Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur a émis une directive interdisant d’afficher une pétition de l’agent négociateur sur les babillards de l’employeur, de diffuser la pétition au moyen des réseaux électroniques de l’employeur et d’apposer des autocollants de l’agent négociateur sur le matériel de l’employeur, et aux employés servant directement le public de porter des autocollants de l’agent négociateur - l’agent négociateur a déposé un grief alléguant que la directive contrevenait aux clauses de diverses conventions collectives relatives à l’utilisation des locaux de l’employeur et à l’élimination de la discrimination - l’arbitre de grief a jugé que l’agent négociateur ne pouvait pas contester pour la première fois à l’arbitrage l’application de la directive dans le milieu de travail - l’arbitre de grief a aussi jugé que l’interdiction d’afficher la pétition sur les babillards de l’employeur contrevenait à la clause des conventions collectives relative à l’utilisation des locaux de l’employeur, la teneur de la pétition n’étant pas contraire aux intérêts de ce dernier - l’arbitre de grief a également conclu que l’interdiction de diffuser la pétition au moyen des réseaux électroniques de l’employeur et d’apposer les autocollants de l’agent négociateur sur l’équipement de l’employeur ne contrevenait pas aux conventions collectives - enfin, l’arbitre de grief a estimé qu’interdire aux employés servant directement le public de porter les autocollants de l’agent négociateur contrevenait à la clause des conventions collectives relative à l’élimination de la discrimination et empêchait le personnel de prendre part à une activité légitime de l’agent négociateur, car le message véhiculé par les autocollants n’était ni offensant ni dommageable pour la réputation de l’employeur. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-08-16
  • Dossier:  569-02-91
  • Référence:  2011 CRTFP 106

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

agent négociateur

et

CONSEIL DU TRÉSOR

employeur

Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor

Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour l’agent négociateur:
Aleisha Stevens, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Christine Diguer, avocate, et Jeff Laviolette, Secrétariat du Conseil du Trésor

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 8 et 9 juin 2011.
Arguments écrits déposés les 19 et 21 juillet 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief de principe renvoyé à l’arbitrage

1      L’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») a présenté un grief de principe au Conseil du Trésor (l’« employeur ») le 10 mars 2010. Le grief allègue que l’employeur a contrevenu aux dispositions « Utilisation des locaux de l’employeur », « Élimination de la discrimination » et autres dispositions pertinentes de plusieurs conventions collectives lorsqu’il a publié, le 26 février 2010, une directive interdisant les activités de l’agent négociateur dans le cadre d’une campagne contre les changements qu’il était envisagé d’apporter aux régimes de pension de retraite des employés de la fonction publique.

2      La directive de l’employeur avait été envoyée aux chefs des ressources humaines et de relations de travail de toutes les organisations pour lesquelles le Conseil du Trésor est l’employeur. Les passages pertinents de la directive se lisent comme suit :

[Traduction]

[…]

Comme vous le savez probablement, un certain nombre d’agents négociateurs représentant des employés de la fonction publique ont entrepris une campagne contre les changements qui pourraient être apportés aux régimes de retraite des employés de la fonction publique. Ces agents négociateurs, entre autres choses, distribuent des renseignements à leurs membres avant et après le travail et à l’heure du midi, encouragent leurs membres à porter des autocollants, à signer des pétitions, à faire suivre les courriels de la campagne ou à joindre un réseau social. De plus, certains ministères ont reçu des demandes de représentants syndicaux en vue d’afficher des feuilles de pétition sur le babillards ou de les diffuser par moyens électroniques.

Le Secrétariat du Conseil du Trésor, dans son rôle de représentant de l’employeur, considère l’affichage de pétitions sur les babillards et leur distribution en milieu de travail comme étant contraire à ses intérêts en vertu de la disposition sur l’Utilisation des locaux de l’employeur incluse dans de nombreuses conventions collectives.

Par conséquent, la directive suivante vous est fournie pour veiller à ce que l’administration publique centrale adopte une approche cohérente :

  • toutes les demandes d’afficher les feuilles de pétition devraient être rejetées;

  • toutes les demandes de distribuer les pétitions par les réseaux électroniques de l’employeur devraient être rejetées;

  • autre que la pétition, les demandes d’afficher de la documentation, par exemple des renseignements généraux au sujet des pensions, ne devraient pas être rejetées sans raison valable;

  • le port d’autocollants devrait être permis à condition que l’employé ne soit pas en contact direct avec le public;

  • l’affichage d’autocollants sur les biens ou le matériel de l’employeur ne devrait pas être autorisé.

[…]

3      L’agent négociateur a demandé une déclaration stipulant que la directive de l’employeur du 26 février 2010 contrevient à plusieurs conventions collectives et qu’elle est discriminatoire. L’agent négociateur a aussi demandé que l’employeur se conforme aux conventions collectives et rectifie les répercussions de sa conduite.

4      Aux fins de la présente audience, les parties ont convenu d’utiliser la convention collective intervenue entre l’employeur et l’agent négociateur de l’unité de négociation du groupe Services des programmes et de l’administration (date d’expiration : le 20 juin 2011) (la « convention collective »). Cependant, dans le grief, l’agent négociateur a indiqué que le grief touchait également les conventions collectives suivantes : l’unité de négociation du groupe Services de l’exploitation (date d’expiration : le 4 août 2011); l’unité de négociation du groupe Services techniques (date d’expiration : le 21 juin 2011); l’unité de négociation du groupe Enseignement et Bibliothéconomie (date d’expiration : le 30 juin 2011); l’unité de négociation du groupe Services frontaliers (date d’expiration : le 20 juin 2011); l’unité de négociation du groupe Services de la prestation des programmes et de l’administration de l’Agence du revenu du Canada (date d’expiration : le 31 octobre 2010); l’unité de négociation composée de tous les employés de l’Agence Parcs Canada (date d’expiration : le 4 août 2011); l’unité de négociation composée de tous les employés de l’Agence canadienne d’inspection des aliments autres que ceux représentés par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (date d’expiration : le 31 décembre 2011).

5      Les clauses spécifiques de la convention collective qui se rattachent directement à ce grief se lisent comme suit :

[…]

ARTICLE 12
UTILISATION DES LOCAUX DE L’EMPLOYEUR

12.01 Un espace raisonnable sur les tableaux d'affichage, dans des endroits accessibles, y compris les babillards électroniques s'ils sont disponibles, est mis à la disposition de l'Alliance pour y apposer des avis officiels de l'Alliance. L'Alliance s'efforcera d'éviter de présenter des demandes d'affichage d'avis que l'Employeur pourrait raisonnablement considérer comme préjudiciables à ses intérêts ou à ceux de ses représentants. L'Employeur doit donner son approbation avant l'affichage d'avis ou d'autres communications, à l'exception des avis concernant les affaires syndicales de l'Alliance, y compris des listes des représentants de l'Alliance et des annonces d'activités sociales et récréatives. Cette approbation ne doit pas être refusée sans motif valable.

[…]

ARTICLE 19
ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION

19.01 Il n'y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l'égard d'un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l'Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l'employé-e a été gracié.

[…]

II. Question préliminaire

6      Quand l’employeur a rendu sa décision au sujet du grief en mai 2010, il n’a soulevé aucune question à l’égard du fait qu’il n’est pas l’employeur en ce qui concerne les conventions collectives de l’agent négociateur avec l’Agence du revenu du Canada, l’Agence Parcs Canada et l’Agence canadienne d’inspection des aliments. D’ailleurs, les parties n’ont pas soulevé cette question à l’audience devant moi. Après l’audience, j’ai demandé aux parties de présenter des arguments à savoir si les conventions collectives de l’Agence du revenu du Canada, de l’Agence Parcs Canada et de l’Agence canadienne d’inspection des aliments devraient tout simplement être retirées du grief parce que le Conseil du Trésor n’est pas l’employeur dans ces trois conventions collectives. Dans ses arguments du 19 juillet 2011, l’agent négociateur a demandé que ces trois conventions collectives soient retirées du grief. L’employeur a présenté la même demande dans ses arguments du 21 juillet 2011. Après avoir étudié ces arguments, je conclus que ce grief ne concerne pas les conventions collectives de l’Agence du revenu du Canada, de l’Agence Parcs Canada et de l’Agence canadienne d’inspection des aliments.

III. Résumé de la preuve

7      L’agent négociateur a présenté en preuve 13 documents. Il a convoqué Rose Touhey, Karl Lafrenière, Glen Whalley et Patricia McGrath comme témoins. L’employeur n’a présenté en preuve aucun document. Il a convoqué Don Graham comme témoin. Mme Touhey et M. Lafrenière sont des employés à temps plein à Passeport Canada à Gatineau, au Québec. Tous deux sont membres de l’unité de négociation du groupe Services des programmes et de l’administration et sont des représentants locaux pour l’agent négociateur. M. Whalley et Mme McGrath sont des employés à temps plein au ministère de la Défense nationale à Gatineau. M. Whalley est membre de l’unité de négociation du groupe Services techniques et Mme McGrath est membre de l’unité de négociation du groupe Services des programmes et de l’administration. Tous deux sont des représentants locaux pour l’agent négociateur. M. Graham est cadre à la Direction des relations de travail et des opérations de rémunération du Secrétariat du Conseil du Trésor.

8      Au début de 2010, l’agent négociateur a mené une campagne nationale visant à protéger les prestations de retraite et la sécurité de la retraite de ses membres. Il a organisé des débats publics au sujet de la pertinence de réduire les prestations de retraite des employés de la fonction publique fédérale. L’agent négociateur craignait  que le gouvernement fédéral puisse décider de réduire ces prestations. La campagne comportait également, entre autres activités, la création et la signature d’une pétition à l’intention du premier ministre, le port et l’affichage d’autocollants et la distribution de matériel préconisant le maintien des prestations de retraite de la fonction publique.

9      Par suite de cette campagne de l’agent négociateur, M. Graham a témoigné avoir reçu, lui et ses collègues, des demandes de ministères qui voulaient savoir comment réagir à l’affichage de matériel du syndicat dans le cadre de la campagne. Ces ministères demandaient à l’employeur de leur fournir des directives. Par conséquent,  Hélène Laurendeau, sous-ministre adjointe du secteur de la Rémunération et des Relations de travail au Secrétariat du Conseil du Trésor, a émis la directive de l’employeur du 26 février 2010. M. Graham n’a pas participé à la rédaction de cette directive. Il n’était pas présent à l’audition interne du grief et il n’a pas participé à la rédaction de la décision de l’employeur à l’égard du grief.

10 Les témoins de l’agent négociateur ont témoigné au sujet de ce qui était permis dans leur lieu de travail avant et après la directive de l’employeur.

11 À Passeport Canada, les représentants de l’agent négociateur ont d’abord été autorisés à installer une table dans le hall d’entrée de l’immeuble afin de distribuer leur matériel au sujet des pensions et de recueillir des signatures pour la pétition au premier ministre. Bon nombre de membres syndiqués se sont arrêtés à la table, y ont pris la documentation et ont signé la pétition. Après la directive de l’employeur, les représentants de l’agent négociateur n’étaient plus autorisés à distribuer le matériel ou à recueillir des signatures à l’intérieur de l’immeuble. Ils ont dû s’installer à l’extérieur de l’immeuble, par un temps très froid, pour faire leur travail syndical. Les représentants locaux de l’employeur leur ont aussi dit de retirer tout le matériel relatif à la campagne de l’agent négociateur du babillard du syndicat.

12 Au ministère de la Défense nationale, la situation a été comparable à celle à Passeport Canada. Les représentants de l’agent négociateur ont d’abord été autorisés à installer une table à l’entrée de l’immeuble pour distribuer du matériel et recueillir des signatures pour leur pétition. Après la directive de l’employeur, ils n’étaient plus autorisés à distribuer leur matériel ou à recueillir des signatures à l’intérieur de l’immeuble. Les représentants locaux de l’employeur leur ont aussi donné l’ordre de retirer tout le matériel relatif à la campagne de l’agent négociateur du babillard du syndicat.

13 La directive de l’employeur a eu une incidence négative sur la campagne que menaient ces représentants de l’agent négociateur local au sujet des pensions. Il est devenu très difficile de recueillir des signatures pour la pétition et de distribuer de l’information aux membres du syndicat. La directive de l’employeur les a empêchés d'exercer leurs rôles syndicaux.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

14 L’employeur n’a pas démontré que le matériel sur les pensions de l’agent négociateur était contraire à ses intérêts. Les représentants de l’employeur ont appliqué la directive d’une manière qui a empêché l’agent négociateur d’afficher et de distribuer tout matériel relatif à la campagne sur les pensions dans les immeubles où travaillaient ses membres. Ainsi, l’employeur a violé la convention collective.

15 Dans sa décision relative au grief, l’employeur a écrit que l’affichage et la distribution de la pétition dans le lieu de travail nuisaient à ses intérêts parce que ces activités auraient un effet négatif sur la productivité. C’est une supposition que l’employeur a utilisée comme fondement de sa directive.

16 L’employeur n’a pas pris une décision équilibrée quand il a publié sa directive. Il aurait dû trouver un juste équilibre entre ses propres intérêts et les intérêts légitimes de l’agent négociateur de s’exprimer, d’informer ses membres et de tenir des activités légitimes. L’employeur ne l’a pas fait et il n’a pas tenu compte des intérêts de l’agent négociateur. L’employeur n’a pas réussi à justifier sa décision et n’a pu démontrer que cette dernière était raisonnable.

17 Non seulement l’employeur a-t-il violé l’article 12 de la convention collective, mais il a aussi violé la clause sur l’élimination de la discrimination en empêchant la signature de la pétition dans le lieu de travail et le port d’autocollants par les employés.

18 L’article 5 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi ») précise que les employés sont libres de participer aux activités licites de l’agent négociateur. L’employeur a empêché les employés de participer à une campagne légitime et licite visant à protéger les pensions de la fonction publique. L’employeur a clairement fait obstacle au travail des représentants de l’agent négociateur en ne leur permettant pas de distribuer du matériel dans ses immeubles et en demandant aux employés de lire le matériel et de signer la pétition dans leurs temps libres à l’heure du midi ou durant une pause.

19 L’employeur est responsable des actions de ses gestionnaires dans les divers ministères et lieux de travail. La convention collective a été violée, non seulement par la directive de l’employeur, mais aussi par l’interprétation qu’a faite la gestion locale de cette directive. L’employeur doit assumer l’entière responsabilité de cette interprétation.

20 L’agent négociateur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Casco Inc. v. United Food Processors Union, Local 483 (2002), 107 L.A.C. (4e) 167; Quality Meat Packers Ltd. v. United Food and Commercial Workers Canada, Locals 175 and 633 (2003), 115 L.A.C. (4e) 409; Syndicat des postiers du Canada c. Conseil du Trésor (Service des bureaux de poste), dossiers de la CRTFP 169-02-159 et 160 (19781221); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 169-02-508 (19920506); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 CRTFP 103; Rioux c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), 2002 CRTFP 68; Syndicat des postiers du Canada c. Conseil du Trésor (Service des bureaux de poste), dossier de la CRTFP 169-02-344 (19810205); Bodkin et al. c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-18108 à 18116, 18183 à 18188, 18190, 18209 à 18217, 18242 et 18243 (19890525); Quan c. Canada (Conseil du Trésor), [1990] 2 C.F. 191 (C.A.); Andres et al. c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 36.

B. Pour l’employeur

21 Selon les témoins de l’agent négociateur, on leur a refusé la permission d’installer une table d’information, de recueillir des signatures sur une pétition et de distribuer du matériel dans les immeubles de l’employeur. La directive de l’employeur ne contient pas ces interdictions. Ces questions n’ont pas été soulevées dans le cadre du grief ni lors de l’audition interne du grief. Il est trop tard pour que l’agent négociateur soulève ces questions à l’arbitrage.

22 La clause 12.01 de la convention collective fait référence à l’affichage d’avis de l’agent négociateur. Une pétition n’est pas un avis et n’est donc pas visée par le libellé de la clause 12.01. Rien dans la convention collective n’autorise l’affichage de pétitions. De plus, la signature d’une pétition dans le lieu de travail donne lieu à des discussions entre les employés et nuit à leur productivité. Le fait de porter un bouton présentant un message délicat, notamment sur les pensions, pourrait susciter une confrontation ou un débat avec le public. Les mesures prises par l’employeur étaient justifiées.

23 L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : MacKenzie et Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-21187, 21188 et 21189 et 169-02-501 (19910620); Almeida et Capizzo c. Conseil du Trésor (Revenu Canada — Douanes et accise), dossiers de la CRTFP 166-02-17058 et 17059 (19890125).

V. Motifs

24 Le présent grief de principe conteste la légalité de la directive produite par l’employeur après que l’agent négociateur ait entrepris une campagne sur les pensions au début de 2010. Le libellé du grief indique clairement que l’objection porte sur la directive signée par Mme Laurendeau. L’agent négociateur soutient que la directive interdisait ses activités de campagne contre les changements aux régimes de retraite de la fonction publique et contrevenait aux dispositions en matière d’élimination de la discrimination et sur l’utilisation des locaux de l’employeur prévues dans la convention collective. L’agent négociateur a demandé qu’une déclaration soit émise stipulant que la directive de l'employeur est discriminatoire et qu’elle contrevient à la convention collective. L’agent négociateur a aussi demandé que l’employeur respecte la convention collective et qu’il rectifie toutes les répercussions de sa directive.

25 Les témoins de l’agent négociateur ont affirmé qu’on leur avait ordonné de ne pas distribuer de matériel ou de ne pas recueillir de signatures pour leur pétition dans le hall ou à l’entrée de leurs lieux de travail et qu’ils avaient été dans l’obligation de le faire à l’extérieur. On pourrait soutenir que de telles mesures constituent une violation des droits syndicaux conférés par la Loi. De la même manière, l’interdiction générale d’afficher sur un babillard tout matériel du syndicat au sujet de sa campagne sur les pensions constituerait une violation de la convention collective. Cependant, le grief ne porte pas sur ce qui s’est produit dans ces lieux de travail, mais plutôt sur la légalité de la directive écrite de Mme Laurendeau. Si l’agent négociateur désirait contester les gestes et décisions de la direction locale à Passeport Canada ou au ministère de la Défense nationale, il aurait dû invoquer d’autres voies de recours que ce grief de principe. Il me paraît clair que l’objet de ce grief est de savoir si la directive de l’employeur contrevient à la convention collective.

26 L’agent négociateur n’a présenté aucune preuve selon laquelle l’employeur aurait exercé de la discrimination contre les représentants de l’agent négociateur en qualité d’employés en raison de leurs activités syndicales. Selon les témoins, on les a plutôt empêchés de faire leur travail de représentants syndicaux. Toutefois, cela ne signifie pas que l’employeur n’a pas violé la clause 19.01 de la convention collective. Je reviendrai sur ce point.

27 La directive de l’employeur a imposé les restrictions suivantes à la campagne de l’agent négociateur : défense d’afficher des pétitions sur les babillards, défense de distribuer des pétitions par les réseaux électroniques de l’employeur, défense de porter des autocollants aux employés desservant directement le public et défense d’apposer des autocollants sur les biens ou le matériel de l’employeur. L’employeur a ajouté dans sa directive que les demandes d’affichage de documentation d’ordre général, par exemple sur les pensions, ne devraient pas être rejetées sans raison valable. Par conséquent, la question que j’ai à trancher est de déterminer si ces restrictions imposées par l’employeur à l’agent négociateur constituent des violations aux clauses 12.01 ou 19.01 de la convention collective. J’examinerai ces quatre  restrictions séparément.

28 La directive de l’employeur de refuser catégoriquement que les pétitions sur les pensions soient affichées sur les babillards est en violation directe de la clause 12.01 de la convention collective selon laquelle l’employeur devrait agir « raisonnablement » quand il considère ce qui est préjudiciable à ses intérêts et qu’il  ne devrait pas refuser l’affichage de matériel sans motif valable. La directive de l’employeur du 26 février 2010 ne contenait aucune explication des raisons pour lesquelles l’affichage de pétitions était préjudiciable aux intérêts de l’employeur. Plus tard, dans la décision qu’il a rendu sur le grief, l’employeur a déclaré que l’affichage et la circulation d’une pétition dans le lieu de travail aurait un effet négatif sur la productivité. Cependant, l’employeur n’a jamais expliqué comment l’affichage d’une pétition sur des babillards pourrait avoir une incidence négative sur la productivité. Il est certain que les employés pourraient s’être arrêtés quelques minutes au babillard pour lire la pétition, mais c’est certainement le cas pour tous les autres documents affichés sur les babillards. Si les employés s’arrêtent pour lire un document affiché, ils perdent du temps productif au travail. L’employeur n’était peut-être pas d’accord avec les propositions de l’agent négociateur en matière de pension et avec le contenu de la pétition, mais pour satisfaire à ses obligations en vertu de la convention collective, il devait au moins démontrer comment la pétition est préjudiciable à ses intérêts, ce qu’il n’a pas fait dans cette affaire. Tel qu'énoncé dans Casco Inc., un préjudice aux intérêts est plus qu’une simple incidence négative imaginaire ou supposée.

29 Comme on le déclare dans Quality Meat Packers Ltd., il y a lieu d’examiner le contenu du message. De plus, tel qu’énoncé dans Syndicat canadien des postiers (19781221), la décision de censurer un syndicat doit reposer sur des critères valides, y compris l’illégalité du message, sa nature abusive, l’inclusion de déclarations diffamatoires ou frauduleuses et la non-observation des normes régissant les relations de travail. Il est évident que ces critères sont loin d’être réunis en l’espèce. La pétition demandait simplement, dans une rhétorique syndicale passablement adoucie, la protection du régime de retraite de la fonction publique fédérale et des améliorations à la sécurité de la vieillesse et au supplément de revenu garanti pour tous les retraités.

30 Le fait d’afficher la pétition sur les babillards ne signifie pas nécessairement que les employés doivent la signer durant les heures de travail. Si l’employeur s’inquiétait d’une perte de productivité, il aurait pu donner la directive aux employés de ne pas signer la pétition durant les heures de travail. L’agent négociateur aurait bénéficié de l’affichage de la pétition parce que la directive de l’employeur aurait attiré l’attention des membres sur l’existence de la pétition. L’employeur a refusé illégalement cette possibilité.

31 L’employeur n’a pas enfreint la clause 12.01 de la convention collective en refusant l’utilisation de ses réseaux électroniques pour faire circuler la pétition. Ce réseau est la propriété de l’employeur et ce dernier a le droit d’en restreindre l’utilisation. De plus, rien dans la clause 12.01 ne donne à l’agent négociateur, à ses représentants ou aux employés du gouvernement fédéral le droit d’utiliser les réseaux électroniques de l’employeur pour faire circuler tout matériel syndical, y compris des pétitions.

32 L’employeur n’a pas enfreint la clause 12.01 de la convention collective en refusant que des autocollants soient apposés sur ses biens et équipements. Il est tout à fait normal que l’employeur mette en place des directives pour empêcher la détérioration ou la légère modification de son matériel. Les biens et équipements appartiennent à l’employeur qui est en droit de refuser que des autocollants y soient apposés. De plus, rien dans la clause 12.01 ne donne ce droit à l’agent négociateur, à ses représentants ou aux employés du gouvernement fédéral.

33 La directive de l’employeur interdisant catégoriquement que les employés portent des autocollants quand ils desservent directement le public est une violation de la clause 19.02 de la convention collective. Ces autocollants portaient le libellé [traduction] « Laissez nos pensions tranquilles! » et le logo de l’agent négociateur dans le coin inférieur droit. Dans Bodkin et al., un arbitre de grief a jugé que l’employeur avait violé la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective quand il avait ordonné aux employés, parmi lesquels certains étaient en contact avec le public, de retirer leurs boutons portant l’inscription [traduction] « En alerte de grève! ». Pour l’arbitre de grief, ce geste constituait une activité syndicale légitime dans le contexte de la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective pertinente. L’arbitre de grief a déclaré que, pour déterminer si le port d’un bouton constituait une activité syndicale légitime durant les heures ouvrables, il fallait examiner le libellé du bouton. Si ce libellé jette le discrédit ou nuit à la réputation de l’employeur ou à ses opérations, le bouton dépasse les limites permissibles. Dans Quan, la Cour d’appel fédérale a acquiescé à l’analyse présentée dans Bodkin et al. Cette analyse a aussi été utilisée et adoptée par un arbitre de grief dans Andres et al.

34 L’analyse présentée dans Bodkin et al. établit un juste équilibre entre les droits des parties signataires de la convention collective. Un autocollant déclarant [traduction] « Laissez nos pensions tranquilles! » ne dépasse certainement pas les limites permissibles établies dans Bodkin et al. Il ne contient aucun message jetant le discrédit sur l’employeur ou nuisant à sa réputation ou à ses opérations. Il transmet, au plus, un message au public selon lequel il pourrait y avoir un différend entre l’employeur et ses employés au sujet des prestations de retraite. Quand ils expriment ce message, les employés qui portent cet autocollant participent à une activité syndicale et, si l’employeur les en empêche, il viole la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective.

35 L’employeur a fait valoir que si les employés desservant le public étaient autorisés à porter des autocollants, cela pourrait susciter une confrontation ou un débat avec le public. Cet argument est hypothétique et on ne peut refuser aux employés le droit de participer à des activités syndicales en se fondant sur une hypothèse. Si des confrontations avec le public avaient résulté du port des autocollants, l’employeur aurait alors été en droit d’intervenir et de prendre les décisions nécessaires pour régler le problème, possiblement en interdisant même à certains employés dans certains lieux de travail de porter des boutons.

36 L’employeur a donné instruction, dans sa directive, de ne pas refuser sans raison valable les demandes d’afficher des renseignements généraux sur les pensions. Il n’y a certes rien de répréhensible dans cette instruction qui reprend presque mot à mot une partie de la clause 12.01 de la convention collective. Cette instruction n’a peut-être pas été appliquée correctement dans tous les lieux de travail, mais cette question, comme je l’ai déjà expliqué, est hors des limites du présent grief de principe.

37 L’employeur m’a renvoyé à MacKenzie. Dans cette décision, un arbitre de grief a rejeté le grief qui portait sur la distribution d’un communiqué syndical dans le lieu de travail. Cette affaire n’est pas pertinente quant à mes conclusions au sujet de l’affichage de la pétition ou du port d’autocollants.

38 Dans Almeida et Capizzo, la direction locale avait ordonné aux inspecteurs des douanes de ne pas porter de boutons faisant la promotion d’une campagne syndicale parce qu’elle s’inquiétait que le port de ces boutons pourrait mener à des confrontations ou des débats avec les membres du public. Les agents ont refusé de retirer leurs boutons et leur employeur les a renvoyés à la maison sans rémunération. Un arbitre de grief a rejeté leurs griefs en reconnaissant que l’employeur avait agi correctement et dans l’exercice légitime de ses pouvoirs. Je suis d’avis que la logique présentée dans Bodkin et al. est plus pertinente à ma décision face à ce grief. De plus, contrairement à ce grief, les fonctionnaires s’estimant lésés dans Almeida et Capizzo n’ont pas obéi à la directive de leurs supérieurs. Ils ont plutôt fait preuve d’insubordination et ont été renvoyés à la maison sans rémunération.

39 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

40 Le grief de principe est accueilli en partie.

41 Je déclare que l’employeur a violé la convention collective quand il a émis sa directive interdisant l’affichage sur les babillards de la pétition de l’agent négociateur au sujet des pensions de la fonction publique et j’ordonne à l’employeur de cesser cette transgression.

42 Je déclare également que l’employeur a violé la convention collective quand il a interdit aux employés desservant directement le public le port d’autocollants sur les pensions et j’ordonne à l’employeur de cesser cette transgression.

Le 16 août 2011.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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