Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a participé à un processus de nomination interne annoncé pour la dotation du poste de coordonnateur des opérations de manutentions. Il avait occupé ce poste par intérim, en rotation, pendant plusieurs périodes de quatre mois, et la qualité de son travail a été reconnue. Il a réussi à toutes les étapes de l’évaluation des qualifications essentielles sauf celle de la qualité personnelle « Orientation vers le service », pour laquelle il n’a pas obtenu la note minimale requise. Par conséquent, il n’a pas été jugé qualifié pour le poste. Le plaignant a formulé à l’encontre de l’intimé des allégations d’abus de pouvoir au motif que ce dernier n’a pas tenu compte de l’expérience acquise dans le poste intérimaire et qu’il a évalué cette qualification essentielle avec un outil inapproprié. D’autre part, selon lui l’intimé ne l’aurait pas évalué de façon impartiale et n’aurait pas respecté les Lignes directrices en matière d’évaluation de la Commission de la fonction publique, qui précisent que l’administrateur général doit s’assurer que les personnes responsables possèdent les compétences voulues afin d’assurer une évaluation juste et entière des qualifications des personnes à évaluer. Décision L’administrateur général a un pouvoir discrétionnaire quant au choix et à l’utilisation des outils qu’il estime indiqués pour évaluer les candidats. Pour que le Tribunal considère que le résultat est inéquitable et qu’il y a eu abus de pouvoir dans le choix des outils et méthodes d’évaluation, le plaignant doit démontrer qu’ils sont déraisonnables et ne peuvent évaluer les qualifications prévues à l’énoncé des critères de mérite, qu’ils n’ont aucun lien avec celles-ci, ou qu’ils sont discriminatoires. En l’espèce, l’intimé a exercé ce choix de façon objective, traitant tous les candidats de la même façon, qu’ils aient occupé le poste de façon intérimaire ou non. Le plaignant n’a rapporté aucune erreur ou omission graves ou conduite irrégulière dans l’utilisation des outils d’évaluation, ni démontré que l’outil d’évaluation de l’orientation vers le service ne permettait pas d’évaluer cette qualification essentielle. Quant à l’allégation de parti pris, le plaignant n’a avancé aucun élément de preuve qui pourrait mener une personne bien renseignée à conclure que les décisions des membres du comité d’évaluation à son égard soulèvent une crainte raisonnable de partialité. En ce qui concerne le respect des Lignes directrices en matière d’évaluation, le plaignant n’a pas démontré que les membres du comité n’avaient pas les compétences nécessaires pour s’acquitter de leur tâche. De plus, aucune preuve n’a été avancée établissant que la firme externe utilisée pour élaborer le test pratique ne possédait pas les qualifications ou les compétences nécessaires pour accomplir les tâches qui lui ont été confiées. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier:
2008-0767
Rendu à :
Ottawa, le 27 septembre 2010

SERGE BÉDARD
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire
Plainte d'abus de pouvoir aux termes de l'article 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision
La plainte est rejetée
Décision rendue par
Lyette Babin-MacKay, membre
Langue de la décision
Français
Répertoriée
Bédard c. le sous-ministre de la Défense nationale
Référence neutre
2010 TDFP 0015

Motifs de décision

Introduction

1Le plaignant, Serge Bédard, est opérateur de manutention (GL-PRW-07) au 202e Dépôt d’ateliers (le 202) du ministère de la Défense nationale, à Montréal. Il a participé à un processus de nomination interne annoncé pour le poste de coordonnateur des opérations de manutention (GL-PRW-7B3), au 202.

2À l’évaluation, il a démontré qu’il satisfaisait à toutes les qualifications essentielles, sauf à la qualité personnelle « orientation vers le service ». Le 27 novembre 2008, il a présenté une plainte auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) au motif que l’intimé a abusé de son pouvoir en :

  1. ne tenant pas compte de son expérience;
  2. ne l’évaluant pas de façon impartiale, à cause de son rôle de délégué syndical;
  3. enfreignant les Lignes directrices de la Commission de la fonction publique (CFP) et l’Instrument de délégation et de responsabilisation en matière de nomination (IDRN) du ministère, et de ce fait, la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

3L’intimé, le sous-ministre de la Défense nationale, soutient qu’il n’y a eu aucun abus de pouvoir.

Questions en litige

4Le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a conclu que le plaignant ne satisfaisait pas à la qualification essentielle « orientation vers le service »?
  2. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir et fait preuve de parti pris contre le plaignant à cause de ses activités syndicales?
  3. (iii)L’intimé a-t-il enfreint les Lignes directrices en matière d’évaluation et ainsi abusé de son pouvoir?

Résumé de la preuve pertinente

5Le plaignant a déclaré qu’il est opérateur d’équipement de manutention (GL‑PRW-7) au 202 depuis 1981. Il y opère un chariot élévateur et doit déplacer de l’équipement, des véhicules et du matériel. Sa section s’occupe des besoins en manutention de toutes les sections du 202, où on remet à neuf et répare des véhicules des Forces canadiennes.

6Depuis 2006, il a occupé les fonctions du poste en litige (GL-PRW-7B3) par intérim et en rotation avec des collègues, pour plusieurs périodes de quatre mois à la fois totalisant « un an ou deux ». Depuis 2006, il a aussi occupé les fonctions de chef d’équipe des opérations de manutention (GL-PRW-7C3) par intérim, pour des périodes totalisant environ un an.

7Selon la Norme de classification du groupe GL (Manœuvre et personnes de métier) du Conseil du Trésor (la norme du groupe GL), le sous-groupe PRW est celui du travail de précision. Quant aux suffixes B3 et C3, ce sont des coordonnées de degrés qui réfèrent à la nature de la responsabilité de supervision ainsi qu’au nombre d'employés supervisés, tels que décrits dans le Plan de supervision de la norme du groupe GL.

8Le plaignant a expliqué que le domaine de la manutention touche tout l’équipement roulant (par exemple, les chariots élévateurs) et tout l’équipement de levage. Sous la surveillance d’un chef d’équipe, le coordonnateur des opérations de manutention est généralement responsable de la coordination des ressources matérielles et humaines.

9Le plaignant a affirmé que la qualité de son travail a été reconnue, comme en fait foi la lettre d’appréciation déposée en preuve qu’il a reçue du Major J.G.M. Allaire. Ce dernier y souligne la qualité du travail du plaignant dans le poste de chef d’équipe à la Section de manutention du processus logistique, pendant quelques mois en 2007 et 2008.

10Alain Demontigny est chef du processus de l’intégration des systèmes depuis 1998; il est un des cinq chefs de processus du 202. Il a confirmé qu’il a complété différents cours en matière de dotation, dont la formation de trois jours de la CFP. Il a présidé le comité d’évaluation (le comité) de ce processus de nomination, tenu dans le cadre d’une série de processus visant à combler plusieurs postes de coordonnateur (GL-PRW-7B3) et de chef d’équipe (GL-PRW-7C3) dans différents domaines.

11M. Demontigny a expliqué que le 202 a des clients internes (ses ateliers et ses chefs d’équipe) et externes (les gestionnaires de programme de l’équipement terrestre et les gestionnaires de projets à Ottawa). La question du service à la clientèle est importante au 202 et on a mis en place divers systèmes pour assurer que les échéanciers, comme les dates de livraison, sont respectés. C’est parce que cette question est importante qu’elle a été incluse dans tous les outils d’évaluation des postes de coordonnateurs et de chefs d’équipe.

L’évaluation des qualifications

12Le pouvoir de nomination de la CFP est délégué au sous-ministre de la Défense nationale en vertu des conditions que contient l’IDRN, déposé en preuve.

13En vertu des pouvoirs délégués, M. Demontigny présidait le comité, qui comprenait aussi trois autres personnes : Michel Planté, un employé retraité de Service Canada embauché sur une base occasionnelle pour plusieurs processus de nomination; un autre gestionnaire du 202; et une consultante. Le comité a pris toutes les décisions quant au choix et à l’utilisation des outils d’évaluation.

14M. Demontigny a déclaré qu’avec M. Planté, il s’est occupé de l’évaluation des connaissances, des capacités et des qualités personnelles de ce processus de nomination. Il a été en mesure de constater la compétence et les connaissances de ce dernier en matière de dotation.

15M. Demontigny a décrit le processus d’évaluation des qualifications essentielles. Les connaissances du domaine de la manutention ont été évaluées au moyen d’un test écrit comportant 31 questions objectives. La capacité de gérer des opérations de levage complexe a été évaluée au moyen d’un test pratique élaboré par une firme externe spécialisée dans le domaine, à partir de procédures fournies par la gestion. Un représentant de cette firme a aussi assisté MM. Demontigny et Planté dans l’évaluation des résultats. Ils ont observé et noté les comportements des candidats, à l’aide d’une liste-témoin fournie par la firme. Ils ont ensuite évalué les résultats de chaque candidat en fonction du barème de cotation que le comité avait établi.

16Les autres capacités et les qualités personnelles, dont l’orientation vers le service, ont été évaluées au moyen d’un test écrit et d’une entrevue. M. Demontigny a expliqué qu’au test écrit, il a lu les instructions avec chaque candidat, qui a pu poser des questions et prendre des notes. Le candidat a ensuite eu une heure et demie pour compléter le test. À l’entrevue, il a lu et remis les questions à chaque candidat, qui a ensuite eu 30 minutes pour se préparer. Le candidat a été encouragé à noter ses éléments de réponse. M. Planté et lui ont noté les réponses des candidats telles que données. Quand un candidat avait terminé sa réponse, on lui demandait s’il avait quelque chose à ajouter. Les résultats de l’entrevue ont été évalués par consensus.

17Deux candidats, Michel Provost et Michel Larocque, ont satisfait à toutes les qualifications essentielles.

18Le plaignant a réussi toutes les étapes de l’évaluation sauf celle de la qualité personnelle « Orientation vers le service » car il n’a pas obtenu la note minimale requise pour cette qualification essentielle. Par conséquent, il n’a pas été jugé qualifié pour le poste.

19M. Provost, lui aussi opérateur de manutention, a déclaré qu’il n’était pas d’accord avec cette décision et qu’il a refusé le poste quand il a appris que le plaignant ne s’était pas qualifié. C’est le plaignant qui lui a enseigné son travail et qui l’a guidé quand il était lui-même coordonnateur par intérim.

20Les réponses du plaignant et les notes manuscrites du comité pour les questions qui évaluaient la qualité personnelle « orientation vers le service » ont été déposées en preuve.

21M. Demontigny a expliqué que le poste de coordonnateur est un poste de première ligne. En réponse aux questions évaluant l’orientation vers le service, un candidat devait indiquer quelles actions il prendrait et quels moyens il mettrait en place face à une situation donnée. Il fallait identifier la contrainte en place et décider de l’approche à suivre. M. Demontigny a indiqué que les réponses du plaignant n’ont pas été jugées suffisamment détaillées et qu’il n’a pas envisagé ni communiqué suffisamment d’options pour les situations en question. Le plaignant a répondu par rapport à sa charge de travail mais il n’a pas considéré qu’il devait aussi vérifier celle des personnes avec qui il traitait.

22Le plaignant a affirmé que l’entrevue a été beaucoup trop longue et a mis l’emphase sur les responsabilités d’un chef d’équipe (GL-PRW-7C3), appelé à prendre des décisions, plutôt que sur celles d’un coordonnateur (GL-PRW-7B3), qui n’a pas à prendre de décisions. Selon lui, le comité ne connaissait pas le travail qu’il avait effectué ni ce qu’il était en mesure de faire. Des vérifications de référence auraient permis d’obtenir la rétroaction des gestionnaires sur la qualité du service qu’il a toujours offert aux clients.

Les activités syndicales du plaignant

23Le plaignant a soulevé la possibilité qu’il ait été traité différemment parce qu’il est représentant syndical. Il s’est demandé si cela expliquerait pourquoi on ne l’a pas jugé qualifié, un résultat qu’il croit injuste à son égard.

24Il a indiqué qu’en tant que représentant syndical, il est intervenu à quelques reprises dans le processus de travail de M. Demontigny. Il croit que, même si ses relations avec M. Demontigny n’étaient pas mauvaises et qu’ils n’aient pas souvent fait affaire ensemble, il est possible que celui-ci n’ait pas apprécié ses interventions.

25M. Demontigny a affirmé que le plaignant a représenté des employés à quelques reprises dans son processus de travail. Il n’y a pas d’animosité dans leurs relations. Il n’a jamais été le surveillant du plaignant mais il l’a côtoyé. Il l’a décrit comme un gentleman, d’une approche très honnête, qui est un excellent travailleur, coordonnateur et chef d’équipe (quoiqu’il l’ait moins connu comme chef d’équipe). Il est dynamique, a d’excellents rapports avec les gens et a constamment rendu service en tant que surveillant au niveau de supervision B et C.

26Somme toute, le plaignant a eu l’impression que l’on avait conclu, par ces résultats, qu’il ne connait pas son travail et qu’il est incapable de le faire. Étant donné tout le travail qu’il a accompli à l’unité et son travail de coordonnateur par intérim durant toutes ces années, il aurait apprécié que l’on mette son nom dans le bassin des personnes qualifiées pour qu’il puisse au moins remplacer par intérim durant des absences.

27M. Demontigny a indiqué qu’il comprend la grande déception du plaignant, dont le bon travail durant toutes ces années s’est soldé par un échec dans ce processus de nomination. Il a nuancé qu’un processus de nomination n’est qu’une « photo » de ce qui est survenu durant l’évaluation; ce n’est pas le reflet de toute une carrière. M. Demontigny a confirmé que la gestion utilisera d’abord le bassin de candidats qualifiés, au besoin, pour des nominations intérimaires au poste de coordonnateur des opérations de manutention.

Arguments des parties

A) Arguments du plaignant

28Le plaignant soutient que son élimination de ce processus de nomination est un résultat inéquitable, car malgré le fait que l’intimé l’ait toujours jugé suffisamment qualifié pour occuper le poste de coordonnateur par intérim dans le passé, on ne le considère plus qualifié maintenant.La lettre de référence et le témoignage de son collègue font foi de sa compétence. Il soutient aussi avoir été mal évalué parce qu’il ne lui manquait que quelques points pour satisfaire à la qualification essentielle « orientation vers le service ». Il aurait été plus approprié que l’intimé utilise des vérifications de référence pour évaluer ce critère.

29Le plaignant rappelle que la dotation est un pouvoir délégué par la CFP. L’art. 16 de la LEFP précise qu’en vertu de l’art. 29(3), l’administrateur général est tenu de respecter les lignes directrices établies par la CFP. L’IDRN contient les mêmes exigences. Les Lignes directrices de la CFP exigent que l’évaluation soit faite par des personnes qui ont reçu la formation sur les dispositions de la LEFP. Le plaignant estime que l’intimé n’a pas prouvé que l’utilisation de M. Planté respectait les Lignes directrices ni qu’il a reçu la formation nécessaire sur les dispositions de la LEFP. Le plaignant soutient aussi que l’utilisation d’une firme externe plutôt que d’employés de la fonction publique contrevient aux Lignes directrices.

30Le plaignant demande que son nom soit mis dans le bassin des personnes qualifiées et qu’il soit réévalué pour la qualification essentielle « orientation vers le service ».

B) Arguments de l’intimé

31Selon l’intimé, le plaignant n’a pas prouvé qu’il y a eu abus de pouvoir ou même erreur, omission, ou conduite irrégulière. Le processus de nomination était structuré, fait par des personnes qualifiées, et les outils d’évaluation permettaient d’évaluer les qualifications essentielles. Le plaignant n’a pas démontré qu’il possédait la qualification essentielle « orientation vers le service » et M. Demontigny a expliqué en quoi ses réponses n’ont pas été satisfaisantes. Le plaignant n’a avancé aucune preuve permettant de soutenir qu’un abus de pouvoir a influencé la décision du comité.

32L’intimé soutient qu’aucune preuve n’a été soumise que M. Planté n’est pas qualifié. Nonobstant le témoignage de M. Demontigny selon lequel il a constaté l’aptitude et les connaissances de M. Planté, c’est l’intimé qui l’a embauché pour ce processus de dotation et qui l’a jugé qualifié.

33L’intimé soutient que le recours à une firme externe démontre un souci de s’assurer que la méthode d’évaluation était appropriée et développée par des personnes compétentes.

34L’intimé fait valoir que le plaignant n’a rien mentionné qui pourrait laisser croire qu’il y avait des tensions entre M. Demontigny et lui à cause de ses activités syndicales. Quant à M. Planté, son jugement ne peut pas avoir été influencé par les activités syndicales du plaignant car il ne le connaissait pas.

35L’intimé fait aussi valoir qu’il n’y a eu aucune infraction aux Lignes directrices de la CFP. En fait, tel qu’exigé par les Lignes directrices, le comité a utilisé des personnes compétentes et des outils appropriés pour évaluer les qualifications. L’intimé soutient que c’est la CFP qui a compétence pour examiner des questions touchant l’IDRN.

36Finalement, l’intimé affirme qu’il comprend la déception du plaignant mais il soutient qu’aucune preuve d’abus de pouvoir n’a été présentée au Tribunal en ce qui a trait à la méthode d’évaluation choisie ou à l’évaluation du plaignant.

37L’intimé demande donc au Tribunal de rejeter la plainte.

C) Arguments de la Commission de la fonction publique

38La CFP appuie les arguments de l’intimé.

D) Réplique du plaignant à la CFP

39Le plaignant soutient que l’abus de pouvoir peut survenir à n’importe quelle étape du processus de nomination. La compétence du Tribunal n’est pas limitée à la qualification essentielle à laquelle le plaignant a échoué et à ce qui s’est passé durant son évaluation.

40L’abus de pouvoir en vertu de l’article 77 de la LEFP est lié à l’exercice de l’attribution déléguée à l’administrateur général à l’article 30. Le plaignant demande au Tribunal de constater que l’entente de délégation énonce pour l’administrateur général des conditions à l’exercice de son pouvoir à l’article 30. Un manquement aux conditions de l’IDRN est donc une infraction à la LEFP.

Législation et lignes directrices pertinentes

41Les articles suivants de la LEFP sont pertinents à la plainte :

2(4) Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

15(1) La Commission peut, selon les modalités et aux conditions qu’elle fixe, autoriser l’administrateur général à exercer à l’égard de l’administration dont il est responsable toutes attributions que lui confère la présente loi, […].

16. L’administrateur général est tenu, lorsqu’il exerce les attributions de la Commission visées à l’article 15, de se conformer aux lignes directrices visées au paragraphe 29(3).

29(3) La Commission peut établir des lignes directrices sur la façon de faire et de révoquer les nominations et de prendre des mesures correctives.

30(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

(a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles – notamment la compétence dans les langues officielles – établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

[…]

36. La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation – notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues – qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

77.(1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixé par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

[…]

88(2) Le Tribunal a pour mission d’instruire les plaintes présentées en vertu du paragraphe 65(1) ou des articles 74, 77 ou 83 et de statuer sur elles.

42Les Lignes directrices de la CFP et l’IDRN qui suivent sont aussi pertinents en l’espèce :

Lignes directrices – Évaluation

Énoncé des lignes directrices

L’évaluation est élaborée et mise en application de façon impartiale, exempte d’influence politique ou de favoritisme personnel et n’entraîne pas d’obstacles systémiques.

Les processus et les méthodes d’évaluation utilisées permettent d’évaluer efficacement les qualifications essentielles et autres critères du mérite qui sont déterminés, et ils sont administrés de façon juste.

[…]

Exigences des lignes directrices

En plus d’être responsables du respect de l’énoncé des lignes directrices, les administrateurs généraux et les administratrices générales doivent :

[…]

  • s’assurer que les personnes responsables de l’évaluation :
    • possèdent les compétences voulues afin d’assurer une évaluation juste et entière des qualifications des personnes à évaluer;

[…]

Instrument de délégation et de responsabilisation en matière de nomination (IDRN) entre la CFP et le ministère de la Défense nationale

Conditions liées à la délégation

  • […]
  • veiller à ce que les décisions en matière de nomination respectent les exigences de la LEFP […] ;
  • respecter les lignes directrices sur les nominations de la CFP;
  • […]

Analyse

Question I : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a conclu que le plaignant ne satisfaisait pas à la qualification essentielle « orientation vers le service »?

43Le plaignant allègue que son élimination de ce processus de nomination représente un « résultat inéquitable », compte tenu du fait qu’il a été jugé qualifié pour occuper le poste de coordonnateur par intérim de façon répétée dans le passé. De plus, selon lui, l’outil choisi pour évaluer la qualification essentielle « orientation vers le service » n’était pas approprié et l’intimé aurait dû plutôt utiliser des vérifications de référence.

44Dans la décision Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, le Tribunal a énuméré cinq catégories possibles d'abus qui peuvent constituer un cadre utile dans l'évaluation d'une allégation d'abus de pouvoir présentée en vertu de la LEFP.

45En l’instance, les deuxième et troisième catégories d’abus de pouvoir qui suivent seraient applicables à l’analyse de ces allégations :

2) Lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants (incluant lorsqu'il ne dispose d'aucun élément de preuve ou qu'il ne tient pas compte d'éléments pertinents).

3) Lorsque le résultat est inéquitable (incluant lorsque des mesures déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives ont été prises).

46L’article 36 de la LEFP donne à l’administrateur général un pouvoir discrétionnaire quant au choix et à l’utilisation des outils qu’il estime indiqués pour évaluer si les candidats possèdent les qualifications établies en vertu de l’article 30(2) de la LEFP.

47Pour que le Tribunal considère que le résultat est inéquitable et qu’il y a eu abus de pouvoir dans le choix des outils et des méthodes d’évaluation, le plaignant doit démontrer qu’ils sont déraisonnables et ne peuvent évaluer les qualifications prévues à l’énoncé des critères de mérite, qu’ils n’ont aucun lien avec celles-ci ou qu’ils sont discriminatoires (voir Jolin c. l’administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 0011 aux paras. 37 et 77).

48Ici, l’intimé a choisi d’utiliser des questions à un test écrit et à une entrevue pour évaluer la qualité personnelle « orientation vers le service », plutôt que d’utiliser des vérifications de référence. Ce choix des outils et leur utilisation pour évaluer la qualification en litige ont été exercés de façon objective, dans le cadre du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 36 de la LEFP. Tous les candidats ont été traités de la même façon, qu’ils aient occupé le poste de façon intérimaire ou non, et le plaignant n’a rapporté aucune erreur ou omission graves ou conduite irrégulière dans l’utilisation des outils d’évaluation. Le Tribunal estime qu’en fait, une fois les outils d’évaluation choisis et le processus d’évaluation commencé, il aurait été inéquitable que le comité modifie son approche et ajoute ou change les outils.

49Le plaignant n’a pas démontré que l’outil utilisé pour évaluer l’orientation vers le service ne permettait pas d’évaluer cette qualification essentielle, ni que l’intimé s’est trompé dans son évaluation de ce critère.

50Le Tribunal en conclut que le plaignant n’a pas établi que l’intimé a abusé de son pouvoir quand il a évalué l’orientation vers le service.

Question II : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir et fait preuve de parti pris contre le plaignant à cause de ses activités syndicales?

51Le Tribunal pourra considérer qu’il y a mauvaise foi au sens de l’article 2(4) de la LEFP, donc abus de pouvoir, si le comportement des personnes chargées de l’évaluation donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. Comme en fait état le Tribunal dans Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0029 au para. 125, en citant la décision Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, le critère que les tribunaux ont établi pour déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité consiste à se demander :

[…] à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [cette personne], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

52Ce critère peut aussi s’appliquer à l’analyse des circonstances entourant des allégations de partialité dans un processus de nomination. Le Tribunal pourra conclure qu’il y a abus de pouvoir si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’une ou plusieurs personnes chargées de l’évaluation.

53Toutefois, en l’espèce, le plaignant n’a avancé aucun élément de preuve qui pourrait mener une personne bien renseignée à conclure que les décisions de M. Demontigny et de M. Planté à son égard soulèvent une crainte raisonnable de partialité, particulièrement parce qu’il est représentant syndical.

54Le plaignant n’a pas avancé de preuve démontrant en quoi et comment l’évaluation de ses réponses à l’examen écrit ou à l’entrevue soulèverait une crainte raisonnable de partialité. De même, il n’a fait état d’aucun conflit entre M. Demontigny et lui. En fait, il a indiqué que leurs relations étaient bonnes et M. Demontigny en a témoigné de même, décrivant le plaignant comme un excellent employé qui a constamment rendu service en tant que coordonnateur ou chef d’équipe.

55Par conséquent, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas démontré que l’intimé a abusé de son pouvoir et fait preuve de partialité durant ce processus de nomination.

Question III : L’intimé a-t-il enfreint les Lignes directrices en matière d’évaluation et ainsi abusé de son pouvoir?

56En vertu de l’article 29(3), la CFP peut établir des lignes directrices sur la façon de faire ou de révoquer les nominations, et l’administrateur général doit s’y conformer selon l’article 16 (voir Robert et Sabourin c. le sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 TDFP 0024 au para 69). L’IDRN, auquel le plaignant fait référence dans ses arguments, ne fait qu’indiquer que les administrateurs généraux doivent se conformer aux obligations de la LEFP et des Lignes directrices de la CFP.

57Les Exigences des Lignes directrices en matière d’évaluation de la CFP précisent que l’administrateur général doit s’assurer que « les personnes responsables de l’évaluation possèdent les compétences voulues afin d’assurer une évaluation juste et entière des qualifications des personnes à évaluer ». Le plaignant n’a pas démontré que les membres du comité n’avaient pas les compétences nécessaires pour s’acquitter de leur tâche. La preuve révèle que M. Demontigny a reçu de la formation de la CFP en matière de dotation. Quant à M. Planté, un employé occasionnel embauché par l’intimé pour ce processus, M. Demontigny a déclaré qu’il a constaté sa compétence et aucune preuve n’a été présentée pour contredire cette affirmation.

58En ce qui concerne l’utilisation d’une firme externe pour l’élaboration du test pratique, le Tribunal note que la Série d’orientation – Évaluation, sélection et nomination de la CFP, à la section 1.7 – Comité d’évaluation, précise que les membres d’un comité d’évaluation peuvent provenir du secteur privé pourvu qu’ils aient les qualifications ou les compétences nécessaires.

59Il demeure qu’ici, le représentant de la firme externe ne faisait pas partie du comité. M. Demontigny a expliqué que c’est le comité qui a décidé des outils d’évaluation, que le test pratique élaboré par la firme externe l’a été à partir d’éléments fournis par l’intimé et que c’est le comité, assisté d’un représentant de la firme externe, qui a assuré l’évaluation des résultats de ce test. Aucune preuve n’a été avancée établissant que la firme ne possédait pas les qualifications ou les compétences nécessaires pour accomplir les tâches qui lui ont été confiées.

60Le Tribunal conclut que le plaignant n’a pas établi que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’évaluation des qualifications essentielles ni qu’il a enfreint la LEFP ou les Lignes directrices de la CFP.

Décision

61Pour tous ces motifs, la plainte est rejetée.

Lyette Babin-MacKay

Membre


Parties au dossier

Dossier du Tribunal
2008-0767
Intitulé de la cause
Serge Bédard et le sous-ministre de la Défense nationale
Audience
Les 11 et 12 janvier 2010
Montréal (Québec)
Date des motifs
Le 27 septembre 2010

COMPARUTIONS :

Pour le plaignant
Louis Bisson
Pour l’intimé
Anne-Marie Duquette
Pour la Commission
de la fonction publique
Marie-Josée Montreuil
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