Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La candidature du plaignant a été rejetée à l’étape de la présélection parce qu’il n’a pas démontré qu’il possédait l’expérience requise. Le plaignant a fait valoir que l’intimé aurait dû le contacter pour obtenir un complément d’information sur son expérience. Il a déclaré que la personne nommée ne comptait pas assez d’années d’expérience pour le poste. Il a demandé à la Commission de la fonction publique (CFP) d’enquêter sur son allégation de fraude. Il a soutenu d’autre part que l’un des évaluateurs n’avait pas les compétences nécessaires vu qu’il n’avait pas exercé les fonctions du poste à doter. Enfin, selon le plaignant, l’intimé aurait abusé de son pouvoir en offrant antérieurement à la personne nommée le poste intérimaire de chef d’équipe. L’intimé a nié tout abus de pouvoir dans le processus de nomination. Il a précisé que le plaignant ne possédait pas l’expérience requise contrairement à la personne nommée, et qu’en outre le Tribunal n’avait pas compétence pour statuer sur la nomination intérimaire antérieure. Décision : À propos de la question préliminaire, le Tribunal a estimé qu’en dépit de son incompétence pour instruire des allégations de fraude, le plaignant pouvait le saisir d’une plainte d’abus de pouvoir et soumettre ses allégations de fraude à la CFP. Celle-ci a informé le plaignant par la suite qu’il n’y avait rien de frauduleux dans le processus de nomination. Le Tribunal a jugé que le plaignant n’a pas prouvé son allégation d’abus de pouvoir à l’encontre de l’intimé par rapport à la conclusion qu’il n’a pas démontré dans son dossier de candidature qu’il possédait la qualification essentielle liée à l’expérience. En outre, le plaignant n’a pas réussi à établir que l’intimé aurait dû lui demander des renseignements additionnels; le Tribunal a reconnu qu’il n’y avait aucune raison de le contacter vu que la description de son expérience ne comportait aucune ambiguïté. Le Tribunal a estimé que l’évaluateur contesté était compétent pour évaluer les candidats durant la présélection;que le plaignant n’a pas réussi à démontrer que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans sa conclusion que la personne nommée avait prouvé qu’elle possédait l’expérience requise. Pour ce qui concerne la nomination intérimaire antérieure, le Tribunal a conclu que l’intimé n’avait pas favorisé la personne nommée; tous les analystes principaux du renseignement d’un certain niveau avaient été nommés par intérim au poste. Enfin, bien que n’ayant pas compétence pour trancher la question de nominations intérimaires antérieures, le Tribunal avait de sérieuses préoccupations par rapport au manquement répété de l’intimé à l’obligation de notification. Afficher les avis de nomination après la fin de la période d’emploi excluait toute possibilité pour les employés d’exercer à temps leur droit de recours. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier:
2008-0788
Rendue à:
Ottawa, le 22 décembre 2010

SCOTT SHIP
Plaignant
ET
LE SOUS‑MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
John Mooney, vice‑président
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Ship c. le sous‑ministre de la Défense nationale
Référence neutre:
2010 TDFP 0025

Motifs de la décision


Introduction


1 Le plaignant, Scott Ship, s'est porté candidat dans le cadre d'un processus de nomination interne annoncé visant la dotation de postes de chef d'équipe (AS‑07). La candidature du plaignant a été rejetée à l'étape de la présélection parce qu'il ne possédait pas l'expérience requise. Le plaignant a présenté une plainte d'abus de pouvoir au motif que l'intimé, le sous‑ministre de la Défense nationale, aurait abusé de son pouvoir d'abord en rejetant sa candidature à l'étape de la présélection, ensuite en nommant Collin Pierce – qui à son avis ne posséderait pas l'expérience requise – au poste, et enfin en permettant à ce dernier d'occuper le poste de chef d'équipe (AS-07) à titre intérimaire avant le lancement du processus de nomination.

2 L'intimé nie tout abus de pouvoir. Il ajoute que le plaignant ne possédait pas l'expérience requise, contrairement à M. Pierce. Il soutient également que le Tribunal n'a pas compétence pour statuer sur la nomination intérimaire de M. Pierce au poste AS‑07, laquelle a eu lieu avant le processus de nomination susmentionné, puisqu'il s'agissait d'une nomination distincte qui n'est pas visée par la plainte en l'espèce.

3 La Commission de la fonction publique (CFP) estime que le processus a été transparent et que les critères de présélection ont été appliqués de façon régulière et équitable pour tous les candidats.

Contexte


4 En août 2008, l'intimé a lancé un processus de nomination interne visant à doter plusieurs postes de chef d'équipe AS‑07 (Asie/Europe/Amériques et Afrique du sud du Sahara/Moyen‑Orient et Afrique du Nord/Terrorisme mondial), au sein du groupe du chef du renseignement de la Défense, directeur général – Production de renseignements, à Ottawa (processus de nomination no 08-DND-IA-OTTWA-312409). Ce processus visait également à créer un bassin de candidats entièrement qualifiés pour des besoins futurs.

5 En tout, 38 personnes ont posé leur candidature. De ce nombre, neuf candidats ont passé l'étape de la présélection et sept ont été jugés entièrement qualifiés. En novembre 2008, six candidats, dont M. Pierce, ont été nommés ou ont fait l'objet d'une proposition de nomination aux postes visés.

6 Le 10 décembre 2008, le plaignant a présenté une plainte d'abus de pouvoir au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l'art. 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP), qui stipule qu'une personne qui est dans la zone de recours peut présenter au Tribunal une plainte selon laquelle elle n'a pas été nommée ou fait l'objet d'une proposition de nomination au motif que la CFP ou l'administrateur général a abusé de son pouvoir dans un processus de nomination.

7 Linda A. Goldthorp, Ph. D., directrice générale – Production de renseignements, présidait le comité d'évaluation. Elle a décrit les tâches du chef d'équipe. En général, de quatre à six employés relèvent du chef d'équipe. Ce dernier gère la production quotidienne d'analyses de renseignements provenant de différentes sources, notamment des quatre directions relevant de la directrice générale, d'autres sections du ministère de la Défense nationale, d'autres ministères ou organismes (p. ex. le Service canadien du renseignement de sécurité, les Forces canadiennes), ainsi que des partenaires et des alliés du Canada. Le chef d'équipe attribue les tâches aux membres de son équipe et examine le travail des analystes afin d'en assurer la rigueur. Il gère également les finances de l'équipe et joue un rôle de formateur et de mentor auprès des analystes du renseignement.

Questions préliminaires – allégations de fraude

8 En plus de présenter sa plainte, le plaignant a demandé à la CFP d'enquêter sur la nomination de M. Pierce en vertu de l'art. 69 de la LEFP, qui autorise la CFP à mener une enquête si elle croit qu'il pourrait y avoir eu fraude dans un processus de nomination (externe ou interne). Le plaignant soutient que rien ne l'empêche de présenter une plainte en vertu de l'art. 77 de la LEFP au motif que la nomination de M. Pierce constitue un abus de pouvoir, et par la même occasion de demander à la CFP de mener une enquête sur une allégation de fraude pour cette nomination, en vertu de l'art. 69 de la LEFP. Le Tribunal en convient. Le fait pour une personne de demander à la CFP d'enquêter sur une nomination ne prive pas le Tribunal de sa compétence dans l'instruction d'une plainte à l'encontre de cette nomination.

9 Dans les allégations écrites qu'il a présentées à l'audience, le plaignant a affirmé ce qui suit : « l'information que la personne nommée a indiquée sur son curriculum vitæ (chef d'équipe par intérim – AS‑07) ne correspond pas à la réalité (date de début et date de fin, tâches réellement effectuées – analyste principal AS‑06), et l'intimé était au courant » [traduction].

10 L'intimé soutient qu'il s'agit là d'une allégation de fraude. L'intimé et la CFP ont tous deux indiqué que le Tribunal ne pouvait pas statuer sur une allégation de fraude, étant donné que l'art. 69 de la LEFP confère à la CFP le pouvoir exclusif d'enquêter sur les allégations de fraude dans les processus de nomination. Toutefois, à l'audience, le plaignant a clairement fait savoir qu'il n'allégait pas la fraude dans cette plainte-ci. Le Tribunal n'a donc pas à tenir compte de l'objection soulevée par l'intimé et la CFP.

11 Le 3 février 2010, la CFP a écrit au plaignant pour l'informer que le processus de nomination n'avait rien de frauduleux, et qu'elle ne donnerait pas suite à sa plainte.

Questions en litige

12 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L'intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir lorsqu'il a conclu que le plaignant ne possédait pas l'expérience requise pour le poste?
  2. L'intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir lorsqu'il a conclu que M. Pierce possédait l'expérience requise pour le poste?
  3. L'intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir lorsqu'il a donné à M. Pierce l'occasion d'occuper le poste de chef d'équipe AS-07 de façon intérimaire avant le début du processus de nomination?

Analyse


13 Tel qu'il est établi dans la jurisprudence du Tribunal, il revient au plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination (voir, par exemple, la décision Tibbs c. le sous‑ministre de la Défense nationale, 2006, TDFP 0008, para. 49).

14 Le terme « abus de pouvoir » n'est pas défini dans la LEFP. Cependant, l'art. 2(4) stipule que par abus de pouvoir, on entend notamment la « mauvaise foi » et le « favoritisme personnel ». Dans nombre de ses décisions, le Tribunal a établi qu'en matière d'évaluation de candidats durant un processus de nomination, son rôle est de déterminer s'il y a eu abus de pouvoir, et non pas de réévaluer les candidats (voir, par exemple, Broughton c. le sous‑ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux, 2007 TDFP 0020).

Question I :   L'intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir lorsqu'il a conclu que le plaignant ne possédait pas l'expérience requise pour le poste?

15 La présélection des candidats a été effectuée par Mme Goldthorp et Greg Steele, son chef d'état‑major. M. Steele examinait toutes les candidatures, et Mme Goldthorp se fiait à son avis pour décider si un candidat passait l'étape de présélection. Mme Goldthorp a affirmé qu'avant et pendant la présélection, elle travaillait étroitement avec M. Steele pour s'assurer qu'ils comprenaient de la même manière les critères de présélection liés à chaque qualification essentielle évaluée durant cette première étape du processus de nomination.

16 L'annonce de possibilité d'emploi précisait que les candidats devaient « clairement démontrer par écrit au moment de leur candidature qu'ils possèdent les critères de présélection ». La candidature du plaignant, qui occupait alors un poste d'analyste du renseignement AS‑05, a été rejetée parce que l'intimé a déterminé qu'il ne possédait pas la qualification suivante en matière d'expérience : « EX2 : Expérience de la coordination de l'analyse de renseignements obtenus de toute source » (deuxième qualification liée à l'expérience).

17 Plus précisément, l'intimé a déterminé que le plaignant n'était pas qualifié parce qu'il lui manquait l'aspect « coordination » de cette qualification liée à l'expérience.

18 Voici le passage pertinent de la lettre de présentation du plaignant :

[…]

J'ai acquis trois ans d'expérience dans la coordination de l'analyse de renseignements obtenus de toute source grâce à mon travail en tant qu'analyste du renseignement auprès du Chef du renseignement de la Défense. Dans le cadre de mes fonctions, j'étais chargé de coordonner et d'effectuer l'analyse de renseignements provenant de toute source. Je devais simultanément produire des évaluations de renseignement, des évaluations des menaces, des articles dans le condensé hebdomadaire du renseignement et le condensé quotidien du renseignement, et alimenter la base de données de CoALA, en utilisant une multitude de sources de renseignement, protégées ou non.

[…]

[traduction]

19 Bien que le plaignant affirme posséder l'expérience requise, les exemples qu'il a donnés ne montrent pas qu'il a « coordonné la production d'analyses de renseignements ». Le Tribunal accepte l'explication de Mme Goldthorp selon laquelle « produire simultanément des évaluations de renseignement » n'est pas l'équivalent de « coordonner » la production de ces évaluations. Le terme « coordination » sous‑entend que la personne coordonne le travail d'autres employés ou qu'elle coordonne plusieurs secteurs d'expertise ou plusieurs ministères ou organismes pour produire une analyse. Comme l'a expliqué Mme Goldthorp, les documents fournis par le plaignant montrent qu'il est en mesure de produire lui‑même différents types d'évaluation, mais pas de coordonner le travail d'autrui. En outre, le plaignant n'a pas réfuté l'argument de Mme Goldthorp, selon lequel « alimenter la base de données CoALA » n'exige pas de coordonner le travail d'autrui, mais simplement de saisir des données dans une base.

20 Le plaignant a également affirmé, dans les documents susmentionnés, qu'il avait acquis la deuxième qualification liée à l'expérience alors qu'il travaillait en tant qu'analyste du renseignement auprès du chef du renseignement de la Défense. Mme Goldthorp a indiqué qu'elle était au courant du travail qu'accomplissait le plaignant à ce poste, puisqu'il relevait d'elle par l'entremise d'un chef d'équipe et d'un directeur. Elle examinait tous les rapports des analystes du renseignement de la section car elle devait les approuver. Elle a donc eu à examiner le travail du plaignant. Selon elle, le plaignant ne coordonnait pas la production d'analyses de renseignements; il était un analyste du renseignement relativement inexpérimenté.

21 Le témoignage de Mme Goldthorp à ce sujet a été corroboré par M. Steele. Selon lui, le plaignant participait à la production d'évaluations des menaces; il ne la coordonnait pas.

22 Le Tribunal juge donc que le plaignant n'a pas réussi à prouver que l'intimé avait abusé de son pouvoir lorsqu'il a conclu que son dossier de candidature ne montrait pas qu'il avait coordonné la production d'analyses de renseignements et que, par conséquent, il ne possédait pas la deuxième qualification liée à l'expérience.

23 Le plaignant a également indiqué que l'intimé aurait dû l'appeler pour obtenir davantage d'information sur son expérience, comme il l'a fait pour deux autres candidats. M. Steele a déclaré qu'il n'avait appelé des candidats que lorsque leur curriculum vitæ n'était pas clair. Il n'était pas nécessaire d'appeler le plaignant puisque son curriculum vitæ ne comportait pas d'ambiguïté. En outre, M. Steele a expliqué que le plaignant avait également eu l'occasion de montrer qu'il possédait l'expérience durant la discussion informelle, mais n'avait ajouté aucune information qui aurait pu amener les évaluateurs à réexaminer sa candidature.

24 Le Tribunal estime que le plaignant n'a pas établi que c'était de l'abus de pouvoir de la part de l'intimé que de ne pas lui demander de fournir des renseignements supplémentaires sur son expérience. Le Tribunal reconnaît que M. Steele n'avait aucune raison d'appeler le plaignant étant donné que la description de son expérience ne comportait aucune ambiguïté. En outre, le plaignant n'a pas démontré qu'il aurait été en mesure de convaincre l'intimé qu'il possédait l'expérience requise si celui‑ci l'avait appelé. De plus, durant la discussion informelle, le plaignant aurait pu apporter des clarifications concernant sa candidature et ainsi expliquer pourquoi il aurait dû passer l'étape de présélection, mais il ne l'a pas fait. De même, le plaignant n'a présenté à l'audience aucun élément de preuve démontrant qu'il possède l'aspect « coordination » de la deuxième qualification liée à l'expérience. La seule preuve qu'il ait présentée à ce sujet est son témoignage selon lequel il tenait un recueil quotidien et hebdomadaire de ses activités, dans lequel il rassemblait et reliait entre elles différentes analyses réalisées dans le cadre de son travail d'analyste du renseignement, de mars 2005 à juin 2008. Cela ne prouve toutefois pas qu'il ait coordonné la production d'analyses de renseignements, comme l'ont établi Mme Goldthorp et M. Steele au moyen d'éléments de preuve non réfutés.

25 Le plaignant soutient que M. Steele n'avait pas les compétences nécessaires pour participer à la présélection des candidats, étant donné qu'il n'avait jamais exercé les fonctions d'analyste du renseignement. Au moment du processus de nomination, M. Steele était le chef d'état‑major de Mme Goldthorp. à ce titre, il devait notamment mener et coordonner des processus de ressources humaines et agir en tant que conseiller stratégique sur des questions générales de gestion. Le rôle de M. Steele dans la présélection était d'évaluer les candidats au regard des critères et de conseiller Mme Goldthorp; c'est elle qui prenait les décisions finales de présélection. Le plaignant n'a pas remis en question la compétence de Mme Goldthorp relativement à la présélection des candidats.

26 Le plaignant n'a pas réussi à établir que M. Steele était tenu d'avoir exercé les fonctions du poste à pourvoir. Il n'a fait référence à aucune disposition de la LEFP ou du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique, DORS/2005-334 (REFP), ni à aucune politique de la CFP énonçant une telle exigence.

27 Le Tribunal juge que M. Steele était compétent pour évaluer les candidats durant la présélection et conseiller Mme Goldthorp. Il connaissait les tâches liées aux postes. De plus, il possède une expérience appréciable en matière de dotation, ayant participé à des processus de dotation à titre de conseiller et de membre du comité d'évaluation pour des postes AS‑02, AS‑03, AS‑05, AS‑06, AS‑07 et EX‑01. Il a suivi le module de formation sur la dotation, qui fait partie de la formation obligatoire pour les gestionnaires de la fonction publique. Mme Goldthorp a affirmé que M. Steele connaissait la signification de l'expression « coordonner l'analyse de renseignements » puisqu'il faisait partie de l'organisation depuis de nombreuses années et comprenait parfaitement le rôle d'un chef d'équipe et le contexte interministériel de la section.

Question II :   L'intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir lorsqu'il a conclu que M. Pierce possédait l'expérience requise pour le poste?

28 Le plaignant avance que M. Pierce n'a pas démontré, dans son dossier de candidature, qu'il possédait les trois ans d'expérience requis dans la deuxième qualification liée à l'expérience. Selon le plaignant, l'intimé a inclus dans son calcul la période durant laquelle M. Pierce était en formation linguistique, ce qui était inapproprié.

29 Dans son curriculum vitæ, M. Pierce a indiqué qu'il possède l'expérience suivante :

[…]

Diriger une section chargée d'analyser des questions de sécurité et de terrorisme international, et encadrer des analystes sous ma responsabilité.

Coordonner, réviser et approuver le vaste éventail de rapports et de documents liés au renseignement produits par la section, comme des évaluations de renseignement, des articles dans le condensé quotidien du renseignement, des évaluations des menaces PAR/O, des présentations et des demandes d'information.

[…]

Gérer régulièrement l'échange d'information et collaborer avec des organismes de renseignement étrangers sur des questions de sécurité, tant dans la collectivité quadripartite qu'avec les autres alliés du Canada, en recevant des délégations étrangères et en dirigeant des délégations canadiennes à l'étranger.

[…]

[traduction]

 

30 Les extraits ci‑dessus montrent que M. Pierce possède de l'expérience dans la production et la coordination d'analyses de renseignements. Le premier point indique qu'il dirigeait une section chargée de préparer des analyses de renseignements sur des questions de sécurité. Le deuxième point précise qu'il était chargé de coordonner le travail d'une équipe d'analystes du renseignement, et donne des exemples de documents produits par l'équipe. Le troisième point mentionne qu'il dirigeait des délégations à l'étranger. Selon Mme Goldthorp, ce dernier point comprend, à tout le moins, la coordination du programme d'un congrès sur le renseignement, et peut‑être de rapports de congrès.

31 Voici des extraits de la lettre de présentation de M. Pierce, qui expliquent eux aussi pourquoi l'intimé a déterminé qu'il possédait la deuxième qualification liée à l'expérience :

[…] Je collabore régulièrement avec mes homologues aux états‑Unis, au Royaume-Uni et en Australie, ainsi qu'avec d'autres alliés faisant partie de l'OTAN ou provenant de la région méditerranéenne. J'ai également géré l'échange d'information avec des gouvernements étrangers à plusieurs reprises, notamment en recevant des délégations étrangères et en dirigeant des délégations canadiennes à l'étranger.

[…] En tant que chef d'équipe, je coordonne pour toute la section la production des analyses de renseignements obtenus de toute source. J'établis les priorités de la section, je détermine les délais et les sujets de production, et je révise et approuve une multitude de documents liés au renseignement. […]

[traduction]

32 Selon les extraits ci‑dessus, M. Pierce coordonnait le travail de la section, gérait l'échange d'information avec d'autres sources, révisait et approuvait les travaux et dirigeait des délégations à l'étranger. Mme Goldthorp estime que la direction de délégations pourrait comprendre la coordination du travail des alliés. Elle affirme que, d'après ce qu'elle connaît du travail de M. Pierce et des activités du ministère, la description que fait M. Pierce de son expérience est exacte. Le plaignant n'a pas présenté d'élément de preuve réfutant ce témoignage.

33 Le plaignant avance également que l'expérience de M. Pierce au regard de la deuxième qualification n'avait pas duré trois ans, comme l'exigeait l'énoncé des critères de mérite (ECM). Le plaignant a déclaré que M. Pierce avait suivi une formation linguistique qui avait selon lui duré huit mois.

34 Dans son curriculum vitæ, M. Pierce a regroupé trois postes qu'il avait occupés de septembre 2002 à août 2008 :

Chef d'équipe par intérim – Section du terrorisme… de janvier 2006 au 15 août 2008

Analyste, lutte contre le terrorisme – de mars 2004 à janvier 2006

Analyste, Moyen‑Orient – péninsule arabe, Israël et Palestine, Iran – de septembre 2002 à septembre 2003

[traduction]

35 M. Pierce a décrit l'expérience pertinente qu'il a acquise en occupant ces trois postes au regard des cinq qualifications liées à l'expérience mentionnées dans l'ECM. M. Steele a déclaré qu'il avait conclu que les deux derniers postes occupés par M. Pierce, soit le poste intérimaire de chef d'équipe AS‑07 et le poste d'analyste, lutte contre le terrorisme, lui avaient permis d'acquérir la deuxième qualification liée à l'expérience. La période durant laquelle M. Pierce a occupé ces deux postes équivaut à plus de quatre ans et cinq mois.

36 M. Steele a affirmé que le 15 septembre 2008, il a appelé M. Pierce pour obtenir davantage d'information sur sa formation linguistique. M. Pierce lui a alors expliqué qu'il avait suivi une formation linguistique pendant huit mois. Durant cette conversation, M. Steele a pris des notes qui ont été présentées en preuve. Dans ces notes, M. Steele indique que deux postes ont permis à M. Pierce d'acquérir la deuxième qualification liée à l'expérience : le poste intérimaire de chef d'équipe dans la section du terrorisme (de janvier 2006 au 15 août 2008, période durant laquelle il a occupé un poste plus élevé pendant un intérim de quatre mois), et le poste d'analyste, lutte contre le terrorisme (de mars 2004 à janvier 2006).

37 à la lumière de la documentation susmentionnée, l'intimé a conclu que M. Pierce possédait plus de trois ans d'expérience au regard de la deuxième qualification. Il a acquis cette expérience grâce aux deux derniers postes qu'il a occupés, pour une durée totale de plus de quatre ans et cinq mois. Malgré les huit mois de formation linguistique, la durée de l'expérience équivaut à plus de trois ans. Le Tribunal estime que le plaignant n'a pas réussi à démontrer que cette conclusion de l'intimé s'apparentait à un abus de pouvoir.

38 Le plaignant avance que le Tribunal ne peut pas tenir compte du témoignage de Mme Goldthorp et de M. Steele sur leur évaluation de l'expérience de M. Pierce, car il s'agirait d'une nouvelle évaluation de cette expérience. Selon le plaignant, à l'étape de l'audience, l'intimé ne peut pas fournir de clarification ou de nouveaux renseignements pour mieux justifier sa décision de dotation. Le Tribunal n'accepte pas l'argumentation du plaignant. L'intimé n'a pas présenté de nouveaux éléments de preuve au sujet de l'évaluation de M. Pierce. M. Steele et Mme Goldthorp ont simplement expliqué comment ils en étaient venus à la conclusion que M. Pierce possédait la qualification demandée.

39 Le plaignant soutient également que l'intimé, lorsqu'il a évalué sa propre candidature et celle de M. Pierce, n'a pas respecté les lignes directrices de la CFP en matière de nomination. Il souligne qu'en vertu de l'art. 29(3) de la LEFP, la CFP peut établir des lignes directrices sur la façon de faire les nominations, et que l'art. 16 stipule que l'administrateur général est tenu de se conformer aux lignes directrices de la CFP lorsqu'il effectue des nominations.

40 La CFP estime que dans le processus de nomination en cause l'intimé a respecté les lignes directrices de la CFP en matière de nomination et leslignes directrices de la CFP en matière d'évaluation ainsi que les valeurs qui y sont énoncées. Le Tribunal fait remarquer que le plaignant ne précise pas en quoi l'intimé n'a pas respecté ces lignes directrices; il ne fait que présenter une affirmation générale selon laquelle l'intimé a favorisé M. Pierce plutôt que lui dans sa manière d'évaluer la deuxième qualification liée à l'expérience. Le Tribunal a déjà statué sur cette allégation. Le plaignant n'a présenté aucun élément de preuve à l'appui de son allégation selon laquelle l'intimé n'a pas respecté les lignes directrices de la CFP au cours du processus de nomination.

41 Le plaignant soutient que dans l'évaluation de son expérience et de l'expérience de M. Pierce, l'intimé n'a pas respecté les valeurs énoncées dans l'Instrument de délégation et de responsabilisation en matière de nomination (entente de délégation), soit le mérite, l'équité, l'accessibilité et la transparence. L'entente de délégation prévoit la délégation des pouvoirs de nomination de la CFP à l'administrateur général, sous certaines conditions. L'article 15(1) de la LEFP stipule que la CFP peut déléguer à l'administrateur général ses pouvoirs de nomination et définir les conditions de cette délégation.

42 L'intimé et la CFP avancent que le Tribunal ne peut pas examiner l'entente de délégation parce qu'il n'a pas compétence en matière de délégation, et qu'il ne peut donc pas déterminer si l'intimé a respecté ou non cette entente. Ils attirent l'attention du Tribunal sur la décision Cameron c. Canada (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CF 618, dans laquelle la Cour fédérale a affirmé ce qui suit :

[30] Il ressort donc du paragraphe 24(2) que la CFP possède le pouvoir exclusif d'effectuer des nominations et d'autoriser ainsi que d'assortir de conditions la sous‑délégation du pouvoir d'effectuer des nominations. La CFP peut également retirer la délégation tout comme elle peut retirer l'autorisation de sous‑déléguer ce pouvoir. De sorte qu'il ressort clairement de la Loi que l'exercice du pouvoir de nomination, sa délégation et leur surveillance reviennent à la CFP et non au Tribunal et qu'en conséquence cette deuxième mesure de l'ordonnance empiète sur la compétence exclusive de la CFP d'autoriser la sous-délégation du pouvoir de nomination et d'en assurer la surveillance.

43 Le Tribunal estime que l'intimé et la CFP donnent à la décision Cameron une portée trop large. Le Tribunal convient qu'il n'a pas à surveiller ni à faire appliquer l'entente de délégation. Il ne peut pas révoquer cette entente ni fixer des conditions si un administrateur général ne respecte pas l'entente. Cependant, le Tribunal peut examiner l'entente de délégation en vue de déterminer s'il y a eu abus de pouvoir lors de la nomination. Une violation de l'entente de délégation pourrait constituer un des facteurs permettant de déterminer s'il y a eu abus. Par exemple, si une entente de délégation prévoit que l'administrateur général ne peut pas procéder à une nomination, et que l'administrateur général la fait quand même, la nomination est effectuée sans le pouvoir nécessaire. Or, le fait d'effectuer une nomination sans posséder l'autorité légale nécessaire constituerait fort probablement un abus de pouvoir aux termes de l'art. 77 de la LEFP.

44 En l'espèce, le plaignant fait référence à l'entente de délégation uniquement pour étayer son argument selon lequel les valeurs de dotation qui y sont énoncées n'ont pas été respectées durant le processus de nomination. Le Tribunal a déjà conclu que le plaignant n'avait pas réussi à prouver que son évaluation ou celle de M. Pierce s'apparentaient à un abus de pouvoir. Le plaignant n'a présenté aucun nouvel élément de preuve à l'appui de son allégation selon laquelle les valeurs de dotation énoncées dans l'entente de délégation n'avaient pas été respectées durant le processus de nomination. Le Tribunal conclut donc que cette allégation est également infondée.

Question III :   L'intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir lorsqu'il a donné à M. Pierce l'occasion d'occuper le poste de chef d'équipe AS-07 de façon intérimaire avant le début du processus de nomination?

45 Le plaignant soutient que l'intimé a accordé à M. Pierce un avantage indu durant le processus de nomination en lui donnant l'occasion d'occuper le poste de chef d'équipe AS‑07 à titre intérimaire au moyen d'un processus de nomination non annoncé. C'est grâce à cette nomination intérimaire que M. Pierce a pu acquérir, en partie, l'expérience requise pour satisfaire au critère de la deuxième qualification liée à l'expérience.

46 Pour déterminer si le fait d'accorder un poste intérimaire constitue un abus de pouvoir, il faut examiner les circonstances et les faits particuliers de l'affaire. En l'espèce, il est indiqué dans la justification écrite de l'intimé concernant les nominations intérimaires que tous les analystes principaux du renseignement de niveau AS‑06 ont été nommés de façon intérimaire à un poste de chef d'équipe AS‑07. L'intimé n'a donc pas favorisé M. Pierce au détriment des analystes du renseignement.

47 Le Tribunal note également qu'un poste intérimaire de chef d'équipe AS‑07 ne constituait pas la seule manière d'acquérir l'expérience nécessaire pour posséder la deuxième qualification liée à l'expérience. Mme Goldthorp a affirmé que des analystes du renseignement très expérimentés, occupant des postes AS‑05 et AS‑06, peuvent acquérir cette expérience en coordonnant la production de documents de renseignements avec d'autres alliés ou organisations gouvernementales. M. Steele a également indiqué qu'il y avait d'autres moyens d'acquérir la deuxième qualification liée à l'expérience. Le plaignant n'a pas contesté cette affirmation. Il est d'ailleurs révélateur que l'un des candidats ait été nommé sans avoir occupé de poste intérimaire, comme l'a indiqué M. Steele dans son témoignage. Des neuf candidats ayant passé l'étape de présélection, six ont été nommés. Il n'a été présenté aucun élément de preuve indiquant si les trois candidats qui ont passé l'étape de la présélection sans avoir été nommés avaient occupé un poste intérimaire de chef d'équipe AS‑07.

48 Par conséquent, le Tribunal juge que le fait d'avoir nommé M. Pierce à un poste intérimaire de chef d'équipe AS‑07 avant le processus de nomination ne constitue pas un abus de pouvoir en l'espèce.

49 Toutefois, le Tribunal est préoccupé par le fait que l'intimé mettait généralement peu de diligence dans la publication des avis de nominations intérimaires. Aucune notification de la nomination intérimaire de M. Pierce au poste  de chef d'équipe AS‑07 n'a été affichée sur Publiservice ou communiquée d'une autre manière aux employés faisant partie de la zone de sélection, ce qui leur aurait autrement permis d'exercer leur droit de recours, le cas échéant. Le Tribunal est également préoccupé par le fait que les avis de nominations intérimaires de trois autres personnes nommées au poste intérimaire de chef d'équipe AS‑07 ont été publiés longtemps après la fin de l'intérim. Il en va de même pour les postes intérimaires AS‑06 qu'ont occupés plusieurs des candidats nommés à l'issue du processus en l'espèce. Ces avis ont été publiés longtemps après la fin de l'intérim.

50 L'article 13 du REFP stipule que le délégataire des pouvoirs de dotation qui effectue une nomination intérimaire de quatre mois ou plus doit informer les personnes issues de la zone de recours du nom de la personne nommée et de leur droit de porter plainte au Tribunal au sujet de la nomination. Le fait pour l'intimé de procéder à des nominations rétroactives sans publier les avis de nominations intérimaires, ou de publier ces avis longtemps après la fin de l'intérim empêchait les employés faisant partie de la zone de sélection d'exercer leur droit de recours à temps par rapport à ces nominations intérimaires. Afficher les avis après la fin des nominations intérimaires va à l'encontre du but d'accorder des droits de recours aux employés.

51 Mme Goldthorp a déclaré que la publication tardive des avis de nominations intérimaires est en partie attribuable au fait qu'elle a dû attendre le déblocage des crédits salariaux affectés à ces postes intérimaires. Le processus administratif a en outre été très long : il fallait consulter le chef du renseignement de la Défense, le chef d'état‑major, le vice‑chef d'état‑major de la Défense, et la Division des ressources humaines civiles. Le Tribunal juge que le fardeau administratif de l'intimé n'excuse pas son manquement à l'obligation de publier les avis de nominations intérimaires. Bien que le Tribunal estime que ces omissions sont graves, il n'a pas compétence pour statuer sur ces nominations intérimaires antérieures.

Décision


52 Pour tous les motifs susmentionnés, la plainte est rejetée.


John Mooney
Vice‑président


Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2008-0788
Intitulé de la cause :
Scott Ship et le sous‑ministre de la Défense nationale
Audience :
les 25 et 26 janvier 2010
Ottawa (Ontario)
(Dernières observations reçues le 17 mars 2010)
Date des motifs :
Le 22 décembre 2010

COMPARUTIONS

Pour la plaignant :
Louis Bisson
Pour l'intimé :
Martin Desmeules
Pour la Commission
de la fonction publique :
John Unrau
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