemment l'expression « nomination à des postes de la fonction publique », mais ne définit pas les mots « nomination » et « poste ». Il en faut conclure que ces mots sont utilisés dans leur sens ordinaire suivant lequel une personne est nommée à un poste lorsqu'elle est désignée pour remplir un emploi ou une fonction. Il s'ensuit qu'une personne qui détient déjà un poste dans la fonction publique, comme c'était le cas des mis-en-cause Lenoir et Beaupré, est nommée à un autre poste si elle est désignée pour remplir un emploi différent de celui qu'elle occupe déjà. À mon avis, pour que celui qui occupe déjà un poste dans la fonction publique soit nommé à un poste nouveau, il n'est pas nécessaire que les autorités concernées le nomment expressément à un tel poste; il suffit que ces autorités, sans créer expressément de poste nouveau, le désignent pour exécuter de façon permanente dans l'avenir une tâche nouvelle substantiellement différente de celle qui est attachée au poste qu'il occupait jusque-là.

Les mis-en-cause Lenoir et Beaupré étaient inspecteurs des douanes lorsqu'ils ont été choisis pour remplir la fonction de « maître-chien ». Pour savoir s'ils ont été alors nommés à de nouveaux postes, il faut déterminer si leurs nouvelles fonctions étaient suffisamment différentes de celles d'un inspecteur des douanes pour constituer un emploi différent. À cette question, le Comité a répondu affirmativement. Je crois qu'il a eu raison. Car, la fonction de « maître-chien » ajoute des responsabilités et des obligations si importantes à celles d'un inspecteur des douanes qu'il me paraît impossible d'admettre la prétention du requérant que le choix des mis-en-cause comme « maîtres-chien » n'était rien d'autre qu'une affectation de tâches dans le cadre normal de leur emploi comme inspecteurs des douanes.

[caractères gras ajoutés]

39 Ce passage a été cité avec l'approbation de la Cour suprême du Canada. Le juge Le Dain y ajoute, aux pages 501-502 :

De toute évidence, l'administration doit pouvoir jouir de suffisamment de souplesse pour être en mesure d'apporter des modifications mineures aux fonctions que le titulaire d'un poste déjà existant de la fonction publique peut être appelé à remplir, sans par là créer un nouveau poste nécessitant une nomination faite selon une sélection établie au mérite. Lorsque, toutefois, comme en l'espèce, la modification des fonctions est suffisamment importante ou substantielle pour requérir des qualifications supplémentaires ou particulières, exigeant une évaluation et donc ce qui correspond à une nouvelle sélection pour le poste, un nouveau poste au sens de la Loi est alors créé. Manifestement, on a jugé nécessaire, vu les qualifications particulières requises pour la fonction de maître‑chien, de procéder à une évaluation et à une sélection des candidats à cette fonction. C'est là une indication manifeste que la fonction de maître‑chien constituait un nouveau poste, même si elle requérait les qualifications du poste déjà existant d'inspecteur des douanes.

[caractères gras ajoutés]

40 Le Tribunal estime que les faits en l'espèce diffèrent de ceux de l'affaire Brault.

41 Premièrement, les fonctions de maître‑chien ne sont pas nouvelles; elles figurent dans la description de travail d'un ASF. L'évolution de ces fonctions, d'un poste distinct à leur incorporation dans la description de travail d'un ASF, est bien documentée dans la preuve. Il est erroné d'affirmer que cette plainte porte sur une nomination à un nouveau poste. La description de travail définit les fonctions et les responsabilités du poste; elle fournit une certaine souplesse dans l'attribution des tâches pour le poste d'ASF. Les fonctions de maître‑chien sont clairement énoncées dans la description de travail.

42 Mme Simoneau occupait un poste d'ASF au moment où elle exerçait les fonctions de maître‑chien. Le fait d'assumer les fonctions de maître‑chien faisait partie de son travail, ce qui témoigne de la souplesse et de la polyvalence qui caractérisent la description de travail actuelle du poste d'ASF.

43 Ainsi, pour en revenir aux trois aspects de la question tels qu'ils ont été énoncés par la Cour suprême dans la décision Brault, aucune nouvelle fonction n'a été créée quand Mme Simoneau a été appelée à exercer d'autres fonctions existantes du poste d'ASF. En ce qui a trait aux deuxième et troisième aspects du critère (c'est‑à‑dire la nécessité de posséder des qualifications supplémentaires et la sélection d'une personne possédant ces qualifications), le Tribunal conclut que, dans les circonstances en l'espèce, la formation reçue par Mme Simoneau et sa sélection ne permettent pas de conclure qu'il y a eu nomination. Mme Simoneau a été évaluée et formée pour être préparée à assumer les fonctions précisées dans sa description de travail. La durée de la formation et les évaluations menées ne peuvent pas être examinées séparément, sans tenir compte de la description de travail.

44 Dans la décision Doré, la Cour a accordé de l'importance au fait que, bien que l'employée ait continué d'occuper son poste d'attache, elle avait cessé d'en exercer les fonctions afin d'occuper celles d'un nouveau poste non classifié pour « une durée importante et indéterminée » [traduction]. Dans ces circonstances, la Cour suprême avait conclu qu'il y avait eu nomination.

45 Le Tribunal établit une distinction entre les faits de l'affaire Doré et ceux en l'espèce. Mme Simoneau n'a pas été affectée à un nouveau poste; elle a eu l'occasion d'occuper d'autres fonctions faisant partie de la description de travail d'un ASF. Il ne s'agit pas d'une nomination en vertu de la LEFP, peu importe la durée pendant laquelle Mme Simoneau occupe les fonctions de maître‑chien.

46 Le Tribunal conclut qu'il n'a pas compétence pour trancher cette question, car il n'a pas été démontré qu'une nomination a eu lieu.

47 Il semble que certains employés de l'ASFC s'opposaient au contenu de la description de travail du poste d'ASF. Les observations conjointes des avocats indiquaient que les griefs en cours, dont 2 466 portaient sur la classification et 922 sur la nature du travail, avaient été présentés à l'encontre de la description de travail. Toutefois, il ne s'agit pas de questions que le Tribunal peut trancher, car elles ne relèvent pas de sa compétence. Pour les besoins de la plainte dont est saisi le Tribunal, la description de travail actuelle est celle qui était en vigueur au moment de la présentation de ladite plainte.

Question II :   La nomination du plaignant a-t-elle été révoquée au sens de l'art. 74 de la LEFP?

48 L'article 74 de la LEFP offre le recours suivant en cas de révocation :

74. La personne dont la nomination est révoquée par la Commission en vertu du paragraphe 67(1) ou par l'administrateur général en vertu des paragraphes 15(3) ou 67(2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle la révocation n'était pas raisonnable.

49 Selon les art. 15(3) et 67(2) de la LEFP, un administrateur général peut révoquer une nomination et prendre des mesures correctives si une enquête révèle que la sélection en vue d'une nomination a été influencée par une erreur, une omission ou une conduite irrégulière. De même, d'après l'art. 67(1), si la CFP mène une enquête de son propre chef et conclut qu'une nomination ou une proposition de nomination n'était pas fondée sur le mérite ou a été influencée par une erreur, une omission ou une conduite irrégulière, elle peut révoquer la nomination ou prendre les mesures correctives qui s'imposent.

50 Dans ces situations particulières, la personne dont la nomination est révoquée peut présenter une plainte au Tribunal selon laquelle la révocation n'était pas raisonnable.

51 Toutefois, en l'espèce, il n'y a aucune preuve démontrant que l'administrateur général ou la CFP ont révoqué la nomination du plaignant. Au contraire, il est établi que le plaignant a accepté une nomination à un poste d'ASF pour une période indéterminée en avril 2006, et qu'en mai 2009, il a été affecté à d'autres fonctions dans le cadre de la description de travail du poste d'ASF. Cette nouvelle affectation s'expliquait par un certain nombre de facteurs, notamment la répartition des possibilités de carrière, les objectifs de carrière des employés, la durée du service à titre de maître‑chien et l'expérience globale au sein du district. Dans les circonstances, le fait de confier au plaignant d'autres fonctions figurant dans la description de travail d'un ASF ne constitue pas une révocation au sens de la LEFP.

52 Ainsi, le Tribunal conclut qu'il n'y a pas eu révocation d'une nomination au sens de l'art. 74. Les préoccupations du plaignant ne relèvent pas de la compétence du Tribunal.

Décision

53 Le Tribunal conclut qu'il n'y a eu ni nomination aux termes de l'art. 77(1)a) ni révocation au sens de l'art. 74. Par conséquent, il n'a pas compétence pour instruire la plainte.

54 La plainte est donc rejetée pour défaut de compétence.


Joanne B. Archibald

Membre


Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2009-0442
Intitulé de la cause :
Neil Smith et le président de l’Agence des services frontaliers du Canada
Audience :
Les 8 et 9 septembre 2010
Ottawa (Ontario)
Date des motifs :
Le 13 décembre 2010

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Erik Lupien
Pour l'intimé :
Martin Desmeules
Pour la Commission
de la fonction publique :
John Unrau
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