Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la décision du ministère des Anciens combattants (l’<<employeur>>) de mettre fin à son emploi de préposé polyvalent - il travaillait comme employé sur appel - l’employeur a soulevé une objection préliminaire quant à la compétence d’un arbitre de grief de la Commission des relations de travail dans la fonction publique d’entendre le grief car, selon lui, le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas le statut de fonctionnaire en vertu de la Loi - l’employeur essayait de ne pas offrir plus de 52,5 heures de travail par mois aux employés sur appel de sorte qu’ils ne travaillent pas régulièrement plus du tiers des heures travaillées par les employés à temps plein - en plus des heures de travail à l’horaire, l’employeur demandait aussi aux employés sur appel de faire, sur une base volontaire, des remplacements de dernière minute pour pallier aux absences non prévues d’autres employés - le fonctionnaire s’estimant lésé a travaillé plus du tiers des heures travaillées par un employé à temps plein, mais il n’était pas astreint ou contraint de le faire - ce sont les heures qu’il a travaillées sur une base volontaire qui, additionnées à celles prévues à son horaire, faisaient en sorte qu’il dépassait les 52,5 heures de travail dans les mois précédant sa fin d’emploi. Objection accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-11-04
  • Dossier:  566-02-4515
  • Référence:  2011 CRTFP 126

Devant un arbitre de grief


ENTRE

FARZAD BIGDELI-AZARI

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL (MINISTÈRE DES ANCIENS COMBATTANTS)

défendeur

Répertorié
Bigdeli-Azari c. Administrateur général (ministère des Anciens Combattants)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Yashar Tahmassebi, stagiaire en droit

Pour le défendeur:
Benoît de Champlain, avocat

Affaire entendue à Montréal (Québec),
le 25 octobre 2011

Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1  Farzad Bigdeli-Azari, le fonctionnaire s’estimant lésé, travaillait pour le ministère des Anciens Combattants (l’ « administrateur général » ou  l’ « employeur »), comme préposé polyvalent à l’Hôpital Sainte-Anne dans l’ouest de l’île de Montréal. En juillet 2010, l’employeur a avisé M. Bigdeli-Azari qu’il retirait son nom de la liste des employés sur appel. Le 16 août 2010, M. Bigdeli-Azari a déposé un grief contestant la décision de l’employeur de retirer son nom de cette liste et, par le fait même, de mettre fin à son emploi. Dans sa réponse au grief, l’employeur a indiqué qu’il ne pouvait donner suite au grief parce que M. Bigdeli-Azari n’avait pas la qualité de fonctionnaire en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique  (la « Loi »).  

2 Le 6 décembre 2010, à la suite du renvoi par M. Bigdeli-Azari de son grief à l’arbitrage, l’employeur a réitéré sa position selon laquelle M. Bigdeli-Azari n’était pas un fonctionnaire au sens de la Loi et qu’il ne pouvait donc déposer un grief. L’employeur a demandé que l’arbitre rejette le grief sans audition. Le 24 décembre 2010, M. Bigdeli-Azari a demandé que l’objection de l’employeur soit rejetée car, selon lui, il était un fonctionnaire selon la Loi et qu’il avait donc le droit de déposer un grief.

3 En janvier 2011, après avoir examiné la position des parties relativement à l’objection, j’ai conclu qu’il serait pertinent de régler la question de l’objection avant d’examiner, selon le cas, le grief sur le fond. Lors de cette audience, la preuve et les arguments présentés n’ont donc porté que sur l’objection de l’employeur voulant que M. Bigdeli-Azari ne soit pas un fonctionnaire selon la Loi.

4 Pour décider de l’objection de l’employeur, je dois examiner les dispositions suivantes de la Loi :

[…]

206. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

« fonctionnaire » S’entend au sens de la définition de ce terme au paragraphe 2(1) compte non tenu des exceptions prévues aux alinéas e) et i) de celle-ci et des mots « sauf à la partie 2 ».

[…]

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« fonctionnaire » Sauf à la partie 2, personne employée dans la fonction publique, à l’exclusion de toute personne :

[…]

c) qui n’est pas ordinairement astreinte à travailler plus du tiers du temps normalement exigé des personnes exécutant des tâches semblables;

[…]

f) employée à titre occasionnel;

g) employée pour une durée déterminée de moins de trois mois ou ayant travaillé à ce titre pendant moins de trois mois;

[…]

Résumé de la preuve

5 M. Bigdeli-Azari a témoigné. L’employeur a appelé Julie Gadoury comme témoin. Mme Gadoury est chef du service de diététique à l’Hôpital Sainte-Anne. Elle dirigeait le service au sein duquel M. Bigdeli-Azari travaillait. Les parties ont présentées sept documents en preuve incluant l’offre d’emploi faite à M. Bigdeli-Azari lors de son embauche et les feuilles de temps faisant état des heures qu’il a travaillées entre février 2010 et août 2010.

6 M. Bigdeli-Azari a été embauché le 2 février 2010 comme préposé polyvalent au service de diététique de l’Hôpital Sainte-Anne, et ce,  pour une période déterminée se terminant le 30 septembre 2010 avec le statut « sur appel ». L’offre d’emploi comprend la mention suivante :

[…]

Étant donné que vous ne serez pas tenu de travailler habituellement plus du tiers des heures normales de travail, vous n’êtes pas régi par la Loi sur l’Emploi dans la Fonction publique du Canada. De ce fait, vous ne pouvez être considéré, au sens de la présente Loi, comme un employé. Vous ne pouvez pas bénéficier des droits et privilèges stipulés par cette Loi et ses Règlements. En conséquence, vous n’êtes pas admissible à participer à des processus internes.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

7 Mme Gadoury a témoigné  que les employés sur appel sont utilisés pour combler les besoins supplémentaires en main-d’œuvre. Ces employés doivent offrir un minimum de  40 à 45 heures de disponibilité par mois. Si l’employeur leur demande de travailler à l’intérieur des heures de disponibilité offertes, l’employeur s’attend à ce qu’ils soient disponibles. L’employeur offre les heures de travail aux employés sur appel selon leur disponibilité tout en tenant compte de leur ancienneté. En général, il essaie de ne pas offrir plus de 52,5 heures par mois aux employés sur appel de sorte qu’ils ne travaillent pas régulièrement plus du tiers des heures travaillées par les employés à temps plein. Il arrive cependant que l’employeur dépasse ce nombre d’heures lorsqu’il doit effectuer des remplacements de dernière heure et non prévus longtemps à l’avance.

8 L’employé sur appel informe l’employeur de ses heures de disponibilité au moins un mois à l’avance. Puis, l’employeur prépare l’horaire de travail des employés sur appel et l’affiche sur des tableaux prévus à cet effet. M. Bigdeli-Azari a témoigné que cet horaire est affiché longtemps à l’avance. Compte tenu qu’il ne peut être affiché avant de connaître la disponibilité des employés sur appel, j’en déduis que l’horaire est affiché trois ou quatre semaines à l’avance. En plus des heures de travail à l’horaire, l’employeur demande aussi aux employés sur appel de faire, sur une base volontaire, des remplacements de dernière minute pour pallier aux absences non prévues d’autres employés. Selon son témoignage, M. Bigdeli-Azari était souvent appelé à faire de tels remplacements sur une base volontaire. Il ne se souvient pas précisément du nombre de fois où il a fait de tels remplacements mais il a admis que ce pouvait être deux ou trois fois par mois.     

9 Les feuilles de temps de M. Bigdeli-Azari démontrent qu’il a travaillé le nombre d’heures qui suit entre février et août 2010 :

Février 2010         60,5 heures

Mars 2010            62,0 heures

Avril 2010            53,75 heures

Mai 2010             50,17 heures

Juin 2010            56,0 heures

Juillet 2010         51,5 heures

Août 2010          12,0 heures

10 L’employeur a mis fin à l’emploi de M. Bigdeli-Azari le 5 août 2010 car il n’était pas satisfait de son rendement. Les feuilles de temps démontrent que le plus souvent, M. Bigdeli-Azeri travaillait sur des appels quotidiens de 4 heures ou 6,5 heures. 

Résumé de l’argumentation

11 L’employeur prétend que je n’ai pas compétence pour entendre le grief parce que M. Bigdeli-Azeri n’était pas un fonctionnaire au sens de la Loi quand il a déposé son grief. Sur ce, l’offre d’emploi qu’il a signée est d’ailleurs claire. Il a été embauché comme employé sur appel qui n’était pas astreint à travailler plus du tiers des heures normales de travail. Certes, il est arrivé certains mois qu’il travaille plus du tiers de heures normales de travail mais cela n’a pas pour effet de changer son statut d’emploi qui est déterminé par son contrat d’emploi plutôt que par le nombre d’heures qu’il a effectivement travaillé. De plus, il n’a jamais été astreint à travailler plus du tiers des heures prévues pour un employé à temps plein.

12 L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Nemours c. Canada (Procureur général), 2010 CF 158; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Econosult), [1991] 1 R.C.S. 614.

13 M. Bigdeli-Azeri  prétend que, dans les faits, il a travaillé plus du tiers des heures normalement exigées d’un employé à temps plein. Il est dès lors devenu un fonctionnaire au sens de la Loi. Sa situation était différente de celle prévue à l’offre d’emploi où l’employeur indiquait qu’il ne serait pas tenu de travailler plus du tiers des heures normales de travail. Dans les faits, M. Bigdeli-Azeri  a travaillé plus du tiers des heures normales de travail presque chaque mois où il a été à l’emploi de l’employeur.

14 Pour M. Bigdeli-Azeri, les faits relatifs à son grief diffèrent de ceux dans Nemours où l’employée n’avait pas travaillé plus du tiers des heures lors de son dernier contrat d’emploi.

Motifs

15 La question devant moi est de déterminer si M. Bigdeli-Azeri était un fonctionnaire au sens de la Loi et, par le fait même, s’il avait le droit de déposer un grief, puis de le renvoyer à l’arbitrage. Pour répondre à cette question, je dois interpréter l’alinéa 2(1)c) de la Loi.  Plus spécifiquement, à la lumière de la preuve, je dois établir si M. Bigdeli-Azeri  était une personne « ordinairement astreinte à travailler plus du tiers du temps normalement exigé des personnes exécutant des tâches semblables ». S’il n’était pas normalement astreint à travailler plus du tiers des heures normales de travail, je n’ai pas compétence pour entendre son grief. S’il était ordinairement astreint à travailler plus du tiers des heures normales de travail, je conclurai que j’ai compétence pour entendre son grief.

16 La preuve révèle que M. Bigdeli-Azeri  a été embauché pour travailler moins du tiers des heures normales de travail. En effet, l’offre d’emploi qu’il a accepté et qui fait foi de contrat de travail l’indique clairement.

17 La preuve révèle aussi que M. Bigdeli-Azeri a en moyenne travaillé plus du tiers des heures normales de travail. Prenant en compte qu’il y a 52,18 semaines par an (52 semaines + 1 jour + ¼ de jour pour les années bissextiles) et que la semaine normale de travail est de 37,5 heures, un tiers des heures annuelles de travail est de 652,25 heures et un tiers des heures mensuelles est de 54,35 heures. Pour sa part, l’employeur essaie de limiter à 52.5 heures le nombre d’heures mensuelles des employés sur appel. Le tiers des heures hebdomadaires est de 12,5 heures. Au total, M. Bigdeli-Azari a été à l’emploi de l’employeur pour une période de 26 semaines et 2 jours et il a travaillé 345,92 heures, soit une moyenne hebdomadaire de 13,1 heures. Pour le total de ses 26 semaines d’emploi, son nombre total d’heures dépasse de 29 heures ((652,25÷2) – 345,92). M. Bigdeli-Azeri a donc raison de dire qu’il a travaillé plus du tiers des heures.

18 Pour établir si M. Bigdeli-Azeri était un fonctionnaire au sens de la Loi, je dois aller au-delà de l’analyse de son contrat d’emploi et voir dans les faits s’il a été ordinairement astreint à travailler plus du tiers des heures, d’autant plus que le contrat d’emploi ne renvoie pas à l’exclusion des droits et privilèges de la Loi mais plutôt de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la « LEFP »). Sur ce dernier point, dans Canada (Procureur général) c. Marinos, [1998] A.C.F. no 461, la Cour fédérale souligne que l’exclusion des protections législatives de la LEFP ne permet pas de conclure à l’exclusion automatique de la portée des protections de la Loi.

19 Comme je l’écrivais ci-dessus, M. Bigdeli-Azeri a raison de dire qu’il a travaillé plus du tiers des heures d’un employé à temps plein, même si sa moyenne d’heures hebdomadaires travaillées dépasse le tiers des heures que d’environ une heure par semaine. Par contre, M. Bigdeli-Azeri omet de souligner qu’il n’a pas été ordinairement astreint ou contraint de travailler plus du tiers des heures.

20 Il me semble raisonnable d’affirmer que, selon les faits devant moi, le nombre d’heures qu’une personne est « ordinairement astreinte » à travailler est le nombre d’heures prévues à son horaire normal de travail. Ainsi, un préposé polyvalent à temps plein est astreint à travailler 37,5 heures par semaine. Si la preuve démontrait que M. Bigdeli-Azeri était ordinairement astreint à travailler plus du tiers de ces heures, je conclurais qu’il est un fonctionnaire au sens de la Loi mais ce n’est pas le cas. Même si la preuve ne me permet pas de déterminer précisément combien d’heures M. Bigdeli-Azeri était astreint de travailler, elle me permet de conclure que ce nombre était inférieur au tiers des heures de travail d’un employé à temps plein. Les heures de travail prévues à l’horaire de M.  Bigdeli-Azeri étaient établies quelques semaines à l’avance. Ce sont ces heures auxquelles il était astreint, c’est-à-dire durant lesquelles il devait nécessairement travailler. Il n’était par contre pas astreint à travailler les heures qu’on lui offrait pour des remplacements de dernière minute. Or, il a admis qu’il acceptait des remplacements de dernière minute deux à trois fois par mois. Ce sont ces remplacements qui ont fait en sorte que sa moyenne d’heures travaillées dépasse le tiers des heures et non pas l’horaire ordinaire de travail auquel il était astreint.  

21 Compte tenu de ce qui précède, j’accueille donc l’objection formulée par l’employeur selon laquelle je n’ai pas compétence pour entendre ce grief car M. Bigdeli-Azeri n’était pas un fonctionnaire au sens de la Loi.

22 L’employeur m’a renvoyé à Nemours. Les faits de cette décision diffèrent de la présente car dans Nemours l’employée avait un contrat de moins du tiers du temps et, dans les faits, elle n’avait pas travaillé comme employée plus du tiers du temps contrairement à M. Bigdeli-Azeri qui a travaillé plus du tiers du temps même s’il n’y a pas été astreint. L’employeur m’a aussi renvoyé à Econosult. Cette décision renvoie à un contexte d’accréditation ou d’appartenance syndicale dans lequel il est question d’établir le statut de fonctionnaire. Le contexte du présent cas est évidemment différent.

23 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

24 Je déclare que je n’ai pas compétence pour entendre le présent grief.

25 J’ordonne la fermeture du dossier.

Le 4 novembre 2011.

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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