Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé une plainte de pratique déloyale de travail contre son agent négociateur, alléguant qu'il avait violé l'article 187 et l'alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique en refusant arbitrairement de répondre à sa correspondance et en se rangeant supposément du côté de l'employeur - les défendeurs ont fait valoir que la plainte était hors délai et qu'elle ne produisait pas une preuve prima facie - le plaignant a été renvoyé en cours de stage et a déposé un grief pour contester ce renvoi - il a reçu le soutien des défendeurs aux trois premiers paliers de la procédure de règlement de grief - au dernier palier, les défendeurs ont retiré leur appui et lui ont écrit afin d'expliquer leur décision - il a exprimé son désaccord - un échange de correspondance et de discussions s'en est suivi, mais les défendeurs ont maintenu leur décision et ont avisé le plaignant en avril 2010 qu'ils ne lui répondraient plus - la plainte a été déposée à la fin octobre 2010 et était hors délai étant donné qu'elle a été déposée après la limite de 90 jours prescrite par la Loi. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-08-12
  • Dossier:  561-34-492
  • Référence:  2011 CRTFP 105

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

NIZAR HAJJAGE

plaignant

et

BETTY BANNON ET SYNDICAT DES EMPLOYÉ(E)S DE L'IMPÔT

défendeurs

Répertorié
Hajjage c. Bannon et Syndicat des employé(e)s de l'impôt.

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, vice-président

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour les défendeurs:
Aleisha Stevens, Alliance de la Fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d'arguments écrits déposés
les 7, 13 et 14 janvier, les 18 et 19 février, les 15, 21 et 25 mars et les 15 et 18 avril 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le 31 octobre 2010, Nizar Hajjage, (le « plaignant ») a déposé une plainte contre Betty Bannon et le Syndicat des employé(e)s de l'impôt (SEI) (les « défendeurs »). Le SEI est un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, l'agent négociateur du plaignant. Mme Bannon est la présidente nationale du SEI. Le plaignant a allégué que les défendeurs s’étaient livrés à une pratique déloyale de travail au sens de l'alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique,L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi »). Dans sa plainte, le plaignant a écrit que les défendeurs avaient agi de façon arbitraire en refusant de répondre à ses courriels ou ses lettres et en censément prenant parti pour l'employeur. Le plaignant demande que les défendeurs agissent de façon raisonnable et qu'ils respectent les exigences de l'article 187 de la Loi.

2 À la section 4 de la formule de plainte, qui comprend un court énoncé de chaque loi, omission ou autre sujet de plainte, le plaignant a écrit que les défendeurs ont agi de façon arbitraire et qu'ils [traduction] « ont omis de s'engager dans un processus de prise de décision rationnel comme leur mandat l'exige ». Le plaignant a également demandé pourquoi, le 21 avril 2010, Shane O'Brien, un agent principal des relations de travail au SEI, a refusé de répondre à sa correspondance. Ce jour-là, M. O'Brien a écrit ce qui suit au plaignant : [traduction] « Merci pour votre contribution. Comme je l'ai mentionné dans des courriels précédents, je ne répondrai plus. »

3 La plainte touche les dispositions suivantes de la Loi :

[…]

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l'employeur, l'organisation syndicale ou toute personne s'est livré à une pratique déloyale au sens de l'article 185.

[…]

185. Dans la présente section « pratiques déloyales » s'entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

[…]

187. Il est interdit à l'organisation syndicale, ainsi qu'à ses dirigeants et représentants, d'agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l'unité dont elle est l'agent négociateur.

[…]

4 Le 27 janvier 2011, les défendeurs ont fait valoir que la plainte était hors délai et que pour ce motif elle devrait être rejetée. Ils ont également fait valoir qu'elle ne produisait pas une preuve prima facie. Selon les défendeurs, les points soulevés dans la plainte sont clairement en dehors du délai de 90 jours prescrit par le paragraphe 190(2) de la Loi qui se lit comme suit :

190. (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

5 Après avoir examiné les arguments reçus des parties en janvier 2011, le greffe de la Commission les a invitées à [traduction] « […] présenter des arguments écrits supplémentaires traitant exclusivement de la question du respect des délais ». Le greffe de la Commission a également écrit dans la même lettre [traduction] « […] que les parties peuvent déposer des preuves documentaires supplémentaires ou faire référence à un cas de jurisprudence pertinent pour appuyer leurs arguments respectifs ». La lettre mentionnait également que le commissaire pourrait prendre une décision d'après ces arguments et ceux déjà consignés au dossier.

6 Il est bon de noter que, contrairement aux instructions données par le greffe de la Commission, une grande partie des arguments des parties ne traitent pas de la question du respect des délais, mais plutôt du bien-fondé de la plainte. Je ne résumerai pas ici ces arguments et les faits qu'ils contiennent, car ils ne sont pas pertinents pour la présente décision, qui traite exclusivement de l'objection concernant le respect des délais soulevée par les défendeurs.

II. Résumés des faits sur la question du respect des délais

7 Le plaignant a été embauché par l'Agence du revenu du Canada (l’« employeur » ou ARC) pour la période couvrant du 3 décembre 2007 au 3 février 2008. Le 14 janvier 2008, l'employeur l'a avisé qu'il était renvoyé en cours de stage et que sa dernière journée de travail serait le 25 janvier 2008. Le plaignant n'a pas réussi à infirmer la décision de son renvoi en se servant du processus de recours en dotation de l'ARC. Plus tard, le 24 janvier 2008, le plaignant a déposé un grief contestant son renvoi en cours de stage. Il a été représenté par les répondants et a reçu l'appui de ces derniers aux premiers, deuxième et troisième paliers de la procédure applicable aux griefs.

8 Au quatrième et dernier palier de la procédure applicable aux griefs, les défendeurs ont retiré leur appui au grief. Le 10 mars 2010, Lyson Paquette, une agente des relations de travail du SEI a écrit au plaignant pour l'informer des raisons pour lesquelles les défendeurs ne lui assureraient plus une représentation pour ce grief. Mme Paquette a également informé le plaignant de son droit de poursuivre lui-même les procédures de grief.

9 Le plaignant était en désaccord avec la décision des défendeurs de ne pas le représenter. Le 12 mars 2010, il a écrit aux défendeurs pour exprimer son mécontentement et poser plusieurs questions. Le 15 mars 2010, Mme Paquette lui a répondu. Le 24 mars 2010, le plaignant a écrit à M. O'Brien, alléguant que les défendeurs et l'employeur faisaient preuve de collusion et demandant de l'aide pour son audience au quatrième palier de la procédure de règlement des griefs. Le 6 avril 2010, M. O'Brien a eu une discussion avec le plaignant. Le même jour, Mme Paquette a avisé l'employeur que les défendeurs ne représenteraient pas le plaignant au quatrième palier de la procédure de règlement des griefs.

10 Entre le 7 et le 20 avril 2010, le plaignant et M. O'Brien ont échangé des courriels au sujet de la décision des défendeurs de ne plus le représenter dans le règlement de son grief. Le 21 avril 2010, comme en fait état la plainte, M. O'Brien a écrit au plaignant qu'il ne lui répondrait plus. Le 29 avril 2010, le plaignant a écrit à Mme Bannon pour l'aviser que M. O'Brien avait agi de façon arbitraire dans sa représentation et qu'il avait ainsi enfreint la Loi.

11 Selon les défendeurs, Mme Bannon a envoyé un courriel au plaignant le 28 juin 2010, déclarant qu'elle ne voyait rien de répréhensible dans la façon dont il avait été représenté et qu'elle ne prendrait aucune mesure supplémentaire. Le plaignant a déclaré n'avoir jamais reçu ce courriel.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

12 Le plaignant a prétendu que la Commission doit tenir compte du paragraphe 190(1) de la Loi en premier lieu avant le paragraphe 190(2). Dans ce cas, les défendeurs ne se sont pas conformés au paragraphe 190(1) avant de soulever la question du respect des délais.

13 La plainte n'est pas hors délai, car elle traite de questions qui ne sont pas encore complètement réglées. La Commission doit également tenir compte du fait que le plaignant n'a pas attendu plusieurs années avant de déposer sa plainte, et dans ce contexte, la question du respect des délais revêt une importance secondaire. La Commission a la compétence de déterminer quand les événements déclencheurs ont eu lieu. Les arguments des défendeurs au sujet du respect des délais sont donc sans fondement.

14 Le plaignant a soutenu que les défendeurs ne l'ont jamais avisé du délai de 90 jours pour déposer une plainte devant la Commission. Le plaignant a mis en doute le caractère raisonnable des défendeurs qui l'accusaient d'infraction aux dispositions d'une loi alors qu'ils ne l'en avaient jamais informé. Même si les arguments des défendeurs au sujet du respect des délais étaient valides, le plaignant a fait valoir qu'ils ne devraient pas être utilisés pour masquer la substance de sa plainte.

15 Une bonne partie des arguments du plaignant traitait du fait que les défendeurs se sont rangés du côté de l'employeur et qu'ils ne se sont pas acquittés de leur devoir de représentation équitable. Je ne résumerai pas ces arguments, car ils ne sont pas pertinents à la question du respect des délais.

16 Le plaignant m'a renvoyé à Panula c. Agence du revenu du Canada et Bannon, 2008 CRTFP 4. Il a fait valoir que dans Panula, la Commission a examiné le fond de la plainte même si elle avait déterminé que celle-ci était hors délai.

B. Pour les défendeurs

17 Les défendeurs ont fait valoir que la plainte concerne des événements qui ont eu lieu avant la limite de 90 jours spécifiée dans la Loi. La jurisprudence est claire à ce sujet; la limite de 90 jours est obligatoire et la Commission ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour la prolonger ou la modifier.

18 D'après le plaignant, l'événement déclencheur a été un courriel de M. O'Brien en date du 21 avril 2010, ce qui est clairement hors de la limite de 90 jours. Le plaignant a prétendu que sa plainte traite de questions qui ne sont pas encore complètement réglées. Le fait que le plaignant ait continué à traiter lui-même son grief, ne crée pas du fait même une question en cours dans le but de déterminer le commencement de la limite de 90 jours.

19 Le plaignant a soumis qu'il n'était pas raisonnable que les défendeurs ne l'aient pas avisé de la limite de 90 jours. Il n'a posé aucune question à ce sujet. Les défendeurs ont fait valoir qu'il était raisonnable de ne pas fournir une telle information si elle n'avait pas été demandée.

20 Une bonne partie des arguments des défendeurs traitait également du bien-fondé de la plainte. Je ne résumerai pas ces arguments, car ils ne sont pas pertinents à la question du respect des délais.

21 Les défendeurs m'on renvoyé à Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78.

IV. Motifs

22 La présente décision traite exclusivement de l'objection des défendeurs que la plainte est hors délai. En janvier 2011, le greffe de la Commission a invité les parties à présenter leurs arguments sur la question du respect des délais. Le greffe de la Commission a informé les parties que le commissaire pourrait prendre une décision sur le cas d'après ces arguments et ceux déjà au dossier. Après examen du dossier et des arguments, j'ai déterminé que j'ai assez d'information pour prendre une décision sur l'objection soulevée par les défendeurs.

23 Par le passé, la Commission a à maintes reprises déterminé dans ses décisions qu'elle n'avait pas l'autorité de prolonger la limite de temps attribué au dépôt d'une plainte et que la limite de 90 jours doit dans tous les cas être respectée. Les décisions Castonguay et Panula auxquelles font référence les parties font partie de ces décisions passées. Pour ce qui est de l'interprétation du paragraphe 190(2) de la Loi, la Commission a écrit ce qui suit au paragraphe 55 de Castonguay :

Le libellé de cette disposition revêt manifestement un caractère obligatoire en raison des mots « […] doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours […] ». Aucune autre disposition de la nouvelle LRTFP n'habilite la Commission à proroger le délai prescrit par le paragraphe 190(2). Par conséquent, le paragraphe 190(2) de la nouvelle LRTFP fixe une limite de temps, limitant ainsi le pouvoir de la Commission d'examiner et d'instruire toute plainte voulant qu'une organisation syndicale se soit livrée à une pratique déloyale de travail, au sens de l'article 185 (lequel est mentionné à l'alinéa 190(1)g) de la nouvelle LRTFP), et cela vaut pour les actions ou circonstances dont le plaignant avait connaissance ou, de l'avis de la Commission, aurait dû avoir connaissance, dans les 90 jours précédant la date de la plainte.

24 Le seul pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission dans l'interprétation du paragraphe 190(2) de la Loi est de déterminer quand le plaignant avait ou aurait dû avoir connaissance, des mesures ou les circonstances ayant donné lieu à la plainte. Contrairement à ce que le plaignant a pu alléguer, la Commission ne devrait pas en premier lieu examiner la validité de la plainte (paragraphe 190(1)) et ensuite tenir compte du respect des délais. Le respect des délais a priorité. Les seules plaintes que la Commission devrait examiner sur le fond sont celles qui sont déposées dans le délai de 90 jours prescrits.

25 Le plaignant a signé sa plainte le 29 octobre 2010 et elle a été reçue par la Commission le 31 octobre 2010, ce qui veut dire qu'elle doit être fondée sur des mesures ou des circonstances dont le plaignant avait ou aurait dû avoir connaissance fin juillet ou début août 2010 ou plus tard. Les mesures ou les circonstances attribuables aux défendeurs qui se sont produites avant la fin juillet ou début août et dont le plaignant avait connaissance ne pouvaient pas avoir donné lieu à cette plainte, car ils auraient été hors délai.

26 Dans sa plainte, le plaignant a spécifiquement fait référence au refus de M. O'Brien le 21 avril 2010 de répondre à sa correspondance. Cet incident ne tombe pas dans le délai de 90 jours prescrits.

27 Dans ses arguments, le plaignant a fait référence au courriel de Mme Bannon du 28 juin 2010, qui également ne tombe pas dans le délai de 90 jours prescrit. De plus, le plaignant a allégué qu'il n'a jamais reçu le courriel en question. Si cela est bien le cas, ce courriel ne peut pas avoir donné lieu à la plainte.

28 Le plaignant a également fait référence dans ses arguments à ses désaccords avec M. O'Brien et Mme Paquette au sujet de leur décision de ne pas continuer de le représenter dans son grief. Le dernier de ces échanges a eu lieu en avril 2010, qui est également hors du délai de 90 jours prescrit.

29 Le plaignant a fait valoir que les défendeurs auraient dû le mettre au courant de la limite de 90 jours prescrite pour déposer une plainte devant la Commission. Les défendeurs n'avaient pas l'obligation d'aviser le plaignant qu'il pouvait déposer une plainte, pas plus qu'ils avaient l'obligation de l'aviser qu'en vertu du paragraphe 190(2) de la Loi, une plainte doit être déposée dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle le plaignant avait ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

30 Finalement, le plaignant a allégué que sa plainte n'est pas hors délai, car elle touche des questions qui ne sont pas encore complètement réglées. Le plaignant voulait sans doute dire que son grief avec l'employeur au sujet de son renvoi en cours de stage n'était pas encore réglé. Il s'agit d'une question totalement différente dans laquelle les défendeurs ne sont pas impliqués étant donné qu'ils ont retiré leur soutien en mars 2010. Le fait que le grief du plaignant contre son ancien employeur n'ait pas encore été réglé n’est pas pertinent à sa plainte, qui met en cause les représentants de l'agent négociateur.

31 Pour ces motifs, la Commission rend l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

32 La plainte est rejetée.

Le 12 août 2011.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
vice-président

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